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[1996] 2 C.F. 940

A-486-95

Le procureur général du Canada (requérant)

c.

Peter M. King (intimé)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. King (C.A.)

Cour d’appel, juges Strayer, MacGuigan et Robertson, J.C.A.—Toronto, 28 mars; Ottawa, 10 avril 1996.

Assurance-chômage Demande de contrôle judiciaire d’une décision du juge-arbitre statuant que les montants payés en vertu du Programme de protection des salaires des employés de l’Ontario sont des « allocations de secours » au sens de l’art. 57(2)c) du Règlement sur l’assurance-chômageL’intimé a été licencié à la suite de la fermeture de l’usine qui l’employaitIl a reçu une somme globale représentant la paie de vacances et l’indemnité de cessation d’emploi non payées par son ancien employeurLes paiements effectués en vertu du programme constituent une forme de rémunérationSens de l’expression « allocation de secours » — Facteurs à prendre en considération lorsqu’il s’agit de savoir si ces paiements constituent des allocations de secoursLes paiements n’ont pas les attributs d’une « allocation de secours » — Le droit à ces paiements a pris naissance au moment de la fermeture de l’usine.

Il s’agit d’une de sept demandes de contrôle judiciaire d’une décision du juge-arbitre qui a statué que les paiements reçus par l’intimé en vertu du Programme de protection des salaires des employés de l’Ontario étaient exclus de la rémunération à titre « d’allocations de secours » au sens de l’alinéa 57(3)c) du Règlement sur l’assurance-chômage. Le programme a été établi à la suite de modifications apportées à une loi ontarienne, la Loi sur les normes d’emploi, qui sont entrées en vigueur le 18 octobre 1991, avec effet rétroactif au 1er octobre 1990. L’intimé a travaillé chez Georgian Bay Kennedy Limited à Owen Sound (Ontario) jusqu’à la fermeture de l’usine en 1991. En vertu du programme, il a reçu une somme globale maximum de 5 000 $, représentant la paie de vacances et l’indemnité de cessation d’emploi que son ancien employeur ne lui avait pas payées. Entre-temps, il avait commencé à toucher des prestations d’assurance-chômage. La Commission d’assurance-chômage a jugé que les sommes reçues en vertu du programme constituaient une forme de rémunération au sens du paragraphe 57(2) du Règlement. Le conseil arbitral a maintenu cette décision, mais le juge-arbitre a conclu que les paiement effectués étaient exclus de la rémunération à titre « d’allocations de secours ». Cette affaire soulève deux questions principales : 1) le juge-arbitre a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que les paiements effectués en vertu du programme doivent être considérés comme des allocations de secours; et 2) si tel est le cas, le juge-arbitre a-t-elle commis une erreur dans l’établissement de la date de la répartition?

Arrêt : la demande doit être accueillie.

1) Pour être considéré comme une rémunération, un gain doit avoir les caractéristiques d’une somme payée en considération du travail accompli par le bénéficiaire et ne pas découler simplement du statut d’employé d’une personne. L’expression « allocation de secours » laisse supposer qu’il s’agit d’une aide financière qui est accordée pour alléger certaines difficultés. Trois aspects étroitement reliés peuvent être utiles pour déterminer si un paiement constitue une allocation de secours : la situation dans laquelle la perte a été subie, le type de perte donnant lieu à l’indemnisation et la nature du programme d’indemnisation. En ce qui a trait au premier aspect, il n’est pas nécessaire que le paiement soit effectué à cause d’une situation d’urgence. Toutefois, il sera plus facile de conclure qu’un paiement est une allocation de secours si les circonstances qui en sont à l’origine sont inhabituelles ou irrégulières. En l’espèce, bien que l’omission de l’employeur de s’acquitter de ses obligations salariales et autres soit déplorable, elle ne présente pas de caractère particulièrement inusité. Quant au deuxième aspect, les paiements prévus en vertu du programme constituent une indemnisation, jusqu’à concurrence d’un montant maximum, pour les salaires ou avantages gagnés mais non payés, et sont donc directement liés à l’un des aspects les plus essentiels des relations de travail. Ce lien étroit n’incite pas à conclure que les paiements en question doivent être qualifiés d’allocations de secours. Le troisième aspect utile pour qualifier les paiements de façon appropriée est la nature du programme d’indemnisation en vertu duquel ils ont été versés. En l’espèce, les paiements effectués se fondent précisément sur des sommes dues en vertu de la loi, jusqu’à concurrence de 5 000 $. Le programme accorde même en faveur du gouvernement de l’Ontario un droit de subrogation qui peut être exercé à l’encontre de tout employeur délinquant pour recouvrer les sommes payées aux employés. La possibilité que ces sommes soient recouvrées est un autre élément qui empêche de conclure qu’elles peuvent être considérées comme une « allocation ». Par conséquent, les paiements reçus en vertu du programme doivent être considérés comme une forme de rémunération admissible.

2) Le conseil arbitral et le juge-arbitre n’ont commis aucune erreur en concluant que la fermeture de l’usine et la cessation permanente de l’emploi de l’intimé ont eu lieu à la fin de mars 1991. Il restait toutefois à décider si la paie de vacances et l’indemnité de départ versées en vertu du programme étaient payables au moment de la mise à pied (lay-off) de l’intimé en janvier 1991 ou au moment de la fermeture de l’usine à la fin de mars 1991. Le paragraphe 58(1) de la Loi sur les normes d’emploi dispose que le terme « licenciement » (termination) s’entend d’une mise à pied (lay-off) qui dure au moins 35 semaines au cours d’une période de 52 semaines consécutives. Comme la mise à pied n’a pas duré plus de 35 semaines avant que l’usine soit définitivement fermée, et comme l’emploi de l’intimé n’a pas pris fin avant la fin de mars 1991, son droit aux paiements en vertu du programme n’a pris naissance qu’à cette date.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de 1991 modifiant la Loi sur les normes d’emploi (Programme de protection des salaires des employés), L.O. 1991, ch. 16, art. 17.

Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1.

Loi sur les normes d’emploi, L.R.O. 1990, ch. E-14, art. 58(1) « licenciement », 58.14 (édicté par L.O. 1991, ch. 16, art. 5).

Règlement sur l’assurance-chômage, C.R.C., ch. 1576, art. 57(1),(2) (mod. par DORS/90-756, art. 17), (3)c), 58(9) (mod. par DORS/89-550, art. 1).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Canada (Procureur général) c. Vernon, [1995] A.C.F. no 1394 (C.A.) (QL) (quant au sens et à la portée de l’expression « allocation de secours »); Tallon, Trudy (1986), CUB 12994.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Canada (Procureur général) c. Vernon, [1995] A.C.F. no 1394 (C.A.) (QL) (quant aux faits de la cause).

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Procureur général) c. Morrison, [1996] F.C.J. no 482 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Camsell, [1996] F.C.J. no 484 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Flarity, [1996] F.C.J. no 485 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Armstrong, [1996] F.C.J. no 486 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Swannell, [1996] F.C.J. no 487 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Oliver, [1996] F.C.J. no 488 (C.A.) (QL); Cairns, Rosemary (1987), CUB 11083; Tonna, Mary (1988), CUB 14854.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision du juge-arbitre statuant que les paiements effectués en vertu du Programme de protection des salaires des employés de l’Ontario étaient exclus de la rémunération à titre d’« allocations de secours ». Demande accueillie.

AVOCATS :

Robert H. Jaworski pour le requérant.

Marie G. Kelly pour l’intimé.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Services juridiques, Métallurgistes unis d’Amérique, Toronto, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : Il s’agit de la première de sept demandes de contrôle judiciaire présentées par le procureur général, au nom de la Commission d’assurance-chômage (la Commission), qui ont été entendues conjointement. Bien que toutes ces demandes s’appuient sur la même situation de fait, les conclusions des différents conseils arbitraux présentent certaines différences qui seront indiquées ci-dessous. À l’ouverture de l’audience, il a été admis que l’exposé des faits et du droit en l’espèce s’appliquerait aux dossiers A-485-95 à A-488-95 [Canada (Procureur général) c. Morrison, [1996] F.C.J. no 482 (QL); Canada (Procureur général) c. Camsell, [1996] F.C.J. no 484 (QL); Canada (Procureur général) c. Flarity, [1996] F.C.J. no 485 (QL)] (le groupe King) et que l’exposé dans le dossier A-500-95 s’appliquerait aux dossiers A-499-95 à A-501-95 [Canada (Procureur général) c. Armstrong, [1996] F.C.J. no 486 (QL); Canada (Procureur général) c. Swannell, [1996] F.C.J. no 487 (QL); Canada (Procureur général) c. Oliver, [1996] F.C.J. no 488 (QL)] (le groupe Swannell). Étant donné que les demandes soulèvent les mêmes questions de droit, les présents motifs seront déposés dans les autres dossiers et constitueront les motifs des jugements rendus dans ces autres affaires.

L’intimé fait partie des prestataires d’assurance-chômage ayant travaillé chez Georgian Bay Kennedy Limited à Owen Sound (Ontario) jusqu’à la fermeture de l’usine en 1991. Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’emploi des prestataires a pris fin de façon permanente en janvier 1991 ou à la fin mars 1991. La Commission soutient que l’emploi permanent a pris fin le 2 janvier 1991 pour les prestataires du groupe King et le 18 janvier 1991 pour le groupe Swannell. Les prestataires soutiennent pour leur part qu’ils ont été temporairement mis à pied à ces dates et que la fermeture de l’usine et la cessation permanente de leur emploi ne se sont produites qu’à la fin du mois de mars de la même année. L’importance de ce différend sur une question de fait et sa pertinence en l’espèce sont discutées en détail ci-dessous.

Après la fermeture de l’usine, l’employeur n’a pas versé à ses employés la paie de vacances et l’indemnité de cessation d’emploi exigées par la loi. Dans les mois qui ont suivi, le gouvernement ontarien a adopté des modifications à la Loi sur les normes d’emploi, L.R.O. 1990, ch. E-14, qui a entraîné l’établissement du Programme de protection des salaires des employés (le programme). Les modifications sont entrées en vigueur le 18 octobre 1991 (L.O. 1991, ch. 16) avec effet rétroactif au 1er octobre 1990. Par conséquent, les prestataires étaient en droit de demander et de recevoir une somme globale maximum de 5 000 $, représentant la paie de vacances et l’indemnité de cessation d’emploi que leur ancien employeur ne leur avait pas payées. Entre-temps, toutefois, les ex-employés avaient commencé à toucher des prestations d’assurance-chômage. Dans le traitement de leurs demandes, la Commission a jugé que les sommes reçues en vertu du programme constituaient une forme de rémunération au sens du paragraphe 57(2) du Règlement sur l’assurance-chômage [C.R.C., ch. 1576 (mod. par DORS/90-756, art. 17)] (le Règlement) et qu’elles devaient être réparties conformément au paragraphe 58(9) [mod. par DORS/89-550, art. 1] du Règlement. Pour ce qui a trait au groupe King, la Commission a réparti les paiements effectués en vertu du programme à compter de la semaine commençant le 30 décembre 1990, en tenant pour acquis que les prestataires avaient perdu leur emploi le 2 janvier 1991. Pour ce qui est de Swannell, les paiements ont été répartis à compter de la semaine commençant le 20 janvier 1991, puisque la Commission a supposé qu’il avait perdu son emploi le 18 janvier 1991. Habituellement, le versement d’une indemnité de départ a pour effet de différer la date d’admissibilité aux prestations jusqu’à ce que l’indemnité de départ et la paie de vacances soient réputées avoir été épuisées. Lorsqu’une personne commence à recevoir des prestations d’assurance-chômage avant que l’indemnité de départ et la paie de vacances deviennent payables, il en résulte souvent un trop-payé que la Commission peut recouvrer en vertu de la Loi sur l’assurance- chômage [L.R.C. (1985), ch. U-1] (la Loi).

Tous les prestataires ont porté la décision de la Commission en appel. Le conseil arbitral qui a entendu les appels du groupe Swannell a confirmé intégralement la décision de la Commission. Le conseil arbitral qui a entendu les appels du groupe King a accepté l’argument de la Commission selon lequel les paiements effectués en vertu du programme devaient être considérés comme une forme de rémunération, mais il a conclu que, l’usine ayant fermé ses portes à la fin de mars 1991, la date de répartition appropriée était le 1er avril 1991. Les prestataires du groupe Swannell ont donc interjeté appel des décisions rendues dans leur cas. La Commission a fait de même pour ce qui a trait au groupe King. Tous les appels ont été entendus le même jour par le même juge-arbitre.

Les prestataires du groupe Swannell font valoir que les paiements effectués en vertu du programme ne sont pas une forme de rémunération; que, si tel est le cas, cette rémunération est exclue à titre d’« allocations de secours » visée à l’alinéa 57(3)c) du Règlement. Subsidiairement, les prestataires font valoir que si les paiements ne peuvent être qualifiés d’allocations de secours, la date appropriée de la répartition est le 1er avril 1991 et non le 30 décembre 1990 ou le 20 janvier 1991, qui sont les semaines présumées des mises à pied.

En examinant les appels du groupe Swannell, le juge-arbitre a conclu que les paiements effectués en vertu du programme constituaient à première vue une forme de rémunération, mais qu’ils étaient exclus à titre d’« allocations de secours ». Pour ce qui a trait au groupe King, le juge-arbitre a conclu que la date appropriée pour commencer la répartition coïncidait avec la fermeture de l’usine à la fin de mars 1991. Toutefois, comme elle avait accueilli les appels Swannell, le juge-arbitre a conclu que les paiements devaient être exclus de la rémunération à titre d’allocations de secours.

Les parties ont admis devant la Cour que les paiements effectués en vertu du programme constituent une forme de rémunération au sens du Règlement et que ces paiements doivent être répartis conformément aux dispositions de la Loi et du Règlement, à moins qu’ils soient considérés comme des allocations de secours au sens de l’alinéa 57(3)c). L’argument selon lequel les paiements constituent une forme de rémunération s’appuie sur le fondement suivant. Le paragraphe 58(9) du Règlement dispose que toute rémunération payée ou payable en raison d’un licenciement ou de la cessation d’un emploi doit être répartie sur un certain nombre de semaines à compter de la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi. La rémunération dont il faut tenir compte pour l’application de cette disposition est constituée, d’après l’alinéa 57(2)a) du Règlement, du « revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi ». En outre, le paragraphe 57(1) du Règlement donne au terme revenu le sens suivant : « tout revenu en espèces ou non que le prestataire reçoit ou recevra d’un employeur ou d’une autre personne » (non souligné dans l’original). Il y a lieu de reproduire ici les dispositions pertinentes du Règlement.

57. (1) Dans le présent article,

« revenu » s’entend de tout revenu en espèces ou non que le prestataire reçoit ou recevra d’un employeur ou d’une autre personne;

(2) Sous réserve du présent article, la rémunération dont il faut tenir compte pour déterminer s’il y a eu un arrêt de rémunération et fixer le montant à déduire des prestations payables en vertu des paragraphes 15(1) ou (2), 17(4), 18(5) ou 20(3) de la Loi, ainsi que pour l’application des articles 37 et 38 de la Loi, est :

a) le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi;

(3) La partie du revenu que le prestataire tire de l’une ou l’autre des sources suivantes n’a pas valeur de rémunération aux fins mentionnées au paragraphe (2) :

c) les allocations de secours en espèces ou en nature;

58….

(9) Sous réserve des paragraphes (9.1) et (10), toute rémunération payée ou payable à un prestataire en raison de son licenciement ou de la cessation de son emploi est, abstraction faite de la nature de la rémunération ou de la période pour laquelle elle est censée être payée ou payable, répartie sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi, de sorte que le total de la rémunération de cet emploi pour chaque semaine consécutive, sauf la dernière, soit égal à la rémunération hebdomadaire normale que le prestataire tirait de l’emploi.

Dans ce contexte, deux grandes questions doivent être examinées : (1) Le juge-arbitre a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que les paiements effectués en vertu du programme doivent être considérés comme des allocations de secours; et (2) si tel est le cas, le juge-arbitre a-t-elle commis une erreur dans l’établissement de la date de la répartition? Je traiterai successivement de chacune de ces questions. Pour ce qui a trait à la première question, les deux parties citent la décision récente de cette Cour dans Canada (Procureur général) c. Vernon, [1995] A.C.F. no 1394 (C.A.) (QL). J’examine cette décision ci-dessous.

Dans l’arrêt Vernon, les prestataires avaient travaillé pour une compagnie minière ayant cessé ses activités. Dans le cadre du programme de primes de départ, le syndicat avait négocié une allocation de logement pour compenser la réduction de la valeur des maisons qu’entraînerait la fermeture de la mine. L’allocation a été versée sous forme de paiement unique dont le montant a été déterminé au regard de la perte de valeur présumée du logement des employés. La Commission a supposé que ces allocations de logement constituaient une forme de rémunération et devaient donc être réparties selon les dispositions de la Loi et du Règlement. Le conseil arbitral et le juge-arbitre n’étaient pas de cet avis. La Commission a demandé le contrôle judiciaire de ces décisions, mais sa thèse a une fois de plus été rejetée.

Rédigeant les motifs unanimes de la Cour, le juge Linden, J.C.A., conclut, en s’appuyant sur la jurisprudence, que pour être considéré comme une rémunération, « un gain doit avoir les caractéristiques d’une somme payée en considération du travail accompli par le bénéficiaire » et « ne pas découler simplement du statut d’employé d’une personne » (aux pages 14 et 15). D’après les faits de l’affaire Vernon, il était manifeste que « [l’]allocation n’a pas été versée en contrepartie d’un travail, mais à titre d’indemnisation pour la diminution de valeur de la résidence principale des employés admissibles, en raison de la fermeture de la mine » (à la page 16).

Compte tenu de la conclusion précitée, le juge Linden a reconnu qu’il était inutile de déterminer si l’allocation de logement constituait une allocation de secours et était, par conséquent, exclue. Il a toutefois répondu à cette question afin de préciser le droit sur cet aspect. Plus spécifiquement, il a fait référence à deux décisions CUB (à la page 17). D’après la décision (1987), CUB 11083 [Cairns, Rosemary], « allocation de secours » « sous-entend une assistance donnée librement aux miséreux qui sont nettement plus dans le besoin que la population en général ou la population active ». Dans la décision (1977), CUB 4199, cette expression est définie comme suit : « paiement ponctuel et probablement rare fait par un employeur dans des circonstances spéciales lorsqu’un employé se trouve dans une situation d’urgence familiale ou en cas de catastrophe ». Le juge Linden conclut que ces deux définitions, quoique utiles, ont un sens un peu étroit. Aux pages 18 et 19 de ses motifs, il offre une définition plus large :

L’expression « allocation de secours », par conséquent, laisse supposer qu’il s’agit d’une aide financière qui est accordée pour alléger certaines difficultés. Il est certainement possible d’inclure dans ces difficultés l’indigence, les situations d’urgence ou les catastrophes, mais cette liste n’est pas exhaustive. Ces difficultés peuvent également englober des circonstances plus larges, comme des revers financiers ou d’autres malheurs qui ne vont pas nécessairement jusqu’à l’indigence, aux situations d’urgence ou aux catastrophes.

En l’espèce, l’employeur a posé un geste humain en vue d’alléger les difficultés financières manifestes que tous les employés pouvaient s’attendre à subir à cause de la fermeture de la mine. Par conséquent, il ne fait aucun doute que les revers financiers subis par les employés, c’est-à-dire la diminution de valeur de leur résidence principale par suite de la fermeture de la mine, font manifestement partie des situations visées par l’expression « allocation de secours » utilisée au paragraphe 57(3).

Pour ce qui a trait au passage précité, les prestataires soutiennent que [traduction] « l’élément-clé de la définition d’une allocation de secours est le fait qu’il s’agit d’une aide financière dont l’objectif est d’alléger les difficultés ». À mon avis, cette position n’est pas appuyée par le raisonnement de la Cour dans l’arrêt Vernon. L’argument des prestataires s’appuie sur l’hypothèse erronée que des difficultés financières sont un motif suffisant, plutôt que nécessaire, à partir duquel on peut conclure que certains paiements rentrent dans la catégorie des allocations de secours. Si la Cour acceptait la position des prestataires, elle ramènerait le balancier à l’autre extrême. Il n’est pas difficile de convaincre quiconque que tout paiement ayant pour objet d’indemniser son bénéficiaire d’une perte aura vraisemblablement pour effet d’alléger ses difficultés financières. Bien entendu, l’importance d’un tel allégement dépend largement de la situation de chacun.

Bien qu’il soit difficile d’établir un cadre d’analyse précis qui serve de guide pour décider si certains types d’indemnisation constituent des allocations de secours, il y a, à mon avis, trois aspects étroitement reliés qui peuvent être utiles pour déterminer si un paiement constitue une allocation de secours : ce sont la situation dans laquelle la perte a été subie, le type de perte donnant lieu à l’indemnisation et la nature du programme d’indemnisation.

En ce qui a trait au premier aspect, conformément au raisonnement énoncé dans l’arrêt Vernon, il n’est pas nécessaire que le paiement soit effectué à cause d’une situation d’urgence. Toutefois, il sera plus facile de conclure qu’un paiement est une allocation de secours si les circonstances qui en sont à l’origine sont inhabituelles ou irrégulières, comme c’était le cas dans Vernon, où les paiements ont été faits pour compenser les pertes subies par les employés sur la valeur de leurs maisons. L’employeur a reconnu que la fermeture des usines dans des collectivités dont l’économie repose sur l’exploitation des ressources naturelles peut entraîner une baisse considérable du prix de vente des maisons. Ce type de perte est particulier à un certain type d’emploi, et ne touche habituellement pas la population active en général. Par contraste, en l’espèce, bien que l’omission de l’employeur de s’acquitter de ses obligations salariales et autres soit déplorable, elle ne présente pas de caractère particulièrement inusité.

Le type de perte donnant lieu à l’indemnisation est le deuxième aspect qui sera utile pour qualifier la nature d’un paiement. Dans l’affaire Vernon, les résidences des employés ont perdu de la valeur à cause de la fermeture de la mine. De toute évidence, la valeur de la résidence d’une personne n’a aucun lien direct avec son contrat de travail. C’est en grande partie la raison pour laquelle les paiements effectués par l’employeur dans l’affaire Vernon n’ont pas été considérés comme une forme de rémunération. Par contraste, en l’espèce, les paiements prévus en vertu du programme constituent une indemnisation, jusqu’à concurrence d’un montant maximum, pour les salaires ou avantages gagnés mais non payés, et sont donc directement liés à l’un des aspects les plus essentiels des relations de travail. Ce lien étroit ne nous incite pas à conclure que les paiements en question doivent être qualifiés d’allocations de secours. Je note que le juge Joyal (agissant à titre de juge-arbitre) a tenu un raisonnement semblable dans la décision (1986), CUB 12994 [Tallon, Trudy]. Dans cette affaire, il fallait déterminer si le versement d’un salaire additionnel de six semaines par l’ancien employeur, en vue d’aider le prestataire à se recycler, était une allocation de secours. Le juge Joyal a indiqué dans son raisonnement que, puisque l’employeur avait payé ces sommes en contrepartie des états de services du prestataire, elles ne pouvaient être considérées comme une « allocation de secours ».

Finalement, le troisième aspect utile pour qualifier les paiements de façon appropriée est la nature du programme d’indemnisation en vertu duquel ils ont été versés. Dans l’affaire Vernon, l’employeur avait volontairement accepté de donner une allocation de logement non remboursable à ses employés, payable sous forme de paiement unique dont le montant devait être déterminé d’après la perte présumée sur la valeur de la résidence. En l’espèce, toutefois, le programme est essentiellement un programme d’assurance sans capitalisation qui a pour objet d’indemniser tous les employés de l’Ontario jusqu’à concurrence de 5 000 $, au cas où leur employeur ne respecterait pas les obligations établies par le droit provincial au titre du versement des salaires, de la paie de vacances, de l’indemnité de départ, etc. Les paiements effectués se fondent précisément sur des sommes dues en vertu de la loi, jusqu’à concurrence de 5 000 $. Le programme accorde même en faveur du gouvernement de l’Ontario un droit de subrogation qui peut être exercé à l’encontre de tout employeur délinquant pour recouvrer les sommes payées aux employés (Loi sur les normes d’emploi, Partie XIV.1, article 58.14 [édicté par L.O. 1991, ch. 16, art. 5]). À mon avis, la possibilité que ces sommes soient recouvrées est un autre élément qui nous empêche de conclure qu’elles peuvent être considérées comme une « allocation ».

Pour ce qui a trait aux facteurs précités, bien qu’aucun d’eux ne soit en lui-même déterminant, leur effet cumulatif m’amène à conclure que les paiements effectués en vertu du programme n’ont pas les attributs de ce que l’on pourrait raisonnablement définir comme une « allocation de secours ». Par conséquent, les paiements reçus en vertu du programme doivent être considérés comme une forme de rémunération admissible. J’aborde maintenant la question concernant la date appropriée de la répartition. Il faut tout de suite déterminer si les prestataires ont été temporairement mis à pied en janvier 1991 ou si c’est à cette date que l’usine a fermé ses portes, comme le prétend la Commission. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, les prestataires font valoir que la fermeture de l’usine n’a eu lieu qu’à la fin de mars 1991.

Dans le cas du groupe Swannell, le conseil arbitral n’a pas discuté ou tiré de conclusion précise quant à la date réelle de la fermeture de l’usine et à la date appropriée de la répartition. Dans le cas du groupe King, le conseil arbitral a conclu, en s’appuyant sur la preuve, que l’usine avait été fermée à la fin de mars 1991. Cette conclusion de fait a été confirmée par le juge-arbitre. Comme il n’a pas été établi qu’elle avait commis une erreur, la fermeture de l’usine et la cessation permanente de l’emploi des prestataires ont donc eu lieu à la fin de mars 1991.

Au cours des plaidoiries, il est devenu évident qu’une autre question devait être abordée. Pour les fins de la répartition prévue au paragraphe 58(9) du Règlement, il est nécessaire de répartir la rémunération payable à un prestataire du fait d’un licenciement (lay-off) à compter de la semaine du licenciement. La rémunération payable du fait de la cessation d’emploi doit être répartie, toutefois, à compter de la semaine de la cessation d’emploi : voir les motifs du juge Reed (agissant en qualité de juge-arbitre) dans la décision (1988), CUB 14854 [Tonna, Mary]. Il faut donc décider si la paie de vacances et l’indemnité de départ versées en vertu du programme étaient payables au moment de la mise à pied (lay-off) des prestataires en janvier 1991 ou au moment de la fermeture de l’usine à la fin de mars 1991. La réponse à cette question se trouve dans les dispositions de la Loi sur les normes d’emploi.

L’article 17, disposition transitoire de la loi modificatrice ([Loi de 1991 modifiant la Loi sur les normes d’emploi (Programme de protection des salaires des employés] L.O. 1991, ch. 16) ayant eu pour effet d’incorporer le programme à la Loi sur les normes d’emploi, établit qu’une personne n’est pas admissible à l’indemnisation prévue à moins qu’elle ait été « licenciée » (terminated) ou qu’elle soit réputée l’avoir été. D’après le paragraphe 58(1) de la Loi sur les normes d’emploi, le terme « licenciement » (termination) s’entend « d’une mise à pied [lay-off] qui résulte de l’interruption permanente de l’ensemble des activités de l’employeur » ou d’une mise à pied (lay-off ) qui dure au moins 35 semaines au cours d’une période de 52 semaines consécutives. D’après les faits de l’espèce, la mise à pied n’a pas duré plus de 35 semaines avant que l’usine soit définitivement fermée et, comme l’emploi des prestataires n’a pas pris fin avant la fin de mars 1991, leur droit aux paiements en vertu du programme n’a pris naissance qu’à cette date. En conclusion, les sommes reçues par les prestataires n’étaient pas payables au sens de la Loi avant cette date, et ne peuvent donc être réparties à compter des dates antérieures de mise à pied (lay-off) en janvier 1991.

Avant de terminer, j’aimerais ajouter que, à strictement parler, les prestataires n’ont acquis le droit à une indemnisation en vertu du programme que le 18 octobre 1991, date à laquelle les modifications à la Loi sur les normes d’emploi sont entrées en vigueur. Il est difficile d’accepter qu’une indemnisation, offerte en vertu d’un programme prévu par une loi, soit payable avant que cette loi n’entre véritablement en vigueur, même dans les cas où un effet rétroactif lui est donné. Pour une raison inconnue, ce fait n’a pas été soulevé par les parties. Par conséquent, je dois présumer qu’elles avaient de bonnes raisons de ne pas le faire.

En conclusion, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, la décision du juge-arbitre doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée au juge-arbitre en chef ou à son représentant pour une nouvelle décision tenant compte de ce qui suit : (1) les montants payés à l’intimé en vertu du programme de protection des salaires des employés de l’Ontario constituent une forme de rémunération admissible devant être répartie conformément à l’article 58 du Règlement en raison de la cessation d’emploi; et (2) la rémunération doit être répartie en tenant compte du fait que la cessation d’emploi a eu lieu à la fin de mars 1991.

Le juge Strayer, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge MacGuigan, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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