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[1997] 3 C.F. 132

T-2608-95

Procureur général du Canada (requérant)

c.

S. Bates (intimée)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Bates (1re inst.)

Section de première instance, juge Campbell— Ottawa, 14 janvier et 9 avril 1997.

Fonction publique Procédure de sélection Principe du mérite Rôle et fonction du comité d’appel de la C.F.P. lorsqu’il entend l’appel d’une employée qui n’a pas été reconduite dans son poste à durée déterminée parce qu’elle a échoué à un examen écrit malgré le fait qu’elle a eu un excellent dossier de rendement pendant cinq ans Le comité d’appel était justifié de conclure que l’employée devait être réévaluée pour ce qui était du facteur des connaissances en tenant dûment compte de sa compétence démontrée par ses dossiers de rendementLe principe du mérite doit être appliqué en tenant compte des réalités contextuellesL’appel a pour but de révéler et de corriger les erreurs commises dans l’application de normes qui ont pour effet de saper le principe de la sélection au mériteEn appliquant le principe du mérite, on doit être conscient de la réalité critique des faits de l’affaire et de la situation personnelle des personnes en cause et, au besoin, y réagir.

L’intimée avait été engagée pour une période déterminée (cinq ans) par Emploi et Immigration Canada à titre de représentante du service à la clientèle au Télécentre de Toronto. Elle avait un excellent dossier de rendement. Le Ministère a suivi une procédure de sélection dans le but de choisir, parmi les fonctionnaires dont le contrat était sur le point d’expirer, ceux à qui il offrirait une nouvelle nomination pour une période déterminée. Le Ministère a jugé que l’intimée ne remplissait pas les conditions requises pour être reconduite dans ses fonctions en raison du fait qu’elle avait échoué à deux examens écrits portant sur ses connaissances.

Dans une première décision, le comité d’appel de la Commission de la fonction publique du Canada a conclu que l’évaluation était invalide et qu’elle ne respectait pas le principe du mérite. Le comité d’appel a déclaré qu’on aurait dû accorder une plus grande importance aux rapports de rendement entièrement favorables et peu d’importance aux deux rapports de contrôle subséquents moins favorables qui avaient été rédigés peu de temps après les étapes de rodage initial du nouveau système de contrôle et qui affirmaient que les connaissances de l’intimée s’étaient détériorées et qui constataient une baisse générale de service. Le comité d’appel a également déclaré qu’il incombait au jury de sélection de résoudre la contradiction entre les rapports d’examen du rendement de l’intimée et son échec à l’examen écrit. Le comité d’appel a conclu que l’intimée devait être réévaluée pour ce qui était du facteur des connaissances en tenant dûment compte de sa compétence manifeste dans l’exécution des fonctions du poste.

Le nouveau jury de sélection a évalué les compétences de l’intimée en fonction de ses rapports de rendement, des rapports de contrôle de son travail et de ses résultats aux deux examens écrits de connaissances, et a conclu qu’elle ne remplissait pas les conditions requises au chapitre des connaissances.

Le second comité d’appel a reproché au second jury de sélection d’avoir répété l’erreur du premier jury en ne conciliant pas son évaluation des connaissances de l’appelante avec les rapports de rendement. Il a également reproché au second jury de sélection d’avoir utilisé comme outils d’évaluation les rapports de contrôle défavorables, au motif qu’il y avait suffisamment de doutes au sujet de leur fiabilité pour les écarter. Le comité d’appel a en outre reproché au jury de sélection d’avoir utilisé comme outils d’évaluation les examens écrits, étant donné qu’ils n’étaient plus à jour. La seconde décision d’appel a donc eu pour effet de renforcer la première.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du second comité d’appel. Le litige tourne principalement autour du rôle et de la fonction d’un comité d’appel de la Commission de la fonction publique du Canada. Le requérant soutenait essentiellement que le principe du mérite est correctement appliqué et que le comité d’appel ne doit pas intervenir aussi longtemps que chacun est jugé exactement de la même façon, peu importe les outils d’évaluation qui sont utilisés et indépendamment de la question de savoir si les résultats semblent justes.

Jugement : la demande doit être rejetée avec dépens.

Bien que, dans l’arrêt Charest c. Procureur général du Canada, [1973] C.F. 1217, la Cour d’appel fédérale ait déclaré que le droit d’appel prévu à l’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique n’a pas pour but de protéger les droits de l’appelant, mais d’empêcher qu’une nomination soit faite au mépris du principe de la sélection au mérite, elle a également souscrit à la conception corrective retenue par le comité d’appel, qui avait annulé le résultat d’un concours qui lui paraissait avoir été organisé de telle façon qu’on pouvait douter de sa valeur. L’idée essentielle que l’on doit retenir de cet arrêt est non seulement que le principe du mérite est le principe directeur du processus de sélection, mais que, pour l’appliquer, on doit tenir compte des réalités contextuelles. Dans cet arrêt, la Cour a également souscrit à l’idée que, pour remplir ses obligations, le comité d’appel peut formuler des critiques.

En souscrivant à l’idée du requérant suivant laquelle le processus d’appel ne constitue pas une mesure corrective, on limiterait à tel point son rôle qu’on le rendrait inutile. L’appel a pour but de révéler et de corriger les erreurs commises dans l’application de normes qui ont pour effet de saper le principe de la sélection au mérite. En révélant et en corrigeant des erreurs, on n’attaque pas le principe du mérite, mais on le protège en tant que concept. Il relève parfaitement du rôle et de la fonction d’un comité d’appel de mettre le doigt sur les erreurs et de formuler des recommandations en précisant les mesures qui devraient être prises pour corriger la situation en cause et ce qui doit être fait ou ne pas être fait pour éviter que la même erreur ne se répète à l’avenir. En appliquant le principe du mérite, on doit être conscient de la réalité critique des faits de l’affaire et de la situation personnelle des personnes en cause et, au besoin, y réagir.

Pour bien appliquer le principe du mérite, les jurys de sélection auraient dû chercher à savoir pourquoi l’intimée avait obtenu une note aussi faible à ses examens écrits. Si ces mauvais résultats étaient attribuables à une déficience quelconque, il se pourrait fort bien qu’on doive prendre des mesures lors de l’examen pour tenir compte de sa situation.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 10(1),(2) (édicté par L.C. 1992, ch. 54, art. 10), 21 (mod., idem, art. 16).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, tarif B (mod. par DORS/95-282, art. 5).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Charest c. Procureur général du Canada, [1973] C.F. 1217; (1973), 2 N.R. 288 (C.A.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un comité d’appel de la Commission de la fonction publique a accueilli l’appel interjeté par l’intimée d’une décision par laquelle un jury de sélection avait jugé qu’elle ne remplissait pas les conditions requises pour être reconduite dans son poste à durée déterminée au sein d’un ministère du gouvernement parce qu’elle avait échoué à un examen écrit portant sur ses connaissances. La demande est rejetée.

AVOCATS :

Dogan D. Akman pour le requérant.

Andrew J. Raven pour l’intimée.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Raven, Jewitt & Allen, Ottawa, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Campbell : La présente instance en contrôle judiciaire concerne deux décisions d’appel relatives à des postes au sein de l’administration fédérale. Ces deux décisions découlaient du fait que malgré que l’on reconnaissait qu’elle avait fait un excellent travail au cours de la période de presque cinq ans où elle avait travaillé comme représentante au service à la clientèle à Ressources humaines Canada, on jugeait que Mme Suzanne Bates ne remplissait pas les conditions requises pour être reconduite dans ses fonctions en raison du fait qu’elle avait échoué à un examen écrit de deux heures.

La première des décisions d’appel (la décision Preto) exposait les motifs pour lesquels la procédure de sélection et le processus de prise de décision étaient défectueux puisqu’ils avaient abouti à un [traduction] « résultat inacceptable ». La seconde décision d’appel (la décision Rosenbaum), qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire, a eu pour effet de renforcer la décision Preto. Ce faisant, elle critiquait la procédure de sélection qui avait été suivie en réponse à la décision Preto et qui avait permis au « résultat inacceptable » susmentionné de continuer. C’est de cette critique que les moyens invoqués pour contester la décision Rosenbaum découleraient dans la présente demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)].

La présente décision est susceptible de faire jurisprudence, mais a peu de valeur pratique pour Mme Bates. Ainsi que l’exposé des faits le démontrera, la série d’événements contre lesquels Mme Bates s’est battue en l’espèce a été déclenchée par une décision que le comité d’appel a rendue avant le prononcé de la décision Preto et qui était devenue sans objet au moment où elle a été rendue, étant donné que les deux employés qu’elle visait avaient déjà été reconduits dans leurs fonctions, conformément à leur désir. La décision a toutefois donné lieu à la prise de certaines mesures qui ont provoqué les deux décisions d’appel ultérieures. Avant que le président du comité d’appel, M. A. H. Rosenbaum, ne commence l’audition de l’appel, les trois nominations que Mme Bates contestait en interjetant l’appel en question étaient venues à expiration et, de fait, les trois personnes concernées avaient été reconduites dans leurs fonctions à de nouvelles conditions d’emploi, ce qui rendait l’appel sans objet. C’est cette décision sans objet que la présente instance en contrôle judiciaire vise.

À l’ouverture de l’audience, l’avocat du requérant, Me Akman, a déclaré en toute franchise que la raison pour laquelle la présente demande était introduite était que, vu la série d’événements qui s’étaient produits dans la présente affaire, le requérant ne voulait pas être lié par le précédent créé par la décision Rosenbaum. De nombreux moyens distincts ont été invoqués pour contester la décision, mais ils concernent tous la même question : quels sont le rôle et la fonction d’un comité d’appel de la Commission de la fonction publique du Canada?

Le requérant affirme que la seule fonction que la loi attribue à un comité d’appel est de faire enquête pour déterminer si un processus de sélection contesté, et son issue, sont conformes au concept du mérite relatif. Il soutient en conséquence que la procédure du comité d’appel ne saurait remplacer les autres recours qui sont ouverts aux employés de la fonction publique. En d’autres termes, le comité d’appel ne possède pas le droit légal de corriger une « mauvaise » décision résultant de l’exercice d’un recours si cette décision respecte le principe du mérite. Ainsi qu’il ressortira de l’examen des décisions Preto et Rosenbaum, les deux personnes qui ont rendu ces décisions ont formulé des critiques et des recommandations dans leur décision. Le requérant affirme qu’elles ont de ce fait commis une erreur de droit. Ainsi que je l’expliquerai en détail dans l’analyse qui suit, je ne suis pas de son avis.

A.        Genèse de l’instance

Le récit des événements vécus par Mme Bates en ce qui concerne le processus de nomination de la Commission de la fonction publique est très long. Il faut cependant l’examiner pour comprendre le contexte dans lequel la décision Rosenbaum a été rendue.

Au début de l’année 1984, Emploi et Immigration Canada, qui s’appelle maintenant Ressources humaines Canada (le Ministère), a suivi une procédure de sélection dans le but de choisir, parmi les fonctionnaires dont le contrat était sur le point d’expirer, ceux à qui il offrirait une nomination pour une période déterminée relativement à leur poste de représentant du service à la clientèle au Télécentre de l’assurance-chômage à Toronto. Après avoir examiné les rapports trimestriels de contrôle qui avaient été établis pour chacun des employés en question par leurs supérieurs de Toronto, la directrice du Télécentre, Mme Linda Brant, a offert de nouveaux contrats à 49 des 52 employés pour la période du 1er avril 1994 au 30 septembre 1994. Mme Bates a été choisie et reconduite dans ses fonctions.

Par suite du processus de sélection, deux des trois employés qui n’avaient pas été reconduits dans leurs fonctions ont interjeté appel en vertu de l’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-33 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 16)]. Or, les deux employés en question, Ammirante et Strain, ont été reconduits dans leurs fonctions avant que leur appel ne soit entendu. Ainsi, les 52 employés ont tous été reconduits dans leurs fonctions, à l’exception d’un seul. Malgré tout, les deux employés en question ne se sont pas désistés de leur appel. Le 19 août 1994, le président du comité d’appel, M. J. R. Ojalammi, a conclu que l’appel devait être accueilli pour les motifs suivants :

1. Le Ministère n’avait pas rédigé d’énoncé de qualités dans le cadre du processus de dotation;

2. Le Ministère semblait considérer le processus comme une fonction administrative et les évaluations effectuées ne tenaient pas compte des différences qui existaient entre les candidats selon leur mérite;

3. Le Ministère n’avait pas régulièrement divulgué les rapports de contrôle aux représentants des appelants.

Le Ministère a reconnu que le principe du mérite n’avait pas été respecté dans le premier processus de sélection. Entre avril et juillet 1994, le Ministère a tenu un nouveau concours interne auquel tous les employés de la région de Toronto avaient le droit de participer et de se porter candidat pour de futurs postes à pourvoir pour une période indéterminée, pour une période déterminée ou à titre intérimaire.

En septembre 1994, la Commission de la fonction publique a estimé que le second processus de sélection, qui était un concours interne, constituait une mesure corrective appropriée pour remédier aux difficultés signalées par le comité d’appel dans la décision rendue au sujet des fonctionnaires Ammirante et Strain. Au terme de ce concours interne, Mme Bates était l’une des deux employés qui ne remplissaient pas les conditions requises, étant donné qu’il lui manquait six points pour obtenir la note de passage à l’examen écrit portant sur ses connaissances.

Aux mois d’août et de septembre 1994, la Direction générale des programmes de dotation de la Commission de la fonction publique a pris d’autres mesures correctives relativement aux cinq contractuels qui ne s’étaient pas inscrits au concours interne et aux deux employés qui s’étaient inscrits au concours interne mais qui ne remplissaient pas les conditions requises. Mme Bates faisait partie de cette dernière catégorie. En septembre 1994, les sept employés ont été évalués de nouveau par un jury de sélection au moyen d’outils de sélection [traduction] « de valeur égale ou comparable » à ceux qui avaient été utilisés lors du second concours interne. Le jury de sélection, qui était composé de trois personnes, dont Mme Brant, la directrice du Télécentre, a évalué les titres de compétence des sept candidats au moyen d’un examen écrit. Les compétences, les capacités et les qualités personnelles des candidats ont été évaluées par la vérification des références et par l’examen de rapports de contrôle. Mme Bates et trois autres candidats n’ont pas obtenu la note de passage au test écrit de connaissances. Mme Bates a échoué au second test écrit de connaissances avec une note de 113 sur 200, alors que la note de passage était de 140 sur 200. Le nombre de points qui lui manquaient pour atteindre la note de passage est donc passé de six à 27.

Mme Bates et les trois autres candidats qui ont échoué ont interjeté appel en vertu de l’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique de la décision de nommer les trois candidats reçus. Les trois autres appelants se sont finalement désistés de leur appel, mais Mme Bates a poursuivi son appel et a fait valoir que l’examen écrit ne constituait pas une évaluation fiable de sa compétence sur le plan de ses connaissances. Mme Bates a affirmé que les membres du jury de sélection avaient commis une erreur en n’interprétant pas ses résultats au second examen écrit en tenant compte du fait qu’ils étaient personnellement au courant du fait qu’elle avait un excellent rendement depuis près de cinq ans. Compte tenu du fait qu’elle avait été reconduite dans ses fonctions à plusieurs reprises, Mme Bates faisait valoir que ses mauvais résultats aux examens écrits contredisaient son rendement.

B.        La décision Preto

Mme Anna E. Preto a entendu l’appel de Mme Bates et, le 21 avril 1995, elle lui a donné gain de cause. Mme Preto a conclu qu’il y avait plusieurs motifs pour lesquels l’évaluation susmentionnée était invalide et ne respectait pas le principe du « mérite ».

En premier lieu, après avoir examiné la preuve, Mme Preto a conclu que Mme Brant aurait également dû se fier aux rapports d’évaluation et d’examen du rendement concernant Mme Bates. Au sujet des examens de rendement, Mme Preto a déclaré : [traduction] « Ils représentent des éléments de preuve documentaire détaillés portant sur une évaluation en profondeur du rendement de Mme Bates au travail pour des fonctions identiques à celles qui sont visées par le présent appel … les rapports ne peuvent être qualifiés que d’entièrement favorables et on y mentionne à plusieurs reprises qu’on a contrôlé le rendement de la plaignante en ce qui concerne la prestation de services à la clientèle au telephone »[1]. Les examens étaient entièrement favorables et indiquaient des degrés d’excellence variant de 95 pour 100 à 100 pour 100.

Au sujet de cet élément de preuve, Mme Preto a ajouté la remarque suivante :

[traduction] De toute évidence, le Ministère n’a pas contredit le dossier de rendement très favorable de l’appelante [Mme Bates], ni le lien incontestable qui existe entre les fonctions qu’elle exerçait et celles du poste visé par l’appel, ni le fait qu’il est implicite que la personne qui a un aussi bon rendement possède les qualités requises sur le plan des connaissances[2].

En second lieu, Mme Petro n’a pas été convaincue par les deux rapports de contrôle subséquents qui affirmaient que les connaissances de Mme Bates s’étaient détériorées. Les rapports de contrôle subséquents avaient été rédigés peu de temps après les étapes « pilotes » initiales du nouveau système de contrôle au cours desquelles une baisse générale de service avait été constatée.

En troisième lieu, Mme Petro a exprimé des réserves au sujet de l’utilisation qui avait été faite d’un conseil donné par M. George Collins, chef des Services de consultation, Région du Centre et du Sud-Ouest de l’Ontario, à la Direction générale des programmes de dotation de la Commission de la fonction publique. M. Collins avait suggéré que les titres de compétence des candidats soient évalués au moyen d’outils de sélection de « valeur comparable ou égale » à ceux qui avaient déjà été utilisés pour le concours interne. Mme Petro a déclaré :

[traduction] Compte tenu de l’explication que le Ministère lui-même a donnée au sujet de ce qu’il croyait que le conseil de M. Collins voulait dire, il semblerait qu’en cours de route, le critère des outils de « valeur comparable ou égale » se soit transformé en celui des outils « identiques ». Suivant son propre témoignage, M. Collins n’a jamais conseillé au Ministère d’utiliser des outils de sélection « identiques ». Dans ces conditions, force m’est de conclure soit que le Ministère a mal compris le conseil que M. Collins a donné au sujet de la façon de procéder pour le processus de sélection en cause, soit qu’il n’en a pas tenu compte[3].

Finalement, Mme Petro s’est dite d’avis qu’il incombait au jury de sélection de résoudre la question de la contradiction qui existait entre les rapports d’examen du rendement de Mme Bates et son échec à l’examen écrit. Voici en quels termes elle s’est exprimée :

[traduction] Ce qui m’amène à la principale question que la présente audience a mise en lumière. Je trouve tout à fait inacceptable qu’ayant été constamment engagée et reconduite par Mme Brant (en sa qualité de directrice du service) au même endroit dans des fonctions identiques à celles du poste visé par l’appel pendant cinq (5) ans (à quelques jours près) et que s’étant fait dire par la même gestionnaire (en sa qualité de membre du comité d’examen des rapports d’évaluation et d’examen du rendement) qu’elle faisait un excellent travail, l’appelante se fasse dire par la même Mme Brant (cette fois-ci en sa qualité de présidente du jury de sélection), sur le fondement d’un examen de deux (2) heures, qu’elle ne remplit soudainement plus les conditions requises pour être nommée à ce poste. Malgré ses protestations, que je trouve loin d’être convaincantes, Mme Brant avait de toute évidence accès à la feuille de route de l’appelante et connaissait ses antécédents professionnels, et elle doit s’être aperçue que les renseignements relatifs à l’appelante étaient totalement contradictoires et tout simplement entièrement illogiques dans le contexte du principe du mérite. Dans ces conditions, j’estime qu’il incombait alors à Mme Brant, en sa qualité de membre du jury de sélection et compte tenu de sa connaissance personnelle de l’appelante, de résoudre la contradiction qui existait entre les excellents antécédents avérés de l’appelante et son échec à l’examen écrit. Or, Mme Brant et les autres membres du jury de sélection ne l’ont tout simplement pas fait, à cause des conseils mauvais ou ambigus qu’ils ont reçus. Cela ne dégage cependant nullement le jury de sélection de la responsabilité qu’il avait, dans ces circonstances, d’examiner la question plus à fond[4].

Il ressort du passage suivant que Mme Preto a effectivement donné des directives en accueillant l’appel en précisant bien ce qui devait être fait, selon elle, pour corriger les erreurs constatées :

[traduction] Dans la décision Halbert, le comité d’appel donne un aperçu du type de délibérations qui conviendraient dans un cas pareil. J’estime qu’il est utile de citer des extraits de cette décision pour le bénéfice du Ministère. J’aimerais toutefois introduire cette citation en précisant que les exemples qui y sont cités ne devraient pas être considérés comme exhaustifs. Dans la décision Halbert, la divergence constatée était celle qui existait entre les antécédents de l’appelante et son rendement à l’entrevue de sélection :

[traduction] … Ayant constaté qu’il était conscient du fait que ses conclusions sur les titres de compétence de l’appelante contredisaient d’autres faits établis, je trouve étonnant que le comité de cotation n’ait pas jugé nécessaire de faire enquête plus à fond sur la question. De fait, j’estime que le comité de cotation a agi de façon irresponsable en ignorant délibérément des éléments de preuve qui avaient été portés à sa connaissance et qui permettaient de penser que le supérieur immédiat de l’appelante, qui avait consacré quatre mois à observer le rendement quotidien de l’appelante dans les fonctions annoncées, avait jugé ce rendement « entièrement satisfaisant ». Il me semble qu’avant de conclure que l’appelante ne possédait pas les qualités requises pour le poste, le comité de cotation aurait dû déterminer, par exemple, si l’évaluation que le supérieur avait faite de l’appelante était fiable ou non, s’il avait retenu des titres de compétence ou des normes très différentes de celles qui avaient été utilisées par le comité de cotation, s’il avait estimé qu’il n’avait pas disposé de suffisamment de temps pour l’évaluer, si l’appelante se trouvait encore dans une période de formation prolongée, étant donné qu’elle était encore à l’essai ou si le milieu de travail et les attentes de la direction de Selkirk étaient différents de ceux de Winnipeg. À mon avis, ces considérations, ainsi que d’autres facteurs auxquels on peut penser, peuvent expliquer la contradiction apparente entre les « antécédents » de l’appelante et son rendement à l’entrevue. En agissant comme il l’a fait, le comité de cotation s’est privé de renseignements précieux et pertinents qui lui auraient permis de rendre une décision intelligente en matière de dotation.

Après tout, tout l’intérêt de l’utilisation de l’entrevue comme outil de sélection n’est pas de déterminer comment un candidat se comportera à l’entrevue, mais bien de fournir au comité de cotation suffisamment de renseignements pour lui permettre de faire des prédictions sur les chances de succès du candidat en ce qui concerne l’exécution des fonctions du poste annoncé. (À la page 7)

Je ne vois aucune raison d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire précitée. En ce qui concerne le présent appel, je ne suis pas convaincu que le jury de sélection a tenu dûment compte de tous les titres de compétence de l’appelante. En somme, je conclus que le représentant de l’appelante a mis suffisamment en doute l’évaluation que le jury de sélection a faite des titres de compétence de l’appelante dans le présent processus de sélection pour ce qui est du facteur des connaissances pour pouvoir le contester[5].

Par conséquent, Mme Preto a conclu que Mme Bates devait [traduction] « être réévaluée pour ce qui est du facteur des connaissances et, au besoin, en ce qui concerne les autres facteurs en tenant dûment compte de ses titres de compétence avérés relativement à l’exécution des fonctions du poste »[6].

C.        Réponse à la décision Preto

En réponse à la décision Preto, M. Collins est de nouveau intervenu le 6 juin 1995 et il a cette fois-ci ordonné la mesure corrective suivante :

[traduction] Compte tenu de la décision et des observations du comité d’appel, j’ordonne qu’un jury de sélection soit formé pour évaluer les titres de compétence de Mme Bates, en commençant par le facteur des connaissances. Bien que les outils utilisés pour la sélection soient discrétionnaires, le jury de sélection doit être conscient du fait qu’il doit tenir compte de tous les renseignements dont il est au courant et du fait qu’il doit les intégrer dans son évaluation de ses qualités[7].

Conformément à cette directive, un nouveau jury de sélection a été constitué. Le jury a évalué les qualités de Mme Bates en tenant compte des éléments suivants :

1. Les renseignements contenus dans les rapports d’évaluation et d’examen du rendement de l’appelante entre octobre 1989 et octobre 1994;

2. Les rapports de contrôle de son travail entre février 1990 et septembre 1994;

3. Le rendement de l’appelante aux deux examens écrits de connaissances qu’elle a subis en mars et en septembre 1994.

Comme l’appelante avait obtenu la note de 44, le jury de sélection a conclu qu’elle n’avait pas obtenu la note minimale de 70 points sur 100 au chapitre des connaissances.

Le 4 juillet 1995, Mme Bates a de nouveau interjeté appel devant le comité d’appel. Elle a invoqué plusieurs moyens au sujet des mesures correctives du Ministère. Ainsi, elle a allégué que :

1. La mesure corrective prise par suite de la décision Preto ne tenait pas pleinement compte des motifs pour lesquels l’appel avait été accueilli dans cette décision. En particulier, le Ministère n’avait pas concilié le rendement favorable de Mme Bates avec l’évaluation que le jury de sélection avait lui-même faite de ses connaissances par d’autres moyens. Le jury de sélection n’avait pas communiqué avec Mme Brant, qui possédait des renseignements au sujet des connaissances de Mme Bates.

2. Le jury de sélection avait utilisé les deux rapports de contrôle d’août et de septembre 1994 comme outils d’évaluation même si, dans la décision Preto, on avait remis en question la fiabilité de ces rapports.

3. Le jury de sélection avait utilisé les données concernant les résultats de l’appelante aux deux examens écrits portant sur ses connaissances alors que ces examens n’étaient plus à jour, à l’époque.

4. La note de 100 pour 100 obtenue par Mme Bates dans le rapport de contrôle de mai 1994 indiquait un degré d’excellence qui contredisait les résultats de l’examen écrit administré le même mois.

5. Le système de cotation utilisé par le jury de sélection était fautif, étant donné qu’il considérait que sa dernière année comptait pour la moitié des points.

6. Le jury de sélection avait manqué à son obligation d’évaluer Mme Bates en se fiant aux évaluations de deux jurys de sélection antérieurs.

D.        La décision Rosenbaum

En réponse à l’appel de Mme Bates, M. Rosenbaum a, le 7 novembre 1995, rendu une décision soignée dont voici les extraits contestés :

[traduction] Toutefois, avant d’exposer ces motifs, je tiens à souligner que, dans l’affaire Bates (précitée), le comité d’appel a imputé en partie à M. Collins les problèmes découlant de la mesure corrective prise par suite de la décision rendue dans l’affaire Ammirante et Strain. En conséquence, j’aurais cru que M. Collins aurait pris le soin de bien préciser la mesure corrective qui devait être prise par suite de la décision Bates (précitée) et, en particulier, qu’il aurait bien précisé ce dont le nouveau jury de sélection devait et ne devait pas tenir compte pour évaluer les qualités de l’appelante. Toutefois, au lieu de donner ces directives, M. Collins a choisi d’indiquer en termes généraux la mesure corrective que le nouveau jury devait prendre, c’est-à-dire « évaluer les titres de compétence de l’appelante en commençant par le facteur des connaissances » et « être conscient du fait qu’il doit tenir compte de tous les renseignements dont il est au courant et du fait qu’il doit les intégrer dans son évaluation de ses qualités ». À mon avis, faute de directives, le nouveau jury de sélection s’est retrouvé avec la tâche de déterminer comment mettre en application la mesure corrective sans la moindre directive de la part de M. Collins. Cette situation a, à son tour, amené le jury de sélection à rendre des décisions mal fondées au sujet des outils à utiliser pour évaluer l’appelante sur le plan de ses « connaissances », ce qui permet de se demander si celle-ci a été correctement évaluée à ce chapitre.

Je suis d’accord avec l’appelante pour dire que le jury a fait preuve de négligence en ne communiquant pas avec Mme Brant pour obtenir des renseignements au sujet des « connaissances » de l’appelante relativement à l’exécution de ses fonctions de représentante du service à la clientèle (CR 4). En raison de cette omission, le jury de sélection n’a pas concilié l’évaluation des « connaissances » de l’appelante avec les rapports favorables d’examen du rendement et d’évaluation qui avaient déjà été établis au sujet de son rendement au travail. Dans l’affaire Bates (précitée), le comité d’appel avait conclu que le jury de sélection avait commis une faute à cet égard et je trouve renversant que le nouveau jury de sélection ait commis la même erreur.

Il y a également lieu de reprocher au jury de sélection d’avoir utilisé comme outils d’évaluation les rapports de contrôle portant sur le rendement au travail de l’appelante en août et en septembre 1994. Les commentaires formulés par le comité d’appel dans la décision Bates (précitée), ainsi que ses constatations sur le témoignage donné par Mme Brant sur la question, m’amènent à conclure qu’il y a suffisamment de doutes au sujet de la fiabilité des renseignements contenus dans ce rapport pour écarter ces outils comme moyen d’évaluation des « connaissances » de l’appelante.

De même, j’estime qu’il y a lieu de reprocher au jury d’avoir utilisé comme outils d’évaluation les examens écrits que l’appelante a subis en mai et en septembre 1994. Compte tenu du fait que le jury de sélection a évalué les « connaissances » de l’appelante en juin 1995, je conclus que ses résultats à ces examens constituent des éléments d’information qui ne sont plus à jour. En d’autres termes, je conclus que la décision MacKintosh (précitée) s’applique bel et bien au cas qui nous occupe et que le temps qui s’est écoulé, dans les deux cas, était trop long. Un autre problème qui a été soulevé est le fait que l’évaluation des « connaissances » de l’appelante en fonction de ses résultats aux examens avait déjà été faite par d’autres jurys de sélection et qu’en conséquence, le jury de sélection s’est soustrait à ses responsabilités en fondant son évaluation de l’appelante en partie sur ces évaluations[8].

E.        Analyse

Ainsi qu’il a été mentionné dans l’introduction, les moyens qui sont invoqués pour contester la décision Rosenbaum portent sur les pouvoirs et la fonction de la procédure d’appel prévue par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-33, modifiée) [le paragraphe 10(2) (édicté par L.C. 1992, ch. 54, art. 10)], dont les dispositions suivantes s’appliquent particulièrement à la présente affaire :

10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d’une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l’administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

21. (1) Dans le cas d’une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l’appelant et l’administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

La première décision d’appel qu’a rendue la présidente Ojalammi le 19 août 1994 concernait un cas relevant du paragraphe 10(1), alors que la procédure qui a fait l’objet d’un appel dans les affaires Preto et Rosenbaum était visée par le paragraphe 10(2). Tous les appels ont cependant été interjetés en vertu de l’article 21.

En ce qui concerne le principe de la sélection au mérite qui est posé aux paragraphes 10(1) et 10(2), le requérant invoque l’extrait suivant du jugement Charest c. Procureur général du Canada, [1973] C.F. 1217, à la page 1221, comme énoncé de droit limitant le rôle et la fonction du comité d’appel :

Si l’article 21 prévoit un droit d’appel, ce n’est donc pas pour protéger les droits de l’appelant, c’est pour empêcher qu’une nomination soit faite au mépris du principe de la sélection au mérite.

Dans son plaidoyer, Me Akman a bien précisé que le requérant adoptait le point de vue selon lequel cet extrait ne reconnaît qu’un rôle et qu’une fonction très limités au comité d’appel. Pour bien illustrer sa thèse, Me Akman a déclaré dans le plaidoyer qu’il a fait sur les erreurs dont sont entachées les décisions Petro et Rosenbaum que [traduction] « ce n’était pas au comité d’appel de fourrer son nez dans la question du principe du mérite pour rectifier une situation injuste; personne n’est satisfait de la façon dont les choses ont tourné, personne ne voulait qu’elle perde son emploi; mais c’est mal de dire aux candidats reçus : “nous allons donner votre poste à Bates” »[9].

Sur la question de savoir ce qu’on doit dire aux candidats reçus, Me Akman insiste sur trois points dans son mémoire : à l’audience, Mme Bates n’a remis en question ni la validité de l’examen écrit de deux heures portant sur les connaissances comme outil de sélection, ni l’exactitude de sa note, le représentant de Mme Bates n’a jamais prétendu que les candidats reçus ne possédaient pas les qualités requises pour le poste, et il n’a jamais prétendu que Mme Bates était aussi ou mieux qualifiée que les candidats reçus.

Si j’ai bien compris, il ressort de l’extrait précité du jugement Charest et des moyens qui ont été invoqués à son sujet que la thèse du requérant est que le principe du mérite est correctement appliqué tant que, en appliquant exactement les mêmes critères, on peut dire que les candidats reçus sont qualifiés et que les candidats non reçus ne sont pas autant ou plus qualifiés. En d’autres termes, aussi longtemps que chacun est jugé exactement de la même façon, peu importe les outils d’évaluation qui sont utilisés, et indépendamment de la question de savoir si les résultats semblent justes, le principe du mérite est correctement appliqué et le comité d’appel ne devrait pas intervenir.

J’ai beaucoup de difficulté à accepter cette thèse, tout comme il semble que cela a été le cas pour Mme Preto et M. Rosenbaum.

En premier lieu, je suis d’accord pour dire que l’arrêt Charest constitue un précédent obligatoire en ce qui concerne le rôle et la fonction d’un comité d’appel, mais je ne suis pas d’accord pour dire que la phrase précitée donne une idée exacte du sens de la décision qui a été rendue.

Dans l’affaire Charest, Mme Charest s’était inscrite à un concours interne qui exigeait que l’on pose les mêmes questions à tous les candidats lors de l’entrevue. Après que les entrevues eurent été terminées, Mme Charest était la candidate qui s’était classée au premier rang, mais le comité d’appel avait annulé les résultats du concours après avoir constaté qu’avant son entrevue, Mme Charest avait obtenu d’un autre candidat qui avait été reçu en entrevue avant elle des renseignements au sujet des questions qui allaient lui être posées.

Le juge Pratte, J.C.A., a rendu le jugement unanime de la Cour. Il a confirmé cette façon de procéder et, pour ce faire, il a fait la déclaration suivante [aux pages 1220 et 1221], dont la phrase précitée constitue un court extrait :

Suivant l’article 10 de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, « les nominations à des postes de la Fonction publique … doivent être faites … selon une sélection établie au mérite ». La tenue d’un concours est un des moyens que prévoit la loi pour atteindre cet objectif de la sélection au mérite. Or, il est important de voir que c’est également dans le but d’assurer le respect du principe de la sélection au mérite que l’article 21 accorde un droit d’appel aux candidats qui n’ont pas été reçus à un concours. Lorsqu’un candidat malheureux exerce ce droit, il n’attaque pas la décision qui l’a déclaré non qualifié, il appelle, comme le dit l’article 21, de la nomination qui a été faite ou qui est sur le point d’être faite en conséquence du concours. Si l’article 21 prévoit un droit d’appel, ce n’est donc pas pour protéger les droits de l’appelant, c’est pour empêcher qu’une nomination soit faite au mépris du principe de la sélection au mérite. Tel étant le but que, à mon avis, le législateur avait en vue en édictant l’article 21, il m’apparaît clair qu’un comité nommé en vertu de cet article n’agit pas irrégulièrement si, constatant qu’un concours a été tenu dans des conditions telles qu’on puisse douter qu’il permette de juger du mérite des candidats, il décide qu’aucune nomination ne devra être faite suite à ce concours. Une pareille décision peut certes causer un certain préjudice à des candidats qualifiés qui n’ont rien à se reprocher. Mais, outre que ce préjudice est bien minime (puisque les candidats pourront toujours se présenter à un autre concours), il serait anormal d’admettre, pour l’éviter, que des nominations se fassent dans la Fonction publique sans que l’on soit assuré que le principe de la sélection au mérite est respecté. [Non souligné dans l’original.]

Ainsi, je conclus que, dans l’arrêt Charest, la Cour d’appel fédérale a souscrit à la conception corrective retenue par le comité d’appel, qui avait « annulé le résultat d’un concours qui lui paraissait avoir été organisé de telle façon que l’on pouvait douter de sa valeur »[10]. Ce faisant, le juge Pratte, J.C.A., a effectivement appuyé en partie les critiques que le comité d’appel avait formulées à l’endroit du comité de sélection en reprochant à celui-ci de ne pas avoir « pris les précautions nécessaires en vue d’éviter le coulage »[11]. L’idée essentielle que l’on doit retenir de l’arrêt Charest est non seulement que le principe du mérite est le principe directeur du processus de sélection, mais aussi que, pour l’appliquer, on doit tenir compte des réalités contextuelles. Dans l’arrêt Charest, la Cour a également souscrit à l’idée que, pour remplir ses obligations, le comité d’appel peut formuler des critiques.

En second lieu, le fait que l’on reproche à l’auteur de la décision Rosenbaum d’avoir « fourré son nez dans la question du principe du mérite » m’amène à dire deux choses : tout dépend du point de vue où l’on se place pour déterminer si la décision d’appel constitue une ingérence ou une mesure corrective; en second lieu, en souscrivant à l’idée que le processus d’appel ne constitue pas une mesure corrective, on limite à tel point son rôle qu’on le rend inutile.

Dans le contexte de la présente affaire, je conclus que l’appel a pour but de révéler et de corriger les erreurs commises dans l’application de normes qui ont pour effet de saper le principe de la sélection au mérite qui veut que l’on nomme le candidat le plus qualifié. En d’autres termes, en révélant et en corrigeant des erreurs, on n’attaque pas le principe du mérite, mais on le protège en tant que concept.

Les divers aspects que comporte la fonction corrective du comité d’appel impliquent nécessairement que celui-ci procède à une analyse critique et qu’il réponde en donnant des directives. Pour être efficace, le comité d’appel doit préciser en quoi le processus de sélection est imparfait et, bien qu’il soit vrai que cette analyse critique pourrait être considérée comme une critique ou une défense, selon le point de vue que l’on adopte, elle constitue néanmoins un élément nécessaire du processus d’appel. J’estime qu’il relève parfaitement du rôle et de la fonction d’un comité d’appel de mettre le doigt sur les erreurs et de formuler des recommandations en précisant les mesures qui devraient être prises pour corriger la situation en cause et ce qui doit être fait ou ne pas être fait pour éviter que la même erreur ne se répète à l’avenir.

Et, en troisième lieu, en appliquant le principe du mérite, on doit être conscient de la réalité critique des faits de l’affaire et de la situation personnelle des personnes en cause et, au besoin, y réagir. Il est incontestable qu’on peut conclure, à la lecture de leurs décisions, que Mme Preto et M. Rosenbaum étaient vivement préoccupés par l’existence d’un écart aussi grand entre le rendement pratique au travail et les résultats à un examen écrit. Il est évident que, dans ces deux décisions, Mme Preto et M. Rosenbaum ne cherchaient pas à accorder un avantage à Mme Bates, mais plutôt à corriger l’écart constaté pour s’assurer que Mme Bates soit traitée avec justice et sur un pied d’égalité avec tous les autres candidats.

Il y a indéniablement lieu de se demander pourquoi Mme Bates a obtenu une note aussi faible à ses examens écrits. Bien que cet aspect n’ait pas été soulevé dans le dossier, je me demande si elle ne souffre pas d’un trouble d’apprentissage ou si elle n’a pas de la difficulté à lire et à écrire, ce qui ferait qu’il lui serait impossible d’obtenir une note élevée à l’examen écrit. Peu importe la cause, le fait de ne pas aborder la question, comme Mme Preto et M. Rosenbaum l’ont fait, constitue à mon avis une erreur. En effet, comment peut-on appliquer correctement le principe du mérite sans répondre à cette question? Or, ni l’une ni l’autre des personnes qui ont rendu ces décisions n’a suggéré de réponse. Elles se sont contentées de demander que l’on trouve une réponse.

Il se pourrait fort bien que, lorsqu’on ne peut s’attendre à ce qu’une candidate comme Mme Bates obtienne une note aussi élevée que les autres candidats à un examen écrit en raison d’une déficience quelconque, il faille prendre des mesures à l’examen pour tenir compte de sa situation.

À cet égard, Me Akman a demandé si les répercussions de la décision Rosenbaum étaient justes pour les autres candidats qui avaient réussi à l’examen écrit et qui pourraient être « évincés » par Mme Bates si celle-ci était jugée qualifiée. Vu les faits de la présente affaire, la question est purement théorique, mais, de façon générale, je dirais qu’en tenant compte de la situation de Mme Bates à l’examen écrit, on ne crée pas de dangereux précédent. Dans le cas qui nous occupe, Mme Bates et toutes les personnes qui se trouvent dans sa situation risquent de subir un grave préjudice si l’on ne corrige pas la grave imperfection dont est entaché le processus d’évaluation.

J’estime par ailleurs qu’il convient que le comité d’appel tienne pleinement compte de l’ensemble des faits de l’affaire soumise à son examen pour déterminer si une erreur a été commise et, dans l’affirmative, pour décider des mesures à prendre pour la corriger. Me Akman soutient que, pour rendre sa décision, M. Rosenbaum [traduction] « n’avait absolument pas à tenir compte de la décision Preto; il n’était payé que pour interpréter le principe du mérite. Parce qu’il était motivé par des valeurs morales, la décision qu’il a rendue n’est pas juste pour le Ministère; il ne lui était pas possible de conclure à l’existence d’une faute; il a posé un jugement moral et ne s’est pas prononcé en fonction du principe du mérite »[12]. Le sens de l’intervention de Me Akman est que M. Rosenbaum devait considérer isolément la dernière décision du jury de sélection, sans tenir compte des connaissances ou préoccupations ayant influencé cette décision.

À mon avis, non seulement cette façon de voir nie l’importance du contexte dont on doit tenir compte pour s’assurer que les mesures prises s’appliquent aux personnes en cause, mais elle va aussi à l’encontre de toute logique. Aucun processus d’appel ne peut atteindre ses objectifs s’il est myope et borné au point d’ignorer des réalités critiques, y compris le contexte historique de l’affaire.

La décision Preto fait partie du contexte de l’affaire de Mme Bates, et je crois que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que M. Rosenbaum en tienne compte. Autrement dit, M. Rosenbaum avait le droit et était tenu de respecter les décisions antérieures du comité d’appel, y compris la décision Preto, même s’il n’était pas lié par elles.

De fait, la décision Preto a créé des attentes au sujet de l’application correcte du principe du mérite aux faits de la présente affaire. Il n’est donc pas étonnant que M. Rosenbaum ait effectivement appliqué et renforcé la décision Preto en raison de l’apparente incapacité du jury de sélection de saisir les arguments que Mme Preto avait soigneusement formulés. Et pour cette même raison, il n’est pas étonnant non plus que M. Rosenbaum ait manifesté une certaine irritation en entendant l’affaire et en rédigeant sa décision. Les critiques qu’il a formulées ne révèlent pas de la partialité, mais une volonté de sa part d’être direct et constructif pour s’assurer que le principe du mérite soit correctement appliqué.

F.         Dispositif

Je conclus que M. Rosenbaum n’a commis aucune erreur justifiant un contrôle judiciaire dans sa décision; en conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

À deux reprises en 1995, Mme Bates a obtenu gain de cause sur le fond de sa cause devant le comité d’appel de la Commission de la fonction publique du Canada. Malgré cela, le requérant a introduit la présente instance en contrôle judiciaire pour mettre à l’épreuve le rôle et la fonction du comité d’appel. Compte tenu de ma décision, Mme Bates ne devrait avoir à supporter aucuns frais du fait qu’elle a dû subir cette situation. Pour ce motif spécial, je lui adjuge les dépens selon la colonne III de la partie II du tarif B des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/95-282, art. 5)].



[1] Dossier de la demande de la requérante, à la p. 34.

[2] Ibid., à la p. 35.

[3] Ibid., aux p. 37 et 38.

[4] Ibid., aux p. 37 et 38.

[5] Ibid., aux p. 39 et 40.

[6] Ibid., à la p. 19.

[7] Ibid., aux p. 45 et 46.

[8] Ibid., aux p. 52 à 54.

[9] Ce passage est tiré des notes que j’ai prises à l’audience. Bien qu’il ne soit pas textuel, il permet de dégager le sens de ce qui a été dit.

[10] Le juge Pratte, dans l’arrêt Charest, précité à la p. 1220.

[11] Ibid., à la p. 1219.

[12] Cette citation est elle aussi tirée des notes que j’ai prises à l’audience.

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