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[1997] 2 C.F. 279

A-262-95

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Nassau Walnut Investments Inc. (intimée)

Répertorié : Canada c. Nassau Walnut Investments Inc. (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Strayer et Robertson, J.C.A.—Toronto, 6 novembre; Ottawa, 23 décembre 1996.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Gains en capital Appel d’une décision de la Cour de l’impôt qui avait accueilli l’appel concernant la nouvelle cotisationDisposition d’actions par l’intiméeLes comptables ont par erreur déclaré la différence entre le capital payé et le prix d’achat à titre de dividende présumé aux termes des art. 84(3) et 112 de la Loi de l’impôt sur le revenuLe ministre a établi une nouvelle cotisation, en appliquant l’art. 55(2), et converti le dividende en gain en capital imposableIl a refusé d’autoriser l’intimée à faire une désignation aux termes de l’art. 55(5)f) pour qu’une partie du dividende soit attribué au « revenu sauf » — L’art. 55(2) s’applique si la méthode utilisée par le ministre pour répartir le revenu sauf est raisonnable, même si la méthode utilisée par l’intimée est également raisonnableLa méthode proportionnelle pour la répartition du revenu sauf est raisonnableL’intimée devait faire une désignation en vertu de l’art. 55(5)f) au moment de produire sa déclarationLa distinction est faite avec les cas où des choix doivent être exercésL’inférence selon laquelle le législateur n’avait pas l’intention d’autoriser la modification d’une déclaration est réfutéeL’intimée a le droit de faire une désignation aux termes de l’art. 55(5)f) après qu’un avis de nouvelle cotisation, fondé sur l’art. 55(2), lui est envoyé.

Il s’agit d’un appel de la décision de la Cour de l’impôt accueillant l’appel de la contribuable à l’encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre et statuant qu’il n’était pas nécessaire que la contribuable fasse une désignation en vertu de l’alinéa 55(5)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu. En vertu de l’alinéa 84(3)a), une société est réputée avoir versé un dividende égal à la différence entre la somme payée et le capital versé relativement aux actions rachetées, acquises ou annulées et, en vertu de l’alinéa 84(3)b), la personne qui a disposé des actions est réputée avoir reçu un dividende imposable. Le paragraphe 112(1) a pour effet d’exonérer d’impôt ces dividendes entre sociétés en autorisant la société contribuable à faire une déduction équivalente dans sa déclaration d’impôt. Ces deux dispositions sont assujetties au paragraphe 55(2), une disposition anti-évitement qui a pour effet de convertir certains dividendes libres d’impôt en gains en capital imposables. Dans la mesure où un dividende, y compris un dividende présumé découlant de l’application du paragraphe 84(3), est attribuable au « revenu sauf » de la société qui verse le dividende, cette fraction du dividende est exonérée d’impôt. Le revenu sauf représente les bénéfices non distribués frappés d’impôt de la société qui verse le dividende et qui ont été réalisés après 1971 et avant le paiement du dividende. Si la totalité du dividende est attribuable au revenu sauf le paragraphe 55(2) n’est pas applicable. Toutefois, si une fraction du dividende est attribuable à autre chose qu’au revenu sauf, alors la totalité de la somme reçue par la société est réputée ne pas être un dividende. L’alinéa 55(5)f ) prévoit toutefois un allégement relativement au paragraphe 55(2) qui ne fait pas de demi-mesure. En désignant le dividende comme une série de dividendes distincts, la fraction du dividende attribuable au revenu sauf est retranchée et demeure donc libre d’impôt, et l’autre fraction du dividende qui n’est pas attribuable au revenu sauf est traitée comme si un gain en capital avait été réalisé. L’alinéa 55(5)f) exige que la désignation soit faite au moment de la production de la déclaration d’impôt pour l’année au cours de laquelle le dividende est reçu.

L’intimée a vendu certaines actions. Les comptables ont par erreur déclaré la différence entre le prix d’achat des actions et le capital versé à l’égard de celles-ci (au lieu du revenu sauf se rattachant à ces actions) à titre de dividende présumé conformément aux paragraphes 84(3) et 112(1) dans la déclaration de revenus de 1989. Ils ont également omis de faire la désignation prévue à l’alinéa 55(5)f). Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Nassau au motif que le dividende tombait sous le coup du paragraphe 55(2), c’est-à-dire que la totalité du dividende était réputée être un gain en capital. Le ministre a refusé d’accepter la désignation tardive aux termes de l’alinéa 55(5)f). En interprétant le paragraphe 55(2), la Cour de l’impôt a statué que le fond devait primer sur la forme. Elle a noté que si les nouveaux comptables de Nassau n’avaient pas déclaré par erreur le prix intégral du rachat des actions à titre de dividende présumé, le ministre aurait autorisé Nassau à profiter du montant de 270 000 $ de revenu sauf rattaché aux actions de Westminster. La Cour de l’impôt a accueilli l’appel et accepté la méthode de répartition du revenu, c’est-à-dire l’attribution aux premières actions rachetées plutôt que l’utilisation de la méthode proportionnelle.

Les questions en litige étaient les suivantes : Nassau était-elle tenue, au moment de produire sa déclaration de 1989, de « faire » une désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f ) de la Loi afin de réduire son obligation fiscale découlant de la vente des actions; (2) Nassau était-elle en droit de produire une désignation tardive.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

1) Nassau était tenue de faire une désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f) au moment de produire sa déclaration d’impôt. En supposant que les autres exigences du paragraphe 55(2) sont réunies, et que la méthode adoptée par le ministre pour la répartition du revenu sauf est raisonnable, le paragraphe 55(2) devrait s’appliquer abstraction faite du caractère tout aussi raisonnable de la méthode choisie par Nassau. La méthode proportionnelle choisie pour la répartition du revenu sauf est raisonnable en droit et il est même possible qu’elle soit la seule méthode acceptable de répartition du revenu sauf, en raison de la présomption d’égalité entre les actions.

2) Nassau était en droit de réclamer l’avantage prévu à l’alinéa 55(5)f) après que le nouvel avis de cotisation eut été émis et que le ministre eut invoqué le paragraphe 55(2). Les parties ont traité l’alinéa 55(5)f) comme s’il s’agissait d’une disposition prévoyant l’exercice d’un choix, alors qu’elle n’en est pas une. Pour faire la distinction avec une désignation, lorsqu’un choix est fait, le contribuable doit décider de renoncer à une option en faveur d’une autre en évaluant les conséquences fiscales susceptibles de se produire advenant la concrétisation de certaines éventualités. Outre cette différence, la Loi reconnaît implicitement qu’une désignation et un choix ne sont pas une seule et même chose. Le commun dénominateur des désignations et des choix réside dans le fait que la Loi prévoit expressément un allégement dans certaines circonstances, mais non dans d’autres. Le fait que la Loi autorise l’exercice tardif d’une désignation ou d’un choix dans des circonstances particulières ne mène en fait qu’à une inférence réfutable selon laquelle le législateur n’avait pas l’intention d’accorder le même droit aux contribuables dans d’autres circonstances. La méthode restrictive adoptée par les tribunaux à l’égard des dispositions de la Loi prévoyant l’exercice d’un choix (c’est-à-dire qu’on refuse aux contribuables l’allégement lorsque celui-ci n’est pas prévu dans la Loi) vient de la possibilité que les contribuables se livrent à une planification fiscale rétroactive. En l’espèce, la Cour n’est pas saisie d’une question de planification fiscale rétroactive, mais d’un cas plus semblable à une situation dans laquelle le contribuable demande à modifier sa déclaration d’impôt afin de tirer parti d’une déduction à laquelle il a un certain droit. La contribuable n’a pas déjà évalué les risques potentiels entre faire la désignation ou ne pas la faire, et elle ne cherche pas non plus à se soustraire aux conséquences négatives d’une décision qu’elle aurait prise consciemment après mûre réflexion.

La Loi accorde le droit de modifier une déclaration d’impôt dans certains cas, mais pas dans d’autres. Ici encore, il existe une inférence réfutable selon laquelle l’allégement ne peut être accordé que dans des circonstances bien précises. En supposant que Nassau a le droit de modifier sa déclaration, ou de faire une désignation tardive, par suite d’une nouvelle cotisation établie par le ministre et fondée sur le paragraphe 55(2), il n’y a pas de raison qui nous permette de conclure que le législateur n’avait pas prévu un tel résultat. L’argument du ministre, selon lequel si une désignation tardive est autorisée, des contribuables sans scrupules pourraient différer la désignation dans l’espoir de toucher un dividende libre d’impôt, est rejeté. i) L’alinéa 55(5)f) a été incorporé à la Loi non pas pour décourager les contribuables sans scrupules, mais pour empêcher la conversion de la totalité d’un dividende en gain en capital imposable lorsqu’une partie de ce dividende peut être attribuable au revenu sauf. ii) On ne peut attribuer à l’alinéa 55(5)f) de la Loi un objectif non prévu par le législateur alors que d’autres dispositions de cette même Loi visent à empêcher la situation à laquelle fait allusion le ministre. Les articles 162 et 163 traitent précisément de l’omission d’un contribuable de déclarer un revenu et, en tant que dispositions pénales, ont pour but de dissuader les contribuables sans scrupules. iii) Lorsque la totalité du dividende fait partie du revenu sauf, le contribuable n’a pas à faire de désignation et l’alinéa 55(5)f) n’a pas pour effet d’attirer l’attention de Revenu Canada sur d’éventuels problèmes fiscaux associés au revenu sauf. iv) L’interprétation que donne le ministre de l’alinéa 55(5)f) aboutit à un résultat déraisonnable ou injustifié. Selon la position du ministre, dans le cas où le calcul du revenu sauf est erroné, l’application de l’article 55 aurait pour effet de traiter la totalité du dividende comme un gain en capital imposable. La société contribuable serait donc pénalisée même si au départ il ne semblait pas nécessaire de faire une désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f). Ce résultat est absurde. Cette méthode entraîne une conséquence pénale non justifiée qui ne peut être soutenue en droit. L’inférence selon laquelle un législateur n’avait pas l’intention d’accorder un allégement dans ces circonstances a été réfutée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 80 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 58; 1995, ch. 21, art. 27), 80.03 (édicté, idem), 220(3.21) (édicté, idem, art. 42).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 55(2) (édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24; ch. 140, art. 25; 1984, ch. 45, art. 15; 1985, ch. 45, art. 126), (5)b) (édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24; 1985, ch. 45, art. 126; 1988, ch. 55, art. 33), f) (édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24), 84(3) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 38), 112(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 71), 162, 163, 220(3.2) (édicté par L.C. 1991, ch. 49, art. 181).

Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 600 (édicté par DORS/92-265, art. 1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020; (1990), 76 D.L.R. (4th) 217; [1991] 2 W.W.R. 244; 50 B.L.R. 161; [1991] 1 C.T.C. 169; 91 DTC 5001; 119 N.R. 101; Gestion Jean-Paul Champagne Inc. c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), [1995] A.C.I. nº 1187 (QL).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Miller (J.A.) c. M.R.N., [1993] 1 C.T.C. 269; (1992), 93 DTC 5035; 150 N.R. 238 (C.A.F.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Trico Industries Ltd. c. Canada, [1994] 2 C.T.C. 2053; (1994), 94 DTC 1740 (C.C.I.); Nivram Holdings Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national — M.R.N.), [1991] A.C.I. n 355 (QL); Lee (W.) c. M.R.N, [1990] 2 C.T.C. 2262; (1990), 90 DTC 1738 (C.C.I.).

DÉCISIONS CITÉES :

Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3; (1994), 95 DTC 5017; 171 N.R. 161; 63 Q.A.C. 161; Canada c. Placer Dome Inc., [1997] 1 C.F. 780 (1996), 96 DTC 6562 (C.A.); Spector Motor Services v. Walsh, 139 F.2d 809 (2d Cir. 1943); On-Guard Self-Storage Ltd. c. Canada, [1996] F.C.J. nº 1545 (C.A.) (QL); Loewen (H.R.) c. M.R.N. , [1993] 1 C.T.C. 212; (1993), 93 DTC 5109; 61 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.); Robertson c. R., [1996] 2 C.T.C. 2269 (C.C.I.); Canada c. Adelman (H.), [1993] 2 C.T.C. 207; (1993), 93 DTC 5376; 66 F.T.R. 140 (C.F. 1re inst.); Montreal Trust Company v. Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 570; (1962), 35 D.L.R. (2d) 212; [1962] C.T.C. 418; 62 DTC 1242; Hadler Turkey Farms Inc. c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 81; (1985), 86 DTC 6013 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Arnold, B. J. et al., eds. Materials on Canadian Income Tax, 10th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1993.

Brown, R. D. and T. E. McDonnell. « Capital Gains Strips : A Critical Review of the New Provisions » in Report of Proceedings of the Thirty-Second Tax Conference, 1980 Conference Report. Toronto : Canadian Tax Foundation, 1981.

Kellough, H. J. and P. E. McQuillan. Taxation of Private Corporations and Their Shareholders, 2nd ed. Toronto : Canadian Tax Foundation, 1992.

Robertson, John R. « Capital Gains Strips : A Revenue Canada Perspective of the Provisions of Section 55 » in Report of Proceedings of the Thirty-Third Tax Conference, 1981 Conference Report. Toronto : Canadian Tax Foundation, 1982.

Smith, D. W. « Reassessments, Waivers, Amended Returns, and Refunds » in Income Tax Enforcement, Compliance, and Administration, 1988 Corporate Management Tax Conference. Toronto : Canadian Tax Foundation, 1988.

APPEL d’une décision de la Cour de l’impôt accueillant l’appel de la contribuable à l’encontre d’une cotisation établie par le ministre et statuant qu’il n’était pas nécessaire pour la contribuable de faire une désignation aux termes de l’article 55(5)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Nassau Walnut Investment Inc. c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2057; (1995), 95 DTC 367 (C.C.I.)). Appel rejeté.

AVOCATS :

Roger Taylor et David A. Palamar, pour l’appelante.

Arthur R. A. Scace, c.r., pour l’intimée.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada, pour l’appelante.

McCarthy Tétrault, Toronto, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. :

I. INTRODUCTION

Il s’agit de l’appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt citée à [1995] 2 C.T.C. 2057, portant sur l’interprétation et l’application de l’article 55 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) [S.C. 1970-71-72, ch. 63]. Les faits essentiels sont les suivants : la contribuable intimée, Nassau Walnut Investments Inc. (Nassau), a vendu certaines actions dont elle a réclamé le produit à titre de dividende libre d’impôt aux termes des paragraphes 84(3) [mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 38] et 112(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 71] de la Loi, dans sa déclaration d’impôt sur le revenu de 1989. Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Nassau au motif que le dividende tombait sous le coup du paragraphe 55(2) [édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24; ch. 140, art. 25; 1984, ch. 45, art. 15; 1985, ch. 45, art. 126]. Ce paragraphe a pour effet de convertir certains dividendes libres d’impôt en gains en capital (imposables). Bien que Nassau ait reconnu, avec le ministre, que le paragraphe 55(2) s’appliquait, elle a demandé à se prévaloir de l’alinéa 55(5)f) [édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24]. Dans des circonstances bien définies, cette disposition a pour effet de réduire le montant du gain en capital, exonérant ainsi d’impôt une fraction du dividende. Le ministre a refusé d’accéder à la demande de Nassau au motif que celle-ci n’avait pas fait la « désignation » nécessaire au moment de produire sa déclaration d’impôt, comme l’exige l’alinéa 55(5)f).

Deux questions sont soumises à notre examen. Premièrement, Nassau était-elle tenue, au moment de produire sa déclaration de 1989, de « faire » une désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f) de la Loi afin de réduire son obligation fiscale découlant de la vente des actions? La réponse à cette question dépend de l’interprétation du paragraphe 55(2). Deuxièmement, comme Nassau n’a pas fait cette désignation, et en supposant qu’elle était tenue de le faire, il faut décider si Nassau était en droit de produire ce que les parties ont appelé une « désignation tardive ».

Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que Nassau n’était pas tenue de faire une désignation et, par conséquent, a refusé de répondre à la deuxième question. Dans les motifs qui suivent, je conclus, avec respect pour l’opinion contraire, que Nassau était tenue de faire une désignation au moment de produire sa déclaration d’impôt pour l’année d’imposition en question. Quant à la deuxième question, je conclus que Nassau était en droit de réclamer l’avantage prévu à l’alinéa 55(5)f) de la Loi après que le nouvel avis de cotisation eut été émis et que le ministre eut invoqué le paragraphe 55(2).

II. CADRE LÉGISLATIF

L’alinéa 84(3)a) de la Loi dispose que, lorsqu’une société rachète, acquiert ou annule des actions de son capital-actions, elle est réputée avoir versé un dividende égal à la différence entre la somme payée et le capital versé relativement aux actions ainsi acquises. Parallèlement, l’alinéa 84(3)b) prévoit que la personne qui a disposé des actions est réputée avoir reçu un dividende imposable. Par ailleurs, le paragraphe 112(1) a pour effet d’exonérer d’impôt ces dividendes entre sociétés en autorisant la société contribuable à faire une déduction équivalente dans son rapport d’impôt. Cependant, ces deux dispositions sont assujetties au paragraphe 55(2).

Le paragraphe 55(2) de la Loi est une disposition anti-évitement qui a pour effet de convertir certains dividendes libres d’impôt en gains en capital (imposables). Son objectif est d’empêcher le « dépouillement des gains en capital ». Toutefois, dans la mesure où un dividende, y compris un dividende présumé découlant de l’application du paragraphe 84(3), est attribuable à ce qui est familièrement désigné comme le « revenu sauf » de la société qui verse le dividende, cette fraction du dividende est alors exonérée d’impôt. En termes généraux, le revenu sauf, calculé aux termes de l’alinéa 55(5)b) [édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24; 1985, ch. 45, art. 126; 1988, ch. 55, art. 33], représente les bénéfices non distribués frappés d’impôt de la société qui verse le dividende et qui ont été réalisés après 1971 et avant le paiement du dividende. Le paragraphe 55(2) dispose comme suit :

55.

(2) Lorsqu’une corporation résidant au Canada a reçu, après le 21 avril 1980, un dividende imposable à l’égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6), comme partie d’une opération ou d’un événement ou d’une série d’opérations ou d’événements (sauf comme partie d’une série d’opérations ou d’événements qui ont commencé avant le 22 avril 1980) dont l’un des objets (ou, dans le cas d’un dividende visé au paragraphe 84(3), dont l’un des résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d’une disposition d’une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende et qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à quoi que ce soit qui n’est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971 et avant l’opération ou l’événement ou le début de la série d’opérations ou d’événements visés à l’alinéa (3)a), nonobstant tout autre article de la présente loi, le montant du dividende (à l’exclusion de la partie de celui-ci, si partie il y a, qui est assujettie à l’impôt en vertu de la Partie IV qui n’est pas remboursé en raison du paiement d’un dividende à une corporation lorsqu’un tel paiement fait partie de la série d’opérations ou d’événements) :

a) est réputé ne pas être un dividende reçu par la corporation;

b) lorsqu’une corporation a disposé de l’action, est réputé être le produit de disposition de l’action, sauf dans la mesure où il est inclus par ailleurs dans le calcul de ce produit; et

c) lorsqu’une corporation n’a pas disposé de l’action, est réputé être un gain de la corporation pour l’année au cours de laquelle le dividende a été reçu de la disposition d’un bien en immobilisation. [Non souligné dans l’original.]

Avant de pouvoir conclure que le paragraphe 55(2) de la Loi vise les dividendes découlant du paragraphe 84(3), il doit être établi, notamment, ce qui suit : i) le paiement d’un tel dividende a entraîné une réduction importante du gain en capital qui aurait été réalisé, n’eut été le paiement du dividende; et ii) cette réduction du gain en capital peut raisonnablement être considérée comme étant attribuable à autre chose qu’au revenu sauf. Donc, s’il peut être démontré que la totalité du dividende est attribuable à un revenu sauf ou fait intégralement partie de ce revenu, le paragraphe 55(2) n’est pas applicable. Toutefois, si une fraction du dividende ou du gain en capital est attribuable à autre chose qu’au revenu sauf, alors la totalité de la somme reçue par la société est réputée ne pas être un dividende. Dans les cas où les actions ont été vendues au moment où le dividende a été versé, le produit de la vente est réputé être le produit de disposition aux termes de l’alinéa 55(2)b). Lorsque le dividende a été payé, mais que les actions ont été conservées, le dividende est réputé être un gain pour l’année au cours de laquelle le dividende a été reçu en raison de la disposition d’une immobilisation, aux termes de l’alinéa 55(2)c).

Comme on peut le constater, le paragraphe 55(2) de la Loi ne fait pas de demi-mesure, c’est tout ou rien. Si une quelconque fraction du dividende est constituée par autre chose qu’un revenu sauf, alors la totalité du dividende libre d’impôt est convertie en gain en capital. L’alinéa 55(5)f), rédigé dans les termes suivants, prévoit toutefois un allégement :

55.

(5) Aux fins du présent article,

f) lorsqu’une corporation a reçu un dividende dont une partie est un dividende imposable :

(i) la corporation peut désigner dans sa déclaration de revenu, en vertu de la présente Partie, pour l’année d’imposition au cours de laquelle le dividende a été reçu, toute fraction du dividende imposable comme étant un dividende imposable distinct, et

(ii) le montant éventuel de la fraction du dividende qui est imposable qui est en sus de la partie désignée en vertu du sous-alinéa (i) est réputé être un dividende imposable distinct.

La disposition précitée (qui est loin d’être un modèle de clarté en matière de rédaction législative) autorise une société à se soustraire à l’effet du paragraphe 55(2) en désignant le dividende comme une série de dividendes distincts. Au moyen de la désignation, la fraction du dividende attribuable au revenu sauf est retranchée et demeure donc libre d’impôt. L’autre fraction du dividende qui n’est pas attribuable au revenu sauf doit être traitée comme si un gain en capital avait été réalisé. Pour les fins du présent appel, il convient de signaler que la désignation du dividende distinct doit être faite au moment de la production de la déclaration d’impôt pour l’année au cours de laquelle le dividende est reçu.

III. LES FAITS

Ensemble, Diane Avery et son frère, Arthur Knowles, étaient propriétaires de la totalité des actions émises de Westminster Transport Ltd. (Westminster). Chacun détenait 70 000 actions. Au moment où Mme Avery a décidé de vendre sa participation à son frère, le capital versé à l’égard de ses actions était de 1 000 $, alors que la juste valeur marchande s’établissait à 700 000 $. Si M. Knowles avait eu les moyens d’acheter directement les actions de sa sœur, Mme Avery aurait été en mesure de profiter de l’exonération de 500 000 $ qui s’appliquait alors aux gains en capital. Toutefois, la situation financière de M. Knowles ne lui permettait pas d’agir ainsi. Sur les conseils des comptables de Mme Avery, il a été convenu que celle-ci céderait ses actions de Westminster à Nassau pour la somme de 700 000 $, au prix de base rajusté de 39 469 $, et que Westminster rachèterait par la suite ces actions dans le cadre d’une série de dix opérations consécutives. Après le rachat, M. Knowles serait l’unique actionnaire de Westminster. L’opération de rachat était structurée de la façon suivante :

 

Ordre

Nombre d’actions

    ordinaires rachetées

Prix de rachat ___total_____

1re

19 000

190 000 $

2e

 1 000

10 000

3e

 1 000

10 000

4e

 1 000

10 000

5e

 1 000

10 000

6e

 1 000

10 000

7e

 1 000

10 000

8e

 1 000

10 000

9e

 1 000

10 000

10e

43 000

      430 000

70 000

700 000 $

Les comptables qui ont monté cette opération prévoyaient qu’au rachat des actions de Nassau par Westminster, Nassau toucherait 270 978 $ à titre de dividende entre sociétés libre d’impôt. Il est bien établi que ce montant représente le revenu sauf attribuable aux 70 000 actions en question. Le revenu sauf de Westminster a été calculé avant la fin des opérations de sorte qu’une désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f) de la Loi pouvait être effectuée. Si cette désignation avait été déposée conformément aux instructions des comptables, cela aurait donné lieu à la réalisation d’un gain en capital de 389 553 $ (700 000 $ (juste valeur marchande)—270 978 $ (revenu sauf)—39 469 $ (prix de base rajusté) = 389 553 $).

Peu après la conclusion de l’opération, Nassau a retenu les services d’un nouveau cabinet de comptables. En déposant la déclaration d’impôt de 1989 de Nassau, les nouveaux comptables ont par erreur déclaré la différence entre le prix d’achat des actions et le capital versé à l’égard de celles-ci, soit 699 000 $, à titre de dividende présumé, conformément au paragraphe 84(3) de la Loi. Malheureusement, cela était contraire aux avis des comptables qui avaient monté l’opération, avis selon lesquels seul un montant égal au revenu sauf imputable aux actions serait déclaré à titre de dividende présumé et le reste du prix de rachat serait considéré comme le produit de disposition donnant lieu à un gain en capital imposable. Les nouveaux comptables ont également omis de faire la désignation prévue à l’alinéa 55(5)f) concernant le dividende présumé.

Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Nassau en tenant pour acquis que la totalité du dividende devait être considérée comme un gain en capital. (Toutefois, les parties ont par la suite convenu que la somme de 660 531 $, plutôt que 699 000 $, représentait le gain en capital qui aurait été réalisé au moment de la disposition des actions à leur juste valeur marchande en faveur d’une partie avec laquelle Nassau n’avait aucun lien de dépendance, immédiatement avant le rachat par Westminster de ses actions.) En réponse à la nouvelle cotisation établie par le ministre, Nassau a fait opposition et a demandé l’autorisation de faire une désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f) de la Loi. Le ministre a refusé cette désignation tardive. Nassau en a appelé à la Cour canadienne de l’impôt.

IV. PLAIDOYER ET DÉCISION DU TRIBUNAL INFÉRIEUR

Devant la Cour de l’impôt, Nassau a fait valoir que le paragraphe 55(2) de la Loi n’indique nullement comment le revenu sauf doit être réparti. Elle a également fait valoir que la répartition par actionnaire est une méthode raisonnable. En appliquant cette méthode, Nassau prétend que la totalité du revenu sauf imputable à la totalité de ses actions dans Westminster pouvait être attribuée aux 27 000 premières actions des 70 000 actions rachetées. Par conséquent, le paragraphe 55(2) n’était pas applicable au dividende présumé de 270 000 $ que Nassau a reçu lors de l’achat en vue de l’annulation de ces actions. Réciproquement, il n’était pas nécessaire de faire une désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f) de la Loi.

Nassau a également soutenu qu’elle ne devait pas être pénalisée du fait que ses comptables ont mal compris le traitement fiscal qui devait être accordé au produit du rachat. C’est pourquoi Nassau a demandé l’autorisation de modifier sa déclaration d’impôt de 1989 afin que celle-ci indique qu’un gain en capital avait été réalisé lors de l’opération de rachat dans la mesure où ce gain dépassait le revenu sauf imputable aux actions de Westminster. Enfin, Nassau a demandé l’autorisation de déposer une désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f) de la Loi pour qu’un montant égal au revenu sauf de Westminster puisse être traité comme un dividende imposable distinct.

Le ministre, pour sa part, a fait valoir que la méthode la plus raisonnable de répartir le revenu sauf est de procéder à un calcul proportionnel par action. Par conséquent, le revenu sauf de 270 978 $ attribuable aux actions de Nassau dans la société Westminster devrait être réparti à raison de 3 87 $ par action (270 798 $ ) 70 000). Donc, seul un montant de 104 490 $ sur la juste valeur marchande de 270 000 $ des 27 000 premières actions rachetées peut être considéré comme étant attribuable à autre chose qu’au revenu sauf. Dans ce contexte, il s’ensuit que Nassau était tenue de faire une désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f) de la Loi au moment où elle a produit sa déclaration d’impôt de 1989.

Pour ce qui a trait à la question de la désignation tardive, le ministre fait valoir que si la Loi avait envisagé une telle possibilité, le législateur l’aurait indiqué comme il l’a fait dans le cas d’autres dispositions de la Loi. De même, le ministre soutient qu’il existe des questions de principe tout à fait convaincantes qui expliquent pourquoi certains choix prévus par les dispositions de la Loi peuvent être exercés tardivement, alors que d’autres ne le peuvent pas. Plus précisément, le ministre soutient qu’autoriser une désignation tardive donnerait lieu à des cas d’abus de la part de contribuables sans scrupules.

Le juge de la Cour de l’impôt commence son analyse en expliquant que le paragraphe 55(2) de la Loi est une disposition anti-évitement dont l’objet est d’assurer que seuls les gains en capital correspondant au revenu sauf seront traités comme des dividendes entre sociétés libres d’impôt. En interprétant cette disposition, il a été statué que le fond devait primer sur la forme dans la mesure où cette approche est compatible avec le texte et l’objet de la Loi. Le juge de la Cour de l’impôt note que si les nouveaux comptables de Nassau n’avaient pas déclaré par erreur le prix intégral du rachat des actions à titre de dividende présumé, le ministre aurait autorisé Nassau à profiter du montant de 270 000 $ de revenu sauf rattaché aux actions de Westminster. Il fait également observer que Nassau a été impliquée dans cette affaire à cause de cette erreur et parce que « la forme sous laquelle les opérations ont été conclues ne reflétait pas la méthode reconnue par Revenu Canada » (à la page 2068). Ainsi, en accueillant l’appel de Nassau et en acceptant sa méthode de répartition du revenu sauf, le juge de la Cour de l’impôt a accordé « la primauté au fond sur la forme ». Enfin, il a conclu que s’il demeurait un doute raisonnable (non dissipé par les règles ordinaires d’interprétation) quant à savoir si le paragraphe 55(2) autorisait une méthode de répartition du revenu sauf autre que celle reconnue par Revenu Canada, ce doute devait être résolu en ayant recours à la présomption résiduelle en faveur du contribuable : voir Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3.

V. ANALYSE

Dans son mémoire, le ministre fait valoir que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en statuant que sa méthode de calcul proportionnel pour la répartition du revenu sauf entre les actions de Westminster appartenant à Nassau n’était pas raisonnable. Comme le juge de la Cour de l’impôt n’a pas tiré de telle conclusion, le ministre a reformulé son argument de la façon suivante. Le paragraphe 55(2) s’applique lorsqu’un dividende a pour effet de réduire de façon significative un gain en capital qui pourrait raisonnablement être considéré comme étant attribuable à autre chose qu’au revenu sauf. Par conséquent, en supposant que les autres exigences de cette disposition sont réunies, et que la méthode adoptée par le ministre pour la répartition du revenu sauf est raisonnable, le paragraphe 55(2) devrait s’appliquer abstraction faite du caractère tout aussi raisonnable de la méthode choisie par Nassau. J’accepte cet argument.

Il n’est pas difficile de débattre de façon convaincante que la méthode proportionnelle choisie pour la répartition du revenu sauf est raisonnable en droit. En fait, d’après les autorités pertinentes, il est même possible de prétendre que la seule méthode acceptable de répartition du revenu sauf est le calcul proportionnel. Dans l’arrêt McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il existait une présomption d’égalité entre les actions à moins que l’acte constitutif ne prévoie le contraire en partageant les actions en différentes catégories. Ce principe bien reconnu d’égalité entre les actions se retrouve dans la politique ministérielle, comme il ressort de l’article de John R. Robertson, « Capital Gains Strips : A Revenue Canada Perspective on the Provisions of Section 55 » dans Report of Proceedings of the Thirty-Third Tax Conference , 1981 Conference Report (Toronto : Canadian Tax Foundation, 1982) 81, à la page 85 :

[traduction] Chaque action d’une société ne représente que sa part proportionnelle de la valeur de la société et par conséquent elle ne peut recueillir que sa part proportionnelle du revenu sauf de la société pendant que celle-ci détient l’action.

Bien que la politique administrative du ministère du Revenu national ne lie aucunement les tribunaux, d’autres commentateurs sont également d’avis que le paragraphe 55(2) exige une répartition proportionnelle du revenu sauf. H. J. Kellough et P. E. McQuillan, dans Taxation of Private Corporations and Their Shareholders, 2e éd. (Toronto : Canadian Tax Foundation, 1992), indiquent ceci aux pages 9 :33 et 9 :34 :

[traduction] Au fur et à mesure qu’il est gagné, le revenu contribue à la valeur d’une action d’une catégorie particulière de la même façon qu’il contribue à la valeur de chaque autre action de cette catégorie …

Parce que le revenu sauf est la partie d’un gain qui est attribuable au revenu, il est nécessaire, pour établir le revenu sauf inhérent aux actions, de déterminer de quelle manière le revenu qui est gagné et retenu par une société contribue à la plus-value de ses différentes catégories d’actions. Le revenu non réparti fait partie de l’actif de la société. Il est donc nécessaire de savoir comment les actions profitent d’une augmentation de l’actif d’une société. Cela peut habituellement être déterminé en identifiant les droits rattachés aux actions de la société et leurs priorités relatives en cas de liquidation.

Chaque action d’une catégorie particulière détenue par un actionnaire donné aura donc le même revenu sauf, pourvu que les actions de la catégorie aient toutes le même prix de base rajusté. [Non souligné dans l’original.]

Enfin, je suis convaincu par le raisonnement très persuasif de Mme le juge Lamarre Proulx dans Gestion Jean-Paul Champagne Inc. c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), 6 octobre 1995, 88-795 IT (C.C.I.) [[1995] A.C.I. no 1187 (QL)]. Dans cette cause, la société contribuable invoquait l’analyse juridique faite dans la décision en appel, et faisait valoir que la totalité du revenu sauf d’une société pouvait être distribué à l’un des deux actionnaires. En rejetant cet argument, le juge de la Cour d’impôt a confirmé qu’il y avait une présomption d’égalité entre les actions et que le revenu sauf devait être attribué aux actions d’une société conformément à ce principe. À la page 12 de ses motifs [paragraphe 41 (QL)], elle indique ce qui suit :

Je suis d’avis que cette approche va à l’encontre des principes corporatifs déjà mentionnés relatifs à la présomption d’égalité entre les actions ainsi que de l’objet du paragraphe 55(2) de la Loi. D’une part, cette présomption n’a pas été réfutée et d’autre part, il me paraît encore là évident, que c’est en regard des actions en cause que doivent se calculer le gain en capital et le dividende pour les fins du paragraphe 55(2) de la Loi. Pour tenir compte du principe d’égalité des droits attachés aux actions et de l’objet du paragraphe 55(2) de la Loi, le revenu gagné et réalisé après 1971 doit être, raisonnablement, attribué selon la proportion des actions ordinaires rachetées sur l’ensemble des actions ordinaires émises et encore détenues.

S’il était nécessaire de se prononcer sur ce point, je n’hésiterais pas à conclure que la seule méthode acceptable pour répartir le revenu sauf est le calcul proportionnel comme il en a été décidé dans l’arrêt Canada c. Placer Dome Inc., [1997] 1 C.F. 780(C.A.). Quoi qu’il en soit, pour les fins du présent appel, je suis disposé à conclure que la répartition proportionnelle est une méthode raisonnable de répartition du revenu sauf et que le paragraphe 55(2) de la Loi est applicable. Il s’ensuit nécessairement que Nassau devait faire une désignation en vertu de l’alinéa 55(5)f). La dernière question à trancher, et la plus difficile à mon avis, est de déterminer si Nassau avait le droit de faire tardivement cette désignation.

La question dont la Cour est saisie a été formulée de la façon suivante : Nassau avait-elle le droit de faire une désignation tardive aux termes de l’alinéa 55(5)f) de la Loi? Je note toutefois qu’on aurait également pu la poser en se demandant si Nassau peut modifier sa déclaration d’impôt une fois que le ministre a établi une nouvelle cotisation en s’appuyant sur le paragraphe 55(2). Dans un cas comme dans l’autre, l’argument du ministre est double. Tout d’abord, le ministre note que la Loi ne contient pas de disposition autorisant le dépôt tardif d’une désignation. Cette affirmation doit être mise en contraste avec les « choix » prévus à d’autres dispositions de la Loi qui peuvent être exercés tardivement. À l’appui de sa position, le ministre cite plusieurs décisions ayant trait à de nouvelles cotisations et aux tentatives des contribuables de faire un nouveau choix ou de corriger l’erreur qu’ils ont commise en ne faisant pas de choix au départ. Deuxièmement, le ministre fait valoir qu’il existe des « principes importants fondés sur des politiques » qui expliquent qu’une désignation tardive aux termes de l’alinéa 55(5)f) n’est pas prévue par la Loi. Je traiterai de ces arguments après avoir analysé la réponse de Nassau.

Nassau fait valoir qu’aucun principe de droit ni aucune disposition législative n’empêche un contribuable de faire une désignation tardive en vertu de l’alinéa 55(5)f) de la Loi. Qui plus est, elle s’appuie sur plusieurs décisions de la Cour canadienne de l’impôt pour justifier sa position. Je crois qu’il convient de traiter brièvement ici de la jurisprudence pertinente qui, à une exception près, analyse la question des désignations tardives et appuie entièrement la position de Nassau.

Dans Trico Industries Ltd. c. Canada, [1994] 2 C.T.C. 2053 (C.C.I.), la société contribuable réclamait un dividende libre d’impôt aux termes du paragraphe 84(3) de la Loi, mais elle n’avait même pas calculé le montant du revenu sauf qu’elle avait en main, et encore moins fait de désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f). Dans une opinion incidente, le juge a déclaré que si la société contribuable avait commis une erreur de bonne foi, elle aurait eu le droit de faire tardivement cette désignation ou de réclamer ce droit dans son avis d’appel. Le juge de la Cour de l’impôt rattache ce qui peut être décrit comme la « doctrine de l’erreur de bonne foi » à la décision Lee (W.) c. M.R.N. , [1990] 2 C.T.C. 2262 (C.C.I.). D’après les faits de l’affaire Trico, toutefois, il n’y avait pas d’élément de preuve tendant à établir que l’omission de la contribuable de faire sa désignation à temps était due à une erreur de bonne foi et, par conséquent, la Cour lui a refusé le droit de faire tardivement ce « choix ».

Dans la décision Lee, précitée, le contribuable a produit ses déclarations d’impôt de 1982 et 1983 en 1985. Dans sa déclaration d’impôt de 1983, il a déduit une perte au titre d’un placement d’entreprise, mais il a demandé par la suite à reporter cette déduction dans sa déclaration de 1982. À la page 2268, le juge de la Cour de l’impôt a fait le raisonnement suivant :

… je ne connais aucune autorité qui soutienne la proposition selon laquelle une fois qu’un contribuable a signé sa déclaration il ne puisse plus changer d’idée à la suite de la découverte d’une erreur, malgré l’attestation qu’il a signée au bas de sa déclaration. Quand une erreur commise de bonne foi est découverte par un contribuable, il doit certainement être autorisé à la corriger et la procédure à suivre est indiquée, avec les instructions pertinentes, dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Le processus d’appel répond précisément à cette fin.

Dans la décision Gestion, précitée, la Cour de l’impôt a maintenu le droit de faire une désignation tardive. Dans cette affaire, la société contribuable n’avait pas indiqué dans sa déclaration qu’elle avait reçu un dividende présumé de 316 000 $ aux termes du paragraphe 84(3) de la Loi. Aucune explication n’avait été donnée, sauf pour dire qu’une erreur s’était glissée dans la déclaration. Le juge de la Cour de l’impôt a été incapable de conclure que l’omission était intentionnelle ou due à la mauvaise foi de la contribuable. En outre, le ministre n’avait allégué aucune action fautive de la part de la contribuable. Le juge de la Cour de l’impôt a donc conclu qu’aucun principe de droit n’empêchait la contribuable de se prévaloir de l’alinéa 55(5)f) à moins que cela soit expressément interdit dans les termes mêmes de l’alinéa, ce qui n’est pas le cas. À la page 15 [paragraphe 55 (QL)], elle déclare ceci :

Je ne comprends pas pourquoi le Ministre veut faire de cet alinéa [55(5)f)] une disposition si compliquée. Le choix doit être fait en même temps qu’il y a application du paragraphe 55(2) de la Loi, mais s’il y a erreur lors de la première application et que le ministre cotise à nouveau sur la base d’un nouveau montant il n’y a pas de raison pour que la même correction ne puisse être apportée pour les fins de l’alinéa 55(5)f) de la Loi.

Contrairement à la décision Gestion, la Cour de l’impôt dans la décision Nivram Holdings Inc. c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), 19 avril 1991, 88-1944(IT) [[1991] A.C.I. no 355 (QL)], a statué qu’elle n’avait pas compétence pour autoriser une désignation tardive. Dans ce cas, la société contribuable réclamait un dividende présumé libre d’impôt aux termes du paragraphe 84(3) de la Loi. Le ministre a établi une nouvelle cotisation en appliquant le paragraphe 55(2) et la contribuable a demandé à faire une désignation tardive en vertu de l’alinéa 55(5)f). Le juge de la Cour de l’impôt a conclu « la Loi ne renferme aucune disposition autorisant la Cour canadienne de l’impôt à permettre une production tardive, si ce n’est dans le cas d’un avis d’opposition ou d’un avis d’appel » (à la page 6 des motifs [page 21 (QL)]).

Si l’issue de la présente action dépendait uniquement de la jurisprudence de la Cour canadienne de l’impôt, je n’aurais aucune difficulté à conclure que Nassau est en droit de faire une désignation tardive. Son omission de respecter l’alinéa 55(5)f) vient de l’erreur qu’elle a commise de bonne foi et la question a été soulevée après la délivrance de l’avis de nouvelle cotisation. (Le paragraphe 12 de l’exposé conjoint des faits révèle qu’en déposant son avis d’opposition à la nouvelle cotisation établie par le ministre, Nassau a demandé l’autorisation de faire cette désignation.) À mon avis, toutefois, la doctrine de l’erreur de bonne foi n’est pas suffisante pour donner aux contribuables le droit de faire des désignations tardives.

Il ne fait aucun doute que le refus du ministre d’accéder à la demande de Nassau semble contraire aux notions élémentaires d’équité. De même, la doctrine de l’erreur de bonne foi est attrayante parce que son application est destinée à produire un résultat qui est en harmonie avec les idées fondamentales d’équité. Mais le problème vient du fait qu’il est difficile d’en définir les limites. Pour paraphraser le juge Hand, je ne crois pas qu’il soit souhaitable que la Cour s’empresse d’avaliser une doctrine qui est peut-être en gestation mais qui n’a pas encore vu le jour : voir Spector Motor Service v. Walsh, 139 F.2d 809 (2d Cir. 1943), à la page 823. La doctrine de l’erreur de bonne foi peut servir de point de départ à une analyse, mais elle ne peut supplanter la méthode contextuelle ou téléologique utilisée dans l’interprétation des lois fiscales. Autrement dit, un juge ne peut tirer ses conclusions en s’appuyant sur un postulat d’injustice sans procéder simultanément à un examen du cadre législatif pertinent à la question à l’étude. C’est ce genre d’analyse que je m’apprête à faire.

En formulant la question relative à l’alinéa 55(5)f), les parties se sont demandées si Nassau avait le droit de faire une désignation tardive. Elles ont également présenté leurs arguments en faisant valoir que cet alinéa est une disposition qui prévoit un choix, ou une disposition analogue, et, par conséquent, elles ont cité des causes portant sur des dispositions prévoyant l’exercice d’un choix : voir, par exemple, Miller (J.A.) c. M.R.N., [1993] 1 C.T.C. 269 (C.A.F.). Il est vrai que de nombreuses dispositions de la Loi obligent le contribuable à faire un choix au moment de la production de sa déclaration, ou dans un délai prescrit, mais l’alinéa 55(5)f) ne fait pas partie de ce genre de dispositions, bien que certains juges de la Cour de l’impôt lui aient, par erreur, donné ce pouvoir : voir les décisions Gestion et Trico, précitées.

Pour faire la distinction avec une désignation, et à titre de proposition générale, disons que, lorsqu’un choix doit être fait, le contribuable doit décider de renoncer à une option en faveur d’une autre en évaluant les conséquences fiscales susceptibles de se produire advenant la concrétisation de certaines éventualités. Outre cette différence, la Loi reconnaît implicitement qu’une désignation et un choix ne sont pas une seule et même chose. Par exemple, le paragraphe 220(3.21) [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1], édicté par L.C. 1995, ch. 21, article 42, indique que certaines désignations faites aux termes de l’article 80 [mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 58; 1995, ch. 21, art. 27] et du paragraphe 80.03(7) [édicté, idem] sont réputées constituer des choix aux fins du paragraphe 220(3.2). Cette dernière disposition a été ajoutée à la Loi en 1991 [L.C. 1991, ch. 49, art. 181] dans le cadre d’une série d’allégements ayant pour but d’assouplir l’application et l’exécution de certaines dispositions auparavant rigides de la Loi prévoyant l’exercice d’un choix. Cet assouplissement devait prendre la forme d’un pouvoir discrétionnaire que le ministre pourrait exercer dans le cas où un contribuable lui demanderait de faire tardivement, de modifier ou de révoquer certains choix : voir l’article 600 du Règlement de l’impôt sur le revenu [C.R.C., ch. 945 (édicté par DORS/92-265, art. 1)].

Le commun dénominateur des désignations et des choix réside dans le fait que la Loi prévoit expressément un allégement dans certaines circonstances, mais non dans d’autres. S’appuyant sur cette constatation, le ministre fait valoir en l’espèce qu’on peut donc présumer que le législateur avait l’intention de n’accorder aucun allégement en dehors de circonstances bien précises. Je ne suis pas d’accord avec cette proposition : voir également On-Guard Self-Storage Ltd. c. Canada, [1996] F.C.J. no 1545 (C.A.) (QL), aux pages 9 et 10.

Bien que la Loi prévoie dans certains cas une forme d’allégement, il ne s’ensuit pas nécessairement que le législateur avait l’intention de ne pas accorder d’allégement dans des situations dont la Loi ne traite pas expressément. Le fait que la Loi autorise l’exercice tardif d’une désignation ou d’un choix dans des circonstances particulières ne mène en fait qu’à une inférence réfutable selon laquelle le législateur n’avait pas l’intention d’accorder le même droit au contribuable dans d’autres circonstances. Le caractère réfutable de cette inférence se fonde sur trois raisons. Tout d’abord, soutenir le contraire aurait pour effet d’adopter la méthode littérale comme méthode d’interprétation des lois et de considérer la Loi comme un code complet en soi. Deuxièmement, je ne connais aucune décision dans laquelle il aurait été statué que, parce qu’une exception légale est prévue dans un cas et non dans un autre, ce fait seul établit de façon concluante qu’aucune autre exception ne peut exister. Ma position à cet égard a été confirmée récemment dans l’arrêt On-Guard Self-Storage, précité. Troisièmement, les tribunaux ont depuis longtemps reconnu la méthode contextuelle ou téléologique comme étant la méthode appropriée d’interprétation des lois.

À l’appui de la proposition selon laquelle le législateur avait l’intention d’accorder un allégement uniquement lorsqu’il l’indique expressément, le ministre invoque la jurisprudence portant sur l’exercice de certains choix qui démontre que les contribuables n’ont jamais eu gain de cause lorsque la Loi ne prévoit pas d’allégement : voir la décision Loewen (H.R.) c. M.R.N., [1993] 1 C.T.C. 212 (C.F. 1re inst.), suivie de Robertson c. R., [1996] 2 C.T.C. 2269 (C.C.I.); voir également Canada c. Adelman (H.), [1993] 2 C.T.C. 207 (C.F. 1re inst.).

À mon avis, il ne fait guère de doute que la méthode restrictive adoptée par les tribunaux à l’égard des dispositions de la Loi prévoyant l’exercice d’un choix vient de la possibilité que les contribuables se livrent à une planification fiscale rétroactive. C’est l’une des raisons qui expliquent la décision de la présente Cour dans l’arrêt Miller, précité, qui est l’une des principales causes sur lesquelles s’appuie le ministre. Dans cette affaire, le contribuable avait choisi d’étaler son revenu pour son année d’imposition 1982. Le ministre a refusé la déduction du contribuable relativement à sa cotisation au REER pour l’année en question et a aussi refusé d’augmenter le montant d’étalement choisi. À la page 271, le juge Mahoney, J.C.A., s’exprimant au nom de la Cour (avec l’appui des juges Linden et Robertson), a refusé au contribuable l’avantage de faire son choix en profitant d’un certain recul :

… le contribuable avait le droit d’effectuer un choix en fonction des circonstances, que lui seul pouvait connaître, qui existaient au moment où il a produit sa déclaration. La Loi ne prévoyait pas le choix effectué sur le fondement de nouvelles circonstances découlant d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation.

En l’espèce, toutefois, la Cour n’est pas saisie d’une question de planification fiscale rétroactive dans une situation où le contribuable demanderait à « refaire son choix ». Au contraire, le cas en l’espèce est plus semblable à une situation dans laquelle le contribuable demande à modifier sa déclaration d’impôt afin de tirer parti d’une déduction à laquelle il a un certain droit. À certains égards, la désignation exigée à l’alinéa 55(5)f) de la Loi n’est pas différente, par exemple, de la déduction prévue au paragraphe 112(1). Cette dernière disposition convertit un dividende imposable entre sociétés en dividende non imposable. La société contribuable doit toutefois déduire une somme égale au dividende afin d’obtenir ce résultat (« Lorsqu’une corporation a reçu … un dividende imposable … une somme égale au dividende peut être déduite du revenu ») [non souligné dans l’original]. Il n’y a qu’une seule différence importante entre ces deux articles de la Loi, et c’est que le paragraphe 112(1) ne requiert aucun calcul. Le contribuable est simplement tenu de faire la déduction. Par ailleurs, l’alinéa 55(5)f ) oblige le contribuable à calculer son revenu sauf avant de faire la déduction. Il me semble qu’il s’agit là d’une différence de degré, et non pas de nature.

Pour ce qui a trait à l’article 55 de la Loi, la difficulté se pose bien entendu dans les cas où le contribuable a omis en premier lieu de demander l’allégement prévu à l’alinéa 55(5)f) parce qu’il n’a pas présumé que le paragraphe 55(2) s’appliquerait. La question peut donc être reformulée sous forme d’hypothèse : supposons que le contribuable calcule son revenu d’après la disposition « A »; le ministre refuse l’applicabilité de la disposition « A » et invoque la disposition « B »; le contribuable ne conteste pas que la disposition « B » puisse s’appliquer, mais note que cette disposition « B » autorise une déduction partielle si une désignation est faite; il demande donc de modifier sa déclaration pour profiter de cette déduction, mais on lui refuse la possibilité de le faire au motif qu’il n’a pas fait la désignation exigée; le contribuable demande ensuite comment il aurait pu faire la désignation alors qu’il ne savait pas que la disposition « B » s’appliquait. Selon ce scénario, la modification de la déclaration d’impôt initiale ne peut agiter le spectre de la planification fiscale rétroactive, comme dans le cas des choix. Autrement dit, notre contribuable hypothétique n’a pas déjà évalué les risques potentiels entre faire la désignation ou ne pas la faire, et il ne cherche pas non plus à se soustraire aux conséquences négatives d’une décision qu’il aurait prise consciemment après mûre réflection.

Comme la Cour conclut que la situation actuelle n’est pas analogue aux cas d’exercice d’un choix, il semble tout simplement logique de reformuler la question de la façon suivante : Nassau a-t-elle le droit, après l’établissement de la nouvelle cotisation par le ministre en application du paragraphe 55(2), de modifier sa déclaration d’impôt afin de profiter du revenu sauf attribuable aux actions vendues à Westminster. Mais que la question consiste à savoir si la contribuable avait le droit de modifier sa déclaration dans des circonstances aussi restreintes ou de faire une désignation tardive, le résultat ou l’analyse seront les mêmes. Tout comme la Loi prévoit une désignation tardive uniquement dans certaines circonstances, elle accorde également le droit de modifier une déclaration d’impôt dans certains cas, mais pas dans d’autres. Dans les deux scénarios, il existe une inférence réfutable selon laquelle l’allégement ne peut être accordé que dans des circonstances bien précises. Je tiens toutefois à préciser dès maintenant que la présente affaire peut être décidée sans faire référence au droit général d’un contribuable de modifier sa déclaration d’impôt.

L’argument présenté devant la Cour de l’impôt portait sur le droit de modifier la déclaration et de faire une désignation tardive, mais devant la présente Cour seul le droit de faire une désignation tardive a été débattu. Nassau a peut-être choisi de laisser tomber le premier volet de son argumentation parce qu’il ne semble pas y avoir de jurisprudence directement applicable. Cette absence d’autorités jurisprudentielles semblerait expliquer pourquoi Nassau s’appuie sur les décisions de la Cour de l’impôt qui reconnaissent la doctrine de l’erreur de bonne foi alors que le ministre a choisi les causes ayant trait à l’exercice d’un choix.

Au moins un commentateur suggère que, lorsque le ministre établit une nouvelle cotisation à laquelle le contribuable s’oppose ultérieurement, ce dernier peut avoir le droit de modifier la déclaration après que l’avis de nouvelle cotisation est émis : voir D. W. Smith, « Reassessments, Waivers, Amended Returns, and Refunds » dans Income Tax Enforcement, Compliance, and Administration, 1988 Corporate Management Tax Conference (Canadian Tax Foundation, 1988) 8 :1, à la page 8 :35. Mais l’existence d’un droit restreint de modifier la déclaration soulève à son tour la question de savoir si le contribuable peut se prévaloir de toutes les options qui étaient à sa disposition au moment de produire sa déclaration ou s’il ne peut utiliser que les redressements se rattachant directement aux questions soulevées dans la nouvelle cotisation. S’appuyant sur deux cas de jurisprudence, Smith laisse implicitement entendre qu’un contribuable ne peut avoir qu’une possibilité limitée de modifier sa déclaration initiale (à la page 8 :36) : voir Montreal Trust Company v. Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 570 et Hadler Turkey Farms Inc. c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 81 (C.F. 1re inst.).

Pour les fins du présent appel, il n’est pas nécessaire de décider si une nouvelle cotisation donne au contribuable la possibilité de se prévaloir de toutes les options qui étaient à sa disposition au moment de la production de sa déclaration. En l’espèce, on peut raisonnablement conclure que l’alinéa 55(5)f) se rattache directement aux questions ayant trait à l’applicabilité du paragraphe 55(2). Supposons donc que Nassau a le droit de modifier sa déclaration (ou de faire une désignation tardive) par suite d’une nouvelle cotisation établie par le ministre et fondée sur le paragraphe 55(2). Existe-t-il une raison qui nous permette de conclure que le législateur n’avait pas prévu un tel résultat? J’aborde à ce propos l’argument du ministre concernant sa politique.

Le ministre prétend que l’obligation de faire la désignation au moment de la production de la déclaration a pour but de dissuader les contribuables sans scrupules. L’argument est le suivant : à moins qu’une désignation ne soit faite à ce moment-là, il n’y a rien qui puisse indiquer au ministre qu’un dividende donné pourrait être assujetti au paragraphe 55(2) de la Loi. Si les désignations tardives étaient autorisées, les contribuables sans scrupules pourraient, prétend-on, différer la désignation dans l’espoir de toucher un dividende libre d’impôt, dont au moins une partie doit à bon droit être assujettie au paragraphe 55(2). À mon avis, cet argument de principe soulevé par le ministre ne peut être accepté pour au moins quatre raisons.

Tout d’abord, l’alinéa 55(5)f) n’a pas pour but de dissuader les contribuables sans scrupules. D’après mon interprétation de cet alinéa, celui-ci a été incorporé à la Loi à la dernière minute et presque après coup afin d’empêcher la conversion, par l’application du paragraphe 55(2), de la totalité d’un dividende en gain en capital imposable lorsqu’une partie de ce dividende peut être attribuable au revenu sauf : pour une opinion générale sur la question, voir R. D. Brown et T. E. McDonnell, « Capital Gains Strips : A Critical Review of the New Provisions » dans Report of Proceedings of the Thirty-Second Tax Conference, 1980 Conference Report (Canadian Tax Foundation, 1981) 51, à la page 73.

Deuxièmement, on ne peut attribuer à l’alinéa 55(5)f) de la Loi un objectif non prévu par le législateur alors que d’autres dispositions de cette même Loi visent précisément à empêcher la situation à laquelle fait allusion le ministre. Les articles 162 et 163 de la Loi traitent précisément de l’omission d’un contribuable de déclarer un revenu et, en tant que dispositions pénales, ont pour but de dissuader les contribuables sans scrupules dont le ministre se préoccupe tant.

Troisièmement, dans certains cas, la société contribuable n’aura pas fait de désignation parce que la totalité du dividende fait partie du revenu sauf. Dans sa plaidoirie verbale, le ministre a reconnu qu’en pareil cas l’alinéa 55(5)f) de la Loi n’aurait pas pour effet d’attirer l’attention de Revenu Canada sur d’éventuels problèmes fiscaux associés au revenu sauf. L’argument de principe soulevé par le ministre n’est donc pas fondé selon ce scénario.

Enfin, l’interprétation que donne le ministre de l’alinéa 55(5)f) aboutit à un résultat déraisonnable ou injustifié. Prenons comme hypothèse que la totalité du dividende est attribuable au revenu sauf. Supposons, par exemple, qu’un contribuable calcule le revenu sauf à raison de 4 $ par action sur un dividende de 3 $ par action; il n’a pas besoin de faire de désignation. Si, par hasard, ce calcul est erroné, le revenu sauf pourrait être de 2 $ par action, auquel cas il serait nécessaire de faire une désignation afin d’exonérer d’impôt cette fraction du dividende faisant partie du revenu sauf. Selon la position du ministre, dans le cas où le calcul du revenu sauf dans notre scénario hypothétique est erroné, l’application de l’article 55 aurait pour effet de traiter la totalité du dividende comme un gain en capital imposable. La société contribuable serait donc pénalisée même si au départ il ne semblait pas nécessaire de faire une désignation aux termes de l’alinéa 55(5)f). À mon avis, ce résultat est absurde. La méthode utilisée par le ministre dans notre exemple hypothétique entraîne une conséquence pénale non justifiée qui ne peut être soutenue en droit. Le caractère déraisonnable de la position du ministre est d’autant plus flagrant qu’il est bien établi que le calcul du revenu sauf est une question complexe et très controversée : voir Placer Dome Inc., précité, et B. J. Arnold, T. Edgar & J. Li, Materials on Canadian Income Tax, 10e éd., (Scarborough (Ont.) : Carswell, 1993) aux pages 726 et 727.

En conclusion, je suis d’avis que Nassau est en droit de demander à bénéficier de l’alinéa 55(5)f) de la Loi. Ce droit a pris naissance quand le ministre a émis l’avis de nouvelle cotisation et a invoqué le paragraphe 55(2). Autrement dit, l’inférence selon laquelle le législateur n’avait pas l’intention d’accorder un allégement dans ces circonstances a été réfutée. Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Strayer, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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