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[1996] 3 C.F. 821

T-275-90

Sail Labrador Limited (demanderesse)

c.

Les propriétaires, Navimar Corporation Ltée et toutes autres personnes ayant un droit sur le navire Challenge One, son équipement, ses soutes et le fret, et le navire Challenge One, son équipement, ses soutes et le fret (défendeurs)

Répertorié : Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le) (1re inst.)

Section de première instance, juge Nadon— Montréal, 16, 17 et 18 janvier; Ottawa, 28 juin 1996.

Droit maritime Contrats Propriétaire de navire refusant d’honorer une option d’achat stipulée dans une charte-partie au motif que la demanderesse a contrevenu à la charte-partie et qu’elle a ainsi perdu son droit de lever l’optionExécution substantielleThéorie de la « contravention périmée » — Principe de minimisCompétence en equity de la Cour.

Contrats Option d’achatIl s’agit de savoir si les contraventions présumées à la charte-partie font perdre à la demanderesse son droit de lever l’option d’acheter le navireExécution substantielleThéorie de la « contravention périmée » — Principe de minimisCompétence en equity de la Cour.

En 1985, la demanderesse Sail Labrador a conclu avec la défenderesse Navimar Corp. un contrat d’affrètement coque nue en vue d’affréter le navire Challenge One pour cinq ans dans le but de fournir un service de transport de passagers et de marchandises entre les ports de Jackson’s Arm et de Harbour Deep à White Bay (Terre-Neuve). La charte-partie accordait à la demanderesse l’option d’acheter le navire à l’expiration d’une période de cinq ans, « sous réserve de l’exécution de toutes les obligations » stipulées au contrat. Lorsque la demanderesse a levé l’option, la Navimar a refusé d’accepter la somme offerte et de signer le contrat de vente au motif que la demanderesse n’avait pas le droit de lever l’option parce qu’elle avait contrevenu à de nombreuses dispositions de la charte-partie.

Il s’agit d’une action visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que la demanderesse avait le droit de lever l’option d’achat.

Jugement : l’action doit être accueillie.

Il y a eu contravention à l’article 11 de la charte partie, qui prévoyait le paiement d’un loyer d’affrètement par la demanderesse à la Navimar : un versement (sur trente-cinq) a été fait en retard en raison d’une erreur commise par un employé de la banque. La demanderesse a rapidement remédié à cette contravention.

Il y a également eu contravention à l’article 25 de la charte-partie, qui prévoyait que, sur demande, la demanderesse remettrait à la fin de chaque voyage à la Navimar les journaux de bord du pont et de la salle des machines du navire. Les journaux de bord n’ont pas été envoyés régulièrement à la Navimar faute d’accès à des photocopieurs commerciaux.

Il n’y a pas eu contravention à l’article de la charte-partie par lequel la demanderesse s’engageait à ne pas faire de changements relativement aux administrateurs, aux actionnaires ou au contrôle de la compagnie. Bien qu’il y ait eu un changement d’administrateurs et d’actionnaires au sein de la Sail Labrador, la preuve révèle que la Navimar a accepté ce changement.

Il n’y a pas eu contravention à l’article de la charte-partie par lequel l’affréteur s’engageait à désarmer le navire en lieu sûr pour l’hiver. En 1987, le navire, qui passait habituellement l’hiver dans le port de St. John’s, a dû rester à Jackson’s Arm pour l’hiver parce qu’il ne pouvait pas quitter ce port, qui avait gelé du jour au lendemain. La demanderesse a obtenu le consentement de l’assureur et a pris toutes les mesures nécessaires pour protéger le navire. Qui plus est, cet article n’exigeait pas le consentement de la Navimar.

Il n’y a pas eu contravention à l’article de la charte-partie qui prévoyait qu’un avis indiquant que la Navimar était la propriétaire du Challenge One devait être affiché sur le navire à un endroit bien en vue et y demeurer pendant toute la durée de la charte-partie. Il a été établi que l’avis avait été dûment affiché sur le navire sauf à quelques reprises lorsque des travaux ont été effectués sur le navire.

Il n’y a pas eu contravention à l’article de la charte-partie qui interdisait à l’affréteur de faire des modifications structurelles au navire sans avoir d’abord obtenu le consentement du propriétaire. L’écoutille de chargement du navire a été modifiée, mais le propriétaire a été mis au courant de ce changement. En outre, une grue de manutention de cargaison a été remplacée. Selon toute probabilité, le propriétaire en a été informé et il est douteux que le remplacement de la grue constitue un changement structurel qui nécessitait le consentement de la Navimar. Il s’agissait simplement d’un objet d’équipement placé sur le navire pour charger et décharger de la cargaison.

Il n’y a pas eu non plus contravention à l’article obligeant la Sail Labrador à obtenir le consentement de la Direction de la sécurité des navires avant de remplacer l’écoutille de chargement, étant donné que la Direction était au courant de cette modification en raison des inspections régulières qu’elle effectuait.

L’interprétation de la charte-partie est régie par les principes généraux de la common law relatifs aux contrats.

En l’espèce, il est évident que les parties pouvaient invoquer la compétence en equity de la Cour pour obtenir une réparation.

La personne qui a le droit de lever une option d’achat peut, lorsque certains événements dont elle a seule le contrôle se produisent, exiger qu’on lui transfère les biens en cause. À cet égard, il est de jurisprudence constante que les dérogations minimes aux clauses d’un contrat ne sont pas considérées comme des contraventions : de minimis non curat lex. Les tribunaux anglais ont par ailleurs reconnu l’existence d’une exception au principe de la stricte observation de tous les engagements avant qu’une option d’achat puisse être levée : il s’agit de la théorie de la « contravention périmée » (lorsque la levée de l’option est conditionnelle à l’exécution de certains engagements, on n’empêchera pas le bénéficiaire de l’option de lever celle-ci en raison de contraventions antérieures si les contraventions sont « périmées », en ce sens qu’elles ne donnent plus ouverture à un droit de recours qui puisse encore être exercé). Cette théorie existe en droit canadien, bien qu’elle ne soit pas désignée sous ce vocable. En résumé, les tribunaux examinent le libellé du contrat lui-même pour déterminer si l’equity doit intervenir.

Les tribunaux ont jugé qu’il faut un libellé explicite pour rendre la levée de l’option conditionnelle à l’observation des clauses du contrat. L’article 30, qui renfermait l’option d’achat, obligeait la demanderesse à exécuter l’essentiel des obligations qu’elle avait contractées aux termes de la charte-partie. En ce qui concerne l’article 11, l’article relatif au paiement du loyer, la demanderesse a remédié à sa contravention dès qu’elle a été mise au courant de l’erreur commise par la banque. Lorsqu’elle a levé son option d’achat, la demanderesse ne contrevenait pas à l’article 11. L’obligation de payer le loyer avait, à ce moment-là, été remplie. Pour ce qui est de l’article 25, eu égard aux circonstances de la présente affaire, et selon l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 30, il ne serait pas équitable de priver la demanderesse de son droit de lever l’option d’achat en raison de son défaut de fournir à la Navimar, à la fin de chaque mois, des copies des journaux de bord du pont et de la salle des machines du Challenge One.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 3 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 68).

Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canadian Long Island Petroleums Ltd. et al. c. Irving Industries Ltd., [1975] 2 R.C.S. 715; (1974), 50 D.L.R. (3d) 265; [1974] 6 W.W.R. 385; 3 N.R. 430; Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada, [1995] 2 R.C.S. 187; (1995), 142 N.S.R. (2d) 1; 123 D.L.R. (4th) 449; 407 A.P.R. 1; 32 C.B.R. (3d) 1; 180 N.R. 161; Sudbrook Trading Estate Ltd. v. Eggleton, [1983] A.C. 444 (H.L.); Finch v. Underwood (1876), 2 Ch. D. 310 (C.A.); Pierce v. Empey, [1939] R.C.S. 247; [1939] 4 D.L.R. 672; Kennedy & Beaucage Mines Ltd., Re, [1959] O.R. 625; (1959), 20 D.L.R. (2d) 1 (C.A.); Petrillo et al. v. Nelson (1980), 29 O.R. (2d) 791; 114 D.L.R. (3d) 273; 13 R.P.R. 222 (C.A.); Amyotte v. Urchyshyn and Urchyshyn (1978), 13 A.R. 27; 86 D.L.R. (3d) 106; 6 Alta. L.R. (2d) 26 (C.S.); Birchmont Furniture Ltd. v. Loewen, [1977] 3 W.W.R. 651 (C.B.R. Man.); conf. à (1978), 84 D.L.R. (3d) 599; [1978] 2 W.W.R. 483 (C.A. Man.).

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

J.M. Voith GmbH c. Beloit Corp., [1993] 2 C.F. 515(1993), 47 C.P.R. (3d) 448; 61 F.T.R. 161 (1re inst.); Teledyne Indust. Ltd. c. Lido Indust. Products Ltd. (1982), 31 C.P.C. 285; 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1re inst.); Comtab Ventures Ltd. c. R. du chef du Can. (1984), 35 Alta. L.R. (2d) 230 (C.F. 1re inst.); R. du chef de l’Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; (1981), 119 D.L.R. (3d) 267; 13 B.L.R. 72; 35 N.R. 40; United Scientific Holdings Ltd v Burnley Borough Council, [1977] 2 All E.R. 62 (H.L.); United Dominions Trust (Commercial), Ltd. v. Eagle Aircraft Services, Ltd., [1968] 1 All E.R. 104 (C.A.); Grey v. Friar (1854), 4 H.L.C. 565; 94 R.R. 246; Bass Holdings Ltd. v. Morton Music Ltd., [1987] 2 W.L.R. 397 (Ch. D.); 283 Portage Avenue Ltd. v. Fidelity Trust Co. (1982), 18 Man. R. (2d) 7 (Cour de cté); Sparkhall v. Watson, [1954] 2 D.L.R. 22; [1954] O.W.N. 101 (H.C.); Fingold v. Hunter, [1944] 3 D.L.R. 43; [1944] O.W.N. 287 (C.A. Ont.); McLaughlin v. Bodnarchuk (1957), 8 D.L.R. (2d) 596; 22 W.W.R. 60 (C.A. C.-B.).

DOCTRINE

Furmston, M. P. Cheshire, Fifoot and Furmston’s Law of Contract, 12th ed. London : Butterworths, 1991.

Gebb, S. « The Demise Charter : A Conceptual and Practical Analysis » (1975), 49 Tulane Law Rev. 764.

Gilmore, Grant and Charles L. Black. The Law of Admiralty, 2nd ed. New York : Foundation Press, 1975.

Harper, E. « Demise Charters : Responsibilities of Owner or Charterer for Loss or Damage » (1975), 49 Tulane Law Rev. 785.

Lewison, Kim. The Interpretation of Contracts. London : Sweet & Maxwell, 1989.

Mocatta, Alan A. et al. Scrutton on Charterparties and Bills of Lading, 19th ed. London : Sweet & Maxwell, 1984.

Perell, Paul M. « Options, Rights of Repurchase and Rights of First Refusal as Contracts and as Interests in Land » (1991), 70 Rev. du Bar. can. 1.

Wilford, Michael et al. Time Charters, 4th ed. New York : Lloyd’s of London Press, 1995.

ACTION visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que la demanderesse avait le droit, en vertu de la charte-partie coque nue, de lever l’option d’acheter du navire demandeur. Action accueillie.

AVOCATS :

Elizabeth Heneghan pour la demanderesse.

Normand Hébert pour les défendeurs.

PROCUREURS :

Elizabeth Heneghan, St. John’s (Terre-Neuve), pour la demanderesse.

Étude légale Alain Pilotte, Montréal, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Nadon : Le présent litige découle du refus de la défenderesse Navimar Corporation Limitée (Navimar) de vendre le navire Challenge One à la demanderesse. Par sa déclaration, la demanderesse cherche à obtenir un jugement déclaratoire portant que la Navimar a contrevenu à une charte-partie coque nue conclue le 21 juin 1985. Les faits pertinents peuvent être résumés comme suit.

LES FAITS

La demanderesse, la Sail Labrador Limited (Sail Labrador) est une compagnie qui a été constituée en personne morale sous le régime des lois de Terre-Neuve. Son siège social est situé à St. John’s (Terre-Neuve).

La défenderesse Navimar est une compagnie constituée en personne morale sous le régime des lois du Canada. Son siège social est situé à Québec. À l’époque en cause, la Navimar était la propriétaire inscrite du Challenge One.

Le Challenge One est un navire immatriculé au port de St. John’s (Terre-Neuve) sous le numéro officiel 804001. Il a un tonnage brut de 83,66 et un tonnage de jauge de 37,75.

Le 21 juin 1985, la Sail Labrador a conclu avec la Navimar un contrat d’affrètement coque nue en vue d’affréter le navire Challenge One pour cinq ans, à partir du 21 juin 1985 (la charte-partie). À l’époque en cause, la demanderesse a utilisé le Challenge One pour exploiter son entreprise de transport de passagers et de marchandises par traversier entre les ports de Jackson’s Arm et de Harbour Deep à White Bay (Terre-Neuve) aux termes d’un marché conclu avec Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Transports.

L’article 30 de la charte-partie accordait à la demanderesse l’option d’acheter le Challenge One à l’expiration de la période de cinq ans de la charte-partie pour la somme de 200 000 $ sur notification écrite à la Navimar au plus tard le 31 mars 1990. L’article 30 de la charte-partie précise que la levée de l’option est conditionnelle à l’exécution [traduction] « de toutes les obligations » stipulées à la charte-partie.

Cette option ne pouvait être levée que pendant les quinze jours suivant la date de l’expédition de l’avis de la Sail Labrador à la Navimar, et était conditionnelle au versement d’une somme en espèces et à l’exécution de toutes les obligations mises à la charge de la Labrador aux termes de la charte-partie, y compris notamment l’obligation de faire les versements en question promptement et en conformité avec l’annexe des articles 10 et 11 de la charte-partie (l’option).

Le 5 janvier 1990, la Sail Labrador a levé l’option en expédiant un avis écrit à cet effet à la Navimar. Le 19 janvier 1990, la Sail Labrador a offert la somme de 200 000 $ à la Navimar par chèque certifié, ainsi qu’un contrat de vente selon la formule prescrite par la Loi sur la marine marchande du Canada[1]. La Navimar a refusé d’accepter les fonds et de signer le contrat de vente comme le lui demandait la Sail Labrador.

Au procès, la Navimar a reconnu qu’on lui avait offert la somme de 200 000 $ ainsi qu’un contrat de vente selon la formule prescrite par la loi. La Navimar nie toutefois que la demanderesse ait le droit de lever l’option en question, au motif qu’elle a contrevenu aux articles 8, 9, 11, 15, 25, 28, 30 et 34 de la charte-partie. Je relaterai maintenant plus en détail les faits pertinents qui ont trait aux allégations de contravention de la Navimar de manière à pouvoir déterminer si les allégations de la Navimar sont bien fondées.

Allégations de contraventions au contrat de la Navimar

1.         Article 34 de la charte-partie

Aux termes de l’article 34 de la charte-partie, la demanderesse s’engage notamment à ne pas changer d’administrateurs, d’actionnaires ou de contrôle pendant toute la durée de la charte-partie. La Navimar soutient qu’en contravention de cette disposition, la demanderesse a changé d’administrateurs, d’actionnaires et de contrôle sans son consentement. L’article 34 stipule :

[traduction] Cession

34. L’affréteur s’engage, pendant toute la durée du présent contrat de cinq (5) ans, à ne pas céder la présente charte-partie et à ne procéder à aucun changement en ce qui concerne la structure de son capital-actions et notamment à s’abstenir d’émettre des actions assorties du droit de vote, de changer d’administrateurs, d’actionnaires ou de modifier le contrôle de la compagnie en transférant celle-ci à qui que ce soit, à l’exception du propriétaire ou de la personne désignée par le propriétaire.

Pour bien analyser cette allégation, il est nécessaire de relater les événements qui ont conduit à la signature de la charte-partie en juin 1985.

La Navimar a été fondée en 1977 par Me Normand Hébert qui, à l’époque, était membre du barreau du Québec. Me Hébert a été admis au barreau en 1976 et il a exercé le droit jusqu’en 1979[2]. En 1980, Me Hébert a commencé un stage de trois ans comme pilote à l’Administration de pilotage des Laurentides. En 1984, Me Hébert a obtenu son diplôme de pilote, et il exerce cette profession depuis.

En 1984, Me Hébert était vice-président à la gestion de la Navimar. Il est maintenant l’unique actionnaire de la Navimar. En février 1985, Me Hébert a communiqué avec John Andrews, un courtier maritime de St. John’s (Terre-Neuve) qu’il avait déjà rencontré, pour lui parler de travail pour le navire de la Navimar, le Challenge One. Andrews a informé Me Hébert que le gouvernement fédéral essayait d’établir un service de traversier entre Jackson’s Arm et Harbour Deep, à Terre-Neuve. À l’époque, le Challenge One ne possédait pas de permis de transport de passagers. M. Andrews a suggéré à Me Hébert de fréter le Challenge One à une compagnie qui présenterait une soumission pour le marché relatif au service de traversier. Comme Andrews venait de constituer la Sail Labrador en compagnie, il a été convenu que cette compagnie soumettrait une offre en vue d’obtenir le marché de transport par traversier.

L’offre de la Sail Labrador a été retenue et, le 29 mai 1985, une entente est intervenue entre l’Administration fédérale et la Sail Labrador. Aux termes de cette entente, la Sail Labrador convenait d’assurer un service de transport de passagers et de marchandises entre Jackson’s Arm et Harbour Deep. Pour exécuter ses obligations contractuelles, la Sail Labrador utiliserait le Challenge One. Au moment où la Sail Labrador a obtenu le marché, le Challenge One était désarmé pour l’hiver à Shelburne, en Nouvelle-Écosse. Un représentant de l’Administration fédérale s’est rendu à Shelburne pour inspecter le Challenge One. Le navire a été jugé apte au service de traversier. Bien qu’il fût apte à ce genre de travail, le Challenge One avait besoin d’une refonte. La refonte a eu lieu au cours de l’hiver 1984-1985. Ainsi qu’il ressort de la facture no 3981 datée du 22 juillet 1985 qui a été envoyée à la Navimar par la Shelburne Marine Limited, laquelle était à l’époque une division de la Hall Corporation Shipping Ltd., les frais de refonte du Challenge One, c’est-à-dire les frais que représentait sa transformation en navire de transport de passagers pour le service de traversier, s’élevaient à 243 119 50 $.

Bien que la charte-partie ait été signée le 21 juin 1985, la Sail Labrador a accepté la livraison du Challenge One le 2 juillet 1985, en conformité avec l’article premier de la charte-partie.

Au moment où la Sail Labrador a obtenu le contrat de traversier de l’Administration fédérale et qu’elle a conclu la charte-partie avec la Navimar, ses actionnaires étaient John Andrews, Andrew Wells et Vicki Stokes.

Le 21 juin 1985, à la demande de la Navimar, les parties à la charte-partie et les actionnaires de la Sail Labrador ont conclu un contrat de nantissement [traduction] « dans le but de s’assurer que les clauses et conditions de la charte-partie soient observées et exécutées en conformité avec les modalités du présent contrat ». Aux termes du contrat de nantissement, les actionnaires de la Sail Labrador ont convenu de remettre sans délai à la Navimar des certificats dûment endossés de toutes les actions émises et en circulation. La mention suivante a été inscrite à l’endos des certificats :

[traduction] Les actions en question sont assujetties aux modalités d’un contrat de nantissement conclu le 21 juin 1985 entre les actionnaires, la Navimar Corporation Limited et la Sail Labrador Limited.

Il a été convenu entre les parties au contrat de nantissement que [traduction] « après que la Sail Labrador aura rempli toutes les obligations que la charte-partie met à sa charge, la Navimar rétrocédera les actions aux actionnaires. »

L’article 6 du contrat de nantissement est pertinent à la question à l’examen. Il prévoit :

[traduction] Par dérogation à toute autre entente prévue aux présentes, les actionnaires conviennent qu’aucun acte qui risquerait de compromettre la stabilité financière de la compagnie — notamment toute restructuration ou augmentation du capital de la Sail Labrador, toute nouvelle émission d’actions, tout changement d’administrateurs ou de dirigeant, tout contrat de vente ou de nantissement de l’enteprise de la compagnie — ne sera accompli sans avoir d’abord obtenu le consentement exprès par écrit de la Navimar, consentement que celle-ci peut refuser arbitrairement de donner.

L’article 7 du contrat de nantissement énumère un certain nombre d’événements désignés sous le nom de [traduction] « cas d’inexécution » qui, lorsqu’ils se produisent, donneraient notamment droit à la Navimar d’ [traduction] « exercer pour son propre compte tous les privilèges d’un actionnaire sans être tenue de rendre des comptes aux actionnaires ». En l’occurrence, la Navimar n’a pas invoqué l’article 7 du contrat de nantissement.

Au cours de la saison d’exploitation 1985-1986, John Andrews était l’associé chargé de la gestion de la Sail Labrador. Andrews a toutefois quitté la demanderesse à l’automne 1986. Après le départ de Andrews, Andrew Wells a assumé les fonctions de gestion, c’est-à-dire la supervision de l’équipage du Challenge One, la supervision du carénage annuel du navire exigé par la Direction de la sécurité des navires, les relations avec les divers fournisseurs du navire, les problèmes de sécurité et les relations de la compagnie avec les autres intervenants du domaine de la navigation.

Au cours de sa première année d’activités, la Sail Labrador a rencontré des difficultés financières et, pour remédier à cette situation, Andrew Wells s’est adressé à Me John McGrath, un avocat de St. John’s qui était inscrit au barreau de Terre-Neuve. Me McGrath a examiné les documents financiers de la Sail Labrador en compagnie de son expert-comptable et a décidé d’investir 30 000 $ dans la compagnie. La participation de Me McGrath dans la compagnie a été autorisée par l’Administration fédérale, qui a permis à la Sail Labrador de poursuivre l’exécution de son marché de traversier. Il a été convenu que Me McGrath ne s’occuperait pas des activités quotidiennes de la compagnie. Me McGrath n’était pas au courant des modalités de la charte-partie, mais il savait que la Sail Labrador avait affrété le Challenge One de la Navimar pour une période de cinq ans. Me McGrath n’a jamais agi comme avocat de la Sail Labrador.

Le 11 septembre 1986, Me Hébert a envoyé un télex à la Sail Labrador à l’attention de Andrews et de Me McGrath pour les informer que [traduction] « la Sail Labrador et ses administrateurs ne se conforment pas à l’article 34 de la charte-partie signée le 21 juin 1985 et à l’article 6 du contrat accessoire conclu le même jour, ni aux autres clauses des deux contrats que la Sail Labrador a conclus avec la Navimar Corp. » Me Hébert a avisé la Sail Labrador que la Navimar demandait à la Sail Labrador et à ses actionnaires [traduction] « de signer tous les documents nécessaires exigés par la Navimar Corp. pour corriger cette situation d’ici cinq jours ».

Le télex de Navimar a causé une surprise à Me McGrath, qui n’était pas au courant de l’existence du contrat accessoire de nantissement conclu le 21 juin 1985. En conséquence, Me McGrath a rédigé un contrat de nantissement modifié qu’il a fait parvenir le 17 septembre 1986 à Me John Roil, un avocat du cabinet O’Neil, O’Reilly et Noseworthy de St. John’s (Terre-Neuve). Le 18 septembre 1986, Me Roil a écrit à Me McGrath pour lui suggérer certaines modifications au contrat de nantissement. Me Roil a également déclaré à Me McGrath qu’il faudrait endosser les certificats d’actions pour indiquer qu’ils étaient assujettis au contrat de nantissement révisé. Me Roil a également précisé à Me McGrath que les actions devaient être endossées de manière à ce qu’il soit désigné à titre d’[traduction] « avocat fiduciaire chargé de transférer les actions ». Me Roil s’est engagé à conserver les certificats d’actions et à ne prendre aucune mesure à leur égard [traduction] « sauf dans le cas où nous serions avisés de la survenance d’un « cas d’inexécution » par la Navimar Corporation Limited ». Me Roil a conclu sa lettre en déclarant :

[traduction] Notre client désire que nous envoyions par télécopieur une copie du contrat de nantissement plus tard aujourd’hui. Nous vous saurions par conséquent gré de tout faire en votre pouvoir pour nous envoyer la version définitive dans les plus brefs délais.

Le 25 septembre 1986, un contrat de nantissement révisé a été signé par les nouveaux actionnaires de la Sail Labrador, Donna McGrath, Me John W. McGrath et Judy Diamond. Le contrat de nantissement révisé précise que les nouveaux actionnaires ont acquis leurs actions de John Andrews, Andrew Wells et Vicki Stokes, qui leur ont transféré le 15 mai 1986 les actions qu’ils détenaient dans la Sail Labrador.

Le 3 octobre 1986, Me McGrath a écrit à Me Roil une lettre à laquelle il a joint le contrat de nantissement révisé signé, ainsi que les [traduction] « modifications requises aux actions en question ». De nouveaux certificats d’actions de la Sail Labrador ont été émis et endossés conformément à la demande de Me Roil. Les certificats ont également été endossés au nom de Me John F. Roil en sa qualité d’ [traduction] « avocat chargé de transférer les actions en question dans les livres de la présente compagnie avec pleins pouvoirs de substitution sur les lieux ».

Me McGrath affirme qu’il a retourné le contrat de nantissement révisé dûment signé et les nouvelles actions endossées, conformément à la demande de Me Roil, avec sa lettre du 3 octobre 1986 et qu’ [traduction] « à partir de ce moment-là, tout a marché à merveille ». En effet, la Labrador n’a soulevé pour la première fois la question de la réorganisation de la compagnie Sail Labrador que dans sa lettre du 13 juillet 1989. Voici ce qu’écrit Me Hébert à la page 2 de cette lettre :

[traduction] Ainsi que vous le savez bien, la Navimar n’a jamais encore consenti à quelque changement que ce soit dans les administrateurs ou les actionnaires de la Sail Labrador Ltd. Malgré le fait qu’aucune mesure n’a encore été prise par la Navimar à cet égard, nous désirons vous rappeler que nous réservons nos droits à l’avenir pour le cas où il conviendrait, à notre avis, de prendre le contrôle de la Sail Labrador.

Dans une lettre datée du 31 octobre 1989, les avocats qui représentaient la Sail Labrador ont répondu à l’assertion de Me Hébert suivant laquelle la Navimar n’avait pas consenti à ce que des changements soient effectués au sein de la compagnie. À la page 3 de sa lettre, l’avocate de la Sail Labrador déclare :

[traduction]

5. Il est incorrect d’affirmer que la Navimar n’a jamais accepté qu’il y ait des changements dans les administrateurs ou les actionnaires de la Sail Labrador Limited. La Navimar est au courant depuis un certain temps de la participation de notre client, Me John W. McGrath, et de sa femme dans la compagnie et non seulement a-t-elle choisi de ne rien faire à ce sujet, mais encore a-t-elle effectivement communiqué et eu des rapports avec Me McGrath. Qui plus est, Me McGrath a eu avec l’avocat qui représentait alors la Navimar, Me John F. Roil, c.r., des discussions en profondeur au cours desquelles il a informé Me Roil du changement de propriétaire et, après avoir eu des discussions avec lui, il a rédigé et a envoyé à Me Roil un nouveau projet de contrat de nantissement tenant compte du changement de propriétaire des actions. Me Roil, qui agissait pour le compte de la Navimar, a demandé que certaines modifications soient apportées au contrat. Toutes ces modifications ont été faites et un contrat révisé et signé par les nouveaux actionnaires et la Sail Labrador Limited a été envoyé à Me Roil avec les autres documents qu’il avait demandés. Fait significatif, dans sa lettre du 18 septembre 1986 adressée à Me McGrath, Me Roil déclare expressément que « notre client désire que nous envoyions par télécopieur une copie du contrat de nantissement plus tard aujourd’hui … », reconnaissant de ce fait que la Navimar était au courant du changement de propriétaire et qu’elle était d’accord avec celui-ci. De plus, Me Roil s’engageait à « conserver les certificats d’actions et à ne prendre aucune mesure à leur égard sauf dans le cas où nous serions avisés d’uncas d’inexécution” par la Navimar Corporation Limited ».

6. Vu ce qui précède, votre client est mal venu d’essayer d’adopter le point de vue selon lequel il n’a pas accepté le changement d’administrateurs ou d’actionnaires de la Sail Labrador Limited et de tenter d’invoquer ce fait au soutien des droits qu’il veut faire valoir en vertu de la charte-partie ou du contrat de nantissement.

Je suis tout à fait d’accord avec le point de vue adopté dans la lettre précitée. Il est indéniable, à mon avis, que la Navimar a accepté le changement d’administrateurs et d’actionnaires de la Sail Labrador. Au procès, Me McGrath a témoigné qu’en ce qui le concernait, John Roil était le conseiller juridique de la Navimar pour ce qui était du contrat de nantissement. Me Hébert a toutefois témoigné que John Roil n’était pas son avocat mais [traduction] « une boîte postale pour moi ». Je ne trouve pas le témoignage de Me Hébert crédible. Dans sa correspondance avec Me McGrath, Me Roil semble manifestement croire qu’il était l’avocat de la Navimar. Vu l’ensemble de la preuve, il est impossible de conclure que Me Roil n’était pas l’avocat de la Navimar. À mon avis, la Navimar a accepté le changement d’administrateurs et d’actionnaires de la Sail Labrador.

Je suis par conséquent d’avis que la demanderesse n’a pas contrevenu à l’article 34 de la charte-partie.

2.         Article 11 de la charte-partie

L’article 11 de la charte-partie prévoyait le paiement d’un loyer d’affrètement par la demanderesse à la Navimar. La Navimar soutient que la demanderesse n’a pas fait son versement du 10 juin 1989 à temps. L’article 11 prévoyait l’échéancier annuel de versements suivant :

[traduction] Échéancier annuel

11. Le loyer annuel d’affrètement est payable en sept (7) mensualités chaque année que dure la charte-partie conformément à l’échéancier suivant :

Première année de la charte-partie (1985)

1.

1985

10 août

12 142 85 $

2.

1985

10 septembre

12 142 85 $

3.

1985

10 octobre

12 142 85 $

4.

1985

10 novembre

12 142 85 $

5.

1985

10 décembre

12 142 85 $

6.

1986

10 janvier

12 142 85 $

7.

1986

10 février

12 142 90 $

Deuxième année de la charte-partie (1986)

1.

1986

10 août

12 142 85 $

2.

1986

10 septembre

12 142 85 $

3.

1986

10 octobre

12 142 85 $

4.

1986

10 novembre

12 142 85 $

5.

1986

10 décembre

12 142 85 $

6.

1987

10 janvier

12 142 85 $

7.

1987

10 février

12 142 90 $

Troisième année de la charte-partie (1987)

1.

1987

10 août

12 142 85 $

2.

1987

10 septembre

12 142 85 $

3.

1987

10 octobre

12 142 85 $

4.

1987

10 novembre

12 142 85 $

5.

1987

10 décembre

12 142 85 $

6.

1988

10 janvier

12 142 85 $

7.

1988

10 février

12 142 90 $

Quatrième année de la charte-partie (1988)

1.

1988

10 août

12 142 85 $

2.

1988

10 septembre

12 142 85 $

3.

1988

10 octobre

12 142 85 $

4.

1988

10 novembre

12 142 85 $

5.

1988

10 décembre

12 142 85 $

6.

1989

10 janvier

12 142 85 $

7.

1989

10 février

12 142 90 $

Cinquième année de la charte-partie (1989)

1.

1989

10 juin

12 142 85 $

2.

1989

10 juillet

12 142 85 $

3.

1989

10 août

12 142 85 $

4.

1989

10 septembre

12 142 85 $

5.

1989

10 octobre

12 142 85 $

6.

1989

10 novembre

12 142 85 $

7.

1989

10 décembre

12 142 90 $

Les versements précités sont payables aux propriétaires, à Québec, en espèces et en devises canadiennes sous forme de virement bancaire ou de chèques certifiés déposés dans le compte suivant :

Navimar Corporation Limitée

À LA

Banque de Montréal

800, place d’Youville

Québec

compte / 1081-864

Dans le cas où l’un des versements ne serait pas déposé conformément aux modalités susmentionnées, le propriétaire peut sur-le-champ faire cesser l’exploitation du navire ou retirer celui-ci à l’affréteur sans préjudice des réclamations que le propriétaire peut avoir contre l’affréteur en vertu de la présente charte-partie et sans préjudice des autres droits et réclamations que le propriétaire peut posséder en vertu de toute garantie accessoire consentie par la Sail Labrador Ltd. ou l’un de ses actionnaires, administrateurs ou cautions.

Ainsi qu’il ressort à l’évidence de l’article 11, la Sail Labrador était tenue de faire sept versements de loyer à la Navimar chaque année que durait la charte-partie. La Sail Labrador a versé la somme de 12 142 85 $ à la Navimar à trente-cinq reprises au cours de la période contractuelle de cinq ans. La Sail Labrador n’a fait défaut de faire son versement à temps qu’une seule fois, le 10 juin 1989.

Suivant la preuve, le chèque que la Navimar a reçu pour le versement du 10 juin 1989 a été retourné par la banque de la Sail Labrador pour défaut de provision. Me Wells a expliqué qu’à ce moment-là, la demanderesse avait engagé des dépenses extraordinaires pour le carénage du Challenge One. Pour faire face à ces dépenses, la demanderesse avait obtenu de sa banque, la Banque Royale du Canada, une augmentation de sa marge de crédit. Toutefois, en raison d’une erreur commise par un employé de la banque, le chèque qui était payable à l’ordre de la Navimar a été refusé pour provision insuffisante au moment de sa présentation. Après avoir été informée par la Navimar que le chèque avait été refusé par la Banque Royale, la demanderesse a communiqué avec sa banque. On a rapidement corrigé la situation et la Navimar a reçu le versement de loyer du 10 juin 1989. Dans ces conditions, il y a eu contravention à l’article 11, contravention à laquelle la Sail Labrador a cependant rapidement remédié.

3.         Article 25 de la charte-partie

Aux termes de l’article 25 de la charte-partie, les parties ont convenu que, si la Navimar lui en faisait la demande, la demanderesse remettrait à la Navimar, au terme de chaque traversée, le journal de bord du pont et le journal de bord de la salle des machines. La Navimar soutient qu’elle a, par lettre en date du 25 juin 1988, et de nouveau par lettre datée du 13 juillet 1989, demandé sans succès à la demanderesse de lui remettre les journaux de bord en question. La clause pertinente de la charte-partie est ainsi libellée :

[traduction] Rapports

25. L’affréteur tient le propriétaire au courant des arrivées du navire aux autres ports d’attache que ceux qui sont mentionnées à l’article 3 et de ses départs de ceux-là. À la fin de chaque mois, à la demande du propriétaire, l’affréteur remet les journaux de bord du pont et de la salle des machines.

Il ressort de la preuve que la Navimar a commencé à demander des copies des journaux de bord du pont et de la salle des machines en juillet 1989. Voici, plus précisément, ce que Normand Hébert a écrit à la Sail Labrador dans sa lettre du 13 juillet 1989 :

[traduction] JOURNAUX DE BORD

Dans l’intervalle, nous vous demandons par la présente de nous remettre à la fin de chaque mois, conformément à l’article 25 de la charte-partie, les journaux de bord du pont et de la salle des machines dans lesquels sont consignées les traversées faites en 1989, y compris notamment les traversées faites jusqu’à St. John’s ou à partir de St. John’s pour le carénage et le désarmement hivernal du navire. Nous comptons sur vous pour recevoir une copie de ces journaux de bord la première semaine de chaque mois pendant la saison 1989. Les journaux de bord de janvier à juin seront réclamés dans les sept jours de la réception de la présente.

En contre-interrogatoire, Andrew Wells a expliqué que faire des photocopies des journaux de bord à Jackson’s Arm n’était pas une tâche facile, étant donné qu’il n’y avait pas de photocopieurs commerciaux. En conséquence, des photocopies des journaux de bord n’ont pas été envoyées régulièrement à la Navimar, comme l’exigeait l’article 25. Dans ces conditions, la demanderesse a contrevenu à l’article 25. Je traiterai plus loin de la nature de cette contravention et des conséquences qui en découlent.

4.         Article 9 de la charte-partie

La Navimar affirme que la demanderesse a contrevenu à l’article 9 de la charte-partie aux termes duquel les parties ont convenu que :

[traduction] Désarmement pour l’hiver

9. Chaque hiver, dès que le navire cesse son service régulier, l’affréteur prend des dispositions pour le désarmer en lieu sûr et prend à sa charge toutes les dépenses afférentes à sa garde en lieu sûr et à son remisage en cale sèche conformément à la réglementation canadienne ou lorsque ces mesures sont rendues nécessaires pour procéder à des réparations ou à l’entretien sous-marin du navire.

Le navire ne doit pas être laissé à flot durant l’hiver dans quelque port qui est sujet aux glaces, à moins que les glaces en question ne menacent pas la sécurité du navire et à condition que le navire soit pleinement assuré contre ce type de risque. Tous les tuyaux doivent être dûment vidés et/ou remplis d’antigel lorsque le risque de gel est possible ou prévu.

La Navimar allègue que la demanderesse a contrevenu à cette clause au cours de l’hiver 1987-1988 lorsque, sans son consentement, elle a désarmé le navire en le laissant à flot à Jackson’s Arm (Terre-Neuve), un port sujet aux glaces, compromettant ainsi la sécurité du navire.

Au cours de la saison d’exploitation, le port d’attache du Challenge One était Jackson’s Arm. À la fin de chaque saison, la demanderesse désarmait le navire au port de St. John’s. Toutefois, en décembre 1987, la demanderesse ne l’a pas fait, parce que le navire ne pouvait pas quitter Jackson’s Arm. En effet, le port a gelé du jour au lendemain et le Challenge One, qui devait se rendre à St. John’s le lendemain, a été immobilisé à Jackson’s Arm.

Compte tenu de cette situation, la demanderesse a communiqué avec la Garde côtière canadienne et avec ses assureurs pour obtenir leur approbation afin de laisser le Challenge One à Jackson’s Arm pour l’hiver. Le 8 décembre 1987, la Garde côtière canadienne a écrit à Andrew Wells, un des administrateurs de la demanderesse, pour l’aviser que le Challenge One pouvait demeurer à Jackson’s Arm [traduction] « à condition qu’il soit amarré dans un mouillage sûr ». Ce renseignement a été transmis aux assureurs du Challenge One. La demanderesse a également informé ses assureurs qu’elle prendrait [traduction] « des dispositions pour faire enlever à l’occasion du navire la glace qui peut s’y former ». Finalement, la demanderesse a informé ses assureurs que l’un de ses employés s’occuperait de l’entretien du navire [traduction] « pour s’assurer que tout soit dans l’ordre ». Par suite de ces renseignements, les assureurs ont autorisé la demanderesse à désarmer le navire à Jackson’s Arm.

L’article 9 de la charte-partie n’exige pas le consentement de la Navimar. Cet article prévoit simplement que l’affréteur doit désarmer le navire en lieu sûr. Il prévoit en outre que le navire ne doit pas être laissé à flot dans un port qui est sujet aux glaces, à moins que les glaces ne compromettent pas sa sécurité et à condition que le navire soit pleinement assuré contre ce risque.

En l’espèce, la demanderesse a effectivement pris des mesures pour protéger le Challenge One contre les glaces, et les assureurs ont accepté de continuer à couvrir ce risque pendant que le navire demeurerait à Jackson’s Arm pour l’hiver. Dans ces conditions, je suis d’avis que la demanderesse n’a pas contrevenu à l’article 9 de la charte-partie.

5.         Article 15 de la charte-partie

Aux termes de l’article 15 de la charte-partie, les parties ont convenu qu’un avis indiquant que la Navimar était la propriétaire du Challenge One serait affiché sur le navire à un endroit bien en vue et qu’il y demeurerait pendant toute la durée de la charte-partie. La Navimar allègue que la demanderesse a manqué à cette obligation en ne s’assurant pas que cet avis soit affiché.

L’article 15 stipule :

[traduction] Privilèges grevant le navire

15. Ni l’affréteur ni le capitaine du navire n’a le droit, le pouvoir ou l’autorité de créer ou de permettre que soit créé quelque privilège que ce soit sur le navire, à l’exception des privilèges relatifs au salaire de l’équipage et au sauvetage. L’affréteur convient de conserver une copie certifiée conforme de la présente charte-partie dans les papiers du navire, et de la produire sur demande à toute personne qui fait avec le navire des affaires qui pourraient donner lieu à un privilège sur le navire, exception faite des privilèges relatifs au salaire de l’équipage et au sauvetage. L’affréteur convient d’aviser toute personne qui fournit des réparations, des fournitures, du remorquage ou d’autres approvisionnements nécessaires que ni l’affréteur ni le capitaine n’a le droit, le pouvoir ou l’autorité de créer ou de permettre que soit créé quelque privilège que ce soit sur le navire, à l’exception des privilèges relatifs au salaire de l’équipage et au sauvetage. L’affréteur convient de conserver une copie certifiée conforme de la présente charte-partie dans les papiers du navire, et de la produire sur demande à toute personne qui fait avec le navire des affaires qui pourraient donner lieu à un privilège sur le navire, exception faite des privilèges relatifs au salaire de l’équipage et au sauvetage. L’affréteur convient d’aviser toute personne qui fournit des réparations, des fournitures, du remorquage ou d’autres approvisionnements nécessaires que ni l’affréteur ni le capitaine n’a le droit, le pouvoir ou l’autorité de créer ou de permettre que soit créé quelque privilège que ce soit sur le navire, à l’exception des privilèges relatifs au salaire de l’équipage et au sauvetage. Cet avis doit, dans la mesure du possible, être donné par écrit. L’affréteur convient en outre d’afficher l’avis suivant sur le navire à un endroit bien en vue et de l’y garder pendant toute la durée de la présente charte-partie :

« Le présent navire est la propriété de la NAVIMAR CORPORATION LIMITÉE, 83, rue Saint-Pierre, à Québec. Il a été affrété à la SAIL LABRADOR LTD. et aux termes de la charte-partie, ni l’affréteur ni le capitaine n’a le droit, le pouvoir ou l’autorité de créer ou de permettre que soit créé quelque privilège que ce soit sur le navire, à l’exception des privilèges relatifs au salaire de l’équipage et au sauvetage. »

Suivant Andrew Wells, la demanderesse a affiché sur le pont du Challenge One l’avis de propriété de la Navimar, mais cet avis a été enlevé à quelques reprises lorsque des travaux ont été effectués sur le navire, particulièrement sur le pont. En conséquence, lorsque, à deux reprises, Me Hébert a visité le Challenge One, l’avis ne se trouvait pas à son endroit habituel. J’accepte le témoignage de M. Wells sur ce point et, en conséquence, je suis d’avis que la demanderesse n’a pas contrevenu à l’article 15 de la charte-partie.

6.         Article 28 de la charte-partie

L’article 28 de la charte-partie est ainsi libellé :

[traduction] Modifications

28. L’affréteur s’engage à ne faire aucune modification structurelle au navire sans avoir d’abord obtenu le consentement du propriétaire.

La Navimar allègue que la Sail Labrador a, sans son consentement, modifié une écoutille de chargement sur l’arrière-pont du navire et qu’elle a enlevé une grue de manutention de cargaison.

J’examinerai d’abord l’allégation de la Navimar suivant laquelle la Sail Labrador a modifié l’écoutille de chargement du navire sans son consentement. Plus précisément, avant la saison d’exploitation 1986, la Sail Labrador a agrandi l’écoutille de chargement du navire. Suivant M. Wells, l’agrandissement de l’écoutille de chargement (de quatre pieds sur quatre pieds à cinq pieds sur six pieds) était une condition que la Sail Labrador devait remplir pour pouvoir obtenir le marché de transport par traversier de l’Administration fédérale. M. Wells a témoigné que ces travaux n’avaient pas été faits convenablement en mai 1985 et que tous étaient d’accord pour dire qu’il fallait les reprendre l’année suivante. M. Wells a également témoigné que l’Administration fédérale avait fourni des fonds à la Sail Labrador pour lui permettre d’effectuer les travaux en 1986. Suivant Andrew Wells, Me Normand Hébert savait que les dimensions de l’écoutille de chargement étaient trop étroites et qu’il faudrait à la longue l’agrandir. Suivant M. Wells, Me Normand Hébert n’a jamais indiqué qu’il s’opposait à cette modification. En revanche, Me Hébert a témoigné qu’il n’avait pas été mis au courant de la modification apportée à l’écoutille de chargement.

Je préfère le témoignage de Wells à celui de Me Hébert. Je devrais peut-être souligner ici que le témoignage que Me Hébert a donné au cours du procès ne m’a pas beaucoup impressionné. Ainsi que je l’ai déjà dit, en ce qui concerne l’allégation de la Navimar suivant laquelle la demanderesse avait changé d’administrateurs et d’actionnaires sans son consentement, je n’ai pas trouvé Me Hébert très crédible. Me Hébert ne m’a pas impressionné par sa franchise. Au contraire, j’avais l’impression que répondre franchement aux questions n’était pas sa priorité. Je retiens donc le témoignage d’Andrew Wells suivant lequel Me Hébert était au courant de l’agrandissement de l’écoutille de chargement. Il y a certains éléments de preuve qui corroborent le témoignage de Wells suivant lequel l’agrandissement de l’écoutille de chargement n’avait pas été effectué, comme prévu, avant l’ouverture de la saison d’exploitation 1985. Dans une note de service datée du 10 mars 1986 et intitulée [traduction] « MV Challenge One — carénage 1986 », P. M. Bailey, superviseur des services de Terre-Neuve, Politiques et Programmes maritimes au ministère des Transports du gouvernement du Canada informe J. P. Turcotte que la modification de la [traduction] « petite écoutille » du Challenge One n’était pas terminée parce que les travaux [traduction] « auraient retardé encore davantage l’entrée en service du navire ». Plus précisément, Bailey a déclaré :

[traduction] Le quatrième point aurait dû être fait par le chantier naval de Shelburne avant que le navire n’entre en service. Il a été décidé, si j’ai bonne mémoire, d’exploiter le navire avec la petite écoutille, étant donné que cette modification aurait retardé encore davantage l’entrée en service du navire. La possibilité d’installer une plus grande écoutille serait étudiée avant de procéder à d’autres modifications.

On se rappellera que la demanderesse a pris livraison du Challenge One le 2 juillet 1985, même si la saison d’exploitation avait habituellement lieu du 10 juin au 2 janvier chaque année. Ainsi, en 1985, le Challenge One est entré en service avec quelque trois semaines de retard. Dans ces conditions, j’en viens à la conclusion que la demanderesse n’a pas contrevenu à la charte-partie lorsqu’elle a agrandi l’écoutille de chargement.

Je passe maintenant à la seconde allégation de contravention à la charte-partie qu’a formulée la Navimar. La Navimar affirme en effet que la Sail Labrador a remplacé la grue de manutention de cargaison sans son consentement.

Avant l’ouverture de la saison 1985 du Challenge One, la Sail Labrador a placé à bord du navire une grue qui, pour citer Wells, [traduction] « n’était bonne à rien ». Wells a témoigné que la demanderesse avait par la suite décidé de remplacer la grue par un système mieux adapté et que ce remplacement avait eu lieu lors du carénage de 1986. La nouvelle grue a été inspectée par la Direction de la sécurité des navires de la Garde côtière canadienne (la Direction) et a été approuvée.

Wells a témoigné qu’il ne pouvait affirmer avec certitude si la Navimar avait été avisée que la grue avait été remplacée. Il a toutefois présumé que la Navimar devait avoir été mise au courant de ce changement, étant donné que, conformément à l’article 24 de la charte-partie, le navire était inspecté chaque année par un « inspecteur » désigné par la Navimar. De plus, Andrew Wells a témoigné qu’il parlait régulièrement à Me Hébert et que celui-ci avait à plusieurs reprises visité le Challenge One.

Quant à Me Hébert, il a témoigné qu’il n’avait jamais été mis au courant du fait que la grue avait été remplacée. Là encore, je suis disposé à accepter le témoignage de Wells suivant lequel, selon toute probabilité, Me Hébert était au courant que la grue avait été remplacée. De toute façon, je suis loin d’être convaincu que le remplacement de la grue constitue un changement structurel qui nécessitait le consentement de la Navimar. À mon avis, une grue est simplement un objet d’équipement qui est placé sur un navire pour charger et décharger de la cargaison. Cet objet d’équipement ne fait pas partie, à mon avis, de la structure du navire.

7.         Article 8 de la charte-partie

Finalement, la Navimar affirme que la Sail Labrador n’a pas obtenu le consentement de la Direction en ce qui concerne le remplacement de l’écoutille de chargement, comme l’exigeait l’article 8 de la charte-partie. L’article 8 dispose :

[traduction] L’affréteur maintient à ses frais le navire en bon état de fonctionnement et s’assure qu’il demeure, pour l’essentiel, dans le même état que celui dans lequel il l’a reçu du propriétaire. Il en fait le carénage régulier et effectue les réparations nécessaires. Pendant toute la durée de la présente charte-partie, l’affréteur prend à sa charge tous les coûts et assume l’entière responsabilité de l’entretien du navire et s’assure de la conformité du navire avec toutes les exigences de la Direction de la sécurité des navires et s’engage notamment à remplacer ou à réparer les composantes mécaniques, moteurs, gouvernails, propulseurs, pièces d’équipement électronique, matériel de sécurité, bordés, structures, portes, sabords, hublots, installations destinées aux passagers et à la cargaison, chaudières, équipement de navigation, pompes du groupe moteur, etc.

Wells a témoigné qu’un représentant de la Direction à Corner Brook (Terre-Neuve) était venu inspecter le navire alors qu’il était en radoub en prévision de la saison d’exploitation 1986 et qu’il était parfaitement au courant de la modification apportée à l’écoutille de chargement. Bien qu’il ne fût consigné nulle part au bureau de la Direction à Montréal que cette modification avait été faite, je suis convaincu que la Direction était au courant de cette modification et que celle-ci satisfaisait à ses exigences. Il faut également se rappeler que, comme tous les autres navires canadiens, le Challenge One faisait l’objet d’une visite annuelle de la Direction et qu’une modification à l’écoutille de chargement n’échapperait pas facilement à l’attention des inspecteurs de la Direction.

Je suis par conséquent convaincu que la Sail Labrador n’a pas contrevenu à l’article 8 de la charte-partie, étant donné que le propriétaire a consenti aux changements.

J’ai par conséquent conclu que la demanderesse n’a pas contrevenu aux articles 8, 9, 15, 28 et 34 de la charte-partie. J’ai également conclu que la demanderesse a contrevenu aux articles 11 et 25. Je passe maintenant à l’examen des règles de droit pertinentes à la question que je dois trancher. À l’ouverture du procès, les parties m’ont informé qu’elles avaient convenu qu’il n’y avait qu’une seule question litigieuse à trancher, c’est-à-dire celle de savoir si, eu égard aux circonstances de la présente affaire, la demanderesse avait le droit de lever l’option d’achat prévue à l’article 30 de la charte-partie.

ANALYSE

A.        INTRODUCTION

Une charte-partie coque nue[3] est un contrat de location d’un navire par lequel l’affréteur acquiert du propriétaire le droit exclusif de posséder et de contrôler le navire pour une durée déterminée. Les auteurs de l’ouvrage Shipbroking and Chartering Practice[4] définissent de la manière suivante la [traduction] « charte-partie coque nue assortie d’une option d’achat » :

[traduction] En pratique, cela signifie que le bailleur de fonds met la coque et la machinerie — ou, en d’autres termes, uniquement le navire, sans équipage et sans armement — à la disposition de l’affréteur, lequel doit en assumer la gestion et l’exploitation commerciale et qui a l’option de se porter acquéreur du navire à une date et à un prix mutuellement convenus d’avance. Les revenus tirés de ce commerce servent au paiement du loyer d’affrètement et du prix d’achat versé aux propriétaires officiels en leur qualité de locateurs et de bailleurs de fonds. Les propriétaires ne sont pas partisans de ce type d’entente, étant donné qu’ils n’ont pas de véritable contrôle sur l’exploitation et l’entretien du navire et qu’ils ne s’attendent pas (selon l’expérience vécue dans trop de cas) à ce que le navire leur soit remis, à l’expiration de la charte-partie coque nue, dans un état qui soit à la hauteur des normes applicables, dans le cas où, pour une raison ou pour une autre, les affréteurs ne lèveraient pas leur option d’achat. En outre, il se peut que le marché se soit entretemps détérioré du point de vue des propriétaires, de sorte qu’ils peuvent se retrouver avec un navire non utilisé qui a grand besoin de travaux coûteux d’entretien et de radoub[5].

Il existe peu de décisions qui portent directement sur les chartes-parties coque nue assorties de clauses d’option d’achat. Étant donné qu’une charte-partie coque nue équivaut en réalité à un contrat de location d’un bien meuble par lequel le propriétaire ne conserve sur le navire aucun droit autre que son droit de propriété[6], l’interprétation de la charte-partie est régie par les principes généraux de common law relatifs aux contrats. Le principal droit que possède le propriétaire du navire est donc celui de recevoir le paiement stipulé à la charte-partie et de se voir remettre le navire en bon état à l’expiration du contrat, sous réserve de l’usure normale[7]. Scrutton on Charterparties[8] appuie cette interprétation :

[traduction] La charte-partie coque nue est en réalité un contrat de location d’un bien meuble et elle est donc régie par les principes généraux de la common law relatifs aux contrats de louage. La charte-partie coque nue renferme donc implicitement l’engagement que, lors de sa livraison, le navire est, autant qu’une diligence et une habileté raisonnables le permettent, apte à l’objet pour lequel il est loué. La responsabilité de l’affréteur en ce qui concerne les avaries causées au navire est assujettie aux exceptions habituelles de la common law[9]. [Renvois omis.]

Les principes sont identiques en droit américain : les chartes-parties sont régies par les principes habituels du droit des contrats[10]. En droit américain, tout comme en droit anglais, les attributs du droit de propriété sont, aux termes de la charte-partie coque nue, dévolus à l’affréteur, tandis que le propriétaire conserve le droit de retour[11]. Les obligations que la charte-partie coque nue met à la charge de l’affréteur consistent à payer le loyer d’affrètement et à remettre le navire en bon état, sous réserve de l’usure normale[12].

B.        INTERPRÉTATION DES CONTRATS ASSORTIS D’OPTIONS D’ACHAT

1.         Compétence de la Cour fédérale du Canada pour accorder une réparation en equity

Bien que les parties n’aient pas soulevé cette question, j’estime qu’il est nécessaire d’examiner brièvement la compétence de notre Cour pour accorder des réparations en equity. L’article 3 de la Loi sur la Cour fédérale[13] constitue la Cour fédérale à titre de tribunal d’equity. Cet article porte :

3. Tribunal de droit, d’equity et d’amirauté du Canada, la Cour fédérale du Canada est maintenue à titre de tribunal additionnel propre à améliorer l’application du droit canadien. Elle continue d’être une cour supérieure d’archives ayant compétence en matière civile et pénale.

Malgré le fait qu’elle soit créée par la loi, la Cour fédérale peut, lorsque le sujet relève par ailleurs de sa compétence et que les principes d’equity s’appliquent à la question, exercer les pouvoirs et accorder les réparations d’un tribunal d’equity[14]. Lorsque les conditions applicables sont réunies, il est loisible à la Cour fédérale de relever une partie d’une déchéance en vertu de l’equity[15]. Il est donc évident que les parties peuvent invoquer la compétence en equity de la Cour pour obtenir une réparation.

2.         Interprétation des contrats assortis d’options d’achat

a)         Définition

Le sens de l’option d’achat a été examiné dans l’arrêt Canadian Long Island Petroleums Ltd. et al. c. Irving Industries Ltd. :

Une option, lorsqu’elle est accordée, donne à l’optant le droit, qu’il peut exercer à l’avenir, d’obliger l’optionnaire à lui céder les biens qui font l’objet de l’option[16].

La nature d’une option d’achat est, lorsque l’option est accordée, de donner à la personne qui a le droit de lever l’option le droit d’exiger qu’on lui transfère les biens si certains événements, dont il a seul le contrôle, se produisent. L’objet du contrat d’option n’est pas la vente des biens eux-mêmes, mais plutôt les circonstances qui donnent naissance à un contrat de vente exécutoire[17].

Dans son article[18] intitulé « Options, Rights of Repurchase and Rights of First Refusal as Contracts and as Interest in Land », Paul M. Perell énumère les trois principales caractéristiques de l’option :

1. Exclusivité et irrévocabilité de l’offre de vente dans le délai précisé dans l’option;

2. Précision quant à la façon dont le contrat de vente peut être créé par le bénéficiaire de l’option;

3. Obligation des parties de conclure un contrat de vente si l’option est levée.

Dans l’arrêt Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada[19], le juge Major, qui écrivait au nom d’une Cour suprême du Canada unanime, déclare :

Un contrat d’option est un avant-contrat parce qu’il précède le contrat d’achat-vente qui résultera si l’occasion accordée par l’option est « saisie ». Une fois l’option levée, les parties remplissent leurs obligations en vertu du contrat d’option en concluant le contrat d’achat-vente. La levée d’une option est le choix d’acquérir un bien aux conditions établies dans le contrat d’option, et équivaut à l’acceptation de l’offre irrévocable faite dans l’option.

Le mécanisme de conversion d’une option d’achat en un contrat de vente a été décrit par lord Diplock dans l’arrêt Sudbrook Trading Estate Ltd. v. Eggleton :

[traduction] La clause d’option ne saurait être qualifiée de simple « engagement à conclure un accord ». Il ne reste aucune condition sur laquelle les parties doivent s’entendre. En langage moderne, elle doit être qualifiée de contrat unilatéral ou conditionnel. Bien qu’elle crée, dès le départ, pour les locataires un droit qu’ils pourront, sans y être obligés, opposer aux bailleurs à une date ultérieure, elle ne donne naissance à aucune obligation légale pour ni l’une ni l’autre des parties tant et aussi longtemps que les locataires n’avisent pas par écrit les bailleurs, dans le délai imparti, de leur désir d’acheter la réversion du propriétaire franc relative au bail. Cette notification change toutefois le contrat conditionnel en un contrat synallagmatique ou bilatéral qui créé des droits et des obligations juridiques réciproques entre les bailleurs et les locataires[20].

La « notification » dont il était question dans l’arrêt Sudbrook Trading était la seule condition à remplir pour pouvoir lever l’option. Une fois que l’option était levée, aucun autre avis ou consentement n’était nécessaire, étant donné qu’un contrat de vente pleinement exécutoire avait été créé. Le juge Major a cité et approuvé cette opinion dans l’arrêt Mitsui, précité.

b)         Le principe de minimis

Il est de jurisprudence constante que les dérogations minimes aux clauses d’un contrat ne sont pas considérées comme des contraventions : de minimis non curat lex. Ce principe a été explicitement reconnu en droit maritime :

[traduction] Pour déterminer s’il y a eu contravention à une obligation contractuelle stipulée dans un contrat commercial, on ne tient pas compte des entorses négligeables aux clauses du contrat (Margaronis Navigation v. Peabody, [1964] 2 Lloyd’s Rep. 153).

Dans cette décision, le lord juge Sellers a déclaré : « Il me semble que, dans chaque affaire, le tribunal est appelé à examiner le fond de l’affaire et à ne pas tenir compte et à ne pas donner effet à ce que le tribunal estime être indéniablement des bagatelles, des choses de peu d’importance, de caractère insignifiant ou négligeable. » Le lord-juge Diplock a ajouté : « Il me semble que le droit a toujours considéré comme exécuté le contrat de livraison ou de chargement d’une quantité déterminée de marchandises si cette quantité a été livrée avec une marge d’erreur qu’il n’est pas possible d’éviter sur le plan commercial[21].…

c)         La théorie de « la contravention périmée »

En droit britannique, suivant le principe applicable aux contrats unilatéraux, tels que les options d’achat, toutes les conditions du contrat unilatéral doivent être rigoureusement remplies, à défaut de quoi aucun contrat exécutoire n’est créé[22]. Dans une ancienne affaire anglaise portant sur le sujet, l’affaire Finch v. Underwood[23], un locataire avait droit à la reconduction de son bail à la condition d’avoir rempli ses engagements, et notamment à la condition d’avoir conservé la propriété en bon état. À l’expiration du bail, la propriété avait besoin de réparations « négligeables ». La Cour d’appel a jugé que le locataire n’avait pas le droit à la reconduction du bail parce que :

[traduction] Le locataire doit respecter intégralement l’engagement de reconduction qui est prévu au bail. Si cet engagement est assorti de conditions préalables qu’il doit remplir avant de pouvoir se prévaloir de cette reconduction et qu’il ne les a pas remplies, un tribunal d’equity ne pourra lui accorder de réparation.

Le lord juge Diplock a expliqué ce raisonnement dans les termes suivants : 

[traduction] … il n’y a pas lieu de se demander si l’acte accompli par le bénéficiaire de la promesse à l’occasion de sa présumée exécution du contrat unilatéral équivaut à une rupture de garantie ou au non-respect d’une condition de sa part, car il n’est aucunement tenu d’accomplir quelque acte que ce soit ou de s’en abstenir. En second lieu, pour ce qui est du promettant, il convient dans un premier temps de se demander si l’événement qui, aux termes du contrat unilatéral, fait naître les obligations du promettant, s’est produit. On ne peut répondre à cette question que par un « oui » ou par un « non ». L’événement doit être constaté en fonction de la définition qu’en donne le contrat unilatéral; mais si l’événement qui s’est produit ne répond pas à cette définition, le débat est vidé. Il n’appartient pas au tribunal d’attribuer des conséquences différentes à l’inobservation par une partie de la définition de l’événement en question par rapport à toute autre partie de celle-ci si les parties ne l’ont pas fait aux termes du contrat. Voir la jurisprudence relative aux options … En effet, la question à se poser est, comme dans l’affaire Hong Kong Fir, celle de savoir ce que les parties ont convenu de faire et non celle de savoir quelles sont les conséquences de leur défaut de faire ce qu’elles avaient convenu de faire. Dans le cas d’un contrat unilatéral, on ne peut se poser cette question tant que l’événement donnant lieu aux obligations du promettant ne s’est pas produit[24]. [Renvois omis.]

En droit anglais, les tribunaux ont reconnu l’existence d’une exception au principe de la stricte observation de tous les engagements avant qu’une option d’achat puisse être levée. Ainsi, lorsque la levée de l’option est conditionnelle à l’exécution de certains engagements, on n’empêchera pas le bénéficiaire de l’option de lever celle-ci en raison de contraventions antérieures si les contraventions sont « périmées », en ce sens qu’elles ne donnent pas ouverture à un droit de recours qui peut encore être exercé[25].

L’obligation de respecter rigoureusement toutes les conditions du contrat avant de pouvoir lever une option d’achat est également affirmée en droit canadien. Ainsi, dans l’arrêt Pierce v. Empey[26], un arrêt de principe sur la question, le juge en chef Duff déclare :

[traduction] Il est de jurisprudence constante que le demandeur qui réclame l’aide du tribunal pour obtenir l’exécution forcée d’une option d’achat d’un bien-fonds doit démontrer qu’il a rigoureusement observé les modalités de l’option, et notamment les modalités relatives aux délais à respecter. Le propriétaire n’est nullement tenu de vendre tant que les conditions préalables ne sont pas remplies ou que, en raison de sa conduite, le titulaire de l’option n’est pas dispensé de les remplir rigoureusement pour un motif reconnu en equity[27]

Bien que les tribunaux canadiens aient bien précisé que la personne qui cherche à lever une option a le fardeau d’établir qu’elle a respecté les conditions préalables à la levée de l’option[28], il est également clair que cet énoncé n’exclut pas l’application des théories fondées sur l’equity qui permettent de dispenser le titulaire de l’option de l’obligation de respecter rigoureusement les conditions de l’option.

Bien qu’elle ne soit pas désignée sous ce vocable, la théorie anglaise de la « contravention périmée » en tant qu’exception à la théorie de la rigoureuse observation de toutes les modalités du contrat avant la levée de l’option existe dans la jurisprudence canadienne. Dans une ancienne affaire portant sur la question, le juge Laidlaw de la Haute Cour de l’Ontario a statué que la question de savoir si un preneur à bail peut lever une option d’achat malgré son manquement à l’un de ses engagements du bail dépendait de l’intention des parties telle qu’elle ressortait du bail lui-même[29]. Leurs Seigneuries ont statué que l’option d’achat contenue dans un bail constituait un contrat distinct et indépendant et que, faute de termes du bail rendant expressément la levée de l’option conditionnelle à l’exécution des engagements stipulés au bail, le bénéficiaire de l’option pouvait lever son option même s’il avait manqué à l’un des engagements contenus au bail[30].

Dans l’arrêt Petrillo et al. v. Nelson[31], la Cour d’appel de l’Ontario a fait remarquer que les options peuvent être interprétées comme tout autre contrat. Bien qu’une condition préalable à la levée de l’option puisse être l’exécution en bonne et due forme de tous les engagements, pour démontrer que l’on a bel et bien exécuté ses engagements, il n’est pas nécessaire de faire la preuve d’une exécution stricte. Il suffit de démontrer que les engagements ont déjà été exécutés lorsque l’option est levée. Le juge Weatherston a analysé la jurisprudence pertinente :

[traduction] L’option de reconduction, de prorogation ou d’achat qui est contenue dans un contrat hypothécaire, un bail ou tout autre acte constitue un contrat qui lie les parties et qui doit être interprété comme tout autre contrat. Dans l’arrêt Fingold v. Hunter, [1944] O.W.N. 287, [1944] 3 D.L.R. 43, une option d’achat dépendait « de l’exécution satisfaisante de tous les engagements stipulés aux présentes ». Le juge en chef de l’Ontario, le juge Robertson, a déclaré, aux p. 289 et 290 O.W.N., 46 à 48 D.L.R. :

L’exécution satisfaisante des engagements du preneur à bail constitue une condition préalable à la levée de l’option (Finch v. Underwood (1876), 2 Ch. D. 310; Bastin v. Bidwell (1881), 18 Ch. D. 238; Simons v. Associated Furnishers, Limited, [1931] 1 Ch. 379). C’est au preneur à bail qu’il incombe en pareil cas de démontrer qu’il a exécuté les obligations dont son droit dépend (Forbes v. Connolly (1857), 5 Gr. 657, à la page 661). Il est toutefois de jurisprudence constante que, pour démontrer qu’il a exécuté de façon satisfaisante ses engagements, le preneur à bail n’est pas nécessairement tenu de faire la preuve d’une exécution stricte. Il lui suffit de démontrer que les engagements ont été exécutés au moment où le bailleur doit tenir ou exécuter sa promesse (Loveless v. Fitzgerald et al. (1909), 42 R.C.S. 254; Starkey v. Barton, [1909] 1 Ch. 284).

Les décisions publiées que j’ai pu trouver concernent toutes des options de reconduction ou ce qu’on appelle à bon droit des options d’achat. Aucune de ces options ne dépend d’une stipulation comme celle qu’invoque l’appelant en l’espèce. Il semblerait que le principe posé dans ces autres décisions est que lorsque, comme en l’espèce, il existe une condition préalable dont le preneur à bail doit démontrer l’exécution pour obtenir gain de cause contre le bailleur, le moment où il doit faire la preuve de l’exécution de la condition préalable est le moment où il affirme que, de son côté, le bailleur n’a pas observé les dispositions des stipulations invoquées.

Voir également les décisions Sparkhall v. Watson, [1954] O.W.N. 101, [1954] 2 D.L.R. 22; Re Spiegel and Modernage Furniture Ltd., [1972] 1 O.R. 625, 23 D.L.R. (3d) 665; Re Pacella et al. and Giuliana et al. (1977), 16 O.R. (2d) 6, 77 D.L.R. (3d) 36[32].

Le point de vue selon lequel il suffit au bénéficiaire de l’option de remédier à l’inobservation du contrat avant la levée de l’option pour pouvoir rendre la levée de l’option exécutoire a également été adopté par la Cour suprême de l’Alberta dans le jugement Amyotte v. Urchyshyn and Urchyshyn[33]. Dans cette affaire, l’une des questions soumises à la Cour était celle de savoir si le demandeur, qui avait conclu un bail assorti d’une option d’achat, était irrecevable à lever l’option parce qu’il avait payé son loyer en retard. Le juge Brennan a conclu que, premièrement, la clause d’option n’était pas libellée de telle manière que le manquement du demandeur à l’une des obligations du bail lui faisait perdre les droits que lui conférait la clause d’option. Le juge a poursuivi en concluant, en second lieu, que, même si l’intention des parties était que le manquement du demandeur lui fasse perdre les droits qu’il possédait en vertu de la clause d’option, le demandeur avait remédié à tout manquement au moment de la levée de l’option[34]. Pour conclure en ce sens, le juge Brennan s’est fondé sur le jugement Birchmont Furniture Ltd. v. Loewen[35] de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba.

L’affaire Birchmont concernait un bail portant sur des biens-fonds et des bâtiments. Ce bail conférait à la preneuse à bail une option d’achat [traduction] « à la condition que la locataire respecte chacune des clauses expresses ou implicites du bail » pendant la durée du bail. La demanderesse (la preneuse à bail) avait levé l’option d’achat dans le délai imparti. La preneuse à bail avait manqué à certains des engagements qu’elle avait contractés aux termes du bail, et le défendeur invoquait ce manquement pour refuser à la demanderesse le droit de lever l’option. La demanderesse avait remédié à toutes les conséquences du manquement au moment de la levée de l’option. Après avoir cité de nombreux précédents, le juge Wright a donné gain de cause à la demanderesse et a déclaré :

[traduction] La date à retenir est évidemment la date à laquelle l’option est levée. Étant donné que j’ai conclu qu’elle avait remédié à son manquement à cette date, la demanderesse obtient gain de cause en l’espèce en ce qui concerne son droit de se porter acquéresse de la propriété et il n’est pas nécessaire de traiter du moyen subsidiaire relatif à la reconduction du bail[36].

En résumé, les tribunaux ont examiné le libellé du contrat lui-même pour déterminer si l’equity doit intervenir. Les tribunaux ont jugé qu’il faut un libellé explicite pour rendre la levée de l’option conditionnelle à l’observation des clauses du contrat[37]. Malgré cela, les tribunaux ont adopté des points de vue différents relativement à des clauses semblables contenues dans des baux. Ainsi, dans l’affaire Sparkhall v. Watson[38], une modalité de l’option de reconduction était que le locataire devait payer le loyer [traduction] « dûment et régulièrement ». Le tribunal a interprété cette stipulation comme signifiant que le loyer devait être payé de façon rigoureuse et à la date prévue. Toutefois, dans l’affaire McLaughlin v. Bodnarchuk[39], cette même expression a été interprétée comme signifiant que quelques versements en retard ne rendaient pas le locataire irrecevable à lever l’option.

3.         Article 30 de la charte-partie

L’article 30 de la charte-partie est ainsi libellé :

[traduction] À la condition qu’il exécute toutes les obligations que la présente charte-partie met à sa charge, et notamment qu’il fasse les versements prévus promptement et en conformité avec l’annexe de l’article 10 pendant toute la durée du contrat, l’affréteur a l’option d’acheter le navire à l’expiration de la période de cinq (5) ans de la présente charte-partie moyennant la somme de deux cent mille dollars (200 000 $) en espèces, s’il avise le propriétaire par écrit de son intention de se porter acquéreur du navire au plus tard le 31 mars 1990.

Cette option ne peut être levée que pendant les quinze (15) jours suivant l’envoi par l’affréteur de l’avis précité au propriétaire et doit faire l’objet d’un paiement en espèces.

L’avocat de la Navimar a adopté le point de vue selon lequel toute contravention à la charte-partie par la demanderesse rend celle-ci irrecevable à lever l’option prévue à l’article 30. Pour sa part, l’avocate de la demanderesse soutient que l’article 30 n’exige que l’exécution de l’essentiel des stipulations qu’il renferme. L’avocate soutient en outre que des contraventions minimes ne devraient pas faire obstacle à la levée de l’option par sa cliente.

Je ne puis souscrire à la thèse avancée par l’avocat de la Navimar. À mon avis, l’article 30 oblige la demanderesse a exécuter l’essentiel des obligations qu’elle a contractées aux termes de la charte-partie. Ainsi que je l’ai déjà précisé, j’estime que, exception faite des articles 11 et 25, la demanderesse n’a pas contrevenu à la charte-partie. En ce qui concerne l’article 11, la demanderesse n’a été en retard qu’une seule fois dans le paiement du loyer au cours des cinq ans qu’a duré la charte-partie. La demanderesse a remédié à cette contravention lorsqu’elle a été mise au courant de l’erreur commise par la banque. Ainsi, lorsque, le 5 janvier 1990, la demanderesse a levé l’option d’achat en en faisant parvenir un avis écrit à la Navimar, elle ne contrevenait pas à l’article 11 de la charte-partie. L’obligation de payer le loyer avait, à ce moment-là, été remplie.

La seule contravention qui reste est celle qui découle du défaut de la demanderesse de fournir en temps opportun à la Navimar des copies de tous les journaux de bord du pont et de la salle des machines où étaient consignées les traversées du Challenge One.

À mon avis, eu égard aux circonstances de la présente affaire, et selon l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 30 de la charte-partie, il ne serait pas équitable de priver la demanderesse de son droit de lever l’option d’achat en raison de son défaut de fournir à la Navimar, à la fin de chaque mois, des copies des journaux de bord du pont et de la salle des machines du Challenge One.

À mon avis, la Sail Labrador a pleinement exécuté toutes les obligations que la charte-partie datée du 21 juin 1985 mettait à sa charge et elle a par conséquent le droit de lever l’option d’achat prévue à l’article 30 de la charte-partie. Pour ces motifs, un jugement déclaratoire sera rendu en ce sens. La demanderesse aura droit à ses dépens.

Pour conclure, j’aimerais aborder une question qui a été soulevée au début de l’instruction de la présente affaire.

À l’ouverture du procès, il est devenu évident que Me Normand Hébert, l’unique actionnaire de la défenderesse Navimar, avait l’intention d’agir comme avocat pour la Navimar dans le présent dossier et qu’il avait également l’intention de témoigner pour le compte de celle-ci. L’avocate de la demanderesse a déclaré qu’elle ne s’opposait pas à ce que Me Hébert agisse comme avocat et à ce qu’il témoigne. Avec beaucoup de réticence, j’ai conclu qu’il serait préférable, dans l’intérêt de la justice, de permettre à Me Hébert à témoigner et à agir comme avocat. Voici les motifs pour lesquels j’en suis venu à cette conclusion.

Le 17 octobre 1994, le juge en chef adjoint a ordonné que l’instruction de la présente action commence à Montréal le 16 janvier 1996. Le 5 janvier 1996, l’avocat de la Navimar a présenté une demande en vue d’obtenir le report de la date du procès. Cette demande a été rejetée par le juge en chef adjoint Jerome le 10 janvier 1996.

Le 11 janvier 1996, Me Normand Hébert a remplacé l’avocat qui représentait jusqu’alors la Navimar. Le 12 janvier 1996, Me Hébert a présenté une demande concluant au prononcé d’une ordonnance reportant à plus tard l’instruction de l’action. Le 15 janvier 1996, j’ai rejeté cette nouvelle demande d’ajournement du procès. Dans l’affidavit qu’il a souscrit à l’appui de sa demande d’ajournement, Me Hébert a déclaré qu’il n’avait ni l’expérience ni la « compétence » pour représenter adéquatement la Navimar « lors de l’audition cédulée [sic] pour mardi prochain, le 16 janvier ». À mon avis, si Me Hébert n’avait pas la compétence nécessaire, il n’aurait pas dû entreprendre de représenter la Navimar au procès. Avant que Me Hébert ne devienne le nouveau procureur inscrit au dossier, les procureurs qui représentaient jusqu’alors la Navimar étaient des avocats du cabinet d’avocats Alain R. Pilotte, des avocats de Montréal qui étaient expérimentés en droit maritime. Il ressort du dossier que le cabinet de Me Pilotte avait déjà demandé un ajournement au motif que Me Alain Pilotte était [traduction] « déjà retenu par une audience qui doit se dérouler à Québec le 16 janvier 1996 et que comme le mandat [de la Navimar] ne lui a été confié que le 5 janvier 1996, il ne lui sera pas possible de s’occuper de ce dossier à cette date. »

Tout d’abord, je constate, à la lecture du procès-verbal de l’audience du 10 janvier 1996 à la suite de laquelle le juge en chef adjoint Jerome a rejeté la demande d’ajournement du procès présentée par le cabinet de Me Alain Pilotte, que le juge en chef adjoint avait déclaré aux parties qu’il était prêt à reporter l’audience au 17 janvier 1996, pour obliger Me Pilotte, qui devait vraisemblablement se trouver à Québec le 16 janvier 1996. En second lieu, compte tenu de la nature de la présente affaire, Me Pilotte n’aurait à mon sens pas eu beaucoup de difficulté à représenter convenablement la Navimar même s’il n’aurait disposé que d’un peu moins de deux semaines pour se préparer.

En l’occurrence, Me Pilotte n’a pas eu besoin de présenter une requête pour cesser d’occuper, étant donné que Me Paul Hébert a décider de prendre sa place à titre de procureur inscrit au dossier. Me Hébert aurait pu insister pour que le cabinet de Me Pilotte continue à agir pour le compte de la Navimar. Il est évident que le but que visait Me Hébert en devenant le procureur inscrit au dossier était d’obtenir l’ajournement que le juge en chef adjoint venait de lui refuser.

Ainsi, dans ces conditions, j’ai conclu que l’intérêt de la justice commande que le procès ait lieu comme prévu.



[1] L.R.C. (1985), ch. S-9.

[2] Bien qu’il ait cessé d’exercer le droit en 1979, Me Hébert a toujours payé sa cotisation au Barreau du Québec, dont il demeure membre en règle.

[3] Les expressions « charte-partie coque nue » et « affrètement coque nue » sont souvent mentionnées ensemble. Dans leur ouvrage Scrutton on Charterparties and Bills of Lading, 19e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1984) (ci-après appelé Scrutton on Charterparties), les auteurs A. Mocatta, M. Mustill et S. Boyd font observer, à la p. 47, note 3 que [traduction] : « le nolisement coque nue sans capitaine ou équipage est parfois appelé « affrètement coque nue » ou “affrètement net” ».

[4] L. Gorton, R. Ihre & A. Sandevärn, Shipbroking and Chartering Practice, 3e éd. (Londres, Lloyd’s of London Press, 1990).

[5] Idem, à la p. 122.

[6] S. Gebb, « The Demise Charter : A Conceptual and Practical Analysis » (1975), 49 Tulane Law Rev. 764, à la p. 784.

[7] Idem, aux p. 769 et 771.

[8] Précité, note 3.

[9] Idem, aux p. 49 et 50.

[10] M. Wilford, T. Coghlin & J. Kimball, Time Charters, 4e éd. (New York : Lloyd’s of London Press, 1995), à la p. 56 (ci-après appelé Time Charters).

[11] Voir G. Gilmor & C. Black, The Law of Admiralty, 2e éd. (New York : Foundation Press, 1975), à la p. 239.

[12] Idem, à la p. 241. Voir Gebb, précité, note 6; E. Harper, « Demise Charters : Responsabilities of Owner or Charterer for Loss or Damage » (1975), 49 Tulane Law Rev. 785.

[13] L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 68).

[14] Voir, par ex., les jugements J.M. Voith GmbH c. Beloit Corp., [1993] 2 C.F. 5151re inst.); et Teledyne Indust. Ltd. c. Lido Indust. Products Ltd. (1982), 31 C.P.C. 285 (C.F. 1re inst.).

[15] Voir le jugement Comtab Ventures Ltd. c. R. du chef du Canada, (1984), 35 Alta. L.R. (2d) 230 (C.F. 1re inst.), (le juge Strayer).

[16] [1975] 2 R.C.S. 715, à la p. 731, (le juge Martland).

[17] Voir, par ex., les arrêts R. du chef de l’Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; United Scientific Holdings Ltd v Burnley Borough Council, [1977] 2 All ER 62 (H.L.); et United Dominions Trust (Commercial), Ltd. v. Eagle Aircraft Services, Ltd., [1968] 1 All E.R. 104 (C.A.), à la p. 110, où le lord juge Diplock qualifie le contrat d’option de contrat unilatéral, et le contrat de vente, de contrat synallagmatique.

[18] (1991), 70 Rev. du Bar. can. 1, à la p. 3.

[19] [1995] 2 R.C.S. 187, à la p. 201.

[20] [1983] A.C. 444 (H.L.), aux p. 476 et 477.

[21] Time Charters, précité note 10, à la p. 86.

[22] K. Lewison, The Interpretation of Contracts (Londres : Sweet & Maxwell, 1989), à la p. 342; M. Furmston, Cheshire, Fifoot & Furmston’s Law of Contract, 12e éd. (Londres : Butterworths, 1991), à la p. 149; United Dominions Trust (Commercial), Ltd. v. Eagle Aircraft Services, Ltd., précité, note 17, à la p. 107, où le maître des rôles, lord Denning, déclare que [traduction] « pour devenir un contrat obligatoire, l’offre doit être acceptée en stricte conformité avec ses modalités ».

[23] (1876), 2 Ch. D. 310 (C.A.), à la p. 315.

[24] United Dominions Trust (Commercial), Ltd. v. Eagle Aircraft Services, Ltd., précité note 17, aux p. 109 et 110.

[25] Grey v. Friar (1854), 4 H.L.C. 565; 94 R.R. 246; Bass Holdings Ltd. v. Morton Music Ltd., [1987] 2 W.L.R. 397 (Ch. D.), où le lord juge Scott offre, aux p. 401 et 402, un excellent résumé de la jurisprudence anglaise sur ce point de droit.

[26] [1939] R.C.S. 247.

[27] Idem, à la p. 252.

[28] Voir également les jugements 283 Portage Avenue Ltd. v. Fidelity Trust Co. (1982), 18 Man. R. (2d) 7 (Cour de cté), à la p. 9 (le juge Krindle); et Sparkhall v. Watson, [1954] 2 D.L.R. 22 (H.C. Ont.), à la p. 24 (le juge Judson); et l’arrêt Fingold v. Hunter, [1944] 3 D.L.R. 43 (C.A. Ont.), à la p. 45.

[29] Kennedy & Beaucage Mines Ltd., Re, [1959] O.R. 625 (H.C.), à la p. 630.

[30] Idem, aux p. 640 et 641.

[31] (1980), 29 O.R. (2d) 791 (C.A.).

[32] Idem, aux p. 792 et 793.

[33] (1978), 13 A.R. 27 (C.S.) (le juge Brennan).

[34] Idem, à la p. 37.

[35] [1973] 3 W.W.R. 651 (B.R. Man.) (le juge Wright); conf. à (1978), 84 D.L.R. (3d) 599 (C.A. Man.) (ci-après appelé Birchmont).

[36] Idem, à la p. 659.

[37] Voir Kennedy & Beaucage Mines Ltd., précité, note 29; Birchmont, précité, note 35; Amyotte v. Urchyshyn, précité, note 33.

[38] Précité, note 28.

[39] (1957), 8 D.L.R. (2d) 596 (C.A.C.-B.).

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