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[1997] 1 C.F. 115

A-138-95

Procureur général du Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles (appelants) (intimés)

c.

James Ralph MacInnis (intimé) (requérant)

Répertorié : MacInnis c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d’appel, juges Strayer, MacGuigan et McDonald, J.C.A.—Ottawa, 28 juin et 23 août, 1996.

Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Appel d’un jugement de la Section de première instance concluant que les procédures adoptées par la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) au cours de son examen bisannuel de la peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée imposée à l’intimé a porté atteinte au droit à la liberté que confère à ce dernier l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés en violation des principes de justice fondamentaleLa Commission a refusé au détenu la permission de se faire représenter par un avocat et d’interroger les auteurs des rapports cliniquesLe détenu a été autorisé à se faire représenter par un avocat, a reçu communication de copies des rapports cliniques et il lui a été permis de soumettre des interrogatoires par écritL’art. 7 est en jeu dans les audiences devant la CommissionLa justice fondamentale n’exige pas les procédures demandéesExamen des exigences de la justice fondamentale dans un contexte administratifComme il y a eu ample possibilité de contester les rapports, le contre-interrogatoire des auteurs n’était pas nécessaire pour garantir l’équitéLes décisions procédurales de la Commission tiennent suffisamment compte de la double obligation d’assurer la sécurité de la société et l’équité de l’audience de l’intimé, comme l’exige l’art. 7Le refus d’accorder à l’intimé des procédures améliorées ne viole pas son droit à la liberté en vertu de l’art. 7.

Libération conditionnelle Appel d’un jugement de la Section de première instance concluant que les procédures adoptées par la Commission au cours de son examen bisannuel de la peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée imposée au détenu ont porté atteinte au droit à la liberté prévu par l’art. 7 de la Charte en violation des principes de justice fondamentaleLa Commission a refusé la demande du détenu de se faire représenter par un avocat et d’interroger les auteurs de rapports cliniquesLe détenu a été autorisé à se faire représenter par un avocat, a reçu communication de copies des rapports cliniques et il lui a été permis de soumettre des interrogatoires par écritL’art. 761 du Code criminel stipule que les contrevenants dangereux mis sous garde pour une période indéterminée ont droit à ce que la Commission examine « les antécédents et la situation » en cause tous les deux ansLa Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit un recours limité aux services d’un avocat à l’égard des détenus qui comparaissent devant la CommissionLes dispositions et la terminologie laissent présumer que le législateur n’avait pas l’intention de donner à la personne qui assiste le délinquant devant la Commission le rôle de l’avocat devant un juge ou un juryLe système de libération conditionnelle est unique, distinct des tribunaux et des considérations différentes s’y appliquentLe refus de la Commission d’accorder des procédures améliorées ne viole pas le droit à la liberté conféré à l’art. 7.

Il s’agit d’un appel d’un jugement de la Section de première instance concluant que les procédures adoptées par la Commission nationale des libérations conditionnelles, au cours de son examen bisannuel de la peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée imposée à l’intimé, ont porté atteinte au droit à la liberté que confère à ce dernier l’article 7 de la Charte en violation des principes de justice fondamentale. L’article 7 garantit le droit à la liberté, auquel il ne peut être porté atteinte qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Le paragraphe 761(1) du Code criminel prévoit que celui qui purge une peine de durée indéterminée a droit, tous les deux ans, à l’examen, par la Commission nationale des libérations conditionnelles, de ses « antécédents » et de sa « situation » pour déterminer s’il y a lieu de lui accorder la libération conditionnelle. L’intimé a demandé le droit de se faire représenter par un avocat au cours d’un de ces examens devant la Commission, de contre-interroger les auteurs de certains rapports cliniques, ou le droit à l’exclusion, en preuve, de certains rapports auxquels il s’opposait. Il a été permis à l’intimé de se faire assister par un avocat, et il a reçu copie des rapports cliniques soumis à la Commission qu’il a pu contester par voie d’interrogatoires écrits. La Commission a rejeté ses demandes et l’intimé a demandé à la Cour un jugement déclaratoire. Le juge de première instance a conclu que les principes de justice fondamentale exigeaient qu’un détenu purgeant une peine de durée indéterminée ait le droit de se faire représenter devant la Commission par un avocat et celui d’interroger les auteurs de rapports cliniques soumis en preuve. Il a conclu que les audiences de la Commission devaient refléter les distinctions associées au fait de purger une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée, car la personne sous le coup d’une telle peine n’a aucune perspective de libération autre que la libération conditionnelle.

Le paragraphe 140(7) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLSC) donne au délinquant le droit d’être « assisté » d’une personne de son choix. Le paragraphe 140(8) limite le rôle que peut jouer la personne qui assiste le délinquant.

Les questions litigieuses consistaient à savoir si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que 1) l’intimé avait été privé de sa liberté par les décisions contestées de la Commission et que 2) les procédures de la Commission n’étaient pas conformes aux principes de justice fondamentale.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

La Commission a correctement interprété et appliqué la loi qui la régit. L’intimé a demandé des procédures allant au-delà de celles établies par les LSCMLSC. La Loi n’interdit pas expressément le contre-interrogatoire, mais elle laisse la question à l’appréciation de la Commission. Il ressortait à l’évidence des dispositions pertinentes et de la terminologie utilisée, que le législateur n’avait pas l’intention de donner à la personne qui assiste le délinquant devant la Commission le rôle de l’avocat devant un juge ou un jury.

Il est maintenant établi que l’article 7 est en cause dans les audiences de la Commission nationale des libérations conditionnelles. L’article 7 reconnaît l’existence d’intérêts sociaux opposés, soit ceux d’une audition impartiale et de la protection de la société, en voyant à ce qu’il puisse être porté atteinte à la liberté d’une personne en conformité avec les principes de justice fondamentale. La justice fondamentale n’exige pas les procédures que demande l’intimé. Dans le contexte administratif la justice fondamentale comprend l’équité dans la procédure, qui varie selon les circonstances. Le rôle accru de celui qui assiste et le droit de contre-interroger des témoins ne sont pas toujours nécessaires devant les tribunaux administratifs. Le régime de libération conditionnelle est unique et distinct des tribunaux et des considérations différentes s’y appliquent. Le respect par la Commission des règles de justice naturelle reconnues par la common law et des pratiques et procédures établies par la LSCMLSC répond entièrement aux principes de justice fondamentale. Les audiences de la Commission diffèrent à bien des rapports des audiences judiciaires.

Le législateur a dû se rendre compte que les audiences de la Commission des libérations conditionnelles avaient une importance accrue pour ceux qui purgent des peines d’emprisonnement d’une durée indéterminée. Le paragraphe 761(1) du Code criminel ne prévoit pas un nouveau procès ni une forme de contrôle judiciaire tous les deux ans. La composition et le mandat de la Commission reflètent sa fin première, soit la protection de la société. En l’absence d’une décision du législateur, voulant qu’un délinquant dangereux soit évalué de nouveau par un juge de première instance dans le cadre d’une procédure judiciaire, un processus hybride ne doit pas être créé pour répondre à ce que l’intimé perçoit être ses besoins.

Étant donné que l’intimé a eu abondamment le temps de contester ces rapports, le contre-interrogatoire des auteurs n’était pas nécessaire pour assurer l’équité. Les décisions procédurales de la Commission tiennent suffisamment compte de la double obligation d’assurer la sécurité de la société et l’équité de l’audience de l’intimé. La Commission doit d’abord et avant tout protéger le public canadien. Le refus de la Commission d’accorder à l’intimé les procédures améliorées qu’il réclamait ne viole pas le droit à la liberté que lui confère l’article 7.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, No 44], art. 7, 9, 15, 24(1).

Code criminel, L.R.C. 1970, ch. C-34.

Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 761 (mod. par L.C. 1992, ch. 20, art. 215).

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 4g), 101a),b),f), 140(7),(8).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75; [1996] 3 W.W.R. 305; (1996), 70 B.C.A.C. 1; 45 C.R. (4th) 265; 115 W.A.C. 1; Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143; (1993), 11 Admin. L.R. (2d) 1; 80 C.C.C. (3d) 492; 20 C.R. (4th) 57; 14 C.R.R. (2d) 234; 151 N.R. 161; 62 O.A.C. 243; R. c. Vermette, [1988] 1 R.C.S. 985; (1988), 41 C.C.C. (3d) 523; 64 C.R. (3d) 82; 84 N.R. 296; 14 Q.A.C. 161.

DÉCISION EXAMINÉE :

R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; (1987), 44 D.L.R. (4th) 193; 37 C.C.C. (3d) 1; 61 C.R. (3d) 1; 80 N.R. 161.

DÉCISIONS CITÉES :

Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; (1979), 105 D.L.R. (3d) 745; 50 C.C.C. (2d) 495; 16 C.R. (3d) 294; 30 N.R. 380; Irvine c. Canada (Commission des pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; (1987), 41 D.L.R. (4th) 429; 24 Admin. L.R. 91; 74 N.R. 33; County of Strathcona No. 20 and Chemcell Ltd. v. Maclab Enterprises Ltd., Provincial Planning Board and City of Edmonton, [1991] 3 W.W.R. 461 (C.A. Alb.).

APPEL d’un jugement de la Section de première instance (MacInnis c. Canada (Procureur général), [1995] 2 C.F. 215 (1995), 37 C.R. (4th) 152; 27 C.R.R. (2d) 363; 92 F.T.R. 88 (1re inst.)) concluant que les procédures adoptées par la Commission nationale des libérations conditionnelles, au cours de son examen bisannuel de la peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée imposée à l’intimé ont porté atteinte au droit à la liberté que lui confère l’article 7 de la Charte, en violation des principes de justice fondamentale. L’appel est accueilli.

AVOCATS :

John B. Edmond pour les appelants (intimés).

Ronald R. Price, c.r. pour l’intimé (requérant).

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour les appelants (intimés).

Ronald R. Price, c.r., Kingston (Ontario), pour l’intimé (requérant).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge McDonald, J.C.A. : Il s’agit de l’appel d’une décision de la Section de première instance en date du 15 février 1995 [[1995] 2 C.F. 215. Le juge a conclu que les procédures adoptées par la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission), au cours de son examen bisannuel de la peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée imposée à l’intimé, ont porté atteinte au droit à la liberté que confère à ce dernier l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[1] en violation des principes de justice fondamentale.

Historique

À la suite de sa seconde condamnation pour viol, l’intimé a été déclaré être un délinquant dangereux en vertu de ce qui était alors la Partie XXI du Code criminel[2]. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée, qu’il a purgée en grande partie au pénitencier de Kingston. En tant que délinquant purgeant une peine de durée indéterminée, l’intimé a droit, tous les deux ans, à un examen de ses « antécédents » et de sa « situation » en vertu de ce qui est aujourd’hui le paragraphe 761(1) du Code criminel[3]. Cette disposition est rédigée comme suit :

761. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission nationale des libérations conditionnelles examine les antécédents et la situation des personnes mises sous garde en vertu d’une sentence de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée dès l’expiration d’un délai de trois ans à compter du jour où ces personnes ont été mises sous garde et, par la suite, tous les deux ans au plus tard, afin d’établir s’il y a lieu de les libérer conformément à la partie II de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et, dans l’affirmative, à quelles conditions.

Au cours d’un de ces examens, le 22 novembre 1991, l’intimé s’est montré en désaccord avec les procédures adoptées par la Commission. Celle-ci a rejeté les arguments de l’intimé et lui a refusé la permission de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle totale. L’intimé s’est de nouveau présenté devant la Commission le 8 juillet 1993 et a demandé ce qui suit :

(1) le droit de se faire représenter par un avocat auprès de la Commission;

(2) le droit de contre-interroger devant la Commission les auteurs de certains rapports cliniques;

(3) subsidiairement, le droit à l’exclusion, en preuve, de certains rapports auxquels il s’opposait.

La Commission s’est de nouveau prononcée contre l’intimé. Elle a suivi une décision antérieure visant l’intimé, en date du 30 juillet 1990, et elle a rejeté la demande de ce dernier de recourir aux services d’un avocat. La Commission a déclaré qu’elle n’avait pas pour pratique de permettre les contre-interrogatoires et que l’examen de tous les renseignements pertinents relevait de sa compétence. L’audience a été ajournée sine die alors que l’intimé demandait à la Section de première instance un jugement déclaratoire. Dans une décision en date du 15 février 1995, la Section de première instance se montrait d’accord pour dire que l’intimé avait été privé de son droit à la liberté en violation de l’article 7 de la Charte, et elle accueillait sa demande. Cette décision fait l’objet du présent appel.

La décision en appel

Le juge a précisé que les deux questions litigieuses dont il était saisi tenaient à savoir si la liberté de l’intimée était concernée et, dans l’affirmative, si l’atteinte à cette liberté qui pouvait avoir eu lieu était conforme aux principes de justice fondamentale. Il a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimé, et conclu que les principes de justice fondamentale exigeaient qu’un détenu purgeant une peine d’une durée indéterminée ait le droit de se faire représenter devant la Commission par un avocat et celui d’interroger les auteurs de rapports cliniques soumis en preuve.

Le juge a conclu que la Commission avait suivi les procédures contenues dans la loi qui la régit. Il a conclu que selon l’arrêt R. c. Lyons[4], il y avait eu atteinte au droit de l’intimé à la liberté au sens de l’article 7. Le juge s’est alors demandé si la « justice fondamentale » exigeait les procédures demandées par l’intimé, insistant sur sa qualité de délinquant dangereux.

L’intimé a recherché pour M. Price, son avocat, un rôle plus important, allant au-delà des limites établies au paragraphe 140(8) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLSC)[5]. Cela comprenait notamment le droit de procéder, devant la Commission à l’interrogatoire des auteurs des rapports cliniques concernant l’intimé. Le juge a remarqué qu’il existait des opinions divergentes au sujet de la condition de l’intimé. Il a conclu que l’interrogatoire des auteurs permettrait à la Commission de prendre une décision plus éclairée.

Le juge a conclu que les auditions devant la Commission devaient refléter les distinctions associées au fait de purger une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée, car la personne sous le coup d’une telle peine n’a aucune perspective de libération autre que la libération conditionnelle. Il n’estimait pas que la Commission enfreindrait la loi si elle tenait compte de ces distinctions. Elle pourrait, à son avis, adopter des procédures conformes aux exigences de l’article 7 de la Charte à l’égard de détenus comme l’intimé, sans porter atteinte à la LSCMLSC. Il a souligné qu’il n’accordait pas tout l’éventail des droits procéduraux associés à un procès. Il a cependant estimé que l’avocat du délinquant pourrait être utile à la Commission, aidant à assurer l’équité des procédures et la pleine considération des renseignements pertinents. Le juge ne croyait pas que ses conclusions signifiaient nécessairement que les procédures devant la Commission tiendraient davantage du système accusatoire, et seraient incompatibles avec le mandat de la Commission.

Le juge a conclu que la Commission pouvait tenir compte de ses décisions antérieures au sujet de l’intimé. L’alinéa 101b) de la LSCMLSC exige que la Commission étudie tous les éléments de preuve pertinents.

Le juge a conclu qu’il n’avait pas à traiter des articles 9 et 15 de la Charte, étant donné sa conclusion à l’égard de l’article 7.

Les questions litigieuses

1. Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que l’intimé avait été privé de sa liberté par les décisions contestées de la Commission?

2. Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que les procédures de la Commission n’étaient pas conformes aux principes de justice fondamentale?

3. L’ordonnance a-t-elle eu pour effet, parce qu’elle violait la Charte, d’annuler à l’égard des délinquants qui purgent une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée, le rôle restreint, prévu par la loi, de la personne qui les « assiste » pendant les audiences de la Commission, alors que l’ordonnance ne prétendait que corriger les erreurs procédurales alléguées de la Commission?

L’analyse

À mon sens, l’appel doit être accueilli. Il faut tout d’abord souligner que la Commission n’a commis aucune erreur manifeste dans son interprétation de la loi qui la régit et qui lui permet de conduire ses audiences comme elle l’a fait. L’intimé a demandé des procédures allant au-delà de celles établies par la LSCMLSC, plus particulièrement le droit accru de contre-interroger et un rôle plus considérable pour la personne qui l’assiste. La LSCMLSC accorde un droit limité de recours à l’assistance d’un avocat aux délinquants qui comparaissent devant la Commission. Le paragraphe 140(7) permet au délinquant d’être « assisté » d’une personne de son choix lorsqu’il comparaît devant la Commission :

140.

(7) Dans le cas d’une audience à laquelle assiste le délinquant, la Commission lui permet d’être assisté d’une personne de son choix, sauf si cette personne n’est pas admissible à titre d’observateur en raison de l’application du paragraphe (4).

Le paragraphe 140(8) limite le rôle que peut jouer la personne qui assiste le délinquant pendant l’audience de libération conditionnelle :

140.

(8) La personne qui assiste le délinquant a le droit :

a) d’être présente à l’audience lorsque le délinquant l’est lui-même;

b) de conseiller le délinquant au cours de l’audience;

c) de s’adresser aux commissaires au moment que ceux-ci choisissent en vue du bon déroulement de l’audience.

Bien que la loi n’interdise pas expressément le contre-interrogatoire, elle laisse la question à l’appréciation de la Commission. Les paramètres du rôle de la personne qui assiste le délinquant sont clairement définis. On peut présumer, d’après les dispositions pertinentes et la terminologie utilisée, que le législateur n’avait pas l’intention de donner à la personne qui assiste le délinquant devant la Commission le rôle de l’avocat devant un juge ou un jury. Comme on en discutera plus loin, différentes procédures s’appliquent aux procédures administratives. Je suis d’accord avec la conclusion du juge que la Commission a correctement interprété la loi qui la régit et suivi ses procédures en conséquence. Il a été permis à l’intimé de se faire assister par M. Price, un avocat. Il a eu la permission de contester tout rapport clinique soumis à la Commission par voie d’interrogatoires écrits. Les conclusions de la Commission étaient en accord avec le mandat et les pouvoirs que lui donne la loi.

La Commission n’était saisie d’aucune question relative à la constitutionnalité. Cependant, la constitutionnalité de l’interprétation de son mandat et de ses décisions procédurales par la Commission constituait le fondement de la décision du juge dans le cadre de la demande dont il était saisi.

Il n’est pas interdit à la Cour de traiter de violations escomptées de la Charte. Dans l’arrêt R. c. Vermette[6], le juge La Forest a conclu que les recours prévus au paragraphe 24(1) peuvent s’offrir au requérant capable d’établir la menace d’une future violation de l’un de ses droits garantis. Comme la réparation recherchée en l’espèce était un jugement déclaratoire[7], accordée par le juge de l’instance inférieure sans mention de la question de la maturité, je vais me pencher sur le bien-fondé de l’appel.

L’article 7 de la Charte prévoit ce qui suit :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Le juge s’est tout d’abord penché sur la question de savoir si le droit de l’intimé à la liberté était en cause lorsqu’il s’est présenté devant la Commission. Vu la récente décision de la Cour suprême du Canada dans Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles)[8], il est maintenant établi en droit que l’article 7 est en cause dans les audiences devant la Commission nationale des libérations conditionnelles. Comme le dit le juge Sopinka :

En tant que tribunal d’origine législative, la Commission est également assujettie aux impératifs de l’art. 7 de la Charte. À cet égard, elle doit respecter les principes de justice fondamentale en ce qui concerne la tenue de ses audiences[9].

Le droit à la liberté n’est pas absolu. L’article 7 reconnaît l’existence d’intérêts sociaux opposés en voyant à ce qu’il puisse être porté atteinte à la liberté d’une personne en conformité avec les principes de justice fondamentale[10]. La question qui se pose en l’espèce est de savoir si la justice fondamentale exige les procédures demandées par l’intimé. Tel n’est pas le cas à mon avis.

Ce en quoi consistent exactement les « principes de justice fondamentale » a fait l’objet de nombreuses discussions depuis l’adoption de la Charte. Dans le contexte administratif, on a généralement convenu que ces principes comprennent au minimum l’équité dans la procédure, bien que le contenu précis de l’« équité » puisse varier selon les circonstances. Les procédures adoptées par la Commission doivent assurer le traitement équitable du contrevenant. L’intimé estime que des procédures supplémentaires en sus de celles prévues par la LSCMLSC sont nécessaires pour lui permettre de faire l’objet d’un procès équitable. Ces procédures, le rôle accru de celui qui assiste et le droit de contre-interroger des témoins, sont des concepts propres au système de type accusatoire. Bien que ces éléments puissent être essentiels pour assurer l’équité dans une procédure pénale, ils ne sont pas toujours requis devant les tribunaux administratifs :

Bien que les principes de justice fondamentale ne se limitent pas à la justice en matière de procédure, il ne s’ensuit pas qu’un tribunal qui applique les règles d’équité et de justice naturelle ne se conforme pas à l’art. 7. Si le grand nombre de tribunaux d’origine législative qui traditionnellement ont été obligés de se conformer à l’équité procédurale, sans plus, étaient tenus de respecter toute la gamme des principes de justice fondamentale, l’aspect général de la justice administrative au pays subirait un changement fondamental[11].

La question de savoir s’il y a lieu d’accorder la libération conditionnelle à un détenu relève de la Commission, décision qu’elle doit prendre conformément aux dispositions de la LSCMLSC. Le régime de libération conditionnelle est unique et distinct des tribunaux judiciaires, et des considérations différentes s’y appliquent. L’importance du contexte dans lequel se situe l’audience a été soulignée par le juge Sopinka dans l’arrêt Mooring :

Selon un précepte fondamental de notre système juridique, les règles de la justice naturelle et de l’équité procédurale s’ajustent en fonction du contexte dans lequel elles sont appliquées. Il s’agit là d’un des préceptes fondamentaux de notre système juridique dont le juge Lamer fait mention dans le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B. comme source des principes de justice fondamentale. J’estime que l’adhésion de la Commission à la méthode et aux procédures susmentionnées respecte pleinement les principes de justice fondamentale et, par conséquent, l’art. 7 de la Charte[12]. [Non souligné dans l’original.]

En plus des règles de la common law en matière de justice naturelle et d’équité, la « méthode » et les « procédures » mentionnées et affirmées par le juge Sopinka sont celles établies par la LSCMLSC. Elles comprennent notamment l’obligation énoncée à l’alinéa 4g) selon laquelle les décisions en matière correctionnelle doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes de règlement des griefs; l’obligation énoncée à l’alinéa 101f) d’assurer l’équité et la clarté du processus de libération conditionnelle et, à l’alinéa 101a), la nécessité de protéger la société, critère déterminant du règlement des cas soumis à la Commission.

Dans l’arrêt Mooring, la Cour a aussi souligné que les audiences de la Commission diffèrent des procédures judiciaires. La Commission des libérations conditionnelles n’agit pas de façon judiciaire ou quasi-judiciaire. Ses membres peuvent n’avoir aucune formation juridique. Bien qu’un avocat soit présent à l’audience, il s’agit d’un processus d’investigation et non d’un processus de type accusatoire. Les intérêts de l’État ne sont pas représentés par un avocat. Les règles traditionnelles de la preuve ne s’appliquent pas. La Commission n’a pas le pouvoir d’assigner des témoins et les dépositions ne sont pas faites sous serment. L’introduction de l’élément accusatoire souhaité par l’intimé ne convient pas à ce modèle. Si le droit de contre-interroger était accordé au prisonnier, l’étape logique suivante serait d’accorder à l’État le droit de recourir aux services d’un avocat et de contre-interroger lui aussi des témoins. Le recours aux techniques du contre-interrogatoire et un rôle plus grand pour les avocats mèneraient inévitablement à un processus de plus en plus formel, qu’une [traduction] « formation de non juristes » aurait de la difficulté à diriger. Il faudrait accorder à la Commission le pouvoir d’assigner des témoins. D’un point de vue pratique, le coût accru d’exiger la disponibilité des auteurs de rapports cliniques à des fins de contre-interrogatoire imposerait un énorme fardeau à un système déjà à court de fonds. L’intimé soutient que ces exigences ne s’appliqueraient qu’en faveur des contrevenants qui purgent des peines d’emprisonnement d’une durée indéterminée. J’ai peine à imaginer comment on pourrait maintenir une telle distinction. Si le droit de contre-interroger et le pouvoir d’assigner des témoins sont offerts à une catégorie de contrevenants, inévitablement, ils devraient être mis à la portée de tous.

Je ne souscris pas à la prétention de l’intimé que les décisions procédurales de la Commission ne tiennent pas compte des distinctions associées au fait de purger une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée. L’intimé s’appuie abondamment sur les remarques incidentes du juge La Forest dans l’arrêt Lyons :

Il se dégage d’ailleurs de ce que j’ai déjà dit que le caractère équitable du processus entraînant la privation de liberté ne saurait, dans le cas d’un délinquant dangereux, être considéré indépendamment du processus de révision de cette privation de liberté. Étant donné la gravité des effets d’une telle révision sur les intérêts qu’a un délinquant dangereux en matière de liberté, du moins par rapport à ses effets sur les mêmes intérêts qu’a un délinquant « ordinaire », il me semble que la justice fondamentale pourrait exiger que cette révision comporte des garanties en matière de procédure qui soient améliorées en conséquence. À ce propos, je fais remarquer que le Comité Ouimet a recommandé que les délinquants dangereux aient droit à un examen judiciaire de leur situation tous les trois ans et que le tribunal qui procède à cet examen soit investi du pouvoir de les relâcher (Rapport du Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle (1969), à la p. 280). Je conviens qu’on assurerait ainsi aux détenus de meilleures garanties, mais je ne crois pas que cela s’impose sur le plan constitutionnel. De fait, comme la cour l’a souligné dans les décisions Moore [(1984), 10 C.C.C. (3d) 306 (H.C. Ont.)] et Langevin [(1984), 11 C.C.C. (3d) 336 (C.A. Ont.)], précitées, la Commission des libérations conditionnelles est en principe plus compétente pour déterminer si la mise en liberté est justifiée et ses décisions sont assujetties à un contrôle judiciaire fondé notamment sur la Charte. Toutefois, le caractère équitable de certains aspects de la procédure d’une audience visant à déterminer s’il y a lieu d’accorder la libération conditionnelle peut très bien faire l’objet d’une contestation fondée sur la Constitution, du moins lorsque l’examen porte sur la prolongation de l’emprisonnement d’un délinquant dangereux. Le caractère équitable de la procédure de révision n’est cependant pas en litige en l’espèce[13].

Je suis incapable de voir autant dans ces propos que ne le voudrait l’avocat de l’intimé. Le juge La Forest laisse à entendre que des « garanties en matière de procédure » pourraient devoir être améliorées, et il exprime l’hypothèse que le caractère équitable de « certains aspects de la procédure » d’une audience visant à déterminer s’il y a lieu d’accorder la libération conditionnelle aux délinquants dangereux puisse très bien faire l’objet d’une contestation future fondée sur la Constitution. Il ne précise ni les « aspects de la procédure » auxquels il fait allusion, ni ne laisse à entendre quelles « garanties améliorées en matière de procédure » pourraient être requises.

On peut présumer que le législateur s’est rendu compte que les audiences de la Commission des libérations conditionnelles ont une importance accrue pour ceux qui purgent des peines d’emprisonnement d’une durée indéterminée. Le paragraphe 761(1) du Code criminel stipule que la Commission doit examiner tous les deux ans « les antécédents et la situation » de l’intimé. L’article ne prévoit pas un nouveau procès ni une forme de contrôle judiciaire tous les deux ans. La composition et le mandat de la Commission reflètent sa fin première, soit la protection de la société. En l’absence d’une décision du législateur voulant qu’un délinquant dangereux soit évalué de nouveau par un juge de première instance dans le cadre d’une procédure judiciaire, je ne suis pas disposé à créer un processus hybride pour répondre à ce que l’intimé perçoit être ses besoins.

Les procédures préconisées par la Commission permettent à l’intimé de faire pleinement valoir ses arguments en faveur d’une libération conditionnelle et elles sont conformes aux règles d’équité. En fait, j’estime que les procédures exigées par l’intimé serviraient peu à améliorer l’équité procédurale de l’audition de sa libération conditionnelle. Il a droit d’être assisté au cours du processus d’examen. Les rapports visant l’intimé ont été fournis à l’avance et il a eu l’ample possibilité de soumettre une réponse écrite. Étant donné que l’intimé a eu abondamment le temps de contester ces rapports, le contre-interrogatoire des auteurs n’était pas nécessaire pour assurer l’équité[14].

Les décisions procédurales de la Commission tiennent suffisamment compte de la double obligation d’assurer la sécurité de la société et l’équité de l’audience de l’intimé. On doit rappeler à l’intimé que sa liberté n’est pas la principale question dont est saisie la Commission. Celle-ci doit d’abord et avant tout protéger le public canadien. Les délinquants dangereux ne sont pas désignés tels à la légère. Les procédures en vertu desquelles l’intimé a été déclaré délinquant dangereux et condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée comptent parmi les plus sérieuses qui se déroulent dans les salles d’audience canadiennes. On a conclu que l’intimé constituait un grave danger pour la société, à tel point que sa peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée a été jugée nécessaire. Tous les Canadiens ont un intérêt vital à s’assurer que la Commission rende des décisions pleinement informées et appropriées. Il est dans l’intérêt de tous les intéressés que la procédure adoptée soit équitable et, à mon sens, le processus administratif actuellement en place répond à cette exigence. L’introduction de divers éléments de la procédure de type accusatoire aiderait peu à accroître l’équité de l’audition de l’intimé, mais par contre cela causerait un grand tort à la nature fondamentale des audiences de la Commission. Conséquemment, je conclus que le refus de la Commission d’accueillir la demande de l’intimé d’obtenir des procédures améliorées ne viole pas son droit à la liberté prévu à l’article 7 de la Charte.

Bien que cela ne constitue plus une question litigieuse en l’espèce, je suis d’accord avec la conclusion du juge que l’alinéa 101b) de la LSCMLSC exige que la Commission tienne compte de toute l’information pertinente. Ceci est conforme avec la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mooring.

Étant donné mes conclusions à l’égard des questions visant la Charte, je ne crois pas nécessaire de traiter du troisième point soulevé par les appelants (voir page 122 de mes motifs).

L’appel est accueilli.

Le juge Strayer, J.C.A. : Je souscris à ces motifs :

Le juge MacGuigan, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[2] S.R.C. 1970, ch. C-34.

[3] L.R.C. (1985), ch. C-46 (mod. par L.C. 1992, ch. 20, art. 215).

[4] [1987] 2 R.C.S. 309.

[5] L.C. 1992, ch. 20.

[6] [1988] 1 R.C.S. 985.

[7] Voir l’arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821.

[8] [1996] 1 R.C.S. 75. Notons que l’arrêt Mooring a été rendu après la décision du juge en l’espèce.

[9] Ibid., à la p. 97.

[10] Comme l’a dit le juge McLachlin dans l’arrêt Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143, aux p. 151 et 152 :

Ces principes touchent non seulement au droit de la personne qui soutient que sa liberté a été limitée, mais également à la protection de la société. La justice fondamentale exige un juste équilibre entre ces droits, tant du point de vue du fond et que de celui de la forme …

[11] Précité, note 8, aux p. 97 et 98.

[12] Précité, note 8, à la p. 98.

[13] Précité, note 4, aux p. 362 et 363.

[14] Voir l’arrêt Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; et County of Strathcona No. 20 and Chemcell Ltd. v. Maclab Enterprises Ltd., Provincial Planning Board and City of Edmonton, [1971] 3 W.W.R. 461 (C.A. Alb.).

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