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[1997] 3 C.F. 154

A-533-96

Les propriétaires, Navimar Corporation Ltée et toutes autres personnes ayant un droit sur le navire Challenge One, son équipement, ses soutes et le fret et le navire Challenge One, son équipement, ses soutes et le fret (appelants) (défendeurs)

c.

Sail Labrador Limited (intimée) (demanderesse)

Répertorié : Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le) (C.A.)

Cour d’appel, juges Pratte et Décary, J.C.A., et juge suppléant Chevalier—Montréal, 10 mars et Ottawa, 15 avril 1997.

Contrats La levée de l’option d’achat accordée par la charte-partie était subordonnée à l’exécution de toutes les obligationsUn versement a été fait tardivement à cause d’une erreur commise par la banqueL’option a été considérée comme nulleLe juge de première instance a accordé une réparation en equity en invoquant le principe de minimis et la théorie de la « contravention périmée » — En appel, la question en litige était de savoir si le juge a commis une erreur en accordant une réparation en equity vu l’inexécution d’une obligation de la charte-partieLe principe de minimis est un principe qui s’applique de façon limitée lorsque les parties ont implicitement convenu que l’exécution de l’essentiel des obligations est acceptableLe juge de première instance ne pouvait pas l’invoquer après avoir conclu qu’il y avait eu contraventionIl a incorrectement appliqué la théorie de la « contravention périmée » — Les tribunaux examinent le libellé des contrats non pas pour déterminer « si l’equity doit intervenir », mais pour découvrir l’intention véritable des partiesDroits des parties en vertu d’une option d’achatPrincipe de base : une observation stricte est requiseLa question de savoir si cette observation stricte est requise à un moment donné avant la levée de l’option ressortit à l’interprétation de chaque contratIl n’appartient pas aux tribunaux de remanier les contratsLes décisions portant sur la levée de la déchéance ne s’appliquent pas parce que les tribunaux n’ont pas le pouvoir de dispenser une partie de l’obligation de remplir des conditions préalablesLes parties à un contrat commercial qui négocient d’égal à égal peuvent prévoir une clause de rigueur des délais.

Il s’agissait de l’appel du jugement par lequel le juge Nadon a accueilli une action en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que la Sail Labrador avait le droit de lever l’option d’achat prévue dans une charte-partie. La charte-partie accordait à la Sail Labrador l’option d’acheter le Challenge One à l’expiration de la période de cinq ans « à la condition qu’elle exécute toutes les obligations que la présente charte-partie met à sa charge », notamment qu’elle fasse les versements prévus promptement. L’article 11 prévoyait un échéancier de paiement. Le premier versement payable la cinquième année a été fait tardivement à cause d’une erreur commise par la banque. Avant que l’intimée ne fasse le versement, la Navimar l’a avisée que puisque le versement n’avait pas été fait à temps, l’option d’achat était nulle. Le versement a été fait le lendemain. Tous les autres versements ont été faits à temps. La Sail Labrador a cherché à lever l’option d’achat, mais la Navimar a refusé de signer le contrat de vente au motif que la Sail Labrador avait contrevenu à la charte-partie. Le juge de première instance a conclu que la Sail Labrador avait contrevenu à l’article 11, mais il a appliqué des principes d’equity, le principe de minimis et la théorie de la « contravention périmée », pour conclure que la Sail Labrador avait pleinement exécuté toutes les obligations que la charte-partie mettait à sa charge.

La question en litige consistait à savoir si le juge de première instance a commis une erreur en statuant que la Sail Labrador pouvait lever l’option d’achat malgré l’inexécution des obligations prévues dans la charte-partie.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Le juge de première instance a incorrectement appliqué le principe de minimis, qui est un principe d’interprétation appliqué pour déterminer si une contravention a été commise et non pour qualifier une contravention de négligeable. Ce principe s’applique pour empêcher qu’on ne conclue qu’il y a eu contravention eu égard au fait que les parties ont implicitement convenu, relativement à certaines obligations, que l’exécution de l’essentiel des obligations équivaudra à une exécution rigoureuse. C’est un principe dont l’application est limitée. Après avoir conclu qu’il y avait eu contravention, le juge de première instance ne pouvait plus s’appuyer sur le principe de minimis pour conclure que la contravention était si négligeable qu’elle ne constituait pas une contravention.

Le juge de première instance a également commis une erreur en associant la théorie de la « contravention périmée » à des considérations fondées sur l’equity. Les tribunaux examinent le libellé du contrat non pas pour déterminer « si l’equity doit intervenir », comme il l’a laissé entendre, mais pour découvrir l’intention véritable des parties. Le demandeur qui réclame l’aide du tribunal pour obtenir l’exécution forcée d’une option d’achat doit démontrer qu’il a rigoureusement observé les modalités de l’option. Sinon, l’exécution forcée de l’option ne pourra être obtenue que s’il est possible d’établir un rapport entre le défaut de remplir les conditions préalables et la conduite du propriétaire. Aucun rapport semblable n’a été établi dans la présente espèce. Les tribunaux ont tenté d’adoucir les conséquences parfois dures de l’application de cette affirmation en vérifiant si le libellé de l’option et du contrat tout entier pouvait appuyer l’interprétation selon laquelle toutes les conditions doivent avoir été remplies au moment où l’option est levée plutôt qu’au moment où ces conditions devaient initialement avoir été remplies. La doctrine de la « contravention périmée » n’est pas une exception au principe de l’observation stricte. Cependant, la question de savoir si cette observation stricte est requise à un moment donné avant la levée de l’option ressortit à l’interprétation de chaque contrat. Les termes employés par les parties pour formuler l’article relatif à l’option et le contrat sont importants. Les tribunaux doivent donner effet à l’intention des parties. Si les parties ont insisté pour qu’une condition préalable soit remplie à un certain moment, il ne devrait pas être loisible aux tribunaux de décider que cette obligation peut être remplie à une date ultérieure.

Il s’agissait d’un contrat commercial que les parties ont conclu dans les conditions normales du commerce. Les armateurs et les affréteurs sont en mesure de veiller sur eux-mêmes en s’engageant par contrat uniquement à des conditions qu’ils jugent acceptables. La Sail Labrador devait savoir que le respect de l’échéancier de paiement était une condition essentielle de la levée de l’option d’achat. Le libellé de l’article 30 était inéluctable. La Sail Labrador ne pouvait obtenir l’exécution forcée de l’option d’achat que si chaque versement avait été fait le jour même où il devait l’être. Selon une interprétation exacte de l’article relatif à l’option d’achat et de la charte-partie, la Navimar avait le droit ou le privilège de repousser une offre d’achat si la Sail Labrador omettait de payer promptement le loyer conformément à l’annexe prévue à l’article 11. La théorie de la contravention périmée ne s’appliquait pas.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Margaronis Navigation Agency, Ltd. v. Henry W. Peabody & Co. of London, Ltd., [1964] 2 Lloyd’s Rep. 153 (C.A.); Pierce v. Empey, [1939] R.C.S. 247; [1939] 4 D.L.R. 672; Tenax Steamship Co. Ltd. v. Brimnes (Owners), [1975] Q.B. 929 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Sport International Bussum BV v Inter-Footwear Ltd., [1984] 2 All ER 321 (H.L.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

A/S Awilco v Fulvia SpA di Navigazione, [1981] 1 All ER 652 (H.L.); Scandinavian Trading Tanker Co AB v Flota Petrolera Acuatoriana, [1983] 2 All ER 763 (H.L.); United Dominions Trust (Commercial), Ltd. v. Eagle Aircraft Services, Ltd., [1968] 1 All E.R. 104 (C.A.); Sparkhall v. Watson, [1954] 2 D.L.R. 22; [1954] O.W.N. 101 (H.C. Ont.).

DÉCISIONS CITÉES :

Farr v. Atwood (1988), 63 O.R. (2d) 543 (C.A.); conf. (1987), 62 O.R. (2d) 306 (C. dist.); Fridor Investments Ltd. v. Magee, [1969] 2 O.R. 388; (1969), 69 D.L.R. (2d) 387 (C.A.); conf. [1968] 2 O.R. 733; (1968), 58 D.L.R. (2d) 325 (H.C.); West Country Cleaners (Falmouth) Ltd. v. Saly, [1966] 1 W.L.R. 1485 (C.A.); B & R Holdings Ltd. v. Western Grocers Ltd.; Westfair Foods Ltd. v. B & R Holdings Ltd. (1982), 25 R.P.R. 121 (B.R. Man.); North Central Expressways Ltd. v. MacCrostie (1979), 96 D.L.R. (3d) 637 (B.R. Sask.); Petrillo et al. v. Nelson (1980), 29 O.R. (2d) 791; 114 D.L.R. (3d) 273; 13 R.P.R. 222 (C.A.); Birchmont Furniture Ltd. v. Loewen (1978), 84 D.L.R. (3d) 599; [1978] 2 W.W.R. 483 (C.A. Man.); conf. [1977] 3 W.W.R. 651 (B.R. Man.).

APPEL du jugement par lequel la Section de première instance de la Cour fédérale a accueilli une action en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que l’intimée pouvait lever l’option d’acheter un navire, à la condition qu’elle exécute toutes les obligations que la charte-partie mettait à sa charge, malgré la conclusion qu’elle avait contrevenu à l’article prévoyant l’échéancier de paiement (Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le), [1996] 3 C.F. 821 (1996), 115 F.T.R. 128 (1re inst.)). Appel accueilli.

AVOCATS :

Alain R. Pilotte pour les appelants.

Elizabeth M. Heneghan pour l’intimée.

PROCUREURS :

Cabinet d’Alain R. Pilotte, Montréal, pour les appelants.

Cabinet d’Elizabeth M. Heneghan, St. John’s, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Décary, J.C.A. : Il s’agit d’un appel d’un jugement publié de la Section de première instance[1].

L’intimée Sail Labrador Limited (Sail Labrador) a conclu un contrat d’affrètement coque-nue (la charte-partie) avec l’appelante Navimar Corporation Ltée (Navimar) afin d’affréter le navire Challenge One pendant cinq ans. L’article 30 de la charte-partie accordait à la Sail Labrador l’option d’acheter le Challenge One à l’expiration de la période de cinq ans, « [à] la condition qu’[elle] exécute toutes les obligations que la présente charte-partie met à sa charge ». La Sail Labrador a cherché à lever l’option d’achat, mais la Navimar a refusé de signer le contrat de vente au motif que la Sail Labrador avait contrevenu aux articles 8, 9, 11, 15, 25, 28, 30 et 34 de la charte-partie.

La Sail Labrador a ensuite cherché à obtenir, auprès de la Section de première instance de la présente Cour, un jugement déclaratoire portant qu’elle avait le droit de lever l’option d’achat.

Le juge de première instance a conclu que la Sail Labrador avait contrevenu à deux articles, soit les articles 11 et 25. Il a malgré tout accueilli l’action de la Sail Labrador. Il a d’abord déclaré qu’il était loisible à la Cour d’accorder une réparation en equity. Il a ensuite examiné les principes relatifs à l’interprétation des contrats qui s’appliquent aux options d’achat[2] et a donné des précisions sur deux de ces principes, à savoir le principe de minimis, qui veut que les tribunaux ne considèrent pas les dérogations minimes aux clauses d’un contrat comme des contraventions, et la théorie de la « contravention périmée », par laquelle les tribunaux ont assoupli le principe de l’observation rigoureuse de toutes les conditions préalables avant qu’une option d’achat puisse être levée : la personne qui cherche à lever l’option peut le faire malgré des contraventions antérieures pourvu qu’elle ait remédié aux contraventions avant de lever l’option. Le juge de première instance semble avoir appliqué des principes d’equity, le principe de minimis et la théorie de la contravention périmée pour finalement conclure que « la Sail Labrador a pleinement exécuté toutes les obligations que la charte-partie … mettait à sa charge »[3].

La Navimar invoque deux moyens au soutien du présent appel.

Premièrement, elle soutient que le juge de première instance n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire judiciairement lorsqu’il a rejeté la requête en ajournement de la Navimar au début de l’audience. Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé relativement au deuxième moyen d’appel, il est inutile que je me prononce sur cette question dans les présents motifs.

Deuxièmement, la Navimar soutient que le juge de première instance a commis une erreur en concluant qu’il n’y a pas eu contravention aux articles 28 et 34, et en exerçant la compétence en equity de la Cour dans les circonstances. La Sail Labrador n’a pas contesté les conclusions du juge de première instance relativement à la contravention aux articles 11 et 25. À l’audience, nous avons rejeté l’appel portant sur les articles 28 et 34 au motif que les conclusions d’absence de contravention sont des conclusions de fait que le juge de première instance pouvait tirer.

Par conséquent, il ne reste plus qu’à déterminer si le juge de première instance a commis une erreur en statuant que la Sail Labrador pouvait lever l’option d’achat malgré l’inexécution des obligations prévues aux articles 11 et 25.

Les articles 11, 25 et 30 sont ainsi libellés :

[traduction] Échéancier annuel

11. Le loyer annuel d’affrètement est payable en sept (7) mensualités chaque année que dure la charte-partie conformément à l’échéancier suivant :

Cinquième année de la charte-partie (1989)

1.

1989

10 juin

12 142 85 $

2.

1989

10 juillet

12 142 85 $

3.

1989

10 août

12 142 85 $

4.

1989

10 septembre

12 142 85 $

5.

1989

10 octobre

12 142 85 $

6.

1989

10 novembre

12 142 85 $

7.

1989

10 décembre

12 142 90 $

Les versements précités sont payables aux propriétaires, à Québec, en espèces et en devises canadiennes sous forme de virement bancaire ou de chèques certifiés déposés dans le compte suivant :

Navimar Corporation Limitée.

Dans le cas où l’un des versements ne serait pas déposé conformément aux modalités susmentionnées, le propriétaire peut sur-le-champ faire cesser l’exploitation du navire ou retirer celui-ci à l’affréteur sans préjudice des réclamations que le propriétaire peut avoir contre l’affréteur en vertu de la présente charte-partie et sans préjudice des autres droits et réclamations que le propriétaire peut posséder en vertu de toute garantie accessoire consentie par la Sail Labrador Ltd. ou l’un de ses actionnaires, administrateurs ou cautions.

Rapports

25. L’affréteur tient le propriétaire au courant des arrivées du navire aux autres ports d’attache que ceux qui sont mentionnés à l’article 3 et de ses départs de ceux-là. À la fin de chaque mois, à la demande du propriétaire, l’affréteur remet les journaux de bord du pont et de la salle des machines.

Option d’achat

30. À la condition qu’il exécute toutes les obligations que la présente charte-partie met à sa charge, et notamment qu’il fasse les versements prévus promptement et en conformité avec l’annexe de l’article 10 [sic] pendant toute la durée du contrat, l’affréteur a l’option d’acheter le navire à l’expiration de la période de cinq (5) ans de la présente charte-partie moyennant la somme de deux cent mille dollars (200 000 $) en espèces, s’il avise le propriétaire par écrit de son intention de se porter acquéreur du navire au plus tard le 31 mars 1990.

Cette option ne peut être levée que pendant les quinze (15) jours suivant l’envoi par l’affréteur de l’avis précité au propriétaire et doit faire l’objet d’un paiement en espèces. [Dossier d’appel, vol. 1, aux p. 47, 48, 54 et 55.]

Je vais d’abord examiner la contravention à l’article 11.

Les faits pertinents sont les suivants. L’article 11 prévoyait le paiement d’un loyer d’affrètement par la Sail Labrador à la Navimar. La Sail Labrador était tenue de faire sept versements à la Navimar chaque année que durait la charte-partie. Les versements ont été faits à temps pendant les quatre premières années. Le premier versement payable la cinquième année (1989) devait être fait le 10 juin. Il ressort de la preuve que le chèque que la Navimar a reçu pour le versement du 10 juin a été retourné par la banque de la Sail Labrador pour défaut de provision. La Sail Labrador a expliqué qu’à ce moment-là, elle avait engagé des dépenses extraordinaires pour le carénage du Challenge One. Pour faire face à ces dépenses, elle avait obtenu de sa banque une augmentation de sa marge de crédit. Toutefois, en raison d’une erreur commise par un employé de la banque, le chèque qui était payable à l’ordre de la Navimar a été refusé pour provision insuffisante.

Le 28 juin 1989, l’avocat de la Navimar a envoyé la lettre suivante à la Sail Labrador :

[traduction] La Navimar nous a avisés que vous n’avez pas versé le loyer d’affrètement de 12 142 85 $ payable le 10 juin 1989. Le chèque que vous avez fait parvenir à la Navimar a été retourné pour provision insuffisante. Notre cliente a également appris hier que le solde du compte bancaire de la Sail Labrador est encore insuffisant pour couvrir le montant susmentionné en dépit du fait que la Sail Labrador a reçu un chèque de 50 000 $ du gouvernement le 15 juin 1989.

La Navimar nous a chargés de vous aviser que puisque vous n’avez pas versé le loyer d’affrètement du 10 juin 1989, l’option d’achat prévue à l’article 30 de la charte-partie est nulle et sans effet.

Par ailleurs, à moins que vous ne versiez dans les trois jours qui suivent la réception de la présente lettre le montant dû et les intérêts courus de 4 91 $ par jour au compte bancaire no 1081-864 de la Navimar Corporation Limitée à la succursale de la Banque de Montréal sise au 800, Place D’Youville, Québec, la Navimar chargera Me John Roil, c.r., de nous remettre au nom de la Navimar les certificats qui ont été confiés à Me Roil et qui représentent toutes les actions émises du capital social de la Sail Labrador Limited, conformément aux modalités d’un contrat de nantissement signé par les actionnaires de la Sail Labrador Limited en faveur de la Navimar … [Non souligné dans l’original.] [Dossier d’appel, vol. 1, à la p. 60.]

Bien que la preuve ne soit pas claire sur ce point, il semble que la Sail Labrador a fait le versement en question le 29 juin 1989 ou vers cette date, après avoir reçu la lettre en date du 28 juin 1989. Tous les autres versements ont été faits à temps.

Ce n’est pas avant le 31 octobre 1989 que la Sail Labrador a répondu à la lettre en date du 28 juin 1989. Voici la teneur de la lettre qu’elle a envoyée :

[traduction] Dans votre lettre en date du 28 juin 1989, vous avez adopté, au nom de la Navimar, le point de vue selon lequel l’option d’achat prévue à l’article 30 de la charte-partie est nulle parce que la Sail Labrador n’aurait pas versé un loyer d’affrètement de 12 142 85 $ le 10 juin 1989 et que, à défaut de verser la somme due dans les trois jours suivant la réception de votre lettre, la Navimar donnerait pour instructions à Me John Roil, c.r., de remettre toutes les actions transportées en nantissement à la Navimar.

Comme vous le savez maintenant, vu la lettre en date du 30 juin 1989 que les banquiers de la Sail Labrador, à savoir la Banque Royale du Canada, vous ont envoyée (nouvelle copie ci-jointe), c’est uniquement à cause d’une erreur commise par la banque que le versement de 12 142 85 $ n’a pas été fait. Cette erreur a été corrigée et vos clients ont maintenant reçu le versement en question ainsi que tous les versements subséquents. De fait, nous remarquons que votre cliente n’a rien fait pour amener Me Roil à remettre les actions transportées en nantissement.

Ceci étant, il a été remédié à la quasi-contravention, s’il en est, qui existait, et le droit de notre cliente de lever l’option d’achat du navire et de permettre à Me Roil de continuer de détenir les actions transportées en nantissement est maintenant rétabli. De toute façon, nous sommes convaincus qu’une cour de justice serait disposée à nous relever de notre défaut dans de telles circonstances. [D.A., vol. 1, aux p. 120 et 121.]

Le juge de première instance, qui ne s’est pas référé aux lettres précitées, a tiré la conclusion suivante[4] :

On a rapidement corrigé la situation et la Navimar a reçu le versement de loyer du 10 juin 1989. Dans ces conditions, il y a eu contravention à l’article 11, contravention à laquelle la Sail Labrador a cependant rapidement remédié.

Il a finalement rejeté les prétentions de la Navimar en ces termes[5] :

L’avocat de la Navimar a adopté le point de vue selon lequel toute contravention à la charte-partie par la demanderesse rend celle-ci irrecevable à lever l’option prévue à l’article 30. Pour sa part, l’avocate de la demanderesse soutient que l’article 30 n’exige que l’exécution de l’essentiel des stipulations qu’il renferme. L’avocate soutient en outre que des contraventions minimes ne devraient pas faire obstacle à la levée de l’option par sa cliente.

Je ne puis souscrire à la thèse avancée par l’avocat de la Navimar. À mon avis, l’article 30 oblige la demanderesse à exécuter l’essentiel des obligations qu’elle a contractées aux termes de la charte-partie. Ainsi que je l’ai déjà précisé, j’estime que, exception faite des articles 11 et 25, la demanderesse n’a pas contrevenu à la charte-partie. En ce qui concerne l’article 11, la demanderesse n’a été en retard qu’une seule fois dans le paiement du loyer au cours des cinq ans qu’a duré la charte-partie. La demanderesse a remédié à cette contravention lorsqu’elle a été mise au courant de l’erreur commise par la banque. Ainsi, lorsque, le 5 janvier 1990, la demanderesse a levé l’option d’achat en en faisant parvenir un avis écrit à la Navimar, elle ne contrevenait pas à l’article 11 de la charte-partie. L’obligation de payer le loyer avait, à ce moment-là, été remplie.

J’ouvre une parenthèse pour faire remarquer que le juge de première instance a incorrectement appliqué le principe de minimis. Ce principe est un principe d’interprétation. Il est appliqué pour déterminer si une contravention a été commise et non pour qualifier une contravention de minimis. Ce principe s’applique pour empêcher qu’on ne conclue qu’il y a eu contravention eu égard au fait que les parties ont implicitement convenu, relativement à certaines obligations, que l’exécution de l’essentiel des obligations équivaudra à une exécution rigoureuse. C’est un principe dont l’application est limitée. Pour employer les mots du lord juge Sellers dans Margaronis Navigation Agency, Ltd. v. Henry W. Peabody & Co. of London, Ltd.[6] :

[traduction] Il me semble que, dans chaque affaire, le tribunal est appelé à examiner le fond de l’affaire et à ne pas tenir compte et à ne pas donner effet à ce que le tribunal estime être indéniablement des bagatelles, des choses de peu d’importance, de caractère insignifiant ou négligeable.

Le lord juge Diplock semble avoir appliqué un critère encore plus restrictif lorsqu’il a statué sur des contrats commerciaux[7] :

[traduction] L’a-t-il exécuté avec la marge d’erreur qu’il n’était pas possible d’éviter sur le plan commercial dans ces circonstances?

Après avoir conclu qu’il y avait eu contravention, le juge de première instance ne pouvait plus s’appuyer sur le principe de minimis pour conclure que la contravention était si négligeable qu’elle ne constituait pas une contravention.

Le juge de première instance a également commis une erreur en associant la théorie de la « contravention périmée » à des considérations fondées sur l’equity. Les tribunaux examinent le libellé du contrat non pas pour déterminer « si l’equity doit intervenir »[8], comme le juge de première instance l’a laissé entendre, mais pour découvrir l’intention véritable des parties.

L’affirmation suivante faite par le juge en chef Duff dans l’arrêt Pierce v. Empey[9] est un bon point de départ pour cerner les droits qu’une option d’achat confère aux parties :

[traduction] Il est de jurisprudence constante que le demandeur qui réclame l’aide du tribunal pour obtenir l’exécution forcée d’une option d’achat d’un bien-fonds doit démontrer qu’il a rigoureusement observé les modalités de l’option, et notamment les modalités relatives aux délais à respecter. Le propriétaire n’est nullement tenu de vendre tant que les conditions préalables ne sont pas remplies ou que, en raison de sa conduite, le titulaire de l’option n’est pas dispensé de les remplir rigoureusement pour un motif reconnu en equity

En l’absence d’une observation stricte, donc, le titulaire d’une option d’achat ne pourra obtenir l’exécution forcée de l’option que s’il est possible d’établir un rapport entre son défaut de remplir les conditions préalables et la conduite du propriétaire[10]. Aucun rapport semblable n’a été établi dans la présente espèce.

À mon avis, l’affirmation du juge en chef Duff demeure une règle de droit valable. Selon mon interprétation des décisions qui ont été rendues par la suite, les tribunaux ont tenté d’adoucir les conséquences parfois dures de son application en vérifiant si le libellé de l’option et du contrat tout entier pouvait appuyer l’interprétation selon laquelle toutes les conditions doivent avoir été remplies au moment où l’option est levée plutôt qu’au moment où ces conditions devaient initialement avoir été remplies. La théorie de la « contravention périmée » ne prévaut pas sur l’affirmation du juge en chef et est parfois abusivement appelée une exception au principe de l’observation rigoureuse. Au contraire, le principe fondamental est toujours demeuré le même : une observation stricte est requise. Cependant, la question de savoir si cette observation stricte est requise à un moment donné avant la levée de l’option ressortit à l’interprétation de chaque contrat[11].

Les termes employés par les parties pour formuler l’article relatif à l’option et le contrat tout entier sont importants. Les tribunaux doivent donner effet à l’intention des parties. Si les parties ont insisté pour qu’une condition préalable soit remplie à un certain moment, il ne devrait pas être loisible aux tribunaux de décider que cette obligation peut être remplie à une date ultérieure[12]. Affirmer, par exemple, qu’un versement tardif ne tire pas à conséquence, pourvu qu’il ait été fait au moment de la levée de l’option, équivaudra dans bien des cas à un remaniement du contrat. Comme le lord juge Cairns l’a fait remarquer dans l’arrêt The Brimnes[13], [traduction] « [b]ien qu’on puisse valablement affirmer qu’une personne qui a payé après l’échéance a remédié à son défaut de payer, on ne saurait affirmer qu’elle a remédié à son défaut de payer de façon ponctuelle ».

Les avocats nous ont renvoyés à de nombreuses décisions portant sur la levée de la déchéance. Ces décisions ne sont guère utiles dans la présente cause. Comme le juge Judson l’a déclaré dans l’affaire Sparkhall v. Watson[14], [traduction] « [l]a Cour a le pouvoir de relever une partie d’une déchéance, mais n’a pas le pouvoir de la dispenser de l’obligation de remplir des conditions préalables »[15].

L’avocat des appelants s’est énormément appuyé sur les décisions rendues par la Chambre des lords dans les affaires A/S Awilco v Fulvia SpA di Navigazione[16]; Scandinavian Trading Tanker Co AB v Flota Petrolera Ecuatoriana[17]; et Sport International Bussum BV v Inter-Footwear Ltd.[18]. Ces décisions appuient l’affirmation selon laquelle la théorie de la levée de la déchéance ne s’applique pas aux chartes-parties à temps; la Chambre des lords n’a pas examiné la question des conditions préalables à la levée d’une option d’achat et a bien précisé de toute façon qu’elle ne statuait pas sur les chartes-parties coque nue. La décision rendue dans l’affaire Scandinavian Trading Tanker est toutefois très utile pour établir des lignes directrices concernant l’interprétation des contrats commerciaux. L’extrait suivant des remarques faites par lord Diplock est particulièrement pertinent à la présente espèce[19] :

[traduction] Les parties légitimes à première vue à un contrat commercial qui négocient d’égal à égal peuvent subordonner l’exécution de toutes les obligations principales prévues au contrat qu’elles veulent, que ce soit l’obligation de payer une somme d’argent ou l’obligation de faire quelque chose d’autre, à une clause de rigueur des délais. Lorsque le respect d’un délai est une condition essentielle d’une obligation principale, le défaut d’une partie d’exécuter l’obligation ponctuellement équivaut au non-accomplissement d’une condition du contrat qui autorise l’autre partie à choisir de traiter le non-accomplissement comme une extinction de toutes les obligations principales prévues au contrat qui n’ont pas déjà été exécutées.

L’affaire A/S Awilco[20] est aussi un bon exemple de la sévérité dont les tribunaux peuvent faire preuve lorsqu’ils interprètent des clauses qui obligent des affréteurs à faire un « paiement ponctuel ». La question litigieuse dans cette affaire consistait à savoir si l’obligation imposée aux propriétaires, en raison d’une erreur commise par la banque des affréteurs, de verser des intérêts variant entre 70 $ et 100 $ à leur banque, constituait un manquement des affréteurs à l’obligation de faire un « paiement ponctuel » qui autorisait les propriétaires à retirer le navire. La Chambre des lords a répondu par l’affirmative.

Dans la présente espèce, le libellé de l’article 30 est inéluctable. La Sail Labrador ne peut obtenir l’exécution forcée de l’option d’achat que si chaque versement a été fait le jour même où il devait l’être. Les mots « promptement », « en conformité avec l’annexe » et « pendant toute la durée du contrat » ne sauraient vouloir dire autre chose.

Il s’agit en l’espèce d’un contrat commercial que les parties ont conclu dans les conditions normales du commerce. Les armateurs et les affréteurs sont en mesure de veiller sur eux-mêmes en s’engageant par contrat uniquement à des conditions qu’ils jugent acceptables. La Sail Labrador devait forcément savoir que le respect de l’échéancier de paiement était une condition essentielle de la levée de l’option d’achat. Les parties avaient même accordé à la Navimar une double protection si la Sail Labrador ne payait pas à temps : la Navimar pouvait soit retirer le navire conformément à l’article 11, soit refuser de vendre le navire à l’expiration du bail conformément à l’article 30. Si la Navimar avait décidé de confisquer le navire comme elle pouvait le faire conformément à l’article 11, la Sail Labrador aurait pu demander l’annulation de la confiscation (je ne me prononce évidemment pas sur la question de savoir si cette réparation aurait été accordée). Toutefois, la Navimar a décidé, comme elle pouvait le faire en vertu du contrat, d’invoquer l’article 30, et elle a informé la Sail Labrador de son choix avant même que cette dernière ne fasse le paiement tardif. Le fait que la Sail Labrador a attendu quatre mois pour s’élever contre la décision de la Navimar montre bien à quel point la décision de la Navimar était compatible avec l’intention des parties au contrat.

Je suis donc arrivé à la conclusion, après avoir donné une interprétation exacte de l’article relatif à l’option d’achat et de la charte-partie, que la Navimar avait le droit ou le privilège de repousser une offre d’achat si la Sail Labrador omettait, comme ce fut le cas, de payer promptement le loyer conformément à l’annexe prévue à l’article 11. Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle la théorie de la contravention périmée peut s’appliquer, ni d’une affaire dans laquelle le défaut de la Sail Labrador peut être attribué à la conduite de la Navimar.

Comme la conclusion à laquelle j’arrive sur la contravention à l’article 11 règle l’appel, je n’ai pas besoin d’examiner la question de savoir si la contravention à l’article 25 entraînerait des résultats similaires.

Je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de la Section de première instance et de rejeter l’action tendant à l’obtention d’un jugement déclaratoire portant que l’intimée avait le droit de lever l’option d’achat. Les appelants devraient avoir droit aux dépens tant devant la présente Cour que devant la Section de première instance.

Le juge Pratte, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge suppléant Chevalier : Je souscris à ces motifs.



[1] Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le), [1996] 3 C.F. 821(1re inst.).

[2] Le juge de première instance a conclu à bon droit (précité, note 1, aux p. 844 et 845 [note infrapaginale omise]) :

Étant donné qu’une charte-partie coque nue équivaut en réalité à un contrat de location d’un bien meuble par lequel le propriétaire ne conserve sur le navire aucun droit autre que son droit de propriété, l’interprétation de la charte-partie est régie par les principes généraux de common law relatifs aux contrats.

[3] Précité, note 1, à la p. 854.

[4] Précité, note 1, à la p. 836.

[5] Id., à la p. 853.

[6] [1964] 2 Lloyd’s Rep. 153 (C.A.), à la p. 157.

[7] Id., à la p. 159.

[8] Précité, note 1, à la p. 852.

[9] [1939] R.C.S. 247, à la p. 252.

[10] Voir aussi Farr v. Attwood (1988), 63 O.R. (2d) 543 (C.A.); conf. (1987), 62 O.R. (2d) 306 (C. dist.); Fridor Investments Ltd. v. Magee, [1969] 2 O.R. 388 (C.A.); conf. [1968] 2 O.R. 733 (H.C.); West Country Cleaners (Falmouth) Ltd. v. Saly, [1966] 1 W.L.R. 1485 (C.A.).

[11] Voir B & R Holdings Ltd. v. Western Grocers Ltd.; Westfair Foods Ltd. v. B & R Holdings Ltd. (1982), 25 R.P.R. 121 (B.R. Man.); North Central Expressways Ltd. v. MacCrostie (1979), 96 D.L.R. (3d) 637 (B.R. Sask.).

[12] Voir les remarques du lord juge Diplock dans United Dominions Trust (Commercial), Ltd. v. Eagle Aircraft Services, Ltd., [1968] 1 All E.R. 104 (C.A.), à la p. 109 :

[traduction] … pour ce qui est du promettant, il convient dans un premier temps de se demander si l’événement qui, aux termes du contrat unilatéral, fait naître les obligations du promettant, s’est produit. On ne peut répondre à cette question que par un « oui » ou par un « non ». L’événement doit être constaté en fonction de la définition qu’en donne le contrat unilatéral; mais si l’événement qui s’est produit ne répond pas à cette définition, le débat est vidé. Il n’appartient pas au tribunal d’attribuer des conséquences différentes à l’inobservation par une partie de la définition de l’événement en question par rapport à toute autre partie de celle-ci si les parties ne l’ont pas fait aux termes du contrat.

[13] Tenax Steamship Co. Ltd. v. Brimnes (Owners), [1975] Q.B. 929 (C.A.), à la p. 971.

[14] [1954] 2 D.L.R. 22 (H.C. Ont.), à la p. 26.

[15] Voir aussi Petrillo et al. v. Nelson (1980), 29 O.R. (2d) 791 (C.A.), à la p. 792; Birchmont Furniture Ltd. v. Loewen (1978), 84 D.L.R. (3d) 599 (C.A. Man.); conf. [1977] 3 W.W.R. 651 (B.R. Man.).

[16] [1981] 1 All ER 652 (H.L.).

[17] [1983] 2 All ER 763 (H.L.).

[18] [1984] 2 All ER 321 (H.L.), à la p. 325.

[19] Précité, note 17, à la p. 768.

[20] Précitée, note 16.

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