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[1996] 1 C.F. 518

A-656-94

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Fording Coal Limited (intimée)

Répertorié : Canada c. Fording Coal Ltd. (C.A.)

Cour d’appel, juges Strayer, Décary et McDonald, J.C.A.—Ottawa, 26 septembre et 15 novembre 1995.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Règles concernant les corporations remplaçantesPar application de l’art. 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’opération d’amorçage (par laquelle la compagnie minière remplaçante a cédé une participation nominale (0,001 %) dans un avoir minier au prédécesseur (Elco) avant de racheter à celui-ci la totalité ou quasi-totalité de ses avoirs miniers canadiens) ne permet pas la déduction (plus de 13 000 000 $ en frais cumulatifs d’exploration au Canada (FCEC) et frais cumulatifs d’aménagement au Canada (FCAC)) du revenu que la corporation remplaçante tire à l’avenir d’avoirs qui lui appartenaient déjà, de dépenses engagées avant la vente par le prédécesseur sur les autres biens faisant l’objet de l’achatLa déduction des FCEC et FCAC sert à réduire le revenu de Fording indûment et de façon factice.

Appel contre la décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a fait droit à l’appel formé par l’intimée, Fording Coal Ltd., contre une nouvelle cotisation de ses années d’imposition 1985 à 1990.

Par un accord conclu en 1985, Elco Mining Ltd., qui avait accumulé à la fois 7 277 134 $ de frais cumulatifs d’exploration au Canada (FCEC) et 6 642 581 $ de frais cumulatifs d’aménagement au Canada (FCAC), a acheté de Fording une participation de 0,001 p. 100 dans la houillère de Fording River. Au bout d’un mois à peu près, Fording a acheté à Elco la totalité ou quasi-totalité de ses « avoirs miniers canadiens », y compris sa participation de 0,001 p. 100 dans la houillère de Fording. Les deux ayant fait conjointement un choix sous le régime des paragraphes 66.1(4) et 66.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (les règles concernant les corporations remplaçantes), ce qui fait de Fording une « corporation remplaçante », elle a déduit les FCEC et FCAC d’Elco du revenu produit par la houillère de Fording River. Revenu Canada a rejeté ces déductions par ce motif que ce qu’a fait Fording, c’était une manœuvre d’évitement fiscal tombant sous le coup de l’article 245 de la Loi, du fait que ces déductions avaient pour effet de réduire son revenu de façon factice. La Cour de l’impôt a fait droit à l’appel formé par Fording contre cette décision par ce motif que les termes sans équivoque des paragraphes 66.1(4) et 66.2(3) permettent la déduction de ces sommes, qu’il n’y a pas trompe-l’œil, et que le paragraphe 245(1) de la Loi (opérations factices) ne s’applique pas.

Arrêt (avec avis dissident du juge McDonald, J.C.A.) : l’appel doit être accueilli.

Le juge Strayer, J.C.A. : Pris littéralement, les termes sans équivoque des règles concernant les corporations remplaçantes permettent la déduction des sommes en cause. Lorsque le texte est clair, il doit prévaloir. Il n’y a pas eu trompe-l’œil en l’espèce : il s’agit d’opérations licites de cession et de rétrocession de parts de façon à rendre possible la demande de déduction de l’intimée.

Cependant, cette déduction a été rejetée en application de l’article 245, aux termes duquel « aucune déduction ne peut être faite à l’égard d’[in respect of ] un débours fait ou d’une dépense faite ou engagée, relativement à une affaire ou opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de façon factice le revenu ». Dans Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, la Cour suprême a conclu que les mots « in respect of » (quant à) ont la portée la plus large possible. En l’espèce, la déduction avait son origine dans le débours fait ou la dépense engagée par le prédécesseur à l’égard des avoirs miniers Elco. L’article 245 n’exige pas que le débours ou la dépense ait été fait par le contribuable lui-même. Sa formulation est suffisamment générale pour couvrir les débours ou dépenses faits par Elco sur les avoirs miniers Elco. L’expression « faite ou engagée relativement à [in respect of] une affaire ou opération » qualifie les « débours ou dépense » et ne semble guère ajouter à leur contenu.

Les déductions en cause réduisent le revenu indûment ou de façon factice. L’article 245 ne vise pas à exclure des affaires ou opérations, mais à empêcher qu’elles aient pour conséquence fiscale la réduction factice du revenu. La question centrale est donc le caractère indu ou factice de la réduction du revenu, non pas le caractère factice de l’opération. En l’espèce, la déduction revendiquée découle de l’opération d’amorçage qui n’était pas conforme aux habitudes normales du commerce. Ce fait en soi ne constitue pas le facteur déterminant du caractère factice de la déduction, mais il doit certainement entrer en ligne de compte. Peu importe que l’opération d’amorçage soit un élément d’une opération bien plus importante, par laquelle la contribuable a acquis une participation de 50 % dans la co-entreprise houillère d’Elk River. La question de savoir si elle est légalement valide ou non n’est pas non plus déterminante. Cette opération est légalement valide. Ce qui doit retenir notre attention, c’est le caractère factice de la déduction revendiquée au seul titre de l’opération d’amorçage.

Il n’est pas illogique que le paragraphe 245(1) puisse s’appliquer pour exclure une déduction que la Loi autorise expressément, comme c’est le cas en l’espèce. Il faut présumer que le législateur a prévu que des déductions permises selon les critères spécifiés par d’autres dispositions de la Loi pourraient, dans certains cas, réduire le revenu de façon indue ou factice, auxquels cas elles seraient rejetées en application du paragraphe 245(1). Eu égard aux circonstances de la cause, les déductions revendiquées en l’espèce s’opposent à l’objet et à l’esprit de la Loi. Les opérations en cause visaient à permettre à l’acheteur des avoirs miniers d’acquérir en même temps (si le vendeur y consent) le bénéfice des comptes fiscaux, y compris les FCEC et FCAC, non encore utilisés et à valoir sur le revenu à tirer à l’avenir des mêmes avoirs.

Ce serait contraire à l’intérêt public de permettre les déductions en cause de façon que l’intimée puisse déduire, du revenu à tirer à l’avenir de biens qui lui appartiennent déjà, des dépenses faites par le passé pour l’exploration et l’aménagement d’autres biens nouvellement acquis, lesquels n’ont rien produit depuis leur acquisition.

Le juge McDonald, J.C.A. (dissident) : l’appel doit être rejeté.

Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis une erreur en concluant que Fording avait le droit de déduire les FCEC et FCAC tels qu’elle les a revendiqués. Fording reconnaît sans difficulté que l’« opération d’amorçage » a été conclue uniquement à des fins fiscales. Ce fait seul ne suffit pas pour invalider les déductions auxquelles l’opération a donné lieu. Ainsi que l’a conclu le juge de première instance, il ne faut pas invalider un élément d’un accord commercial légitime du fait qu’il peut avoir donné lieu à l’avantage fiscal que le ministre a subséquemment cherché à faire interdire expressément au moyen de la modification du texte applicable. Rien dans les termes sans équivoque des règles concernant les corporations remplaçantes n’interdit ce qui a été fait en l’espèce, et l’intimée n’a enfreint ni l’objet ni l’esprit de la Loi. Lorsque ces règles furent modifiées en 1977 et en 1987, le Ministère avait parfaitement conscience du recours aux opérations d’amorçage à titre de stratégie de planification fiscale. N’empêche qu’au moment où les modifications en la matière furent finalement introduites en 1987, elles n’ont pas été rendues rétroactives. Voilà un facteur à prendre en considération, en particulier lorsqu’il s’agit d’examiner la question au regard des paragraphes 66.1(4) et 66.2(3).

Il n’y avait aucune restriction quant à l’ordre de grandeur de la participation qu’un prédécesseur devait acheter afin qu’une corporation remplaçante telle Fording puisse se prévaloir des déductions comme elle l’a fait en l’espèce. La Cour ne peut pas et ne doit pas conclure à l’existence d’un seuil minimum. Fording n’a rien fait qui ne soit pas conforme aux termes clairs ou à l’objet ou l’esprit des règles concernant les corporations remplaçantes. Il ne faut pas faire de l’analyse de l’objet et de l’esprit d’un texte de loi, un moyen de combler toute lacune ou omission de la Loi au détriment du contribuable et dans le sens de l’argument fréquemment avancé par le ministre, savoir que pareille interprétation de la disposition en question ne pourrait être conforme à la volonté du législateur.

Le paragraphe 245(1) ne s’applique pas en l’espèce car il n’y a eu aucun débours ou aucune dépense faits ou engagés à l’égard desquels une déduction a été revendiquée. L’« affaire ou l’opération » qualifiée de factice est l’opération d’amorçage. Cependant, les dépenses et débours constituant les FCAC et FCEC n’ont pas été « faits ou engagés relativement à » l’opération d’amorçage. Et puisque cette opération a été jugée conforme à l’objet et à l’esprit des règles concernant les corporations remplaçantes, elle ne saurait être jugée factice et exclue par le paragraphe 245(1). Si une disposition établit un régime complexe dont le contribuable puisse se prévaloir pour recevoir un avantage spécifique, et ce, de manière jugée conforme aux termes clairs comme à l’objet et l’esprit des dispositions applicables, le paragraphe 245(1) ne s’applique pas pour exclure les déductions en qui découlent.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 66.1(4) (édicté par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 36; S.C. 1977-78, ch. 1, art. 30; 1984, ch. 1, art. 28), 66.2(3) (édicté par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 36; S.C. 1977-78, ch. 1, art. 31; 1979, ch. 5, art. 21; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 35; 1984, ch. 1, art. 29), 66.7(3) (édicté par S.C. 1987, ch. 46, art. 23), 66.7(4) (édicté, idem), 245(1).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 324.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41; Canada c. Irving Oil Ltd., [1991] 1 C.T.C. 350; (1991), 91 DTC 5106; 126 N.R. 47 (C.A.F.); Shulman, Isaac v. Minister of National Revenue, [1961] R.C.É. 410; [1961] CTC 385; (1960), 61 DTC 1213; Fell (D) Ltd et al c La Reine, [1981] CTC 363; (1981), 81 DTC 5282 (C.F. 1re inst.); Consolidated-Bathurst Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 3 [1987] 1 C.T.C. 55; (1986), 87 DTC 5001; 72 N.R. 147 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

R c Alberta and Southern Gas Co Ltd, [1977] CTC 388; (1977), DTC 5244 (C.A.F.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3; (1994), 63 Q.A.C. 161; 95 DTC 5017; 171 N.R. 161; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312; [1994] 2 C.T.C. 25; (1994), 94 DTC 6314; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; [1995] 2 C.T.C. 369; (1995), 95 DTC 5551; Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175; (1988), 53 D.L.R. (4th) 656; [1988] 2 C.T.C. 294; 87 N.R. 300; 29 O.A.C. 268; Canterra Energy Ltd. c. La Reine, [1987] 1 C.T.C. 89; (1986), 87 DTC 5019; 71 N.R. 394 (C.A.F.); Canada c. Mara Properties Ltd., [1995] 2 C.F. 433 [1995] 2 C.T.C. 86; (1995), 95 DTC 5168; 179 N.R. 363 (C.A.); Mark Resources Inc. c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 2259; (1993), 93 DTC 1004 (C.C.I.); Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of), [1936] A.C. 1 (H.L.).

DÉCISIONS CITÉES :

R c Esskay Farms Ltd, [1976] CTC 24; (1975), 76 DTC 6010 (C.F. 1re inst.); McKee (G) c La Reine, [1977] CTC 491; (1977), 77 DTC 5345 (C.F. 1re inst.); Harris v. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 489; (1966), 57 D.L.R. (2d) 403; [1966] CTC 226; 66 DTC 5189.

APPEL contre la décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt (Fording Coal Ltd. c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 2734; (1994), 95 DTC 571 (C.C.I.)) a fait droit à l’appel interjeté de la décision du ministre du Revenu national qui a rejeté la déduction, revendiquée en application des paragraphes 66.1(4) et 66.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, de frais cumulatifs d’exploration et d’aménagement au Canada, par ce motif que l’opération d’amorçage qui y a donné lieu tombe sous le coup de l’article 245 de la Loi. Appel accueilli.

AVOCATS :

Roger E. Taylor et Kathleen T. Lyons pour l’appelante.

Warren J. A. Mitchell, c.r., Karen R. Sharlow et James H. G. Roche pour l’intimée.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Thorsteinssons, Vancouver, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Strayer, J.C.A. : J’ai lu les motifs prononcés par mon collègue le juge McDonald, et partage sa recension des faits. Ainsi qu’il ressortira de l’analyse qui suit, je conviens aussi avec lui que les déductions en cause sont admissibles par interprétation littérale des paragraphes 66.1(4) [édicté par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 36; S.C. 1977-78, ch. 1, art. 30; 1984, ch. 1, art. 28] et 66.2(3) [édicté par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 36; S.C. 1977-78, ch. 1, art. 31; 1979, ch. 5, art. 21; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 35; 1984, ch. 1, art. 29] de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] et que, sauf preuve du contraire, cette interprétation littérale doit prévaloir. Je ne partage cependant pas ses conclusions relatives à l’objet et l’esprit de ces dispositions portant déductibilité, à l’interprétation du paragraphe 245(1), et aux conséquences de l’objet et l’esprit de celles-là sur l’application de celui-ci.

J’examinerai successivement les trois questions soulevées par l’appelante, telles qu’en font état les motifs prononcés par le juge McDonald.

L’opération d’amorçage va-t-elle à l’encontre de l’objet et de l’esprit des règles concernant les corporations remplaçantes?

Selon l’appelante, cette question sous-entend en fait que l’objet et l’esprit du texte de loi doivent toujours en déterminer l’application. Elle soutient que si les dispositions concernant les corporations remplaçantes sont interprétées conformément à leur objet et à leur esprit, elles ne permettent pas de déduire, du revenu que la corporation remplaçante tirera à l’avenir d’un bien dont elle a déjà été la propriétaire, des dépenses faites avant la vente par le prédécesseur à l’égard d’autres biens compris dans cette vente. Je conviens avec le juge de première instance [[1995] 1 C.T.C. 2734 (C.C.I.)] et le juge McDonald que pris littéralement, les termes sans équivoque des paragraphes 66.1(4) et 66.2(3) permettent la déduction des sommes en cause. Si elle prescrit une interprétation téléologique des lois fiscales, la jurisprudence applicable en la matière, que représentent les décisions Stubart Investments Ltd. c. La Reine[1] et Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours[2], ne pose pas que l’objet et l’esprit de la loi doivent primer dans les cas mêmes où le texte est clair mais ne leur est pas conforme[3]. Lorsque le texte est clair, il doit prévaloir, sous réserve d’autres dispositions de la Loi que nous verrons autre part.

En outre, je conviens avec le juge de première instance et avec le juge McDonald qu’il n’y a pas eu trompe-l’œil en l’espèce : il s’agit d’opérations licites de cession et de rétrocession de parts de façon à rendre possible la demande de déduction de l’intimée.

Bien que, par les motifs pris autre part, je conclue que cette déduction est, dans les circonstances de la cause, contraire à l’objet et à l’esprit des dispositions en question, cette conclusion ne justifie pas de considérer l’« opération d’amorçage » comme nulle et non avenue au regard des paragraphes 66.1(4) et 66.2(3). (Je pense cependant qu’elle peut tomber sous le coup du paragraphe 245(1), ce que nous verrons plus loin.) Je ferais remarquer en passant que je ne chercherai pas à appliquer la règle générale dégagée par le juge Estey dans l’arrêt Stubart en ces termes :

… la validité de l’opération quant à la forme peut également être insuffisante lorsque …

c) « l’objet et l’esprit » de la disposition qui accorde la déduction ou l’avantage sont mis en échec par le processus manifestement adopté par le contribuable pour créer une perte, un report ou tout autre mécanisme d’évitement de l’impôt …[4]

Il ressort du contexte que ce passage vise les cas où l’article 245 ou son prédécesseur ne s’appliquait pas. Je dois avouer ne pas être trop certain de ce qu’il voulait dire par la « validité quant à la forme » de l’opération. Il y a lieu de noter que dans Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu)[5], la Cour suprême elle-même semblait se garder de donner effet à cette règle du moment que l’opération était conforme au libellé sans équivoque du texte de loi applicable, quand bien même l’objet et l’esprit pourraient être tout autres. Quoi qu’il en soit, je conclus, par les motifs qui suivent, que la déduction qui nous occupe en l’espèce tombe sous le coup du paragraphe 245(1) et que, de ce fait, le passage cité ci-dessus n’est pas directement applicable.

Les FCEC [frais cumulatifs d’exploration au Canada] et FCAC [frais cumulatifs d’aménagement au Canada] sont-ils un « débours ou dépense » au sens du paragraphe 245(1)?

À l’époque considérée, le paragraphe 245(1) prévoyait ce qui suit :

245. (1) Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi, aucune déduction ne peut être faite à l’égard d’un débours fait ou d’une dépense faite ou engagée, relativement à une affaire ou opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de façon factice le revenu.

Si je le comprends bien, le juge de première instance a conclu que, l’intimée ayant fondé ses déductions non pas sur des dépenses qu’elle aurait faites mais sur les dépenses de son prédécesseur, elle ne s’est prévalue d’aucun « débours ou dépense » au sens du paragraphe 245(1). Le principal motif pris était que les dépenses en question avaient été faites par quelqu’un d’autre que le contribuable, mais on peut déduire de la jurisprudence citée par le juge de première instance qu’à son sens, pareille déduction de la part de la corporation remplaçante représentait un dégrèvement plutôt qu’un « débours ou dépense ». Il a cité certaines décisions rendues au cours des années 1970 par la Section de première instance de la Cour fédérale à l’appui d’une interprétation restrictive des mots « débours ou dépense »[6]. Ces décisions étaient antérieures à la décision Nowegijick c. La Reine[7], où la Cour suprême du Canada a tiré la conclusion suivante au sujet des mots « quant à » (en anglais « in respect of ») :

À mon avis, les mots « quant à » ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant », « relativement à » ou « par rapport à ». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c’est probablement l’expression « quant à » qui est la plus large[8].

Dans cette affaire, la Cour a jugé que l’article 87 de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, ch. I-6], aux termes duquel « nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété … d’un bien » était suffisamment large pour exempter le revenu imposable d’un Indien habitant une réserve. Bien que le revenu imposable soit un concept artificiel nécessitant les calculs prescrits par la Loi de l’impôt sur le revenu , il est en dernière analyse tiré des salaires (c’est-à-dire des biens personnels); comme l’impôt sur le revenu est un impôt « concernant » (en anglais « in respect of ») des biens personnels, l’appelant était exempté par application de l’article 87 dans cette affaire.

La locution prépositive « in respect of » apparaît deux fois dans le paragraphe 245(1). La déduction en question doit être faite « relativement à un débours ou une dépense ». En l’espèce, la déduction avait certainement son origine dans le débours fait ou la dépense engagée par le prédécesseur à l’égard des avoirs miniers Elco. Cette disposition n’exige pas que le débours ou la dépense ait été fait par le contribuable lui-même. Si on transpose en l’espèce les équivalents de « in respect of » qu’a mentionnés la Cour suprême dans Nowegijick, je vois mal pourquoi les déductions faites par l’intimée en l’espèce ne l’auraient pas été « relativement » ou « par rapport » aux débours ou dépenses faits par Elco sur les avoirs miniers Elco même si dans les livres de l’intimée, cette déduction pourrait être considérée comme un dégrèvement.

Le paragraphe 245(1) ne s’applique que si le débours ou la dépense, sur lequel le contribuable fonde la déduction, a été « faite ou engagée, relativement à une affaire ou opération ». L’expression « faite ou engagée, relativement à une affaire ou opération » qualifie les « débours ou dépense » et ne semble guère ajouter à leur contenu. En l’espèce, les débours ou dépenses ont été faits ou engagés par Elco relativement à l’exploitation de ses avoirs miniers et je ne vois pas la nécessité de m’étendre plus longuement sur cette question.

Ces déductions ont-elles réduit le revenu indûment ou de façon factice?

Bien que l’indication marginale porte « Opérations factices », le paragraphe 245(1) vise la « déduction … qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de façon factice le revenu ». Les mots « de façon factice » sont le complément circonstanciel de manière du verbe « réduirait » dont le sujet est « déduction ». Le mot « permise » se rapporte également à « déduction », et non pas à « affaire » ou « opération » : cette disposition ne vise pas à exclure des affaires ou opérations, mais à empêcher qu’elles aient pour conséquence fiscale la réduction factice ou indue du revenu[9]. La question centrale est donc le caractère indu ou factice de la réduction du revenu, non pas le caractère factice de l’opération en question.

Il a été jugé qu’une déduction qui réduit le revenu de façon factice peut être reconnue par le fait qu’elle est fondée sur une opération ou convention échappant aux habitudes normales du commerce[10]. En l’espèce, la déduction revendiquée découle de l’opération d’amorçage qui, à mon avis, n’était pas conforme aux habitudes normales du commerce. Il y a lieu de noter en tout premier lieu que l’intimée reconnaît que l’opération en question n’avait pas un objet commercial véritable sans rapport avec l’évitement fiscal. Ce fait en soi ne constitue pas le facteur déterminant du caractère factice de la déduction, mais il doit certainement entrer en ligne de compte. Dans Stubart[11], le juge Estey a souligné, dans une observation incidente, que si l’opération n’avait aucun objet commercial véritable, la disposition qui tenait lieu à l’époque du paragraphe 245(1) « peut s’appliquer, mais il faut tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce ». (Le paragraphe 245(1) n’avait pas application dans cette affaire parce que la Couronne ne l’avait pas invoqué.) En l’espèce, les circonstances font ressortir l’anomalie de l’opération d’amorçage. Par cette opération, l’intimée vendait à Elco une participation minime (0,001 p. 100) dans la mine de Fording River pour 10 000 $, avec option irrévocable de rachat. On voit bien que dans l’esprit de l’une et l’autre parties, cette participation devait être rachetée à bref délai, et elle l’a été au bout de 28 jours. Le seul avantage tiré par Elco de l’opération d’amorçage consistait en une redevance de 116 49 $ sur la houille produite par la mine de Fording River durant cette période. Il est difficile d’y voir une convention conforme aux habitudes normales du commerce. Ce qui est manifeste, c’est que par la vente temporaire de cette participation minime, l’intimée a cherché à déduire du revenu qu’elle tirait de la houillère de Fording River, plus de 13 000 000 $ de dépenses faites par Elco sur les avoirs miniers Elco avant leur acquisition par l’intimée.

Le juge de première instance a invoqué la nécessité de voir dans l’opération d’amorçage juste un élément d’une opération bien plus importante, par laquelle l’intimée a acquis une participation de 50 p. 100 dans la co-entreprise houillère d’Elk River. Je ne suis pas persuadé que ce soit nécessaire. Comme noté supra, ce qui doit retenir notre attention, c’est le caractère factice de la déduction revendiquée au seul titre de l’opération d’amorçage. N’eût été cette dernière, la Cour n’aurait pas eu à connaître de l’acquisition de la participation de 50 p. 100. Je pense que l’opération d’amorçage a retenu l’attention du juge de première instance en partie parce qu’il a tenu à savoir si elle était légalement valide. Bien que cette question puisse présenter un intérêt quand il s’agit de savoir s’il y a trompe-l’œil, elle n’est pas déterminante pour ce qui est de l’application du paragraphe 245(1), qui porte au premier chef sur le caractère factice de la déduction, lequel peut être fonction de la nature de l’opération qui est à l’origine de cette déduction. Ce paragraphe n’entre pas en jeu si l’opération elle-même est factice; il s’applique dans le cas où, malgré l’authenticité des rapports de droit établis par le contribuable, une déduction faite au titre de pareille opération réduirait le revenu de façon indue ou factice[12].

L’intimée soutient cependant que le paragraphe 245(1) ne saurait s’appliquer pour exclure une déduction que la Loi autorise expressément, comme c’est le cas en l’espèce.

En réponse, je tiens à faire observer en premier lieu que si le paragraphe 245(1) ne s’applique pas aux déductions permises à d’autres égards par la Loi, je ne vois pas à quoi il peut bien servir. Il ne faut pas non plus y voir une disposition générale qui doit être considérée comme primée par des dispositions « spéciales » qui permettent la déduction dans certains cas. La Loi doit être envisagée comme un tout. Il faut présumer que le législateur a prévu que des déductions permises selon les critères spécifiés par d’autres dispositions de la Loi pourraient, dans certains cas, réduire le revenu de façon indue ou factice, auxquels cas elles seraient rejetées en application du paragraphe 245(1). Il y a certainement des observations incidentes faites par la Cour suprême du Canada[13] et par cette Cour[14] dans ce sens.

Qui plus est, dans Alberta and Southern Gas Co[15], le juge en chef Jackett a vu dans l’objet et l’esprit de la disposition permettant la déduction, le critère à appliquer pour juger si la déduction revendiquée réduirait le revenu de façon indue ou factice. Dans cette affaire, il a conclu que la déduction en cause était conforme à l’objet et à l’esprit de l’article en question et, de ce fait, ne réduisait pas le revenu de façon factice. Par contre, je trouve qu’eu égard aux circonstances de la cause, les déductions revendiquées en l’espèce s’opposent vraiment à l’objet et à l’esprit de la Loi. L’intimée ne dit pas le contraire. Elle se contente de faire valoir l’interprétation littérale de la Loi à l’appui de ses déductions. Personne n’a pu dire quel objectif législatif rationnel serait atteint si on permettait les déductions en question. L’appelante a raison de dire que les opérations en cause visaient à permettre à l’acheteur des avoirs miniers d’acquérir en même temps (si le vendeur y consent) le bénéfice des comptes fiscaux, y compris les FCEC et FCAC, non encore utilisés et à valoir sur le revenu à tirer à l’avenir des mêmes avoirs. Il est éminemment logique d’encourager : d’abord l’investissement initial en prévoyant la déductibilité des dépenses, ce qui ajoute à la valeur du bien en rendant ces comptes fiscaux transférables à l’acheteur; puis l’aménagement et la mise en production du même bien minier par celui-ci qui en a fait l’acquisition. Mais je ne peux voir, et personne n’a pu me dire, quel intérêt public serait servi si on permettait les déductions en cause de façon que l’intimée puisse déduire, du revenu à tirer à l’avenir de biens qui lui ont appartenu, des dépenses faites par le passé pour l’exploration et l’aménagement d’autres biens nouvellement acquis, lesquels n’ont rien produit depuis leur acquisition. À mon avis, ces déductions étant contraires à l’objet et à l’esprit des dispositions qui les permettent quand même, on peut conclure qu’elles réduisent le revenu de façon factice[16].

Conclusion

Par ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens. Comme les parties ont acquiescé en partie au jugement dont appel, j’estime qu’il y a lieu pour elles d’aider la Cour à formuler sa décision. Je demande donc à l’appelante de préparer et de soumettre à l’approbation de la Cour le projet de dispositif de jugement, si possible avec le consentement de l’intimée quant à la forme. Faute d’accord entre les parties, l’appelante aura à introduire une requête en jugement, préférablement sous le régime de la Règle 324 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663].

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris aux motifs ci-dessus.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge McDonald, J.C.A. (dissident) Il y a en l’espèce appel contre la décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a fait droit à l’appel formé par l’intimée, Fording Coal Limited (Fording), contre une nouvelle cotisation de ses années d’imposition 1985 à 1990.

LES FAITS DE LA CAUSE

Par accord en date du 2 décembre 1985, Elco Mining Limited (Elco) a acheté à Fording une participation dans la houillère de Fording River, ce qui lui donnait le droit de prendre et de vendre à part de la houille dont la valeur correspondait à sa participation de 0,001 p. 100 dans la houillère. Par accord en date du 30 décembre 1985, Fording a acheté à Elco la totalité ou quasi-totalité de ses « avoirs miniers canadiens », y compris une participation de 50 p. 100 dans une co-entreprise connue sous le nom de « Elk River coal joint venture » (la « co-entreprise houillère de la rivière Elk » que les parties avaient négociée depuis des mois) ainsi que la participation de 0,001 p. 100, récemment acquise par Elco, dans la houillère de Fording River. Elco avait accumulé à la fois 7 277 134 $ de frais cumulatifs d’exploration au Canada (FCEC) et 6 642 581 $ de frais cumulatifs d’aménagement au Canada (FCAC). Ces comptes cumulatifs sont appelés « comptes fiscaux ». Fording et Elco ont alors conjointement fait un choix sous le régime des paragraphes 66.1(4) et 66.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu[17], ce qui a fait de Fording une « corporation remplaçante ». C’est à ce titre que Fording a déduit les FCEC et FCAC d’Elco du revenu produit par la houillère de Fording River. Par nouvelle cotisation, Revenu Canada a rejeté ces déductions revendiquées par Fording pour les années 1985 à 1990. Celle-ci soutient qu’elle y a droit par ce motif que Elco avait une participation dans la houillère ou le droit d’en extraire ou enlever de la houille en vertu de sa participation de 0,001 p. 100. De son côté, l’appelante, représentée par le ministre du Revenu national, soutient que les comptes fiscaux d’Elco ne pouvaient servir aux déductions qu’à l’égard du revenu produit par la co-entreprise houillère de la rivière Elk (laquelle ne produisait aucun revenu pendant les années en question) ou, du moins, se limitaient au revenu tiré de la participation de 0,001 p. 100 d’Elco. Le ministre soutient encore que ce qu’a fait Fording, c’était une manœuvre d’évitement fiscal tombant sous le coup de l’article 245 de la Loi, du fait que la déduction des FCEC et FCAC avait pour effet de réduire indûment ou de façon factice le revenu de Fording. L’opération d’amorçage (la vente de la part de 0,001 p. 100) n’a été conclue entre les deux que pour tirer parti des paragraphes 66.1(4) et 66.2(3) de la Loi.

Les dispositions de la Loi applicables aux déductions au titre des comptes fiscaux sont les paragraphes 66.1(4) et 66.2(3) pour les années d’imposition 1985 et 1986 de Fording, et les paragraphes 66.7(3) [édicté par S.C. 1987, ch. 46, art. 23] et 66.7(4) [édicté, idem] pour les années 1987 à 1990. Les deux derniers faisaient que les règles antérieures demeuraient applicables à l’égard de Fording coal. Il suffit donc d’examiner les faits de la cause au regard des paragraphes 66.1(4) et 66.2(3) :

66.1 ...

(4) Lorsqu’une corporation (appelée dans le présent paragraphe la « corporation remplaçante ») a acquis, par achat ou autrement (y compris une acquisition résultant d’une fusion visée à l’article 87) à une date quelconque après le 6 mai 1974, d’une autre personne (appelée dans le présent paragraphe le « prédécesseur ») la totalité ou la presque totalité des biens du prédécesseur qui lui servaient dans l’exploitation au Canada d’une des entreprises prévues à un des sous-alinéas 66(15)h)(i) à (vii) qu’il exploitait, et que (sauf dans le cas d’une fusion ou d’une liquidation) le prédécesseur et la corporation remplaçante ont choisi conjointement en la forme prescrite au plus tard à la date qui survient la première parmi les dates auxquelles l’un ou l’autre des contribuables faisant le choix doit, au plus tard, produire une déclaration de revenu en application de l’article 150, pour l’année d’imposition pendant laquelle a eu lieu l’opération à laquelle se rapporte le choix, la corporation remplaçante peut, dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition en vertu de la présente Partie, déduire tout montant qu’elle peut réclamer sans dépasser le moins élevé des montants suivants :

a) les frais d’exploration cumulatifs au Canada engagés par le prédécesseur, déterminés immédiatement après que les biens ainsi acquis l’ont été par la corporation remplaçante, dans la mesure où ces frais n’ont pas été déduits par la corporation remplaçante dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition antérieure, ni déduits par le prédécesseur dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition; ou

b) le montant égal à la partie de son revenu pour l’année, si aucune déduction n’était autorisée par le présent article, par les articles 65 ou 66, ni par les Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu relativement au présent alinéa (moins les déductions autorisées pour l’année par les paragraphes (5), 66(2), (6) et (7), les articles 112 et 113 et les dispositions des Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu qui autorisent une déduction aux fins du présent alinéa), qui peut raisonnablement être attribuée

(i) à la disposition de tout bien visé à l’un des sous-alinéas 66(15)c)(i) à (vii) qui appartenait au prédécesseur immédiatement avant l’acquisition par la corporation remplaçante du bien ainsi acquis,

(ii) à la production de pétrole ou de gaz naturel provenant de puits, ou à la production de minéraux provenant de mines, situés sur des biens au Canada à l’égard desquels le prédécesseur avait, immédiatement avant l’acquisition par la corporation remplaçante des biens ainsi acquis, une participation ou un droit d’extraire ou d’enlever du pétrole, du gaz naturel ou des minéraux, et

(iii) l’excédent éventuel du total de tous les montants dont chacun représente un montant

(A) qui doit être inclus, en vertu du paragraphe 59(2) ou (2.1), dans le calcul de son revenu pour l’année, et

(B) à l’égard d’une réserve déduite dans le calcul du revenu du prédécesseur et réputée, en vertu de l’alinéa 87(2)g) ou en vertu de cet alinéa et de l’alinéa 88(1)e.2), avoir été déduite par la corporation remplaçante à titre de réserve dans le calcul de son revenu pour une année antérieure,

sur le total des montants éventuels, déduits dans le calcul du revenu de la corporation remplaçante pour l’année en vertu du paragraphe 64(1), (1.1) ou (1.2) à l’égard des dispositions de biens du prédécesseur;

de plus, dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition postérieure à son année d’imposition au cours de laquelle les biens ainsi acquis l’ont été par la corporation remplaçante, le prédécesseur ne peut rien déduire, en vertu du présent article, au titre de toute dépense comprise dans les frais d’exploration cumulatifs au Canada visés à l’alinéa a).

66.2 ...

(3) Lorsqu’une corporation (appelée dans le présent paragraphe la « corporation remplaçante ») a acquis, par achat ou autrement (y compris une acquisition résultant d’une fusion visée à l’article 87) à une date quelconque après le 6 mai 1974, d’une autre personne (appelée dans le présent paragraphe le « prédécesseur ») la totalité ou la presque totalité des biens du prédécesseur qui lui servaient dans l’exploitation au Canada d’une des entreprises prévues à l’un quelconque des sous-alinéas 66(15)h)(i) à (vii) qu’il exploitait, et que (sauf dans le cas d’une fusion ou d’une liquidation) le prédécesseur et la corporation remplaçante ont choisi conjointement en la forme prescrite au plus tard à la date qui survient la première parmi les dates auxquelles l’un ou l’autre des contribuables faisant le choix doit, au plus tard, produire une déclaration de revenu en application de l’article 150, pour l’année d’imposition pendant laquelle a eu lieu l’opération à laquelle se rapporte le choix, la corporation remplaçante peut, dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition en vertu de la présente Partie, déduire tout montant qu’elle peut réclamer sans dépasser le moins élevé des montants suivants :

a) le montant égal à 30 % de l’excédent

(i) des frais cumulatifs d’aménagement au Canada engagés par le prédécesseur, déterminés immédiatement après que les biens ainsi acquis l’ont été par la corporation remplaçante, dans la mesure où ils n’ont pas été déduits par la corporation remplaçante dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition antérieure; ou

sur

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant qui est devenu à recevoir dans l’année d’imposition ou dans une année d’imposition antérieure par la corporation remplaçante, qui doivent, en vertu du paragraphe 59(1.1) ou de l’alinéa 59(3.1)a), être inclus dans le montant déterminé conformément à la disposition 66.2(5)b)(v)(A), et qui peuvent raisonnablement être attribués à la disposition de biens, par la corporation remplaçante, appartenant au prédécesseur immédiatement avant leur acquisition par la corporation remplaçante, ou

b) le montant égal à la partie de son revenu pour l’année, si aucune déduction n’était autorisée par le présent article, par les articles 65, 66 ou 66.1, ni par les Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu relativement au présent alinéa (moins les déductions autorisées pour l’année par le paragraphe (4) et les articles 112 et 113), qui peut raisonnablement être attribuée

(i) à la production de pétrole ou de gaz naturel provenant de puits, ou à la production de minéraux provenant de mines, situés sur des biens au Canada à l’égard desquels le prédécesseur avait, immédiatement avant l’acquisition par la corporation remplaçante des biens ainsi acquis, des intérêts ou un droit d’extraire ou d’enlever du pétrole, du gaz naturel ou un droit d’extraire ou d’enlever des minéraux, et

(ii) la fraction, si fraction il y a, du total de tous les montants dont chacun est un montant

(A) qui doit être inclus, en vertu des paragraphes 59(2) ou (2.1), lors du calcul de son revenu pour l’année, et

(B) à l’égard de la réserve déduite lors du calcul du revenu du prédécesseur et réputée par l’alinéa 87(2)g) ou en vertu de cet alinéa et de l’alinéa 88(1)e.2), avoir été déduite par la corporation remplaçante à titre de réserve lors du calcul de son revenu pour une année d’imposition précédente

qui est en sus du total des montants, si montant il y a, déduits lors du calcul du revenu de la corporation remplaçante pour l’année en vertu du paragraphe 64(1), (1.1) ou (1.2) à l’égard des dispositions de biens par le prédécesseur,

de plus, dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition postérieure à son année d’imposition au cours de laquelle les biens ainsi acquis l’ont été par la corporation remplaçante, le prédécesseur ne peut rien déduire, en vertu du présent article, au titre de toute dépense comprise dans les frais cumulatifs d’aménagement au Canada visés au sous-alinéa a)(i).

Dans sa décision, le juge de la Cour de l’impôt a fait l’historique des règles concernant les corporations remplaçantes, que je résumerai brièvement comme suit. Avant 1955, l’acheteur d’un bien à l’égard duquel l’ancien propriétaire avait accumulé des frais non déduits de forage et d’exploration, ne pouvait pas les déduire s’il ne les avait pas engagés lui-même. Les règles concernant les corporations remplaçantes permettaient à ces dernières de se prévaloir des déductions non utilisées par le prédécesseur au titre des ressources minières, et de les appliquer au revenu à tirer du bien acquis. Jusqu’en 1977, la corporation remplaçante ne pouvait appliquer les déductions héritées qu’au revenu raisonnablement imputable aux minéraux produits par le bien dont le prédécesseur avait le droit d’extraire ou d’enlever des minéraux avant la vente. En 1977, les règles applicables ont été modifiées par l’addition du mot « participation » au paragraphe 66.1(4). Par suite, le prédécesseur pouvait transférer la faculté de déduire de certaines formes de revenu les dépenses qu’il avait engagées.

En 1987, les règles ont été modifiées de nouveau pour exclure les opérations d’« amorçage » (en anglais « seeding ») et ce, sans effet rétroactif. Le 15 janvier 1987, le ministre des Finances a rendu public un communiqué spécial sur le Projet de modification de l’impôt sur le revenu—acquisitions de gains et pertes, ainsi que des notes techniques du ministère des Finances. Il ressort des passages consacrés dans ces dernières aux paragraphes 66.1(4) et 66.1(5) que le ministère des Finances prévoyait les cas comme celui qui nous occupe en l’espèce :

Les paragraphes 66.1(4) et (5) de la Loi contiennent ce que l’on appelle en général les règles concernant les corporations remplaçantes et les secondes corporations remplaçantes qui se rapportent aux frais d’exploration au Canada (FEC). Grâce à ces règles, les frais d’exploration au Canada qu’un contribuable (le « prédécesseur ») ne déduit pas peuvent être déduits par une corporation (la « corporation remplaçante ») qui acquiert la totalité ou presque des avoirs miniers canadiens du prédécesseur, ou par une autre corporation (la « seconde corporation remplaçante ») qui acquiert la totalité ou presque desdits avoirs de la corporation remplaçante. En général, ces frais ne peuvent être défalqués par la corporation remplaçante ou la seconde corporation remplaçante que du revenu qui provient de la disposition des avoirs miniers canadiens appartenant au prédécesseur et du revenu de production provenant des avoirs miniers canadiens dans lesquels le prédécesseur avait une participation ou un droit.

Il est possible de contourner ces restrictions concernant la déduction des FEC si la corporation remplaçante ou la seconde corporation remplaçante transfère au prédécesseur un intérêt minime dans un avoir minier productif, et ce, avant l’acquisition, par la corporation remplaçante, de la totalité ou presque des avoirs miniers du prédécesseur—c’est ce que l’on appelle une opération d’« amorçage ». Dans un tel cas, la corporation remplaçante ou la seconde corporation remplaçante peut déduire les frais engagés par le prédécesseur du revenu qu’elle tire dudit avoir minier, plutôt que de la simple partie de son revenu tiré de l’avoir qui est attribuable à la participation à l’égard de cet avoir qu’elle a acquise du prédécesseur. Les modifications apportées au sous-alinéa 66.1(4)b)(ii) comblent cette lacune en limitant le revenu de production qui est tiré des avoirs à l’égard desquels la corporation remplaçante ou la seconde corporation remplaçante peut déduire les FEC du prédécesseur au revenu de production que l’on peut raisonnablement considérer comme attribuable à la participation ou au droit que possédait le prédécesseur à l’égard desdits avoirs.

Ces modifications s’appliquent aux acquisitions de biens survenant après le 15 janvier 1987, autres que celles survenant avant 1988 pour lesquelles les personnes achetant les biens étaient tenues, le 15 janvier 1987, de les acquérir en vertu d’ententes écrites signées avant cette date inclusivement. [Traduction tirée de la décision de la Cour de l’impôt.]

Un débat s’est engagé sur la question de savoir si ces modifications visaient à remédier à un défaut dans la Loi ou à clarifier les règles applicables. Le juge de la Cour de l’impôt a cependant précisé qu’il ne fondait pas sa décision sur ces notes techniques.

LA DÉCISION DONT APPEL

Le ministre ne conteste pas l’opération dans son intégralité, mais juste l’opération d’amorçage, qu’il veut dissociée de l’ensemble et examinée à part. Personne n’a nié, en première instance ou en appel, que l’opération d’amorçage fût exclusivement motivée par des considérations fiscales.

Le juge de la Cour de l’impôt a jugé que l’opération d’amorçage eût-elle été la seule transaction entre Fording et Elco, Fording aurait franchi les limites permises, mais que cette opération faisait partie d’un accord plus large. Le fait que la participation prise par Elco dans Fording fût minime ne pouvait changer l’effet légal du contrat. La Cour ne peut extraire un élément d’un accord légitime du seul fait que cet élément se traduit par des avantages fiscaux pour le contribuable.

La Loi aurait pu être modifiée de façon à résoudre cette question en 1977. Elle ne l’a pas été. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’il fallait examiner l’opération d’amorçage dans le contexte et à la lumière de l’historique des règles concernant les corporations remplaçantes, ainsi que de la volonté du législateur de permettre à ces dernières de se prévaloir des dépenses faites par les prédécesseurs. Le paragraphe 66.1(4) doit se lire tel quel. Il ne prescrit pas l’ordre d’importance de la participation dont le prédécesseur devait justifier. La restriction a été ajoutée à la législation en 1987 par l’insertion des mots « la production provenant des avoirs miniers » dans les règles concernant les corporations remplaçantes.

Le juge de la Cour de l’impôt a encore conclu que, même si elle n’était accompagnée d’aucune autre transaction, l’opération d’amorçage pouvait être parfaitement valide, vu la décision Stubart Investments Ltd. c. La Reine[18] de la Cour suprême. En l’espèce, elle n’était pas isolée, mais s’inscrivait dans un objet commercial véritable, indépendant, complexe et plus large.

En ce qui concerne le paragraphe 245(1), le juge de la Cour de l’impôt conclut qu’il ne s’applique pas en l’espèce, puisque la déduction en cause n’était fondée sur aucun débours ou dépense. Il parle de la distinction entre les dégrèvements et les déductions à l’égard des débours ou des dépenses. Les paragraphes 66.1(4) et 66.2(3) parlent l’un et l’autre des « frais cumulatifs d’exploration au Canada engagés par le prédécesseur », lesquels, de l’avis du juge de la Cour de l’impôt, n’ont rien à voir avec la dépense faite par Fording pour acheter Elco, et qui lui permettait de se prévaloir des dépenses faites par cette dernière compagnie. C’était le prédécesseur Elco, et non pas Fording, qui a engagé ces dépenses. Les règles concernant les corporations remplaçantes donnaient à Fording le bénéfice des dépenses engagées par Elco.

Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite examiné si l’opération en question ne tombait pas, à d’autres égards, sous le coup du paragraphe 245(1). Après avoir passé en revue la jurisprudence en la matière, il a conclu qu’elle n’allait pas à l’encontre de la Loi. Une convention ne tombe pas automatiquement sous le coup du paragraphe 245(1) du seul fait qu’elle a été motivée par des considérations fiscales. Ainsi qu’il a été jugé dans Mark Resources Inc. c. Canada[19], que cite le juge de la Cour de l’impôt dans sa décision, on ne saurait contester un seul élément en faisant abstraction de l’opération d’ensemble dont il fait partie :

Ou bien la structure s’effondre dans son ensemble, ou bien elle résiste. Elle ne peut être démembrée pièce par pièce. Dans tout plan motivé par des considérations fiscales, en l’absence de trompe-l’œil, il doit nécessairement y avoir des étapes juridiques effectives qui entraînent des conséquences fiscales particulières. Les conséquences fiscales de chaque étape qui fait partie intégrante du plan dans son ensemble doivent être respectées, à moins que le ministre ne soit prêt à dire que le plan échoue dans son ensemble[20].

L’opération d’amorçage faisait partie d’un accord bien plus important, conclu entre deux corporations à titre de convention commerciale légitime. Le ministre ne conteste pas l’ensemble de l’accord. Le fait qu’un élément en produise des conséquences fiscales n’a rien d’inusité, et il n’y a pas trompe-l’œil. À l’époque, rien ne dit clairement que le législateur entendait exclure ce qui s’est fait en l’espèce. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que le paragraphe 245(1) ne s’appliquait pas et que Fording avait droit aux déductions qu’elle faisait valoir.

LES QUESTIONS PORTÉES EN APPEL

1. Le juge de la Cour de l’impôt a-t-il commis une erreur en concluant que le fait de se servir d’opérations d’amorçage pour créer des « comptes fiscaux » à déduire du revenu n’était pas contraire à l’objet ou à l’esprit de la Loi, et que l’intimée avait droit aux déductions, au titre des comptes miniers, sur tout le revenu provenant de la houillère de Fording?

2. Le juge de la Cour de l’impôt a-t-il commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucun débours fait ou dépense engagée au sens du paragraphe 245(1) et que, par conséquent, ce paragraphe n’entrait pas en jeu pour priver l’intimée du droit de se prévaloir des déductions au titre des comptes miniers d’Elco?

3. Le juge de la Cour de l’impôt a-t-il commis une erreur en concluant que quand bien même il y aurait des débours ou dépenses de ce genre, qui ont été déduits du revenu de l’intimée pour les années d’imposition 1985 à 1990, ils n’ont pas réduit son revenu de la façon factice que vise le paragraphe 245(1)?

ANALYSE

La première question soulevée en appel porte sur la conclusion tirée par le juge de la Cour de l’impôt que les paragraphes 66.1(4) et 66.2(3) (pour les années d’imposition 1985 et 1986) et les paragraphes 66.7(3) et 66.7(4) (pour les années d’imposition 1987 à 1990) permettaient à Fording de déduire les FCEC et FCAC tels qu’elle les a revendiqués. À mon avis, le juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis une erreur en concluant que Fording avait le droit de déduire les FCEC et FCAC tels qu’elle les a revendiqués.

Fording reconnaît sans difficulté que l’« opération d’amorçage » a été conclue uniquement à des fins fiscales. Ce fait seul ne suffit pas pour invalider les déductions auxquelles l’opération a donné lieu. Ainsi qu’il a été jugé dans Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of) :

[traduction] Chacun a le droit, s’il en est capable, d’organiser ses affaires de façon à payer moins d’impôt ou de taxe que le prévoit normalement la loi applicable en la matière. S’il réussit à les organiser de façon à atteindre ce résultat, alors peu importe que son ingéniosité ne soit pas au goût du fisc ou des autres contribuables, il ne saurait être contraint de payer un impôt ou taxe plus élevé[21].

En l’espèce, l’opération d’amorçage était l’une des opérations qui formaient un accord commercial légitime. Je partage l’invitation à la prudence que fait le juge de la Cour de l’impôt en page 2761 de sa décision :

C’est, pour la Cour, une mesure importante que de faire abstraction des effets juridiques de la forme que revêt l’opération entre les parties et d’entamer un processus qui équivaut à invoquer la doctrine du « crayon bleu » parce qu’une partie de la substance de l’entente d’achat globale offense d’un point de vue fiscal le ministre. Que les parties établissent un contrat de manière à donner naissance à certains avantages fiscaux, ou des avantages d’une autre nature, ou qu’elles assignent un statut particulier par contrat, comme celui d’entrepreneur indépendant, et que la Cour annule l’entente parce que les parties ont tenté de faire ce qui, légalement, est interdit parce que les faits sous-jacents n’étayent pas la catégorisation putative, c’est une chose. Qu’une Cour excise une partie d’une entente commerciale légitime parce qu’elle peut avoir donné lieu à la sorte d’avantage fiscal que le ministre a plus tard cherché à interdire expressément en adoptant une modification, en est une autre.

Rien dans les termes sans équivoque des règles concernant les corporations remplaçantes n’interdit ce qui a été fait en l’espèce, et l’intimée n’a enfreint ni l’objet ni l’esprit de la Loi. Ces règles étaient suivies de près par le Ministère. Elles ont été modifiées en 1977 et de nouveau en 1987. Les notes techniques, bien qu’elles ne soient pas le mot de la fin en la matière, indiquent que le Ministère avait parfaitement conscience du recours aux opérations d’amorçage à titre de stratégie de planification fiscale. N’empêche qu’au moment où les modifications furent finalement introduites en 1987, elles n’ont pas été rendues rétroactives. Bien que la modification d’un texte de loi ne traduise pas nécessairement un changement dans le droit en vigueur[22], il se trouve que l’adoption des modifications en question, la décision de ne pas les rendre rétroactives et de maintenir les droits acquis sous le régime des dispositions existantes, et la preuve établie par les notes techniques que le Ministère prévoyait des opérations comme celle en cause, sont des facteurs à prendre en considération, en particulier lorsqu’il s’agit d’examiner la question au regard des paragraphes 66.1(4) et 66.2(3).

Il n’y avait aucune restriction quant à l’ordre de grandeur de la participation qu’un prédécesseur devait acheter afin qu’une corporation remplaçante telle Fording puisse se prévaloir des déductions comme elle l’a fait en l’espèce. Les avocats du ministre ont demandé à la Cour de conclure à l’existence d’un seuil minimum, mais ne disent pas quel devrait être ce seuil et comment il devrait être fixé. L’inopportunité de pareille conclusion ressort des faits de la cause. Un des principaux motifs de contestation en l’espèce a été l’insigne petitesse de la participation que Fording a vendue puis rachetée à Elco. À supposer que Fording eût vendu à Elco 50 p. 100 de ses parts dans la houillère de Fording, le résultat final aurait été le même : 28 jours plus tard, ces parts seraient revenues entre les mains de Fording et les comptes fiscaux auraient été déduits comme ils l’ont été en l’espèce. Il appert que ce qui a troublé le plus le ministre, c’est l’extrême petitesse des parts qui ont changé de mains pour produire ce résultat : un bénéfice exceptionnel a été créé au profit de l’appelante par le transfert d’une participation de 0,001 p. 100. Il demeure cependant que la disposition applicable ne prévoit aucune restriction quant à l’importance de la participation et, à supposer même qu’il y ait restriction, le résultat final serait resté essentiellement le même. Que la Cour crée un seuil arbitraire comme le demande le ministre sans que soient apportées d’autres modifications notables à la disposition applicable, ne changerait rien à l’issue de la cause, bien que cela puisse apaiser les préoccupations du ministre quant à la manière dont ces résultats sont réalisés. Mais ce n’est pas là une raison suffisante pour que la Cour intervienne pour modifier un texte de loi adopté par le législateur. La Cour aurait à se livrer aux conjectures, à manipuler les termes pourtant sans équivoque de la Loi, pour parvenir au résultat recherché par le ministre.

Vu le libellé clair et simple et l’historique des dispositions en question, je ne suis pas convaincu que Fording ait fait quelque chose qui ne soit pas conforme aux termes clairs ou à l’objet ou l’esprit des règles concernant les corporations remplaçantes. Ainsi que l’a fait observer le juge Urie dans Canterra Energy Ltd. c. La Reine :

... mon analyse du règlement ne m’a pas convaincu que ce n’était pas là le résultat que le gouverneur en conseil avait en vue. Si ce n’était pas là son intention, le gouverneur en conseil peut facilement corriger la situation pour l’avenir. Ce n’est pas parce que le libellé du règlement ne traduit pas adéquatement l’intention première du gouverneur que notre Cour devrait empêcher le contribuable de bénéficier des avantages que comporte la disposition dans son libellé actuel[23].

Les juges doivent faire preuve de prudence lorsqu’ils analysent l’objet et l’esprit d’un texte de loi. Il ne faut pas qu’ils fassent de cette analyse un moyen de combler toute lacune ou omission de la Loi au détriment du contribuable et dans le sens de l’argument fréquemment avancé par le ministre, savoir que pareille interprétation de la disposition en question ne pourrait être conforme à la volonté du législateur. Les tribunaux judiciaires ne sont pas censés faire le travail du législateur. Ils ne sont pas censés non plus contredire ce que le législateur a choisi de faire, en dépit d’une disposition à la formulation claire et simple et en dépit de la preuve que le Ministère était manifestement au courant et que cette disposition avait fait l’objet d’une modification spécifique. Il est à présumer qu’un objectif de politique générale dictait de garder cette disposition inchangée pendant si longtemps, et ensuite de consacrer les droits acquis sous le régime des dispositions visées par cet appel[24]. Le législateur a prévu justement le cas qui nous occupe en l’espèce. Il a choisi de le traiter d’une certaine manière et a modifié la Loi en conséquence. Dans cette démarche, il n’a pas rendu ces modifications rétroactives. Il n’appartient pas aux tribunaux judiciaires de le faire.

Ayant conclu que l’opération d’amorçage était conforme à la fois aux termes clairs et simples et à l’objet et l’esprit des règles concernant les corporations remplaçantes, j’en viens maintenant à l’application du paragraphe 245(1) de la Loi. L’interprétation de cette disposition a causé beaucoup de confusion, confusion dont il est à espérer qu’elle sera dissipée dans une certaine mesure par les règles générales anti-évitement incorporées dans la Loi en 1988 [L.C. 1988, ch. 55, art. 185]. Cette confusion se reflète en particulier dans la jurisprudence contradictoire en matière d’application du paragraphe 245(1), qu’illustrent les deux décisions Harris v. Ministre du revenu national[25] et McKee (G) c La Reine[26]. Le paragraphe 245(1), tel qu’il était en vigueur à l’époque considérée, portait :

245. (1) Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi, aucune déduction ne peut être faite à l’égard d’un débours fait ou d’une dépense faite ou engagée, relativement à une affaire ou opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de façon factice le revenu.

Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que le paragraphe 245(1) ne s’appliquait pas aux faits de la cause. Je partage les conclusions qu’il tire à la page 2766 des motifs de son jugement comme suit :

Dans les dispositions de la présente Loi qui sont en litige en l’espèce, c’est-à-dire les paragraphes 66.1(4) et 66.2(3), il est fait mention expressément des « frais d’exploration au Canada d’une corporation remplaçante », lesquels, à l’évidence, ne peuvent être les débours ou les dépenses faits ou engagés à l’égard d’une opération par laquelle la corporation remplaçante a obtenu le droit d’utiliser certaines dépenses engagées antérieurement par une autre. En fait, le droit qu’a la corporation remplaçante de jouir de certains avantages qui découlent du fait que la corporation remplacée a engagé des dépenses est toute la raison d’être de ces dispositions législatives. Par conséquent, à mon avis, le paragraphe 245(1) ne s’applique pas à l’espèce car il n’y a eu aucun débours ou aucune dépense faits ou engagés à l’égard desquels une déduction a été effectuée.

L’analyse faite par le juge de la Cour de l’impôt de la disposition en question est parfaitement logique. L’appelante tient que l’opération d’amorçage était une manœuvre d’évitement fiscal par ce motif qu’elle n’avait aucun objet commercial véritable et qu’elle n’allait pas dans le sens des habitudes normales du commerce. Dans cet argument en faveur de l’application du paragraphe 245(1), « l’affaire ou l’opération » qualifiée de factice est l’opération d’amorçage, savoir la vente et le rachat de la participation de 0,001 p. 100 dans la mine de Fording River. La « déduction » en cause est la déduction par Fording des comptes fiscaux. Les dépenses et débours constituant ces comptes n’ont pas été « faits ou engagés relativement à (en anglais : in respect of) » l’opération d’amorçage. L’intimée soutient qu’il faut donner à la locution prépositive « quant à (en anglais : in respect of) » le sens le plus large possible[27], et que la question centrale à examiner dans l’application du paragraphe 245(1) est de savoir qui revendique la déduction, et non pas qui a engagé la dépense ou fait le débours. La locution prépositive « in respect of » apparaît deux fois dans le paragraphe 245(1), et il faut donner un sens à chacune de ces deux occurrences. Peu importe que les FCEC et FCAC soient considérés comme des dépenses d’Elco ou des dépenses réputées de Fording ou encore le résultat d’une disposition de dégrèvement, ils n’ont pas été « faits ou engagés relativement à » une affaire ou opération qualifiée de factice, savoir l’opération d’amorçage.

Vu les conclusions que j’ai tirées plus haut, il n’est peut-être pas nécessaire que je poursuive mon analyse; il se trouve cependant que la question a fait l’objet de débats devant la Cour et puisque le juge de la Cour de l’impôt a tiré une conclusion en la matière, j’examinerai aussi si cette opération ne tombe pas, à d’autres égards, sous le coup du paragraphe 245(1). Je ne le pense pas.

Le paragraphe 245(1) n’a pas pour effet d’exclure les déductions faites par Fording. J’ai conclu que l’opération d’amorçage était conforme à l’objet et à l’esprit des paragraphes 66.1(4) et 66.2(3). Pourrait-on invoquer alors le paragraphe 245(1) pour rejeter les déductions en cause par ce motif qu’elles avaient leur origine dans une opération factice (l’opération d’amorçage) et, de ce fait, réduisaient le revenu indûment ou de façon factice? Je ne le pense pas.

Comme je l’ai fait observer dans Canada c. Mara Properties Ltd. :

... je suis d’accord pour dire que la perte subie lors de la vente du bien-fonds et dont on réclame la déduction ne peut être factice, étant donné qu’elle résulte d’une disposition législative qui crée une présomption (le paragraphe 88(1)) et à laquelle on doit donner effet[28].

Cette constatation faisait partie des motifs dissidents que je prononçais dans cette affaire. De son côté, le juge Marceau, prononçant le jugement de la majorité, a conclu en ces termes :

Même si le paragraphe 88(1) a pour effet de permettre à l’intimée de considérer la différence entre le coût réputé et le produit effectif de la vente comme une perte subie dans le cadre de son entreprise, on ne saurait dire que cette perte est « factice » ou « indue », étant donné qu’elle résulte de l’application spécifique de la Loi[29].

Pour savoir si une déduction opère réduction factice du revenu du contribuable, il est nécessaire d’examiner l’opération qui y a donné lieu. Si cette opération ne va pas à l’encontre des dispositions applicables ou de la Loi elle-même, elle ne peut être jugée factice au regard du paragraphe 245(1).

Dans Stubart[30], la Cour suprême du Canada a jugé que le critère de l’objet et de l’esprit de la Loi est moins rigoureux que le critère du caractère factice au regard du paragraphe 245(1). L’opération litigieuse en l’espèce a été jugée conforme aux règles concernant les corporations remplaçantes, il s’ensuit qu’elle ne saurait être jugée factice et exclue par le paragraphe 245(1).

Fording reconnaît que l’opération d’amorçage était motivée par des considérations fiscales, mais ce fait à lui seul ne suffit pas pour justifier la conclusion qu’il y a eu réduction indue ou factice du revenu. Les règles concernant les corporations remplaçantes ne font pas que poser un principe général en matière de déductions; elles établissent un régime complexe grâce auquel une corporation remplaçante peut se prévaloir des dépenses faites par le prédécesseur. On peut dire qu’elles créent une déduction artificielle, mais cette déduction est sanctionnée, voire légitimée, par la Loi. Ainsi que l’a fait observer le juge Estey dans Stubart :

La législation en matière d’impôt sur le revenu, comme la loi fédérale de notre pays, n’est pas uniquement un simple moyen de prélever des revenus pour faire face aux dépenses gouvernementales. Le gouvernement utilise les prélèvements d’impôt pour réaliser certains objectifs déterminés de politique économique. Ainsi, la Loi est à la fois un outil de politique économique et de politique fiscale. L’élément de politique économique de la Loi prend quelquefois la forme d’une incitation du contribuable à s’engager dans une activité précise ou à la réorganiser. Sans l’incitation contenue dans la Loi, le contribuable ne s’engagerait peut-être pas dans cette activité et pour lui l’opération en cause n’aurait pas d’autre objet commercial véritable...[31]

La Loi ne fait pas que prévoir des déductions, elle est un moyen de réalisation de la politique gouvernementale. Afin de savoir si les déductions en cause sont conformes à l’objet et à l’esprit des règles concernant les corporations remplaçantes, il est nécessaire d’analyser l’opération d’amorçage. Une fois celle-ci jugée conforme à l’objet et à l’esprit de ces règles, on ne saurait dire que les déductions qui en découlent réduisent de façon factice le revenu du contribuable :

... on ne peut dire … qu’une affaire qui rencontre l’objet et l’économie de l’article 66, réduit indûment ou de façon factice le revenu simplement parce que le contribuable a été alléché par les avantages fiscaux lorsqu’il s’est lancé dans cette affaire[32].

Si une disposition établit un régime complexe dont le contribuable puisse se prévaloir pour recevoir un avantage spécifique, et ce, de manière jugée conforme aux termes clairs comme à l’objet et l’esprit des dispositions applicables, le paragraphe 245(1) ne s’applique pas pour exclure les déductions en qui découlent.

Je rejetterais l’appel avec dépens.



[1] [1984] 1 R.C.S. 536.

[2] [1994] 3 R.C.S. 3.

[3] Voir par ex. Canada. v. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, aux p. 326 et 317; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, à la p. 113.

[4] Stubart, note 1, supra, aux p. 579 et 580.

[5] [1988] 2 R.C.S. 175, à la p. 193.

[6] R c Esskay Farms Ltd, [1976] CTC 24 (C.F. 1re inst.); McKee (G) c La Reine, [1977] CTC 491 (C.F. 1re inst.).

[7] [1983] 1 R.C.S. 29.

[8] Ibid., à la p. 39.

[9] Voir par ex. Canada c. Irving Oil Ltd., [1991] 1 C.T.C. 350 (C.A.F.), à la p. 360.

[10] Voir par ex. Shulman, Isaac v. Minister of National Revenue, [1961] R.C.É. 410; Fell (D) Ltd et al c La Reine, [1981] CTC 363 (C.F. 1re inst.); Consolidated-Bathurst Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 3(C.A.).

[11] Note 1, supra, à la p. 579.

[12] Voir par ex. le passage dans Stubart, note 1, supra, à la p. 579, où le juge Estey analyse la question du « trompe-l’œil » dans les cas où l’art. 245(1) ne s’appliquait pas.

[13] Harris c. Ministre du revenu national, [1966] R.C.S. 489, à la p. 505; Stubart, note 1, supra, à la p. 579.

[14] Voir l’analyse faite par le juge en chef Jackett dans R c Alberta and Southern Gas Co Ltd, [1977] CTC 388 (C.A.F.).

[15] Ibid., aux p. 396 et 397.

[16] Dans Canada c. Mara Properties Ltd., [1995] 2 C.F. 433(C.A.), à la p. 454, le seul juge qui ait conclu à titre de motif de décision que l’art. 245(1) ne s’appliquait expressément pas, a jugé que la déduction en question était conforme à l’objet et à l’esprit de la Loi.

[17] S.C. 1970-71-72, ch. 63 (la Loi).

[18] [1984] 1 R.C.S. 536.

[19] [1993] 2 C.T.C. 2259 (C.C.I.).

[20] Ibid., à la p. 2267.

[21] [1936] A.C. 1 (H.L.), aux p. 19 et 20.

[22] Canada c. Mara Properties Ltd., [1995] 2 C.F. 433(C.A.), jugement du juge Stone, J.C.A.

[23] [1987] 1 C.T.C. 89 (C.A.F.), à la p. 95.

[24] Voir aussi Canada c. Irving Oil Ltd., [1991] 1 C.T.C. 350 (C.A.F.).

[25] [1966] R.C.S. 489.

[26] [1977] CTC 491 (C.F. 1re inst.).

[27] Voir Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 39.

[28] Note 22 supra, à la p. 452.

[29] Note 22 supra, aux p. 437 et 438.

[30] Note 18, supra.

[31] Note 18, supra, aux p. 575 et 576.

[32] R. c. Alberta and Southern Gas Co Ltd, [1978] 1 C.F. 454(C.A.), aux p. 462 et 463.

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