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[1997] 2 C.F. 176

A-565-96

Le procureur général du Canada (appelant) (défendeur)

c.

Karlheinz Schreiber (intimé) (demandeur)

Répertorié : Schreiber c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone et Linden, J.C.A., juge suppléant Henry—Vancouver, 8 octobre 1996; Ottawa, 12 mars 1997.

Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Fouilles, perquisitions et saisiesLettre de demandeLa norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition doit être respectée avant que l’on puisse présenter aux autorités suisses la lettre de demande les priant de rechercher et de saisir les documents et les dossiers bancaires d’un citoyen canadienLa protection garantie par la Charte aux Canadiens est la même que la fouille, la perquisition ou la saisie soit effectuée au Canada ou à l’étrangerLe droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives justifie l’exigence de l’autorisation préalable.

Justice criminelle et pénale Lettre de demandeLa norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition doit être respectée avant que l’on puisse présenter aux autorités suisses la lettre de demande les priant de rechercher et de saisir les documents et les dossiers d’un citoyen canadienÉtant donné que ces renseignements peuvent être utilisés dans une poursuite pénale au Canada, le demandeur peut invoquer l’art. 8 de la Charte qui lui assure le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusivesL’autorisation préalable assure l’impartialité dans la pondération entre l’attente raisonnable d’un particulier en matière de vie privée et le droit du gouvernement d’assurer l’application de la loi.

Droit international Dans le contexte d’une enquête criminelle sur des pots-de-vin qu’auraient reçus l’intimé et des politiciens de haut niveau, le ministre de la Justice a envoyé une lettre de demande aux autorités suisses les priant de rechercher et de saisir des dossiers bancairesLes autorités ont saisi les dossiers en vertu du droit suisseApplicabilité de l’art. 8 de la CharteLe procureur général fait valoir que la Charte n’a pas d’effet extraterritorialLes lettres de demande sont une méthode reconnue de collaboration entre les États en l’absence de traité d’entraide juridiqueLes principes applicables ne fournissent aucune norme interne devant être suivie par l’État requérantLorsque la lettre de demande est envoyée à un État non hostile, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’on y donne suiteLa Charte n’est pas applicable aux mesures prises par une police étrangèreEn l’espèce, il n’y a pas d’application extraterritoriale de la Charte parce que la lettre de demande n’impose pas de conditions légales canadiennes aux autorités suisses, ce qui entraverait leur souverainetéIl est de plus en plus reconnu que la Charte peut s’appliquer à l’extérieur du Canada dans des circonstances spéciales.

Dans le contexte d’une enquête criminelle sur des pots-de-vin qu’auraient reçus MM. Mulroney, Moores et Schreiber en échange de l’octroi à certaines sociétés de plusieurs contrats lucratifs canadiens, une lettre de demande a été envoyée, au nom du ministre de la Justice et procureur général du Canada, aux autorités suisses les priant, notamment, de remettre au gouvernement canadien les dossiers bancaires de l’intimé tenus à la Schweitzerischer Bankverein Zurich. Antérieurement à la présentation de la lettre de demande, aucun mandat de perquisition ni aucune autre autorisation judiciaire n’ont été obtenus au Canada. En réponse, les dossiers ont été saisis par les autorités suisses agissant en vertu du droit suisse.

L’intimé, un citoyen canadien, fait valoir que les garanties constitutionnelles enchâssées dans la Charte devraient s’appliquer à la lettre de demande. L’avocat du procureur général prétend que le droit à la vie privée en dehors du Canada n’est pas protégé par l’article 8 de la Charte, étant donné que celui-ci n’a habituellement pas d’effet extraterritorial. Les fouilles, perquisitions ou saisies sont le fait des mesures prises par les autorités suisses, agissant en vertu du droit suisse.

La question suivante a été posée à la Section de première instance de la Cour fédérale dans un mémoire spécial : La norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition devait-elle être respectée avant que le ministre de la Justice et procureur général du Canada n’ait présenté aux autorités suisses la lettre de demande les priant de rechercher et de saisir les documents et les dossiers bancaires du demandeur? Le juge de première instance a répondu affirmativement à la question. Il s’agit d’un appel de cette décision.

Jugement (le juge Stone, J.C.A., étant dissident) : l’appel doit être rejeté.

Le juge Linden, J.C.A. : La norme canadienne relative à la délivrance d’un mandat de perquisition se fonde sur le droit « à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». Cette norme a été énoncée par le juge Dickson dans Hunter et autres c. Southam Inc. de la façon suivante : l’existence de motifs raisonnables et probables, établie sous serment, de croire qu’une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvent à l’endroit de la perquisition. La question de savoir si cette norme s’applique à la lettre de demande repose premièrement sur la question de savoir si l’application de la Charte à une demande d’assistance provenant d’un autre pays signifierait qu’une portée extraterritoriale inadmissible serait donnée à la Charte, et deuxièmement sur la question de savoir si la lettre de demande porte atteinte à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Dans les cas où il n’y a pas de traité d’entraide juridique en vigueur, les lettres de demande sont le mode de communication et de coopération reconnu entre les États. Les principes régissant l’acceptation à l’échelle internationale de lettres de demande ne jettent aucune lumière sur les procédures ou les normes internes devant être suivies par l’État requérant.

Les motifs énoncés par le juge des requêtes sont, pour l’essentiel, acceptés. Celui-ci a conclu que l’article 8 de la Charte s’appliquait à la demande de renseignements bancaires se trouvant en Suisse et que la lettre de demande constituait une saisie portant atteinte à l’attente raisonnable quant au respect de la vie privée de l’intimé. Il a statué que ce dernier ne sollicitait pas l’application de la Charte au droit étranger, ni aux activités directes du gouvernement suisse dans l’exécution de sa décision de rechercher et de saisir les dossiers bancaires en question. Il a noté que l’intimé faisait l’objet d’une enquête criminelle canadienne menée par les autorités canadiennes et que les renseignements recherchés pouvaient être utilisés dans une poursuite pénale au Canada. Il a conclu que même si les comptes bancaires au sujet desquels l’intimé fait valoir son droit à la vie privée sont situés en Suisse, ce droit est compromis par la lettre de demande qui émane du Canada. Le juge de première instance a pris d’office connaissance du fait qu’une lettre de demande envoyée à un État qui n’est pas hostile et qui est coopératif n’est pas une simple demande, puisqu’on s’attendait raisonnablement à ce qu’elle soit acceptée et qu’il était probable qu’on lui donnerait suite. Il a suivi le raisonnement selon lequel l’autorisation préalable de toutes les fouilles, perquisitions ou saisies légales est nécessaire pour assurer une pondération impartiale entre le droit à la vie privée d’un particulier et le droit du gouvernement d’assurer l’application de la loi.

La protection assurée par la Charte aux citoyens canadiens contre les intrusions de leur gouvernement devrait être la même que la fouille ou la perquisition soit effectuée au Canada ou à l’étranger même si, de toute évidence, les autres États ne sont pas assujettis à la Charte.

L’article 8 de la Charte

L’objectif de l’article 8 identifié par le juge Dickson dans l’arrêt Hunter est de protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l’État dans leur vie privée. Toutefois, le droit à la vie privée n’est pas absolu. Il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi. Cette appréciation doit se faire au moyen d’un système d’autorisation préalable des fouilles, des perquisitions et des saisies qui vise à prévenir les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu’elles se produisent et qui, réciproquement, ne permet d’intrusion dans la vie privée d’une personne qu’en fonction d’une norme fondée sur des motifs raisonnables et probables, impartialement déterminée.

Le droit à la vie privée doit être protégé même avant toute intrusion réelle. Cela est inhérent à la notion de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

La portée territoriale de l’article 8

La règle applicable indique qu’un État n’a de compétence pour faire appliquer ses lois qu’à l’intérieur de ses propres frontières territoriales. La Charte ne peut s’appliquer lorsque les mesures contestées sont entièrement celles de la police et des autorités de l’immigration étrangères.

Parce que l’intimé ne cherche pas à appliquer la Charte aux activités du gouvernement suisse, il n’y a pas eu d’application extraterritoriale. Il n’y a rien dans l’application de l’article 8 dans la lettre de demande qui imposerait aux autorités suisses répondant à cette lettre de demande une norme juridique canadienne qui entraverait leur souveraineté, ce qui est interdit par le droit international. On peut dire que bien que l’on n’ait rien à gagner en appliquant la Charte à la conduite des autorités suisses, le fait d’obliger les autorités canadiennes à respecter la norme canadienne relative à la délivrance d’un mandat de perquisition lors de l’envoi d’une lettre de demande à des autorités étrangères empêcherait à l’avenir les autorités canadiennes de s’ingérer de façon abusive dans la vie privée des particuliers.

La Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle exige que toutes les demandes de pays étrangers exécutées au Canada se conforment aux normes canadiennes concernant les fouilles, les perquisitions et les saisies légales. Bien que le Canada ne puisse imposer ses propres normes procédurales à d’autres États, il peut s’assurer que le droit à une attente raisonnable en matière de vie privée est protégé quand une fouille ou une perquisition est faite à la demande d’agents canadiens, que ce soit au Canada ou à l’étranger. On reconnaît de plus en plus que, dans des circonstances spéciales, la Charte peut s’appliquer à l’extérieur du Canada. Le fait d’écarter automatiquement l’application de la Charte à l’extérieur du Canada pourrait avoir pour effet de restreindre indûment la protection à laquelle les Canadiens sont en droit de s’attendre en ce qui concerne la violation de leurs droits par nos gouvernements ou leurs mandataires.

La lettre de demande porte atteinte à la protection garantie à l’intimé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives

L’article 8 ne se contente pas de pénaliser ou d’interdire les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives; il interdit également toute ingérence dans la protection garantie à une personne contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. On a porté atteinte à la protection assurée à l’intimé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives parce qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les autorités suisses donnent suite à la demande. Il y avait une attente raisonnable en matière de vie privée pour ce qui concerne les renseignements recherchés (les dossiers bancaires révélant des détails importants et personnels au sujet d’une personne). Il y a eu une évolution fondamentale qui s’est produite dans le droit en matière de fouille, de perquisition et de saisie en ce sens que la garantie de la Constitution à l’encontre des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives protège les personnes et non les lieux.

La manière dont une fouille, une perquisition et une saisie sanctionnée par l’État est menée ne détermine que partiellement sa constitutionnalité. Le processus de déclenchement et d’autorisation est tout aussi important à cet égard. Bien qu’il soit vrai de dire qu’un État ne peut en obliger un autre à se conformer à sa demande, aucun élément de preuve n’établit l’existence d’une raison pour laquelle cette demande serait refusée en l’espèce. Le fait qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’on donne suite à la lettre de demande est suffisant pour entraîner l’application de l’article 8 de la Charte.

Le rôle de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte

Même si les éléments de preuve illégalement obtenus pourraient être exclus aux termes de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la charte, cela n’est pas suffisant. Tout d’abord, ce n’est pas le processus de collecte des éléments de preuve en Suisse qui préoccupe l’intimé dans le présent appel, mais bien le fait que cette procédure a pris naissance au Canada. Deuxièmement, il est essentiel de prévenir les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives plutôt que de les condamner après le fait.

La possibilité de faire appel à des techniques d’enquête admissibles sur le plan constitutionnel pour présenter une lettre de demande

La protection des droits de la personne ne repose pas sur la commodité des moyens à la portée des autorités chargées de l’application de la loi. En outre, il se pourrait fort bien que l’autorisation judiciaire préalable de la demande puisse être obtenue en invoquant le paragraphe 487.01(1) du Code criminel. De toute façon, le spectre de la nécessité d’adopter de nouvelles dispositions législatives ne peut empêcher la Cour de déclarer qu’une conduite non constitutionnelle est effectivement contraire à la Constitution. Il y a eu de nombreux cas dans lesquels des violations de la Charte ont exigé l’adoption de mesures législatives pour remédier à la situation.

L’efficacité amoindrie des enquêtes et des poursuites

Il faut que la Charte soit respectée, même si cela peut causer des inconvénients aux organismes d’application de la loi, ou alourdir leur fardeau. Exiger que les agents canadiens respectent l’article 8 de la Charte avant de faire une demande internationale n’a aucun effet sur leur capacité d’obtenir une assistance internationale efficace, parce que cela n’impose pas de fardeau additionnel à l’État requis.

Le juge Stone, J.C.A. (dissident) : l’appel devrait être accueilli et il faudrait répondre négativement à la question.

La protection de la vie privée ne peut jamais être absolue; elle doit être pondérée en tenant compte des besoins légitimes de la société, notamment, de l’application de la loi. De plus, la question de savoir si la protection offerte par l’article 8 s’applique dépend du contexte particulier dans lequel ce droit est affirmé.

L’article 8 protège-t-il les renseignements contenus dans les dossiers bancaires étrangers?

Dans les arrêts R. c. Terry et R. c. Harrer, la question principale qui se posait était de savoir si l’alinéa 10b) de la Charte trouvait application dans les cas où une ou plusieurs déclarations étaient prises en note par la police d’un pays étranger. La Cour suprême du Canada a décidé que la Charte ne trouvait application ni dans un cas ni dans l’autre parce qu’elle n’avait pas d’application extraterritoriale dans les circonstances. Aucun de ces arrêts, toutefois, n’apporte de réponse concluante à la question à l’étude.

La demande constitue-t-elle une « fouille », une « perquisition » ou une « saisie »?

La présentation de la demande ne constitue pas une fouille, une perquisition ou une saisie des dossiers bancaires permettant d’invoquer la protection offerte par l’article 8. C’est la méthode qu’ont choisie les autorités canadiennes pour procéder, si elles le pouvaient, à une fouille, une perquisition ou une saisie de certains dossiers situés en Suisse. Bien que la demande se soit terminée par une fouille, une perquisition et une saisie de dossiers bancaires en Suisse, cela ne constitue pas en soi, une fouille, une perquisition ou une saisie au Canada. Les mesures gouvernementales visées à l’article 8 sont les « fouilles, perquisitions et saisies abusives ». Le fait que les autorités canadiennes aient présenté la demande et qu’elles se soient raisonnablement attendues à ce que les autorités suisses l’acceptent et y donnent suite ne contribue pas à faire de cette demande le type de mesure gouvernementale prohibée par l’article 8. On aurait tort de mettre l’accent sur le mot « protection » au détriment du reste de l’article 8, lorsque cet article garantit le droit à la protection contre les « fouilles, perquisitions et saisies abusives » par des autorités canadiennes. En l’espèce, les autorités canadiennes n’avaient pas la possibilité d’effectuer une fouille, une perquisition ou une saisie en Suisse, et elles n’ont pas demandé que les autorités suisses procèdent à cette fouille, cette perquisition ou cette saisie en tant que leur mandataire.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8, 10b), 11d),h), 24(2), 32(1).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 121(1), 487(1)d) (mod. par L.R.C. 1985 (1er suppl.), ch. 27, art. 68), 487.01 (édicté par L.C. 1993, ch. 40, art. 15), 487.02 (édicté, idem).

Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, art. 10(1),(3).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5.

Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 30, art. 11(1),(2), 12(1)a),b).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 475.

Traité d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Canada et la Confédération suisse, 7 octobre 1993, [1995] R.T. Can. no 24.

Traité entre les États-Unis et la Confédération suisse sur l’entraide en matière criminelle, 23 janvier 1977, 27 U.S.T. 2019; T.I.A.S. no 8.

JURISPRUDENCE

DECISIONS APPLIQUEES :

Hunter et autres. c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; (1988), 73 Nfld. & P.E.I.R. 13; 55 D.L.R. (4th) 503; 229 A.P.R. 13; 45 C.C.C. (3d) 244; 66 C.R. (3d) 348; 10 M.V.R. (2d) 1; 89 N.R. 249; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; (1990), 65 D.L.R. (4th) 161; 54 C.C.C. (3d) 417; 29 C.P.R. (3d) 97; 76 C.R. (3d) 129; 47 C.R.R. 1; 106 N.R. 161; 39 O.A.C. 161; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; (1995), 130 D.L.R. (4th) 235; [1996] 2 W.W.R. 153; 68 B.C.A.C. 1; 103 C.C.C. (3d) 1; 44 C.R. (4th) 1; 33 C.R.R. (2d) 1; 191 N.R. 1; 112 W.A.C. 1; Colello v. U.S. S.E.C., 908 F.Supp. 738 (C.D. Cal., 1995); Reid v. Covert, 354 U.S. 1 (1957); R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281; (1993), 145 A.R. 104; [1993] 8 W.W.R. 287; 12 Alta. L.R. (3d) 305; 84 C.C.C. (3d) 203; 24 C.R. (4th) 47; 17 C.R.R. (2d) 297; 157 N.R. 321; 55 W.A.C. 104; R. v. Lillico (1994), 92 C.C.C. (3d) 90 (Div. gén. de l’Ont.); R. v. Eddy (T.) (1994), 119 Nfld. & P.E.I.R. 91; 370 A.P.R. 91 (C.S. 1re inst. T.-N.); R. v. Sanchez (1994), 20 O.R. (3d) 468; 93 C.C.C. (3d) 357; 32 C.R. (4th) 269 (Div. gén.); The Schooner Exchange v. M’Faddon & Others (1812), 7 Cranch’s Reports 116; Zingre c. La Reine et al., [1981] 2 R.C.S. 392; (1981), 127 D.L.R. (3d) 223; 10 Man. R. (2d) 62; 61 C.C.C. (2d) 465; 23 C.P.C. 259; 38 N.R. 272; R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3; [1991] 1 W.W.R. 193; (1990), 51 B.C.L.R. (2d) 157; 61 C.C.C. (3d) 207; 1 C.R. (4th) 62; 50 C.R.R. 285; 121 N.R. 285.

DISTINCTION FAITE AVEC :

R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562; (1995), 128 D.L.R. (4th) 98; 64 B.C.A.C. 161; 101 C.C.C. (3d) 193; 42 C.R. (4th) 269; 32 C.R.R. (2d) 273; 186 N.R. 329; 105 W.A.C. 161; R. c. Terry, [1996] 2 R.C.S. 207; (1996), 135 D.L.R. (4th) 214; 76 B.C.A.C. 25; 106 C.C.C. (3d) 508; 48 C.R. (4th) 137; 36 C.R.R. (2d) 21; 197 N.R. 105; 125 W.A.C. 25.

DECISIONS EXAMINEES :

R. v. Filonov (1993), 82 C.C.C. (3d) 516 (Div. gén. de l’Ont.); Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500; (1987), 39 D.L.R. (4th) 18; 33 C.C.C. (3d) 193; 58 C.R. (3d) 1; 28 C.R.R. 280; 76 N.R. 12; 20 O.A.C. 161; Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779; (1991), 84 D.L.R. (4th) 438; 67 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 1; 6 C.R.R. (2d) 193; 129 N.R. 81; United States v Verdugo-Urquidez, 108 L. Ed 2d 222 (1990); Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Brulay v. U.S., 383 F.2d 345 (1967).

DÉCISIONS CITÉES :

R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; (1987), 38 D.L.R. (4th) 508; [1987] 3 W.W.R. 699; 13 B.C.L.R. (2d) 1; 33 C.C.C. (3d) 1; 56 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 122; 74 N.R. 276; U.S. v. Sturman, 951 F.2d 1466 (6th Cir., 1992); United States v. Miller, 425 U.S. 435 (1976); R. v. Cook, [1996] B.C.J. no 2615 (C.A.) (QL); R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; (1990), 68 D.L.R. (4th) 568; 55 C.C.C. (3d) 530; 76 C.R. (3d) 283; 47 C.R.R. 151; [1990] 2 C.T.C. 103; 90 DTC 6243; 106 N.R. 385; 39 O.A.C. 385; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; (1991), 75 O.R. (2d) 388; 71 D.L.R. (4th) 551; 63 C.C.C. (3d) 481; 5 C.R. (4th) 253; 3 C.R.R. (2d) 1; 125 N.R. 1; 47 O.A.C. 81; R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577; (1991), 83 D.L.R. (4th) 193; 66 C.C.C. (3d) 321; 7 C.R. (4th) 117; 6 C.R.R. (2d) 35; 128 N.R. 81; 48 O.A.C. 81; Schreiber c. Canada (Procureur général), [1996] 3 C.F. 947(1re inst.); R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903; [1989] 1 W.W.R. 577; 44 C.C.C. (3d) 513; 67 C.R. (3d) 1; 37 C.R.R. 277; 90 N.R. 173; Katz v. United States, 389 U.S. 347 (1967); R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30; (1990), 71 O.R. (2d) 575; 65 D.L.R. (4th) 240; 53 C.C.C. (3d) 1; 74 C.R. (3d) 281; 45 C.R.R. 278; 103 N.R. 86; 37 O.A.C. 322; R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20; (1994), 110 D.L.R. (4th) 297; 87 C.C.C. (3d) 193; 26 C.R. (4th) 289; 19 C.R.R. (2d) 193; 49 M.V.R. (2d) 161; 162 N.R. 321; 69 O.A.C. 81; R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8; 131 D.L.R. (4th) 654; 69 B.C.A.C. 81; 104 C.C.C. (3d) 23; 45 C.R. (4th) 210; 33 C.R.R. (2d) 248; 191 N.R. 327; 113 W.A.C. 81; R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312; (1996), 202 N.R. 49; R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223; [1993] 8 W.W.R. 257; 35 B.C.A.C. 1; 84 C.C.C. (3d) 173; 24 C.R. (4th) 1; 17 C.R.R. (2d) 269; 159 N.R. 161; 57 W.A.C. 1; R. c. Dersch, [1993] 3 R.C.S. 768; (1993), 33 B.C.A.C. 269; 85 C.C.C. (3d) 1; 25 C.R. (4th) 88; 18 C.R.R. (2d) 87; 48 M.V.R. (2d) 161; 158 N.R. 375; 54 W.A.C. 269; R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297; (1995), 124 D.L.R. (4th) 193; 97 C.C.C. (3d) 450; 38 C.R. (4th) 330; 28 C.R.R. (2d) 189; 181 N.R. 161; 81 O.A.C. 161; Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F. 608 (1983), 8 D.L.R. (4th) 648; 39 C.P.C. 234; 81 C.P.R. (2d) 1; 8 C.R.R. 47; 51 N.R. 1 (C.A.); Barr v. U.S. Dept. of Justice, 819 F.2d 25 (2nd Cir. 1987); Gulf Oil Corporation c. Gulf Canada Ltée et autres, [1980] 2 R.C.S. 39; (1980), 11 D.L.R. (3d) 74; 15 C.P.C. 267; 51 C.P.R. (2d) 1; 31 N.R. 451.

DOCTRINE

Canada. Commission de réforme du droit. Rapport sur les fouilles, les perquisitions et les saisies. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1984.

Hutchison, Scott C. et al. Search and Seizure Law in Canada. Scarborough, Ont. : Carswell, 1993.

LaFave, Wayne R. and Jerold H. Israel. Criminal Procedure, 2nd ed. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1992.

Ogilvie, M. H. « Banker and Customer Revisited » (1986), 65 R. du B. can. 3.

Spinellis, D.D. « Securing Evidence Abroad » dans M. Cherif Bassiouni, éd. International Criminal Law, vol. II. Dobbs Ferry, N.Y. : Transnational Publishers, 1987.

APPEL d’une décision de la Section de première instance ([1996] 3 C.F. 931; (1996), 137 D.L.R. (4th) 582; 108 C.C.C. (3d) 208; 37 C.R.R. (2d) 63) répondant affirmativement à la question de droit suivante : La norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition devait-elle être respectée avant que le ministre de la Justice et procureur général du Canada n’ait présenté aux autorités suisses la lettre de demande les priant de rechercher et de saisir les documents et dossiers bancaires du demandeur? Appel rejeté.

AVOCATS :

S. David Frankel, c.r. pour l’appelant (défendeur).

Robert W. Hladun, c.r., Gary D. Braun pour l’intimé (demandeur).

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant (défendeur).

Hladun & Company, Edmonton, pour l’intimé (demandeur).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. (dissident) : Dans le présent appel, la question consiste à savoir si le juge des requêtes [[1996] 3 C.F. 931 (1re inst.)] a commis une erreur en répondant affirmativement à la question de droit suivante [à la page 936] :

[traduction] La norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition devait-elle être respectée avant que le ministre de la Justice et le [sic] procureur général du Canada n’aient [sic] présenté aux autorités suisses la lettre de demande les priant de rechercher et de saisir les documents et les dossiers bancaires du demandeur?

La réponse se fonde sur une interprétation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], ainsi rédigé :

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

La question précitée a été exposée à la Section de première instance dans un mémoire spécial fondé sur la Règle 475 de la Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] en vue de faire statuer sur cette question pour remplacer l’instruction. L’affaire a été débattue devant la Section de première instance et devant nous en partant du principe que « la norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition » mentionnée dans la question ci-dessus est celle qui a été formulée par le juge Dickson (plus tard juge en chef) dans Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la page 168 :

… l’existence de motifs raisonnables et probables, établie sous serment, de croire qu’une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvent à l’endroit de la perquisition, constitue le critère minimal, compatible avec l’art. 8 de la Charte, qui s’applique à l’autorisation d’une fouille, d’une perquisition ou d’une saisie.

LES FAITS

Les circonstances qui ont mené à l’envoi de la lettre de demande (la demande) aux autorités suisses sont énoncées dans le mémoire spécial. En voici un extrait :

1. En application de la Règle 475 des Règles de la Cour fédérale, les parties conviennent que ce qui suit constitue tous les faits nécessaires au règlement de l’espèce.

Exposé des faits

2. Le demandeur est un citoyen canadien, qui réside tant au Canada qu’en Europe.

3. Le demandeur a des intérêts dans des comptes à la Schweizerischer Bankverein (connue également sous le nom de Swiss Banking Corporation), Paradaplatz 6, Zurich (Suisse).

4. Le 29 septembre 1995, Kimberly Prost, avocate-conseil et directrice du Groupe d’assistance internationale du ministère fédéral de la Justice a, au nom du ministre de la Justice, signé une lettre de demande adressée aux autorités compétentes suisses, sollicitant l’assistance du gouvernement suisse relativement à une enquête criminelle canadienne. Une copie de la lettre de demande est jointe aux présentes sous la pièce « A ».

5. Le gouvernement suisse a reçu et accepté la lettre de demande.

6. En réponse à celle-ci, les autorités suisses, agissant sous le régime du droit suisse, ont ordonné la saisie de documents et de dossiers concernant les comptes susdits du demandeur.

7. Le demandeur a présenté une demande pour contester l’ordonnance suisse, qui a été rejetée par la Cour fédérale suisse le 1er mai 1996. Les documents et les dossiers sont actuellement examinés par le premier procureur fédéral suisse. Si elle décide de les mettre à la disposition des autorités canadiennes, le demandeur peut alors contester cette décision devant les tribunaux suisses.

8. Antérieurement à la présentation de la lettre de demande, aucun mandat de perquisition ni aucune autre autorisation judiciaire, étayés par des dénonciations sous serment, n’ont été obtenus au Canada relativement à la saisie des documents et des dossiers bancaires suisses du demandeur.

9. Les parties conviennent que le règlement de la question de droit suivante tranchera l’espèce :

10. Les parties s’accordent à dire que l’applicabilité et la validité du droit en vertu duquel les autorités suisses ont agi ne se rapportent pas au règlement de cette question.

Par cette demande, l’appelant demandait aux autorités compétentes suisses d’aider le gouvernement du Canada [traduction] « dans une affaire concernant une enquête sur des violations alléguées du droit pénal canadien ». L’appelant assurait les autorités suisses qu’en cas d’enquêtes criminelles similaires [traduction] « le Canada offrira au gouvernement suisse une collaboration réciproque et est tout disposé à aider la Suisse en conformité avec le droit du Canada ». La demande indiquait que la Section des délits commerciaux de la Gendarmerie royale du Canada à Ottawa [traduction] « menait une enquête criminelle concernant des « fraudes envers le gouvernement » visées au paragraphe 121(1) du Code criminel du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-45, et ses modifications » et qu’[traduction] « à l’issue de l’enquête il sera décidé si des accusations seront portées aux termes de l’article précité ». Il est manifeste que cette demande et son contenu sont de la nature de communications privées entre le gouvernement du Canada et les autorités suisses, et que la demande a été envoyée afin de poursuivre une enquête entamée par la GRC au Canada.

Les faits sur lesquels la demande se fonde sont énoncés dans « l’exposé des faits » joint au document. Les faits directement pertinents peuvent être résumés brièvement. L’intimé, qui habite actuellement en Allemagne, est un citoyen canadien. À l’époque pertinente, il était propriétaire d’une société du Liechtenstein portant la dénomination sociale de Kensington Anstalt qui, elle-même, possédait une autre société du Liechtenstein portant la dénomination sociale de International Aircraft Leasing (IAL). En mars 1985, Air Canada, qui était alors une société d’État, a entamé des négociations avec trois fabricants, dont Airbus Industrie de Toulouse (France), en vue de l’achat d’une nouvelle flotte d’avions. Le 7 mars 1985, IAL a signé une entente avec Airbus Industrie prévoyant qu’IAL recevrait des commissions de 2 à 2,5 pour cent sur chaque contrat qu’obtiendrait Airbus Industrie pour la vente d’avions au Canada. Selon la demande, la GRC [traduction] « disposait de renseignements fiables indiquant que ces commissions ont été payées à M. Schreiber » pour être remises à M. Brian Mulroney, ancien Premier ministre du Canada et à M. Frank Moores, lobbyiste canadien indépendant et directeur de CGI Government Consultants International Incorporated [traduction] « afin d’assurer qu’Airbus Industrie obtienne un important contrat avec Air Canada pour la modernisation prévue de sa flotte ». D’après un article tiré d’une revue allemande et une émission diffusée à la télévision de Radio-Canada, datant tous deux de mars 1995, la demande précisait que des commissions sur la vente de chaque appareil avaient été versées par Airbus Industrie au compte d’IAL tenu au Liechtenstein pour être ensuite transférées au compte 18679 d’IAL à la Schweizerischer Bankverein Zurich, à Zurich (Suisse), et que les fonds auraient ensuite été virés aux comptes 34107 et 34117 qu’aurait ouverts M. Moores à la même banque à Zurich [traduction] « en guise de paiement à M. Moores et à M. Mulroney pour leur aide dans l’obtention du contrat ». La demande affirmait également que la GRC croyait que l’intimé et M. Moores [traduction] « avaient conspiré avec M. Mulroney pour obtenir des commissions secrètes visant à assurer à Airbus l’octroi du contrat d’Air Canada pour l’achat des appareils ». La demande indiquait également ce qui suit :

[traduction] Si l’enquête permet de déterminer que ces sommes ont effectivement été versées, la possibilité que soient portées contre … M. SCHREIBER des accusations d’avoir donné une récompense ou un avantage à un fonctionnaire, fondées sur le sous-alinéa 121(1)a)(i), et les alinéas 121(1)b) et 121(1)e) du Code, sera envisagée.

La demande fait référence à deux autres contrats du gouvernement fédéral canadien [traduction] « et affirme que ceux-ci ont donné lieu au paiement de commissions à IAL et qu’une partie de ces commissions sont présumées avoir été versées » à M. Moores et à M. Mulroney. Selon la demande, ces trois cas [traduction] « démontrent la mise en œuvre suivie d’un plan » élaboré par ces trois personnes « pour priver le gouvernement canadien de millions de dollars de fonds publics » entre septembre 1984 et juin 1993.

La partie pertinente de « l’objet de la demande », énoncée dans le même document est rédigée dans les termes suivants :

[traduction] Le gouvernement du Canada demande respectueusement l’aide des autorités compétentes suisses aux fins suivantes :

—   fournir tous les renseignements bancaires disponibles à Schweizerischer Bankverein Zurich, 6 Paradeplatz, Zurich, concernant tous les comptes ouverts au nom de Karlheinz SCHREIBER, Frank MOORES, Brian MULRONEY, International Aircraft Leasing et Kensington Anstalt, ou pour lesquels ils ont une procuration, ou dont ils sont les titulaires bénéficiaires, plus particulièrement les comptes numéros 18679 (M. SCHREIBER), 34107 et 34117 qui seraient tous deux enregistrés au nom de M. MOORES. Nous demandons des copies des fiches signature et d’autres imprimés utilisés pour l’ouverture des comptes, les relevés d’opérations y compris les bordereaux de dépôt, les chèques, les traites, les formules de virement, etc., attestant les mouvements de fonds dans les comptes et toute la correspondance générale entre les clients (M. MULRONEY, M. MOORES et M. SCHREIBER) et la banque, pour la période allant du 4 septembre 1984 à ce jour. Selon nos informations, les directeurs de ces comptes seraient Andre STROBEL et Paul SCHNEIDER.

La demande décrivait également de façon assez détaillée la procédure énoncée dans la Loi sur la preuve au Canada [L.R.C. (1985), ch. C-5] pour [traduction] « le dépôt en preuve de documents devant un tribunal canadien », description qui se termine sur ces mots :

[traduction] Par conséquent, nous demandons en outre que tout document commercial obtenu par suite de cette demande soit accompagné de l’attestation décrite afin de satisfaire aux conditions d’admissibilité en preuve posées par la Loi sur la preuve au Canada.

LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

Le juge des requêtes est d’avis que [à la page 943] « [l]’application de l’article 8 est … la suite inéluctable des activités d’exécution gouvernementales au sein du Canada ». Aux pages 941 à 943 de ses motifs, il déclare ce qui suit :

Le défendeur s’appuie sur les arrêts Terry, précité; Harrer, précité; et Tolofson c. Jensen; Lucas (Tutrice à l’instance de) c. Gagnon, [1994] 3 R.C.S. 1022, qui préconisent un certain nombre d’idées. Particulièrement, le défendeur note que la Cour suprême du Canada, dans les décisions ci-dessus, a insisté sur les principes suivants : un Canadien n’emporte pas avec lui le droit canadien lorsqu’il voyage à l’étranger; les voyageurs en pays étrangers devraient savoir que les officiers de police de divers pays coopèrent les uns avec les autres; les traités d’extradition existent; les éléments de preuve recueillis dans un pays peuvent être utilisés dans un autre, et la pratique de collaboration entre les polices de différents pays ne rend pas le droit d’un pays applicable dans un autre.

Bien que le défendeur s’appuie sur l’arrêt Terry précité, j’estime que cette affaire se distingue clairement de l’espèce. L’affaire Terry était une affaire où l’appelant prétendait que la police étrangère (américaine) était tenue de se conformer à la Charte. Il est clair que l’application de la Charte dans l’affaire Terry aurait été extraterritoriale. Toutefois, en l’espèce, l’application de la Charte n’est pas extraterritoriale. Je n’interprète donc pas l’arrêt Terry comme étant un obstacle à l’application de la Charte en l’espèce.

Dans l’espèce dont la Cour est saisie, le demandeur ne sollicite pas l’application de la Charte au droit étranger, ni aux activités directes du gouvernement suisse dans l’exécution de sa décision de rechercher et de saisir les dossiers bancaires en question. L’application de la Charte cesse clairement là où commence l’océan. Toutefois, la question à aborder en l’espèce est de savoir si la norme requise par l’article 8 de la Charte devrait s’appliquer aux formalités canadiennes relatives aux lettres de demande, antérieurement aux fouilles, aux perquisitions ou aux saisies. Bien entendu, la réponse à cette question ne peut être examinée qu’en notant que Schreiber fait l’objet d’une enquête criminelle canadienne menée par les autorités canadiennes, et que les renseignements recherchés peuvent être utilisés dans une poursuite pénale au Canada, en application du Code Criminel.

À mon avis, appliquer la Charte aux formalités relatives aux lettres de demande au Canada dépend de la question de savoir s’il existe un lien important entre les renseignements demandés dans la lettre de demande et toutes violations alléguées du droit pénal canadien. Le fait que les renseignements demandés et fournis peuvent ne pas devenir des éléments de preuve dans un procès pénal n’est pas, à mon avis, un élément important.

En l’espèce, le défendeur a reconnu qu’on pourrait prendre d’office connaissance du fait que le Canada n’enverrait pas une lettre de demande à un État hostile et peu coopératif. À cet égard, les autorités canadiennes savaient que les autorités suisses saisiraient les dossiers demandés, sous réserve bien entendu du droit suisse. Cela étant, il ne s’agissait pas simplement d’une demande; on s’attendait raisonnablement à ce qu’elle soit acceptée et il était probable qu’on y donnerait suite.

LES QUESTIONS EN LITIGE

L’appelant soulève trois questions subsidiaires. Dans la première, il fait valoir que l’article 8 ne s’applique pas parce que la Charte ne protège tout simplement pas les dossiers bancaires personnels et confidentiels tenus dans un pays étranger et, particulièrement, que la demande que le Canada a envoyée à la Suisse n’a pu entraîner l’application de la Charte. Dans la deuxième question, il prétend que l’application de l’article 8 n’a pu être déclenchée par l’envoi de la demande parce que celle-ci ne constitue ni une « fouille ou une perquisition » ni une « saisie ». Dans la troisième, il soutient que même si l’article 8 s’applique, la procédure de demande ne porte pas atteinte à « l’attente raisonnable en matière de vie privée » de l’intimé et qu’une telle procédure est « raisonnable » sur le plan constitutionnel. Il va sans dire que la question de savoir si, en dehors de la Charte, la norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition devrait être respectée avant qu’une demande de ce genre soit présentée à des autorités étrangères ne se pose pas pour le règlement du présent appel.

ANALYSE

Introduction

Au moment où la demande a été présentée aux autorités suisses, il n’y avait pas de traité d’entraide juridique entre le Canada et la Suisse en vertu du la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 30 qui est entrée en vigueur le 1er octobre 1988. En vertu du paragraphe 11(2) de cette Loi, lorsque le ministre de la Justice autorise la demande d’un État étranger d’effectuer une perquisition, une fouille ou une saisie au Canada, l’autorité compétente canadienne doit « présente[r] une requête ex parte , en vue de la délivrance d’un mandat de perquisition, à un juge de la province où elle croit à la possibilité de trouver des éléments de preuve de l’infraction », et le paragraphe 12(1) autorise la délivrance d’un mandat de perquisition lorsque le juge « est convaincu par les déclarations faites sous serment qu’il existe des motifs raisonnables de croire », notamment, « qu’une infraction qui relève de la compétence de l’État étranger a été commise » et « que des éléments de preuve de l’infraction … seront trouvés dans un bâtiment, contenant ou lieu situé dans la province ». Le 7 octobre 1993, un Traité d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Canada et la Confédération suisse, [1995] R.T. Can. no 24, a été signé, et il est entré en vigueur le 17 novembre 1995, soit quelque sept semaines après que la demande eut été faite aux autorités suisses. L’article 5 de ce traité dispose qu’une demande « est exécutée conformément au droit de l’État requis ». L’« entraide » prévue dans le traité, dont il est question au paragraphe 1(3), comprend « b) la prise de témoignages ou d’autres déclarations » et « c) la remise d’objets, de documents, de dossiers ou d’éléments de preuve, y compris les pièces à conviction ». L’article 29 prévoit que les dispositions du traité « n’affectent pas … d’autres accords ou arrangements, … qui résulterai[ent] d’une pratique bien établie de leurs autorités compétentes ».

L’appelant signale que même si la demande dont il est question en l’espèce a été adressée par un État à un autre en dehors de tout traité conformément aux principes de courtoisie internationale, ce n’est pas le seul moyen auquel peut avoir recours le Canada pour obtenir l’aide d’un pays étranger dans des enquêtes criminelles. La collaboration d’un État étranger peut également être demandée de façon informelle par l’intermédiaire de la police. En outre, une demande officielle—impossible en l’espèce » peut être faite dans certains cas en vertu d’un traité bilatéral d’entraide ou de conventions multilatérales, par exemple en vertu du traité susmentionné entre le Canada et la Suisse qui est entré en vigueur le 17 novembre 1993. Le Canada devra obtenir une autorisation judiciaire avant de présenter une demande à des autorités étrangères si le jugement de première instance est maintenu.

Il ne faut pas minimiser les difficultés auxquelles font face les autorités d’exécution de la loi dans la lutte qu’elles mènent contre le crime, y compris contre le crime international ou transnational. Dans l’ouvrage de M. C. Bassiouni, International Criminal Law, vol. II (Transnational Publishers : Dobbs Ferry, N.Y., 1987), à la page 351, D. D. Spinellis [« Securing Evidence Abroad »] décrit cette difficulté en termes généraux :

[traduction] Les infractions criminelles touchant plus d’un pays ont augmenté au cours des dernières décennies. Le commerce international, le tourisme et la mobilité de la main-d’œuvre sont autant d’éléments qui ont contribué à cette augmentation. Toutefois, ce sont les crimes économiques et le crime organisé à l’échelle internationale qui posent les plus grandes difficultés sur le plan juridique.

Dans l’arrêt R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903, le juge Lamer (plus tard juge en chef) souligne avec force ce qui suit à la page 916 :

Aucune preuve n’est nécessaire pour reconnaître l’omniprésence de l’activité criminelle dans notre société. Si l’on veut vaincre le crime, l’ingéniosité des criminels doit se heurter à celle de la police; au fur et à mesure que les crimes deviennent plus subtils, de même doivent le devenir les méthodes employées pour les dépister.

De nouveau, dans R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, à la page 574, le juge La Forest, au nom de la majorité, rejette l’imposition de règles procédurales nationales aux autorités étrangères qui recueillent des éléments de preuve pouvant être utilisés au Canada parce que cette façon de faire atténuerait l’efficacité de la coopération dans la lutte contre le crime international :

Si nous insistions pour que les autorités étrangères suivent nos procédures internes relativement à l’obtention de la preuve et faisions du respect de ces procédures une condition de l’admissibilité au Canada de la preuve ainsi recueillie, cela ferait obstacle à la coopération qui doit exister entre les services policiers et organismes chargés des poursuites des différents pays du monde.

Le juge des requêtes a tenu compte de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada concernant la portée de la protection offerte par l’article 8, en commençant son analyse par l’arrêt de principe sur la question, c’est-à-dire Hunter, précité. Il sera utile ici, avant d’aborder les questions précises, de dégager certains des principes élaborés par la jurisprudence et sur lesquels s’est appuyé l’intimé. Dans l’arrêt Hunter, précité, le juge Dickson a emprunté l’opinion du juge Stewart de la Cour suprême des États-Unis dans la décision Katz v. United States, 389 U.S. 347 (1967), sur le Quatrième amendement, en affirmant que l’article 8 garantit « une attente raisonnable en matière de vie privée » et, comme le Quatrième amendement, protège « les personnes et non les lieux ». Le juge Dickson [à la page 156] favorise la nécessité d’une « analyse générale qui consiste à examiner le but visé et à interpréter les dispositions particulières d’un document constitutionnel en fonction de ses objectifs plus larges ». Il décrit ainsi le but de la Charte à la page 156 :

Ce but est de garantir et de protéger, dans des limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu’elle enchâsse. Elle vise à empêcher le gouvernement d’agir à l’encontre de ces droits et libertés; elle n’autorise pas en soi le gouvernement à agir.

Ces renseignements fondamentaux énoncés dans Hunter, précité, ont guidé la Cour suprême dans les nombreuses décisions ultérieures qu’elle a rendues en vertu de l’article 8, l’une des premières étant R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, dans laquelle la Cour a confirmé, dans les motifs concurrents du juge La Forest, à la page 427, que l’article « garantit le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives » (non souligné dans l’original). Deux ans plus tard, dans l’arrêt R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, à la page 43, le juge La Forest, au nom de la majorité, a réaffirmé que la vie privée était la valeur première protégée par l’article 8 et a déclaré que « l’esprit de l’art. 8 ne doit pas être restreint par des classifications formalistes étroites ». Dans l’arrêt R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, le juge La Forest, au nom de la majorité, a résumé les enseignements fondamentaux tirés de Hunter, précité, et de Dyment, précité, aux pages 52, 53 et 60, 61 :

Il ressort de l’arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, que, comme les autres droits garantis par la Charte, celui prévu à l’art. 8 doit recevoir une interprétation large et libérale pour que son objectif soit atteint. Et cet objectif, d’après l’arrêt Hunter, consiste à mettre à l’abri des atteintes gouvernementales le droit du citoyen de pouvoir s’attendre raisonnablement au respect de sa vie privée. Or, le besoin de voir respecter sa vie privée peut varier selon la nature de ce qu’on veut protéger, les circonstances de l’ingérence de l’État et l’endroit où celle-ci se produit, et selon les buts de l’ingérence … Les exigences auxquelles il faut satisfaire pour saisir des articles aux fins de l’application du droit criminel sont, elles aussi, sévères. Il n’y a pas à s’en étonner d’ailleurs, car c’est la liberté de l’individu qui est en jeu. En l’absence d’une situation d’urgence, l’obtention de l’autorisation préalable d’un officier de justice s’impose comme condition de la légitimité d’une saisie effectuée aux fins du droit criminel; voir l’arrêt Hunter, précité. Or, l’exigence minimale pour obtenir une telle autorisation est que l’officier de justice soit convaincu qu’il existe des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise et que la fouille ou perquisition permettra d’en faire la preuve. C’est donc dans l’optique de cette exigence sévère et du principe général énoncé dans l’arrêt Hunter, à la page 155 (à savoir que la Charte vise à assurer « la protection constante des droits et libertés individuels »), qu’il convient d’examiner la situation en l’espèce.

Quoi qu’il en soit, la police a saisi de l’information mettant en jeu l’intégrité physique d’un particulier, qui ne pouvait être obtenue initialement qu’avec le consentement de celui-ci ou, par la suite, en vertu d’une loi pour les fins limitées envisagées par cette loi. Voilà en fait la raison d’être fondamentale de la protection qu’accorde l’art. 8; il faut donc se garder de trop insister sur les aspects purement physiques de la saisie. Tant dans l’arrêt Hunter que dans l’arrêt Dyment, notre Cour a souligné que la protection de l’art. 8 est accordée aux personnes et non pas à des lieux ou à des choses. L’article 8 protège d’abord et avant tout le droit à la vie privée des particuliers et doit en conséquence s’interpréter d’une manière qui permet d’atteindre cet objectif. La déclaration suivante tirée de l’arrêt Dyment, aux pp. 429 et 430, est pertinente à ce propos :

Enfin il y a le droit à la vie privée en matière d’information. Cet aspect aussi est fondé sur la notion de dignité et d’intégrité de la personne. Comme l’affirme le groupe d’étude (à la p. 13) : « Cette conception de la vie privée découle du postulat selon lequel l’information de caractère personnel est propre à l’intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l’entend ». Dans la société contemporaine tout spécialement, la conservation de renseignements à notre sujet revêt une importance accrue. Il peut arriver, pour une raison ou pour une autre, que nous voulions divulguer ces renseignements ou que nous soyons forcés de le faire, mais les cas abondent où on se doit de protéger les attentes raisonnables de l’individu que ces renseignements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu’ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués. Tous les paliers de gouvernement ont, ces dernières années, reconnu cela et ont conçu des règles et des règlements en vue de restreindre l’utilisation des données qu’ils recueillent à celle pour laquelle ils le font; voir, par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111. (Je souligne.)

Deux décisions récentes, R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, et R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8, soulignent l’objectif de l’article 8 et l’importance des intérêts qu’il protège. Dans l’arrêt O’Connor, précité, aux pages 485 à 487, le juge L’Heureux-Dubé déclare ce qui suit :

Il est toutefois apparent que la protection de la vie privée ne peut jamais être absolue. Elle doit être pondérée en tenant compte des besoins légitimes de la société. Notre Cour a reconnu qu’un tel processus de pondération repose essentiellement sur l’évaluation de l’attente raisonnable en matière de protection de la vie privée et la pondération de cette attente en regard de la nécessité de l’intervention de l’État : Hunter, précité, aux pp. 159 et 160. Évidemment, plus l’attente raisonnable en matière de protection de la vie privée sera grande et plus les effets préjudiciables découlant de sa violation seront importants, plus l’objectif de l’État ainsi que les effets bénéfiques de cet objectif devront être impératifs afin de justifier toute entrave à ce droit. Voir Dagenais, précité.

Dans l’arrêt R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, bien que dans le contexte de l’art. 8 de la Charte, notre Cour, à la majorité, a identifié un contexte dans lequel le droit à la protection de la vie privée serait généralement soulevé relativement à des documents et à des dossiers (à la p. 293) :

Étant donné les valeurs sous-jacentes de dignité, d’intégrité et d’autonomie qu’il consacre, il est normal que l’art. 8 de la Charte protège un ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l’État. Il pourrait notamment s’agir de renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l’individu. (Je souligne.)

Bien que je préfère ne pas décider aujourd’hui s’il s’agit d’une définition exhaustive du droit à la protection de la vie privée à l’égard de toutes sortes de documents et de dossiers, je suis convaincue sans l’ombre d’un doute que la nature des dossiers privés qui font l’objet du présent pourvoi sont inclus sous cette rubrique. Ces renseignements peuvent, par conséquent, être considérés comme comportant une attente raisonnable qu’ils demeureront privés et donc seront dignes de protection en vertu de l’art. 7 de la Charte.

Toutefois, l’essence de la notion de vie privée est telle que, dès qu’on y a porté atteinte, on peut rarement la regagner dans son intégralité. Pour cette raison, il est d’autant plus important que les attentes raisonnables en matière de vie privée soient protégées au point de divulgation. Comme le juge La Forest le faisait observer dans Dyment, précité, à la p. 430 :

… si le droit à la vie privée de l’individu doit être protégé, nous ne pouvons nous permettre de ne faire valoir ce droit qu’après qu’il a été violé. Cela est inhérent à la notion de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Il faut empêcher les atteintes au droit à la vie privée et, lorsque d’autres exigences de la société l’emportent sur ce droit, il doit y avoir des règles claires qui énoncent les conditions dans lesquelles il peut être enfreint. (Je souligne la dernière phrase.)

Dans l’arrêt Evans, précité, le juge Sopinka, au nom de la majorité, réaffirme le but de l’article 8 dans les mots suivants à la page 16 :

Quel est donc alors le but de l’art. 8 de la Charte? Des arrêts de notre Cour précisent clairement que l’art. 8 a pour objectif fondamental de protéger le droit des particuliers à la vie privée. Comme notre Cour l’a affirmé dans Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 160, l’art. 8 de la Charte a pour but de « protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l’État dans leur vie privée ». De toute évidence, ce n’est que lorsque les attentes raisonnables d’une personne en matière de vie privée sont affectées d’une manière ou d’une autre par une technique d’enquête que l’art. 8 de la Charte entre en jeu. Par conséquent, tout type d’enquête gouvernementale ne constituera pas forcément, sur le plan constitutionnel, une « fouille ou perquisition ». Au contraire, ce n’est que lorsque les enquêtes de l’État empiètent sur un droit raisonnable des particuliers à la vie privée que l’action gouvernementale en cause constitue une « fouille ou perquisition » au sens de l’art. 8.

Comme il a de nouveau été confirmé dans O’Connor, précité, « la protection de la vie privée ne peut jamais être absolue » et « [e]lle doit être pondérée en tenant compte des besoins légitimes de la société ». Parmi ces besoins, comme l’avait reconnu, par exemple, le juge La Forest dans Dyment, précité, à la page 430, mentionnons l’application de la loi. De plus, la question de savoir si la protection offerte par l’article 8 s’applique dépend du contexte particulier dans lequel le droit est affirmé : R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281; R. c. Jacques, [1996] 3 R.S.C. 312. En outre, des circonstances urgentes ou exigeantes peuvent justifier une fouille, une perquisition ou une saisie sans mandat, par exemple, dans le cas des narcotiques : R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223; R. c. Dersch, [1993] 3 R.C.S. 768. Voir également R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297.

C’est donc dans ce contexte que j’aborde la première question.

L’article 8 protège-t-il les renseignements contenus dans les dossiers bancaires étrangers?

Cette question nous oblige à déterminer si la garantie de l’article 8 s’étend aux renseignements contenus dans les dossiers bancaires étrangers dont il est question en l’espèce. L’appelant commence son analyse en signalant que toutes les décisions de la Cour suprême sur lesquelles s’est appuyé le juge des requêtes concernaient des situations applicables à une fouille, une perquisition ou une saisie effectuée au Canada par les autorités canadiennes d’application de la loi. Il ne conteste pas que le droit canadien accorde à un particulier un droit au respect de sa vie privée concernant ses documents bancaires et que, lorsque ces documents se trouvent au Canada, ce droit est protégé par l’article 8 de la Charte, mais il soutient qu’il en va autrement lorsque, comme en l’espèce, les documents sont à l’extérieur du Canada. Il n’y a rien dans le libellé de la Charte, selon lui, qui démontre l’intention des rédacteurs d’étendre son application au-delà des frontières canadiennes. En exigeant qu’il respecte une norme canadienne relativement à la délivrance d’un mandat de perquisition avant de pouvoir adresser sa demande aux autorités suisses, l’appelant prétend que le juge des requêtes a donné à la Charte une application extraterritoriale, allant ainsi à l’encontre des décisions Harrer, précitée, et R. c. Terry, [1996] 2 R.C.S. 207.

En fait, l’appelant prétend que l’arrêt Terry, précité, a déjà réglé la question à l’étude. Bien entendu, il faut remettre cette décision dans son contexte factuel en tenant compte des questions qui ont été décidées. Terry a été accusé de meurtre au premier degré en Colombie-Britannique. Il s’est enfui à Santa Rosa (Californie), où la police locale l’a arrêté conformément à un mandat d’arrestation décerné par une cour de district américaine à la suite d’une demande d’extradition présentée par le Canada. En apprenant l’arrestation de Terry, un agent de la GRC à Prince George (C.-B.) a demandé aux policiers de Santa Rosa de prendre en note toute déclaration que Terry consentirait à faire après l’avoir informé des droits qui lui étaient garantis aux États-Unis. On lui a donc fait une « mise en garde Miranda », après quoi il a fait une déclaration à la police. Au procès, cette déclaration a été jugée admissible et il a été reconnu coupable. La condamnation a été maintenue en appel. La Cour suprême du Canada devait décider si l’omission de la police de Santa Rosa d’informer Terry de son droit à l’assistance d’un avocat au moment de son arrestation constituait une violation de ses droits garantis par l’alinéa 10b) de la Charte. On a fait valoir que la déclaration devait être exclue en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte à cause de la présumée violation de l’alinéa 10b). En statuant qu’il n’y avait pas eu de violation de cet article, le juge McLachlin déclare ceci aux pages 216 et 217 :

La règle générale voulant que le droit criminel d’un État ne soit applicable que sur son territoire s’applique tout particulièrement aux procédures adoptées pour l’appliquer; l’exercice d’une compétence pour appliquer la loi est [traduction] « intrinsèquement territorial » : D. P. O’Connell, International Law (2e éd. 1970), vol. 2, à la p. 603. Comme le juge La Forest l’a écrit dans l’arrêt R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, au par. 15, « le Canada ne peut pas imposer l’application de ses exigences procédurales aux procédures engagées par d’autres États sur leur propre territoire ».

La pratique de la coopération entre les policiers de différents pays ne rend pas les lois d’un pays applicables dans un autre. Les traités bilatéraux d’entraide juridique négociés sous le régime de la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, L.R.C. (1985), ch. 30 (4e suppl.), prévoient que les mesures demandées à l’État qui prête assistance doivent être prises conformément à ses propres lois, et non à celles de l’État requérant : voir, par exemple, le Traité d’entraide juridique en matière pénale entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique, R.T. Can. 1990 no 19, article VII, clause 2. Comme le juge Dilks le fait remarquer dans R. c. Filonov (1993), 82 C.C.C. (3d) 516 (C. Ont. (Div. gén.)), à la p. 520, [traduction] « l’autorité souveraine du Canada se limite à l’envoi de la demande » d’assistance. Par conséquent, si la police de Santa Rosa s’était trouvée, en l’espèce, à répondre à une demande fondée sur un traité, elle n’aurait pas été assujettie à la Charte .

La Charte peut encore moins régir la conduite de policiers étrangers qui coopèrent officieusement avec la police canadienne. La décision personnelle d’un policier ou d’un organisme étranger d’aider la police canadienne ne peut diminuer l’exclusivité de la souveraineté d’un État étranger sur son territoire, où seules ses lois régissent le maintien de l’ordre. Les personnes qui recueillent des éléments de preuve dans un pays étranger sont tenues de respecter les règles de ce pays, et aucune autre règle. Par conséquent, toute enquête fondée sur la collaboration entre des autorités policières canadiennes et américaines sera régie par les lois du pays où l’activité en question se déroule : voir Williams et Castel, Canadian Criminal Law : International and Transnational Aspects (1981), à la p. 320.

Il s’ensuit que la Charte ne s’appliquait pas aux policiers californiens lorsqu’ils détenaient l’appelant. Ils n’étaient assujettis qu’aux lois américaines. Leur conduite ne peut constituer une violation de la Charte. Comme on n’a établi l’existence d’aucune violation de la Charte, la déclaration ne peut être déclarée inadmissible en vertu du par. 24(2) de la Charte : R. c. Shafie (1989), 47 C.C.C. (3d) 27, (C.A. Ont.). [Non souligné dans l’original.]

Elle a également exprimé l’opinion qu’il n’y avait pas de violation « par interprétation » d’un droit garanti par la Charte et qu’il n’était pas inéquitable de traiter la preuve recueillie à l’étranger différemment de la preuve recueillie au Canada. Les voyageurs ne sont pas pour autant laissés à la merci des abus qui peuvent être commis lors d’une collecte d’éléments de preuve à l’étranger. Comme elle l’indique aux pages 218 et 219 :

La première réponse à cet argument est que le par. 24(2) n’est pas une source indépendante de droits garantis par la Charte; il ne constitue qu’un moyen de remédier à leur violation. L’argument revient à plaider que notre Cour devrait, au nom de l’équité, traiter une conduite non régie par la Charte comme si elle constituait une violation « par interprétation » des droits qui y sont protégés. Bref, on nous demande de récrire la Charte. C’est là, à mon avis, une chose que notre Cour ne peut pas et ne devrait pas faire. Il faut présumer que les rédacteurs de la Charte connaissaient le principe de droit international qui, en général, interdit l’application de lois ou de codes de procédure internes à un processus de maintien de l’ordre à l’étranger. Il n’appartient pas à notre Cour d’en élargir ainsi la portée.

La deuxième réponse à cet argument est qu’il n’est pas, en fait, inéquitable de traiter la preuve recueillie à l’étranger différemment de la preuve recueillie au Canada. Les gens devraient raisonnablement s’attendre à être régis par les lois du pays où ils se trouvent, et non pas celles du pays où ils résidaient antérieurement ou dans lequel ils maintiennent leur résidence principale : Harrer, précité, au par. 50; Tolofson, précité. L’argument de l’appelant revient à affirmer qu’un voyageur canadien emporte avec lui les lois canadiennes, ce que dément le principe voulant que tout État ait compétence exclusive sur son territoire quant aux lois qui s’y appliquent.

Le voyageur n’est pas pour autant laissé à la merci des abus qui peuvent être commis lors d’une collecte d’éléments de preuve à l’étranger. Comme notre Cour l’a expliqué dans l’arrêt Harrer, précité, même s’il se peut que le par. 24(2) de la Charte ne puisse pas être invoqué dans ces circonstances, d’autres dispositions peuvent l’être. La Charte garantit à l’accusé un procès équitable : al. 11d). De façon plus générale, la Charte prévoit que la liberté de l’accusé ne peut être limitée que conformément aux principes de justice fondamentale; art. 7. Il se peut bien que l’utilisation d’éléments de preuve recueillis d’une façon abusive viole les principes de justice fondamentale. Par exemple, dans l’arrêt R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, la règle des confessions en common law a été élargie conformément aux principes de justice fondamentale visés à l’art. 7 de la Charte. De même, on a jugé que le principe interdisant l’auto-incrimination était l’un des principes de justice fondamentale évoqués à l’art. 7 : R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, le juge Iacobucci. L’accusé peut invoquer ces principes et d’autres principes de justice fondamentale pour obtenir réparation pour des abus commis à l’étranger lors de la collecte d’éléments de preuve subséquemment déposés contre lui. [Non souligné dans l’original.]

Finalement, le juge McLachlin a rejeté la prétention selon laquelle la déclaration devait être exclue pour des raisons de principe en déclarant ceci aux pages 219 et 220 :

J’examine finalement l’argument de principe de l’appelant. L’appelant fait valoir qu’à moins que les policiers étrangers ne soient « forcés » de se conformer à la Charte , la police canadienne contournera les garanties de la Charte en recueillant des éléments de preuve par l’entremise de policiers étrangers qui sont tenus de respecter des normes procédurales moins strictes. Je ne puis retenir cet argument. Premièrement, c’est la décision du suspect d’aller à l’étranger qui déclenche l’application du droit étranger. Il ne s’agissait donc pas d’une situation qui peut être créée ou manipulée par la police canadienne afin de faciliter la collecte d’éléments de preuve. Deuxièmement, même si la Charte ne s’applique pas à l’étranger, la police canadienne a intérêt à encourager les policiers étrangers qui collaborent avec elle à respecter des normes strictes, afin d’éviter la possibilité que les éléments de preuve recueillis ne soient écartés ou qu’un arrêt des procédures ne soit ordonné pour le motif que l’utilisation de ces éléments violerait les principes de justice fondamentale ou rendrait le procès inéquitable. Enfin, toute tentative de forcer les policiers étrangers à observer le droit canadien serait impossible à mettre en pratique. Les policiers sont assermentés pour faire respecter les lois de leur propre pays, et non celles d’un autre. De plus, le fait que deux ensembles d’obligations juridiques soient simultanément applicables au même corps policier pourrait bien engendrer de la confusion. Il se peut qu’au départ des policiers étrangers enquêtent sur un suspect à la demande de la GRC, mais s’ils ont des motifs de croire qu’il a commis une infraction dans leur propre pays aussi, quelles règles de procédure suivraient-ils alors? Comment un avocat informerait-il l’accusé de ses droits? Comment l’accusé pourrait-il prendre une décision raisonnable sur l’état de ces droits? Les règles régissant la collecte d’éléments de preuve doivent être claires et simples, en plus d’être équitables. La règle générale veut que ce soit le droit du pays où quelqu’un se trouve qui régisse le déroulement du processus de maintien de l’ordre, le tout complété, comme l’exige l’équité, par le droit d’accorder réparation lors du procès. Cette règle offre les meilleurs chances de garantir tant la clarté que l’équité. [Non souligné dans l’original.]

Dans la décision antérieure Harrer, précitée, concernant l’admissibilité au procès d’une déclaration prise à l’extérieur du Canada par une police étrangère, le juge McLachlin, dans des motifs concordants, indiquait à la page 589 :

Harrer, lorsqu’elle se trouve aux États-Unis, doit être considérée comme étant régie par la loi américaine. Non seulement la personne qui se trouve à l’extérieur du Canada ne jouit pas des protections de la Charte, mais encore elle doit être considérée comme ayant accepté les procédures en vigueur dans le pays étranger, pourvu qu’elles entrent dans la catégorie des procédures généralement acceptées dans les pays libres et démocratiques. Lorsque les éléments de preuve ont été obtenus conformément à la loi d’un autre pays, les préoccupations relatives à l’iniquité sont atténuées par le fait que l’accusé s’est soumis au ressort étranger et doit être considéré comme ayant accepté la loi de ce ressort. Au Canada, toute personne a le droit de s’attendre à ce que les autorités se conforment à la Charte; à l’extérieur du Canada, son droit est d’être traité en conformité avec les lois du pays étranger en question : Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022, à la p. 1049, le juge La Forest. Les personnes qui voyagent dans un pays étranger doivent observer les lois de ce pays et reconnaître que ce sont ses lois et ses procédures qui y régiront leur existence. Les voyageurs en pays étranger sont également censés savoir que les officiers de police de divers pays coopèrent les uns avec les autres, qu’il existe des traités d’extradition et que les éléments de preuve recueillis dans un pays peuvent être utilisés dans un autre. Lorsque ces circonstances sont prises en considération, la prétendue iniquité dans la façon dont Harrer a été traitée disparaît. [Non souligné dans l’original.]

Le juge La Forest, au nom de la majorité, a exprimé l’avis que la Charte ne s’appliquait pas dans les circonstances parce que la police étrangère n’agissait pas à titre de mandataire des autorités canadiennes. Il souligne, à la page 570, que ses remarques ne devaient pas être « interprétées comme signifiant que la portée de la Charte est obligatoirement limitée au territoire canadien ».

L’appelant attache beaucoup d’importance aux passages ci-dessus de Terry et de Harrer, précités, et particulièrement aux passages que j’ai soulignés, et fait valoir que ces décisions ont réglé de façon définitive la question à l’étude d’une façon défavorable à l’intimé parce que, au même titre que ces décisions, l’affaire en l’espèce concerne la collecte d’éléments de preuve dans un pays étranger par les autorités de ce pays. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit là d’une appréciation exacte de ce qui a réellement été décidé. La question principale qui se posait dans ces affaires était de savoir si l’alinéa 10b) de la Charte trouvait application dans les cas où une ou plusieurs déclarations étaient recueillies par la police d’un pays étranger. La Cour suprême a décidé que la Charte ne trouvait application ni dans un cas ni dans l’autre parce qu’elle n’avait pas d’application extraterritoriale dans les circonstances. Ainsi, dans l’arrêt Terry, précité, le fait que la collecte d’éléments de preuve aux États-Unis fournis par Terry lui-même pour être utilisés contre lui dans une poursuite criminelle au Canada était le point essentiel de cette décision ressort clairement de certaines remarques formulées par le juge McLachlin, par exemple « un processus de maintien de l’ordre à l’étranger »; « la preuve recueillie à l’étranger »; et « la règle générale … que ce soit le droit du pays où quelqu’un se trouve qui régisse le déroulement du processus de maintien de l’ordre ». Il ne faut pas ignorer ces mots. Même si, dans l’arrêt Terry , précité, la déclaration a été prise par la police étrangère à la demande de la GRC, ce fait ne semble pas avoir fondé d’argument selon lequel la Charte trouvait dès lors application. À mon avis, donc, ni Terri, précité, ni Harrer, précité, n’apporte de réponse concluante à la question à l’étude. Il faut donc examiner la deuxième question, savoir si la demande constitue « une fouille, une perquisition ou une saisie » au sens de l’article 8 de la Charte.

La demande constitue-t-elle « une fouille, une perquisition ou une saisie »?

L’appelant fait valoir que la procédure de demande adoptée en l’espèce ne constitue pas « une fouille, une perquisition ou une saisie » parce qu’il n’aurait pu y avoir au Canada « de fouille, de perquisition ou de saisie » des dossiers bancaires ou des renseignements s’y trouvant par les autorités canadiennes, pour la simple raison que ces documents se trouvent matériellement en Suisse. De toute façon, la « fouille, perquisition ou saisie » ne pouvait avoir lieu dans ce pays qu’après que les autorités suisses eurent accepté la demande, ce à quoi elles n’étaient pas tenues. La simple présentation de la demande, prétend-on, ne contrevient pas à un droit garanti par l’article 8, et il importe peu, comme le juge des requêtes a conclu, que « le Canada n’enverrait pas une lettre de demande à un État hostile et peu coopératif » et que « les autorités canadiennes savaient que les autorités suisses saisiraient les dossiers demandés ». Bref, il n’y a tout simplement pas eu de « fouille, perquisition ou saisie » au Canada auxquelles l’article 8 de la Charte pourrait s’appliquer.

Le juge des requêtes n’a pas traité explicitement de cette question pour décider si l’article 8 trouvait application. Ce qu’il a jugé important, c’est le fait que les renseignements demandés par les autorités canadiennes par l’entremise des autorités suisses seraient utilisés dans une poursuite criminelle contre l’intimé au Canada et qu’il ne s’agissait pas « simplement d’une demande ». Comme il le dit lui-même, en présentant la demande, « les autorités canadiennes savaient que les autorités suisses saisiraient les dossiers demandés, sous réserve bien entendu du droit suisse », et « on s’attendait raisonnablement à ce qu’elle soit acceptée et il était probable qu’on y donnerait suite ». L’intimé appuie cette opinion et ajoute que la demande entraîne l’application de la Charte parce qu’elle « met en marche » le processus de fouille, de perquisition et de saisie en Suisse. L’intimé prétend de plus que la demande était par ailleurs inappropriée parce qu’elle équivaut à des « recherches à l’aveuglette ». Toutefois, à mon avis, cette affirmation ne fait qu’éluder la question de savoir si la demande elle-même représentait une « fouille, une perquisition ou une saisie ». Le fait qu’on pouvait s’attendre à ce que les autorités suisses donnent suite à la demande ne revient sûrement pas à dire que la demande constituait une « fouille, une perquisition ou une saisie » au Canada. En fait, le juge des requêtes a interprété comme suit la question dont il était saisi [à la page 941] : « si la norme requise par l’article 8 de la Charte devrait s’appliquer aux formalités canadiennes relatives aux lettres de demande, antérieurement aux fouilles, aux perquisitions ou aux saisies ». (Non souligné dans l’original.)

La Cour suprême a fourni quelques indications concernant la portée des mots « fouille, perquisition ou saisie » utilisés à l’article 8. Dans l’arrêt Dyment, précité, le juge La Forest déclare à la page 431 qu’« il y a saisie au sens de l’art. 8 lorsque les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement », opinion qu’il a réitérée dans Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, à la page 502. Essentiellement, la même position a été adoptée par les juges Wilson et Sopinka, aux pages 493 et 610, respectivement, qui partageaient aussi l’opinion du juge d’appel Marceau dans Zeigler c. Hunter, [1984] 2 C.F. 608 (C.A.), à la page 630, selon laquelle une saisie « [c]’est l’appropriation par un pouvoir public d’un objet appartenant à une personne contre le gré de cette personne ». Voir également R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, le juge Wilson, à la page 641. Bien entendu, ces définitions doivent s’interpréter en fonction de l’objectif de la Charte, comme le souligne Hunter, précité, et les décisions subséquentes de la Cour suprême du Canada. Ce qui ressort clairement, comme l’ont signalé S. C. Hutchison, J. C. Morton et M. P. Bury, dans leur ouvrage Search and Seizure Law in Canada (Carswell : Scarborough, 1993), à la page 2-5, c’est [traduction] qu’« une mesure gouvernementale constitue une « fouille, une perquisition ou une saisie » si elle porte atteinte à la vie privée d’une personne ». Bien que les mots « fouille ou perquisition » n’aient pas été définis dans la jurisprudence avec autant de précision, ils impliquent, comme le démontre l’arrêt Evans, précité, une certaine forme d’inspection par les autorités gouvernementales. De même, une « fouille ou une perquisition » effectuée pour trouver des renseignements dépend de l’existence d’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée applicable à ces renseignements : voir Plant, précité, le juge Sopinka, aux pages 291 et suivantes. Voir également Dyment, précité, le juge La Forest, aux pages 429 et 430.

L’importance de la demande dans le déroulement du processus qui s’est terminé par la fouille, la perquisition ou la saisie des renseignements contenus dans les dossiers bancaires étrangers ne peut être niée. On peut en effet inférer que sans cette demande les autorités suisses n’auraient pas agi comme elles l’ont fait. Elles ont accepté la demande et elles ont procédé à la perquisition et à la saisie qu’on leur avait demandé de faire. La présentation de la demande ne constitue pas, à mon avis, une fouille, une perquisition ou une saisie des dossiers bancaires permettant d’invoquer la protection offerte par l’article 8. C’est la méthode qu’ont choisie les autorités canadiennes pour procéder, si elles le pouvaient, à une fouille, une perquisition ou une saisie de certains dossiers situés en Suisse. Cette affaire fournit un autre exemple de coopération entre les policiers de différents pays dans des enquêtes sur des activités criminelles présumées ayant une dimension internationale. Bien que la demande se soit terminée par une fouille, une perquisition et une saisie de dossiers bancaires en Suisse, cela ne constitue pas en soi, à mon avis, une fouille, une perquisition ou une saisie au Canada.

L’intimé signale de façon tout à fait appropriée que, comme l’a indiqué le juge La Forest dans Dyment, précité, à la page 430, si le droit à la vie privée d’une personne est protégé « contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives » il est « inhérent à la notion de protection » que nous n’attendions pas de faire valoir ce droit « qu’après qu’il a été violé ». Il poursuit en disant qu’en préparant et en envoyant la demande aux autorités suisses, les autorités canadiennes ont violé des droits qui étaient protégés par l’article 8. Il importe peu, selon lui, de savoir que les autorités canadiennes n’ont en fait joué aucun rôle dans la fouille, la perquisition et la saisie véritables de ses dossiers bancaires en Suisse et que la conduite des autorités suisses à cet égard était entièrement régie par le droit suisse. Je ne puis retenir cet argument. Les décisions de la Cour suprême concernant l’article 8, depuis Hunter, précité, ont clairement établi que la Charte a pour but de restreindre les mesures gouvernementales qui sont incompatibles avec les droits et les libertés qu’elle enchâsse. Dans cette affaire, le juge Dickson déclare à la page 160 que l’article 8 « a pour but de protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l’État dans leur vie privée », opinion qui a été confirmée dans des décisions subséquentes, notamment la décision récente du juge La Forest dans l’arrêt Colarusso , précité, aux pages 52 et 53, et par le juge Sopinka, dans l’arrêt Evans, précité, à la page 16. Les mesures gouvernementales visées à l’article 8 sont « les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ». À mon avis, la demande ne réclamait rien de plus qu’une fouille, une perquisition et une saisie des dossiers bancaires de l’intimé en Suisse par les autorités suisses conformément au droit de ce pays. C’est la seule conduite qui est contestée en l’espèce. Le fait que les autorités canadiennes aient présenté la demande et qu’elles se soient raisonnablement attendues à ce que les autorités suisses l’acceptent et y donnent suite ne contribue pas, à mon avis, à faire de cette demande le type de mesure gouvernementale prohibée par l’article 8. Conclure que l’article 8 s’applique parce que les autorités canadiennes ont envoyé la demande en Suisse même si elles ne pouvaient pas effectuer et n’ont pas effectué la fouille, la perquisition et la saisie, aurait pour effet de déformer le libellé de cette protection importante et de lui donner effet même en l’absence de mesure gouvernementale du type envisagé par l’article. À mon avis, j’aurais tort de mettre l’accent sur le mot « protection » au détriment du reste du texte de l’article 8, lorsque cet article garantit le droit à la protection contre « les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives » par des autorités canadiennes. En l’espèce, selon mon interprétation des faits, les autorités canadiennes n’avaient pas la possibilité d’effectuer une fouille, une perquisition ou une saisie en Suisse, et elles n’ont pas demandé que les autorités suisses procèdent à cette fouille, cette perquisition ou cette saisie en tant que leur mandataire.

La Cour ne veut pas laisser entendre que tous les éléments de preuve recueillis par les autorités suisses en réponse à la demande pourraient automatiquement être utilisés dans toute poursuite criminelle contre l’intimé au Canada étant donné que, comme l’arrêt Terry, précité, le démontre, tout abus perpétré dans la collecte de ces éléments de preuve pourrait justifier leur exclusion si cet abus portait atteinte à l’équité du procès. La Cour ne veut pas non plus laisser entendre qu’en dehors de la Charte la norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition ne pourrait pas, en théorie, par suite d’une modification quelconque de la pratique actuelle, s’appliquer à cette procédure de demande au Canada. Toutefois, je ne vois pas comment cette possibilité peut aider l’argument de l’intimé selon lequel la Charte impose effectivement le respect de cette norme, ce qui est la seule question dont la Cour est saisie dans le cadre du présent appel.

Compte tenu de la conclusion précitée, il n’est pas nécessaire de traiter de la troisième question dont la Cour est saisie. Il n’est pas non plus nécessaire d’aborder la dernière question qui aurait été posée si j’avais décidé de rejeter l’appel, c’est-à-dire de savoir si et à quelles conditions le jugement de la présente Cour pourrait être suspendu afin de donner à l’appelant le temps de présenter une demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Une ordonnance de la Section de première instance en date du 15 août 1996 [[1996] 3 C.F. 947 a suspendu l’effet du jugement en attendant le règlement du présent appel selon plusieurs conditions, notamment la demande de l’appelant pour que les autorités suisses ne [traduction] « donnent aucune autre suite à la lettre de demande … ayant trait, notamment, aux dossiers bancaires » de l’intimé.

DISPOSITIF

Je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens, d’annuler le jugement de la Section de première instance et de répondre négativement à la question posée dans le mémoire spécial.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. : La question de droit qu’il faut trancher dans le présent appel, acceptée par les parties aux termes de la Règle 475[1], est formulée dans les termes suivants :

La norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition devait-elle être respectée avant que le ministre de la Justice et le [sic] procureur général du Canada n’aient [sic] présenté aux autorités suisses la lettre de demande les priant de rechercher et de saisir les documents et les dossiers bancaires du demandeur?

Le 29 septembre 1995, une lettre de demande a été envoyée, au nom du ministre de la Justice et du procureur général du Canada, aux autorités compétentes de Suisse (les autorités suisses) requérant leur assistance pour mener une enquête sur une allégation d’infraction criminelle contraire au paragraphe 121(1) du Code criminel du Canada[2]. Les faits fournis aux autorités suisses dans la lettre de demande comme fondement à l’enquête criminelle font état [traduction] « de la mise en œuvre suivie d’un plan élaboré par M. Mulroney, M. Moores et M. Schreiber pour priver le gouvernement canadien de millions de dollars de fonds publics depuis l’entrée en fonction de M. Mulroney en septembre 1984 jusqu’à son départ en juin 1993 »[3]. Cette allégation portait sur le paiement possible de fonds à M. Moores et à M. Mulroney en vue d’assurer à certaines sociétés l’octroi de plusieurs contrats lucratifs canadiens. La lettre demandait notamment aux autorités suisses de remettre au gouvernement canadien tous les renseignements bancaires disponibles à la Schweizerischer Bankverein Zurich (la Swiss Banking Corporation) sur Karlheinz Schreiber, Frank Moores, Brian Mulroney, International Aircraft Leasing et Kensington Anstalt. La lettre demandait de plus que [traduction] « tout document commercial obtenu par suite de cette demande soit accompagné de l’attestation décrite afin de satisfaire aux conditions d’admissibilité en preuve posées par la Loi sur la preuve au Canada ».

En réponse à la lettre de demande, les autorités suisses ont délivré une ordonnance pour faire saisir les documents demandés, qui sont maintenant en possession du premier procureur fédéral suisse, en attendant le règlement du présent litige. Selon l’exposé conjoint des faits préparé par les parties, « [a]ntérieurement à la présentation de la lettre de demande, aucun mandat de perquisition ni aucune autre autorisation judiciaire, étayés par des dénonciations sous serment, n’ont été obtenus au Canada relativement à la saisie des documents et des dossiers bancaires suisses du demandeur ». Autrement dit, étant donné que la perquisition proposée devait être faite à l’étranger, la procédure habituelle pour les fouilles et les perquisitions au Canada, procédure qui est assujettie à la Charte canadienne des droits et libertés[4], n’a pas été suivie.

Le demandeur et intimé dans le présent appel, Karlheinz Schreiber, l’une des personnes mentionnées dans la lettre de demande, est un citoyen canadien qui réside tant au Canada qu’en Europe. Il est également propriétaire d’International Aircraft Leasing et de Kensington Anstalt. Par l’entremise de son avocat, il fait valoir que les garanties constitutionnelles enchâssées dans la Charte devraient s’appliquer à la lettre de demande. L’avocat du ministère public prétend que, comme il s’agit d’une demande de fouille ou de perquisition à effectuer à l’étranger, cette demande n’est pas régie par la Charte, qui ne s’applique qu’aux fouilles et aux perquisitions effectuées au Canada.

Les questions en litige

La question dont est saisie la Cour exige une analyse de l’article 8 de la Charte, qui constitutionnalise une norme minimale à respecter dans le cas des fouilles, des perquisitions et des saisies effectuées par le gouvernement. L’article 8 est ainsi rédigé :

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

La norme canadienne relative à la délivrance d’un mandat de perquisition, qui a été mentionnée dans la question à l’étude, se fonde sur le droit « à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». La norme a été énoncée par le juge Dickson, plus tard juge en chef, dans Hunter et al. c. Southam Inc. de la façon suivante : « l’existence de motifs raisonnables et probables, établie sous serment, de croire qu’une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvent à l’endroit de la perquisition »[5]. La question de savoir si cette norme s’applique à la lettre de demande repose sur deux points principaux : premièrement, l’application de la Charte à une demande d’assistance provenant d’un autre pays signifierait-elle qu’une portée extraterritoriale inadmissible serait donnée à la Charte; et deuxièmement, la lettre de demande porte-t-elle atteinte au droit de l’intimé à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives?

La Cour n’a pas à se prononcer sur la question de savoir si la fouille, la perquisition ou la saisie que se propose d’effectuer le gouvernement respecterait en fait la norme canadienne relative à la délivrance d’un mandat de perquisition. La question dans le présent appel ne consiste qu’à savoir si la norme canadienne relative à la délivrance d’un mandat de perquisition « devait être respectée » et l’appelant n’a délibérément produit aucun élément de preuve pour déterminer s’il existait des « motifs raisonnables » à l’envoi de la lettre de demande. La conduite des autorités suisses dans la réponse à la lettre de demande n’est pas non plus contestée dans le présent appel. Les parties s’accordent en fait à dire que « l’applicabilité et la validité du droit en vertu duquel les autorités suisses ont agi ne se rapportent pas au règlement de cette question ». Les mesures prises par les agents canadiens pour l’envoi de la lettre de demande sont les seules qui sont à l’étude en l’espèce.

Au moment de l’envoi de la lettre de demande, il n’y avait pas de traité entre le Canada et la Suisse concernant les demandes internationales d’entraide juridique[6].

Dans les cas où il n’y a pas de traité d’entraide juridique en vigueur, les lettres de demande sont, en vertu du droit international, le mode de communication et de coopération reconnu entre les États. D. D. Spinellis décrit les formalités internationales habituellement suivies dans l’envoi de lettres de ce genre[7] :

[traduction] La demande doit avoir pour objet de recueillir les éléments de preuve demandés. Elle est motivée par les circonstances qui rendent nécessaires la collecte d’éléments de preuve sur le territoire de l’État requis. Il convient de noter qu’avant de demander cette assistance judiciaire, l’État requérant doit avoir des soupçons suffisants liant la personne concernée à l’infraction. Les mesures demandées doivent avoir pour but de corroborer les soupçons entretenus à l’égard d’un contrevenant identifié relativement à des circonstances clairement décrites. La demande doit se fonder sur des éléments de preuve déjà existants et ne peut servir à décider s’il existe des motifs quelconques de soupçonner une personne ou s’il existe des éléments de preuve.

On notera qu’il suffit d’avoir des « soupçons » pour avoir recours à ces demandes internationales. Ces principes régissent l’acceptation à l’échelle internationale de la lettre de demande mais ils ne jettent aucune lumière sur les procédures ou les normes internes devant être suivies par l’État requérant. D’où la difficulté devant laquelle se trouve la Cour.

Le 17 novembre 1995, plusieurs semaines après que la lettre de demande eut été envoyée aux autorités suisses conformément à la coutume internationale, le Traité d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Canada et la Confédération suisse[8] est entré en vigueur. L’article premier du Traité établit une obligation réciproque d’accorder l’entraide relativement à un large éventail de mesures ayant trait aux enquêtes et aux procédures judiciaires relatives à des infractions criminelles, énumérées au paragraphe 1(3), notamment la prise de témoignages ou d’autres déclarations et la remise de documents et dossiers. Ce qui est plus important, l’article 5 dispose qu’une « demande est exécutée conformément au droit de l’État requis ».

La réglementation des demandes d’entraide internationales par l’adoption de traités comme celui qui existe maintenant entre le Canada et la Suisse impose certaines obligations aux signataires. Au Canada, ces obligations découlant des traités sont appliquées conformément à la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle[9], qui est en vigueur au Canada depuis le 1er octobre 1988. Le paragraphe 11(2) de la Loi dispose qu’une fois qu’une demande présentée par un État étranger en vue d’une fouille, d’une perquisition ou d’une saisie a été autorisée par le ministre de la Justice, une autorité compétente au Canada « présente une requête ex parte, en vue de la délivrance d’un mandat de perquisition, à un juge de la province où elle croit à la possibilité de trouver des éléments de preuve de l’infraction ». L’article 12 de la Loi dispose que le mandat de perquisition peut être délivré lorsque des déclarations faites sous serment établissent qu’il existe des motifs raisonnables et probables de croire qu’une « infraction qui relève de la compétence de l’État étranger a été commise » et que des éléments de preuve ou des renseignements au sujet de l’infraction « seront trouvés dans un bâtiment, contenant ou lieu situé dans la province ».

Par conséquent, les personnes qui font l’objet d’une enquête menée par un État étranger qui demande l’aide des autorités canadiennes pourront pleinement se prévaloir de la norme canadienne relative à la délivrance d’un mandat de perquisition. Toutefois, ni le Traité ni la Loi ne traitent de la question exacte qui est posée à la Cour, c’est-à-dire de savoir si les autorités canadiennes devraient être tenues de suivre la norme canadienne quand elles demandent que des fouilles, des perquisitions ou des saisies soient effectuées à l’étranger.

La décision du juge des requêtes

Le juge Wetston, juge des requêtes, a répondu affirmativement à la question soulevée dans le présent appel. Il a tout d’abord conclu que l’article 8 de la Charte s’appliquait à la demande de renseignements bancaires se trouvant en Suisse et, deuxièmement, que la lettre de demande constituait une saisie portant atteinte à l’attente raisonnable quant au respect de la vie privée de l’intimé. Il a établi une distinction entre l’espèce et R. c. Terry[10] et R. c. Harrer[11], dans lesquels la Cour suprême a affirmé le principe bien établi selon lequel la Charte ne peut s’appliquer au-delà des limites territoriales canadiennes, au motif que l’application de la Charte en pareil cas ne serait pas extraterritoriale. D’après le raisonnement du juge des requêtes en l’espèce, [à la page 941] « le demandeur ne sollicite pas l’application de la Charte au droit étranger, ni aux activités directes du gouvernement suisse dans l’exécution de sa décision de rechercher et de saisir les dossiers bancaires en question ». Le demandeur [aux pages 941 et 942] « fait l’objet d’une enquête criminelle canadienne menée par les autorités canadiennes, et … les renseignements recherchés peuvent être utilisés dans une poursuite pénale au Canada, en application du Code criminel ».

Reconnaissant que le droit d’un particulier au respect de sa vie privée est au cœur de la protection offerte par l’article 8, le juge des requêtes a conclu que même si les comptes bancaires au sujet desquels le demandeur fait valoir son droit à la vie privée sont situés en Suisse, ce droit est compromis par la lettre de demande qui émane du Canada. Il indique ce qui suit [aux pages 943 et 944] :

Je ne laisse pas entendre que la protection prévue par la Charte voyage avec le demandeur. L’application de l’article 8 est plutôt la suite inéluctable des activités d’exécution gouvernementales au sein du Canada. Cela étant, je ne suis pas d’accord pour dire qu’en l’espèce, le lieu de la fouille, de la perquisition ou de la saisie tranche la question de l’application de l’article 8 de la Charte.

Sur la question de savoir si la lettre de demande engage la protection garantie par l’article 8, le juge des requêtes a pris d’office connaissance du fait qu’une lettre de demande envoyée à un État qui n’est pas hostile et qui est coopératif n’est pas [à la page 943] « simplement une demande ». Au contraire, « on s’attendait raisonnablement à ce qu’elle soit acceptée et il était probable qu’on y donnerait suite ». Malgré sa conclusion qu’il n’existe pas, dans l’état actuel du droit canadien, une procédure d’octroi de l’autorisation préalable d’une telle lettre, le juge des requêtes a affirmé que l’autorisation préalable de toutes les fouilles, perquisitions ou saisies légales est nécessaire pour assurer une pondération impartiale entre le droit à la vie privée d’un particulier et le droit du gouvernement d’assurer l’application de la loi.

Pour l’essentiel, je suis d’accord avec les motifs du juge des requêtes. Ils font état de l’iniquité que suscite l’affirmation selon laquelle il n’est pas nécessaire que soient respectées les exigences constitutionnelles pour assurer la validité d’une fouille, d’une perquisition ou d’une saisie à l’encontre d’un Canadien simplement parce que celle-ci doit être effectuée à l’étranger. L’atteinte au droit d’une personne à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives n’est pas moindre quand la fouille ou la perquisition physique est effectuée par les autorités suisses. Par conséquent, à mon avis, la protection assurée par la Charte aux citoyens canadiens contre les intrusions de leur gouvernement devrait être la même que la fouille ou la perquisition soit effectuée au Canada ou à l’étranger, même si de toute évidence, les autres États ne sont pas assujettis à notre Charte.

Analyse

Le libellé de l’article 8 en lui-même donne très peu d’éléments qui nous permettent de dégager l’objectif et la portée du droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. La démarche qu’il convient d’adopter dans l’application de cette garantie constitutionnelle a été énoncée par le juge Dickson dans Hunter, qui est le point de départ de l’analyse portant sur la question en appel. La question en litige dans Hunter était de savoir si une disposition de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions[12], qui accordait de larges pouvoirs de fouille, de perquisition et de saisie au directeur des enquêtes et recherches et à ses représentants dans le cours d’une enquête, était compatible avec l’article 8 de la Charte. Le juge Dickson a adopté une méthode d’interprétation axée sur le but visé par l’article 8 qui exige que la constitutionnalité d’une fouille, d’une perquisition ou d’une saisie soit appréciée en fonction de « l’effet « raisonnable » ou « abusif » sur l’objet de la fouille, de la perquisition ou de la saisie et non simplement en fonction de sa rationalité dans la poursuite de quelque objectif gouvernemental valable »[13]. En outre, cela exige que cette appréciation soit faite en fonction de l’objectif de la garantie, en d’autres termes, il faut délimiter « la nature des droits qu’il vise à protéger[14] ». L’objectif de l’article 8 identifié par le juge Dickson est de protéger les particuliers « contre les intrusions injustifiées de l’État dans leur vie privée »[15].

Après Hunter, le juge La Forest a élaboré sur la relation entre la protection de la vie privée, l’individu et la société démocratique dans R. c. Dyment[16] :

Fondée sur l’autonomie morale et physique de la personne, la notion de vie privée est essentielle à son bien-être. Ne serait-ce que pour cette raison, elle mériterait une protection constitutionnelle, mais elle revêt aussi une importance capitale sur le plan de l’ordre public. L’interdiction qui est faite au gouvernement de s’intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l’essence même de l’État démocratique.

Au vu de ce rôle critique, le juge La Forest a réitéré ce qui suit dans Dyment[17] :

[Le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives] … doit recevoir une interprétation large et libérale, de manière à garantir au citoyen le droit d’être protégé contre les atteintes du gouvernement à ses attentes raisonnables en matière de vie privée. Son esprit ne doit pas être restreint par des classifications formalistes étroites, fondées sur des notions de propriété ou du même genre, qui ont servi autrefois à protéger cette valeur humaine fondamentale.

L’importance de donner à la protection prévue à l’article 8 son plein effet est encore plus grande dans le cadre d’une enquête criminelle, comme en l’espèce. La raison d’être d’une protection accrue dans un contexte de droit criminel a été formulée de façon fort éloquente par le juge La Forest dans Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce)[18] :

Pour des raisons qui relèvent du fondement même de nos traditions juridiques, on comprend généralement que les attentes du citoyen sont très grandes quant au respect de son droit à la vie privée dans le cadre de ces enquêtes. Le soupçon qui pèse sur les personnes qui font l’objet d’une enquête criminelle peut compromettre sérieusement et peut-être même de façon permanente leur statut dans la collectivité. Cet aspect à lui seul permettrait au citoyen de s’attendre à ce qu’on porte atteinte à son droit à la vie privée seulement lorsque l’État a démontré qu’il a des motifs sérieux de soupçonner qu’il est coupable. Cette attente est renforcée par le rôle central de la présomption d’innocence dans notre droit criminel. Les stigmates inhérents aux enquêtes criminelles exigent que ceux qui n’ont commis aucun délit soient protégés contre l’exercice excessif ou téméraire des pouvoirs de fouille, de perquisition et de saisie que détiennent les responsables de l’application du droit criminel.

Cependant, le droit à la vie privée n’est pas absolu. L’article 8 protège les particuliers uniquement lorsque l’État porte atteinte de façon « injustifiée » à leur attente en matière de vie privée. Pour décider si une telle intrusion est « injustifiée », il faut apprécier « si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi »[19]. Selon le juge Dickson, cette appréciation doit se faire au moyen d’un système d’autorisation préalable des fouilles, des perquisitions et des saisies qui vise à prévenir les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu’elles ne se produisent et qui, réciproquement, ne permet d’intrusion dans la vie privée d’une personne qu’en fonction d’une norme fondée sur des motifs raisonnables et probables, impartialement déterminée[20].

L’exigence d’une autorisation préalable, qui prend habituellement la forme d’un mandat valide, a toujours été la condition préalable d’une fouille, d’une perquisition et d’une saisie valides sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une telle exigence impose à l’État l’obligation de démontrer la supériorité de son droit par rapport à celui du particulier. Comme telle, elle est conforme à l’esprit apparent de la Charte qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des particuliers de ne pas subir l’ingérence de l’État au droit de ce dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.

Cette fonction d’autorisation préalable doit être exercée, selon le juge Dickson, par une personne qui est « au moins … en mesure d’agir de façon judiciaire »[21]. Cette condition d’autorisation préalable crée l’équivalent d’une présomption constitutionnelle selon laquelle une fouille ou une perquisition sans mandat n’est pas raisonnable, et qui est le pivot de la garantie enchâssée à l’article 8[22].

Le droit à la vie privée doit être protégé même avant toute intrusion réelle. Comme l’indique le juge La Forest dans Dyment : « si le droit à la vie privée de l’individu doit être protégé, nous ne pouvons nous permettre de ne faire valoir ce droit qu’après qu’il a été violé. Cela est inhérent à la notion de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives »[23]. Récemment, le juge L’HeureuxDubé a fait écho à cette logique dans l’arrêt R. c. O’Connor en déclarant que « l’essence de la notion de vie privée est telle que, dès qu’on y a porté atteinte, on peut rarement la regagner dans son intégralité. Pour cette raison, il est d’autant plus important que les attentes raisonnables en matière de vie privée soient protégées au point de divulgation »[24].

Le message contenu dans ces déclarations est clair. Le droit à la vie privée est protégé avant toute fouille ou perquisition physique, c’est-à-dire dès que les mesures gouvernementales menacent la protection du droit d’une personne à la vie privée. Cependant, il est rare que l’on puisse s’opposer à l’intrusion du gouvernement avant que la fouille ou la perquisition ait lieu parce que les mandats de perquisition sont habituellement obtenus ex parte, ce qui est essentiel à leur efficacité. De même, les lettres de demande sont envoyées sous le sceau de la confidentialité et sont rarement rendues publiques avant que la fouille, la perquisition ou la saisie ait eu lieu. Cela ne signifie pas toutefois qu’une fouille ou une perquisition doive être exécutée avant que l’autorisation elle-même ne puisse être contestée; cette contestation juridique peut être entreprise avant ou après que la fouille ou la perquisition a eu lieu.

a) La portée territoriale de l’article 8

On ne peut s’interroger sur l’effet de la lettre de demande sur l’attente raisonnable de l’intimé en matière de vie privée tant que la portée territoriale de la Charte n’a pas été définie.

Bien qu’elle n’ait pas encore traité précisément de la question soulevée dans le présent appel, la Cour suprême a examiné la portée territoriale de la Charte dans de nombreux contextes. Dans l’arrêt Terry, elle dit qu’il existe une « règle bien établie selon laquelle un État n’a de compétence pour faire appliquer ses lois qu’à l’intérieur de ses propres frontières territoriales »[25]. Dans l’affaire Terry, l’appelant avait été accusé de meurtre au premier degré au Canada et s’était enfui aux États-Unis. Il a été arrêté en Californie en vertu d’un mandat américain par suite d’une demande d’extradition présentée par les autorités canadiennes. Après son arrestation, la police de Californie a informé la GRC, qui lui a alors demandé de recueillir toute déclaration que Terry consentirait à faire. Ce n’est qu’à ce moment que la police de Californie a fait à Terry une « mise en garde Miranda » et a pris sa déclaration[26].

Cette déclaration a été admise en preuve au procès. La question dont était saisie la Cour suprême était de savoir si la déclaration aurait dû être exclue en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte parce que la police de Californie n’avait pas informé Terry de son droit à l’assistance d’un avocat au moment de son arrestation contrairement à l’alinéa 10b) de la Charte.

S’exprimant au nom de la Cour, le juge McLachlin a statué que la déclaration était admissible en preuve parce que les mesures prises par la police de Californie ne pouvaient entraîner une violation de la Charte. Exclure la déclaration prise par la police de Californie aux termes du paragraphe 24(2) équivaudrait à donner à la Charte l’effet de « régir la conduite de policiers étrangers qui coopèrent officieusement avec la police canadienne »[27]. Le juge McLachlin élabore un peu plus sur ce point[28] :

La décision personnelle d’un policier ou d’un organisme étranger d’aider la police canadienne ne peut diminuer l’exclusivité de la souveraineté d’un État étranger sur son territoire, où seules ses lois régissent le maintien de l’ordre. Les personnes qui recueillent des éléments de preuve dans un pays étranger sont tenues de respecter les règles de ce pays, et aucune autre règle.

L’application de la Charte à la conduite des autorités américaines qui ont pris une déclaration d’une personne arrêtée aux États-Unis assujettirait la police californienne à la Charte, ce qui pose manifestement un problème.

L’arrêt Harrer portait sur l’utilisation d’une déclaration faite à la police américaine dans le cadre d’une poursuite criminelle au Canada. Là encore, la Cour suprême a statué que la Charte ne pouvait s’appliquer pour exclure l’interrogatoire mené par les agents américains. Harrer a été arrêtée par les autorités américaines de l’immigration aux États-Unis qui avaient des raisons de croire qu’elle se trouvait illégalement aux États-Unis du fait d’une condamnation pour voies de fait au Canada. Les autorités de l’immigration qui ont arrêté Harrer étaient accompagnées par la police américaine, qui soupçonnait Harrer d’avoir participé à l’évasion de son petit ami au Canada, où il attendait d’être extradé au États-Unis pour répondre à des accusations en matière de drogue. Quand Harrer a été arrêtée, on lui a fait une « mise en garde Miranda » et on l’a informée qu’on voulait l’interroger en rapport avec l’évasion de son petit ami. Après que des renseignements eurent été fournis par la GRC concernant la participation de Harrer à cette évasion, l’interrogatoire s’est concentré sur ce sujet, mais on n’a pas fait à Harrer une deuxième mise en garde comme on aurait dû le faire en vertu du droit canadien. Les renseignements obtenus au cours de cet interrogatoire ont par la suite été utilisés par le gouvernement canadien contre Harrer dans un procès pour participation à une évasion. La question soumise à la Cour suprême était de savoir si l’interrogatoire contrevenait à l’alinéa 10b) de la Charte et, par conséquent, s’il devait être exclu en vertu du paragraphe 24(2).

Le juge La Forest a conclu que la Charte ne pouvait s’appliquer lorsque les mesures contestées étaient entièrement celles de la police et des autorités de l’immigration américaines. Pour justifier sa conclusion, il déclare ceci[29] :

Ce qui, je crois, permet d’écarter de façon définitive l’argument que la Charte s’applique à l’interrogatoire visé en l’espèce est le simple fait que les fonctionnaires des services de l’immigration des États-Unis et les marshals américains n’agissaient pour aucun des gouvernements du Canada, des provinces et des territoires, savoir les acteurs étatiques auxquels est limitée l’application de la Charte par son par. 32(1) … Il s’ensuit que la Charte ne s’applique absolument pas de façon directe aux interrogatoires qui ont eu lieu aux États-Unis, étant donné que les gouvernements mentionnés au par. 32(1) n’ont pas participé à ces activités.

Le juge La Forest a également conclu que l’admission de la preuve ne serait pas contraire à la protection de la liberté conformément aux principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte ni contraire au droit à un procès équitable visé à l’alinéa 11d) de la Charte.

L’appelant s’appuie abondamment sur ces deux arrêts pour faire valoir que la Charte ne peut s’appliquer à la lettre de demande en l’espèce parce qu’elle est à l’origine d’une fouille, d’une perquisition et d’une saisie qui a été effectuée en Suisse et qui devrait être régie uniquement par le droit de cet État. Essentiellement, l’appelant fait valoir que, en faisant ses affaires bancaires en Suisse, l’intimé a renoncé à la protection de la Charte. Au contraire, l’intimé prétend que les arrêts Terry et Harrer font intervenir l’alinéa 10b) qui, parce qu’il assure une protection « en cas d’arrestation ou de détention », vise une catégorie de personnes plus restreinte que l’article 8, qui étend sa protection à « [c]hacun ». Deuxièmement, l’intimé fait valoir que le cas en l’espèce ne peut entraîner l’application extraterritoriale de la Charte, comme cela se serait produit dans Terry ou Harrer, parce que l’intimé n’essaie pas de faire réviser par les tribunaux canadiens la conduite des autorités suisses. Au contraire, l’intimé cherche uniquement à faire appliquer la Charte à la conduite du gouvernement canadien qui a lancé une enquête criminelle menant à une fouille, une perquisition et une saisie d’éléments de preuve à l’étranger.

Je suis d’accord avec le juge des requêtes qui a conclu que, parce que l’intimé ne cherche pas à appliquer la Charte aux activités du gouvernement suisse [à la page 941], « [l]’application de la Charte cesse clairement là où commence l’océan ». Cela est conforme aux principes énoncés dans Terry et Harrer. Sous réserve de certaines exceptions, il est manifeste que la Charte ne peut être appliquée à l’encontre des gouvernements étrangers, mais uniquement à l’encontre du nôtre. Les déclarations que l’on cherchait à exclure dans les arrêts Terry et Harrer résultaient de la conduite des autorités américaines dans l’exercice de leurs fonctions en vertu du droit américain et selon les normes procédurales américaines. Toutefois, en l’espèce, l’intimé ne conteste pas le principe établi dans Terry et Harrer; il fait plutôt valoir que les situations de fait sont différentes.

Dans Terry, la question soulevée était de savoir « si l’omission de policiers d’un autre pays de se conformer aux exigences de la Charte canadienne des droits et libertés rend les éléments de preuve ainsi recueillis inadmissibles dans un procès au Canada »[30]. L’essentiel de la plainte de l’intimé en l’espèce, toutefois, est de savoir si la conduite d’agents canadiens au Canada est conforme aux exigences de la Charte. Il n’y a rien dans l’application de l’article 8 à la lettre de demande qui imposerait aux autorités suisses répondant à cette lettre de demande une norme juridique canadienne qui entraverait leur souveraineté, ce qui est interdit par le droit international.

Dans l’arrêt Harrer, le juge La Forest a clairement établi dès le début que « en interrogeant l’appelante, les agents de l’immigration et les marshals américains exerçaient leurs fonctions respectives, les premiers assurant l’application des lois de l’immigration des États-Unis et les seconds enquêtant sur les infractions dont Hagerman était accusé dans ce pays »[31]. Quand l’interrogatoire s’est concentré sur la participation de Harrer à l’évasion de Hagerman, le juge La Forest explique que l’agent américain « s’est tout simplement conformé, ce qui est par ailleurs tout à fait naturel, au droit américain »[32]. La différence, je le répète, saute aux yeux. Les mesures gouvernementales contestées dans l’arrêt Harrer étaient le fait de la conduite des autorités américaines agissant en territoire américain, alors que les mesures dont se plaint l’intimé en l’espèce ont été prises par des agents canadiens au Canada.

Le paragraphe 32(1) déclare que la Charte s’applique « au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement ». Dans l’arrêt R. v. Filonov, le juge Dilks déclare que [traduction] « la Charte traite … des liens du Parlement avec les législatures d’une part et avec la population qui relève de l’autorité souveraine de ces entités d’autre part »[33]. Pour cette raison, il a conclu que l’article 8 de la Charte ne s’appliquait pas à une fouille ou à une perquisition effectuée par les autorités américaines en vertu d’un mandat de perquisition américain, par suite d’une demande présentée par le Canada en vertu du Traité d’entraide juridique conclu avec les États-Unis. Ce qui est contesté en l’espèce, toutefois, c’est la conduite d’agents canadiens au Canada, c’est-à-dire la préparation et la signature de la lettre de demande.

Une autre distinction s’impose : Terry et Harrer ont demandé la protection de l’alinéa 10b) de la Charte qui assure à « [c]hacun » le droit d’être informé de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat « en cas d’arrestation ou de détention ». Toutefois, dans les deux cas, l’arrestation ou la détention a été faite par les autorités américaines aux États-Unis. La faiblesse de cet argument a été décrite de façon très éloquente par le juge McLachlin dans l’arrêt Harrer de la façon suivante[34] :

Harrer essaie de contourner les limites nationales de la Charte en soutenant que la violation de l’al. 10b) est survenue lors de la présentation de la preuve au procès. D’après elle, le juge du procès se trouvait non pas à appliquer l’al. 10b) de la Charte aux événements survenus aux États-Unis, mais plutôt à l’appliquer au Canada pour évaluer ces événements. Je ne puis retenir cet argument. Le droit à l’assistance d’un avocat est accordé « en cas d’arrestation ou de détention ». Par conséquent, il se rapporte au moment de l’arrestation ou de la détention, et non pas à celui où la preuve est admise au procès.

En l’espèce, il n’y a pas d’erreur de ce genre dans la logique de l’intimé. Il prétend que l’envoi de la lettre de demande par les représentants canadiens a porté atteinte à son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

La jurisprudence en matière d’extradition à partir du Canada souligne également la différence entre le redressement recherché par l’intimé en l’espèce et l’application extraterritoriale de la Charte à laquelle s’est toujours refusée la Cour suprême. Dans l’arrêt Canada c. Schmidt[35], une citoyenne canadienne devait être extradée aux États-Unis pour répondre à une accusation de vol d’enfant portée par l’État de l’Ohio après qu’elle eut été acquittée relativement à une accusation d’enlèvement fondée sur le même acte et portée en vertu de la loi fédérale américaine. Elle a demandé la protection de l’article 7 et de l’alinéa 11h) de la Charte, qui protège les personnes contre la possibilité d’être poursuivies deux fois pour la même infraction. Le juge La Forest a rejeté cet argument pour les motifs suivants[36] :

Il ne fait pas de doute que les actes entrepris par le gouvernement du Canada en matière d’extradition, comme dans d’autres domaines, sont assujettis au contrôle prévu par la Charte (art. 32). Il est cependant tout aussi certain que la Charte ne s’applique pas aux actes d’un pays étranger …

Il faut, je crois, garder ces éléments bien en tête dans toute étude du droit protégé par l’al. 11h). Il s’agit du droit de tout inculpé de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a déjà été définitivement acquitté. Le gouvernement du Canada, à qui s’applique la Charte, ne se trouve pas à juger le fugitif.

Comme dans les cas de Terry et Harrer, ce sont les mesures prises par le gouvernement étranger qui étaient contestées dans l’affaire Schmidt. L’argument soulevé dans Kindler c. Canada (Ministre de la Justice)[37], c’est-à-dire que l’article 7 de la Charte devrait s’appliquer afin d’éviter la peine de mort à un meurtrier reconnu coupable qui a été extradé aux États-Unis est similaire. De nouveau, les mesures contestées, c’est-à-dire l’imposition de la peine de mort aux États-Unis à la suite d’une condamnation pour meurtre, « ne résulte pas d’une initiative prise par le gouvernement canadien »[38].

La jurisprudence américaine relative à l’application du Quatrième amendement de la Constitution des États-Unis aux fouilles et aux perquisitions à l’étranger est semblable à la nôtre[39]. LaFave et Israel indiquent ceci dans leur ouvrage sur la procédure criminelle américaine : [traduction] « [s]i la police d’un pays étranger, agissant de façon à appliquer son propre droit et sans y avoir été incité par les agents américains, effectue une perquisition qui ne respecterait pas les exigences du Quatrième amendement si elle avait été effectuée aux États-Unis, et que les fruits de cette fouille ou de cette perquisition sont par la suite produits en preuve ici, les éléments de preuve ne seraient pas exclus pour des motifs constitutionnels »[40]. Dans l’arrêt Brulay v. U.S.[41], la Cour a statué que des comprimés d’amphétamine trouvés par des agents à la frontière mexicaine qui ont arrêté Brulay et qui ont fouillé sa voiture sans mandat de perquisition étaient admissibles en preuve. Les agents mexicains avaient été informés par les autorités américaines que Brulay se livrait à de telles activités, mais ni l’arrestation ni la fouille ou la perquisition n’ont été effectuées à la demande des autorités américaines. La Cour a refusé d’exclure la preuve conformément au droit interdisant les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives au motif que les autorités américaines n’avaient d’aucune façon participé à la fouille, à la perquisition et à la saisie, qui avait été effectuée au Mexique. La Cour a de plus indiqué dans son raisonnement que la règle d’exclusion est [traduction] « une prophylaxie créée par les tribunaux dans le but de dissuader les agents fédéraux de violer le Quatrième amendement … et qu’aucun but prophylactique ne pourra être atteint en appliquant une règle d’exclusion en l’espèce étant donné que notre décision ne modifiera pas les politiques de fouille et de perquisition de l’État souverain du Mexique »[42]. Le fondement de l’exclusion de la preuve, selon cet arrêt de principe américain, consiste à déterminer si son exclusion dissuadera à l’avenir les autorités américaines d’adopter une conduite contraire à la Constitution. La position de l’intimé peut être reformulée selon ce principe : bien que l’on n’ait rien à gagner en appliquant la Charte à la conduite des autorités suisses, le fait d’obliger les autorités canadiennes à respecter la norme canadienne relative à la délivrance d’un mandat de perquisition lors de l’envoi d’une lettre de demande à des autorités étrangères empêcherait à l’avenir les autorités canadiennes de s’ingérer de façon abusive dans la vie privée des particuliers.

La nécessité d’apprécier les demandes d’assistance internationale au regard de normes nationales a été confirmée par une Cour de district américaine qui a suivi un raisonnement logique semblable dans l’arrêt Colello v. U.S. S.E.C.[43]. La Cour a statué qu’une demande de la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine en vertu d’un traité d’entraide et ayant entraîné un gel des actifs gardés en Suisse était une « fouille, une perquisition et une saisie abusive » contraire au Quatrième amendement parce qu’elle ne satisfaisait pas à la norme américaine du « motif probable »[44]. En imposant la condition plus sévère reposant sur le « motif probable », la Cour a rejeté l’argument selon lequel les demandeurs avaient sciemment « assumé le risque » de bénéficier d’une norme de protection inférieure en conservant leur argent dans un pays étranger, et que l’intérêt public dans la lutte contre le crime international justifiait l’imposition d’une norme inférieure. La Cour a adopté une déclaration particulièrement imagée de la Cour suprême des États-Unis selon laquelle [traduction] « quand le gouvernement étend son bras pour punir un citoyen qui se trouve à l’étranger, le bouclier que forment le Bill of Rights et d’autres parties de la Constitution pour protéger sa vie et sa liberté ne doit pas être abaissé simplement parce qu’il se trouve dans un autre pays »[45]. Essentiellement, dans l’arrêt Colello, la Cour a statué que la SEC ne pouvait utiliser les procédures établies par le traité pour faire en sorte d’exclure sa propre participation dans le gel des biens effectué en Suisse du droit garanti par le Quatrième amendement à la protection contre les saisies abusives. Bien que l’affaire Colello puisse être distinguée de l’espèce dans la mesure où la demande s’appuyait sur un traité, le raisonnement général tient toujours. Un gouvernement ne peut se réclamer de l’assistance internationale pour se justifier d’adopter une conduite inadmissible au regard de sa propre Constitution[46].

Le raisonnement basé sur la « dissuasion » énoncé dans Brulay et repris par la Cour dans Colello est utile pour expliquer le point de rencontre entre la protection des droits nationaux et la nécessité grandissante d’assurer une collaboration internationale dans les enquêtes criminelles et la lutte contre le crime. L’article 8 de la Charte doit être appliqué lorsqu’il peut servir à dissuader une conduite future contraire à la Constitution par des agents canadiens, même si la conduite de ces agents entraîne l’aide d’un pays étranger. Les tentatives récentes de la législature et des tribunaux canadiens pour trouver un équilibre entre le maintien des droits des particuliers et les limites à la compétence de l’État sont conformes à ce raisonnement. Tout d’abord, la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, comme nous l’avons déjà expliqué, exige que toutes les demandes de pays étrangers exécutées au Canada se conforment aux normes canadiennes concernant les fouilles, les perquisitions et les saisies légales[47]. Bien que le Canada ne puisse imposer ses propres normes procédurales à d’autres États, il peut s’assurer que le droit à une attente raisonnable en matière de vie privée est protégé quand une fouille ou une perquisition est faite à la demande d’agents canadiens, que ce soit au Canada ou à l’étranger.

Deuxièmement, on reconnaît de plus en plus que, dans des circonstances spéciales, la Charte peut s’appliquer à l’extérieur du Canada. Dans Harrer, le juge La Forest a fait une mise en garde pour que ses remarques ne soient pas interprétées comme signifiant que « la portée de la Charte est obligatoirement limitée au territoire canadien »[48]. Il a posé le principe suivant : « le fait d’écarter automatiquement l’application de la Charte à l’extérieur du Canada pourrait avoir pour effet de restreindre indûment la protection à laquelle les Canadiens sont en droit de s’attendre en ce qui concerne la violation de leurs droits par nos gouvernements ou leurs mandataires »[49]. Le juge La Forest cite ensuite un interrogatoire effectué aux États-Unis par la police canadienne au sujet d’une infraction aux lois canadiennes et un interrogatoire mené par des agents américains agissant à titre de mandataires de la police canadienne, comme des exemples de situations où cette règle pourrait ne pas s’appliquer. Le juge McLachlin a également fait référence à l’existence « d’exceptions » à cette règle interdisant l’application extraterritoriale de la Charte dans Terry[50] :

Le principe voulant que les lois d’un État ne s’appliquent qu’à l’intérieur de ses frontières n’est pas absolu : Affaire du « Lotus » (1927), C.P.J.I. sér. A, no 10, à la p. 20. Les États peuvent invoquer une compétence pour prescrire des infractions commises ailleurs, afin de s’attaquer à des problèmes particuliers, comme c’est le cas, par exemple, des dispositions du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, touchant les infractions commises à bord d’un aéronef (par. 7(1) et (2)) et celles concernant les crimes de guerre et autres crimes commis contre l’humanité (par. 7(3.71)). Un État peut, de la même manière, permettre formellement au Canada et à d’autres États de faire appliquer leurs lois sur son territoire à des fins limitées.

Plus récemment, la Cour d’appel de Colombie-Britannique, s’appuyant sur les remarques du juge La Forest dans Harrer, a conclu qu’une déclaration obtenue par la police canadienne aux États-Unis en vue d’être utilisée dans une poursuite contre une infraction aux lois canadiennes devrait être assujettie à l’alinéa 10b) de la Charte[51]. La Cour a adopté un raisonnement semblable au raisonnement fondé sur la « dissuasion » élaboré dans Brulay[52] :

[traduction] Dans notre système de justice criminelle, on s’attend à ce que des déclarations provenant de personnes accusées d’un crime seront obtenues par les autorités policières canadiennes en toute équité, sans abus, conformément aux préceptes juridiques du « caractère volontaire » et aux droits énoncés à l’alinéa 10b) de la Charte. Cette attente devrait être respectée que la déclaration soit obtenue par la police canadienne au Canada ou à l’étranger. Empêcher l’application de la Charte aux déclarations obtenues par la police canadienne en territoire étranger encouragerait la prolifération de procédures policières inacceptables.

Ces exemples démontrent que la règle établie concernant l’application extraterritoriale de la Charte s’épure de façon à mieux traduire les objectifs sousjacents de la Charte. Celle-ci a pour but de réglementer la conduite de notre gouvernement dans ses rapports avec les particuliers en s’assurant qu’il respecte certaines valeurs démocratiques libérales et fondamentales. Dans ce contexte donc, lorsque la Charte peut prévenir les intrusions injustifiées dans la vie privée des particuliers, elle devrait s’appliquer, à moins que cette application ne constitue une ingérence sur l’autorité souveraine d’un autre État.

b) La lettre de demande porte-t-elle atteinte à la protection garantie à l’intimé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives?

Pour que la lettre de demande entraîne l’application de l’article 8, elle doit être considérée comme une mesure gouvernementale qui porte atteinte à la protection garantie aux particuliers contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. L’article 8 ne se contente pas de pénaliser ou d’interdire les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives; il interdit également toute ingérence dans la protection garantie à une personne contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Il s’agit manifestement d’une protection beaucoup plus large qu’une simple interdiction visant les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, en ce sens que cette protection s’accompagne peut-être d’un élément prophylactique. La Cour suprême nous a enseigné que nous ne pouvons attendre de faire valoir le droit à la vie privée qu’après qu’il a été violé et que ce droit doit être protégé au point de divulgation[53]. Par conséquent, la question qu’il faut se poser n’est pas de savoir si la lettre de demande est une « fouille ou une perquisition ». Répondre par l’affirmative à cette question exigerait que nous donnions aux termes un sens très large. La question est plutôt de savoir si la lettre de demande compromet l’attente raisonnable de l’intimé en matière de vie privée, la protection qui lui est assurée à l’encontre des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives. Cette façon de poser la question permet à la Cour de considérer la lettre de demande qui est à l’origine de la collecte d’éléments de preuve en Suisse comme une source de menaces au droit de l’intimé à la vie privée sans avoir à la qualifier de « fouille ou de perquisition ». J’analyserai ce point plus en détail.

L’appelant fait valoir que la lettre de demande ne porte pas atteinte au droit de l’intimé à sa vie privée parce qu’il ne pouvait obliger les autorités suisses à effectuer une fouille, une perquisition ou une saisie des éléments de preuve demandés. Si elle est privée de force exécutoire, prétend-il, la lettre de demande ne peut menacer l’attente raisonnable en matière de vie privée qui est l’élément déclencheur de la protection offerte par l’article 8. Il n’y a pas eu de fouille, de perquisition et de saisie, selon l’appelant, tant que les autorités suisses, agissant en vertu de leur propre droit, n’ont pas choisi de répondre à la demande et d’effectuer la fouille ou la perquisition. L’intimé affirme que cette position établit une distinction artificielle entre une demande à laquelle, selon toute probabilité, on aura donné suite, et la saisie effective des renseignements, qui est contraire à l’esprit de Hunter dans lequel on cherchait à réduire le nombre d’intrusions injustifiées de l’État dans la vie privée des particuliers.

Le juge des requêtes s’est dit convaincu qu’on avait porté atteinte à la protection assurée à l’intimé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives parce qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les autorités suisses donnent suite à la demande. Je suis d’accord avec le juge des requêtes. Tout d’abord, il y avait une attente raisonnable en matière de vie privée pour ce qui concerne les renseignements recherchés. L’appelant admet qu’il existe un droit à la protection des dossiers bancaires au Canada, mais il fait valoir que ce droit à la vie privée ne peut être garanti quand une personne choisit de faire ses affaires bancaires à l’extérieur du Canada. Cette logique ignore l’évolution fondamentale qui s’est produite dans le droit en matière de fouille, de perquisition et de saisie et qui n’a jamais été mieux formulée que dans la déclaration souvent citée du juge Stewart qui affirme que la garantie de la Constitution américaine à l’encontre des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives [traduction] « protège les personnes et non les lieux »[54]. Le juge Dickson a explicitement adopté ce principe dans l’arrêt Hunter, en déclarant qu’il était « également applicable à l’interprétation de la protection offerte par l’art. 8 de la Charte des droits et libertés »[55]. De même, le juge La Forest a réitéré dans R. c. Colarusso que « la protection de l’art. 8 est accordée aux personnes et non pas à des lieux ou à des choses » et qu’elle doit en conséquence « s’interpréter d’une manière qui permette d’atteindre cet objectif »[56]. Par conséquent, une interprétation de la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives qui met l’accent sur les répercussions de la fouille, de la perquisition ou de la saisie sur l’individu ne peut être compatible avec la position selon laquelle une personne peut avoir un droit à la protection de sa vie privée touchant ses renseignements bancaires au Canada, mais non en Suisse. L’effet des mesures gouvernementales sur le droit à la vie privée des particuliers, qui sont des « personnes », est le même dans chaque cas, bien que les lieux varient.

L’inclusion d’un droit à la protection des renseignements à l’intérieur de la portée de l’article 8 a été abordée à plusieurs reprises par la Cour suprême. Dans Dyment, le juge La Forest déclare ceci[57] :

Dans la société contemporaine tout spécialement, la conservation de renseignements à notre sujet revêt une importance accrue. Il peut arriver, pour une raison ou pour une autre, que nous voulions divulguer ces renseignements ou que nous soyons forcés de le faire, mais les cas abondent où on se doit de protéger les attentes raisonnables de l’individu que ces renseignements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu’ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués.

Le juge Sopinka a également fait des observations sur le droit à la vie privée touchant des renseignements personnels dans R. c. Plant[58] :

Étant donné les valeurs sous-jacentes de dignité, d’intégrité et d’autonomie qu’il consacre, il est normal que l’art. 8 de la Charte protège un ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l’État. Il pourrait notamment s’agir de renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l’individu.

De toute évidence, ce ne sont pas tous les renseignements sur une personne qui appartiendront à cet « ensemble de renseignements biographiques » auxquels faisait référence le juge Sopinka. Les facteurs qui permettront de faire ce choix sont la nature des renseignements, celle des relations entre la partie divulguant les renseignements et la partie en réclamant la confidentialité, l’endroit où ils ont été recueillis, les conditions dans lesquelles ils ont été obtenus et la gravité du crime faisant l’objet de l’enquête[59]. La lettre de demande qui fait l’objet du présent appel demandait tous les détails dont disposaient la Schweizerischer Bankverein concernant l’intimé. Plus précisément, on demandait aux autorités suisses ce qui suit :

[traduction] Fournir tous les renseignements bancaires disponibles à la Schweizerisher Bankverein Zurich, 6 Paradeplatz, Zurich, concernant tous les comptes ouverts au nom de Karlheinz SCHREIBER, Frank MOORES, Brian MULRONEY, International Aircraft Leasing et Kensington Anstalt, ou pour lesquels ils ont une procuration, ou dont ils sont les titulaires bénéficiaires, plus particulièrement pour les comptes nos 18679 (M. SCHREIBER), 34107 et 34117, qui seraient tous deux enregistrés au nom de M. MOORES. Nous demandons des copies des fiches signature et d’autres imprimés utilisés pour l’ouverture des comptes, les relevés d’opérations, y compris les bordereaux de dépôt, les chèques, les traites, les formules de virement, etc., attestant les mouvements de fonds dans les comptes et toute la correspondance générale entre les clients (M. MULRONEY, M. MOORES et M. SCHREIBER) et la banque, pour la période allant du 4 septembre 1984 à ce jour. Selon nos informations, les directeurs de ces comptes seraient Andre STROBEL et Paul SCHNEIDER.

Dans Plant, le juge Sopinka a conclu que les dossiers d’électricité informatisés tenus par une commission de services publics ne faisaient pas partie de cet « ensemble » de renseignements protégés, principalement parce que ces renseignements avaient été recueillis dans le cadre d’une relation commerciale qui ne s’accompagnait pas de communications confidentielles. La police pouvait avoir accès aux renseignements par l’entremise d’une banque de données informatiques. Les renseignements pouvaient également être communiqués, sur demande, aux membres du public souhaitant s’enquérir de la consommation d’électricité à une adresse donnée.

Par contraste, les dossiers bancaires réclamés dans la lettre de demande, contrairement aux dossiers de consommation d’électricité, révèlent des détails importants et personnels au sujet d’une personne. Le droit accru à la vie privée pour ce qui est des dossiers bancaires a été décrit par le juge Puddester dans R. v. Eddy (T.) de la façon suivante : [traduction] « une attente beaucoup plus grande quant au respect de la vie privée applicable aux dossiers concernant la situation financière personnelle et le mode d’opération du compte bancaire[60] » d’une personne. Dans cette affaire, le juge Puddester a conclu que les recherches effectuées sans mandat par la police dans une banque en vue d’obtenir l’identité d’un titulaire de compte et au sujet d’une opération importante touchant ce compte portaient effectivement atteinte à une attente raisonnable en matière de vie privée. C’est en partie à cause de ce droit à la protection de la vie privée que la relation entre un client et sa banque s’accompagne en common law d’une obligation de confidentialité[61]. Cette obligation a également été analysée par le juge McCombs dans R. v. Lillico[62] :

[traduction] … la banque … a l’obligation de garder les renseignements confidentiels. C’est une condition implicite du contrat conclu entre elle et son client qu’elle ne divulguera pas de renseignements au sujet de l’état du compte de son client ou au sujet des opérations qui y sont effectuées, ni aucun renseignement ayant trait au client obtenu du fait que le compte est tenu à la banque, à moins que celle-ci ne soit obligée par une ordonnance judiciaire de divulguer ce type de renseignements, ou que les circonstances donnent lieu à une obligation de divulgation d’ordre public : voir Tournier v. National Provincial and Union Bank of England, [1924] 1 K.B. 461 (C.A.).

Une banque n’a donc pas toute latitude pour divulguer librement les renseignements sur les comptes et les activités bancaires de ses clients au public ou à la police. Les renseignements ne peuvent être communiqués à quiconque souhaite en apprendre davantage sur les affaires bancaires de l’intimé. Le juge McCombs a finalement refusé, dans Lillico, d’appliquer l’article 8 à des recherches effectuées sans mandat qui ont permis de déterminer qu’un chèque avait été déposé dans un compte particulier et que celui-ci avait par la suite connu une activité importante. Les recherches dont il est question dans la lettre de demande peuvent toutefois être distinguées de cette affaire, parce que la lettre était rédigée de façon extrêmement large, et essentiellement, ordonnait aux autorités suisses de fournir au gouvernement canadien un aperçu complet des affaires bancaires de l’intimé. La nature de la relation dans cette affaire tend à confirmer l’existence d’une attente raisonnable en matière de vie privée.

La manière dont les renseignements demandés doivent être obtenus laisse de plus entendre que l’intimé avait une attente raisonnable en matière de vie privée au sujet de ses dossiers bancaires suisses. Ce critère a été expliqué de la façon suivante : [traduction] « si la police a facilement accès aux renseignements sans avoir recours à l’aide d’un tiers pour cette recherche en particulier, on sera moins porté à qualifier cette demande d’intrusion portant atteinte à l’attente raisonnable du sujet quant au respect de sa vie privée »[63]. Dans l’arrêt Plant, la police avait directement accès aux dossiers sur la consommation d’électricité. Toutefois, en l’espèce, les renseignements ne pouvaient être obtenus sans l’assistance des autorités suisses qui, selon l’exposé conjoint des faits, « ont ordonné la saisie de documents et de dossiers concernant les comptes susdits [de l’intimé] ». Compte tenu de tous ces indices, le fait que les renseignements se trouvent en Suisse et non au Canada ne diminue en rien l’attente raisonnable en matière de vie privée que ces facteurs tendent à faire ressortir.

Le dernier facteur énuméré dans Plant est la gravité du crime faisant l’objet de l’enquête. Les implications de cet élément ont été discutées au vu de l’objectif poursuivi par la protection offerte par l’article 8[64] :

[traduction] Parmi les facteurs identifiés par la Cour dont la présente analyse doit tenir compte, celui-ci est difficile à rapprocher d’autres éléments pertinents à l’analyse du droit à la vie privée garanti par l’article 8. Ces affaires laissaient entendre que l’attente en matière de vie privée ne dépendait pas de la position de la police au regard des renseignements recherchés. Le droit du sujet de s’attendre à ce que sa vie privée soit respectée ne devrait habituellement pas être déterminé par les raisons qui motivent l’intérêt dont la police fait preuve à l’égard des renseignements en question. Ce facteur pourrait être fort pertinent pour décider si la fouille ou la perquisition était raisonnable, une fois replacée dans son contexte, et pourrait être un facteur important dans une analyse fondée sur le paragraphe 24(2), mais il ne convient pas parfaitement à un examen visant à déterminer si l’individu a une attente raisonnable en matière de vie privée.

Je trouve cette critique convaincante et je refuse donc, pour le moment, de formuler des observations sur la gravité du crime faisant l’objet de l’enquête.

Ayant établi que le fait que les renseignements se trouvent à l’extérieur du pays ne diminue pas l’attente raisonnable de l’intimé en matière de vie privée, j’examinerai maintenant comment l’envoi de la lettre de demande constitue une mesure gouvernementale qui menace le droit de l’individu à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. La manière dont une fouille, une perquisition et une saisie sanctionnée par l’État est menée ne détermine que partiellement sa constitutionnalité. Le processus de déclenchement et d’autorisation est tout aussi important à cet égard. Limiter la protection de l’article 8 de la Charte à l’exécution matérielle des fouilles, des perquisitions ou des saisies minerait gravement son efficacité à protéger les droits des particuliers au respect de leur vie privée contre les intrusions injustifiées ou abusives de l’État.

L’arrêt Hunter c. Southam, dans lequel l’accent était placé sur le caractère adéquat de la loi autorisant les fouilles et les perquisitions dans certaines situations, illustre bien ce point[65] :

… la question en litige dans ce pourvoi concerne la constitutionnalité d’une loi autorisant des fouilles, des perquisitions et des saisies. Elle ne concerne pas le caractère raisonnable ou autre de la façon dont les appelants ont exercé les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi. Il faut se pencher non pas sur la conduite des appelants mais plutôt sur les textes de loi en vertu desquels ils ont agi.

D’après les faits de l’affaire Hunter, le juge Dickson a conclu que la disposition de la loi autorisant certaines fouilles et perquisitions très larges était incompatible avec l’article 8 de la Charte. Sa conclusion se fondait sur le fait que l’autorisation n’avait pas à être accordée par un arbitre judiciaire et impartial et ne dépendait pas de l’existence de motifs raisonnables et probables, établie sous serment, permettant de croire qu’une infraction avait été commise. La loi habilitante contrevenait elle-même à l’article 8; le fait qu’une fouille ou une perquisition illégale avait réellement été effectuée en vertu de la loi n’avait apparemment aucune importance pour conclure à l’inconstitutionnalité de celle-ci.

Le contrôle judiciaire des mandats de perquisition, bien qu’il soit habituellement effectué après que la fouille ou la perquisition matérielle a été effectuée, se fonde également sur les principes énoncés dans Hunter. Pour que sa validité soit reconnue au moment du contrôle, la délivrance du mandat lui-même doit se fonder sur des inférences raisonnables permettant de conclure à l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise[66]. Ici encore, le caractère raisonnable des motifs à partir desquels la fouille et la perquisition a été ordonnée est aussi essentiel à l’appréciation de la légalité « de la fouille, de la perquisition et de la saisie » que la manière dont la fouille ou la perquisition a été effectuée. Chacun de ces exemples démontre que la méthode d’interprétation de l’article 8 en fonction de l’objet visé exige autant que possible une protection constitutionnelle, avant que le gouvernement soit autorisé à s’immiscer dans la sphère de protection de la vie privée délimitée par l’article 8[67].

L’appelant fait valoir que la lettre de demande n’imposait à la Suisse aucune obligation légale de se conformer à ses conditions. Par conséquent, il établit une analogie entre la lettre de demande et une demande faite au Canada concernant un mandat de perquisition ou une autorisation « d’écoute électronique », et il soutient qu’une demande, contrairement à un mandat de perquisition ou à un ordre autorisant une fouille ou une perquisition, ne peut atténuer l’attente raisonnable en matière de vie privée protégée par l’article 8. Cet argument soulève des problèmes pour plusieurs raisons. Tout d’abord, comme le signale le juge des requêtes, on peut prendre d’office connaissance [à la page 943] « du fait que le Canada n’enverrait pas une lettre de demande à un État hostile et peu coopératif ». La demande elle-même indique que [traduction] « le Canada offrira au gouvernement suisse une collaboration réciproque et est tout disposé à aider la Suisse en conformité avec le droit du Canada ». La lettre souligne également à l’intention des autorités suisses l’importance que le gouvernement canadien attache à la suite qui lui sera donnée. La lettre indique ce qui suit :

[traduction] Cette enquête préoccupe sérieusement le gouvernement du Canada puisqu’elle porte sur les activités criminelles d’un ancien Premier ministre. Aucune autre enquête ne peut être menée par la GRC avant la réception des renseignements disponibles en Suisse. Toute priorité pouvant être accordée à cette demande sera grandement appréciée.

La collaboration découlant du principe de courtoisie internationale est un élément fermement enchâssé dans le droit international. Sa justification a été très bien exprimée par le juge en chef Marshall des États-Unis dans l’arrêt The Schooner Exchange v. M’Faddon & Others[68], dans lequel il expliquait que, malgré le pouvoir exclusif dont dispose un État dans les limites de son propre territoire, l’intérêt commun incite les États à s’entraider. Ce principe général a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans Zingre c. La Reine et autres[69]. Pour décider s’il devait délivrer une commission autorisant deux « juges-commissaires extraordinaires » suisses à recueillir au Canada des témoignages devant servir aux poursuites en Suisse contre ses propres ressortissants pour des crimes commis au Manitoba, le juge Dickson écrit ceci[70] :

C’est sur cette courtoisie entre nations que repose l’assistance juridique internationale. Ainsi les tribunaux d’un ressort donneront effet aux lois et aux décisions judiciaires d’un autre, non parce qu’ils y sont tenus, mais par déférence et respect mutuels. On donne à une demande étrangère pleine force et plein effet, à moins qu’elle ne soit contraire à la politique générale du ressort auquel elle est destinée (voir l’arrêt Gulf Oil Corporation c. Gulf Canada Limitée et autres[71]) ou qu’elle ne porte de quelque autre manière atteinte à la souveraineté de ce dernier ressort ou à ses citoyens.

Bien que l’appelant ait raison de déclarer qu’un État ne peut en obliger un autre à se conformer à sa demande, aucun élément de preuve n’établit l’existence d’une raison pour laquelle cette demande serait refusée en l’espèce. C’est pourquoi je réitère le raisonnement du juge des requêtes qui déclare que, lorsqu’on a envoyé la lettre de demande [à la page 943], « on s’attendait raisonnablement à ce qu’elle soit acceptée et il était probable qu’on y donnerait suite »[72]. Cette « attente raisonnable », qui était à la fois sérieuse et immédiate, est suffisante pour entraîner l’application de l’article 8 de la Charte, surtout quand l’objet de la protection, comme l’indique le juge Dickson dans Hunter, est d’instituer « un moyen de prévenir les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu’elles ne se produisent »[73].

Au vu de cette « attente raisonnable », l’analogie établie par l’appelant entre la lettre de demande et une demande de mandat de perquisition n’est pas appropriée. Il serait plus juste d’établir une analogie entre la lettre de demande et un mandat de perquisition, ou une ordonnance autorisant une fouille, une perquisition ou une saisie. Une telle ordonnance, comme la lettre de demande, n’exige pas que la fouille, la perquisition ou la saisie ait lieu, mais elle autorise simplement son exécution si la police choisit d’y donner suite[74]. Bien qu’une ordonnance autorisant une fouille, une perquisition ou une saisie n’oblige pas la police à faire cette fouille, cette perquisition ou cette saisie, elle crée une « attente raisonnable » que celle-ci se produira dans un avenir immédiat, habituellement dans le délai qui y est indiqué. Pour illustrer cette distinction, on peut citer le cas d’un agent de la paix qui obtient un mandat pour fouiller ou perquisitionner un endroit donné à la recherche d’éléments de preuve démontrant qu’une infraction criminelle y a été commise, mais qui choisit ensuite de ne pas poursuivre l’enquête. Bien que la fouille ou la perquisition ait été « autorisée » par un juge de paix, celui-ci n’ordonne pas qu’elle soit réellement effectuée. Dans le cas de la lettre de demande comme dans celui du mandat de perquisition, par conséquent, l’État s’est donné le pouvoir d’empiéter sur l’attente raisonnable en matière de vie privée d’un particulier afin d’affirmer son droit de veiller à l’application de la loi, bien qu’aucune exigence légale ne l’oblige à procéder à la fouille ou à la perquisition. Il devrait s’ensuivre que, dans chaque cas, l’État devrait également être tenu de demander une autorisation préalable fondée sur l’existence de « motifs raisonnables et probables », comme l’exige la norme canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition.

Pour ces motifs, je conclus qu’à moins de respecter la norme établie dans Hunter c. Southam, une lettre de demande porte atteinte à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives que l’article 8 vise à interdire.

c)         Les autres questions litigieuses

(i)         Le rôle de l’article 7 et de l’alinéa 11d) :

Le ministère public a fait valoir qu’on peut remédier à tout risque d’injustice découlant d’une interprétation stricte de l’article 8 en excluant les éléments de preuve aux termes de l’article 7 et de l’alinéa 11d) comme l’expliquait le juge McLachlin dans le contexte de l’admissibilité de la preuve recueillie à l’étranger dans les termes suivants[75] :

La Charte garantit à l’accusé un procès équitable : al. 11d). De façon plus générale, la Charte prévoit que la liberté de l’accusé ne peut être limitée que conformément aux principes de justice fondamentale : art. 7. Il se peut bien que l’utilisation d’éléments de preuve recueillis d’une façon abusive viole les principes de justice fondamentale … L’accusé peut invoquer ces principes et d’autres principes de justice fondamentale pour obtenir réparation pour des abus commis à l’étranger lors de la collecte d’éléments de preuve subséquemment déposés contre lui.

Bien que ces dispositions puissent certainement réduire le risque d’injustice, elles sont d’une application limitée. Tout d’abord, ce n’est pas le processus de collecte des éléments de preuve en Suisse qui préoccupe l’intimé dans le présent appel, mais bien le fait que cette procédure ait pris naissance au Canada. Deuxièmement, si son droit à la vie privée est le catalyseur qui entraîne l’application de la protection offerte par l’article 8, il est essentiel de prévenir les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives plutôt que de les condamner après le fait. C’est le motif déterminant qui sous-tend le système d’autorisation préalable exigé dans Hunter. L’exclusion de la preuve après le fait ne permet pas d’atteindre cet objectif.

(ii) La possibilité de faire appel à des techniques d’enquête admissibles sur le plan constitutionnel pour présenter une lettre de demande :

Je ne suis pas non plus convaincu par l’argument que, dans l’état actuel du droit, le gouvernement ne devrait pas être tenu de respecter la norme énoncée dans Hunter parce qu’il ne pouvait pas faire autoriser au préalable la lettre de demande en vertu des dispositions actuelles du Code criminel. S’appuyant sur le raisonnement du juge Sopinka dans R. c. Kokesch, le juge des requêtes a répondu à cet argument en déclarant que, abstraction faite de l’existence d’une telle procédure, « l’inexistence d’autres méthodes d’enquête, admissibles sur le plan constitutionnel, n’est ni une excuse ni une justification pour utiliser des méthodes d’enquête inadmissibles sur le plan constitutionnel»[76]. Le juge Sopinka a fait cette déclaration dans une affaire où il a refusé d’autoriser une perquisition sans mandat parce que le motif principal invoqué pour ne pas s’être procuré ce mandat était l’absence de motifs raisonnables et probables permettant de l’obtenir. Bien que l’on ne puisse pas nécessairement affirmer la même chose au sujet de l’omission d’obtenir un mandat en l’espèce, ces mots nous rappellent que la protection des droits de la personne ne repose pas sur la commodité des moyens à la portée des autorités chargées de l’application de la loi. La nécessité de respecter les droits des particuliers rend souvent les objectifs de l’application de la loi plus difficiles à réaliser.

En outre, il se peut fort bien que l’autorisation judiciaire préalable de la demande puisse être obtenue en invoquant le paragraphe 487.01(1) [édicté par L.C. 1993, ch. 40, art. 15] du Code criminel. Ce paragraphe est rédigé dans les termes suivants :

487.01 (1) Un juge de la cour provinciale, un juge de la cour supérieure de juridiction criminelle ou un juge au sens de l’article 552 peut décerner un mandat par écrit autorisant un agent de la paix, sous réserve du présent article, à utiliser un dispositif ou une technique ou une méthode d’enquête, ou à accomplir tout acte qui y est mentionné, qui constituerait sans cette autorisation une fouille, une perquisition ou une saisie abusive à l’égard d’une personne ou d’un bien :

a) si le juge est convaincu, à la suite d’une dénonciation par écrit faite sous serment, qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction à la présente loi ou à toute autre loi fédérale a été ou sera commise et que des renseignements relatifs à l’infraction seront obtenus grâce à une telle utilisation ou à l’accomplissement d’un tel acte;

b) s’il est convaincu que la délivrance du mandat servirait au mieux l’administration de la justice;

c) s’il n’y a aucune disposition dans la présente loi ou toute autre loi fédérale qui prévoie un mandat, une autorisation ou une ordonnance permettant une telle utilisation ou l’accomplissement d’un tel acte.

Cette disposition du Code criminel a été adoptée, comme le reconnaît l’appelant, pour combler toute « lacune » potentielle dans la capacité des agents de la paix d’obtenir une autorisation judiciaire préalable en vue d’une fouille, d’une perquisition ou d’une saisie conformément à l’arrêt Hunter. Compte tenu de l’absence de dispositions législatives régissant l’envoi de lettres de demande au Canada, il se pourrait fort bien que le cas en l’espèce constitue une telle « lacune ». En outre, l’autorisation préalable d’un « dispositif ou [d’]une technique d’enquête », prenant la forme d’une lettre de demande, aurait pu être obtenue par un membre de la GRC, plutôt que par un fonctionnaire du ministère de la Justice. Bien que l’article 487.01 autorise uniquement un agent de police à exécuter le mandat, la GRC aurait pu désigner le ministère de la Justice aux termes de l’article 487.02 [édicté, idem] afin d’autoriser son assistance. L’article 487.02 est rédigé dans les termes suivants :

487.02 Le juge ou le juge de paix qui a accordé une autorisation en vertu des articles 184.2, 184.3, 186 ou 188, décerné un mandat en vertu des articles 487.01 ou 492.1 ou du paragraphe 492.2(1) ou rendu une ordonnance en vertu du paragraphe 492.2(2) peut ordonner à toute personne de prêter son assistance si celle-ci peut raisonnablement être jugée nécessaire à l’exécution des actes autorisés, du mandat ou de l’ordonnance.

Si les autorités canadiennes avaient procédé de cette façon, et en supposant qu’il s’agissait d’un moyen accessible, la condition initiale énoncée dans Hunter aurait pu être satisfaite et la lettre de demande aurait respecté la norme constitutionnelle canadienne applicable à la délivrance d’un mandat de perquisition.

Si cette façon d’obtenir une autorisation préalable n’est pas accessible ou si elle est jugée non convenable, le Parlement devra peut-être créer un nouveau mécanisme pour l’octroi de l’autorisation applicable aux lettres de demande internationales. Ce ne serait pas la première fois qu’un jugement de la présente Cour aurait un tel effet, comme en font foi les nombreux cas dans lesquels des violations de la Charte ont exigé l’adoption de mesures législatives pour remédier à la situation[77]. Le spectre de la nécessité d’adopter de nouvelles dispositions législatives ne peut empêcher la Cour de déclarer qu’une conduite non constitutionnelle est effectivement contraire à la Constitution.

(iii) L’efficacité amoindrie des enquêtes et des poursuites :

Je voudrais traiter brièvement de la préoccupation de l’appelant selon laquelle l’imposition de la Charte aux lettres de demande canadiennes aura pour effet d’atténuer l’efficacité des enquêtes et des poursuites concernant les infractions criminelles qui exigent une collaboration internationale, officielle ou non. Tout d’abord, pour que la Charte soit prise au sérieux, il faut que les tribunaux s’assurent que les valeurs qui y sont enchâssées seront respectées, même si cela peut causer des inconvénients aux organismes d’application de la loi, ou alourdir leur fardeau. Par conséquent, bien qu’il soit important de garder à l’esprit les difficultés que pose la lutte contre le crime, il est tout aussi important de s’assurer que les autorités canadiennes ne peuvent contourner la Charte dans les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions commises au Canada simplement parce que celles-ci s’accompagnent d’une collecte d’éléments de preuve à l’étranger. Cette conduite a été réprimandée par la Cour suprême dans le contexte d’une affaire nationale, R. c. Colarusso, où elle a statué que la saisie d’un échantillon de sang légalement obtenu d’un hôpital pour les fins d’une poursuite criminelle intentée contre une personne était « une façon trop commode de contourner les exigences posées dans les arrêts Hunter et Dyment relativement à la saisie de biens aux fins de l’application de la loi»[78]. Deuxièmement, exiger que les agents canadiens respectent l’article 8 de la Charte avant de faire une demande internationale n’a aucun effet sur leur capacité d’obtenir une assistance internationale efficace, parce que cela n’impose pas de fardeau additionnel à l’État requis. Cela signifie simplement que les fouilles et les perquisitions internationales demandées par les autorités canadiennes seront assujetties à la même norme que les fouilles et les perquisitions qui se passent totalement au Canada.

En conclusion, je suis d’accord avec le juge des requêtes qui a décidé de répondre affirmativement à la question. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens. L’effet du présent jugement est suspendu pour les mêmes raisons et aux mêmes conditions que celles qui ont été énoncées par le juge Gibson le 15 août 1996 [[1996] 3 C.F. 947 (1re inst.)], jusqu’à l’expiration du délai d’appel ou jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada se prononce sur toute demande d’autorisation de pourvoi ou rende toute autre ordonnance. La suspension de toute autre mesure que pourrait prendre le gouvernement suisse demeure en vigueur en attendant l’issue de tout appel qui pourra être formé.

Le juge suppléant Henry : Je souscris à ces motifs.



[1] La Règle 475 autorise les parties à une action à s’entendre pour exposer à la Cour fédérale « dans un mémoire spécial des points à décider … en vue de faire statuer sur ces points avant l’instruction ou pour remplacer l’instruction ». Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, et ses modifications.

[2] L.R.C. (1985), ch. C-46, et ses modifications.

[3] Par suite de la publication de cette lettre, M. Mulroney a intenté une poursuite civile en diffamation de 50 millions de dollars contre le gouvernement fédéral, qui a récemment été réglée. Les conditions du règlement comprenaient une lettre d’excuse et le paiement des frais juridiques de M. Mulroney. À la suite de ce règlement, des lettres d’excuse ont également été envoyées à Frank Moores et à l’intimé, Karlheinz Schreiber.

[4] Qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte).

[5] [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 168.

[6] Des traités d’entraide juridiques existaient toutefois entre le Canada et plusieurs autres États, notamment les États-Unis (voir La Gazette du Canada, Partie I, 1990, à la p. 953), l’Australie (voir La Gazette du Canada, Partie I, 1990, à la p. 1582); les Bahamas (voir La Gazette du Canada, Partie I, 1990, à la p. 3074); la France (voir La Gazette du Canada, Partie I, 1991, à la p. 1840); Hong Kong (voir La Gazette du Canada, Partie I, 1991, à la p. 963); le Mexique (voir La Gazette du Canada, Partie I, 1990, à la p. 4319); et le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord (voir La Gazette du Canada, Partie I, 1990, à la p. 3081).

[7] « Securing Evidence Abroad » dans M. C. Bassiouni, éditeur, International Criminal Law, vol. II : (Dobbs Ferry, N.Y. : Transnational Publishers, 1987), à la p. 360.

[8] Le 7 octobre 1993, [1995] R.T. Can no 24.

[9] L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 30 (la Loi).

[10] [1996] 2 R.C.S. 207.

[11] [1995] 3 R.C.S. 562.

[12] Art. 10(1) et 10(3), S.R.C. 1970, ch. C-23.

[13] Hunter, précité note 5, à la p. 157.

[14] Ibid.

[15] Id., à la p. 160. L’accent capital placé sur la protection de la vie privée résulte du rejet de l’importance historique que l’on accordait aux biens en faveur d’une protection accrue de la personne, qui a d’abord été reconnue dans Katz v. United States, 389 U.S. 347 (1967). Ce résultat découle aussi du mécontentement grandissant qui s’est exprimé face au manque de cohérence dans la justification du droit touchant les fouilles, les perquisitions et les saisies au Canada : voir Canada, Commission de réforme du droit, Rapport sur les fouilles, les perquisitions et les saisies, (1984).

[16] [1988] 2 R.C.S. 417, aux p. 427 et 428.

[17] Id., à la p. 426.

[18] [1990] 1 R.C.S. 425, à la p. 508.

[19] Hunter, précité, note 5, aux p. 159 et 160.

[20] Id., à la p. 160.

[21] Id., à la p. 162.

[22] Cette présomption peut être réfutée mais seulement si, selon le juge Lamer, plus tard juge en chef, « [la fouille] est autorisée par la loi, si la loi elle-même n’a rien d’abusif et si la fouille n’a pas été effectuée d’une manière abusive » : R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, à la p. 278.

[23] Précité, note 16, à la p. 430.

[24] [1995] 4 R.C.S. 411, à la p. 486.

[25] Terry, précité, note 10, à la p. 215.

[26] La « mise en garde Miranda » qui a été faite à Terry était la suivante : « [traduction] Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que vous direz pourra et sera utilisé contre vous devant une cour de justice. Vous avez le droit de parler à un avocat avant d’être interrogé, et d’être interrogé en sa présence. Si vous n’avez pas les moyens d’embaucher un avocat, un avocat sera désigné pour vous représenter, avant le début de l’interrogatoire, si vous le désirez. Vous avez en tout temps le droit de ne pas répondre aux questions et de ne faire aucune déclaration. O.K., avez-vous compris ce que je viens de vous lire concernant chacun de vos droits? » Id., à la p. 211.

[27] Id., à la p. 217.

[28] Ibid.

[29] Harrer, précité, note 11, à la p. 571.

[30] Précité, note 10, à la p. 210 [soulignement ajouté].

[31] Précité, note 11, à la p. 569.

[32] Ibid.

[33] (1993), 82 C.C.C. (3d) 516 (Div. gén. Ont.), à la p. 522.

[34] Précité, note 11, aux p. 583 et 584.

[35] [1987] 1 R.C.S. 500.

[36] Id., à la p. 518.

[37] [1991] 2 R.C.S. 779.

[38] Id., à la p. 831, le juge La Forest.

[39] Toutefois, il y a des différences importantes découlant des références contenues dans le Quatrième amendement aux « personnes ». Dans l’arrêt United States v Verdugo-Urquidez, 108 L. Ed 2d 222 (1990), le juge en chef Rehnquist, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême des États-Unis, a statué que le Quatrième amendement ne s’appliquait pas à une fouille ou à une perquisition sans mandat effectuée par des agents américains au Mexique. Les agents avaient perquisitionné la résidence d’un citoyen mexicain qui avait été remis aux autorités américaines par les autorités mexicaines et qui était détenu en Californie à ce moment-là. Le juge en chef Rehnquist a indiqué dans son raisonnement, à la p. 233, que les « personnes » qui sont protégées par le Quatrième amendement [traduction] « désignent une catégorie de personnes qui font partie d’une communauté nationale ou qui ont par ailleurs développé un lien suffisant avec ce pays pour être considérées comme faisant partie de cette communauté ». Par contraste, l’art. 8 de la Charte étend sa protection à « [c]hacun », terme qui a été défini par le juge Wilson dans Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la p. 202, comme incluant « une catégorie de personnes plus large que les citoyens et les résidents permanents ».

[40] Criminal Procedure, 2e éd., (St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1992), à la p. 119.

[41] 383 F.2d 345 (1967); bref de certiorari refusé à 389 U.S. 986 (1986). Pour une discussion générale plus exhaustive sur la jurisprudence américaine consécutive à l’arrêt Brulay, voir Hutchison et al., Search and Seizure Law in Canada, (Scarborough Ont. : Carswell, 1993), chap. 12.

[42] Id., à la p. 348.

[43] Colello v. U.S. S.E.C., 908 F.Supp. 738 (C.D. Cal., 1995).

[44] La SEC avait fait valoir que la norme du « soupçon raisonnable » énoncée dans le Traité entre les États-Unis et la Confédération suisse sur l’entraide en matière criminelle, 27 U.S.T. 2019, T.I.A.S. nº 8, entré en vigueur le 23 janvier 1977, était suffisante.

[45] Reid v. Covert, 354 U.S. 1 (1957), aux p. 5 et 6.

[46] Il convient toutefois de noter que les tribunaux américains ont refusé d’accorder la protection offerte par le Quatrième amendement à des sujets américains au cours de fouilles et de perquisitions effectuées à l’étranger concernant des dossiers bancaires, aux termes de traités d’entraide : voir U.S. v. Sturman, 951 F.2d 1466 (6th Cir., 1992). La raison principale en est qu’aucune attente en matière de vie privée ne s’applique aux dossiers bancaires aux États-Unis : voir United States v. Miller, 425 U.S. 435 (1976). La position des tribunaux américains sur ce point ne repose pas sur la question de savoir si les agents du gouvernement devraient être tenus de satisfaire à des normes procédurales internes avant de demander l’aide d’un pays étranger.

[47] Voir les art. 11 et 12 de la Loi.

[48] Précité, note 11, à la p. 570.

[49] Id., à la p. 571.

[50] Précité, note 10, à la p. 215.

[51] R. v. Cook, [1996] B.C.J. no 2615 (Q.L.).

[52] Id., par. 42, le juge d’appel Hinds.

[53] Voir la discussion sur Dyment et O’Connor, à la p. 218.

[54] Katz, précité, note 15, à la p. 351. Le Quatrième amendement de la Constitution des États-Unis est rédigé dans les termes suivants : [traduction] « Le droit des citoyens d’être garantis dans leurs personnes, domiciles, papiers et effets contre des perquisitions et saisies abusives ne sera pas violé, et aucun mandat ne sera délivré que pour un motif plausible, soutenu par serment ou affirmation, ni sans qu’il décrive avec précision le lieu à fouiller et les personnes ou objets à saisir ».

[55] Précité, note 5, à la p. 159.

[56] [1994] 1 R.C.S. 20, à la p. 60.

[57] Précité, note 16, aux p. 429 et 430.

[58] [1993] 3 R.C.S. 281, à la p. 293.

[59] Ibid.

[60] (1994), 119 Nfld. & P.E.I.R. 91 (C.S. 1re inst. T.-N.), à la p. 126.

[61] Voir M. H. Ogilvie, « Banker and Customer Revisited », (1986) 65 R. du B. can. 3, à la p. 6.

[62] (1994) 92 C.C.C. (3d) 90 (Div. gén. Ont.), aux p. 94 et 95.

[63] Search and Seizure Law in Canada, précité, note 41, à la p. 1-16.

[64] Ibid.

[65] Précité, note 5, à la p. 154.

[66] Voir R. v. Sanchez (1994), 20 O.R. (3d) 468 (Div. gén.), aux p. 476 à 478, dans lequel la Cour a énoncé trois lignes directrices à suivre pour procéder au contrôle des mandats de perquisition : (i) la qualité de la rédaction; (ii) l’analyse de l’ensemble du document; (iii) l’existence d’inférences raisonnables permettant de conclure qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise.

[67] Thomson Newspapers Ltd., précité, note 18, et R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, sont également des arrêts dans lesquels la Cour cherchait à déterminer les moyens utilisés pour ordonner la fouille, la perquisition ou la saisie, et non pas simplement la manière dont elle l’avait été.

[68] (1812), 7 Cranch’s Reports 116, aux p. 136 et 137.

[69] [1981] 2 R.C.S. 392.

[70] Id., à la p. 401.

[71] [1980] 2 R.C.S. 39.

[72] Dans Colello, précité, note 43, une Cour de district fédérale de la Californie a statué qu’un gel de biens en Suisse suivant une demande d’assistance fondée sur un traité d’entraide entre les États-Unis et la Suisse constituait une « saisie » assujettie au Quatrième amendement. À la p. 755, la Cour a indiqué que [traduction] « le fait que ce soit des agents suisses et non américains qui aient effectivement ordonné le gel des comptes des demandeurs n’exonère pas les défendeurs de toute responsabilité ». Cette conclusion se fondait sur le principe que le gouvernement américain est tenu responsable, conformément aux normes constitutionnelles, pour les mesures prises par un gouvernement étranger lorsque (i) les mesures de ce gouvernement étranger sont prévisibles et (ii) que le refus des tribunaux américains de sanctionner ces gestes dissuaderait à l’avenir l’adoption d’une conduite inappropriée par le gouvernement américain : voir Barr v. U.S. Dept. of Justice, 819 F.2d 25 (2nd Cir. 1987), à la p. 27, qui a été jugé en vertu du même traité d’entraide.

[73] Hunter, précité, note 5, à la p. 160.

[74] L’art. 487(1)d) [mod. par L.R.C. (1985) (1re suppl.), ch. 27, art. 68] du Code criminel dispose qu’un juge de paix « peut à tout moment décerner un mandat sous son seing, autorisant une personne qui y est nommée ou un agent de la paix d) à faire une perquisition dans ce bâtiment, contenant ou lieu, pour rechercher cette chose et la saisir ». [Non souligné dans l’original.]

[75] Terry, précité, note 10, à la p. 219. Pour une liste exhaustive des facteurs à utiliser pour évaluer l’équité d’un procès faisant intervenir des éléments de preuve recueillis à l’étranger, voir Cook, précité, note 51, au par. 54.

[76] [1990] 3 R.C.S. 3, à la p. 28.

[77] Voir, par exemple, R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933 et R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577.

[78] Précité, note 56, à la p. 64.

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