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[1997] 2 C.F. 154

T-1407-96

Harbans Singh Pawar, en son nom propre et au nom de tous ceux qui ont été aussi injustement exclus de la pension (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié : Pawar c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave —Vancouver, 9 septembre et 2 décembre 1996.

Pratique Parties Qualité pour agir Recours collectifsAction introduite au nom de tous les citoyens et résidents permanents du Canada, qui ont 65 ans révolus mais n’ont pas résidé au Canada pendant les dix années consécutives requises par la Loi sur la sécurité de la vieillesse pour l’admissibilité à la pensionLe demandeur a qualité pour agir, car il est directement touché par la Loi en la matière et prend le seul moyen raisonnable et concret de soumettre le problème à la CourIl représenterait équitablement et convenablement la catégorieIl a l’autorisation écrite de 250 personnesIl serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’il introduise l’action avec la liste exhaustive de la catégorieIl n’est pas nécessaire de s’assurer le consentement des autres membres de la catégorie avant d’intenter l’actionLes personnes représentées dans le recours collectif doivent être identifiées, mais la défenderesse a le moyen de savoir qui elles sont.

Pratique PlaidoiriesRequête en radiationRequête en radiation de certaines parties de la déclaration en vue de réduire le recours collectif en une action individuelle avec un seul demandeurAction introduite au nom de tous les citoyens et résidents permanents du Canada, qui ont 65 ans révolus mais n’ont pas résidé au Canada pendant les dix années consécutives requises par la Loi sur la sécurité de la vieillesse pour l’admissibilité à la pensionIl incombe à la partie concluant à la radiation sous le régime de la Règle 419 de prouver qu’il est évident et manifeste que l’action ne pourra aboutirÉléments du recours collectifIl n’est pas évident et manifeste que l’action en l’espèce ne pourra aboutirCatégorie identifiable puisque la date d’arrivée au Canada, le statut et l’âge de chaque individu sont des données facilement accessibles, en la possession de la défenderesseIdentité de sujet de plainte, d’intérêt et de moyens de défenseLe recours collectif peut être la seule voie d’accès à la justice pour un grand nombre de gens vu les frais de contentieuxL’économie tient à ce que le recours collectif peut éviter des actions semblables de la part d’autresLe quantum des dommages-intérêts est simple affaire de comptabilité.

Requête, introduite en application de la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale, en radiation de certaines parties de la déclaration en vue de réduire le recours collectif en une action dans laquelle M. Pawar serait le seul demandeur. Celui-ci, qui a 67 ans, est un résident du Canada où il est arrivé en 1987. Parvenu à l’âge de 65 ans, il a demandé la pension de la sécurité de la vieillesse, qu’on lui a refusée parce qu’il n’avait pas résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de la demande de pension, ainsi que le prescrit le sous-alinéa 3(1)b)(iii) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Introduite au nom de la catégorie composée de citoyens ou de résidents permanents du Canada, qui ont 65 ans révolus mais n’ont pas résidé au Canada pendant les dix années consécutives requises pour l’admissibilité à la pension, la déclaration conclut à jugement déclaratoire sur leur statut d’ayants droit et à réparation équivalente à la pension que chacun d’eux aurait touchée s’il y avait eu droit au moment d’atteindre l’âge de 65 ans. M. Pawar produit une autorisation signée par quelque 250 personnes qui veulent se faire représenter par lui, et a récemment fait paraître des annonces pour rechercher des individus à ajouter au groupe. Aux termes de la Règle 1711 des Règles de la Cour fédérale, lorsque plusieurs personnes ont le même intérêt dans une procédure, la procédure peut être engagée et poursuivie par ou contre l’une ou plusieurs d’entre elles en tant que représentant toutes ces personnes ou en tant que les représentant toutes à l’exception d’une d’entre elles ou plus.

Il échet d’examiner : (1) si le demandeur a qualité pour intenter une action collective ou s’il est un demandeur propre à représenter équitablement et convenablement la catégorie en question; et (2) si les membres et l’effectif de cette catégorie, ainsi que l’intérêt et le sujet de plainte communs, sont convenablement identifiés.

Jugement : la requête doit être rejetée.

(1) Le demandeur a qualité pour agir. Il est directement touché par la Loi en la matière et prend le seul moyen raisonnable et concret de soumettre le problème à la Cour.

Le demandeur représenterait équitablement et convenablement la catégorie en question. Il parle actuellement au nom de 250 personnes; ce chiffre ne représente peut-être qu’un petit échantillon de personnes qui relèveraient de cette catégorie, mais on ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une action de ce genre soit introduite avec une liste exhaustive de noms. En outre, il n’est pas nécessaire, dans un recours collectif, que le demandeur obtienne le consentement des autres membres de la catégorie pour intenter l’action, même si certains membres de la catégorie ne tiennent pas à participer en qualité de demandeurs. Il est nécessaire d’identifier convenablement les personnes au nom desquelles le recours collectif est intenté.

(2) Le critère à appliquer en matière de radiation de plaidoirie consiste en la question de savoir s’il est évident et manifeste que le recours collectif n’aboutira pas. Parmi les facteurs à prendre en considération dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à la Règle 419, il y a le fait qu’un recours collectif est préférable à une profusion de procédures portant sur le même point litigieux; le fait économique qu’un procès est plus abordable quand plusieurs personnes se regroupent pour intenter une action catégorielle ou un recours collectif; la balance des préjudices éventuels de part et d’autre et l’économie des ressources judiciaires : l’action catégorielle peut être le moyen indiqué pour résoudre un litige commun à un coût raisonnable pour le public; et s’il est vrai qu’une seule action doit suffire pour établir un précédent, il en serait de même de tous les recours collectifs, et les individus représentés doivent sentir chacun qu’ils ont le droit de se faire entendre, ne serait-ce que par personne interposée. Il faut considérer d’un point de vue pragmatique le recours collectif engagé sous le régime de la Règle 1711, laquelle n’est pas « un principe rigide, mais un outil pratique et flexible dans l’administration de la justice ».

Voici les éléments fondamentaux du recours collectif : (1) les parties doivent avoir le même intérêt dans l’action; (2) elles doivent partager le même chef de plainte; et (3) la réparation doit profiter à tous les membres du groupe. Il y a trois questions secondaires : (i) la catégorie en question doit être susceptible de définition claire et ferme; (ii) toutes les questions principales de fait et de droit doivent être les mêmes à l’égard de tous les membres de la catégorie; (iii) à supposer que la responsabilité civile soit établie, il faut qu’il y ait une mesure unique de réparation applicable à tous les membres de la catégorie.

Il n’est pas évident et manifeste que l’action ne peut aboutir parce que la catégorie ne peut être convenablement définie ou identifiée faute de sujet de plainte, d’intérêt ou de défense communs, ou parce que ses éléments ne rentrent dans le cadre reconnu du recours collectif. La catégorie que le demandeur dit représenter n’est pas difficile à définir. Ceux qui en font partie ont le même intérêt, savoir la pension revenant au citoyen ou résident permanent du Canada, âgé de 65 ans révolus, sans avoir égard au lieu de résidence durant les 10 années qui précèdent l’admissibilité à la pension. Ni le fait que la défenderesse est peut-être la seule à avoir les registres pour montrer qui relève de cette catégorie, ni l’ampleur de cette dernière n’en empêche l’identification. La catégorie en cause est dénuée d’ambiguïté en ce que la date d’arrivée d’un individu au Canada, son statut et son âge sont tous des données facilement accessibles, d’autant que le demandeur a pris les dispositions nécessaires pour faire intervenir davantage de membres du groupe. Le gros des informations nécessaires pour définir la catégorie se trouve déjà entre les mains de la défenderesse.

Cette catégorie a le même sujet de plainte, justifie des mêmes questions de droit et de fait pour la catégorie tout entière, sans qu’il puisse y avoir des moyens de défense différents à opposer à l’un quelconque de ses membres. Une fois une personne qualifiée pour l’inclusion dans la catégorie, il est difficile de voir comment il pourrait vraiment y avoir différents moyens de défense. L’exception de prescription légale n’est pas un motif de radiation sous le régime de la Règle 419. Toute prescription qui pourrait opérer en l’espèce pourrait faire l’objet d’une décision du juge du fond lorsqu’il délimite davantage la catégorie au besoin.

Un recours collectif peut s’avérer nécessaire. Dans certains cas, il représente la seule voie d’accès à la justice pour nombre de personnes, car les frais de contentieux à supporter par les individus sont prohibitifs. L’économie pourra tenir à ce qu’il permet d’éviter des actions semblables de la part d’autres. Au cas où le demandeur aurait gain de cause, la réparation qui pourrait être accordée sera simple affaire d’application de formule et de comptabilité.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Class Proceedings Act, S.B.C. 1995, ch. 21, art. 4.

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, art. 3(1)b)(iii).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 5, 419, 1711.

Rules of Court, B.C. Reg. 310/76, Règle 5.

Rules of the Supreme Court 1965 (U.K.), S.I. 1965/1776, Ord. 15, Règle 12.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; (1990), 74 D.L.R. (4th) 321; [1990] 6 W.W.R. 385; 49 B.C.L.R. (2d) 273; 4 C.C.L.T. (2d) 1; 43 C.P.C. (2d) 105; 117 N.R. 321; Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257(1re inst.); Succession Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732; (1972), 72 DTC 6215 (1re inst.); Knowles v. Roberts (1888), 38 Ch. D. 263 (C.A.); John v. Rees, [1970] Ch. 345; Bedford (Duke of) v. Ellis, [1901] A.C. 1 (H.L.); Oregon Jack Creek Indian Band v. Canadian National Railway Co. (1989), 56 D.L.R. (4th) 404; 34 B.C.L.R. (2d) 344; [1990] 2 C.N.L.R. 85 (C.A.); General Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, [1983] 1 R.C.S. 72; (1983), 144 D.L.R. (3d) 385; 22 C.P.C. 138; 46 N.R. 139; Shaw et al. v. Real Estate Board of Greater Vancouver, [1973] 4 W.W.R. 391 (C.A.C.-B.); Irish Rowan, The, [1989] 2 Lloyd’s Rep. 144 (C.A.); Markt & Co., Ld. v. Knight Steamship Company, [1910] 2 K.B. 1021 (C.A.); Bendall v. McGhan Medical Corp. (1993), 14 O.R. (3d) 734; 106 D.L.R. (4th) 339; 16 C.P.C. (3d) 156 (Div. gén.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Kiist c. Canadian Pacific Railway Co., [1982] 1 C.F. 361 (1981), 123 D.L.R. (3d) 434; 37 N.R. 91 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Alberta Pork Producers Marketing Board v. Swift Canadian Co. (1981), 33 A.R. 541; 129 D.L.R. (3d) 411; 16 Alta. L.R. (2d) 313; 26 C.P.C. 72 (B.R.).

DÉCISIONS CITÉES :

Micromar International Inc. c. Micro Furnace Ltd. (1988), 22 C.I.P.R. 79; 23 C.P.R. (3d) 214 (C.F. 1re inst.); Logan et al. c. Canada (1994), 89 F.T.R. 37 (C.F. 1re inst.); Cairns c. Société du crédit agricole, [1992] 2 C.F. 115 (1991), 7 Admin. L.R. (2d) 203; 49 F.T.R. 308 (1re inst.); Gouvernement du Canada c. Perry et autres (1981), 41 N.R. 91 (C.A.F.); Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; (1974), 43 D.L.R. (3d) 1; 1 N.R. 225; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d) 588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask. R. 420; 64 C.C.C. (2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 33 D.L.R. (4th) 321; [1987] 1 W.W.R. 603; 23 Admin. L.R. 197; 17 C.P.C. (2d) 289; 71 N.R. 338; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; (1992), 88 D.L.R. (4th) 193; 2 Admin. L.R. (2d) 229; 5 C.P.C. (3d) 20; 8 C.R.R. (2d) 145; 16 Imm. L.R. (2d) 161; 132 N.R. 241; Twinn c. Canada, [1987] 2 C.F. 450 (1986), 6 F.T.R. 138 (1re inst.); Mayrhofer c. Canada, [1993] 2 C.F. 157 (1993), 61 F.T.R. 81 (1re inst.); American Pipe & Construction Co. v. Utah, 414 U.S. 538 (1974); Karlsson (R.) c. Canada, [1991] 2 C.T.C. 282; (1991), 91 DTC 5611 (C.F. 1re inst.); BMG Music Canada Inc. c. Vogiatzakis (1996), 67 C.P.R. (3d) 27; 110 F.T.R. 34 (C.F. 1re inst.).

REQUÊTE, introduite sous le régime de la Règle 419, en radiation de certaines parties de la déclaration en vue de réduire le recours collectif en une action avec un seul demandeur. Requête rejetée.

AVOCATS :

Lewis Spencer pour le demandeur.

Leigh Taylor pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Lewis Spencer, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le protonotaire Hargrave : Il y a en l’espèce requête en radiation par la défenderesse de certaines parties de la déclaration, en vue de réduire le recours collectif en une action individuelle dans laquelle M. Pawar serait le seul demandeur.

LE CONTEXTE

M. Pawar, qui a 67 ans, est un résident du Canada où il est arrivé en 1987. Parvenu à l’âge de 65 ans vers décembre 1993, il a demandé la pension de la sécurité de la vieillesse, qu’on lui a refusée en application du sous-alinéa 3(1)b)(iii) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, qui pose pour condition d’admissibilité, entre autres, la résidence au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de la demande de pension.

M. Pawar, qui comparaissait en compagnie d’un certain nombre de personnes qu’il entend représenter, définit leur catégorie en ces termes dans sa déclaration :

[traduction] 13. Le demandeur demande à représenter tous les individus qui se trouvent dans le même cas, qu’ils soient citoyens ou résidents permanents du Canada, et qui ont été aussi injustement exclus de la pension en raison de la condition des dix années de résidence au Canada, que prescrit la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C., ch. O-9.

La catégorie en question, composée de citoyens ou de résidents permanents du Canada, qui ont 65 ans révolus mais n’ont pas résidé au Canada pendant les dix années consécutives requises pour l’admissibilité à la pension, conclut dans ce recours collectif à jugement déclaratoire sur leur statut d’ayant droit, et une fois ce statut reconnu, à réparation équivalente à la pension que chacun d’eux aurait touchée s’il y avait eu droit au moment d’atteindre l’âge de 65 ans. Il semble qu’il y a assez de gens de cette catégorie qui réclament activement une pension pour que le service des Programmes de la sécurité du revenu du gouvernement du Canada se sert d’une formule standard de lettre de rejet.

Le groupe qui entend se faire représenter par M. Pawar s’est, de toute évidence, constitué à partir de diverses sources, dont la communauté indienne de M. Pawar et un centre communautaire local de personnes du troisième âge. Son organisation va chercher aussi dans divers organismes, associations et organisations communautaires à Vancouver, Edmonton et Calgary, et a récemment fait paraître des annonces pour rechercher des individus à ajouter au groupe.

Le dossier renferme une autorisation signée par quelque 250 personnes qui veulent se faire représenter par M. Pawar (voir l’affidavit de celui-ci, déposé sur ordre de la Cour du 5 septembre 1996).

PRINCIPES GÉNÉRAUX EN MATIÈRE DE RADIATION

Le critère à appliquer en matière de radiation de plaidoirie a été défini par Mme le juge Wilson dans Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 980 :

Plus récemment, dans l’arrêt Dumont c. Canada (Procureur général), [1990] 1 R.C.S. 279, j’ai expliqué clairement, à la p. 280, que j’estimais que le critère formulé dans l’arrêt Inuit Tapirisat était le bon critère. Le critère est toujours de savoir si l’issue de l’affaire est « évidente et manifeste » ou « au-delà de tout doute raisonnable ».

Ainsi, au Canada, le critère … dans l’hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est-il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action raisonnable? Comme en Angleterre, s’il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d’un jugement ». La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d’action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d’intenter son action. Ce n’est que si l’action est vouée à l’échec parce qu’elle contient un vice fondamental … que les parties pertinentes de la déclaration du demandeur devraient être radiées …

Dans la cause susmentionnée, Mme le juge Wilson était appelée à se prononcer sur une requête en radiation fondée sur une règle contenue dans les Rules of Court [B.C. Reg. 310/76] de la Colombie-Britannique, qui est semblable à notre Règle 419 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663]. En bref, le critère que je dois appliquer est de savoir s’il est évident et manifeste ou, en d’autres termes, indubitable que le recours collectif n’aboutira pas.

En l’espèce, la défenderesse soutient notamment que le demandeur n’a donné ni l’identité ni le nombre des membres de la soi-disant catégorie, qu’il n’a identifié ni leur intérêt commun ni leur chef de plainte commun, et qu’il n’a pas qualité pour intenter de son propre chef un recours collectif. La défenderesse invoque les alinéas 419(1)c), d) et f) des Règles de la Cour fédérale, aux termes desquelles une plaidoirie peut être radiée si elle est scandaleuse, futile ou vexatoire, si elle peut causer préjudice, gêner ou retarder l’instruction équitable de l’action, ou si elle constitue par ailleurs un abus des procédures.

Le critère de la radiation de plaidoirie pour cause de frivolité, en application de l’alinéa 419(1)c) des Règles, est moins rigoureux que celui applicable à la radiation en vertu de l’alinéa 419(1)a). En effet, « La Cour ne mettra pas fin à une procédure et ne privera pas un demandeur du droit de faire entendre sa cause à moins qu’il ne soit clair que l’action est futile ou vexatoire … et que permettre à l’action de suivre son cours constitue un emploi abusif des procédures » (Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (1er inst.) à la page 259).

Il y a action vexatoire ou futile lorsque le demandeur ne peut présenter aucun argument rationnel fondé sur les faits articulés ou les règles de droit à l’appui de ses prétentions, et action dénuée de cause raisonnable lorsque la procédure n’aboutira à aucun résultat pratique. Le critère que je dois observer a été défini par le juge Pratte dans Succession Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732 (1re inst.), à la page 736 :

(3) Enfin, une déclaration ne doit pas, à mon avis, être radiée pour le motif qu’elle est vexatoire ou futile, ou qu’elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour, pour la seule raison que, de l’avis du juge qui préside l’audience, l’action du demandeur devrait être rejetée. Je suis d’avis que le juge qui préside ne doit pas rendre une pareille ordonnance à moins qu’il ne soit évident que l’action du demandeur est tellement futile qu’elle n’a pas la moindre chance de réussir, quel que soit le juge devant lequel l’affaire sera plaidée au fond. C’est uniquement dans ce cas qu’il y a lieu d’enlever au demandeur l’occasion de plaider.

Le principal moyen prévu à l’alinéa 419(1)d) des Règles que la défenderesse puisse faire valoir est le retard dans l’instruction équitable de l’action, puisque le demandeur ne cherche ni à compromettre ni à gêner la procédure; de fait, sa déclaration définit parfaitement ses prétentions. La norme de preuve à observer pour la radiation sous ce chef est rigoureuse. Cependant, je suis tenu d’exercer le pouvoir discrétionnaire de radiation sous le régime de cette Règle lorsque le cas s’y prête, [traduction] « et le cas qui s’y prête est celui qui s’accorde avec la définition de la règle, et où il n’y a aucune autre circonstance qui ferait que l’exercice de ce pouvoir soit déplacé, inopportun ou injuste » (le lord juge Bowen dans Knowles v. Roberts (1888), 38 Ch. D. 263 (C.A.), à la page 271). Parmi les facteurs dont je dois tenir compte, il y a le fait qu’un recours collectif peut être plus compliqué, mais telle en est la nature : il est préférable à une profusion de procédures portant sur le même point litigieux. Je dois aussi prendre en considération le facteur économique : de nos jours, un procès est un luxe pour un seul individu, mais il est plus abordable quand plusieurs personnes se regroupent pour intenter une action catégorielle ou un recours collectif. Un autre facteur est la balance des préjudices éventuels de part et d’autre et les ressources judiciaires : l’action catégorielle peut être le moyen indiqué pour résoudre un litige commun à un coût raisonnable pour le public qui supporte le gros des frais du système judiciaire. Enfin, à l’argument de la défenderesse qu’une seule action doit suffire pour établir un précédent, on pourrait répondre qu’il en serait de même de tous les recours collectifs et d’ailleurs, les individus représentés doivent sentir chacun qu’ils ont le droit de se faire entendre, ne serait-ce que par personne interposée.

Une action qui est clairement futile, vexatoire ou de mauvaise foi, ou une action qui est plaidée de telle manière que la Cour ne soit plus en mesure de régler proprement la procédure, ou une action qui ne soit fondée sur aucune articulation de faits, peut être radiée pour cause d’emploi abusif des procédures, puisque la Cour a compétence pour s’en protéger. La défenderesse soutient que le recours collectif en l’espèce constitue un emploi abusif des procédures.

En cas d’emploi abusif des procédures, le critère applicable à la radiation de la déclaration sous le régime de l’alinéa 419(1)f) des Règles est tout aussi, sinon plus, rigoureux que celui de l’alinéa 419(1)a) : v. Micromar International Inc. c. Micro Furnace Ltd. (1988), 22 C.I.P.R. 79 (C.F. 1re inst.). J’en viens maintenant aux principes généraux régissant les recours collectifs.

PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX RECOURS COLLECTIFS

La Règle 1711 et son application

Les dispositions, relatives aux recours collectifs, de la Règle 1711 des Règles de la Cour fédérale s’appliquent à la fois aux recours collectifs et aux actions catégorielles : v. Logan et al. c. Canada (1994), 89 F.T.R. 37 (C.F. 1re inst.). Voici le premier paragraphe de cette Règle :

Règle 1711. (1) Lorsque plusieurs personnes ont le même intérêt dans une procédure, la procédure peut être engagée et, sauf ordre contraire de la Cour, être poursuivie par ou contre l’une ou plusieurs d’entre elles en tant que représentant toutes ces personnes ou en tant que les représentant toutes à l’exception d’une d’entre elles ou plus.

La Règle ci-dessus vise à faire en sorte que toutes les personnes ayant le même intérêt soient liées par une même action et par un même jugement. Dans John v. Rees, [1970] Ch. 345, le juge Megarry, qui devait être par la suite le vice-chancelier de la Cour pendant de nombreuses années, avait à se prononcer sur l’application de la règle 12 de l’Ordonnance 15 d’Angleterre [Rules of the Supreme Court 1965 (R.-U.), S.I. 1965/1776], qui est presque identique à notre Règle 1711. Il a cité Bedford (Duke of) v. Ellis, [1901] A.C. 1 (H.L.), à la page 8, où lord MacNaghten évoquait la règle en equity qui devait devenir la règle 12 de l’Ordonnance 15, en soulignant qu’il s’agissait là d’une règle pragmatique, dont on devait donner une interprétation large et libérale et que s’il n’était pas possible de faire de tout intéressé une partie à l’instance, le demandeur devait en amener suffisamment pour que le litige pût être jugé de façon équitable et honnête. Et de conclure : [traduction] « Il m’apparaît évident qu’il ne faut pas voir dans cette règle un principe rigide, mais un outil pratique et flexible dans l’administration de la justice » (page 370).

Les éléments fondamentaux du recours collectif

Il convient de passer en revue les éléments fondamentaux du recours collectif, tels que les a évoqués la jurisprudence Duke of Bedford, supra, où était en jeu la règle qui préfigurait la règle 12 de l’Ordonnance 15, donc notre Règle 1711. En premier lieu, les parties doivent avoir le même intérêt dans l’action; en deuxième lieu, elles doivent partager le même chef de plainte; enfin, la réparation doit profiter à tous les membres du groupe. Ces principes ont été évoqués dans nombre de décisions contemporaines, par exemple General Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, [1983] 1 R.C.S. 72, sur laquelle je reviendrai plus loin.

Sur le même point, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans Oregon Jack Creek Indian Band v. Canadian National Railway Co. (1989), 56 D.L.R. (4th) 404 [à la page 413], a évoqué trois questions secondaires découlant de la Règle 5(11) des Rules of Court de la C.-B., qui est presque identique à notre Règle 1711. Voici ces trois questions :

[traduction]

1.   La catégorie en question est-elle susceptible de définition claire et ferme?

2.   Toutes les questions principales de fait et de droit sont-elles les mêmes à l’égard de tous les membres de la catégorie? et

3.   À supposer que la responsabilité civile soit établie, y a-t-il une mesure unique de réparation applicable à tous les membres de la catégorie?

En l’espèce, la défenderesse s’est concentrée sur certains éléments et questions fondamentales pour soutenir qu’il est évident, manifeste et indubitable que le demandeur succombera faute d’avoir établi un ou plusieurs de ces éléments et questions fondamentales.

La jurisprudence pertinente

La défenderesse soutient que la Règle 1711 ne permet pas de traiter convenablement les recours collectifs ou les actions catégorielles et que je dois, en vertu de la Règle 5, la soi-disant règle des lacunes, me référer à la Class Proceedings Act, S.B.C. 1995, ch. 21 de la Colombie-Britannique, dont l’article 4 définit les conditions qui, une fois remplies, obligent la juridiction saisie à certifier qu’une action est un recours collectif. Je ne pense pas que cela soit nécessaire. Je préfère suivre la voie tracée par le juge Teitelbaum dans Logan et al. c. Canada (1994), 89 F.T.R. 37 (C.F. 1re inst.), à la page 50. Il a passé en revue un certain nombre de précédents pour en dégager divers principes. Notant que « les Règles de la Cour fédérale ne portent pas vraiment sur la question de l’intérêt nécessaire pour intenter un recours collectif », il a pris en considération divers précédents portant sur des règles comparables ou similaires. Il y en a un grand nombre.

Auparavant, le juge Denault de la Cour fédérale avait été saisi d’un recours collectif dans Cairns c. Société du crédit agricole, [1992] 2 C.F. 115 (1re inst.), à la page 121, dans lequel la catégorie était composé d’agriculteurs qui avaient emprunté de l’argent à la Société du crédit agricole et qui étaient ou pourraient être en difficulté financière :

Selon la déclaration des demandeurs, la catégorie proposée de demandeurs dans la présente action comprend tous [traduction] « les agriculteurs, les emprunteurs de la S.C.A. qui ont été, sont ou peuvent être en difficulté financière ».

Pour qu’une question puisse faire l’objet d’un recours collectif, les personnes de la catégorie doivent avoir un intérêt et un grief communs. Par ailleurs, la réparation souhaitée doit, de par sa nature, être avantageuse pour tous les membres de la catégorie; comme on le dit parfois, [traduction] « si les demandeurs gagnent, tous gagnent » (Bedford (Duke of) v. Ellis, [1901] A.C. 1 (H.L.); General Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, [1983] 1 R.C.S. 72; Kiist c. Canadian Pacific Railway Co., [1982] 1 C.F. 361(C.A.); Copeland c. Monsieur le juge McDonald, [1978] 2 C.F. 815(1re inst.)).

La Règle 1711 exige que les demandeurs et ceux qu’ils visent à représenter aient le « même intérêt » dans les procédures. Dans l’arrêt General Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, [1983] 1 R.C.S. 72, la Cour suprême du Canada a jugé que cela veut dire que les demandeurs doivent tous avoir le même intérêt dans l’issue du jugement.

Il a ajouté qu’un recours collectif ne doit pas permettre au demandeur de conclure à un grand nombre de types de réparation pour satisfaire à différents besoins, mais que chaque demandeur doit avoir le même intérêt dans l’issue de la cause et qu’au minimum, cette issue doit avoir un effet pratique pour chacun des membres du groupe. Cette conclusion est, essentiellement du moins, celle qu’a tirée la Cour suprême du Canada dans General Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, supra.

Dans l’affaire Naken, les demandeurs agissaient en leur nom propre et au nom de tous ceux qui avaient acheté un certain modèle d’automobile. En page 79, le juge Estey a cité l’arrêt Duke of Bedford, (supra) à la page 8 :

[traduction] S’il y avait un intérêt commun et un sujet commun de plainte, il y avait lieu à recours collectif si le redressement demandé était par lui-même au bénéfice de tous ceux que le demandeur se proposait de représenter.

Le juge Estey a également examiné les variations dans les prétentions des demandeurs de la catégorie; à son avis, la multitude des prétentions n’était pas une cause d’irrecevabilité au regard de la Règle de procédure de la Colombie-Britannique ou de ce qui était à l’époque la règle 9 de l’Ordonnance 16 des Règles d’Angleterre et qui est devenue subséquemment la Règle 12 de l’Ordonnance 15, celle que je trouve presque identique à notre Règle 1711. À l’appui de la conclusion que la variété des sommes réclamées n’était pas une cause d’irrecevabilité du recours collectif, il a cité Shaw et al. v. Real Estate Board of Greater Vancouver, [1973] 4 W.W.R. 391, où le juge Bull de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a récapitulé les règles jurisprudentielles sur l’identité d’intérêt. On y trouve une citation légèrement plus étoffée que celle du juge Estey, à la page 395 :

[traduction] Il m’apparaît que les nombreux passages cités par des juges éminents se réduisent en réalité au simple principe que le recours collectif est recevable si, au cas où le demandeur aurait gain de cause, les autres personnes qu’il dit représenter y gagnent aussi, et au cas où, en raison de ce succès, il aurait droit à une réparation que ce soit en espèces ou en nature, les autres ont droit aussi à cette réparation, compte tenu toujours des différentes parts quantitatives.

Cette mention des « différentes parts quantitatives » est pertinente en l’espèce.

Notre Règle 1711 vise les personnes qui ont le même intérêt dans la procédure. Cela ne signifie pas que la somme réclamée doive être la même pour chacune d’elles, car cette Règle est plus souple qu’il n’y paraît. Outre la conclusion tirée par le juge d’appel Bull dans Shaw, supra, il y a lieu aussi de se référer à la cause Irish Rowan, The, [1989] 2 Lloyd’s Rep. 144 (C.A.), où les défendeurs membres de la même catégorie, dont chacun eût été tenu au paiement d’une somme différente, ont cherché en vain à opposer une fin de non-recevoir à l’action. Sir John Megaw, qui prononçait l’un des jugements concordants, reconnaissait qu’il pouvait y avoir des cas où le désaccord entre les personnes représentées sur le quantum de la responsabilité pourrait exclure la possibilité du recours collectif, mais que la Cour pourrait toujours exercer son pouvoir discrétionnaire et interdire la poursuite d’un recours collectif (page 156). Le lord juge Purchas, à la page 158, examinant la question de l’identité d’intérêt dans la procédure, a soulevé l’intéressante question rhétorique de savoir si la Cour ne devait pas envisager le problème de façon pragmatique :

[traduction] La règle 12 de l’Ordonnance 15 intervenant dès les débuts de la procédure, la Cour doit-elle prendre en considération toutes les circonstances possibles, y compris les cas de figure, lorsqu’il s’agit de savoir si la catégorie de demandeurs ou de défendeurs remplit la condition de l’identité d’intérêt, ou doit-elle envisager le problème de façon plus pragmatique?

Il ressort des motifs de sa décision ainsi que des précédents cités que la Cour doit adopter une approche pragmatique pour décider si les parties ont le même intérêt dans la procédure. De fait, la Cour d’appel a jugé qu’il ne faut pas donner de la règle relative aux recours collectifs une interprétation stricte et rigide, mais large et libérale : v. Gouvernement du Canada c. Perry et autres (1981), 41 N.R. 91 (C.A.F.), à la page 102.

ANALYSE

Avant d’appliquer ces principes généraux, j’examinerai tout d’abord deux questions soulevées par la défenderesse, et qui me paraissent des questions préalables. Tout en reconnaissant que le demandeur justifie d’une cause d’action, la défenderesse conteste que M. Pawar ait qualité pour agir ou soit un demandeur propre à représenter convenablement la catégorie en question.

Qualité pour agir

Par sa fin de non-recevoir, la défenderesse conteste que M. Pawar ait qualité pour intenter une action en contestation de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. C’est le point qu’a abordé son avocat durant les débats. M. Pawar, qui justifie d’une question sérieuse, est directement touché par cette Loi et prend le seul moyen raisonnable et concret de soumettre le problème à la Cour. À ce titre, il a qualité pour agir; voir par exemple Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607 et Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236.

Aptitude du demandeur à représenter la catégorie

La défenderesse soutient que le demandeur a intenté son action de façon plutôt cursive. Le demandeur parle actuellement au nom de quelque 250 personnes, qu’il a trouvées par l’intermédiaire de diverses organisations locales. Ce chiffre ne représente peut-être qu’un petit échantillon de personnes qui relèveraient de cette catégorie. Cependant, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une action comme celle de M. Pawar soit parfaite à son introduction avec une liste exhaustive de noms. Le lord juge Moulton de la Cour d’appel a souligné dans Markt & Co., Ltd. v. Knight Steamship Company, [1910] 2 K.B. 1021, que le demandeur, qui s’est nommé lui-même le représentant de la catégorie, n’a pas besoin d’obtenir le consentement de tous ceux qu’il prétend représenter, bien qu’ils soient liés par l’issue de la cause passée en force de chose jugée. Le principe vaut toujours, bien que la même cour, quelque 80 ans après, n’ait pas tout à fait suivi la jurisprudence Markt dans l’affaire Irish Rowan, supra.

Le lord juge Purchas de la Cour d’appel fait observer dans Irish Rowan, supra, que la règle 12 de l’Ordonnance 15, qui est presque identique à notre paragraphe 1711(1) des Règles, prévoit que la catégorie prenant part à l’action ne recouvre pas nécessairement l’intégralité de la catégorie de personnes ayant le même intérêt. S’agissant de défendeurs, il cite le passage suivant de l’arrêt Duke of Bedford, supra, pages 10 et 11 :

[traduction] En ce qui concerne les défendeurs, s’il est impossible de faire de chaque intéressé une partie à l’instance, il faut en faire participer un si grand nombre qu’on peut dire qu’ils auront mis le droit à l’épreuve équitablement et honnêtement.

En outre, il n’est pas nécessaire, dans un recours collectif, que le demandeur obtienne le consentement des autres membres de la catégorie pour intenter l’action. C’est le cas même si certains membres de la catégorie ne tiennent pas à participer en qualité de demandeurs : voir Twinn c. Canada, [1987] 2 C.F. 450 (1re inst.), aux pages 463 et 464. Il est bien entendu nécessaire d’identifier convenablement les personnes au nom desquelles le recours collectif est intenté : voir par exemple Mayrhofer c. Canada, [1993] 2 C.F. 157 (1re inst.), à la page 177.

M. Pawar a fait davantage que de se contenter d’obtenir l’autorisation écrite de 250 personnes, en s’efforçant de trouver d’autres membres de la catégorie. Il a récemment fait paraître des annonces pour les contacter. Il a retenu les services d’un avocat. Tout cela semble être une approche raisonnable à cette date, car dans un recours collectif, il n’est pas nécessaire que le demandeur obtienne le consentement d’autres membres de la catégorie avant d’intenter l’action. En outre, le paragraphe 1711(2) des Règles prévoit la possibilité de demander des directives. Tout indique que M. Pawar représenterait équitablement et convenablement la catégorie en question. Je ne suis donc pas disposé à radier l’action en cet état de la cause, sur la base de certains doutes exprimés au sujet de son aptitude à titre de demandeur à représenter d’autres personnes.

Une catégorie identifiable

La deuxième exception soulevée par la défenderesse porte sur la question de savoir si la catégorie en question qui, selon son avocat, est une catégorie excessivement large, est identifiable. Comme noté supra, elle est composée de citoyens ou de résidents permanents du Canada, âgés de 65 ans révolus, mais qui n’ont pas résidé au Canada pendant les dix années consécutives requises pour l’admissibilité à la pension.

L’importance numérique de la catégorie n’est pas un facteur déterminant du recours collectif. Dans Bendall v. McGhan Medical Corp. (1993), 14 O.R. (3d) 734 (Div. gén.), les demandeurs se sont vu reconnaître la qualité de représentants de 150 000 personnes dans un recours collectif. En effet, un très grand nombre d’individus n’auraient pas, dans les faits, accès à la justice autrement que par voie de recours collectif.

L’identification de la catégorie envisagée a fait l’objet de nombre de décisions de justice. À une extrémité de l’échelle, il y a les soi-disant recours collectifs qui prétendent représenter une catégorie vague ou nébuleuse, par exemple « ceux qui ont été victimes de discrimination du fait de leur race et la défenderesse en connaît le nombre », qui est la catégorie mise de l’avant dans l’affaire Mayrhofer, supra. Le juge Teitelbaum a fait observer qu’il ne suffit pas d’identifier simplement les membres comme étant ceux qui ont été victimes de discrimination raciale et de dire que la défenderesse en connaît le nombre. En l’espèce, la catégorie est bien plus circonscrite. Bien que le demandeur ne l’ait pas dit, il est vrai que la défenderesse est peut-être la seule à avoir les registres pour montrer qui relève de cette catégorie. Cette réserve ne diminue cependant en rien certains paramètres de la catégorie que le demandeur a relevés. Qui plus est, l’ampleur de la catégorie n’en empêche pas l’identification.

À l’autre extrémité de l’échelle, il y a des causes comme Alberta Pork Producers Marketing Board v. Swift Canadian Co. (1981), 33 A.R. 541 (B.R.), où la catégorie est limitée aux producteurs de porcs qui, par suite d’un complot tortueux ourdi par les défendeurs, ont reçu un prix artificiellement déprimé. Cette catégorie était composée de personnes se livrant à la même entreprise et qui avaient vendu dans les mêmes conditions.

La Cour suprême du Canada a eu à se prononcer sur l’identité du groupe dans Naken, supra, où le recours collectif émanait d’un groupe de personnes propriétaires d’un bien identifiable, une voiture de modèle Firenza dont chacune d’elles était propriétaire à la date de l’introduction de l’action. La Cour a conclu que l’identification appelait un processus de détermination plus poussé puisqu’il y avait une différence entre le type d’action que Mme Naken voulait intenter et, par exemple, le type d’action intentée par des actionnaires, où la catégorie pourrait être définie simplement et sans ambiguïté. La catégorie envisagée en l’espèce par M. Pawar, si elle tombe quelque part entre les deux extrémités, est certainement plus proche du type d’action des actionnaires, car elle est dénuée d’ambiguïté en ce que la date d’arrivée d’un individu au Canada, son statut et son âge sont tous des données facilement accessibles. Il ne devrait en découler aucune difficulté, particulièrement parce que le demandeur paraît prendre les dispositions nécessaires pour faire intervenir davantage de membres du groupe. En outre, il fait observer à juste titre que le gros des informations nécessaires pour définir la catégorie se trouve clairement entre les mains de la défenderesse.

Je ne saurais donc dire en cet état de la cause qu’il est évident et manifeste, ou indubitable, que l’action ne peut aboutir parce que la catégorie ne peut être convenablement définie ou identifiée.

Sujet de plainte commun

La défenderesse soutient encore que le sujet de plainte ou l’intérêt n’est pas le même pour tous : à l’égard de l’un quelconque des demandeurs, elle pourrait peut-être opposer un moyen de défense différent. Dans Kiist c. Canadian Pacific Railway Co., [1982] 1 C.F. 361 la Cour d’appel fédérale a jugé que l’action envisagée par des producteurs de céréales, qui renfermait un grand nombre de variables, y compris les quotas complémentaires et l’aptitude de chaque producteur à atteindre son quota, dépendrait trop des circonstances de chaque individu, donnerait lieu à la possibilité de différents moyens de défense et ne conviendrait donc pas à titre de recours collectif. En l’espèce, une fois une personne qualifiée pour l’inclusion dans la catégorie, en raison de son âge, de sa citoyenneté ou de son statut de résident permanent, et de l’insuffisance de la durée de résidence au regard de la loi, il est difficile de voir comment il pourrait vraiment y avoir différents moyens de défense.

Dans ce contexte, la défenderesse fait valoir aussi la prescription légale, s’appuyant sur le précédent Naken, aux pages 104 et suivantes. Dans cette affaire, le juge Estey, en radiant une action huit ans après son introduction, s’est interrogé sur le préjudice que pourraient subir les membres de la catégorie si leur recours devait être déclaré irrecevable pour cause de prescription légale, à moins qu’il ne soit jugé que le délai de prescription a été suspendu par le recours collectif ainsi que l’ont fait les tribunaux américains (voir par exemple American Pipe & Construction Co. v. Utah, 414 U.S. 538 (1974), décision de la Cour suprême des États-Unis). C’est là une issue possible de toute action, mais cette issue est un risque qu’acceptent ceux représentés par le demandeur, non pas un motif de radiation sous le régime de la Règle 419. Il se trouve cependant que la défenderesse invoque aussi la prescription légale à titre de moyen de défense. Il y a deux réponses à cet argument. En premier lieu, l’exception de prescription légale ne constitue pas un motif suffisant pour radier une déclaration : voir par exemple Karlsson (R.) c. Canada, [1991] 2 C.T.C. 282 (C.F. 1re inst.), à la page 283, et aussi la jurisprudence citée dans BMG Music Canada Inc. c. Vogiatzakis (1996), 67 C.P.R. (3d) 27 (C.F. 1re inst.), pages 33 et suivantes. En second lieu, toute prescription qui pourrait opérer en l’espèce s’avère fort mécanique et pourrait faire l’objet d’une décision du juge du fond lorsqu’il délimite davantage la catégorie au besoin.

Il n’est pas évident et manifeste, ou indubitable, que les parties de la déclaration portant recours collectif ne peuvent aboutir faute de sujet de plainte ou d’intérêt commun ou pour cause de moyens de défense applicables seulement à certains membres de la catégorie.

Convenance à titre de recours collectif

J’examinerai les divers arguments proposés par la défenderesse à cet égard. Pour commencer, elle soutient qu’au cas où M. Pawar se verrait accorder un jugement déclaratoire et des dommages-intérêts, le recours collectif ne serait d’aucune utilité, puisque tous ceux qui invoquent le principe qu’il serait en mesure de faire valoir pourraient aussi obtenir une pension sur demande. J’ai déjà relevé une raison pour laquelle cet argument n’est pas valide : nombre de personnes n’ont pas accès à la justice sauf par voie de recours collectif, car les frais de contentieux à supporter par les individus sont de nos jours prohibitifs : un recours collectif permet de partager ce fardeau. La seconde réponse est qu’au cas où M. Pawar succomberait, ce résultat ne signifiera pas nécessairement que les autres appartenant à la même catégorie ne pourraient pas proposer d’autres arguments au cours de procédures subséquentes, avec pour résultat une profusion d’actions, occasionnant des frais considérables aux plaideurs comme au public, ce qu’un recours collectif vise à prévenir.

La défenderesse soutient encore qu’une catégorie aussi large de personnes qui participeraient des paramètres de catégorie proposés par M. Pawar créerait des difficultés au cas où la réparation serait accordée. J’ai déjà examiné ce facteur dans l’analyse des principes généraux applicables aux recours collectifs, en particulier au regard de la conclusion tirée par le juge Estey dans Naken, supra, et l’avis exprimé par la Cour d’appel dans Irish Rowan, supra. En l’espèce, le calcul des dommages-intérêts consisterait surtout à appliquer une formule portant sur tant ou tant d’années d’admissibilité à la pension, et qui prendrait en compte, au besoin, tout délai de prescription.

La défenderesse soutient que le recours collectif contenu dans la déclaration doit être radié en ce qu’il ne représente aucune économie par rapport à une action intentée par M. Pawar à titre individuel. Il se peut qu’il en soit ainsi dans une certaine mesure, car un recours collectif sera en soi plus coûteux. Cependant l’économie pourra tenir à ce qu’il permet d’éviter des actions semblables de la part d’autres. En outre, et ce qui est fort important, un recours collectif facilite l’accès à la Cour avec un surcroît minime de frais, dans le contexte d’une affaire qui pourrait être fort complexe. Ces arguments, individuellement et collectivement, ne me persuadent pas qu’il est évident et manifeste que cette action, en tant que recours collectif, ne peut aboutir, ou même qu’elle convient si mal à titre de recours collectif qu’il ne faut pas en permettre la poursuite à ce titre.

CONCLUSION

La défenderesse ne m’a pas convaincu qu’il est évident et manifeste que le recours collectif contenu dans l’action de M. Pawar ne peut aboutir du fait que ses éléments ne rentrent dans le cadre reconnu du recours collectif. Au contraire, la catégorie que M. Pawar dit représenter n’est pas difficile à définir. Telle qu’elle est définie, ceux qui en font partie ont le même intérêt, savoir la pension revenant au citoyen ou résident permanent du Canada, âgé de 65 ans révolus, sans avoir égard au lieu de résidence durant les dix années qui précèdent l’admissibilité à la pension. Cette catégorie a le même sujet de plainte, justifie des mêmes questions de droit et de fait pour la catégorie tout entière, et sans qu’il puisse y avoir des moyens de défense différents à opposer à l’un quelconque d’entre eux. Au cas où M. Pawar aurait gain de cause, et son action n’est ni facile ni simple, tous auront gain de cause et la réparation qui pourrait être accordée sera simple affaire d’application de formule et de comptabilité.

Ce résultat ne dénigre en aucune façon le travail fait ou la plaidoirie présentée par les avocats, qui ont défendu avec éloquence la position de leurs clients respectifs. Il tient plutôt à deux facteurs. En premier lieu, la charge de la preuve est lourde qui incombe à la partie cherchant à faire radier une plaidoirie sous le régime de la Règle 419. En second lieu, la jurisprudence pose qu’il faut considérer le recours collectif d’un point de vue pragmatique, car, pour reprendre la conclusion tirée par le juge Megarry dans John v. Rees, supra, la règle applicable n’est pas [traduction] « un principe rigide, mais un outil pratique et flexible dans l’administration de la justice ».

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