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[1997] 3 C.F. 441

A-491-95

ACTRA Fraternal Benefit Society (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : ACTRA Fraternal Benefit Society c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Strayer, Robertson et McDonald, J.C.A.—Toronto, 18 mars; Ottawa, 30 avril 1997.

Impôt sur le revenu Exemptions Caisse d’assurance-vie d’une société de secours mutuelsLorsque l’actif de la caisse d’assurance-vie excède le montant nécessaire pour l’entreprise d’assurance-vie, seul le revenu de placement tiré des sommes nécessaires devrait être traité comme un revenu imposable aux fins de l’art. 149 de la Loi de l’impôt sur le revenuL’art. 81(1) de la Loi sur les compagnies d’assurance canadiennes et britanniques est examinéLa décision de ne pas retirer l’excédent de la caisse d’assurance-vie ne règle pas l’appelL’inférence selon laquelle la totalité de l’actif de la caisse est nécessaire aux fins de l’entreprise d’assurance-vie est réfutableUne norme objective est applicable.

Assurance Caisse d’assurance-vie d’une société de secours mutuelsImpôt sur le revenu payable sur le revenu de placementLorsque l’actif de la caisse d’assurance-vie excède le montant nécessaire aux fins de l’entreprise d’assurance-vie, l’impôt est payable sur le revenu de placement tiré des sommes nécessaires seulementL’art. 81(1) de la Loi sur les compagnies d’assurance canadiennes et britanniques est examinéLa décision de ne pas retirer l’excédent de la caisse ne règle pas l’appelL’inférence selon laquelle la totalité de l’actif de la caisse est nécessaire aux fins de l’entreprise d’assurance-vie est réfutable.

La contribuable appelante est une société de secours mutuels constituée en vertu de la Loi sur les compagnies d’assurance canadiennes et britanniques (la Loi sur les assurances) qui offre à ses membres divers types de prestations, notamment des prestations d’assurance-vie provenant d’une caisse d’assurance-vie. La contribuable tenait deux autres caisses pour le paiement de prestations d’assurance en cas d’accident et de maladie, et pour des services de réadaptation pour les alcooliques et les toxicomanes et l’octroi de bourses pour les membres et leur famille. Les sociétés de secours mutuels sont assujetties à l’impôt fédéral sur le revenu tiré de leurs opérations d’assurance-vie seulement.

En 1987, la contribuable a décidé d’adopter une nouvelle méthode de calcul de son revenu de placement, c’est-à-dire la méthode de base. L’adoption de cette méthode a eu pour effet immédiat d’augmenter l’obligation fiscale de la contribuable non seulement pour 1988 et les années d’imposition ultérieures, mais aussi pour les années antérieures. Un actuaire a déterminé qu’il y avait dans la caisse un excédent d’environ 2,6 millions $ (cette somme n’était pas considérée comme étant nécessaire aux fins de l’entreprise d’assurance-vie) et, avec l’approbation du surintendant des assurances, il a été décidé de retirer cette somme de la caisse d’assurance-vie. La contribuable a donc communiqué avec Revenu Canada, proposant de payer des impôts additionnels, y compris pour les années antérieures, mais d’exclure les revenus de placement tirés de l’excédent passé. Toutefois, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 1984 à 1987 au motif que la totalité du revenu de placement tiré de l’actif de la caisse d’assurance-vie pour chacune de ces années d’imposition devait être inclus dans le calcul du revenu que la contribuable tirait de ses opérations d’assurance-vie.

En appel de cette cotisation, le juge de la Cour de l’impôt a tranché en faveur du ministre. Il a conclu que, pour les fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’actif nécessaire aux opérations d’assurance-vie de la contribuable est celui qui, d’après la contribuable, devrait se trouver dans la caisse à n’importe quel moment. En outre, tant et aussi longtemps que l’actif demeure dans la caisse, il est assujetti à une « condition ou une exigence [charge] légale » aux termes du paragraphe 81(1) de la Loi sur les assurances. Il s’agit d’un appel de cette décision.

Arrêt (le juge McDonald, J.C.A., étant dissident) : l’appel doit être accueilli.

Le juge Robertson, J.C.A. : La question principale soulevée dans l’appel consiste à déterminer si la totalité du revenu de placement tiré de l’actif de la caisse d’assurance-vie doit être inclus dans le calcul du revenu imposable tiré d’une entreprise d’assurance-vie d’une société de secours mutuels. Pour y répondre, il faut savoir si l’actif de la caisse d’assurance-vie était « nécessaire » à l’entreprise d’assurance-vie de la contribuable.

Contrairement à la conclusion de la Cour de l’impôt, le paragraphe 81(1) de la Loi sur les compagnies d’assurance ne peut être réputé imposer une « charge » sur l’actif conservé dans la caisse d’assurance-vie. Cette disposition n’a pas pour effet juridique de « bloquer » la totalité de l’actif détenu dans la caisse d’assurance-vie et n’impose pas de restriction au transfert des fonds—aucune approbation du surintendant des assurances n’était nécessaire. Il s’agit d’une question de jugement qui relève du pouvoir discrétionnaire de la société de secours mutuels.

L’argument selon lequel la décision de ne pas retirer l’excédent de la caisse d’assurance-vie se fondait sur l’inquiétude que posait l’augmentation possible des réclamations attribuables au SIDA n’est pas convaincant. La preuve révèle que les préoccupations de la contribuable concernant l’effet qu’aurait la propagation du SIDA sur ses opérations d’assurance-vie n’ont pas été exprimés avant 1988 et certainement pas dans les années d’imposition antérieures. Même si cette conclusion était erronée, la décision de la contribuable de ne pas retirer une partie de l’actif de la caisse d’assurance-vie ne règle pas définitivement la question de savoir si la totalité de l’actif était nécessaire pour les activités d’assurance-vie de la contribuable.

L’argument selon lequel la totalité de l’actif conservé dans la caisse d’assurance-vie a été engagé et employé aux fins des opérations d’assurance-vie de la contribuable et donc qu’il était « risqué » dans l’entreprise ne peut être maintenu. Bien qu’une inférence de « nécessité » puisse être tirée du fait que la contribuable a laissé l’excédent dans la caisse d’assurance-vie et des états financiers fournis au surintendant des assurances, cette inférence peut et a été réfutée par la contribuable qui a fourni des éléments de preuve convaincants à l’effet contraire (la décision de l’actuaire selon laquelle la somme de 2,6 millions $ n’était pas nécessaire aux opérations d’assurance-vie).

Les observations du juge en chef Dickson dans Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32 selon laquelle « les tribunaux doivent tenir compte de ce que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu’il aurait pu faire » sont inapplicables en l’espèce. La question n’était pas de savoir si la contribuable aurait pu retirer l’excédent, mais plutôt de savoir si la totalité de l’actif de la caisse d’assurance-vie était nécessaire à la composante assurance-vie de l’entreprise de la contribuable.

Les décisions McCutcheon Farms Ltd. c. M.R.N., [1991] 1 C.T.C. 50 (C.F. 1re inst.) et Lutheran Life Insurance Society of Canada c. Canada, [1991] 2 C.T.C. 284 (C.F. 1re inst.) appuient la proposition selon laquelle la conduite d’un contribuable ou le jugement que celui-ci exerce dans le cadre de sa gestion ne règle pas la question de savoir quelle partie de l’actif est nécessaire. Il s’agirait là d’une norme subjective. La décision McCutcheon a réaffirmé le principe général selon lequel il incombe au contribuable d’établir, sur une base objective (financière ou actuarielle), ce qui est ou non nécessaire pour exploiter son entreprise (ou, en l’espèce, quelle proportion du revenu de placement se rapporte à l’entreprise d’assurance-vie).

Le redressement approprié en l’espèce consiste à renvoyer la question au ministre en lui précisant que les cotisations initiales étaient valides.

Le juge McDonald, J.C.A. (dissident) : L’appel devrait être rejeté et la cotisation du ministre maintenue.

La décision de conserver l’excédent dans le compte d’assurance-vie était une décision de gestion prise par la contribuable que la Cour ne devrait pas remettre en cause. Une fois cette décision prise, la contribuable a profité du fait qu’elle avait diminué ses risques. Elle ne peut maintenant essayer de revenir sur le passé et de réévaluer son obligation fiscale.

Même en acceptant que l’existence d’un excédent dans la caisse d’assurance-vie soulève une présomption réfutable selon laquelle l’actif est risqué ou employé dans l’entreprise, cette présomption n’a pas été réfutée en l’espèce. Bien que la preuve actuarielle puisse être utile, la contribuable a décidé de conserver des réserves excédentaires « pour se prémunir contre une catastrophe économique imprévue ». Elle ne peut ultérieurement essayer de soustraire ces réserves à sa responsabilité fiscale simplement parce que la catastrophe imprévue ne s’est pas matérialisée.

L’arrêt Ensite Ltd. c. R., [1986] 2 R.C.S. 509, peut être distingué de l’espèce. Mais même si le critère visant à déterminer si les biens sont « risqués ou employés » dans une entreprise devait être appliqué à l’espèce, ce critère doit nécessairement être plus souple lorsque l’entreprise visée est une caisse d’assurance-vie. L’assurance est une entreprise qui présente obligatoirement des risques différents de ceux de la plupart des autres entreprises. Bien que les actuaires puissent donner des estimations sur le risque, des imprévus peuvent survenir et dépasser même les réserves les plus généreuses.

La Cour doit tenir compte de ce que la contribuable a réellement fait et non pas de ce qu’elle aurait pu faire (Bronfman Trust). Lorsque la contribuable prend une décision de gestion éclairée en vue de conserver des biens dans une caisse imposable, la Cour ne doit pas profiter de l’avantage qu’elle a d’examiner cette décision en rétrospective pour retirer rétroactivement les biens de cette caisse afin de mettre la contribuable dans une position fiscale plus avantageuse que celle dans laquelle elle se trouve.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 129(1),(4), 149(1)k),(3).

Loi sur les compagnies d’assurance canadiennes et britanniques, S.R.C. 1970, ch. I-15, art. 81(1),(7), 95(2), 97.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Lutheran Life Insurance Society of Canada c. Canada, [1991] 2 C.T.C. 284; (1991), 91 DTC 5553; 47 F.T.R. 25 (C.F. 1re inst.); McCutcheon Farms Ltd. c. M.R.N., [1991] 1 C.T.C. 50; (1991), 91 DTC 5047; 40 F.T.R. 180 (C.F. 1re inst.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32; (1987), 36 D.L.R. (4th) 197; [1987] 1 C.T.C. 117; 87 DTC 5059; 25 E.T.R. 13; 71 N.R. 134.

DÉCISIONS CITÉES :

Ensite Ltd. c. R., [1986] 2 R.C.S. 509; (1986), 33 D.L.R. (4th) 491; [1986] 2 C.T.C. 459; 86 DTC 6521; 70 N.R. 189; R. c. Marsh & McLennan, Limited, [1984] 1 C.F. 609 [1983] CTC 231; (1983), 83 DTC 5180; 48 N.R. 103 (C.A.); Matheson, J A c La Reine, [1974] CTC 186; (1974), 74 DTC 6176 (C.F. 1re inst.).

APPEL d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt ([1995] 2 C.T.C. 2671; (1995), 96 DTC 1722 (C.C.I.)) confirmant la nouvelle cotisation du ministre qui avait décidé d’inclure la totalité du revenu de placement tiré de l’actif d’une « caisse d’assurance-vie » dans le calcul du revenu imposable de l’entreprise d’assurance-vie d’une société de secours mutuels. Appel accueilli.

AVOCATS :

Joseph Groia et Mark I. Jadd pour l’appelante.

Luther P. Chambers, c.r. pour l’intimée.

PROCUREURS :

Heenan Blaikie, Toronto, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : La contribuable appelante est une société de secours mutuels constituée en vertu des dispositions de la Loi sur les compagnies d’assurance canadiennes et britanniques, S.R.C. 1970, ch. I-15, et ses modifications (ci-après la Loi sur les compagnies d’assurance). Aux termes de l’alinéa 149(1)k) et du paragraphe 149(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63], ces sociétés sont assujetties uniquement à l’impôt fédéral sur le revenu tiré de leurs opérations d’assurance-vie. Le revenu tiré d’autres sources est exonéré d’impôt. La question principale soulevée dans le présent appel consiste à déterminer si la totalité du revenu de placements tiré de l’actif de la « caisse d’assurance-vie » (ci-après la caisse d’assurance-vie) doit être inclus dans le calcul du revenu imposable tiré de l’entreprise d’assurance-vie d’une société de secours mutuels. Devant le ministre du Revenu national et la Cour de l’impôt, la contribuable a fait valoir que dans les cas où l’actif de la caisse d’assurance-vie est supérieur à ce qui est nécessaire pour l’entreprise d’assurance-vie, seul le revenu de placements tiré des sommes nécessaires à ce type d’opérations doit être considéré comme un revenu imposable. Le ministre et le juge de la Cour de l’impôt ont tous deux rejeté cet argument. En toute déférence, je pense que l’appel de la décision de la Cour de l’impôt doit être accueilli. Étant donné que cette décision est maintenant publiée, il est inutile d’analyser les faits de façon exhaustive comme l’a fait le juge de la Cour de l’impôt : voir [1995] 2 C.T.C. 2671.

Une société de secours mutuels offre à ses membres divers types de prestations. En l’espèce, la contribuable a établi trois caisses qui lui permettent de couvrir les frais de ces prestations pour les membres de l’ACTRA, qui est un acronyme de l’Alliance of Canadian Cinema Television and Radio Artists. Les prestations d’assurance-vie versées à ses membres proviennent de la caisse d’assurance-vie. Une deuxième caisse sert à payer les prestations d’assurance en cas d’accident et de maladie. La troisième caisse est la caisse de secours mutuels, qui offre une multitude d’avantages, allant de services de réadaptation pour les alcooliques et les toxicomanes à l’octroi de bourses pour les membres et leur famille.

Dans le cadre de diverses conventions collectives, la contribuable reçoit un pourcentage des honoraires de ses membres qui leur sont versés par leurs employeurs. Ceux-ci sont également tenus de remettre des sommes additionnelles pour le compte des non-membres. La contribuable a négocié le montant de ces sommes additionnelles de façon à s’assurer qu’il n’en coûte pas moins cher à un employeur d’engager des non-membres. Ces sommes sont remboursées en partie aux non-membres et la contribuable conserve le reste. Les non-membres reçoivent en fait très peu d’avantages.

Au fil des ans, certaines des sommes payées pour le compte des non-membres ont été versées dans la caisse. Outre les sommes transférées dans la caisse d’assurance-vie au titre des cotisations des non-membres, ce présumé excédent a généré d’importants revenus de placements qui ont porté l’« excédent » de la caisse à environ 3,6 millions de dollars à la fin de 1987.

Pour les années d’imposition 1980 à 1987 inclusivement, la contribuable a calculé son revenu de placement tiré de ses opérations d’assurance-vie en s’appuyant sur une formule élaborée par son vérificateur de l’époque, Roger Gauvin. Cette formule a été expliquée dans une lettre que M. Gauvin a adressée aux responsables du ministère du Revenu national en 1981. Le Ministère ne s’est jamais opposé à la formule Gauvin, même si celle-ci réduisait presque à néant la responsabilité fiscale de la contribuable. En même temps qu’elle produisait ses déclarations de revenus et calculait son revenu de placements tiré de la caisse d’assurance-vie d’après la formule Gauvin, la contribuable faisait également parvenir ses états financiers au Bureau du surintendant des institutions financières (ci-après le surintendant des assurances). Les états financiers de la contribuable faisaient état de l’ensemble des revenus de placements tiré de l’actif détenu dans la caisse d’assurance-vie. Par exemple, en 1985, la contribuable a déclaré un revenu de placements de 335 000 $ au surintendant des assurances. Ce montant comprenait, en partie, des revenus de placements provenant de l’excédent attribuable aux cotisations versées par les non-membres dans la caisse d’assurance-vie. Par comparaison, dans sa déclaration de revenus pour 1985, la contribuable avait déclaré des revenus de placements de 8 500 $, toujours selon la formule Gauvin. Le ministre demande maintenant que la différence entre les deux montants de revenus de placements soit ajoutée à l’obligation fiscale de la contribuable pour chacune des années d’imposition en question.

En 1987, la contribuable a retenu les services de Coopers & Lybrand pour fins de vérification. Agissant pour le compte du vérificateur, A. E. John Thompson a entrepris un examen des méthodes comptables de la contribuable. M. Thompson a conclu que la formule Gauvin ne donnait pas l’image la plus fidèle des opérations d’assurance-vie de l’appelante étant donné qu’elle sous-estimait les revenus de placements. Il a également conclu que le revenu de placements déclaré au surintendant des assurances se fondait sur un actif de beaucoup supérieur à ce qu’exigeaient les opérations d’assurance-vie. M. Thompson a proposé à l’appelante d’adopter une nouvelle méthode de calcul de son revenu de placements, c’est-à-dire la méthode de base. En vertu de cette méthode, le revenu de placements de la contribuable pour l’année d’imposition 1985, par exemple, est passé de 8 500 $ à 74 000 $. L’adoption de la formule Thompson a eu pour effet immédiat d’augmenter l’obligation fiscale de la contribuable non seulement pour 1988 et les années d’imposition ultérieures, mais aussi pour les années antérieures.

Pour les fins de son examen, M. Thompson a retenu les services d’un actuaire afin de déterminer le montant réellement nécessaire aux opérations d’assurance-vie et recommander à l’appelante les sommes qui pourraient sans risque être retirées de la caisse d’assurance-vie. Sur les quelque 3,6 millions de dollars détenus dans la caisse en 1987, on a conclu qu’environ 2,6 millions de dollars n’étaient pas nécessaires aux fins de l’entreprise d’assurance-vie. Sur l’actif restant de 1 million de dollars, environ 350 000 $ représentaient une affectation spéciale (l’excédent minimum) servant de protection contre le risque inconnu que présentait le SIDA. Avant de retirer les 2,6 millions de dollars de la caisse, la contribuable a consulté le surintendant des assurances qui, en s’appuyant sur la preuve actuarielle fournie, n’a formulé aucune objection concernant le transfert proposé.

La contribuable a accepté la méthode proposée par M. Thompson pour calculer son revenu de placements et, de sa propre initiative, s’est adressée aux responsables du ministère du Revenu national en 1988 pour la faire valider. En reconnaissant qu’elle avait déclaré pour les années d’imposition 1985, 1986 et 1987 (et par inférence pour 1984) des revenus de placements inférieurs aux revenus réels, la contribuable a accepté de payer des impôts additionnels de l’ordre de 80 000 $, en se fondant sur la formule Thompson. Un vérificateur local du Ministère a recommandé d’accepter la proposition de la contribuable à la fois pour le retrait des fonds de la caisse d’assurance-vie et la formule Thompson pour calculer le revenu de placements. Initialement, donc, le ministre a accepté que l’actif se trouvant dans la caisse d’assurance-vie au cours des années 1985 à 1987 ne représentait pas de façon exacte ou raisonnable l’actif lié aux opérations d’assurance-vie. Toutefois, la question a été transmise à la Division de l’évitement fiscal et des demandes de vérification du Ministère. Finalement, il a été décidé que la proposition de la contribuable devait être rejetée. Par conséquent, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 1984, 1985, 1986 et 1987 de la contribuable au motif que la totalité du revenu de placements tiré de l’actif de la caisse d’assurance-vie pour chacune de ces années d’imposition devait être inclus dans le calcul du revenu que la contribuable tirait de ses opérations d’assurance-vie. À l’appui de sa position, le ministre s’est fondé sur une décision récente de la Section de première instance de la Cour fédérale, mais, d’après le vérificateur local, on peut facilement établir une distinction avec cette décision : Lutheran Life Insurance Society of Canada c. Canada, [1991] 2 C.T.C. 284.

Le juge de la Cour de l’impôt a tiré deux conclusions essentielles. Premièrement, il a statué que, pour les fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’actif nécessaire aux opérations d’assurance-vie de la contribuable est celui qui, d’après la contribuable, devrait se trouver dans la caisse à n’importe quel moment. Autrement dit, il s’agit simplement d’une décision de gestion qu’il incombe à la contribuable de prendre, sous réserve de toute directive que peut lui donner le surintendant des assurances. Deuxièmement, tant et aussi longtemps que l’actif demeure dans la caisse, il est assujetti à une « condition ou une exigence [charge] légale » aux termes du paragraphe 81(1) de la Loi sur les compagnies d’assurance. De l’avis du juge de la Cour de l’impôt, l’effet de cette disposition est que l’actif de la caisse d’assurance-vie fait intégralement partie de l’entreprise d’assurance-vie de la contribuable. Autrement dit, l’effet du paragraphe 81(1) est « de bloquer les actifs producteurs du revenu de placements dans une caisse comme la caisse d’assurance-vie, et ce, aux fins fondamentales de l’entreprise d’assurance-vie, à savoir le règlement des sinistres » (motifs, à la page 2686). Le paragraphe 81(1) est formulé dans les termes suivants :

81. (1) Sous réserve du paragraphe (2), lorsqu’une compagnie combine dans l’exercice de ses pouvoirs, ces opérations avec celles d’autres classes d’opérations d’assurance, elle doit tenir des comptes, des caisses et des garanties séparés et distincts à l’égard de ses opérations d’assurance-vie, et ces caisses et garanties doivent servir uniquement à la protection des porteurs de ses polices d’assurance-vie et ne garantir aucunement le paiement de réclamations provenant d’une autre classe ou d’autres classes d’opérations faites par la compagnie.

Ayant décidé que la totalité du revenu de placements tiré de l’actif de la caisse d’assurance-vie devait être considérée comme un revenu imposable pour les années d’imposition en question, le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la jurisprudence énonçant les critères à appliquer pour déterminer s’il s’agit du revenu tiré d’un bien dont la corporation a eu la possession ou l’usage aux fins de l’exploitation de l’entreprise. Plus précisément, la contribuable s’est appuyée sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Ensite Ltd. c. R., [1986] 2 R.C.S. 509, et sur le jugement de la présente Cour dans R. c. Marsh & McLennan, Limited, [1984] 1 C.F. 609(C.A).

Je fais une digression ici pour faire observer que le critère énoncé dans les deux arrêts précités vise à déterminer si les biens « sont utilisés et risqués dans l’entreprise ». En retour, pour que le bien soit utilisé et risqué, il est généralement accepté qu’il doit faire intégralement partie de l’opération continue de l’entreprise en question. Pour les fins du présent appel, et pour des raisons qui deviendront évidentes, je continuerai de traiter de la question principale comme elle a été énoncée au début des présents motifs, savoir si la totalité de l’actif de la caisse d’assurance-vie était « nécessaire » à l’entreprise d’assurance-vie de la contribuable.

En toute déférence, je suis d’avis que le juge de la Cour de l’impôt a tiré des conclusions entachées d’erreurs. Je commencerai mon analyse en examinant l’effet du paragraphe 81(1) de la Loi sur les compagnies d’assurance.

À l’ouverture de l’audience, la Cour a informé les avocats des parties qu’à son avis, abstraction faite de ce que pouvait être le véritable effet juridique du paragraphe 81(1) de la Loi sur les compagnies d’assurance, celui-ci ne pouvait en aucun cas être réputé imposer une charge sur l’actif conservé dans la caisse d’assurance-vie. Même l’interprétation la plus libérale de ce paragraphe ne peut appuyer une telle position et je ne crois pas que le juge de la Cour de l’impôt ait eu l’intention d’utiliser le terme anglais « charge » dans un sens technique. Bref, il ne s’agit pas d’un cas où il est approprié d’introduire des principes de droit associés aux garanties consenties sur des biens meubles et immeubles afin de trancher des questions d’ordre fiscal. Il suffira de dire que le paragraphe 81(1) impose une condition ou une directive légale. La véritable question est de savoir si cette disposition a pour effet juridique « de bloquer » la totalité de l’actif détenu dans la caisse d’assurance-vie comme l’a conclu le juge de la Cour de l’impôt. Le ministre a reformulé la question en alléguant qu’une société de secours mutuels ne peut retirer des fonds d’une caisse d’assurance-vie qu’avec l’approbation du surintendant des assurances et, par conséquent, tant que cette autorisation n’est pas accordée, la totalité des fonds doit être considérée comme étant nécessaire à l’entreprise d’assurance-vie. À mon avis, le paragraphe 81(1) ne peut être interprété de la façon proposée.

Tout d’abord, lorsqu’une restriction au transfert de fonds s’applique, la Loi sur les compagnies d’assurance énonce clairement cette restriction. Il suffit pour s’en convaincre de lire le paragraphe 81(7) qui restreint le transfert de fonds distincts (par exemple, les fonds provenant des REER) sans le consentement du surintendant. Aucune disposition semblable n’existe pour le transfert de sommes non distinctes conservées dans la caisse d’assurance-vie à d’autres caisses. Deuxièmement, pour ce qui a trait aux sociétés de secours mutuels, le surintendant exige simplement une déclaration de l’actuaire de la société attestant que l’actif de chaque caisse est suffisant pour garantir le paiement de toutes les obligations de la caisse sans déduction ni réduction. C’est ce que prévoit le paragraphe 95(2). Troisièmement, l’article 97 énonce de plus la façon dont le surintendant doit répondre à une société qui a imprudemment retiré une partie de l’actif de la caisse. Lorsque le surintendant est d’avis que l’actif de la caisse est insuffisant, un rapport spécial doit être envoyé au ministre qui est en droit de demander à la société de combler le déficit dans une période ne dépassant pas quatre ans. Si la société ne se conforme pas à la demande dans ce délai, son certificat d’enregistrement peut lui être retiré. Il convient ici de reproduire les paragraphes 81(7) et 95(2) et l’article 97 de la Loi sur les compagnies d’assurance :

81.

(7) Lorsqu’une caisse séparée et distincte, ayant un actif particulier, est maintenue en conformité du paragraphe (6), l’actif de la caisse ainsi maintenue ne doit être disponible que pour satisfaire aux engagements qui découlent des polices à l’égard desquelles la caisse est maintenue, sauf que

a) les montants transférés d’une autre caisse de la compagnie à la caisse séparée et distincte peuvent, sous réserve de l’approbation du surintendant, être retirés de la caisse séparée et distincte et transférés à telle autre caisse que déterminent les administrateurs; et

b) tout actif restant dans la caisse distincte et séparée, après l’acquittement de tous les engagements de la compagnie à l’égard des polices, pour lesquelles la caisse est maintenue, peut être transféré à telle autre caisse que déterminent les administrateurs.

[Une modification apportée ultérieurement à cette disposition semble supprimer l’obligation de faire approuver le transfert des sommes par le surintendant.]

95.

(2) Ce rapport doit contenir une déclaration dudit actuaire portant que, à son avis, l’actif que la société peut affecter à chaque caisse, évalué selon une estimation agréée du surintendant, est suffisant, en y ajoutant les primes, sommes dues et autres contributions à recevoir ultérieurement des membres, selon les taux en vigueur à la date de ladite évaluation, pour garantir le paiement à échéance de tous les engagements de la caisse, sans déduction ni réduction.

97. (1) S’il apparaît au surintendant, d’après l’état annuel qui lui a été remis, ou d’après un examen ou une évaluation faite en conformité de la présente loi, que l’actif d’une société de secours mutuels enregistrée sous le régime de la présente loi, ou de l’une de ses caisses de prestations, ne suffit pas à assurer le paiement à échéance de ses polices, sans déduction ou réduction, ou sans une augmentation des primes ou sans surprimes, le surintendant doit adresser au Ministre un rapport spécial sur la situation de la société et indiquer dans ce rapport le montant qui manque à l’actif de la société et que révèle l’état annuel ou un examen ou une évaluation opéré comme il est susdit. Le surintendant peut, toutefois, avant de faire ainsi rapport au Ministre, procéder à une évaluation spéciale des engagements de la société aux termes desdites polices.

(2) Si, après avoir pris ledit rapport en considération, le Ministre partage l’opinion du surintendant, il doit demander que, dans le délai qu’il peut prescrire, soit quatre années au maximum, la société comble le déficit.

(3) Si la société ne se conforme pas à la requête du Ministre dans le délai prescrit, son certificat d’enregistrement peut être retiré.

Il ressort des dispositions de la Loi sur les compagnies d’assurance, dans leur ensemble, collectivement, que la décision de transférer des fonds en dehors d’une caisse à n’importe quel moment est une question de jugement qui relève du pouvoir discrétionnaire de la société de secours mutuels. Aucune approbation préalable n’est requise du surintendant, comme le prétend le ministre. Cette conclusion est renforcée par les motifs du juge MacKay dans la décision Lutheran Life, précitée, qui énonce le véritable objet du paragraphe 81(1) (à la page 296) :

Le paragraphe 81(1), oblige une société qui combine des opérations d’assurance-vie et d’autres opérations d’assurance à tenir des comptes distincts pour ses opérations d’assurance-vie; les caisses et les garanties détenues dans ces comptes doivent servir uniquement à la protection des détenteurs des polices d’assurance-vie et ne garantir aucunement le paiement de réclamations provenant d’autres opérations d’assurance exploitées par la société.

Une fois qu’on a conclu que le paragraphe 81(1) n’a pas l’effet juridique que lui prêtent le juge de la Cour de l’impôt et le ministre, il reste à déterminer si le fait que la contribuable a choisi de ne pas retirer l’excédent de la caisse d’assurance-vie avant 1988 décide de l’issue du présent appel. En toute déférence, je ne crois pas que ce soit le cas.

D’après mon interprétation, l’argument subsidiaire que le ministre a formulé tant devant la Cour de l’impôt que devant la présente Cour suppose que la totalité de l’actif conservé dans la caisse d’assurance-vie a été engagé et employé aux fins des opérations d’assurance-vie de la contribuable et donc qu’il était « risqué » dans l’entreprise. De l’avis du ministre, il en est ainsi parce que la contribuable a pris une décision de gestion, celle de conserver l’actif dans la caisse. Plus précisément, on fait valoir que la décision de ne pas retirer l’excédent de la caisse d’assurance-vie se fondait sur l’inquiétude que posait l’augmentation possible des réclamations attribuables au SIDA. J’aborderai tout d’abord la question du SIDA.

La contribuable conteste l’argument précité en faisant valoir qu’elle ne s’est pas préoccupée de l’accroissement graduel de l’excédent dans la caisse d’assurance-vie avant 1988, quand des préoccupations ont été exprimées pour la première fois au sujet d’une augmentation possible des réclamations d’assurance-vie découlant de la propagation du SIDA. La contribuable reconnaît qu’une somme additionnelle de 350 000 $ a été affectée en 1988 pour prévoir cette éventualité extraordinaire. En réponse à l’allégation du ministre selon laquelle les préoccupations au sujet du SIDA ont été un facteur pertinent pendant toutes les années d’imposition en question et non simplement en 1988, la contribuable signale qu’en 1985 la menace que représentait le SIDA n’avait même pas encore été reconnue ni pleinement évaluée.

À mon avis, la preuve appuie manifestement la position de la contribuable. La preuve documentaire et la transcription révèlent que les préoccupations de la contribuable concernant l’effet qu’aurait la propagation du SIDA sur ses opérations d’assurance-vie n’ont pas été exprimées avant 1988 et certainement pas dans les années d’imposition antérieures : voir le dossier d’appel, vol. III, à la page 390 et vol. II de l’annexe, à la page 294. Le seul passage qui nous a été cité par l’avocat du ministre ne peut être interprété comme un aveu contraire : voir le dossier d’appel, vol. II, aux pages 300 et 301.

Même si je devais en venir à une conclusion différente au sujet du SIDA, la question demeure de savoir si la décision de la contribuable de ne pas retirer une partie de l’actif de la caisse d’assurance-vie règle définitivement la question de savoir si la totalité de l’actif était nécessaire pour les opérations d’assurance-vie de la contribuable. À mon avis, il faut répondre à cette question par la négative.

Je suis disposé à accepter qu’il aurait été loisible au juge de la Cour de l’impôt de tirer une inférence du fait que la contribuable s’est contentée de laisser la totalité de l’actif dans la caisse d’assurance-vie jusqu’en 1988. Il aurait en effet pu en déduire que l’actif laissé dans la caisse était nécessaire aux fins des opérations d’assurance-vie de la contribuable. Je serais également disposé à accepter qu’une inférence semblable aurait pu être tirée du fait que les états financiers fournis au surintendant des assurances déclaraient que la totalité des revenus de placements étaient rattachés à la caisse d’assurance-vie. Toutefois, ce n’est pas la position qu’a adoptée le ministre qui fait tout simplement valoir que la décision de gestion de ne pas retirer une partie de l’actif de la caisse d’assurance-vie règle la question principale soulevée en appel.

En fait, l’argument du ministre repose sur l’hypothèse selon laquelle le seul fondement pour déterminer si les fonds sont nécessaires, c’est-à-dire risqués et employés dans les opérations d’assurance-vie, consiste à examiner ce que la contribuable a fait et non pas ce qu’elle aurait pu faire. Tant le juge de la Cour de l’impôt que le ministre se sont appuyés sur un passage de l’arrêt Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, à la page 55, dans lequel le juge en chef Dickson déclare que « les tribunaux doivent tenir compte de ce que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu’il aurait pu faire ».

En toute déférence, les observations formulées par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Bronfman sont inapplicables en l’espèce pour la simple raison que ces observations sont citées hors contexte. Dans l’arrêt Bronfman, le contribuable cherchait à déduire les paiements d’intérêt relatifs à un emprunt, dont le produit avait été utilisé pour faire des versements de capital à la bénéficiaire d’une fiducie. Les fiduciaires faisaient valoir que s’ils avaient vendu une partie de l’actif de la fiducie pour faire les versements et qu’ensuite ils avaient contracté un emprunt pour racheter l’actif ainsi liquidé, la fiducie aurait eu le droit de déduire l’intérêt payé sur l’emprunt. Par conséquent, les fiduciaires ont fait valoir que la fiducie devait avoir le droit de déduire l’intérêt même si l’opération n’avais pas été montée d’une façon permettant de déduire les intérêts. C’est dans ce contexte que s’appliquent les observations du juge en chef Dickson.

À mon avis, les observations de l’ancien juge en chef n’ont aucune application à des causes comme celle qui est à l’étude. La question dont est saisie la présente Cour n’est pas de savoir si la contribuable aurait pu retirer l’excédent de façon à éviter que le revenu de placements soit attribué aux opérations d’assurance-vie. Manifestement, la contribuable aurait pu agir de la sorte. La question est plutôt de savoir si la totalité de l’actif de la caisse d’assurance-vie est nécessaire à la composante assurance-vie de l’entreprise de la contribuable. Cette deuxième question est différente de la première.

Il suffira de citer deux décisions pour établir et appuyer la proposition selon laquelle la conduite d’un contribuable ou le jugement que celui-ci a exercé dans le cadre de sa gestion ne règle pas la question de savoir si une partie de l’actif était nécessaire aux fins de l’exploitation de l’entreprise. La première est une décision du juge Strayer (tel était alors son titre) : McCutcheon Farms Ltd. c. M.R.N., [1991] 1 C.T.C. 50 (C.F. 1re inst.). La deuxième est la décision Lutheran Life qui a déjà été mentionnée dans les présents motifs.

Dans la décision McCutcheon, la société contribuable avait touché un revenu d’intérêt provenant de dépôts à terme assez importants. La question à trancher était de savoir si le revenu d’intérêt pouvait être considéré comme un revenu tiré d’une entreprise exploitée activement. Une réponse affirmative à cette question aurait permis à la contribuable de réclamer la « déduction pour PME » applicable. Le juge Strayer a conclu que puisque la contribuable n’avait jamais eu besoin d’encaisser aucun des dépôts à terme pour mener à bien ses opérations et qu’elle n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour démontrer que, même dans un cas d’urgence, elle serait obligée de le faire, le revenu d’intérêt ne pouvait être considéré comme un revenu tiré d’une entreprise exploitée activement.

En l’espèce, si j’acceptais l’argument du ministre, je devrais également conclure que l’affaire McCutcheon a été décidée de façon erronée au motif que la décision de la société contribuable de mettre de côté certains fonds en cas d’urgence aurait dû régler définitivement la question fiscale. Autrement dit, il n’est pas nécessaire de chercher plus loin que la décision de gestion prise par la contribuable. Au bout du compte, la décision McCutcheon réaffirme le principe général selon lequel il incombe au contribuable d’établir ce qui est ou non nécessaire pour exploiter son entreprise. À la réflexion, il est manifeste qu’en fait le ministre propose une norme suggestive de « nécessité » et non une norme objective comme celle qui a été établie dans McCutcheon. La norme objective a également été appliquée par le juge MacKay dans la décision Lutheran Life.

Dans la décision Lutheran Life, la contribuable était une société de secours mutuels qui offrait des prestations d’assurance-vie, d’assurance-accident et d’assurance-maladie, ainsi que certaines prestations de secours mutuels à ses membres. Toutefois, la société ne maintenait qu’une seule caisse, la caisse d’assurance-vie. Elle a fait valoir qu’une partie de l’actif de la caisse d’assurance-vie provenait de cotisations ayant trait aux opérations de secours mutuels de la société. Par conséquent, la contribuable soutenait qu’elle était en droit de déduire du revenu de placements rattaché à ses opérations d’assurance-vie une partie du revenu de placements qui, selon elle, était attribuable à l’actif de secours mutuels de la société. Dans ses états financiers déposés auprès du surintendant des assurances, la contribuable n’avait pas fait la distinction entre le revenu de placements produit par l’actif des secours mutuels et le revenu de placements rattaché à ses opérations d’assurance-vie. Toutefois, la distinction avait été faite dans les déclarations de revenus produites auprès du ministre.

Le juge MacKay a conclu que la Loi sur les compagnies d’assurance n’imposait pas à la contribuable l’obligation d’établir une caisse distincte pour les activités de secours mutuels. L’omission de le faire avait cependant pour effet d’imposer à la contribuable le fardeau d’établir que la déduction d’une partie du revenu de placements généré par l’actif affecté aux activités de secours mutuels, autres que l’assurance, ne constituait pas un revenu tiré de ses opérations d’assurance-vie comme elle l’avait déclaré. D’après les faits, le juge MacKay a conclu « qu’on n’a pas établi qu’il y avait un revenu de placements attribuable aux activités de secours mutuels, autres que l’assurance, susceptible d’être défalqué du revenu d’assurance-vie assujetti à l’impôt » (à la page 297).

En résumé, ni le paragraphe 81(1) de la Loi sur les compagnies d’assurance, ni la décision de la contribuable de ne pas retirer une partie de l’actif de la caisse d’assurance-vie ne règle la question de savoir quel actif est nécessaire aux fins des opérations d’assurance-vie. Toutefois, il incombe à la contribuable d’établir la proportion du revenu de placements qui se rattache à ses opérations d’assurance-vie. Le fait que la contribuable ait déposé des états financiers auprès du surintendant des assurances en attribuant la totalité du revenu de placements à la caisse d’assurance-vie et qu’elle ait refusé de retirer l’excédent de cette caisse sont, au mieux, des facteurs qui appuient l’inférence selon laquelle la totalité de l’actif détenu dans la caisse d’assurance-vie était nécessaire aux opérations d’assurance-vie. Toutefois, une telle inférence peut être réfutée si la contribuable produit des éléments de preuve convaincants à l’effet contraire.

À l’audition de l’appel, une question a été posée au sujet du redressement qui serait approprié, étant donné que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas décidé si la contribuable s’était acquittée du fardeau d’établir que son revenu de placements n’était pas totalement attribuable à ses opérations d’assurance-vie. Plus précisément, le juge de la Cour de l’impôt n’a tiré aucune conclusion quant à la validité de la formule Thompson et aux affectations faites par la contribuable comme il est indiqué aux pages 2680 à 2682 de la décision du juge de la Cour de l’impôt. À mon avis, il n’est tout simplement pas nécessaire de renvoyer l’affaire au juge de la Cour de l’impôt pour un examen plus approfondi. Je m’explique.

Dès le début et dans les plaidoiries, le ministre a adopté la position selon laquelle la totalité du revenu de placements était imposable. Le paragraphe 14 de la réponse du ministre à l’avis d’appel de la contribuable énonce clairement sa position (dossier d’appel, vol. I, à la page 14) :

[traduction] B. LES QUESTIONS À TRANCHER

14. L’intimée fait valoir que la seule question à trancher consiste à déterminer si la totalité du revenu tiré de la caisse et des titres qui faisaient partie de la caisse d’assurance-vie de l’appelante dans les années d’imposition 1985, 1986 et 1987 constitue un revenu que l’appelante a tiré de l’exploitation de son entreprise d’assurance-vie, au sens des paragraphes 138 (1) et (2) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

À l’appui de sa position, le ministre n’a invoqué que deux arguments juridiques. Si la Cour avait accepté l’un ou l’autre de ses arguments, la décision du juge de la Cour de l’impôt aurait dû être maintenue. Mais la Cour ne trouve nulle part d’allégation faite par le ministre voulant que la formule Thompson soit lacunaire ou, ce qui est plus important, que la contribuable ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir quelle partie du revenu de placements était attribuable à son entreprise d’assurance-vie. Je suis d’accord avec l’avocat de la contribuable pour dire que le redressement approprié consiste à renvoyer la question au ministre en lui précisant que les cotisations initiales étaient valides. Si la contribuable a toujours l’intention de payer un montant d’impôt supérieur pour les années d’imposition 1985 à 1987, elle peut le faire, mais elle n’est tenue à aucune obligation légale à cet égard.

Je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens devant la présente Cour et devant la Cour de l’impôt, d’infirmer le jugement de la Cour de l’impôt du Canada en date du 21 juin 1995, d’accueillir l’appel interjeté contre des nouvelles cotisations et de renvoyer l’affaire au ministre pour qu’elle soit réexaminée en tenant compte des présents motifs.

Le juge Strayer, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge McDonald, J.C.A. (dissident) : J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Robertson, J.C.A. et, en toute déférence, je ne peux souscrire à son raisonnement. Je suis d’avis que la cotisation établie par le ministre pour les années d’imposition 1984 à 1987 devrait être maintenue.

Je tiens à préciser dès maintenant que je souscris à la conclusion du juge Robertson selon laquelle le paragraphe 81(1) de la Loi sur les compagnies d’assurance canadiennes et britanniques (ci-après la Loi sur les compagnies d’assurance) n’impose pas d’exigence (charge) légale à l’actif détenu dans la caisse d’assurance-vie. Je suis également de son avis quand il dit que cette conclusion ne règle pas définitivement la question dont est saisie la Cour.

L’appelante est une société de secours mutuels qui exerce plusieurs activités au nom de ses membres. Dans le cadre de ces activités, elle verse des prestations d’assurance-vie qu’elle tire d’une caisse d’assurance-vie. En vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), le revenu d’une société de secours mutuels est habituellement exonéré de l’impôt de la partie I. Il existe au paragraphe 149(3) de la Loi une exception à cette règle générale, savoir que l’exonération relative à l’impôt de la partie I ne s’applique pas au revenu imposable tiré d’une entreprise d’assurance-vie.

Les faits de la présente affaire révèlent que l’appelante a conservé dans la caisse d’assurance-vie un actif supérieur à ce qui était réellement nécessaire. La question qui se pose en l’espèce est de savoir si le revenu tiré de l’« excédent » conservé dans cette caisse aurait dû être inclus dans le calcul du revenu de l’appelante tiré de son entreprise d’assurance-vie pour les années d’imposition 1985, 1986 et 1987.

En l’espèce, la preuve révèle que la contribuable exerçait trois types d’activités : l’assurance-vie, l’assurance-maladie et l’assurance-accidents, et les activités de secours mutuels. En vertu du paragraphe 81(1) de la Loi sur les compagnies d’assurance, la contribuable était tenue de tenir des comptes séparés et distincts concernant ses opérations d’assurance-vie. Elle a choisi d’établir trois caisses : la caisse d’assurance-vie, la caisse d’assurance-accidents et la caisse de secours mutuels. Le conseil d’administration de la contribuable décidait dans quelle caisse l’actif devait être versé et déclarait l’actif qui appartenait à une caisse particulière dans les rapports annuels de la contribuable produits auprès du surintendant des assurances.

Le conseil d’administration de la contribuable a décidé que son objectif était [traduction] « d’établir une base financière solide pour s’assurer qu’en cas de catastrophe économique dans l’industrie des arts du spectacle, la société [serait] en mesure de surmonter ces chocs économiques et de continuer de répondre aux besoins de [ses] membres » (lettre en date du 5 octobre 1988 du représentant de la contribuable adressée au Bureau du surintendant des institutions financières, dossier d’appel, à la page 393). Il s’agit là d’un objectif louable, mais qui entraîne certaines conséquences : la contribuable a sciemment et intentionnellement conservé dans la caisse d’assurance-vie un excédent qui dépassait les besoins réels. À mon avis, la décision de conserver cet excédent dans le compte d’assurance-vie était une décision de gestion prise par la contribuable que la Cour ne devrait pas remettre en cause. Une fois cette décision prise, la contribuable a profité du fait qu’elle qu’elle avait diminué ses risques. La contribuable ne peut maintenant essayer de revenir sur le passé et de réévaluer son obligation fiscale.

Mon confrère le juge Robertson, J.C.A., semble laisser entendre que l’existence d’un excédent dans la caisse d’assurance-vie soulève une présomption réfutable selon laquelle l’actif est risqué ou employé dans l’entreprise. J’accepte cette proposition pour le moment, mais je ne suis pas convaincu que la contribuable a réfuté cette présomption en l’espèce. Une entreprise d’assurance comporte bien des risques et des incertitudes. Bien que la preuve actuarielle puisse être utile, en l’espèce, la contribuable a décidé de conserver des réserves excédentaires [traduction] « pour se prémunir contre une catastrophe économique imprévue ». Je ne vois pas comment la contribuable peut ultérieurement essayer de soustraire ces réserves à sa responsabilité fiscale simplement parce que la catastrophe imprévue ne s’est pas matérialisée.

En l’espèce, la preuve révèle que le conseil d’administration de la contribuable a pris des décisions conscientes au sujet de l’attribution de l’actif dans la caisse d’assurance-vie. La contribuable n’a pas laissé entendre que, si cet actif avait été nécessaire en cas de « catastrophe imprévue », il n’aurait pas été utilisé. Comment, alors, peut-on prétendre que cet actif n’est pas assujetti à l’impôt? La contribuable a essayé de s’appuyer sur la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale Lutheran Life Insurance Society of Canada c. Canada, [1991] 2 C.T.C. 284 (ci-après Lutheran Life) et sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada Ensite Ltd. c. R., [1986] 2 R.C.S. 509 (ci-près Ensite). J’ai examiné comment ces deux causes jurisprudentielles peuvent s’appliquer à l’espèce et je dois, en toute déférence, en venir à une conclusion différente de celle du juge Robertson, J.C.A.

À première vue, la situation énoncée dans Lutheran Life est très semblable à celle de l’espèce. Toutefois, je suis d’avis qu’on peut facilement établir une distinction d’avec celle-ci d’après les faits. Dans Lutheran Life, la contribuable ne tenait qu’une seule caisse à partir de laquelle elle gérait la totalité de ses opérations, y compris ses opérations d’assurance-vie. Par conséquent, il était nécessaire d’examiner les fins auxquelles l’actif de la caisse était utilisé, étant donné qu’il aurait pu être utilisé à plusieurs fins, notamment aux fins des opérations d’assurance-vie. Comme l’a noté le juge de première instance dans cette affaire, la société n’était nullement tenue d’établir une caisse distincte pour les activités autres que l’assurance, de sorte que l’omission de le faire ne pouvait être utilisée contre la société.

Toutefois, en l’espèce, la contribuable a établi trois caisses distinctes : la caisse d’assurance-vie, la caisse d’assurance-accidents et d’assurance-invalidité, et la caisse de secours mutuels. Des fonds ont été déposés dans chacune de ces caisses conformément à la décision de la contribuable. Il n’est pas nécessaire d’aller au-delà de ces décisions d’attribution dans les caisses particulières, comme on a dû le faire dans Lutheran Life, étant donné qu’en l’espèce la contribuable a eu la possibilité de répartir les sommes dès le début, ou même de les réaffecter d’une caisse à un autre ultérieurement. Cette répartition de l’actif par la contribuable est un luxe qui n’existait pas dans Lutheran Life, et pour éviter que la contribuable soit injustement imposée, le juge de première instance a dû examiner attentivement la composition de l’actif de la caisse pour essayer de le répartir après le fait. En l’espèce, il n’y a pas lieu de se livrer à une telle spéculation, étant donné que l’actif a été réparti par la contribuable selon le jugement qu’elle a exercé au mieux de ses connaissances et après avoir consulté des professionnels dans les domaines de la comptabilité, de l’actuariat et du droit.

L’avocat de la contribuable fait aussi valoir que la décision de la Cour suprême du Canada dans Ensite règle définitivement la question en l’espèce. Dans Ensite, la Cour suprême du Canada a examiné si l’intérêt tiré par la contribuable de certains dépôts pouvait être qualifié de revenu de placements à l’étranger au sens du paragraphe 129(4) de la Loi en vue d’obtenir le remboursement au titre de dividendes aux termes du paragraphe 129(1) de la Loi alors en vigueur. Le juge Wilson, s’exprimant au nom de la Cour, a statué que seuls les biens dont on pouvait dire qu’ils sont « risqués ou employés » dans l’entreprise de la contribuable peuvent à bon droit être déclarés aux fins du remboursement au titre de dividendes. En outre, le « risque » envisagé doit être plus qu’un risque éloigné. Selon le raisonnement du juge Wilson [à la page 520] :

On satisfait aux exigences minimales du critère dès lors que le retrait du bien aurait « un effet nettement négatif sur les opérations de la compagnie » … Le critère applicable consiste non pas à déterminer si le contribuable s’est vu dans l’obligation d’employer un bien déterminé pour exploiter son entreprise, mais plutôt à se demander si ce bien a été utilisé pour satisfaire à une exigence qui devait être remplie pour qu’il puisse exploiter son entreprise.

Il convient de noter que, pour parvenir à cette conclusion, le juge Wilson s’est livrée à une analyse de l’objectif sous-jacent des dispositions législatives et a conclu que cet objectif était d’établir une distinction entre le revenu tiré d’une entreprise exploitée activement et d’autres sources de revenus. Certainement, on ne peut contester que pour être considéré à bon droit comme un revenu tiré d’une entreprise exploitée activement, l’intérêt doit provenir d’un bien qui est risqué et employé dans l’entreprise.

En l’espèce, toutefois, la question n’est pas de savoir si le revenu tiré de la caisse peut à juste titre être considéré comme un « revenu tiré d’une entreprise exploitée activement » pour les fins de la Loi. On demande plutôt à la Cour de déterminer si l’actif de la caisse d’assurance-vie et le revenu qui en provient sont imposables parce qu’ils font partie de la caisse d’assurance-vie. La Loi prévoit que le revenu d’une société de secours mutuels n’est pas imposable, sauf pour ce qui a trait au revenu tiré des opérations d’assurance-vie. Les intérêts produits par l’actif détenu dans la caisse d’assurance-vie, particulièrement lorsque la contribuable a consciemment décidé de conserver cet actif dans la caisse, constituent à première vue un revenu tiré d’une entreprise d’assurance-vie. À mon avis, il ne s’agit pas de la même situation que celle dont était saisie la Cour dans l’affaire Ensite. La question appropriée n’est pas de savoir si l’actif a été risqué ou employé dans le cadre des opérations de la caisse d’assurance-vie, mais plutôt de savoir si l’actif est à bon droit considéré comme une partie de la caisse d’assurance-vie.

En l’espèce, la contribuable fait valoir que cet arrêt s’applique parce que l’actif ne peut être considéré comme une « partie de la caisse d’assurance-vie » que lorsqu’il est intégralement risqué dans l’entreprise d’assurance-vie. Ainsi donc, le fait que l’actif se trouve dans la caisse d’assurance-vie et que la contribuable ait choisi de l’y conserver ne signifierait pas que l’actif fait réellement partie de cette caisse. En fait, cette application proposée du critère énoncé dans Ensite donnerait à la contribuable une sécurité additionnelle du fait de l’« excédent » qui serait conservé dans une caisse dont l’actif est imposable, tout en lui permettant de soustraire ultérieurement cet actif à l’impôt pourvu qu’une preuve actuarielle établisse que l’actif n’a pas été intégralement risqué et employé dans l’entreprise. Je ne peux accepter cet argument. Je ne pense pas que la Cour, dans l’arrêt Ensite, ait eu l’intention d’exonérer certaines parties d’une caisse d’assurance-vie de l’impôt sur le revenu même lorsque des décisions de gestion ont été délibérément prises pour maintenir un actif précis dans une caisse particulière.

Même si je fais erreur et que le raisonnement de l’arrêt Ensite s’applique à l’espèce, je suis d’avis que le critère applicable pour déterminer si les biens sont « risqués ou employés » dans une entreprise doit nécessairement être plus souple lorsque l’entreprise visée est une caisse d’assurance-vie. L’assurance est une entreprise qui présente obligatoirement des risques différents de ceux de la plupart des autres entreprises. Bien que les actuaires puissent donner des estimations sur le risque, des imprévus peuvent survenir, et dépasser même les réserves les plus généreuses. Selon l’interprétation que je donne aux faits de l’espèce, la contribuable a décidé de maintenir des réserves excédentaires afin de se prémunir contre certaines éventualités. C’est une position raisonnable : comme le note le juge de la Cour de l’impôt, à la page 2684, les témoignages en l’espèce démontrent qu’il « n’existe aucune certitude mathématique au sujet des sommes qui devraient se trouver dans la caisse d’assurance-vie ».

En choisissant de maintenir des réserves supérieures aux besoins dans la caisse d’assurance-vie, la contribuable a réalisé son objectif qui consistait à minimiser son risque. La contribuable s’attendait à profiter et en fait elle a profité de la position qu’elle a adoptée. La réduction de son risque lui a apporté, à elle comme au surintendant des assurances, la tranquillité d’esprit. Comme le dit l’un des témoins, que cite le juge de la Cour de l’impôt, à la page 2684, « plus l’excédent est important, plus cela rassurerait les fonctionnaires du Bureau du surintendant ».

Bon nombre d’événements auraient pu se produire qui auraient nécessité l’utilisation des réserves « excédentaires ». Je ne crois pas qu’il soit approprié de faire une analyse rétrospective pour conclure qu’en raison de ces réserves supérieures aux besoins réels ou à ceux déterminés par la preuve actuarielle, celles-ci ne sont pas à bon droit considérées comme faisant partie de la caisse d’assurance-vie. La contribuable disposait des estimations de réserves adéquates au moment où elle a décidé de la meilleure façon de répartir l’actif entre les caisses, et elle a consciemment décidé de conserver cet actif supplémentaire dans la caisse d’assurance-vie imposable au lieu de l’affecter à une autre caisse.

En outre, je ne trouve pas convaincant l’argument de la contribuable qui prétend maintenant qu’elle aurait pu retirer l’excédent de la caisse plus tôt qu’elle ne l’a fait. Le fait qu’elle aurait pu agir ainsi ne mène pas inévitablement à la conclusion que cet actif n’a jamais fait partie de la caisse d’assurance-vie. En fait, cet argument appuie la position selon laquelle le fait de laisser l’actif dans la caisse d’assurance-vie était une décision de gestion dont la contribuable espérait tirer certains avantages. Sur ce point, le raisonnement du juge en chef Dickson dans l’arrêt Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, à la page 55, qui a été cité à de nombreuses reprises par la présente Cour, est instructif :

… les tribunaux doivent tenir compte de ce que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu’il aurait pu faire : Matheson c. La Reine, 74 D.T.C. 6176 (C.F.D.P.I.), le juge Mahoney.

Bien que le juge Robertson, J.C.A., ait raison quand il signale que les faits de la présente affaire sont différents de ceux dont la Cour était saisie dans Bronfman ou même dans Matheson [Matheson, J A c La Reine, [1974] CTC 186 (C.F. 1re inst.)], le principe général a été appliqué ultérieurement par la Cour à de nombreuses reprises dans de nombreuses situations de faits différentes. Je crois que le principe s’applique en l’espèce; lorsque le contribuable prend une décision de gestion éclairée en vue de conserver des biens dans une caisse imposable, la Cour ne doit pas profiter de l’avantage qu’elle a d’examiner cette décision en rétrospective pour retirer rétroactivement les biens de cette caisse afin de mettre la contribuable dans une position fiscale plus avantageuse que celle dans laquelle elle se trouve.

Bien que je compatisse à la situation de la contribuable qui aurait pu supporter un fardeau fiscal moindre si elle n’avait pas elle-même communiqué avec Revenu Canada, cela ne change rien aux faits de la cause : la contribuable a choisi de laisser les biens dans la seule caisse gérée par elle qui était assujettie à l’impôt. Je ne peux maintenant, en rétrospective, remettre cette décision en question. La contribuable ne peut avoir bénéficié par le passé du fait qu’elle a réduit son risque et chercher maintenant à profiter d’un autre avantage en essayant de réduire son obligation fiscale au motif que l’actif n’a pas été intégralement « risqué ou employé » dans son entreprise d’assurance-vie.

Je suis d’avis de maintenir la décision de la Cour de l’impôt.

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