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     T-2765-96

Ernst Zündel (demandeur)

c.

Le procureur général du Canada, Sabina Citron, The Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations (défendeurs)

et

La Commission canadienne des droits de la personne, le Congrès juif canadien, The Canadian Holocaust Remembrance Association, Simon Wiesenthal Centre et la Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada (intervenants)

Répertorié: Zündelc. Canada (Procureur général)(1re   inst.)

Section de première instance, juge Evans"Toronto, 10 mars; Ottawa, 15 juin 1999.

Droits de la personne Demande de contrôle judiciaire de la décision de la CCDP de demander la désignation d'un tribunal des droits de la personne pour instruire les plaintes portant que le demandeur faisait aborder des messages haineux sur un site Web (le serveur du site Web et la personne qui le gérait étaient situés à l'extérieur du Canada)Le discours sur la propagande haineuse prononcé auparavant par la vice-présidente de la Commission ne constituait pas un signe de partialitéCritère de partialité prévu dans la loiL'interprétation de la loi habilitante (utiliser un téléphone, extra-territorialité, faire aborder) par la Commission ne justifie pas automatiquement le contrôle judiciaireIl ne convenait pas de trancher à cette étape la question de savoir si la disposition contrevenait à l'art. 2b) de la Charte parce que, quoi qu'il en soit, une modification récente apportée à la l'art. 50(2) de la Loi sur les droits de la personne conférait compétence à la Commission pour trancher une question constitutionnelle.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Décision de la CCDP de demander la désignation d'un tribunal des droits de la personne pour instruire les plaintes portant que le demandeur faisait aborder des messages haineux sur un site WebAllégation de partialité de la part de la vice-présidente de la CommissionCritère de partialité prévu dans la loiL'interprétation de la loi habilitante par la Commission ne justifie pas automatiquement le contrôle judiciaireIl ne convenait pas de trancher à cette étape la question de savoir si la disposition contrevenait à l'art. 2b) de la Charte parce que, quoi qu'il en soit, une modification récente apportée à l'art. 50(2) de la LCDP conférait compétence à la Commission pour trancher une question constitutionnelle.

À la suite de plaintes portant que Ernst Zündel faisait aborder des messages haineux sur un site Web (le Zündelsite), la Commission canadienne des droits de la personne a demandé la désignation d'un Tribunal des droits de la personne pour instruire les plaintes.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision de la Commission fondée sur les moyens suivants: la décision était entachée de partialité vu les déclarations faites par la vice-présidente de la Commission (la vice-présidente) avant le dépôt des plaintes et de sa participation subséquente à la décision de la Commission de les déférer à un Tribunal; le Tribunal n'avait pas compétence pour instruire les plaintes puisque les données affichées sur le site Web n'étaient pas communiquées par "téléphone" comme l'exigeait l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et parce que le serveur du site Web et la personne qui le gérait étaient situés à l'extérieur du Canada; la Commission aurait dû rejeter les plaintes, car elles étaient vexatoires et entachées de mauvaise foi; si les plaintes étaient jugées fondées, il serait porté atteinte à la liberté d'expression du demandeur garantie par la Charte.

Jugement: la demande est rejetée.

L'allégation de partialité de la part de la vice-présidente était fondée sur deux discours qu'elle avait prononcés, "Combatting Hate Propaganda" et "La propagande haineuse sous l'angle des droits de la personne", dans lesquels elle mentionnait qu'Internet était utilisé pour faire de la propagande haineuse, que les messages à caractère haineux diffusés sur Internet pouvaient être considérés comme de la propagande haineuse téléphonique et que Ernst Zündel était l'un des auteurs de messages haineux au sujet desquels elle a dit qu'il était plus difficile de trouver qui est à l'origine des messages diffusés sur Internet et que cette diffusion se fait souvent à partir de l'étranger. Le demandeur a prétendu que la vice-présidente avait donc préjugé les questions principales que la Commission devait trancher pour décider si elle devait rejeter les plaintes ou demander la désignation d'un tribunal.

La norme d'impartialité applicable aux enquêteurs et aux membres de la Commission, qui n'exerce pas de fonction juridictionnelle, est parmi les moins sévères, du moins lorsque les allégations de partialité sont fondées sur le fait qu'ils ont exprimé des opinions qui témoignent d'un préjugement des questions à l'étude. Pour s'acquitter du fardeau qui lui incombait, le demandeur devait démontrer que la vice-présidente avait l'esprit fermé lorsqu'elle a participé à la décision de la Commission de déférer les plaintes à un Tribunal. De plus, la Loi attribuait un rôle proactif à la Commission en ce qui concerne la procédure de traitement des plaintes et elle lui conférait des pouvoirs et des responsabilités sur des questions comme la sensibilisation et l'information du public. Ses obligations s'étendaient donc au-delà du traitement des plaintes.

Une position prise par la vice-présidente, à une époque où la plainte n'avait pas encore été adressée à la Commission, ne doit pas être considérée comme écartant toute chance que les nombreux documents produits devant la Commission puissent la convaincre. Elle n'avait pas exprimé d'opinion quant à savoir si les données affichées sur le "Zündelsite" contrevenaient au paragraphe 13(1) de la Loi. Ses remarques ne laissaient pas croire qu'elle avait un esprit fermé en ce qui concerne le traitement des plaintes ensuite déposées contre le demandeur. Qui plus est, ses notes indiquent que ses discours étaient réfléchis et instructifs plutôt qu'incendiaires et démagogiques.

La Cour est réticente à intervenir avant qu'un Tribunal canadien des droits de la personne rende une décision. Les cours de justice ne considèrent plus que l'interprétation des dispositions législatives définissant la conduite réglementée ("utiliser un téléphone", extra-territorialité, "fait aborder") est de nature "juridictionnelle" en soi. De plus, normalement, les décisions de la Commission sont susceptibles de contrôle selon le critère de la rationalité, et non de la justesse. La décision de la Commission ne devait être annulée que si la Commission ne pouvait s'appuyer sur aucun motif rationnel en droit, ni sur aucune preuve pour décider qu'une instruction par un Tribunal était justifiée compte tenu de toutes les circonstances.

Les questions soulevées par le demandeur mettent en doute le pouvoir légal de la Commission et du Tribunal de réglementer les documents accessibles sur Internet, qui est en voie de devenir rapidement le moyen de communication de masse le plus puissant. Les avantages qu'il y a à attendre que le Tribunal ait rendu une décision motivée sur des questions aussi complexes, inédites et importantes surpassent nettement les coûts qu'occasionnerait au demandeur, et aux contribuables, la décision de la Cour de laisser le processus administratif suivre son cours avant d'examiner l'affaire à fond.

En ce qui concerne les questions de fond, d'abord, compte tenu du libellé de la Loi, de la preuve et de la méthode d'interprétation applicable à la législation en matière de droits de la personne, on ne pouvait affirmer que la position adoptée par la Commission concernant l'interprétation du terme "téléphone" n'avait pas de fondement rationnel. Le Tribunal doit pouvoir tirer des conclusions de fait sur les aspects techniques des communications par Internet et donner une interprétation motivée de l'article 13 en tenant compte des arguments des avocats et de sa propre compréhension de l'objet de la Loi. Quant à la question de l'extra-territorialité, une personne qui se trouve au Canada fait aborder des données au sens de l'article 13 si elle contrôle effectivement le contenu d'un site Web géré à l'extérieur du Canada. Il fallait laisser au tribunal le soin de décider si la preuve produite à l'audition par les parties était suffisante pour établir que le demandeur a fait communiquer des données au sens de l'article 13. L'argument selon lequel ce sont les personnes qui ont visité le "Zündelsite" à partir de leurs ordinateurs qui ont fait aborder ces données constituait un pur sophisme.

Le fait que Sabina Citron ait survécu à l'holocauste et qu'elle n'ait pas réussi à faire condamner le demandeur au criminel pour ses publications ne signifiait pas que sa plainte était entachée de mauvaise foi.

Il ne convenait pas de trancher la question constitutionnelle à cette étape. La décision contestée est celle de la Commission de demander la désignation d'un Tribunal, et elle ne peut être annulée pour un motif fondé sur la Charte si la Commission n'avait pas compétence pour trancher cette question. La Commission n'avait pas le pouvoir légal de se prononcer sur la validité d'une disposition de sa loi habilitante. Par conséquent, la Cour ne pouvait annuler la décision de la Commission au motif que le recours à l'article 13 contre le demandeur relativement aux éléments affichés dans le "Zündelsite" aurait porté atteinte à la liberté d'expression que lui garantissait l'alinéa 2b ) de la Charte, et que cette atteinte n'était pas justifiable en regard de l'article premier. Il était plus approprié que la question de l'application de l'article premier soit tranchée en première instance par le Tribunal.

Le Tribunal possédait le pouvoir légal implicite de déterminer si la Constitution permet l'application de l'article 13 de la Loi aux faits qui lui étaient soumis. Quoi qu'il en soit, le paragraphe 50(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne a levé tout doute qui aurait autrement pu subsister quant à la compétence de la Commission pour trancher la question fondée sur la Charte soulevée par le demandeur.

    lois et règlements

        Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b).

        Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 2 (mod. par L.C. 1996, ch. 14, art. 1; 1998, ch. 9, art. 9), 13, 27(1)a),b),h) (mod., idem, art. 20), 40(3), 41(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 44, art. 49), 44(3)a) (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 24), b) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 64), 49(1) (mod., par L.C. 1998, ch. 9, art. 27), 50(2) (mod., idem).

        Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 44c),d).

        Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

    jurisprudence

        décisions appliquées:

        Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879; (1989), 62 D.L.R. (4th) 385; 100 N.R. 241; Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574; (1994), 73 F.T.R. 161 (1re inst.); Société Radio-Canada c. Commission canadienne des droits de la personne et al. (1993), 71 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.); Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113; (1998), 167 D.L.R. (4th) 432 (C.A.); Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 81 D.L.R. (4th) 358; 50 Admin. L.R. 1; 36 C.C.E.L. 117; 91 CLLC 14,023; 4 C.R.R. (2d) 12; 126 N.R. 1; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; (1996), 140 D.L.R. (4th) 193; 43 Admin. L.R. (2d) 155; 26 C.C.E.L. (2d) 1; 40 C.R.R. (2d) 81; 204 N.R. 1.

        distinction faite d'avec:

        Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et al. (1997), 127 F.T.R. 44 (C.F. 1re inst.); Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; (1992), 95 Nfld. & P.E.I.R. 271; 4 Admin. L.R. (2d) 121; 134 N.R. 241; E.A. Manning Ltd. v. Ontario Securities Commission (1995), 23 O.R. (3d) 257; 125 D.L.R. (4th) 305; 32 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.C.L.S. 125; 80 O.A.C. 321 (C.A.).

        décisions examinées:

        R. v. Pickersgill et al., Ex parte Smith et al. (1970), 14 D.L.R. (3d) 717 (B.R. Man.); Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R. 1.

        décisions citées:

        Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892; (1990), 75 D.L.R. (4th) 577; 13 C.H.R.R. D/435; 3 C.R.R. (2d) 116; Great Atlantic & Pacific Co. of Canada v. Ontario (Human Rights Commission) (1993), 13 O.R. (3d) 824; 109 D.L.R. (4th) 214; 12 Admin. L.R. (2d) 267; 93 CLLC 17,017; 65 O.A.C. 227 (C. div.); Save Richmond Farmland Society c. Richmond (Canton), [1990] 3 R.C.S. 1213; (1990), 75 D.L.R. (4th) 425; [1991] 2 W.W.R. 178; 52 B.C.L.R. (2d) 145; 46 Admin. L.R. 264; 2 M.P.L.R. (2d) 288; 116 N.R. 68; Zündel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 233; (1997), 154 D.L.R. (4th) 216; 7 Admin. L.R. (3d) 126; 221 N.R. 213 (C.A.); Regina (City) Police v. Saskatchewan (Human Rights Commission) (1992), 98 D.L.R. (4th) 51; [1993] 1 W.W.R. 577; 105 Sask. R. 100; 8 Admin. L.R. (2d) 1 (C.A.); Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756; (1971), 18 D.L.R. (3d) 1; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; 97 D.L.R. (3d) 417; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC 14,209; 26 N.R. 341; Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150; (1985), 21 D.L.R. (4th) 1; [1985] 6 W.W.R. 166; 38 Man. R. (2d) 1; 15 Admin. L.R. 177; 8 C.C.E.L. 105; 85 CLLC 17,020; 61 N.R. 241; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114; (1987), 40 D.L.R. (4th) 193; 27 Admin. L.R. 172; 87 CLLC 17,022; 76 N.R. 161; Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892; (1990), 75 D.L.R. (4th) 577; 13 C.H.R.R. D/435; 3 C.R.R. (2d) 116.

    doctrine

        Gosnell, Chris. "Hate Speech on the Internet: A Question of Context" (1997-98), 23 Queen's L.J. 369.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission canadienne des droits de la personne de demander la désignation d'un tribunal des droits de la personne pour instruire les plaintes déposées contre Ernst Zündel, selon lesquelles il faisait aborder des messages haineux sur un site Web. Demande rejetée.

    ont comparu:

    Douglas Christie pour le demandeur.

    Marlene I. Thomas et Michael H. Morris pour le défendeur.

    Robert P. Armstrong et Wendy M. Matheson pour la défenderesse Sabina Citron et l'intervenante Canadian Holocaust Remembrance Association.

    Andrew A. Weretelnyk pour le défendeur Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations.

    René Duval pour l'intervenante Commission canadienne des droits de la personne.

    avocats inscrits au dossier:

    Douglas Christie pour le demandeur.

    Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

    Tory Tory Deslauriers & Binnington, Toronto, pour la défenderesse Sabina Citron et l'intervenante Canadian Holocaust Remembrance Association.

    Cité de Toronto (Service du contentieux), Toronto, pour le défendeur Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations.

    Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l'intervenante Commission canadienne des droits de la personne.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Evans:

A.    Introduction

[1]La présente demande de contrôle judiciaire fait suite à la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de demander la désignation d'un Tribunal des droits de la personne pour instruire les plaintes déposées contre Ernst Zündel par Sabina Citron et par le Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations [le comité du maire de Toronto sur les relations communautaires et raciales].

[2]Les plaignants ont allégué que M. Zündel contrevenait à l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, en faisant aborder des messages haineux sur un site Web appelé le "Zündelsite", facilement accessible par Internet. Le serveur de ce site Web ainsi que la personne qui le gère et y affiche des données sont situés en Californie. Les plaignants se sont opposés aux données incluses dans le "Zündelsite" qui prétendaient que l'ampleur de l'holocauste a été grandement exagérée. Ils ont soutenu que ces données étaient susceptibles d'exposer les personnes de religion et d'origine ethnique juives à la haine ou au mépris.

[3]Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Zündel invoque cinq motifs pour contester la décision de la Commission de demander la désignation d'un Tribunal et la compétence du Tribunal pour instruire les plaintes. Premièrement, la décision de la Commission de demander la désignation d'un Tribunal est viciée en raison de la partialité qui résulte des déclarations faites par la vice-présidente de la Commission avant le dépôt des plaintes et de sa participation subséquente à la décision de la Commission de les déférer à un Tribunal. Deuxièmement, le Tribunal n'a pas compétence pour instruire ces plaintes puisque les données affichées sur le site Web sous forme de texte et de graphiques ne sont pas communiquées par "téléphone" comme l'exige l'article 13. Troisièmement, le Tribunal n'a pas compétence pour instruire et trancher ces plaintes étant donné que le serveur du site Web est situé à l'extérieur du Canada, tout comme la personne responsable de la sélection des données qui y sont affichées, qui est la seule personne capable de charger ces données. Quatrièmement, la Commission aurait dû rejeter les plaintes, car elles sont vexatoires et entachées de mauvaise foi. Cinquièmement, s'il jugeait les plaintes fondées, le Tribunal porterait atteinte à la liberté d'expression de M. Zündel, garantie par l'alinéa 2b ) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

[4]M. Zündel demande à la Cour d'annuler la décision de la Commission de déférer les plaintes au Tribunal canadien des droits de la personne et d'interdire au Tribunal de continuer à instruire une affaire qui ne relève pas de sa compétence. Ajoutons, à titre de renseignements supplémentaires, que depuis que le Tribunal a commencé à instruire les plaintes au mois de mai 1997, il a tenu 41 jours d'audience. Avant la présentation de la demande de contrôle judiciaire de M. Zündel, le Tribunal avait prévu terminer les audiences en mai.

B.    Les dispositions législatives

[5]Voici les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) qui sont pertinentes en l'espèce [art. 27(1)h) (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 20), 41(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 44, art. 49), 44(3) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 64), 49(1) (mod., par L.C. 1998, ch. 9, art. 27), 50(2) (mod., idem)]:

13. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d'un commun accord, d'utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3.

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas dans les cas où les services d'une entreprise de radiodiffusion sont utilisés.

    [. . .]

27. (1) Outre les fonctions prévues par la partie III au titre des plaintes fondées sur des actes discriminatoires et l'application générale de la présente partie et des parties I et III, la Commission:

    a) élabore et exécute des programmes de sensibilisation publique touchant le principe énoncé à l'article 2, la présente loi et le rôle et les activités que celle-ci lui confère;

    b) entreprend ou patronne des programmes de recherche dans les domaines qui ressortissent à ses objets aux termes de la présente loi ou au principe énoncé à l'article 2;

    [. . .]

    h) dans la mesure du possible et sans transgresser la partie III, tente, par tous les moyens qu'elle estime indiqués, d'empêcher la perpétration des actes discriminatoires visés aux articles 5 à 14.1.

    [. . .]

40. [. . .]

(3) La Commission peut prendre l'initiative de la plainte dans les cas où elle a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire.

    [. . .]

41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants:

    [. . .]

    d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

    [. . .]

44. [. . .]

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission:

    [. . .]

    b) rejette la plainte, si elle est convaincue:

    [. . .]

        (ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

    [. . .]

49. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l'instruction est justifiée.

    [. . .]

50. [. . .]

(2) Il tranche les questions de droit et les questions de fait dans les affaires dont il est saisi en vertu de la présente partie.

C.    Questions en litige et analyse

    1.    La question de la partialité

        i)  contexte factuel

[6]La question à trancher consiste à savoir si un discours prononcé par Mme Michelle Falardeau-Ramsay, lorsqu'elle était vice-présidente de la Commission, a vicié pour cause de partialité la décision prise ultérieurement par la Commission, à laquelle elle a participé, de déférer les plaintes concernant le "Zündelsite" à un Tribunal des droits de la personne.

[7]L'avocat de M. Zündel a également soulevé la question de la partialité d'un autre membre de la Commission, M. Reiser, mais puisque ce dernier n'a pas participé à la décision de la Commission de déférer les plaintes, je juge que cette objection n'est pas fondée. Lors de l'audition de la demande de contrôle judiciaire, l'avocat n'a pas fait valoir l'allégation, formulée dans son mémoire, de partialité encore plus "systémique" de la part de la Commission contre M. Zündel et ses opinions. À mon avis, il est clair que ces allégations ne constituent pas de la partialité; il est donc inutile de s'y attarder.

[8]L'allégation de partialité la plus importante faite au nom de M. Zündel était que Mme Falardeau-Ramsay était inhabile, pour cause de partialité, en raison des notes préparées pour deux discours qu'elle a prononcés. L'un de ces discours, "Combatting Hate Propaganda", a été fait à Toronto, le 30 novembre 1995, devant le Community, Race and Ethnic Relations Committee of North York; l'autre, "La propagande haineuse sous l'angle des droits de la personne", a été prononcé à Ottawa, le 16 mars 1996, devant l'Association des civilistes.

[9]Il importe de signaler que ces deux discours ont été prononcés avant que le Toronto Mayor's Committee et Mme Citron déposent respectivement leurs plaintes contre M. Zündel à la Commission le 18 juillet 1996 et le 25 septembre 1996.

[10]Le contenu de ces deux discours se chevauchait en grande partie. Comme le révèlent leurs titres, ces discours avaient pour thèmes généraux que les messages à caractère haineux menacent les droits de la personne et que la Loi canadienne des droits de la personne contient des dispositions qui permettent de régler les problèmes qu'ils posent plus adéquatement et plus efficacement que le droit criminel. Mme Falardeau-Ramsay a identifié comme l'un des problèmes actuels importants le fait que certains groupes réussissent à véhiculer des "messages à caractère haineux" en utilisant la musique et d'autres moyens qui attirent les jeunes et qui rendent difficile d'en repérer les auteurs.

[11]Mme Falardeau-Ramsay a parlé des victoires remportées par la Commission contre les semeurs de "propagande haineuse" qui utilisaient des messages téléphoniques enregistrés, et en particulier de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor , [1990] 3 R.C.S. 892. Elle a mentionné d'autres groupes dont les "lignes téléphoniques diffusant de la propagande haineuse" ont été fermées par la suite, par exemple le Canadian Liberty Net, dont les messages, bien qu'elle ne l'ait pas précisé, provenaient de New York.

[12]Mme Falardeau-Ramsay a ensuite parlé de la plus récente et importante source de "propagande haineuse", à savoir Internet. Elle a maintenu qu'il n'était pas nécessaire d'adopter de nouvelles lois pour remédier à ce phénomène: l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne était suffisant. Les passages suivants de son discours sont les plus pertinents en ce qui concerne la présente demande de contrôle judiciaire.

Puisque l'utilisation d'un modem d'ordinateur nécessite une ligne téléphonique, les messages à caractère haineux diffusés sur l'internet seraient considérés comme des "communications téléphoniques" [. . .]

    [. . .]

La Commission n'a encore été saisie d'aucune plainte officielle touchant la diffusion de propagande haineuse sur l'internet, mais nous nous attendons à en recevoir lorsque le "net" sera davantage accessible au grand public. Dans cette éventualité, nous avons l'intention de procéder exactement comme s'il s'agissait de plaintes relatives à la diffusion de propagande par téléphone. Nous ferons enquête. Si nous estimons que les messages constituent effectivement de la propagande haineuse et qu'il s'avère impossible de régler le problème autrement, nous soumettrons l'affaire à un tribunal des droits de la personne, comme nous l'avons fait dans les cas de propagande téléphonique.

Et du point de vue de la technologie, la diffusion de propagande haineuse sur l'internet pose des problèmes différents que la diffusion par lignes téléphoniques, puisqu'il est plus difficile de trouver qui est à l'origine des messages diffusés sur l'internet, et que cette diffusion se fait souvent à partir de l'étranger.

[13]Mme Falardeau-Ramsay a terminé son discours en faisant remarquer que certaines personnes qui luttent contre la propagande haineuse s'opposent fortement, au nom des libertés civiles, à la réglementation par le gouvernement du contenu d'Internet. Elle a ensuite signalé que certains d'entre eux utilisaient Internet de façon très efficace pour lutter contre la propagande haineuse et que, selon elle, Internet deviendra un puissant moyen de diffusion à grande échelle d'information qui discrédite les semeurs de haine, y compris ceux qui nient la réalité historique de l'holocauste.

[14]Dans son discours du 16 mars 1996, Mme Falardeau-Ramsay a identifié M. Zündel comme l'auteur de messages haineux en disant qu'il "est plus difficile de trouver qui est à l'origine des messages diffusés sur l'Internet, et que cette diffusion se fait souvent à partir de l'étranger":

Par exemple, lorsque le fournisseur de services d'accès à l'internet d'Ernst Zundel (sic) a annulé l'abonnement de ce dernier à cause du contenu des messages, Zundel (sic) a trouvé presque aussitôt un autre fournisseur.

[15]L'un des arguments importants invoqués par le demandeur en réponse aux plaintes qui ont donné lieu au présent contrôle judiciaire veut qu'il existe des différences notables du point de vue du droit entre les messages téléphoniques enregistrés et le "Zündelsite". M. Zündel a prétendu que ces différences font en sorte que l'article 13 n'englobe pas la diffusion de données affichées sur un site Web situé aux États-Unis. Il a également nié que le contenu du "Zündelsite" contrevenait à l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[16]Par conséquent, l'avocat de M. Zündel a soutenu que les déclarations faites par Mme Falardeau-Ramsay la rendaient inhabile, pour cause de partialité, à participer à la décision de la Commission de soumettre au tribunal les plaintes déposées plus tard par le Toronto Mayor's Committee et Mme Citron relativement au "Zündelsite". Il a prétendu que les discours qu'elle a prononcés démontraient que la vice-présidente avait préjugé les questions principales que la Commission devait trancher pour décider si elle devait rejeter les plaintes ou demander la désignation d'un Tribunal.

        ii)  le critère de la partialité prévu dans loi

[17]Il est incontestable que la Commission a l'obligation d'agir équitablement lorsqu'elle exerce les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de faire enquête sur les plaintes et de décider si elles doivent être rejetées ou s'il y a plutôt lieu de demander la désignation d'un Tribunal: Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (SEPQA). Il est également clair que suivant les règles de l'équité procédurale, la Commission et ses enquêteurs ne doivent pas avoir de parti pris: Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.).

[18]Comme c'est le cas pour les droits de participation conférés par l'obligation d'agir équitablement, la norme d'impartialité applicable à un organisme administratif varie en fonction du contexte juridique, administratif et factuel dans lequel le litige a pris naissance. Ainsi, les organismes administratifs qui exercent des fonctions juridictionnelles, y compris les tribunaux des droits de la personne, sont assujettis à une norme d'impartialité exigeante qui s'apparente à celle que doivent observer les tribunaux: voir, par exemple, Great Atlantic & Pacific Co. of Canada v. Ontario (Human Rights Commission) (1993), 13 O.R. (3d) 824 (C. div.). Par contre, une norme beaucoup moins stricte a été appliquée à un conseil municipal qui a voté au sujet d'un règlement de zonage dans l'exercice de sa compétence législative: Save Richmond Farmland Society c. Richmond (Canton), [1990] 3 R.C.S. 1213.

[19]À mon avis, la norme d'impartialité applicable aux enquêteurs et aux membres de la Commission est parmi les moins sévères, du moins lorsque les allégations de partialité sont fondées sur le fait qu'ils ont exprimé des opinions qui témoignent d'un préjugement des questions à l'étude. Pour s'acquitter du fardeau qui lui incombe dans la présente affaire, le demandeur doit démontrer que Mme Falardeau-Ramsay avait l'esprit fermé lorsqu'elle a participé à la décision de la Commission de déférer les plaintes déposées contre lui à un Tribunal. Cette conclusion s'appuie sur les trois motifs suivants.

[20]Premièrement, la Commission n'est pas un organisme juridictionnel chargé de déterminer quels sont les droits que le droit confère à une personne. Sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission est l'organisme qui effectue un examen préalable des plaintes et qui fait enquête pour décider lesquelles doivent être rejetées et lesquelles doivent être soumises à un Tribunal pour qu'il rende une décision: Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854. En sa qualité d'organisme non juridictionnel, la Commission a, envers les plaignants et les défendeurs, une obligation d'agir équitablement beaucoup moins exigeante que celle à laquelle doit satisfaire le tribunal auquel la plainte est déférée: SEPQA, précitée; voir aussi Zündel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 233 (C.A.) (la norme d'impartialité applicable au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité dépend des pouvoirs juridictionnels et d'enquête qui lui sont conférés).

[21]C'est pourquoi il a été statué, autant en ce qui concerne une commission provinciale des droits de la personne (Regina (City) Police v. Saskatchewan (Human Rights Commission) (1992), 98 D.L.R. (4th) 51 (C.A. Sask.)) que la Commission canadienne des droits de la personne (Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et al. (1997), 127 F.T.R. 44 (C.F. 1re inst.)), que le critère applicable aux enquêteurs et à la Commission en matière de partialité est celui de l'esprit fermé. Comme l'a dit le juge Noël (maintenant juge de la Cour d'appel fédérale) dans l'affaire Société Radio-Canada c. Commission canadienne des droits de la personne et al. (1993), 71 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.), à la page 225, au sujet du critère de partialité applicable à la Commission:

Le critère ne repose donc pas sur le point de savoir si l'on peut raisonnablement discerner un part pris, mais plutôt si l'on s'est tellement écarté de la norme de l'ouverture d'esprit qu'on pourrait avec raison affirmer qu'il y a eu préjugement de la question portée devant l'organisme d'enquête.

[22]Ce critère a été établi plus tôt dans l'arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 63. Dans cette affaire, un membre de la Commission était accusé de partialité pour avoir fait des déclarations devant les médias concernant une affaire sur laquelle la Commission faisait enquête, avant le stade juridictionnel du processus. Dans les motifs qu'il a prononcés au nom de la Cour, le juge Cory a dit, à la page 642:

Les membres de la Commission doivent avoir au stade de l'enquête une grande latitude pour faire des commentaires publics. Pourvu que ces déclarations ne témoignent pas d'un esprit à ce point fermé qu'il serait inutile de présenter des arguments contraires, on ne devrait pas pouvoir les attaquer en invoquant la partialité. [Non souligné dans l'original.]

[23]Les faits de l'espèce ne sont pas identiques à ceux en cause dans les affaires examinées plus haut. Dans les affaires Regina (City) Police, Société Radio-Canada, et Bell Canada, la partialité alléguée concernait un enquêteur et non pas un membre de la Commission. Quant à l'affaire Newfoundland Telephone, la partialité avait été invoquée en raison des déclarations faites par un membre de la Commission concernant une affaire qui se trouvait au stade de l'enquête du processus établi par la loi.

[24]À mon avis, ces affaires sont quand même pertinentes en l'espèce puisque la procédure de la Commission ne comprend pas de stade juridictionnel: la Commission a seulement le pouvoir de décider si elle doit demander la désignation d'un Tribunal ou rejeter la plainte. De plus, les déclarations de Mme Falardeau-Ramsay qui, suivant ce que prétend M. Zündel, constituent un préjugement, ont été faites avant même que les plaintes concernant le "Zündelsite" soient adressées à la Commission.

[25]Bien entendu, même si la décision de la Commission n'est pas déterminante quant à la responsabilité légale de M. Zündel au regard de l'article 13, il est évident qu'elle a eu de graves conséquences pour lui. En particulier, elle l'a exposé aux dépenses, à l'anxiété et aux pertes de temps qui découlent inévitablement des longues poursuites judiciaires, sans oublier le risque que le Tribunal rende une décision défavorable en ce qui concerne ses droits. Toutefois, j'aimerais ajouter, incidemment, que pour les personnes, comme M. Zündel, dont les opinions politiques sont très différentes de celles du grand public, les audiences devant les tribunaux engendrent une publicité dont elle ne bénéficieraient pas autrement et qui, dans une certaine mesure, n'est pas pour leur déplaire.

[26]La deuxième raison pour laquelle la Commission ne doit pas être assujettie à la norme d'impartialité applicable aux tribunaux, c'est-à-dire à celle de la crainte raisonnable de partialité, est que la Loi canadienne sur les droits de la personne attribue un rôle proactif à la Commission en ce qui concerne la procédure de traitement des plaintes. En particulier, le paragraphe 40(3) de la Loi autorise la Commission à prendre l'initiative d'une plainte dans les cas où elle a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a enfreint la Loi en commettant un acte discriminatoire. En pareil cas, il est certain qu'au moment de l'examen du rapport de l'enquêteur et de la présentation de ses observations, la Commission se sera déjà fait une certaine idée sur la question à trancher.

[27]Le paragraphe 40(3) n'est pas directement pertinent en l'espèce étant donné que les plaintes contre le "Zündelsite" ont été déposées par le Toronto Mayor's Committee et Mme Citron. Il permet cependant d'affirmer que le législateur n'avait pas l'intention d'attribuer un rôle purement passif à la Commission, mais qu'il avait prévu qu'elle pourrait fort bien avoir une certaine opinion de la légalité du comportement d'une personne avant de décider s'il y a lieu de rejeter la plainte ou de la déférer à un Tribunal.

[28]Troisièmement, les pouvoirs et les responsabilités conférés à la Commission par le paragraphe 27(1) de la Loi ne se limitent pas au traitement des plaintes. La Commission doit, notamment, élaborer et exécuter des programmes de sensibilisation publique touchant la Loi et le principe du droit à l'égalité sans distinction (alinéa 27(1)a)); entreprendre ou patronner des programmes de recherche dans les domaines qui ressortissent à ses objets aux termes de la Loi ou au principe du droit à l'égalité sans distinction illicite (alinéa 27(1)b)) et tenter, par la persuasion, la publicité ou tout moyen compatible avec son obligation concernant le traitement des plaintes, d'empêcher la perpétration d'actes de distinction illicite (alinéa 27(1)h)).

[29]Il ressort clairement de ces dispositions que le rôle d'appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne et de promouvoir ses objectifs, conféré à la Commission par la loi, ne se limite pas au traitement des plaintes. Prononcer des discours devant le grand public et des groupes de professionnels sur des questions actuelles concernant les droits de la personne est un moyen très approprié pour les membres de la Commission, et en particulier pour la vice-présidente, d'assumer ces responsabilités plus vastes.

[30]C'est dans les alinéas 27(1)a) et 27(1)h) que Mme Falardeau-Ramsay est le plus susceptible d'avoir puisé l'autorisation légale de prononcer les discours visés par la présente demande de contrôle judiciaire. Il est vrai que l'alinéa 27(1)h) interdit expressément les comportements incompatibles avec les obligations imposées à la Commission en matière de traitement des plaintes, et notamment celle d'agir de façon impartiale. Néanmoins, il est tout aussi important que l'obligation d'impartialité des membres de la Commission ne soit pas stricte au point de compromettre leur capacité d'assumer leurs responsabilités de lutter contre la discrimination en sensibilisant et en informant le public.

        iii)  l'application du critère prévu dans la loi aux faits de l'espèce

[31]Pour que sa demande soit accueillie, le demandeur doit prouver que les discours prononcés par Mme Falardeau-Ramsay démontrent, suivant la prépondérance des probabilités, qu'elle avait l'esprit fermé lorsqu'elle a participé à la décision de la Commission de demander la désignation d'un tribunal pour instruire les plaintes. À mon avis, il ne s'est pas acquitté de ce fardeau.

[32]Premièrement, au moment où ces discours ont été prononcés, aucune plainte n'avait encore été déposée contre M. Zündel relativement aux données affichées sur le "Zündelsite". Le plus récent discours a été prononcé huit mois avant la décision de la Commission de déférer les plaintes à un Tribunal. Une position prise par Mme Falardeau-Ramsay, à une époque où la plainte n'avait pas encore été adressée à la Commission, ne doit pas être considérée comme écartant toute chance que les nombreux documents produits devant la Commission puissent la convaincre. Il est grave d'alléguer qu'une membre de la Commission a tellement négligé son obligation légale qu'elle n'a pas examiné sérieusement le rapport de l'enquêteur et les nombreuses observations présentées par l'avocat du demandeur.

[33]Deuxièmement, bien que Mme Falardeau-Ramsay mentionne, dans les notes pour ses allocutions, que la Commission pouvait, selon elle, par analogie, régler le problème des messages à caractère haineux diffusés par Internet en vertu son pouvoir, réaffirmé récemment, d'agir contre les auteurs de messages téléphoniques enregistrés, elle y déclare également que les différences qui existent du point de vue de la technologie entre le réseau Internet et le téléphone font en sorte qu'il est plus difficile pour la Commission d'appliquer la Loi contre les auteurs de messages haineux diffusés par Internet. Mme Falardeau-Ramsay a précisé que le centre d'activités de ces personnes se trouve souvent à l'extérieur du Canada. Même si elle a inclus M. Zündel dans cette catégorie, elle n'a pas exprimé d'opinion quant à savoir si les données affichées sur le "Zündelsite" contrevenaient au paragraphe 13(1) de la Loi.

[34]Pour remettre les choses davantage en perspective, il est utile de comparer les déclarations faites par Mme Falardeau-Ramsay avec celles de M. Wells qui étaient à l'origine de l'allégation de partialité examinée dans l'affaire Newfoundland Telephone, précitée. Voici ce qu'a dit le juge Cory, aux pages 642 et 643:

Les déclarations faites par M. Wells avant le début de l'enquête, le 19 décembre, ne semblent pas le fait d'un esprit fermé. Par exemple, il n'y a rien à redire à sa déclaration: [traduction] "Alors, je veux que la société soit traduite devant nous"tous ces richards aux grosses pensions"pour qu'ils justifient (ces dépenses) aux yeux du public [. . .] Je crois que les abonnés ont droit à l'assurance de notre intention de ne pas permettre à cette société de se montrer trop prodigue." Elle n'est que l'expression colorée que les salaires et les prestations de retraite paraissaient déraisonnablement élevés. Elle ne révèle pas un esprit fermé. Pas même la déclaration de Wells qu'il tenait ces dépenses pour injustifiables n'est indicative d'un esprit fermé. Si toutefois un commissaire déclarait qu'aucun élément de preuve recueilli au cours de l'enquête ne lui ferait changer d'avis, ce serait là une indication d'un esprit fermé. [Non souligné dans l'original.]

[35]À mon avis, le moins que l'on puisse dire, c'est que les déclarations de Mme Falardeau-Ramsay n'étaient pas plus révélatrices d'un esprit fermé que celles de M. Wells. L'affaire Newfoundland Telephone illustre, de façon frappante, la latitude laissée par les cours exerçant leur pouvoir de contrôle aux membres des tribunaux administratifs qui font, avant qu'une affaire atteigne le stade juridictionnel dans une procédure administrative, des déclarations qui pourraient être considérées comme un préjugement des questions qui seront tranchées ultérieurement.

[36]Dans l'affaire R. v. Pickersgill et al., Ex parte Smith et al. (1970), 14 D.L.R. (3d) 717 (B.R. Man.), la Cour a adopté une attitude tout aussi tolérante en ce qui concerne un discours prononcé par le président de la Commission canadienne des transports avant la tenue d'une audience qu'il a présidée par la suite relativement à la demande d'une compagnie de chemin de fer d'interrompre un service. Bien que le président ait exprimé son opinion sur une question de politique générale qui se rapportait directement à la demande, la Cour a statué que cela ne soulevait pas une crainte raisonnable de partialité.

[37]Troisièmement, le contexte dans lequel les déclarations de Mme Falardeau-Ramsay ont été faites ne permet pas de conclure qu'elle avait probablement un esprit fermé en ce qui concerne le traitement des plaintes ensuite déposées contre M. Zündel. À titre d'exemple, ces discours portaient essentiellement sur des questions générales concernant la réglementation des messages à caractère haineux, en particulier sur l'effet de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Certes, Mme Falardeau-Ramsay a aussi abordé le thème secondaire des messages haineux diffusés sur Internet, mais les passages précis sur lesquels le demandeur a fondé son allégation de partialité ne représentaient qu'une très petite partie de l'ensemble de ces discours.

[38]Qui plus est, les notes de Mme Falardeau-Ramsay indiquent que ses discours étaient réfléchis et instructifs plutôt qu'incendiaires et démagogiques. Ils ont été prononcés devant un auditoire capable de comprendre le point de vue de la vice-présidente sur les questions qu'elle a abordées.

[39]Pour résumer, à mon avis, on entraverait indûment la capacité de la Commission d'assumer ses responsabilités de lutter contre la discrimination en dehors de la procédure de traitement des plaintes si l'on niait à ses membres le droit de faire des discours en pareilles circonstances sans devenir inhabiles à participer ensuite à la décision de déférer une plainte à un tribunal ou de la rejeter.

[40]Dans l'affaire E.A. Manning Ltd. v. Ontario Securities Commission (1995), 23 O.R. (3d) 257 (C.A.), une allégation de partialité a été faite contre M. Waitzer, le président de la Commission, en raison d'un discours qu'il avait prononcé sur une question de politique se rapportant à une affaire qui a été déférée par la suite à un Tribunal de la Commission dont M. Waitzer faisait partie. M. le juge Dubin, juge en chef de l'Ontario, a dit, à la page 271: [traduction] "En formulant les commentaires qui font présentement l'objet d'une plainte, M. Waitzer s'acquittait de son mandat de président de la Commission". Selon moi, cet avis s'applique également à Mme Falardeau-Ramsay et aux commentaires auxquels s'est opposé M. Zündel, d'autant plus que, contrairement à M. Waitzer, Mme Falardeau-Ramsay n'exerçait pas de fonctions juridictionnelles.

    2.    Les questions de fond

[41]Avant de trancher les questions de fond soulevées par M. Zündel quant à savoir si ses activités contrevenaient à l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, je tiens à souligner la réticence de la Cour à intervenir avant qu'un Tribunal canadien des droits de la personne rende une décision. Je me contenterai de citer la décision rendue à cet égard récemment par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, aux pages 137 et 138, dans laquelle le juge Décary, J.C.A. a écrit:

[. . .] on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

[42]Je dois souligner que le moyen invoqué dans Bell Canada pour contester sur le fond la décision de la Commission de déférer la plainte était lié aux faits. Le juge Décary a formulé [à la page 136] ainsi la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission:

    Dans l'exercice de ses fonctions d'examen préalable, la Commission canadienne des droits de la personne n'a qu'à démontrer qu'elle pouvait, à tort ou à raison, en venir à la conclusion qu'il y avait une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. La preuve laissait croire à la possibilité qu'il y ait discrimination et cela suffit à cette étape.

Comme la décision de la Commission n'était pas "manifestement déraisonnable", la Cour n'est pas intervenue.

[43]L'avocat du demandeur a toutefois fait valoir que la réticence de la Cour à intervenir a au motif que le recours serait prématuré n'est pas justifiée lorsque la question en litige est une question de droit faisant appel à l'interprétation d'une disposition de la loi habilitante qui définit la "compétence" du Tribunal. Il s'appuie sur l'arrêt Bell c. Ontario Human Rights Commission , [1971] R.C.S. 756 pour affirmer qu'une cour peut interdire à un tribunal de procéder avant même le début de l'instruction lorsque la question en litige est "une question de droit courte et très simple".

[44]Je ne juge pas cet argument persuasif. Premièrement, l'arrêt Bell ne fait presque plus, sinon plus du tout autorité depuis la révolution du droit applicable au contrôle judiciaire d'un acte administratif amorcée par l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du NouveauBrunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, de la Cour suprême du Canada.

[45]Les cours de justice ne considèrent plus que l'interprétation des dispositions législatives définissant la conduite réglementée est de nature "juridictionnelle" en soi. Même si, en bout de ligne, l'interprétation que le Tribunal a donnée des mots "utiliser un téléphone" donne lieu à l'exercice du contrôle judiciaire selon le critère de la justesse, la Cour qui y procédera voudra bénéficier de la décision réfléchie du Tribunal, répugnera à encourager les contestations à la pièce d'une procédure administrative et fera preuve de retenue à l'égard des conclusions de fait sur lesquelles s'appuient les conclusions de droit du Tribunal.

[46]En outre, le pouvoir de la Commission de déférer une plainte à un Tribunal des droits de la personne comporte un important élément subjectif. Un renvoi est possible en vertu de l'alinéa 44(3)a) [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 24] ou du paragraphe 49(1), dans les cas où la Commission "est convaincue", compte tenu des circonstances, que l'instruction est justifiée. Ces termes indiquent que les décisions de la Commission sont susceptibles de contrôle selon le critère de la rationalité, et non de la justesse.

[47]Deuxièmement, l'interprétation des mots en litige figurant au paragraphe 13(1) ne constitue pas une "pure question de droit", parce qu'elle est liée à la preuve sur la façon dont l'information a été communiquée par l'intermédiaire d'Internet et, en particulier, sur le rôle que joue le système téléphonique quant à l'accès à cette information et à sa transmission. Selon la conception moderne ou fonctionnelle de l'interprétation législative, les questions de droit, de fait et de politique ne peuvent plus être considérées comme entièrement distinctes.

[48]Troisièmement, lorsque l'arrêt Bell c. Ontario Human Rights Commission, précité, a été prononcé, il n'était pas clair pour la Cour (aux pages 769 et 770) que, dans le cas où on l'empêcherait d'engager une procédure de contrôle judiciaire avant l'instruction de la plainte par la commission d'enquête, le demandeur pourrait obtenir réparation après que la commission aurait prononcé sa décision et fait une recommandation quant à la façon dont l'affaire devait être réglée. Bien qu'il n'existe pas de droit d'appel des décisions du Tribunal canadien des droits de la personne, celles-ci sont assujetties au contrôle de la Cour pour les motifs énumérés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)].

[49]En conséquence, je n'annulerais la décision de la Commission et je n'interdirais au Tribunal de continuer à instruire les plaintes formulées contre M. Zündel que si j'étais convaincu que la Commission ne pouvait s'appuyer sur aucun motif rationnel en droit, ni sur aucune preuve pour décider qu'une instruction par un Tribunal est justifiée compte tenu de toutes les circonstances. Tout examen plus approfondi des questions touchant l'interprétation ou l'application de la loi soulevées par M. Zündel devrait selon moi être reporté jusqu'à ce que le Tribunal ait terminé l'instruction et rendu une décision motivée.

[50]Les questions soulevées par M. Zündel mettent en doute le pouvoir légal de la Commission et du Tribunal de réglementer les documents accessibles sur Internet, qui est en voie de devenir rapidement le moyen de communication de masse le plus puissant. Les avantages qu'il y a à attendre que le Tribunal ait rendu une décision motivée sur des questions aussi complexes, inédites et importantes surpassent nettement les coûts qu'occasionnerait à M. Zündel, et aux contribuables, la décision de la Cour de laisser le processus administratif suivre son cours avant d'examiner l'affaire à fond.

        i)  "utiliser un téléphone"

[51]Constitue un acte discriminatoire au sens du paragraphe 13(1) le fait, pour une personne ou un groupe de personnes "d'utiliser ou de faire utiliser un téléphone . . . en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement" pour communiquer des données désignées couramment par l'expression "messages haineux".

[52]L'avocat de M. Zündel a soutenu qu'on ne peut "utiliser un téléphone" pour communiquer des données, et commettre ainsi un acte visé au paragraphe 13(1), que par la transmission de la voix humaine au moyen du téléphone et des fils téléphoniques. Il a invoqué avec insistance les définitions que les dictionnaires donnent des termes "téléphone" et "téléphonique", à l'appui de cette interprétation. Bien que des sons puissent être transmis d'un ordinateur à un autre, les parties ont convenu que seuls des textes et des graphiques étaient accessibles à l'adresse du "Zündelsite".

[53]De plus, a-t-il affirmé, des considérations de politique appuient une interprétation du paragraphe 13(1) qui inclurait les messages entendus au téléphone, mais exclurait les données dont on prend connaissance sur un site Web au moyen d'un ordinateur. Plus particulièrement, les personnes qui ont accès au "Zündelsite" peuvent y trouver des données qui contestent la perspective "révisionniste" de l'holocauste prônée par M. Zündel. En d'autres termes, le "Zündelsite" est un moyen de communication moins puissant qu'un message enregistré sur un répondeur téléphonique, parce qu'il permet aux intéressés de participer activement à un échange de vues et d'avoir accès à toute une variété d'opinions.

[54]L'avocate de Mme Citron soutient, pour sa part, que le terme "téléphone" doit recevoir une interprétation large, qui inclut le réseau Internet, étant donné que la plupart de ses utilisateurs y accèdent en composant un numéro de téléphone et en utilisant un modem branché à une prise téléphonique, et que l'information est transmise sous forme numérique par les fils téléphoniques entre le serveur du "Zündelsite" et l'ordinateur de la personne qui le consulte. Le fait qu'aucun son, et notamment aucune voix humaine, ne soit transmis ne devrait pas être déterminant. Pour un aperçu de l'"architecture technique" du cyberespace, voir Chris Gosnell, "Hate Speech on the Internet: A Question of Context" (1997-98), 23 Queen's L.J. 369, aux pages 372 à 382.

[55]À l'appui de ses prétentions, l'avocate a fait valoir une interprétation plus large du mot anglais "telephonically" figurant dans le Newton's Telecom Dictionary , une source qui ne jouit pas d'une très grande autorité. De plus, elle a souligné que, si on attribuait à ce terme la définition proposée par le défendeur, son utilisation dans la Loi conserverait son utilité parce qu'il exclurait, notamment, la communication par satellite.

[56]Plus important encore, l'avocate a fait valoir le principe selon lequel la législation en matière de droits de la personne est de nature quasi-constitutionnelle et doit, de ce fait, recevoir une interprétation large et libérale. En conséquence, pour combattre le mal auquel l'article 13 vise à remédier, savoir la diffusion de messages haineux, il faut attribuer au paragraphe 13(1) une interprétation qui favorise la réalisation de cet objectif en incluant ce nouveau médium, très puissant, qui fait appel en partie au système téléphonique. Le paragraphe 13(2) exempte expressément de l'application du paragraphe 13(1) les données communiquées par les services d'une entreprise de radiodiffusion. Cette exemption s'explique par le fait que la radiodiffusion est régie par un autre organisme fédéral, à savoir le CRTC.

[57]On ne saurait douter qu'au moment où l'article 13 a été édicté à l'origine, en 1977, il est presque certain que le législateur n'avait pas l'intention d'inclure dans le terme "téléphone" les communications par Internet, ce médium n'étant alors pas couramment accessible au grand public. Toutefois, en attribuant une interprétation progressive, et non statique, à la Loi, une cour pourrait conclure que le terme "téléphone" devrait être interprété en tenant compte à la fois de l'objet général de la loi, énoncé à l'article 2 [mod. par L.C. 1996, ch. 14, art. 1; 1998, ch. 9, art. 9], et de l'évolution de la technologie.

[58]Certes, dans Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, la Cour a refusé d'interpréter l'expression "situation de famille" comme incluant une relation entre deux personnes de même sexe, en grande partie parce qu'à la même époque, une modification visant à inclure l'orientation sexuelle comme motif illicite de discrimination avait été rejetée par la Chambre des communes. Aucun élément de preuve ne laisse cependant croire que le législateur a envisagé l'application de l'article 13 à Internet et décidé de l'écarter.

[59]Bien sûr, les dictionnaires ont encore un rôle à jouer dans l'interprétation du texte des dispositions législatives, plus particulièrement pour ce qui est de déterminer quels sens un mot peut avoir dans la langue courante. Ce rôle perd toutefois de l'importance, car les cours tentent de plus en plus de déterminer le sens d'un texte législatif en accordant un poids accru au contexte de la loi dans laquelle figurent les mots en cause et à l'objet du régime législatif sous-jacent.

[60]En fait, la Cour suprême du Canada a régulièrement privilégié une interprétation large et libérale de la législation en matière de droits de la personne, parce qu'elle en reconnaît la nature quasi-constitutionnelle: voir, par exemple, Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114. Voilà une autre raison importante pour ne plus considérer l'arrêt Bell c. Ontario Human Rights Commission, précité, comme un précédent fiable: en 1970, la Cour accordait au moins autant d'importance aux droits de propriété de l'intimé qu'au droit du requérant de ne pas subir de discrimination, ce dernier droit n'ayant pas acquis, à l'époque, le statut de droit quasi-constitutionnel.

[61]Par conséquent, compte tenu du libellé de la Loi, de la preuve et de la méthode d'interprétation applicable à la législation en matière de droits de la personne, on ne peut affirmer que la position adoptée par la Commission concernant l'interprétation du terme "téléphone" n'a pas de fondement rationnel. Il ne m'appartient pas, dans le cadre de l'instance, de décider si cette position est juste, en droit; cette question relèvera de la Cour qui sera saisie d'une éventuelle demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. Entre-temps, le Tribunal doit pouvoir tirer des conclusions de fait sur les aspects techniques des communications par Internet, à partir de la preuve qui lui est présentée, et donner une interprétation motivée de l'article 13 en tenant compte des arguments des avocats et de sa propre compréhension de l'objet de la Loi.

        ii)  la question de l'extra-territorialité

[62]L'avocat de M. Zündel a soutenu que l'article 13 ne permet pas à la Commission et au Tribunal de réglementer les données affichées sur les sites Web situés à l'extérieur du territoire qui relève de la compétence du Parlement, lorsque la personne qui contrôle la sélection et l'affichage de ces données se trouve également à l'extérieur du Canada. Le fait que les personnes intéressées puissent avoir accès au "Zündelsite" à partir du Canada ne suffit pas, à son avis, pour justifier la portée extra-territoriale que la Commission entend donner à la Loi canadienne sur les droits de la personne .

[63]La thèse des défendeurs et de la Commission sur cette question est simple. Ils ont fait valoir que le paragraphe 13(1) interdit aux personnes qui se trouvent au Canada d'aborder ou de faire aborder des messages haineux. M. Zündel se trouve au Canada et la Commission soutient que, bien qu'il n'ait peut-être pas affiché lui-même des données sur le "Zündelsite", et qu'il soit en fait incapable de le faire pour des raisons techniques, il contrôlait effectivement la sélection des éléments affichés, y compris de nombreux textes dont il est l'auteur et qui ont, dans certains cas, été imprimés à l'origine.

[64]Une preuve a été produite afin de démontrer que le "Zündelsite" relevait de Mme Ingrid Rimland, gestionnaire de sites Web, qui ne partageait pas seulement les points de vue de M. Zündel sur l'holocauste, mais qui a été rémunérée pour ses services. La Commission a affirmé qu'on pouvait inférer des communications entre M. Zündel et Mme Rimland, compte tenu de la nature de leurs rapports et du fait que M. Zündel a parlé de "notre "Zündelsite"", et de "ma gestionnaire de site Web", que M. Zündel exerçait effectivement sur les données que Mme Rimland affichait sur le "Zündelsite" un contrôle assez important pour qu'il soit possible d'affirmer qu'il a fait aborder les données affichées sur le "Zündelsite".

[65]Je retiens la thèse selon laquelle une personne qui se trouve au Canada fait aborder des données au sens de l'article 13 si elle contrôle effectivement le contenu d'un site Web géré à l'extérieur du Canada: voir d'autres passages de Gosnell, précité, aux pages 383 à 387 et 389 à 395.

[66]La question de savoir si M. Zündel a exercé le contrôle requis sur le contenu du "Zündelsite" pour commettre un acte prévu à l'article 13 comporte un aspect factuel très important. La Commission disposait d'une preuve suffisante à cet égard pour lui permettre de conclure qu'une instruction par un Tribunal des droits de la personne était justifiée. Il faut laisser au Tribunal le soin de décider si la preuve produite à l'audition par les parties est suffisante pour établir que M. Zündel a fait communiquer ces données au sens de l'article 13.

        iii)  "faire aborder"

[67]L'avocat de M. Zündel a plaidé qu'il était impossible de conclure qu'il avait contrevenu au paragraphe 13(1) en ayant fait aborder les données affichées sur le site Web visés par les plaintes. Selon cet argument, ce sont les personnes qui ont visité le "Zündelsite" à partir de leurs ordinateurs et qui ont fait apparaître à l'écran les données qu'ils voulaient voir qui ont fait aborder ces données: jusqu'alors, celles-ci n'étaient que conservées dans des fichiers électroniques.

[68]Il s'agit d'un pur sophisme qui ne saurait justifier que la Cour intervienne dans l'instance dont le Tribunal est saisi. L'argument de l'avocat signifierait que la personne qui ferait aborder le contenu du journal du matin serait le lecteur qui ouvre le journal, et non le journaliste qui a rédigé les articles qui y sont publiés et imprimés.

    3.    La mauvaise foi

[69]L'avocat de M. Zündel a fait valoir que les plaintes sont "frivoles, vexatoires ou entachées de mauvaise foi" et que la Commission aurait donc dû les rejeter par application du sous-alinéa 44(3)b )(ii) et de l'alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, plutôt que de les déférer à un Tribunal des droits de la personne en vertu du paragraphe 49(1). Je suis d'avis que la Commission pouvait, en s'appuyant sur la preuve dont elle disposait, être convaincue que les plaintes n'entraient dans aucune de ces catégories.

[70]Le fait que Mme Citron, qui a survécu à l'holocauste, s'oppose farouchement à M. Zündel et à ses points de vue ne signifie pas que la plainte est entachée de mauvaise foi. Et le fait qu'elle n'ait pas réussi à faire condamner M. Zundel au criminel pour ses publications ne signifie pas non plus qu'une plainte déposée devant la Commission sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui n'est pas de nature pénale, est vexatoire.

    4.    La question fondée sur la Charte

[71]Enfin, l'avocat du demandeur a soutenu que si ses autres arguments n'étaient pas retenus, comme c'est effectivement le cas, la décision de la Commission de demander la désignation d'un Tribunal pour instruire les plaintes devait être annulée pour des motifs d'ordre constitutionnel. Il a plaidé que, même si cette décision n'était pas erronée en droit, en regard de l'interprétation juste de l'article 13 de la Loi, cette disposition était invalide parce qu'elle portait atteinte à la liberté d'expression du demandeur protégée par l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[72]Dans l'arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, la Cour a statué que l'article 13 contrevenait à l'alinéa 2b) de la Charte, mais que son application à des messages haineux enregistrés constituait une limite raisonnable au sens de l'article premier. L'avocat de M. Zündel a fait valoir qu'une distinction devait être faite d'avec l'arrêt Taylor et que l'article premier ne pouvait être invoqué avec succès relativement au "Zündelsite".

[73]J'estime qu'il ne convient pas que je tranche cette question dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. La décision contestée est celle de la Commission de demander la désignation d'un Tribunal, et elle ne peut être annulée pour un motif fondé sur la Charte si la Commission n'avait pas compétence pour trancher cette question: Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, aux pages 37 et 38.

[74]La Commission n'a pas le pouvoir légal de se prononcer sur la validité d'une disposition de sa loi habilitante: Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854. Par conséquent, la Cour ne peut annuler la décision de la Commission au motif que le recours à l'article 13 contre M. Zündel relativement aux éléments affichés dans le "Zündelsite" porterait atteinte à la liberté d'expression que lui garantit l'alinéa 2b ) de la Charte, et que cette atteinte n'est pas justifiable en regard de l'article premier.

[75]Selon moi, il est plus approprié que la question de l'application de l'article premier soit tranchée en première instance par le Tribunal, d'autant plus que la défense invoquée par M. Zündel fait appel à d'importants éléments factuels. La décision que rendra le Tribunal relativement à la question fondée sur la Charte, et à toute autre question, pourra être contrôlée par la Cour, qui bénéficiera alors d'un solide dossier sur les faits.

[76]Le Tribunal possède le pouvoir légal implicite de déterminer si la Constitution permet l'application de l'article 13 de la Loi aux faits qui lui sont soumis. Dans l'arrêt Cooper, précité, aux pages 896 et 897, la Cour a décidé seulement que le Tribunal n'avait pas compétence pour se prononcer sur la validité, en vertu de la Charte, d'une restriction légale à la définition d'un acte discriminatoire sur lequel le Tribunal peut tenir une instruction. Cela s'explique du fait que, compte tenu de l'inhabileté de la Commission a rendre pareille décision, le tribunal n'aurait jamais pu exercer cette compétence.

[77]Quoi qu'il en soit, le paragraphe 50(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne a levé tout doute qui aurait autrement pu subsister quant à la compétence de la Commission pour trancher la question fondée sur la Charte soulevée au nom de M. Zündel.

50. [. . .]

(2) Il tranche les questions de droit et les questions de fait dans les affaires dont il est saisi en vertu de la présente partie.

[78]Ce paragraphe a été ajouté à la Loi par des modifications apportées par L.C. 1998, ch. 9, qui ont été édictées en juin 1998, après le début de l'instruction par le Tribunal des plaintes formulées contre M. Zündel. Même si, contrairement à l'avis que j'ai exprimé, le Tribunal n'avait pas compétence avant la modification du paragraphe 50(2) pour trancher la question constitutionnelle soulevée par M. Zündel, elle a maintenant cette compétence: Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, alinéas 44c) et d).

D.    Conclusion

[79]Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les avocats disposent de 14 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour me présenter des observations écrites sur la question des dépens.

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