Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1996] 3 C.F. 40

A-535-94

Compagnie Pétrolière Impériale Ltée et sa filiale Paramins (appelante) (intimée)

c.

The Lubrizol Corporation et Lubrizol Canada Limited (intimées) (demanderesses)

Répertorié : Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Linden et McDonald, J.C.A.—Toronto, 12 et 13 février; Ottawa, 3 avril 1996.

Dommages-intérêts Non compensatoires Exemplaires Appel du jugement accordant des dommages-intérêts exemplairesLe juge de première instance a accordé des dommages-intérêts exemplaires avant la tenue d’une référence en vue de déterminer le montant des dommages-intérêts de nature compensatoire exigibles par suite de la contrefaçon du brevetLes dommages-intérêts exemplaires visent à punir, à exprimer l’indignation que cause le comportement malveillant, à dissuaderIls ne sont accordés que lorsque les dommages-intérêts généraux et majorés ne suffisent pas à punir et à dissuaderLa Cour ne peut faire droit à une demande de dommages-intérêts exemplaires qu’après avoir déterminé que les dommages-intérêts généraux ne suffisent pas à punir et à dissuader.

Pratique Preuve Appel d’une ordonnance rejetant la requête présentée afin de produire des éléments de preuve supplémentaires lors de la poursuite de l’instruction de la demande de dommages-intérêts exemplairesRenvoi au juge de première instance de la demande de dommages-intérêts exemplaires aux fins de la poursuite de l’instructionLe pouvoir discrétionnaire conféré par la Règle 494 a été exercé, car l’instruction se poursuivait toujoursLa décision issue de l’exercice de ce pouvoir ne peut être modifiée que si le juge de première instance n’accorde pas suffisamment d’importance à toutes les considérations pertinentesLe juge de première instance n’a pas accordé suffisamment d’importance au fait que l’appelante serait privée à jamais d’une possibilité raisonnable de contester une demande dont les répercussions étaient très gravesLa justice exige que l’appelante soit autorisée à présenter d’autres éléments de preuve relativement à la demande de dommages-intérêts exemplaires.

Pratique PlaidoiriesRenvoi au juge de première instance de la demande de dommages-intérêts exemplaires en vue de la poursuite de l’instructionDemande non plaidée initialement mais ajoutée par voie de modificationLes Règles de la Cour fédérale n’exigent pas que la demande de dommages-intérêts exemplaires soit expressément plaidéeMême si la Règle 409b) exige qu’une partie plaide toute question de façon à ne pas prendre une autre partie par surprise, l’omission de le faire n’emporte pas la contravention aux Règles de la Cour.

Pratique Res judicata Renvoi au juge de première instance de la demande de dommages-intérêts exemplaires en vue de la poursuite de l’instructionLe principe de l’autorité de la chose jugée n’empêche pas l’appelante de soulever la question du report de l’évaluation des dommages-intérêts exemplairesLa C.A.F. n’ordonne pas expressément au juge de première instance d’évaluer les dommages-intérêts exemplaires séparément des dommages-intérêts générauxLa Cour est liée par l’arrêt de la C.S.C. selon lequel les dommages-intérêts généraux doivent être établis avant qu’on puisse envisager l’octroi de dommages-intérêts exemplaires.

Pratique Frais et dépens Relativement à l’action pour contrefaçon de brevet, le juge de première instance a accordé des dépens entre partiesAppel de cet octroi rejeté avec dépensAppel incident concernant la demande de dommages-intérêts exemplaires accueilli avec dépens suivant l’issue de la poursuite de l’instruction par le juge de première instanceLors de la poursuite de l’instruction, le juge de première instance a adjugé des dépens sur la base procureur-client relativement aux requêtes, à l’instruction, à l’appel et à la poursuite de l’instructionLes seuls dépens à l’égard desquels le juge de première instance conservait son pouvoir discrétionnaire était ceux afférents à l’appel incident et à la poursuite de l’instructionLes autres dépens déjà adjugés dans le cadre d’ordonnances ou de jugements ayant acquis un caractère définitif ne pouvaient être modifiésLe juge de première instance n’avait pas compétence pour modifier le fondement des dépens accordés précédemment.

Il s’agit d’un appel relatif à l’ordonnance de la Section de première instance accordant aux intimées des dommages-intérêts exemplaires ainsi qu’à une ordonnance préalable rejetant avec dépens la requête présentée par l’appelante afin de produire des éléments de preuve supplémentaires lors de la poursuite de l’instruction de la demande de dommages-intérêts exemplaires des intimées. En 1989, une injonction interlocutoire a enjoint à la Compagnie Pétrolière Impériale de cesser de fabriquer, d’utiliser et de vendre tout lubrifiant ou additif renfermant les produits ECA 10444 ou ECA 11014 de Lubrizol, y compris Paranox 600 et Paranox 300. Il a par la suite été déterminé que le brevet était valide et avait été contrefait. Après que les dépens lui eurent été adjugés, Lubrizol a opté pour la comptabilisation des profits de la Compagnie Pétrolière Impériale. L’appel du jugement de première instance a été rejeté avec dépens, mais l’appel incident a été accueilli et la demande de dommages-intérêts exemplaires de Lubrizol a été renvoyée au juge de première instance afin qu’il en poursuive l’instruction. Les dépens afférents à l’appel incident devaient être adjugés « suivant l’issue de la poursuite de l’instruction par le juge de première instance ». Des dommages-intérêts exemplaires ont été accordés avec dépens sur la base procureur-client « pour les requêtes, l’instruction, l’appel et la poursuite de l’instruction ».

Les questions en litige étaient les suivantes : (1) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en refusant de permettre à la Compagnie Pétrolière Impériale de présenter des éléments de preuve concernant le prétendu outrage au Tribunal découlant du non-respect de l’injonction interlocutoire? (2) La conclusion de fait selon laquelle la Compagnie Pétrolière Impériale avait sciemment désobéi à l’injonction interlocutoire constituait-elle une erreur manifeste et dominante? (3) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en accordant des dommages-intérêts punitifs avant que la Cour n’établisse le montant des dommages-intérêts de nature compensatoire exigibles de la Compagnie Pétrolière Impériale? (4) Le juge de première instance avait-il compétence pour modifier la nature des dépens qu’il avait adjugés auparavant ainsi que l’adjudication des dépens en Cour d’appel fédérale malgré l’ordonnance de la Cour?

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

(1) Même si, à l’origine, la plaidoirie de Lubrizol ne comportait pas de demande de dommages-intérêts exemplaires, la déclaration modifiée renfermait une allégation selon laquelle la Compagnie Pétrolière Impériale avait sciemment usurpé l’invention visée par le brevet et contrefait délibérément celui-ci. La plaidoirie a été modifiée en 1989 par l’adjonction d’une demande de « dommages-intérêts exemplaires ou punitifs » et, dans les remarques faites au début de l’instruction, l’avocat a fait mention de la demande de dommages-intérêts exemplaires. La Compagnie Pétrolière Impériale ne peut plus faire valoir que le juge de première instance n’était pas dûment saisi de l’allégation de complète indifférence à l’égard de l’injonction interlocutoire qui sous-tendait la demande de dommages-intérêts exemplaires. Elle savait de toute évidence que cette allégation faisait l’objet de l’appel incident. L’injonction interlocutoire a été accordée dans le cadre du litige. Bien qu’aucune allégation de complète indifférence à l’égard de l’injonction interlocutoire n’ait été plaidée, l’objectif manifeste de l’avocat, en faisant ses remarques préliminaires, était de soulever la question en formulant la demande de dommages-intérêts exemplaires et en donnant des précisions sur celle-ci. L’instruction s’est déroulée sans qu’aucune demande d’ajournement ne soit présentée. Lubrizol a présenté des éléments de preuve à l’appui de l’allégation de l’avocat sans qu’aucune objection ne soit formulée. L’argument selon lequel le juge de première instance n’avait pas été dûment saisi de l’allégation de complète indifférence n’a pas été repris dans le cadre de l’appel incident, lequel a été accueilli. La Compagnie Pétrolière Impériale ne peut rouvrir le débat à ce sujet. Le dossier a été renvoyé au juge de première instance aux fins de la poursuite de l’instruction de pair avec la directive expresse selon laquelle l’allégation n’était pas dénuée de fondement sur le plan de la preuve.

Quoi qu’il en soit, l’allégation a été faite de façon suffisante pour que la Cour tranche la question. Les Règles de la Cour fédérale n’exigent pas que la demande de dommages-intérêts exemplaires fasse spécifiquement l’objet d’une plaidoirie. Des dommages-intérêts exemplaires peuvent être accordés même s’ils n’ont pas été plaidés chaque fois que les règles de pratique n’exigent pas qu’une demande de dommages-intérêts exemplaires soit expressément plaidée. Même si la Règle 409b) exige, de façon générale, qu’une partie plaide toute question de façon à ne pas prendre une autre partie par surprise, l’omission de plaider les dommages-intérêts exemplaires n’emporte évidemment pas la contravention aux Règles de la Cour, qui n’exigent pas expressément que ces dommages soient spécifiquement plaidés. On ne saurait conclure qu’une allégation spécifique n’est pas préférable.

Le pouvoir discrétionnaire conféré par la Règle 494 pouvait être exercé, car l’instruction se poursuivait toujours. La décision résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire ne peut être modifiée que si, en exerçant ce pouvoir, le juge de première instance a omis d’accorder « suffisamment d’importance à toutes les considérations pertinentes ». En rejetant la requête visant la présentation de nouveaux éléments de preuve, le juge de première instance n’a pas accordé suffisamment d’importance au fait que l’appelante serait privée à jamais d’une possibilité raisonnable de contester une demande dont les répercussions sont très graves. Vu ces circonstances exceptionnelles, l’appelante ne devrait pas être privée d’une chance équitable de repousser l’allégation d’inconduite grave qui pèse contre elle et d’échapper à la condamnation éventuelle à des dommages-intérêts exemplaires. L’équité et la justice exigeaient que l’appelante soit autorisée à présenter d’autres éléments de preuve relativement à la demande de dommages-intérêts exemplaires, lors de la poursuite de l’instruction, aux fins d’établir, si elle le pouvait, qu’elle n’avait pas manifesté une complète indifférence à l’endroit de l’injonction interlocutoire et ce, même s’il avait été jugé qu’elle avait sciemment omis de se conformer à celle-ci. Cette possibilité devrait lui être accordée dans le cadre d’une nouvelle poursuite de l’instruction.

(2) Selon la Compagnie Pétrolière Impériale, le juge de première instance a commis une « erreur manifeste et dominante » en concluant que son produit ECA 10444 était identique au produit ECA 10271 de Lubrizol. De prime abord, l’injonction interlocutoire avait une portée claire, et le juge de première instance a conclu, à partir de son libellé et de la preuve qui lui était présentée, que l’appelante avait omis de s’y conformer. Il lui était loisible de tirer pareille conclusion compte tenu de la preuve. Cependant, comme celle-ci était incomplète, l’appelante devrait être autorisée à présenter des éléments de preuve pour expliquer sa conduite, si elle est en mesure de le faire, mais non afin d’établir que, par ses actes, elle n’a pas sciemment contrevenu à l’injonction interlocutoire.

(3) Les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires visent à « punir » le défendeur et à exprimer « l’outrage à l’égard du comportement inacceptable du défendeur ». Ils s’apparentent à l’amende en matière civile, laquelle vise « à dissuader le défendeur et les autres d’agir ainsi ». Les dommages-intérêts exemplaires ne peuvent être accordés « que dans les situations où les dommages-intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir et à dissuader ». En outre, ils doivent « servir un objectif rationnel », c’est-à-dire qu’il faut se demander si la mauvaise conduite était si outrageante qu’il était rationnellement nécessaire d’accorder des dommages-intérêts punitifs dans un but de dissuasion? Il n’a pas été statué sur la demande de dommages-intérêts généraux, le montant de ceux-ci n’ayant pas été déterminé. L’évaluation de ces dommages doit avoir lieu dans le cadre d’une référence. La Cour ne peut statuer que des dommages-intérêts exemplaires doivent être accordés avant qu’elle ne détermine que les dommages-intérêts généraux me suffisent pas à punir et à dissuader.

Le principe de l’autorité de la chose jugée n’empêchait pas l’appelante de soulever la question du report de l’évaluation des dommages-intérêts exemplaires. La Cour n’a pas ordonné expressément au juge de première instance d’évaluer les dommages-intérêts exemplaires séparément des dommages-intérêts généraux. Quoi qu’il en soit, la Cour était liée par le jugement de la Cour suprême du Canada dans Hill c. Église de scientologie selon lequel les dommages-intérêts généraux doivent être établis avant que des dommages-intérêts exemplaires ne puissent être accordés.

Le montant des dommages dépend de ce qu’exige la dissuasion de l’appelante et d’autres personnes, vu l’ensemble des circonstances de l’espèce.

Une fois le jugement rendu et déposé, le juge de première instance était dessaisi en application du principe functus officio. Les seuls dépens à l’égard desquels il conservait son pouvoir discrétionnaire étaient ceux afférents à l’appel incident et à la poursuite de l’instruction. Les autres dépens avaient déjà été adjugés dans le cadre d’ordonnances ou de jugements ayant acquis un caractère définitif, en sorte que le juge de première instance ne pouvait les modifier. Ils comprenaient les dépens dont l’adjudication relevait du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance à l’instruction, lequel pouvoir discrétionnaire, ayant été exercé dans le cadre du jugement du 17 septembre 1990, ne pouvait plus l’être à nouveau. Par ailleurs, le juge de première instance n’avait pas compétence pour modifier le fondement des dépens accordés précédemment. Il avait la compétence voulue, aux termes du jugement de la Cour, pour adjuger à son gré les dépens relatifs à l’appel incident, de même que les dépens liés à la poursuite de l’instruction.

Le dossier a été renvoyé au juge de première instance afin qu’il poursuive l’instruction de l’affaire conformément à des directives portant sur la question devant faire l’objet d’un complément d’instruction, la production de documents et la communication préalable y afférentes, la preuve documentaire et testimoniale, ainsi que sur la question de savoir dans quels cas il y a lieu d’accorder des dommages-intérêts exemplaires et, au besoin, d’en déterminer le montant.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 52b)(iii).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 337(5),(6), 408(1), 409b), 415(1)a), 494 (mod. par DORS/90-846, art. 21).

Rules of the Supreme Court 1965 (R.-U.), S.I. 1965/1776, Ord. 18, règle 8.

JURISPRUDENCE

DÉCISION SUIVIE :

Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130; (1995), 126 D.L.R. (4th) 129; 25 C.C.L.T. (2d) 89; 184 N.R. 1.

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Green v. Weatherill, [1929] 2 Ch. 213; Henderson v. Henderson (1843), 3 Hare 100; Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065; (1992), 96 D.L.R. (4th) 376; 76 C.C.C. (3d) 289; 45 C.P.R. (3d) 1; 141 N.R. 281; 50 C.A.Q. 161; Cropper v. Smith (1884), 26 Ch. D. 700 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1989), 23 C.I.P.R. 302; 22 C.P.R. (3d) 493; 25 F.T.R. 33 (C.F. 1re inst.); Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1989), 27 C.I.P.R. 147; 26 C.P.R. (3d) 461; 103 N.R. 237 (C.A.F.); Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1990), 33 C.P.R. (3d) 1; 39 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Imperial Oil Ltd. c. Lubrizol Corp. (1993), 48 C.P.R. (3d) 1; 154 N.R. 196 (C.A.F.); Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1992), 98 D.L.R. (4th) 1; 45 C.P.R. (3d) 449; 150 N.R. 207 (C.A.F.); autorisation de se pourvoir devant la C.S.C. refusée dans [1993] 3 R.C.S. vii; Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1994), 55 C.P.R. (3d) 141 (C.A.F.); Broome v. Cassell & Co. Ltd., [1971] 2 Q.B. 354 (C.A.); Glisic c. Canada, [1988] 1 C.F. 731 (1987), 80 N.R. 39 (C.A.); Broome v. Cassell & Co. Ltd., [1972] A.C. 1027 (H.L.); TRW Inc. c. Walbar of Canada Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 176; 132 N.R. 161 (C.A.F.); Esso Petroleum Co. Ltd. v. Southport Corporation, [1956] A.C. 218 (H.L.); Grenn v. Brampton Poultry Co.(1959), 18 D.L.R. (2d) 9 (C.A. Ont.); Wood v. British Columbia Electric Ry. Co., Ltd. (1925), 34 B.C.R. 527 (C.S.); Celestino v. Celestino, jugement en date du 16 août 1990, Federal Court d’Australie, A.C.T., non publié; Bird v Northern Territory (1992), 108 FLR 270 (S.C.N.T.); Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085; (1989), 58 D.L.R. (4th) 193; [1989] 4 W.W.R. 218; 36 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 81; 90 CLLC 14,035; 94 N.R. 321.

DÉCISIONS CITÉES :

Maynard v. Maynard, [1951] R.C.S. 346; [1951] 1 D.L.R. 241; Fidelitas Shipping Co. Ltd. v. V/O Exportchled, [1966] 1 Q.B. 630 (C.A.); Gulf Canada Limited c. Le remorqueur Mary Mackin, [1984] 1 C.F. 884 (1984), 42 C.P.C. 146; 52 N.R. 282 (C.A.); Drane v Evangelou, [1978] 2 All E.R. 437 (C.A.); Starkman v. Delhi Court Ltd., [1961] O.R. 467 (C.A.); Sturrock et al. v. Ancona Petroleums Ltd. et al. (1990), 111 A.R. 86; 75 Alta. L.R. (2d) 216 (B.R.); United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901; (1992), 71 C.C.C. (3d) 225; 135 N.R. 321; Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394; (1994), 116 D.L.R. (4th) 61; 22 Admin. L.R. (2d) 79; 21 C.R.R. (2d) 236; 24 Imm. L.R. (2d) 117; 167 N.R. 282; 72 O.A.C. 348; Becker Milk Co. Ltd. et al. v. Consumers’ Gas Co. (1974), 2 O.R. (2d) 554; 43 D.L.R. (3d) 498 (C.A.); International Corona Resources Ltd. v. LAC Minerals Ltd. (1988), 66 O.R. (2d) 610 (H.C.); Shoe Machinery Company v. Cutlan, [1896] 1 Ch. 108 (C.A.); Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226; (1992), 92 D.L.R. (4th) 449; [1992] 4 W.W.R. 577; 68 B.C.L.R. (2d) 29; 9 B.C.A.C. 1; 12 C.C.L.T. (2d) 1; 138 N.R. 81; 19 W.A.C. 1; Rookes v. Barnard, [1964] A.C. 1129 (H.L.); MacDonald Estate, Re (1993), 89 Man. R. (2d) 161 (B.R.); MacDonald Estate, Re (1994) 95 Man. R. (2d) 123 (C.A.); Robitaille v. Vancouver Hockey Club Ltd. (1979), 19 B.C.L.R. 158 (C.S.); conf. par (1981), 124 D.L.R. (3d) 228; [1981] 3 W.W.R. 481; 30 B.C.L.R. 284; 16 C.C.L.T. 225; 20 C.P.C. 293 (C.A.C.-B.); Coughlin v. Kuntz, [1990] 2 W.W.R. 737; (1989), 42 B.C.L.R. (2d) 108; 2 C.C.L.T. (2d) 42 (C.A.C.-B.); Huff v. Price (1990), 76 D.L.R. (4th) 138; 51 B.C.L.R. (2d) 282; 46 C.P.C. (2d) 209 (C.A.C.-B.); Pro Arts, Inc. v. Campus Crafts Holdings Ltd. et al. (1980), 28 O.R. (2d) 422; 110 D.L.R. (3d) 366; 10 B.L.R. 1; 50 C.P.R. (2d) 230 (H.C.); Fenwick v. Staples (1977), 18 O.R. (2d) 128; 82 D.L.R. (3d) 145 (C. Cté); Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1974), 4 O.R. (2d) 585; 48 D.L.R. (3d) 641; 19 C.C.C. (2d) 218 (H.C.); conf. par (1974), 11 O.R. (2d) 167; 65 D.L.R. (3d) 231; 29 C.C.C. (2d) 325 (C.A.); Dictionnaires (Les) Robert Canada SCC et al. c. Librairie du Normade Inc. et al. (1987), 16 C.P.R. (3d) 319; 11 F.T.R. 44 (C.F. 1re inst.); Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (1994), 58 C.P.R. (3d) 359; 175 N.R. 225 (C.A.); General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co. Ltd., [1976] R.P.C. 197 (H.L.); Gustar v. Wadden, [1994] 7 W.W.R. 148; (1994), 45 B.C.A.C. 55; 91 B.C.L.R. (2d) 86; 26 C.P.C. (3d) 197; 72 W.A.C. 55 (C.A.C.-B.); Claiborne Industries Ltd. v. National Bank of Canada (1989), 69 O.R. (2d) 65; 59 D.L.R. (4th) 533; 34 O.A.C. 241 (C.A.); Paper Machinery Ltd. et al. v. J. O. Ross Engineering Corp. et al., [1934] R.C.S. 186; [1934] 2 D.L.R. 239; Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; (1989), 101 A.R. 321; 62 D.L.R. (4th) 577; [1989] 6 W.W.R. 521; 70 Alta. L.R. (2d) 193; 40 Admin. L.R. 128; 36 C.L.R. 1; 99 N.R. 277.

DOCTRINE

Bullen & Leake’s Precedents of Pleadings, 10th ed. by George Kirkhouse Jenkins. London : Sweet & Maxwell, 1950.

Commission de réforme du droit de l’Ontario. Report on Exemplary Damages. Toronto : La Commission, 1991.

Roy, Pauline. Les dommages exemplaires en droit québécois, Thèse de doctorat, Université de Montréal, 1996.

Supreme Court Practice 1993. London : Sweet & Maxwell, 1992.

Williston, W. B. and R. J. Rolls. The Law of Civil Procedure. Toronto : Butterworths, 1970.

APPEL visant les ordonnances de la Section de première instance qui accordent aux intimées des dommages-intérêts exemplaires et qui rejettent avec dépens la requête de l’appelante présentée en vue d’offrir un complément de preuve lors de la poursuite de l’instruction de la demande de dommages-intérêts exemplaires des intimées (Lubrizol Corp. et al. c. Imperial Oil Ltd et al. (1994), 84 F.T.R. 197; 58 C.P.R. (3d) 167 (C.F. 1re inst.); Lubrizol Corp. c. Imperial Oil ltd. (1994), 55 C.P.R. (3d) 129; 79 F.T.R. 14 (C.F. 1re inst.)). Appel rejeté.

AVOCATS :

W. Ian C. Binnie, c.r. et Jenny P. Stephenson pour l’appelante (intimée).

Donald J. Wright, c.r., Donald H. MacOdrum et Peter E. J. Wells pour les intimées (demanderesses).

PROCUREURS :

McCarthy Tétrault, Toronto, pour l’appelante.

Ridout & Maybee, Toronto, pour les intimées.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Les juges Stone et Linden, J.C.A. : Il s’agit en l’espèce d’un appel visant l’ordonnance de la Section de première instance datée du 4 octobre 1994 [Lubrizol Corp. et al. c. Imperial Oil Ltd. et al. (1994), 84 F.T.R. 197] accordant aux intimées la somme de 15 000 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires, ainsi que son ordonnance du 25 avril 1994 [Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1994), 55 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.)] rejetant avec dépens la requête de l’appelante présentée afin de produire des éléments de preuve supplémentaires lors de la poursuite de l’instruction de la demande de dommages-intérêts exemplaires des intimées.

RÉSUMÉ DES PROCÉDURES

L’action alléguant la contrefaçon et l’incitation à la contrefaçon du brevet canadien no 1 094 044 a été intentée le 16 mars 1987. Par voie d’ordonnance datée du 12 janvier 1989 [Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1989), 23 C.I.P.R. 302 (C.F. 1re inst.)], le juge Reed a accordé une injonction interlocutoire enjoignant à l’appelante de s’abstenir de faire ce qui suit :

[traduction] … fabriquer, faire fabriquer, utiliser, vendre ou offrir en vente, au Canada, un lubrifiant ou un additif renfermant les produits ECA 10444 ou ECA 11014 de la défenderesse, y compris ses produits Paranox 600 et Paranox 300, et de fournir au Canada ou à l’étranger à partir du Canada un tel lubrifiant ou additif dans un composé lubrifiant.

L’appel interjeté à l’égard de cette ordonnance a été accueilli par la Cour le 22 septembre 1989 [Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1989), 27 C.I.P.R. 147 (C.A.F.)], mais seulement aux fins de modifier l’adjudication des dépens.

À l’issue d’un procès qui a commencé le 7 mai 1990 et duré 29 jours, le juge de première instance conclut, dans un jugement daté du 17 septembre 1990 [Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1990), 33 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1re inst.)], que le brevet est valide et a été contrefait. Les intimées se voient accorder le droit de choisir entre des dommages-intérêts ou les profits réalisés par l’appelante, dont le montant doit être établi dans le cadre d’une référence aux termes de l’ordonnance par consentement du protonotaire adjoint Giles en date du 22 mars 1989. Les intimées ont également droit aux dépens. Le 23 février 1995, elles ont opté pour la comptabilisation des profits de l’appelante.

Dans un jugement daté du 14 avril 1993 [Imperial Oil Ltd. c. Lubrizol Corp. (1993), 48 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.)], la Cour rejette avec dépens l’appel interjeté par l’appelante relativement au jugement de première instance, mais accueille l’appel incident des intimées en s’exprimant comme suit :

[traduction] 5. L’appel incident est accueilli. Conformément au sous-alinéa 52b)(iii) de la Loi sur la Cour fédérale, la poursuite de l’instruction, par le juge de première instance, de la demande présentée par les intimées/demanderesses (les appelantes aux fins de l’appel incident) en vue de l’obtention de dommages-intérêts exemplaires, est ordonnée.

La Cour ordonne que les dépens afférents à l’appel incident soient adjugés suivant l’issue de la poursuite de l’instruction par le juge de première instance.

La Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation d’en appeler du jugement de la Cour [Imperial Oil Ltd. c. Lubrizol Corporation, [1993] 3 S.C.R. vii].

Dans une ordonnance datée du 25 avril 1994, le juge de première instance rejette la requête présentée par l’appelante afin de produire des éléments de preuve supplémentaires lors de la poursuite de l’instruction de la demande de dommages-intérêts exemplaires. Cette ordonnance a également fait l’objet d’un appel, qui a été rejeté avec dépens par la Cour dans un jugement daté du 1er juin 1994 [Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1994), 55 C.P.R. (3d) 141], pour le motif qu’il s’agissait d’une question qui pouvait être soulevée en appel du jugement final rendu à l’issue de l’instruction. Enfin, comme mentionné précédemment, dans son jugement du 4 octobre 1994, le juge de première instance accorde des dommages-intérêts exemplaires avec dépens sur la base procureur-client pour les requêtes, l’instruction, l’appel et la poursuite de l’instruction.

LES QUESTIONS EN LITIGE

Le présent appel soulève les questions en litige suivantes :

(1) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en refusant de permettre à la Compagnie Pétrolière Impériale de présenter des éléments de preuve concernant l’outrage au tribunal qui découlerait du non-respect de l’injonction interlocutoire?

(2) La conclusion de fait tirée par le juge de première instance selon laquelle la Compagnie Pétrolière Impériale a sciemment désobéi[1] à l’injonction interlocutoire constitue-t-elle une erreur manifeste et dominante?

(3) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en accordant des dommages-intérêts punitifs avant que la Cour n’établisse le montant des dommages-intérêts de nature compensatoire exigibles de la Compagnie Pétrolière Impériale?

(4) Le juge de première instance avait-il compétence pour modifier la nature des dépens qu’il avait adjugés auparavant (et qui avaient été confirmés par la Cour) en remplaçant les dépens entre parties par des dépens entre procureur et client et, en outre, pour modifier l’adjudication des dépens en Cour d’appel fédérale malgré l’ordonnance de la Cour?

ANALYSE

Première question en litige

L’appelante divise la première question en litige en trois sous-questions. Premièrement, les intimées se sont-elles conformées aux règles pertinentes régissant les plaidoiries et, en particulier, aux alinéas 409b) et 415(1)a) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663]? Deuxièmement, le juge de première instance a-t-il, à juste titre, qualifié de « tactique » la décision de l’appelante de ne pas présenter d’élément de preuve relativement à l’allégation de complète indifférence à l’égard de l’injonction interlocutoire et, le cas échéant, la Cour devrait-elle punir l’appelante en concluant, à partir d’un dossier incomplet, qu’elle a manifesté une telle indifférence à l’endroit de l’injonction interlocutoire? Troisièmement, le juge de première instance a-t-il appliqué de façon erronée les règles régissant la production d’éléments de preuve nouveaux en appel en refusant le dépôt de tout autre élément de preuve lors de la poursuite de l’instruction? Il suffit, selon nous, d’examiner ces sous-questions dans le cadre de l’examen global de la première question en litige.

En première instance, l’appelante a prétendu qu’elle aurait dû être autorisée à présenter de nouveaux éléments de preuve, lors de la poursuite de l’instruction, concernant la question qui devait être tranchée, car cette preuve nouvelle aurait établi 1) que son produit ECA 10271 n’était ni identique ni équivalent à son produit ECA 10444 que l’injonction interlocutoire lui interdisait de fabriquer, de faire fabriquer, d’utiliser, de vendre ou d’offrir en vente, 2) la valeur du produit emportant contrefaçon fabriqué après le prononcé de l’injonction interlocutoire et 3) les mesures prises par elle pour se conformer à l’injonction.

L’appelante a notamment prétendu, relativement à la requête présentée en vue de produire de nouveaux éléments de preuve, qu’étant donné que la question de la complète indifférence à l’égard de l’injonction n’avait pas été plaidée par les intimées à une étape ou l’autre de la procédure, le juge de première instance n’en était pas dûment saisi. Elle a donc fait valoir qu’elle n’aurait pas dû être empêchée d’expliquer sa conduite, lors de la poursuite de l’instruction, même si elle n’avait pas produit de preuve relativement à la question au procès. Le juge de première instance a estimé qu’il était dûment saisi de la question. Voici ce qu’il dit à ce sujet à la page 140 de ses motifs d’ordonnance datés du 25 avril 1994 :

La question en litige à l’instruction ressortait clairement des plaidoiries écrites et des arguments que les avocats ont alors invoqués.

À l’origine, la plaidoirie des intimées ne comportait pas de demande de dommages-intérêts exemplaires. Le paragraphe 16 de la déclaration à nouveau modifiée renferme une allégation selon laquelle l’appelante [traduction] « a sciemment usurpé l’invention visée par le brevet et contrefait délibérément celui-ci » et que l’appelante [traduction] « persiste dans sa contrefaçon délibérée au Canada en se livrant sans discontinuer à la fabrication, à l’utilisation et à la vente de concentrés et de lubrifiants contrefaits ». La plaidoirie des intimées a été modifiée le 29 avril 1989 par l’adjonction de l’alinéa 17d) où des [traduction] « dommages-intérêts exemplaires ou punitifs » sont demandés. Comme en fait foi le volume 1 de la transcription, à la page 97, l’avocat des intimées a tout d’abord fait valoir, dans les remarques préliminaires qu’il a faites au début de l’instruction, le 7 mai 1990, que l’appelante avait fabriqué et vendu le produit ECA 10271 et qu’il s’agissait [traduction] « exactement de la même chose que le produit 10444 … comme si l’injonction interlocutoire n’avait jamais existé ». Plus loin, toujours dans ses remarques préliminaires, à la page 131 du volume 1 de la transcription, l’avocat renvoie aux effets de l’injonction interlocutoire. Puis, aux pages 165 et 166 du même volume, il ajoute que l’appelante [traduction] « a lancé une nouvelle formule » pour le produit visé par l’injonction interlocutoire, qu’elle désignait à l’aide des chiffres 10271, et il poursuit :

[traduction] Ils ont simplement poursuivi leurs activités en ce sens une fois l’injonction accordée, comme si de rien n’était, et ils ont continué jusqu’en septembre 1989 à fournir un produit fabriqué présumément en conformité avec cette formule, à Shell au Canada, parce que Shell n’aurait pas … je crois que la raison en était que Shell n’aurait pas accepté le produit 12819.

Dans le même ordre d’idées, l’avocat conclut en disant ce qui suit (aux pages 167 et 168) :

[traduction] Après que l’injonction eut interdit la fabrication et la vente au Canada du produit 10444, [la défenderesse] a simplement modifié l’appellation du produit en remplaçant les chiffres 10444 par 10271, et elle a légèrement modifié la … formule du produit 10444 afin … de lui permettre, semble-t-il, de prétendre, par le fait même, qu’elle ne se livrait à aucune contrefaçon.

Ainsi, Monsieur le juge, nous prétendons respectueusement qu’il y a eu mépris flagrant de l’esprit, si ce n’est de la lettre, de l’ordonnance de la Cour, et nous soutenons que cela justifie l’octroi de dommages-intérêts exemplaires.

Pendant l’instruction comme telle, les intimées ont produit des éléments de preuve (pièces P-13 et P-14) à l’appui de leur allégation selon laquelle l’injonction interlocutoire avait fait l’objet d’une complète indifférence, de pair avec une brochure intitulée « Read-Ins re Continued Manufacture Of ECA 10271 And its Non-Borated Form Following Interlocutory Injunction » (pièce P-49) obtenue dans le cadre de la communication préalable. Pour sa part, en plus de prétendre que l’allégation de complète indifférence à l’égard de l’injonction interlocutoire n’avait pas été faite, l’appelante a défendu la thèse que la question des dommages-intérêts exemplaires n’avait pas été plaidée et que, en conséquence, le juge de première instance n’en était pas dûment saisi. À l’instruction, l’appelante n’a présenté aucun élément de preuve concernant l’allégation.

La requête en vue de produire de nouveaux éléments de preuve relativement à cette allégation a été présentée après que la Cour eut accueilli l’appel incident des intimées le 14 avril 1993, la poursuite de l’instruction ayant alors été ordonnée. Lorsqu’il a statué sur la requête, le juge de première instance a estimé que la question relevait du pouvoir discrétionnaire que lui conférait la Règle 494 [mod. par DORS/90-846, art. 21] et que ce pouvoir discrétionnaire devait être exercé au détriment de l’appelante pour les motifs suivants, lesquels figurent à la page 139 des motifs de l’ordonnance en date du 25 avril 1994 :

En ce qui a trait au pouvoir discrétionnaire dont je dispose en vertu de la Règle 494, plusieurs facteurs m’incitent à ne pas l’exercer en faveur de la requérante. D’abord, au moins quelques-uns des documents en litige ont déjà été demandés par Lubrizol et l’Impériale ne les a pas produits, ce qui a nui à Lubrizol. Je ne suis pas d’accord avec l’avocat de la requérante lorsqu’il dit qu’aucun préjudice n’a été causé à Lubrizol, puisqu’elle a eu finalement gain de cause à l’instruction. À mon avis, une partie peut subir un préjudice et gagner sa cause malgré tout. Le préjudice est celui de devoir, en raison de la tactique de la partie adverse, livrer une bataille plus difficile qu’elle ne l’aurait été si tous les éléments de preuve demandés avaient été produits. En deuxième lieu, si je permettais que l’action se déroule de cette façon et que j’autorisais effectivement une réouverture de la preuve, je ne ferais que reporter indûment le règlement d’une question assez simple. En outre, il serait manifestement injuste, à cette date tardive, de permettre à l’Impériale d’améliorer sa position sur une question déjà débattue devant la Cour. Enfin, je suis convaincu que l’Impériale et ses avocats avaient choisi, par stratégie, de ne pas produire les documents en question avant aujourd’hui. Ils pouvaient certainement le faire, mais ils doivent aujourd’hui en subir les conséquences. Je ne suis pas prêt à leur permettre de changer complètement de tactique après coup. Une poursuite d’instance n’est pas une nouvelle instruction. Si elle l’était, je pourrais peut-être exercer mon pouvoir discrétionnaire de façon différente. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

Nous devons revenir momentanément à la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire a été exercé convenablement. Nous estimons qu’il est désormais trop tard pour que l’appelante fasse valoir que, vu l’absence de plaidoirie, le juge de première instance n’était pas dûment saisi de la question de la complète indifférence à l’égard de l’injonction interlocutoire qui sous-tendait la demande de dommages-intérêts exemplaires. Même si le juge de première instance n’a pas examiné la question soulevée par l’avocat dans ses remarques préliminaires, l’appelante savait de toute évidence qu’elle faisait l’objet de l’appel incident. Les motifs du jugement de première instance n’en faisaient pas mention. Dans le cadre de l’appel incident, en décidant de renvoyer l’affaire au juge de première instance afin que la question soit tranchée [Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1992), 98 D.L.R. (4th) 1], le juge Mahoney, J.C.A. dit ce qui suit au nom de la Cour, aux pages 30 et 31 :

Lubrizol affirme que le juge de première instance a commis une erreur en n’accordant pas de dommages-intérêts exemplaires pour la contrefaçon d’un produit en particulier d’Imperial. Celui-ci s’est borné à trancher ainsi la question (à la p. 45) :

À l’instruction, l’avocat des demanderesses a fait allusion à une contrefaçon délibérée mais il n’a pas à mon avis produit suffisamment de preuves pour justifier l’octroi de dommages-intérêts exemplaires. Je nourris certaines préoccupations au sujet de la conduite de la défenderesse, mais je n’ai pas été saisi de suffisamment de preuves concrètes pour conclure que cette dernière a manifesté à l’égard des droits des demanderesses et du système des brevets une complète indifférence justifiant l’octroi de dommages-intérêts exemplaires.

Ainsi qu’il a été allégué en appel, ce n’est pas la complète indifférence manifestée à l’égard des droits de Lubrizol ou du système des brevets qui est susceptible de donner ouverture à des dommages-intérêts exemplaires, mais une indifférence complète à l’égard de l’injonction interlocutoire prononcée par le juge Reed le 12 janvier 1989. Si on en fait la preuve, l’octroi de dommages-intérêts exemplaires constituera un redressement possible… Étant donné la manière dont j’estime devoir disposer du présent appel, je dirai seulement que cette allégation n’est pas, d’après la preuve, dénuée de fondement.

J’ai lu attentivement l’exposé des faits et du droit que Lubrizol a présenté à l’instruction … , lequel, à l’instar de l’exposé d’Imperial, a été, par ordonnance, inclus dans le dossier d’appel… J’ai également lu avec soin la transcription des arguments que Lubrizol a soutenus oralement à l’instruction… Il ne fait absolument aucun doute que le débat était fondé sur l’allégation qu’Imperial avait continué à fabriquer et à vendre un produit dont la fabrication et la vente avaient été interdites par injonction interlocutoire, et ce jusqu’à ce que cette Cour rejette l’appel formé contre ladite injonction le 22 septembre 1989.

Il est manifeste que le juge de première instance a mal apprécié cette question. On ne peut donc conclure qu’il a judicieusement exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant d’octroyer des dommages-intérêts exemplaires. Lubrizol avait et a droit à ce qu’il soit statué sur sa demande de dommages-intérêts exemplaires. Je ne suis toutefois venu, à regret, à la conclusion qu’en l’absence de faits établis par le juge de première instance, cette Cour n’est pas en mesure de résoudre la question.

L’injonction interlocutoire a été demandée et accordée dans le cadre du litige. La tentative de l’appelante de la faire renverser en appel a échoué. Bien qu’aucune allégation de complète indifférence à l’égard de l’injonction n’ait été plaidée, l’objectif manifeste de l’avocat des intimées, en faisant l’allégation préliminaire, était de soulever la question en formulant la demande et en donnant des précisions sur celle-ci. L’instruction s’est déroulée sans qu’aucune demande d’ajournement ne soit présentée. Les intimées ont présenté des éléments de preuve à l’appui de l’allégation sans qu’aucune objection ne soit formulée. Le point de vue défendu ultimement par l’appelante à l’instruction—à savoir que le juge de première instance n’était pas dûment saisi de la question de la complète indifférence à l’égard de l’injonction parce que celle-ci n’avait pas été expressément plaidée—n’a pas été repris dans le cadre de l’appel incident, lequel a été accueilli. Le dossier a été renvoyé au juge de première instance aux fins de la poursuite de l’instruction de pair avec la directive expresse du juge Mahoney [à la page 31] selon laquelle l’allégation n’était pas « dénuée de fondement ».

Ce que les intimées ont cherché à obtenir en appel incident et ont obtenu dans les faits est la poursuite de l’instruction à la seule fin que leur allégation de complète indifférence à l’égard de l’injonction interlocutoire soit examinée par le juge de première instance. Vu ce but apparent, on aurait pu s’attendre à ce que l’appelante fasse alors valoir que les intimées ne devaient pas avoir gain de cause parce que le juge de première instance n’avait pas été dûment saisi de l’allégation, pendant l’instruction, en raison de l’absence de plaidoirie à ce sujet. L’appelante ne l’a pas fait. C’est pourquoi, à notre avis, elle ne peut maintenant soulever la question dans le cadre du présent appel. Comme l’a dit le juge Maugham, tel était alors son titre, dans Green v. Weatherill[2], reprenant les propos du vice chancelier Wigram dans Henderson v. Henderson (1843), 3 Hare 100 :

[traduction] … la Cour exige des parties qu’elles soumettent toute leur cause et, sauf dans des circonstances spéciales, elle n’autorisera pas ces parties à rouvrir le débat sur un point qui aurait pu être soulevé lors du litige, mais qui ne l’a pas été …

La question a en effet été tranchée de façon défavorable vis-à-vis de l’appelante dans le jugement de la Cour daté du 14 avril 1993[3]. L’appelante ne peut plus désormais faire valoir que la prétention n’a pas été dûment soulevée à l’instruction.

Compte tenu de cette analyse, la question de savoir si l’allégation de complète indifférence à l’égard de l’injonction avait été dûment faite ne se posait plus après que la Cour eut prononcé son jugement le 14 avril 1993. Si elle s’était posée, nous serions néanmoins arrivés à la conclusion que l’allégation avait été faite de façon suffisante pour que la Cour tranche la question. Les Règles de la Cour fédérale mettent en évidence la valeur et le rôle d’une plaidoirie. Le paragraphe 408(1) des Règles prévoit que chaque plaidoirie « doit obligatoirement contenir un exposé précis des faits essentiels sur lesquels se fonde la partie qui plaide ». L’alinéa 409b) des Règles prévoit que, dans les cas indiqués, une partie doit plaider spécifiquement toute question qui, « si elle n’est pas spécifiquement plaidée, pourrait prendre la partie opposée par surprise ». Pour sa part, l’alinéa 415(1)a) des Règles énonce que « toute plaidoirie doit fournir les détails nécessaires à toute allégation y compris … des détails des … manquements délibérés ». La jurisprudence de la Cour fait également ressortir la valeur d’une plaidoirie. Dans TRW Inc. c. Walbar of Canada Inc.[4], la Cour adopte le point de vue suivant exprimé par lord Normand dans Esso Petroleum Co. Ltd. v. Southport Corporation[5] :

Je désire reprendre les observations de mon noble et savant collègue, lord Radcliffe, sur la valeur de la plaidoirie. La condamnation d’une partie pour un motif à l’égard duquel aucun avis équitable n’a été donné peut constituer un déni de justice aussi grave que sa condamnation pour un motif à l’égard duquel on a incorrectement exclu sa preuve.

Voir également Gulf Canada Limited c. Le remorqueur Mary Mackin[6] et Glisic c. Canada[7].

Une objection fondée sur une plaidoirie pourrait peut-être être considérée comme purement technique ou formelle. Or, elle revêt une importance beaucoup plus grande selon nous. En règle générale, la Cour s’attend à ce que les parties se conforment aux règles régissant les plaidoiries, de sorte que chacune d’entre elles connaisse la preuve que l’autre devra faire au procès. On pourrait dire que ce sont les faits plaidés et les questions circonscrites dans les plaidoiries qui permettent de déterminer la pertinence d’un témoignage ou d’une preuve documentaire, et dans ce dernier cas, si un document doit être déposé avant l’instruction. En même temps, les Règles de la Cour fédérale n’exigent pas que la demande de dommages-intérêts exemplaires fasse spécifiquement l’objet d’une plaidoirie.

À l’opposé, en Angleterre, aux termes de l’ordonnance 18, règle 8(1) des Rules of the Supreme Court 1965 [S.I. 1965/1776], de tels dommages-intérêts doivent être expressément plaidés. Cette règle annule l’effet de la décision rendue dans Broome v. Cassell & Co. Ltd.[8], ce qui résulte sans aucun doute de la mesure recommandée par lord Hailsham de St. Marylebone, lord chancelier, dans les propos qu’il a tenus en appel, dans cette affaire, devant la chambre des lords, [1972] A.C. 1027, à la page 1083. Selon les dires mêmes de lord Hailsham, l’objet de la nouvelle règle proposée était d’empêcher un défendeur d’être [traduction] « pris par surprise », malgré l’opinion prédominante selon laquelle il s’agit de l’un des principaux objets de la plaidoirie[9]. Comme, dans ce pays, les Règles de la Cour de comté ne prévoient aucune exigence correspondante, la [traduction] « vieille pratique » selon laquelle des [traduction] « dommages-intérêts exemplaires peuvent être accordés même s’ils n’ont pas été plaidés », continue de s’appliquer[10]. Cette [traduction] « vieille pratique » s’applique au Canada chaque fois que les règles de pratique n’exigent pas qu’une demande de dommages-intérêts soit expressément plaidée[11]. Même si l’alinéa 409b) des Règles exige, de façon générale, qu’une partie plaide toute question de façon à ne pas prendre une autre partie par surprise[12], l’omission de plaider les dommages-intérêts exemplaires n’emporte évidemment pas la contravention aux Règles de la Cour qui, dans leur libellé actuel, n’exigent pas expressément que ces dommages soient spécifiquement plaidés. On ne saurait conclure, cependant, qu’une allégation spécifique n’est pas préférable même si les Règles de la Cour fédérale ne l’exigent pas à strictement parler.

Cela ne règle pas pour autant la question. L’appelante fait valoir que, même si le juge de première instance était dûment saisi de la demande de dommages-intérêts exemplaires, nous devrions annuler sa décision de refuser que d’autres éléments de preuve soient présentés à la poursuite de l’instruction, de même que la décision rendue à l’issue de celle-ci. Nous ne sommes pas saisis, en l’espèce, d’une affaire d’outrage au tribunal en matière pénale ou civile[13]. Néanmoins, vu la gravité de l’allégation selon laquelle l’appelante a manifesté une complète indifférence à l’égard d’une ordonnance de la Cour, des mesures appropriées doivent être prises pour faire en sorte que l’appelante puisse établir devant la Cour, si elle le peut, que ses actes ne justifient pas le blâme sévère que constitue l’octroi de dommages-intérêts exemplaires. Il nous semble que les propos tenus par le juge Gonthier dans l’arrêt Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc.[14], bien que ce soit dans une affaire d’outrage au tribunal, énoncent un principe utile aux fins de la présente espèce :

Le juge doit laisser une certaine latitude à l’intimé quant à la pertinence de la preuve présentée pour tenter de se justifier.

Pourquoi alors le juge de première instance a-t-il rejeté la demande d’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve? Il a estimé qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de le faire en application de la Règle 494. Nous en convenons. Le pouvoir discrétionnaire conféré par cette Règle pouvait être exercé, car l’instruction se poursuivait toujours par suite du jugement de la Cour daté du 14 avril 1993. Parce qu’elle a résulté de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, la décision du 25 avril 1994 ne peut être modifiée que si, en exerçant ce pouvoir, le juge de première instance a omis d’accorder « suffisamment d’importance à toutes les considérations pertinentes »[15]. Le juge de première instance a tenu compte de quatre considérations différentes dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Premièrement [à la page 139], « au moins quelques-un des documents en litige ont déjà été demandés par Lubrizol et l’Impériale ne les a pas produits, ce qui a nui à Lubrizol ». Si la question des dommages-intérêts exemplaires demandés sur le fondement de la complète indifférence manifestée à l’égard de l’injonction interlocutoire avait été plaidée, nous pourrions accepter la critique formulée par le juge de première instance. L’omission des intimées de plaider la question explicitement, même si elles n’étaient pas tenues de le faire par les Règles de la Cour, a eu notamment pour conséquence que des documents qui auraient pu par ailleurs être produits relativement à une question soulevée dans les plaidoiries n’ont pas dû être produits avant l’instruction. Il nous semble donc que le juge de première instance n’aurait pas dû accorder autant d’importance qu’il semble l’avoir fait à cet élément. Deuxièmement [à la page 139], le fait d’autoriser la présentation de nouveaux éléments de preuve aurait retardé « indûment le règlement d’une question assez simple ». Bien que nous estimions qu’il s’agit d’une considération légitime, son importance est quelque peu atténuée par l’exigence d’une instruction équitable. Avant que la question ne soit examinée par la Cour le 14 avril 1993, le juge de première instance n’avait pas statué sur l’allégation de complète indifférence à l’égard de l’injonction interlocutoire. Il était en fait d’avis que la preuve dont il était saisi à l’instruction qui était la même que celle dont il était saisi au moment de rendre l’ordonnance du 25 avril 1994 ne justifiait pas l’octroi de dommages-intérêts exemplaires pour atteinte aux droits des intimées ou au système des brevets. Il est vrai que l’instruction a été longue et que l’appel, l’appel incident, la demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada et la requête en vue de présenter d’autres éléments de preuve ont prolongé considérablement l’affaire. Nous estimons néanmoins que l’obligation de procéder à une instruction équitable l’emporte sur la nécessité d’éviter que la procédure ne se prolonge indûment. Troisièmement [à la page 139], permettre le dépôt de nouveaux éléments de preuve aurait été inéquitable vis-à-vis des intimées, car cela aurait « permi[s] à l’Impériale d’améliorer sa position, sur une question déjà débattue devant la cour ». Encore une fois, nous sommes d’avis qu’il s’agissait d’une préoccupation tout à fait légitime, mais que le juge de première instance a accordé trop d’importance au fait que—malgré le silence de la plaidoirie—il avait été dûment saisi de l’allégation lors de l’instruction et pas assez à la manière dont il l’avait été, c’est-à-dire dans le cadre des remarques préliminaires de l’avocat. Enfin, l’appelante aurait pris, pendant la première partie de l’instruction, la « décision tactique » de ne pas présenter de preuve sur la question, de sorte qu’elle devait en subir les conséquences. Cette décision a évidemment été prise dans le feu de l’action, au procès et à un moment où l’allégation de complète indifférence à l’endroit de l’injonction interlocutoire a été faite pour la première fois par les intimées. Rétrospectivement, il s’agissait d’une erreur. Cette décision semble avoir été prise en tenant pour acquis que, l’allégation n’ayant pas été spécifiquement plaidée, aucun document s’y rapportant ne pouvait être produit, car il n’aurait pas été pertinent. Selon nous, l’appelante était parfaitement au courant de la question soulevée dans le cadre des remarques préliminaires et consciente de la nécessité de la réfuter.

Sauf circonstances exceptionnelles, la partie qui a eu pleinement l’occasion de présenter des éléments de preuve au procès ne sera pas autorisée à rouvrir la preuve afin de présenter de nouveaux éléments après que le jugement a été rendu à l’issue de l’instruction[16]. D’aucuns font remarquer à juste titre que, dans le cadre de la procédure contradictoire qui caractérise notre système de justice, [traduction] « l’identité des témoins appelés à témoigner et la teneur des questions qui leur sont posées dépendent entièrement de l’avocat » et qu’il appartient à ce dernier « de prendre les décisions, tant stratégiques que tactiques, quant à la démarche à adopter », de sorte que l’avocat ne peut invoquer ultérieurement l’omission de présenter des éléments de preuve au procès[17]. La présente espèce semble se caractériser, selon nous, par une situation quelque peu inusitée. Il ne s’agit pas d’un cas habituel où toutes les questions en litige ont été circonscrites dans les plaidoiries et où la preuve documentaire et testimoniale se rapportant à ces questions a été entièrement communiquée avant l’instruction. Il ne s’agit pas non plus d’un cas où une partie demande la réouverture de l’affaire une fois l’instruction terminée et le jugement prononcé par le juge de première instance relativement à la question à laquelle se rapporte le nouvel élément de preuve. Le 25 avril 1994, lorsque le juge de première instance a statué sur la requête de l’appelante relative à la présentation d’autres éléments de preuve, l’instruction n’était pas encore terminée, la Cour ayant ordonné, dans son jugement du 14 juin 1993, la poursuite de celle-ci afin de trancher la question soulevée par l’avocat des intimées dans le cadre de ses remarques préliminaires.

Il est un principe établi de longue date selon lequel le rôle du tribunal consiste à statuer sur les droits des parties au litige et non à sanctionner les erreurs commises dans le déroulement de la procédure, sauf circonstances exceptionnelles. Ce principe est énoncé comme suit par le lord juge Bowen dans Cropper v. Smith[18] :

[traduction] Je crois qu’il est un principe bien établi selon lequel le rôle du tribunal consiste à statuer sur les droits des parties et non à punir celles-ci pour les erreurs qu’elles commettent dans le déroulement d’une affaire en prenant des décisions défavorables à la reconnaissance de leurs droits. Pour ma part, et conformément à ce qui a été établi par l’autre section de la Cour d’appel et par moi-même en tant que juge de celle-ci, je ne vois pas pourquoi une erreur qui n’est ni frauduleuse ni délibérément trompeuse ne devrait pas être corrigée par la Cour si cela peut être fait sans commettre d’injustice à l’endroit de l’autre partie. La raison d’être d’un tribunal n’est pas de faire régner la discipline, mais bien de trancher des litiges …

Bien que le lord juge Bowen ait exprimé une opinion dissidente quant à la façon dont il convenait de statuer dans cette affaire en particulier, le principe qu’il énonce demeure, selon nous, valable en droit. (Voir Shoe Machinery Company v. Cutlan[19] et Supreme Court Practice 1993, vol. 1, partie I, Londres, Sweet & Maxwell, 1992, aux pages 371 et 372.) Il s’agissait de savoir, dans ce cas précis, si une plaidoirie devait être modifiée au stade de l’appel, et bien que le principe s’applique particulièrement à la modification d’une plaidoirie, il a été interprété de façon plus large. Ainsi, dans Wood v. British Columbia Electric Ry. Co., Ltd.[20], il a été appliqué pour écarter l’argument avancé à la fin d’une instruction selon lequel la partie demanderesse ne pouvait obtenir des dommages-intérêts, car elle n’était pas la personne qui aurait dû intenter l’action[21].

À notre avis, en rejetant la requête visant à présenter de nouveaux éléments de preuve, le juge de première instance n’a pas accordé suffisamment d’importance à tous les éléments pertinents et, en particulier, au fait que l’appelante serait privée à jamais d’une possibilité raisonnable de contester une demande dont les répercussions sont très graves—une demande qui, par la suite, a débouché sur l’octroi de dommages-intérêts exemplaires dont le montant était substantiel. Dans les circonstances exceptionnelles qui sont énoncées précédemment, l’appelante ne devrait pas être privée d’une chance équitable de repousser l’allégation d’inconduite grave qui pèse contre elle et d’échapper à la condamnation éventuelle à des dommages-intérêts exemplaires. Vu les faits de l’espèce, nous sommes d’avis que l’équité et la justice exigeaient que l’appelante soit autorisée à présenter d’autres éléments de preuve relativement à la demande de dommages-intérêts exemplaires, lors de la poursuite de l’instruction, aux fins d’établir, si elle le pouvait, qu’elle n’avait pas manifesté une complète indifférence à l’endroit de l’injonction interlocutoire du 12 janvier 1989, et ce, même s’il avait été jugé qu’elle avait sciemment omis de se conformer à celle-ci. Cette possibilité devrait lui être accordée dans le cadre d’une nouvelle poursuite de l’instruction.

Deuxième question en litige

L’appelante prétend que, en arrivant à la conclusion qu’elle avait sciemment omis de se conformer à l’injonction interlocutoire, le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante dans l’appréciation des faits. Comme nous l’avons vu, l’injonction interlocutoire interdisait à l’appelante de [traduction] « fabriquer, faire fabriquer, utiliser, vendre ou offrir en vente, au Canada, un lubrifiant ou un additif renfermant les produits ECA 10444 … de la défenderesse ». Le juge Reed a estimé que les intimées avaient présenté une preuve prima facie très forte de contrefaçon et elle a par conséquent décerné l’ordonnance de ne pas faire.

L’« erreur manifeste et dominante » avancée par l’appelante vise la conclusion du juge de première instance selon laquelle le produit ECA 10444 et le produit ECA 10271 sont identiques. À la page 203 de ses motifs datés du 4 octobre 1994, le juge de première instance dit ce qui suit :

Existe-t-il un doute dans l’esprit des dirigeants d’Imperial qu’ECA 10444 et qu’ECA 10271 constituaient un seul et même produit? M. Levy est cadre supérieur de la division Esso Chemical, chez Imperial; il est responsable de la division Paramin, qui fabriquent les produits en question. C’est lui qui a représenté Imperial Oil lors de l’interrogatoire préalable, et il a admis expressément tout d’abord (à la p. 9 de la transcription) :

« … pendant plusieurs mois suivant l’injonction prononcée le 12 janvier 1989 et jusqu’en septembre 1989, Imperial a fabriqué et vendu l’ECA 10271. Cette admission a été faite en octobre 1989, durant l’interrogatoire préalable …

« Deuxièmement, il a été admis expressément qu’Imperial a rédigé les spécifications pour l’ECA 10271 afin de décrire le produit fabriqué auparavant et qui répondait aux spécifications de l’ECA 10444.

« Troisièmement, il a admis qu’ECA 10271 était, à toutes fins pratiques, le produit qu’Imperial avait fabriqué sous le nom d’ECA 10444. »

Dans mes motifs faisant suite au procès, j’ai statué qu’ECA 10444 et qu’ECA 10271 étaient le même produit, et il n’est pas nécessaire d’approfondir ce point ici. Nous ne ferions que répéter des arguments déjà connus par Imperial Oil en affirmant que celle-ci ne s’est pas conformée à ses propres spécifications pour l’ECA 10444. Cet argument a été rejeté par la présente cour et la Cour d’appel.

Il poursuit à la page 204 :

Il est clair qu’Imperial Oil a choisi de défier l’injonction plutôt que de perdre Shell comme client. Il s’agissait d’un risque commercial et juridique pris par une entreprise à l’encontre d’une injonction judiciaire, et je suis convaincu que les dirigeants le savaient. Ils ont choisi de ne pas soumettre ECA 10271 à l’examen de la Cour ou du juge Reed, comme je l’ai dit précédemment.

Puis, aux pages 206 et 207 :

Imperial s’est-elle réellement conformée à l’injonction parce qu’elle pensait qu’un produit dont le ratio de succinamide était inférieur à 1,5 ne contrefaisait pas le brevet? L’entreprise a pris un risque, alors que la Cour aurait pu les guider, et elle doit en assumer les conséquences. Elle peut difficilement être surprise, car le juge Reed a pris la peine de souligner ce qui suit, comme le déclare la demanderesse Lubrizol en ses propres termes (à la p. 83 de la transcription) :

« En défiant l’injonction, Imperial a adopté exactement la conduite que Madame le juge Reed voulait prévenir à tout prix, soit la poursuite de ses activités sur le marché avec Shell comme client; de la sorte, elle a eu tout le temps nécessaire pour permettre à Shell de se convertir au 12819. Par conséquent, Lubrizol a notamment perdu l’occasion de vendre des produits additifs à Shell et s’est vu refuser … l’avantage auquel elle avait droit à l’égard de son produit breveté qui répondait aux nouvelles normes. Elle en a donc subi un préjudice irréparable. »

De prime abord, l’injonction interlocutoire a une portée claire, et le juge de première instance a conclu, à partir de son libellé et de la preuve qui lui était présentée, que l’appelante avait omis de s’y conformer. À notre avis, il lui était loisible de tirer pareille conclusion compte tenu de la preuve. Nous ne voyons aucun motif de modifier sa conclusion selon laquelle l’appelante a sciemment omis de se conformer à l’injonction interlocutoire. Par contre, comme mentionné précédemment, l’avis du juge de première instance selon lequel l’appelante a manifesté une complète indifférence à l’égard de l’ordonnance se fonde sur une preuve incomplète. L’appelante devrait être autorisée à présenter des éléments de preuve pour expliquer sa conduite, si elle est en mesure de le faire, mais non afin d’établir que, par ses actes, elle n’a pas sciemment contrevenu à l’injonction interlocutoire.

Troisième question en litige

Certaines observations d’ordre général concernant le rôle des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires en droit canadien s’imposent à ce stade-ci. Il est désormais clair que le droit canadien reconnaît trois types distincts de dommages-intérêts. Premièrement, il y a les dommages-intérêts généraux ou de nature compensatoire, qui visent à indemniser la victime d’un acte fautif à l’égard des pertes subies, tant pécuniaires que non pécuniaires. Deuxièmement, il y a les dommages-intérêts majorés, qui sont également de nature compensatoire, mais qui ne peuvent être accordés que lorsque « le comportement des défendeurs est particulièrement abusif ou opprimant, et accroît l’humiliation et l’anxiété [du demandeur] ». Le tribunal n’accorde de tels dommages-intérêts que s’il arrive à la conclusion que le défendeur était « motivé par une malveillance véritable et a ainsi accru le préjudice subi par le demandeur … en intensifiant son angoisse morale et son humiliation ». Les dommages-intérêts majorés sont l’expression de « l’indignation que cause naturellement chez les personnes sensées le comportement malveillant du défendeur »[22]. Troisièmement, les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, contrairement aux dommages-intérêts généraux et majorés, ne sont pas de nature compensatoire; leur objet est de « punir » le défendeur et d’exprimer l’« outrage à l’égard du comportement inacceptable du défendeur ». Ce type de dommages-intérêts s’apparente à l’amende en matière civile, laquelle vise « à dissuader le défendeur et les autres d’agir ainsi ». Les dommages-intérêts exemplaires ne peuvent être accordés « que dans les situations où les dommages-intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir et à dissuader ». En outre, ils doivent « serv[ir] un objectif rationnel ». En d’autres termes, il faut se demander si « la mauvaise conduite du défendeur était … si outrageante qu’il était rationnellement nécessaire d’accorder des dommages-intérêts punitifs dans un but de dissuasion?[23] »

Selon le juge Cory, les dommages-intérêts punitifs sont nécessaires car, sans eux, les gens importants, puissants et riches pourraient considérer les dommages-intérêts généraux comme la « redevance » à payer pour continuer de s’en prendre à des « victimes vulnérables ». « La meilleure protection est de faire savoir que des amendes, sous forme de dommages-intérêts punitifs, peuvent être imposées lorsque le comportement du défendeur est véritablement outrageant »[24]. Pour reprendre les termes employés par le juge La Forest, les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires sont « accordés pour punir le défendeur et pour en faire un exemple afin de dissuader d’autres personnes de commettre le même délit »[25]. Les dommages-intérêts exemplaires existent pour [traduction] « indiquer à l’auteur d’un acte fautif que le délit ne paie pas »[26].

Le juge McIntyre qualifie le comportement qui justifie l’octroi de dommages-intérêts punitifs de « dur, vengeur, répréhensible et malicieux »; en d’autres termes, il faut que le comportement « soit de nature extrême et mérite, selon toute norme raisonnable, d’être condamné et puni »[27]. Le juge Cory estime que la conduite reprochée doit être si « malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de la dignité de la cour »[28]. Un autre terme communément employé pour désigner l’état d’esprit de l’auteur de l’acte fautif est la « désinvolture » (en anglais, callousness).

Ces dernière années, le droit canadien relatif aux dommages-intérêts punitifs ou exemplaires s’est considérablement démarqué du droit britannique en la matière. Comme le signale le juge McIntyre dans l’arrêt Vorvis[29], les tribunaux de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et du Canada ont tous « rejeté » la restriction apportée dans l’arrêt britannique Rookes v. Barnard[30], et ont plutôt reconnu une « plus grande latitude pour accorder des dommages-intérêts punitifs ». La Commission de réforme du droit de l’Ontario a encouragé une telle manifestation d’indépendance au pays[31]. Le droit québécois prévoit également l’octroi de dommages-intérêts exemplaires dans les cas qui s’y prêtent[32].

La norme de preuve applicable à l’égard de dommages-intérêts exemplaires ou punitifs est celle qui s’applique en matière civile, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités, et non la norme qui s’applique en matière pénale, soit la preuve hors de tout doute raisonnable. Toutefois, l’attribution de dommages-intérêts exemplaires « doit toujours se faire après mûre réflexion et … le pouvoir discrétionnaire de les accorder doit être exercé avec une très grande prudence »[33]. De plus, selon les motifs du juge Wilson, le montant accordé ne doit pas être « excessif », mais doit être « raisonnable et conforme à l’expérience canadienne qui consiste à accorder des dommages-intérêts punitifs relativement modestes »[34].

Ces dernières années, les tribunaux canadiens ont accordé des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires à de nombreuses occasions. Ils ne s’en sont pas tenus aux cas de diffamation et de délit intentionnel, qui sont les plus fréquents, et ont accordé de tels dommages-intérêts dans des affaires d’inexécution contractuelle[35], de négligence[36], de rapports fiduciaires[37], ainsi que dans d’autres cas où, dans une affaire civile, ils ont estimé nécessaire de condamner le comportement outrageant du défendeur. Nous ne voyons pas de raison pour laquelle, lorsque les circonstances le justifient, des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ne pourraient être accordés dans une affaire de violation du droit d’auteur[38] ou de contrefaçon de brevet, lesquelles correspondent à un type de délit créé par une loi. Les avocats n’ont d’ailleurs pas laissé entendre que de tels dommages-intérêts ne pouvaient être accordés.

Il convient de remarquer également que, lorsque le comportement reproché dans une affaire civile entraîne une déclaration de culpabilité au pénal, celle-ci constitue généralement un obstacle à l’octroi de dommages-intérêts punitifs, pour le motif que la sanction demandée a été obtenue dans le cadre de la poursuite au pénal[39].

Revenons-en maintenant à la troisième question en litige aux fins du présent appel.

L’appelante soutient que le juge de première instance a commis une erreur en déterminant le montant des dommages-intérêts exemplaires avant que celui des dommages-intérêts généraux ne soit établi. Cette prétention se fonde sur la décision rendue récemment par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hill[40]. En l’espèce, aucuns dommages-intérêts majorés n’ont été demandés ni, par conséquent, accordés. Il n’a cependant pas été statué sur la demande de dommages-intérêts généraux, le montant de ceux-ci n’ayant pas encore été déterminé. L’évaluation de ces dommages doit avoir lieu dans le cadre d’une référence. Il s’ensuit inexorablement que la Cour ne peut déterminer si des dommages-intérêts exemplaires devaient être accordés avant qu’elle ne décide si les dommages-intérêts généraux suffisaient à punir et à dissuader. En d’autres termes, la Cour doit tout d’abord évaluer les dommages-intérêts généraux. C’est seulement après cela qu’elle peut déterminer s’ils sont suffisants pour dissuader l’appelante ou si l’octroi de dommages-intérêts punitifs en sus est nécessaire pour la dissuader efficacement, de même que toute autre personne, d’adopter un comportement aussi outrageant, advenant qu’un tel comportement soit établi. Tel est de fait l’enseignement de l’arrêt Hill, où le juge Cory dit ce qui suit[41] :

Il importe de souligner que les dommages-intérêts punitifs ne devraient être accordés que dans les situations où les dommages-intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir et à dissuader.

Contrairement aux dommages-intérêts compensatoires, les dommages-intérêts punitifs ne sont pas généralisés. En conséquence, les tribunaux disposent d’une latitude et d’une discrétion beaucoup plus grandes en appel. Le contrôle en appel devrait consister à déterminer si les dommages-intérêts punitifs servent un objectif rationnel. En d’autres termes, la mauvaise conduite du défendeur était-elle si outrageante qu’il était rationnellement nécessaire d’accorder des dommages-intérêts punitifs dans un but de dissuasion?

Les intimées soutiennent qu’une distinction doit être établie entre la présente affaire et l’arrêt Hill, lequel se rapporte à une allégation de diffamation. Elles font valoir que, dans la présente affaire, il n’y a aucun risque de chevauchement; elles demandent la comptabilisation des profits par voie non pas d’indemnisation, mais de restitution. Cela n’est pas convaincant, car, quel qu’en soit le fondement—le remboursement d’une perte ou la restitution des profits, la somme est versée au titulaire du brevet « à titre d’indemnité » par suite de la contrefaçon. Ce n’est donc qu’une fois que ce montant est établi que la Cour peut déterminer si le montant est suffisant ou si des dommages-intérêts punitifs doivent être accordés en sus. La Cour ne peut donc pas, à ce stade, décider si la somme de 15 000 000 $ est excessive ou est insuffisante dans les circonstances. Cela dépendra du montant des dommages-intérêts généraux accordés pour contrefaçon, ainsi que de la preuve supplémentaire qui sera présentée et des arguments qui seront avancés.

Les intimées ont également fait valoir que les dommages-intérêts exemplaires accordés en l’espèce se rapportaient au non-respect de l’injonction, et non à la contrefaçon du brevet, de sorte que les dommages-intérêts généraux n’avaient absolument aucun lien avec les dommages-intérêts exemplaires. Il est vrai que les dommages-intérêts exemplaires octroyés dans la présente affaire découlaient du non-respect de l’injonction. Toutefois, cet octroi n’était pas tout à fait étranger à la contrefaçon du brevet. L’action intentée dans la présente affaire allègue la contrefaçon d’un brevet, et le non-respect de l’injonction constitue un facteur aggravant et est associé à un comportement arrogant[42] qui justifierait une sanction civile supplémentaire. Il n’existe pas, au civil, d’action distincte en dommages pour outrage au tribunal; la procédure prévue est soit quasi pénale soit civile et, dans ce dernier cas, si le demandeur a gain de cause, la Cour ordonne le paiement d’une amende à l’État, et non au demandeur[43]. Cependant, lorsqu’il y a contrefaçon de brevet et non-respect délibéré d’une injonction par la suite, la Cour peut, dans une affaire civile, accorder des dommages-intérêts punitifs afin de sanctionner le comportement dans le cadre de l’action en contrefaçon de brevet. Même si l’état d’esprit du défendeur est important, il ne saurait être question d’actus reus et de mens rea au civil. Il s’agit de notions de droit pénal, et non de droit civil. À notre avis, les motifs de la Cour prévoyant le renvoi de l’affaire pour la poursuite de l’instruction sont en accord avec ces principes.

L’argument des intimées selon lequel l’appelante ne peut, en raison du principe de l’autorité de la chose jugée, soulever cette question du report de l’évaluation des dommages-intérêts exemplaires n’est pas convaincant. Dans le jugement daté du 14 avril 1993, la Cour n’ordonne pas expressément au juge de première instance d’évaluer les dommages-intérêts exemplaires séparément des dommages-intérêts généraux. Quoi qu’il en soit, le 20 juillet 1994, la Cour suprême du Canada a statué, dans l’arrêt Hill, après le prononcé de la décision de la Cour dans la présente affaire, que les dommages-intérêts généraux devaient être établis avant qu’on ne puisse conclure à l’opportunité d’accorder des dommages-intérêts exemplaires. La Cour est liée par cet arrêt.

Le juge de première instance, qui ne pouvait savoir ce que la Cour suprême du Canada conclurait relativement aux étapes successives de l’évaluation des dommages, a correctement dégagé les principaux facteurs à prendre en considération pour déterminer si des dommages-intérêts exemplaires doivent être accordés, lesquels sont résumés comme suit aux pages 209 et 210 des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1994 :

Les dommages exemplaires ne constituent pas une indemnisation : il s’agit de dommages punitifs qui doivent être assez importants pour avoir un effet dissuasif.

La partie défenderesse a continué de fabriquer et de vendre le produit en litige pendant huit mois. Le chiffre de ventes du produit, même s’il n’a pas été quantifié, doit être énorme (voir les commentaires précédents de la demanderesse). Il est clair que ce produit a été vendu avec profit et a aidé Imperial Oil à garder illégalement Shell comme client et donc à empêcher la demanderesse de tirer partie de son invention. La situation financière de l’intimé doit également être prise en considération lorsqu’on détermine le montant des dommages exemplaires. Imperial Oil est une grande entreprise dont le chiffre d’affaires annuel atteint 10 milliards de dollars.

Des facteurs et des faits supplémentaires pourraient être révélés lors de la poursuite de l’instruction en l’espèce, comme le fait qu’une personne a pu cacher délibérément la contrefaçon du brevet[44]. En outre, la preuve nouvelle concernant l’état d’esprit précis de l’appelante devra évidemment être dûment analysée pour déterminer si celui-ci était désinvolte, répréhensible, vengeur ou outrageant au point de justifier l’octroi de dommages-intérêts exemplaires.

Pour ce qui concerne le montant accordé en fin de compte, il peut encore s’agir de 15 000 000 $ ou d’une somme inférieure, voire supérieure. Cela dépend du montant qu’exige la dissuasion de l’appelante et d’autres personnes, vu l’ensemble des circonstances de l’espèce. Il est vrai que, dans une affaire de contrefaçon de brevet, le tribunal ne considère habituellement pas qu’il punit le contrefacteur en accordant des dommages-intérêts de nature compensatoire ou la comptabilisation des profits[45]. Il peut toutefois le faire en accordant des dommages-intérêts exemplaires dans les cas où cela est opportun. Le mémoire de l’appelante renferme la liste de plus de 160 cas, tous domaines du droit confondus, où les tribunaux canadiens ont accordé des dommages-intérêts exemplaires entre 1985 et 1995. Dans la vaste majorité des cas, le montant accordé oscille entre 5 000 $ et 50 000 $. Neuf octrois de 100 000 $ sont signalés. Une somme située entre 175 000 $ et de 250 000 $ a été accordée à quatre reprises. Dans deux cas, le montant accordé correspond à un pourcentage des dommages-intérêts de nature compensatoire. Le montant le plus important consenti avant celui accordé en l’espèce est de 800 000 $[46]. La Cour s’abstient de toute remarque concernant le montant qu’il convient d’accorder, le cas échéant, dans la présente affaire. Elle laisse au juge de première instance le soin d’en décider lors de la poursuite de l’instruction, compte tenu de tous les éléments de preuve, nouveaux et anciens, des principes dégagés dans les présents motifs et du montant des dommages-intérêts de nature compensatoire qui sera accordé.

Quatrième question en litige

Dans son ordonnance du 4 octobre 1994, le juge de première instance adjuge les dépens comme suit :

[traduction] 2. les dépens sont adjugés aux demanderesses sur la base procureur-client relativement aux requêtes, à l’instruction, à l’appel et à la poursuite de l’instruction.

Dans le jugement de première instance daté du 17 septembre 1990, les dépens sont adjugés comme suit :

[traduction] 7. les défenderesses paient aux demanderesses les dépens de la présente action, après taxation;

8. les demanderesses ont droit à ce que les dépens relatifs aux services de leurs avocats soient taxés en sus du montant prévu par le tarif, elles ont par ailleurs droit au remboursement de tous les débours raisonnables et au paiement des débours afférents à leurs témoins experts;

Une fois le jugement rendu et déposé, le juge de première instance est dessaisi en application du principe functus officio (Williston & Rolls, The Law of Civil Procedure, Toronto : Butterworths, 1970, vol. 2, à la page 1059). Les cas dans lesquels un tribunal peut modifier un jugement sont très restreints (voir Paper Machinery Ltd. et al. v. J. O. Ross Engineering Corp. et al., [1934] R.C.S. 186, à la page 188; Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, à la page 860). Ces circonstances sont également énoncées aux paragraphes 337(5) et (6) des Règles. Aucune d’elles n’existe en l’espèce. Les seuls dépens à l’égard desquels le juge de première instance conservait son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’ordonnance du 4 octobre 1994, étaient ceux afférents à l’appel incident et à la poursuite de l’instruction. Les autres avaient déjà été adjugés dans le cadre d’ordonnances ou de jugements ayant acquis un caractère définitif, de sorte que le juge de première instance ne pouvait les modifier en application de l’ordonnance du 4 octobre 1994[47]. Ils comprenaient les dépens dont l’adjudication relevait du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance à l’instruction, lequel pouvoir discrétionnaire, ayant été exercé dans le cadre du jugement du 17 septembre 1990, ne pouvait plus l’être à nouveau. Par ailleurs, le juge de première instance n’avait pas compétence pour modifier le fondement de dépens accordés précédemment. Nous reconnaissons toutefois qu’il avait la compétence voulue, aux termes du jugement de la Cour en date du 14 avril 1993, pour adjuger à son gré les dépens afférents à l’appel incident, de même que pour adjuger les dépens liés à la poursuite de l’instruction. Toutefois, compte tenu du jugement que nous comptons rendre dans le cadre du présent appel, le fait que le juge de première instance ait voulu se prononcer sur des dépens à l’égard desquels le principe functus officio s’appliquait n’a pas de conséquences.

DISPOSITIF

Nous sommes d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler les ordonnances de la Section de première instance en date du 25 avril 1994 et du 4 octobre 1994 et, en application de l’alinéa 52b)(iii) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], de renvoyer l’affaire au juge de première instance afin qu’il poursuive l’instruction de l’affaire relativement à la demande des intimées visant à obtenir des dommages-intérêts exemplaires pour indifférence complète à l’égard de l’injonction interlocutoire et ce, conformément aux instructions suivantes :

a) le complément d’instruction ne portera que sur la question de savoir si l’appelante a manifesté une complète indifférence à l’endroit de l’injonction interlocutoire en omettant de se conformer aux exigences de celle-ci;

b) les parties ont droit à la production de documents et à la communication préalable d’éléments de preuve pertinents aux fins de la question visée à l’alinéa a), selon ce qui est nécessaire pour étayer leurs thèses respectives et répondre à celle de la ou des parties adverses;

c) lors de la poursuite de l’instruction, le juge de première instance jugera recevables, à titre d’éléments de preuve, les documents de l’appelante que renferme l’annexe 1 du dossier d’appel, ainsi que toute autre preuve documentaire des parties, qui sont pertinents aux fins de la question visée à l’alinéa a);

d) lors de la poursuite de l’instruction, les parties pourront faire entendre des témoignages pertinents aux fins de la question visée à l’alinéa a);

e) advenant que, à l’issue de la poursuite de l’instruction, le juge de première instance arrive à la conclusion que l’appelante a fait preuve de complète indifférence à l’égard de l’injonction interlocutoire et qu’il y a lieu de la condamner à des dommages-intérêts exemplaires, il calculera le montant de ceux-ci une fois qu’il aura été statué sur la comptabilisation des profits dans le cadre de la référence.

Le jugement rendu dans le cadre du présent appel favorisant également les deux parties, aucune ordonnance portant adjudication des dépens ne devrait normalement être rendue. Or, comme l’appel est imputable à l’omission de l’appelante de présenter, à l’instruction, la preuve qu’elle souhaite maintenant offrir, même si l’allégation à laquelle elle se rapporte a clairement été faite dans les remarques préliminaires de l’avocat, les intimées devraient avoir droit aux dépens du présent appel ainsi qu’à ceux afférents à la poursuite de l’instruction ordonnée dans le jugement de la Cour en date du 14 avril 1993, quelle que soit l’issue de l’affaire, payables sans délai après taxation.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.



[1] Nous jugeons ces termes plus précis que les termes [traduction] « a délibérément contrevenu » utilisés par l’appelante dans son mémoire. Dans les motifs afférents à l’ordonnance qu’il a rendue le 4 octobre 1994, le juge de première instance dit, à la p. 201, que « la contravention était délibérée et flagrante et qu’elle dénotait une complète indifférence à l’égard de l’injonction ». Plus loin, à la p. 202, il examine la question de savoir si l’appelante a « secrètement violé l’injonction » et, à la p. 209, il conclut à la « complète indifférence » à l’égard de cette ordonnance.

[2] [1929] 2 Ch. 213, aux p. 221 et 222.

[3] Voir Maynard v. Maynard, [1951] R.C.S. 346; Fidelitas Shipping Co. Ltd. v. V/O Exportchleb, [1966] 1 Q.B. 630 (C.A.), à la p. 640.

[4] (1991), 39 C.P.R. (3d) 176 (C.A.F.), à la p. 196.

[5] [1956] A.C. 218 (H.L.), à la p. 239.

[6] [1984] 1 C.F. 884(C.A.).

[7] [1988] 1 C.F. 731(C.A.).

[8] [1971] 2 Q.B. 354 (C.A.).

[9] Il a été reconnu, au moment de cette décision, que les plaidoiries de toutes les parties ne devaient pas prendre l’une d’elle par surprise. Ainsi, dans G. K. Jenkins, Bullen & Leake’s Precedents of Pleadings, 10e éd., Londres : Sweet & Maxwell, 1950, il est dit à la p. 1 :

[traduction] Les principaux objets de la plaidoirie sont, premièrement, de déterminer quelles sont les questions de fait et les questions de droit à trancher entre les parties, deuxièmement, d’informer chacune des parties de la preuve que compte faire l’autre, et ainsi empêcher que l’une d’elle ne soit prise par surprise au procès, et, troisièmement, …

L’ordonnance 18, règle 8(1)b) des Rules of the Supreme Court 1965, telles qu’elles étaient libellées en 1970, exigeait d’une partie [traduction] « dans toute plaidoirie subséquente à une déclaration » qu’elle plaide toute question « qui, si elle n’était pas expressément plaidée, pourrait prendre la partie adverse par surprise ».

[10] Drane v Evangelou, [1978] 2 All E.R. 437 (C.A.), par le maître des rôles Denning, à la p. 440.

[11] Voir, p. ex., Grenn v. Brampton Poultry Co. (1959), 18 D.L.R. (2d) 9 (C.A. Ont.), le juge Gibson, à la p. 14 :

[traduction] Il n’est pas nécessaire que les dommages-intérêts exemplaires ou punitifs soient demandés expressément, car ils font partie des dommages-intérêts généraux et n’ont pas à être demandés séparément.

Voir également Starkman v. Delhi Court Ltd., [1961] O.R. 467 (C.A.), à la p. 473 et Sturrock et al. v. Ancona Petroleums Ltd. et al. (1990), 111 A.R. 86 (B.R.), aux p. 110 et 111.

[12] Dans Glisic c. Canada, précité, la Règle a été appliquée de façon à empêcher le recours, au procès, à un moyen de défense qui n’a pas été expressément plaidé.

[13] Voir United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901 et Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065.

[14] [1992] 2 R.C.S. 1065, à la p. 1077.

[15] Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, aux p. 404 et 405.

[16] Becker Milk Co. Ltd. et al. v. Consumers’ Gas Co. (1974), 2 O.R. (2d) 554 (C.A.), à la p. 556.

[17] International Corona Resources Ltd. v. LAC Minerals Ltd. (1988), 66 O.R. (2d) 610 (H.C.), à la p. 624.

[18] (1884), 26 Ch. D. 700 (C.A.), à la p. 710.

[19] [1896] 1 Ch. 108 (C.A.), aux p. 112 et 115.

[20] (1925), 34 B.C.R. 527 (C.S.), à la p. 530.

[21] Dans Celestino v. Celestino (A.C.T. G7 de 1990, FED no 449, jugement rendu le 16 août 1990, non publié), la Cour fédérale d’Australie, division générale, aux p. 11 à 13, a tenu compte de ce principe en décidant s’il y avait lieu de modifier la décision du juge de première instance de refuser de permettre à la partie défenderesse, lors de l’instruction d’une affaire de négligence au volant, de retirer un aveu de responsabilité formulé le premier jour du procès. Voir aussi Bird v Northern Territory (1992), 108 FLR 270 (S.C.N.T.) [à la p. 275], où le principe a été appliqué pour annuler une ordonnance de gestion des dossiers rejetant l’action de la partie demanderesse pour le motif que la « justice » exigeait qu’elle soit écartée [traduction] « en raison du facteur prépondérant du préjudice infligé à la partie demanderesse », même si l’ordonnance avait été dûment rendue sous le régime des règles de pratique applicables.

[22] Voir Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, le juge Cory, aux p. 1205 et 1206.

[23] Ibid., aux p. 1208 et 1209.

[24] Ibid., à la p. 1209.

[25] Voir Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226, à la p. 264.

[26] Rookes v. Barnard, [1964] A.C. 1129 (H.L.), lord Devlin, à la p. 1227.

[27] Voir Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085, à la p. 1108.

[28] Voir Hill, précité, note 22, à la p. 1208.

[29] Précité, note 27, à la p. 1105.

[30] Précité, note 26.

[31] Voir Commission de réforme du droit de l’Ontario, Report on Exemplary Damages, Toronto, 1991.

[32] Voir Pauline Roy, Les dommages exemplaires en droit québécois. Thèse de doctorat, Université de Montréal, 1996.

[33] Voir les motifs du juge McIntyre, dans Vorvis, précité, note 27, à la p. 1105.

[34] Voir Vorvis, précité, note 27, à la p. 1131; voir également les motifs du juge Schwartz dans MacDonald Estate (Re) (1993), 89 Man. R. (2d) 161 (B.R.); (1994), 95 Man. R. (2d) 123 (C.A.), à la p. 149—le montant accordé devrait [traduction] « tenir compte de la retenue dont ont fait preuve les tribunaux au Canada ».

[35] Voir Vorvis, précité, note 27.

[36] Voir Robitaille v. Vancouver Hockey Club Ltd. (1979), 19 B.C.L.R. 158 (C.S.); conf. dans (1981), 124 D.L.R. (3d) 228 (C.A.C.-B.); Coughlin v. Kuntz, [1990] 2 W.W.R. 737 (C.A.C.-B.).

[37] Voir Norberg c. Wynrib, précité, note 25, le juge McLachlin; Huff v. Price (1990), 76 D.L.R. (4th) 138 (C.A.C.-B.); MacDonald Estate (Re) (1994), 95 Man. R. (2d) 123 (C.A.).

[38] Pro Arts, Inc. v. Campus Crafts Holdings Ltd. et al. (1980), 28 O.R. (2d) 422 (H.C.), aux p. 441 et 442.

[39] Fenwick v. Staples (1977), 18 O.R. (2d) 128 (C. Cté.).

[40] Précité, note 22, à la p. 1208; voir également Broome v. Cassell & Co. Ltd., [1972] A.C. 1027 (H.L.), lord Reid, à la p. 1089; Huff v. Price, précité, note 37.

[41] Précité, note 22, aux p. 1208 et 1209.

[42] Voir Pro Arts, Inc., précité, note 38, à la p. 443.

[43] Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1974), 4 O.R. (2d) 585 (H.C.), conf. dans (1974), 11 O.R. (2d) 167 (C.A.). Évidemment, une peine d’emprisonnement peut également être infligée à une personne lorsque les faits sont graves.

[44] Voir Dictionnaires (Les) Robert Canada SCC et al. c. Librairie du Normade Inc. et al. (1987), 16 C.P.R. (3d) 319 (C.F. 1re inst.), à la p. 339.

[45] Voir Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483(C.A.), à la p. 493; voir également General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co. Ltd., [1976] R.P.C. 197 (H.L.).

[46] Voir Hill, précité, note 22; Gustar v. Wadden, [1994] 7 W.W.R. 148 (C.A.C.-B.) et Claiborne Industries Ltd. v. National Bank of Canada (1989), 69 O.R. (2d) 65 (C.A.).

[47] Les autres ordonnances pertinentes quant aux dépens rendues dans le cadre du présent litige sont : celle du 16 septembre 1988 rendue par le protonotaire adjoint adjugeant aux demanderesses les dépens à suivre la cause; celle du 12 janvier 1989 rendue par le juge Reed en faveur des demanderesses; celle du 22 septembre 1989 (C.A.F.) modifiant l’ordonnance du 12 janvier 1989 par l’adjudication de dépens à suivre la cause et accordant les dépens de l’appel aux intimées; celle du 15 novembre 1989 rendue par le protonotaire adjoint accordant des dépens à suivre la cause; celle du 15 mars 1990 rendue par le protonotaire adjoint accordant des dépens à suivre la cause; celle du 24 avril 1990 rendue par le protonotaire adjoint accordant des dépens à suivre la cause aux demanderesses; celle du 7 mai 1990 rendue par le protonotaire adjoint accordant des dépens à suivre la cause; celle du 14 avril 1993 (C.A.F.) adjugeant les dépens de l’appel aux intimées et ceux afférents à l’appel incident suivant l’issue de la poursuite de l’instruction devant le juge de première instance; celle du 25 avril 1994 rendue par le juge de première instance adjugeant les dépens aux intimées; celle du 1er juin 1994 (C.A.F.) en faveur des intimées.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.