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[1997] 1 C.F. 273

A-722-95

L’officier des opérations du Quatrième groupe des opérations maritimes, le commandant du Quatrième groupe des opérations maritimes, le commandant du Groupe de maintenance de la Flotte (Pacifique), le commandant des Forces maritimes du Pacifique, le commandant du Commandement maritime, le chef d’état-major de la défense et le ministre de la Défense nationale (appelants) (intimés)

c.

Robert David Anderson (intimé) (requérant)

Répertorié : Anderson c. Canada (Forces armées) (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone et Linden, J.C.A., juge suppléant Henry—Vancouver, 11 octobre; Ottawa, 24 octobre 1996.

Forces armées Appel contre le rejet par la Section de première instance de la fin de non-recevoir opposée au recours en contrôle judiciaireLe contre-amiral avait rejeté la demande de redressement de grief portant annulation de la mesure de mise en garde et surveillanceL’art. 29 de la Loi sur la défense nationale et les art. 19.26 et 19.27 ORFC prévoient les recours successifs le long de la chaîne de commandementExistence d’une autre voie de recours appropriéeAppel accueilli.

Droit administratif Contrôle judiciaire Appel contre le rejet par la Section de première instance de la fin de non-recevoir opposée au recours en contrôle judiciaireLe contre-amiral avait rejeté la demande de redressement de grief portant annulation de la mesure de mise en garde et surveillanceL’art. 29 de la Loi sur la défense nationale et les art. 19.26 et 19.27 ORFC prévoient les recours successifs le long de la chaîne de commandementExistence d’une autre voie de recours appropriéeNi le temps requis ni le coût ni la tension tenant à la poursuite de la plainte aux niveaux supérieurs de la chaîne de commandement ne justifient l’intervention de la Cour.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Appel contre le rejet par la Section de première instance de la fin de non-recevoir opposée au recours en contrôle judiciaireLe contre-amiral avait rejeté la demande de redressement de grief portant annulation de la mesure de mise en garde et surveillanceSa décision est celle d’un office fédéral au sens de l’art. 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale en ce qu’elle tranchait la question qui lui était soumise, et elle a force obligatoire à l’égard de l’intiméLe fait que celui-ci ait la possibilité de saisir le niveau supérieur de la chaîne de commandement ne la rendait pas moins définitive.

Pratique Parties Appel contre le rejet par la Section de première instance de la fin de non-recevoir opposée au recours en contrôle judiciaireLa seule personne qu’il convienne de citer est la personne dont la décision est contestée, savoir le commandant des Forces maritimes du PacifiqueIl serait prématuré de citer le chef d’état-major de la défense ou le ministre puisqu’il n’y a recours en contrôle judiciaire contre aucune décision de l’un ou de l’autre.

Appel contre l’ordonnance par laquelle la Section de première instance a rejeté la fin de non-recevoir opposée au recours de l’intimé en contrôle judiciaire. Celui-ci, astreint à la mise en garde et surveillance, avait présenté une demande de redressement de grief concluant à l’annulation de cette mesure et à l’élimination de toute mention de cette mesure de tous les dossiers. Les moyens pris étaient l’iniquité procédurale et la crainte raisonnable de préjugé. L’article 29 de la Loi sur la défense nationale prévoit le droit pour tout officier ou militaire du rang de demander réparation auprès des autorités supérieures selon les modalités réglementaires. L’OAFC 26-17 prévoit qu’en cas d’objection à la mesure de MG et S, ce sont les articles 19.26 et 19.27 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) qui s’appliquent. Aux termes de l’article 19.26(10)a) ORFC, l’autorité de redressement qui reçoit une plainte doit, lorsqu’elle a le pouvoir d’accorder le redressement demandé, (i) prendre les mesures nécessaires, si elle est personnellement convaincue du bien-fondé de la plainte, ou (ii) retourner la plainte au militaire et l’informer qu’elle n’y a pas fait droit parce qu’elle n’est pas personnellement convaincue du bien-fondé de la plainte. Le contre-amiral Johnston, saisi de la plainte, a informé le requérant qu’il ne pouvait se prononcer en sa faveur et que celui-ci avait le droit de porter sa plainte à une autorité supérieure de la chaîne de commandement. En exerçant le recours en contrôle judiciaire contre cette décision, l’intimé visait à purger son dossier militaire puisqu’il avait déjà fait sa période de mise en garde et surveillance.

Il échet d’examiner : (1) s’il faut rejeter la requête puisque l’intimé a à sa disposition une autre voie de recours appropriée qu’il a choisi de ne pas épuiser; (2) si la décision du contre-amiral est une « décision ou ordonnance d’un office fédéral » au sens du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale; (3) s’il est loisible à l’intimé de demander que demeurent seuls en cause le chef d’état-major de la défense et le ministre de la Défense; et (4) si la procédure vise davantage qu’une « seule décision » au sens de la Règle 1602(4) (aux termes de laquelle la requête porte sur une seule décision).

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

(1) En disant qu’il ne se « prononçait » pas en faveur de la plainte, le contre-amiral Johnston faisait savoir en effet qu’il n’était pas personnellement convaincu du « bien-fondé » de cette plainte. Ce qui a poussé l’intimé à saisir la Section de première instance, c’était sa conclusion que la décision du contre-amiral Johnston n’accordait pas « le redressement qui, de l’avis du militaire, semble justifié ». Dans ces conditions, il avait la possibilité de saisir le niveau supérieur immédiat de la chaîne de commandement, savoir le commandant du Commandement maritime qui, tout comme ce dernier, était investi par le sous-alinéa 19.26(10)a)(ii) ORFC du même pouvoir d’annuler une mesure de MG et S.

Le processus prescrit par l’article 29 de la Loi sur la défense nationale et élaboré par les articles 19.26 et 19.27 ORFC prévoit une autre voie de recours appropriée. Le facteur temps n’est pas tel qu’il justifie l’intervention de la Cour. Il est vrai qu’en toute probabilité, le recours en contrôle judiciaire prendrait moins de temps qu’il en faudrait pour porter la plainte aux échelons supérieurs successifs de la chaîne de commandement, mais l’article 19.26 prescrit d’enquêter sur la plainte « aussi promptement que possible » et prévoit des délais stricts de décision pour les diverses autorités de redressement au-dessous du chef d’état-major de la défense. Il y avait une possibilité de recours au niveau supérieur immédiat de la chaîne de commandement si l’autorité de redressement pouvait être convaincue du « bien-fondé » de la plainte. Ni le coût ni la tension tenant à la poursuite de la plainte aux niveaux supérieurs de la chaîne de commandement ne justifient l’intervention de la Cour dans ce processus. Le juge des requêtes n’a été saisi d’aucune preuve dans ce sens. Par ailleurs, la procédure d’instruction des plaintes est simple et facile à observer; elle n’est pas excessivement coûteuse et le paragraphe 19.27(3) prévoit que le plaignant peut recevoir de l’aide pour formuler sa plainte. Bien que la décision sur ce point vide l’appel, il est nécessaire d’examiner les points litigieux restants, au cas où la Cour se serait trompée à ce sujet.

(2) La décision du contre-amiral Johnston tranchait la question dont il était saisi et avait force obligatoire à l’égard de l’intimé. Le fait que celui-ci ait la possibilité de saisir le niveau supérieur de la chaîne de commandement ne la rendait pas moins définitive à ce palier, bien que théoriquement, elle puisse être infirmée au palier suivant.

(3) La seule personne qu’il soit nécessaire de citer dans le recours en contrôle judiciaire est celle dont la décision est contestée, savoir le commandant des Forces maritimes du Pacifique. Il serait prématuré de citer le chef d’état-major de la défense ou le ministre puisqu’il n’y a recours en contrôle judiciaire contre aucune décision de l’un ou de l’autre.

(4) Par application de la Règle 1602(4), la mesure de mise en garde et surveillance ne pourrait être soumise au contrôle judiciaire dans le cadre du recours formé contre la décision du contre-amiral Johnston.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(2) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 29 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 43).

Ordonnances administratives des Forces canadiennes, 26-17.

Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (Révision de 1968), art. 19.26, 19.27.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1602(4) (édictée par DORS/92-43, art. 19).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Harelkin c. Université de Régina, [1979] 2 R.C.S. 561; (1979), 96 D.L.R. (3d) 14; [1979] 3 W.W.R. 676; 26 N.R. 364; Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464 (1994), 113 D.L.R. (4th) 529; 166 N.R. 57 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Gayler c. Canada (Directeur de l’Administration des carrières (PNO), Quartier général de la Défense nationale), [1995] 1 C.F. 801 (1984), 88 F.T.R. 241 (1re inst.); Lingley c. Commission d’examen, [1976] 1 C.F. 98 (1975), 62 D.L.R. (3d) 187; 25 C.C.C. (2d) 81; 13 N.R. 22 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Downey c. Canada, [1985] A.C.F. no 443 (1re inst.) (QL); Dressler c. Canada (Ministre de la Défense nationale) et al. (1989), 30 F.T.R. 13 (C.F. 1re inst.).

APPEL contre le rejet par la Section de première instance de la fin de non-recevoir opposée au recours en contrôle judiciaire exercé par l’intimé contre le refus de son commandant d’annuler la mesure de mise en garde et surveillance (Anderson c. Canada (Forces armées canadiennes), [1995] A.C.F. no 1461 (C.F. 1re inst.)). Appel accueilli.

AVOCATS :

Leigh A. Taylor pour les appelants (intimés).

Duncan J. Boan pour l’intimé (requérant).

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour les appelants (intimés).

Hunt & Boan, Associates, Victoria, pour l’intimé (requérant).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : Dans cet appel formé contre l’ordonnance en date du 1er novembre 1995 [[1995 A.C.F. no 1461 (QL)], par laquelle la Section de première instance a rejeté la fin de non-recevoir opposée à la requête introductive d’instance, se pose la question de savoir en premier lieu, si la décision en cause est une décision ou ordonnance d’un office fédéral au sens du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)] et, en second lieu, s’il faut de toute façon rejeter la requête puisque l’intimé a à sa disposition une autre voie de recours appropriée qu’il a choisi de ne pas épuiser. Deux questions subsidiaires ont été débattues, savoir s’il est loisible à l’intimé de demander que demeurent seuls en cause le chef d’état-major de la défense et le ministre de la Défense, et si la procédure vise davantage qu’une « seule décision » au sens du paragraphe 1602(4) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663 (édicté par DORS/92-43, art. 19)].

Le 7 décembre 1994, l’intimé a été astreint à la mise en garde et surveillance (MG et S) pour six mois par le commandant du Quatrième groupe des opérations maritimes, D. E. Collinson, qui certifiait que la décision avait été prise conformément à l’article 26-17 des Ordonnances administratives des Forces canadiennes (OAFC 26-17). Peu de temps après, le 12 décembre 1994, l’avocat de l’intimé a présenté une demande de redressement de grief où il concluait à ce qui suit :

[traduction] Le redressement demandé est l’annulation de la mesure de mise en garde et surveillance, et l’élimination de toute mention de cette mesure de tous les dossiers.

ainsi qu’un remboursement des honoraires d’avocat. Le redressement demandé avait pour motifs l’iniquité procédurale et la crainte raisonnable de préjugé. La demande a été instruite par le contre-amiral Johnston, commandant des Forces maritimes du Pacifique, qui en a notifié le rejet à l’intimé par lettre en date du 22 mars 1995. Le recours en contrôle judiciaire contre cette décision a été introduit le 24 avril 1995.

Il est visible que l’intimé vise, par son recours en contrôle judiciaire, à purger son dossier militaire. C’est ce qu’a noté le juge des requêtes au paragraphe 14 des motifs de sa décision, comme suit :

Les questions de temps et de ressources sont pertinentes en l’espèce. L’avocat des intimés a informé la Cour lors de l’audition de la requête en cause que le requérant avait déjà complété sa période de mise sous surveillance sans en avoir subi d’effets néfastes, et que par conséquent il devait donc maintenir sa demande seulement dans le but de faire éliminer de son dossier militaire la mesure disciplinaire de mise en garde et surveillance.

J’examinerai tout d’abord la seconde question. Au paragraphe 10 des motifs de sa décision, le juge des requêtes évoque le principe de common law qui veut que la juridiction compétente rejette le recours en contrôle judiciaire, c’est-à-dire en ordonnance de certiorari et de mandamus, si elle conclut que le requérant a à sa disposition une autre voie de recours appropriée. Pour reprendre ses propres termes, il y a « l’affirmation bien connue selon laquelle les requérants doivent épuiser tous les recours disponibles, au moins ceux qui leur sont facilement disponibles, avant de demander le contrôle judiciaire ». Le recours en contrôle judiciaire ne sera pas recevable s’il y a une autre voie de droit appropriée qui n’a pas été épuisée. Les critères à appliquer pour décider s’il y a une autre voie de recours appropriée sont analysés en ces termes par le juge Beetz dans l’arrêt Harelkin c. Université de Régina, [1979] 2 R.C.S. 561, à la page 588 :

Pour évaluer si le droit d’appel de l’appelant au comité du sénat constituait un autre recours approprié et même un meilleur recours que de s’adresser aux cours par voie de brefs de prérogative, il aurait fallu tenir compte de plusieurs facteurs dont la procédure d’appel, la composition du comité du sénat, ses pouvoirs et la façon dont ils seraient probablement exercés par un organisme qui ne constitue pas une véritable cour d’appel et qui n’est pas tenu d’agir comme s’il en était une, ni n’est susceptible de le faire. D’autres facteurs comprennent le fardeau d’une conclusion antérieure, la célérité et les frais.

Dans deux décisions récentes, la Section de première instance a conclu à l’irrecevabilité du recours en contrôle judiciaire parce qu’il y avait une autre voie de recours appropriée sous le régime des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (Révision de 1968) (ORFC); voir Downey c. Canada, [1985] A.C.F. no 443 (1re inst.) (QL); Dressler c. Canada (Ministre de la Défense nationale) et al. (1989), 30 F.T.R. 13 (C.F. 1re inst.). Plus récemment encore, dans Gayler c. Canada (Directeur de l’Administration des carrières (PNO), Quartier général de la Défense nationale), [1995] 1 C.F. 801 la Section de première instance a jugé que la requérante était recevable à se pourvoir en contrôle judiciaire, mais a noté à la page 814 cette circonstance particulière, savoir que « seul le chef d’état-major de la défense est habilité à infirmer la décision prise en son nom ». Tel n’est pas le cas en l’espèce.

Afin d’examiner s’il existe une autre voie de recours appropriée dans les circonstances de la cause, il faut prendre en compte le contexte juridique de l’affaire. L’article 29 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 43] de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, prévoit ce qui suit :

29. … l’officier ou le militaire du rang qui s’estime lésé d’une manière ou d’une autre peut, de droit, en demander réparation auprès des autorités supérieures désignées par règlement du gouverneur en conseil, selon les modalités qui y seront fixées.

La règle est sans équivoque, à savoir qu’une plainte comme celle qui nous occupe en l’espèce doit être instruite au sein des Forces canadiennes selon les modalités fixées par règlement.

Le « règlement » applicable en l’espèce est représenté par les ORFC, en particulier l’article 19.26. Aux termes du paragraphe (1), « autorité de redressement » s’entend d’un commandant, d’un officier commandant une formation ou un commandement, du chef d’état-major de la défense et du ministre. Le paragraphe (2) prévoit que sous réserve du paragraphe (12), « une plainte présentée en vertu du présent article doit être acheminée par la chaîne de commandement ». Le paragraphe (3) fait obligation à l’autorité de redressement saisie d’une plainte de « faire mener une enquête sur celle-ci aussi promptement que possible ». Une autre disposition prévoit la saisine de l’autorité supérieure de la chaîne de commandement si à un palier quelconque, la décision rendue « n’accorde pas le redressement qui, de l’avis du militaire, semble justifié ». Les paragraphes (10), (11) et (12) ont particulièrement application en l’espèce. Les voici :

19.26 …

(10) Toute autorité de redressement qui reçoit une plainte écrite doit :

a) lorsqu’elle a le pouvoir d’accorder le redressement demandé :

(i) soit prendre les mesures nécessaires, si elle est personnellement convaincue du bien-fondé de la plainte,

(ii) soit retourner la plainte au militaire et l’informer que l’autorité de redressement n’y a pas fait droit parce qu’elle n’est pas personnellement convaincue du bien-fondé de la plainte;

b) lorsqu’elle n’a pas le pouvoir d’accorder le redressement demandé :

(i) soit acheminer la plainte à l’autorité de redressement supérieure dans la chaîne de commandement, si elle est personnellement convaincue du bien-fondé de la plainte,

(ii) soit retourner la plainte au militaire et l’informer que l’autorité de redressement n’y a pas fait droit parce qu’elle n’a pas le pouvoir d’accorder le redressement demandé et qu’elle n’est pas personnellement convaincue du bien-fondé de la plainte.

(11) Une autorité de redressement est tenue de prendre les mesures visées par l’alinéa (10) à l’intérieur des délais prescrits ci-dessous :

a) s’il s’agit d’un commandant, dans les 30 jours suivant la réception de la plainte par celui-ci;

b) s’il s’agit d’un officier commandant une formation, dans les 90 jours suivant la réception de la plainte par celui-ci;

c) s’il s’agit d’un officier commandant un commandement, dans les six mois suivant la réception de la plainte par celui-ci.

(12) Si une autorité de redressement visée à l’alinéa (11) ne prend pas de décision à l’égard d’une plainte d’un officier ou militaire du rang au cours de la période visée par cet alinéa, le militaire peut présenter une plainte écrite directement à l’autorité de redressement supérieure dans la chaîne de commandement.

Malgré les délais prévus au paragraphe 19.26(13) des ORFC pour saisir l’autorité de redressement d’une plainte, tout commandant tient du paragraphe (15) du même texte le pouvoir discrétionnaire d’instruire une plainte déposée après les délais « s’il estime, eu égard aux circonstances, qu’il serait dans l’intérêt de la justice de le faire ».

Outre l’article 19.26 des ORFC, diverses dispositions de l’OAFC 26-17 ont également application en l’espèce, en particulier les articles 1 et 6 dont voici les passages applicables :

1. L’avertissement écrit (AE), la mise en garde et la surveillance (MG et S) sont des mesures administratives destinées à faire accéder le militaire à un niveau acceptable de rendement ou de conduite …

6. Les lignes de conduite suivantes s’appliquent aux mesures de MG et S qui sont prises afin de corriger l’ensemble des faiblesses, y compris celles attribuables à l’usage de drogues et d’alcool :

b. Le commandant ou une autorité supérieure peut y avoir recours.

e. La période de surveillance doit durer 6 mois, sauf que—

(2) l’autorité compétente ayant ordonné la mise sous surveillance peut y mettre un terme si le militaire corrige ses faiblesses ou, au contraire, s’il ne fournit pas les efforts voulus pour réaliser les progrès nécessaires ou se rend coupable d’une infraction apparentée à la faiblesse qu’on lui reproche.

f. si les mesures de MG et S ne se soldent pas par un succès, le commandant peut ordonner la libération du militaire.

g. si un militaire s’oppose à la prise des mesures de MG et S, les dispositions prévues aux articles 19.26 et 19.27 des ORFC doivent s’appliquer.

Il y a lieu de reproduire ici le texte de la décision rendue le 22 mars 1995 par le contre-amiral Johnston :

[traduction] 1. J’ai examiné votre demande de redressement de grief, référence A, par laquelle vous invoquez l’abus de pouvoir et l’iniquité envers les subordonnés pour conclure à l’annulation de la mesure de mise en garde et surveillance dont vous faites l’objet.

2. Quant au fait que vous avez été confiné à terre, le commandant a pris cette décision parce qu’à son avis, elle était la plus indiquée en l’occurrence.

3. En ce qui concerne la nature de l’enquête, l’OAFC 19-39 investit l’unité concernée du pouvoir discrétionnaire d’entreprendre une enquête informelle ou une enquête sommaire ou encore de constituer une commission d’enquête. Dans cette affaire, le capitaine (M) Collinson a conclu, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, qu’une enquête sommaire serait la plus indiquée.

4. Étant donné que l’officier chargé de l’enquête et l’officier—Travail social régional sont parvenus à la même conclusion à l’issue d’entrevues avec le sergent-chef et Mme Rodighiero, je suis convaincu que vos agissements envers le sergent-chef Rodighiero et sa femme étaient des actes de harcèlement.

5. Pour ce qui est de l’enquête sommaire conduite par le commander Riggs, il n’y a tout d’abord aucune preuve de préjugé de sa part et je dois rejeter cette allégation. Pour ce qui est de l’équité procédurale, vous étiez parfaitement au courant des faits sur lesquels l’officier chargé de l’enquête cherchait à faire la lumière, et vous avez eu amplement la possibilité d’y répondre. L’équité procédurale ne signifie dans ce contexte ni le droit de contre-interroger ni le droit au ministère d’avocat. Après examen de tous les documents, je ne suis pas convaincu que l’enquête sommaire fût inique.

6. Il s’ensuit que je ne fais pas droit à votre demande de remboursement des honoraires d’avocat et des frais. Vous seul avez décidé de retenir les services d’un avocat, et les frais sont d’ordre personnel.

7. Je conclus que l’enquête sommaire justifie les conclusions et recommandations qui en découlent. Je regrette donc de ne pouvoir me prononcer en faveur de votre demande de redressement de grief. Si vous n’êtes pas satisfait de ma décision, vous pouvez porter votre plainte à une autorité supérieure de la chaîne de commandement.

Les appelants soutiennent que la décision susmentionnée du contre-amiral Johnston tombe sous le coup du sous-alinéa 19.26(10)b)(ii) des ORFC, « parce que [cette autorité] n’a pas le pouvoir d’accorder le redressement demandé » en ce que par application de l’alinéa 6.e.(2) de l’OAFC 26-17, le contre-amiral Johnston, n’étant pas « l’autorité compétente ayant ordonné la mise sous surveillance », n’était pas en position d’y mettre fin. L’intimé réplique qu’il n’en est rien puisque le redressement que l’appelant demandait au contre-amiral Johnston n’était pas de « mettre un terme » à la mesure de MG et S, mais d’annuler la décision du capitaine Collinson. Je juge cet argument fondé.

Il ressort du texte de la décision du contre-amiral Johnston qu’il n’instruisait pas la plainte sous le régime du sous-alinéa 19.26(10)b)(ii) des ORFC, car il ne prétendait nulle part dans sa lettre du 22 mars 1995 « informer [le militaire] que l’autorité de redressement [n’]a pas fait droit [à sa plainte] parce qu’elle n’a pas le pouvoir d’accorder le redressement demandé », mais se contentait de dire : « je regrette de ne pouvoir me prononcer en faveur de votre demande ». Il ne l’a pas informé non plus que « l’autorité de redressement n’y a pas fait droit parce qu’elle … n’est pas personnellement convaincue du bien-fondé de la plainte ». Il me semble cependant qu’en disant qu’il ne se « prononçait » pas en faveur de la plainte, il faisait savoir en effet qu’il n’était pas personnellement convaincu du bien-fondé de cette plainte. Il est visible que ce qui a poussé l’intimé à saisir la Section de première instance de son recours, c’était sa conclusion que la décision du contre-amiral Johnston « n’accordait pas le redressement qui, de l’avis du militaire, semble justifié ». Dans ces conditions, l’intimé avait la possibilité de saisir le supérieur hiérarchique du contre-amiral Johnston, savoir le commandant du Commandement maritime qui, tout comme ce dernier, était investi du même pouvoir de redressement « s’[il] est personnellement convaincu du bien-fondé de la plainte ». Il me semble que le sous-alinéa 19.26(10)a)(ii) investit le commandant du Commandement maritime, tout aussi bien que le contre-amiral Johnston, du même pouvoir d’annuler une mesure de MG et S pour vice de procédure,

J’en viens maintenant à l’application des critères dégagés par la jurisprudence Harelkin susmentionnée pour examiner s’il existe une autre voie de recours appropriée. D’après ce que j’ai pu voir, le juge des requêtes a fondé sa conclusion à l’absence d’une autre voie de recours appropriée sur les délais requis pour poursuivre la plainte aux niveaux supérieurs successifs de la chaîne de commandement, ainsi que sur le coût et la tension que subirait l’intimé dans cette voie. Comme noté supra, il ne serait pas futile de soumettre la plainte au commandant du Commandement maritime puisqu’il est investi du même pouvoir de redressement.

Il est vrai qu’en toute probabilité, le recours en contrôle judiciaire prendrait moins de temps qu’il en faudrait pour porter la plainte aux échelons supérieurs successifs de la chaîne de commandement. Il se trouve cependant que l’article 19.26 des ORFC prescrit d’enquêter sur la plainte « aussi promptement que possible », et que le paragraphe (11) prévoit des délais stricts de décision pour les diverses autorités de redressement au-dessous du chef d’état-major de la défense. Bien que, comme nous l’avons vu, une mesure de MG et S puisse aboutir dans certains cas à la « libération » de l’intéressé des Forces canadiennes, il n’y aurait pas libération de l’intimé en l’espèce puisque, comme l’a noté le juge des requêtes, le requérant « avait déjà complété sa période de mise sous surveillance sans en avoir subi d’effets néfastes ». L’affaire était donc classée pour lui, n’eût été son désir « de faire éliminer de son dossier militaire la mesure disciplinaire ». Poursuivre son grief aux paliers supérieurs de la chaîne de commandement signifierait que l’intimé aurait à engager au moins l’étape suivante de la procédure, savoir soumettre la plainte au commandant du Commandement maritime. Évidemment rien ne garantit que celui-ci accorderait le redressement demandé, mais rien ne permet de dire non plus qu’il le refuserait. Il y a donc une possibilité de recours au niveau supérieur immédiat de la chaîne de commandement si l’autorité de redressement pouvait être convaincue du « bien-fondé » de la plainte de l’intimé, savoir qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale et qu’il y avait crainte raisonnable de préjugé au premier palier du processus. Vu les circonstances de la cause, je conclus que le facteur temps n’est pas tel qu’il justifie l’intervention de la Cour en cet état de la cause.

Je ne suis pas convaincu non plus que le coût et la tension tenant à la poursuite de la plainte aux niveaux supérieurs de la chaîne de commandement justifient l’intervention de la Cour dans ce processus. Bien que le juge des requêtes y ait vu des facteurs valides, il n’a été saisi d’aucune preuve en la matière. En fait, sa conclusion était fondée dans une certaine mesure sur la supposition que le requérant « n’a pas les ressources lui permettant de pousser l’affaire vers le haut ». Par ailleurs, je ne pense pas que la procédure d’instruction des plaintes soit excessivement coûteuse. Les règles de procédure sont définies à l’article 19.27 des ORFC, dont le paragraphe (1) porte :

(1) Une plainte écrite présentée par un officier ou militaire du rang en vertu de l’article 19.26 (Réparation d’une injustice) renferme les renseignements suivants :

a) une déclaration des faits qui ont donné naissance à la plainte;

b) un énoncé du redressement demandé;

c) une déclaration écrite de toute personne sur laquelle le militaire s’appuie pour établir le bien-fondé de sa plainte;

d) une copie de tout document sur lequel le militaire s’appuie pour établir le bien-fondé de sa plainte.

On voit bien qu’il s’agit là d’une procédure simple et facile à observer. D’ailleurs, le paragraphe (3) du même article prévoit que sur demande faite à cet effet au commandant, le plaignant peut recevoir de l’aide pour formuler sa plainte. Il appert également que les plaintes de ce genre étant instruites sur pièces, le coût en est principalement celui de la préparation de la plainte. Le recours aux services d’un avocat de l’extérieur ajouterait sans doute au coût de la poursuite de la plainte aux paliers supérieurs. Il se trouve cependant que les conclusions contenues dans la lettre exhaustive en date du 12 décembre 1994 de l’avocat de l’intimé sont suffisamment bien définies pour que l’intimé puisse les faire valoir également aux paliers supérieurs. Les frais ne sont donc pas un facteur déterminant.

En bref, j’estime que le processus prescrit par l’article 29 de la Loi sur la défense nationale et élaboré par les articles 19.26 et 19.27 des ORFC prévoit une autre voie de recours appropriée et qu’en conséquence, le recours en contrôle judiciaire n’est pas recevable.

Vu la conclusion que j’ai tirée au sujet de la deuxième question, il n’est pas nécessaire d’examiner les points litigieux restants. Je le ferai quand même au cas où je me serais trompé au sujet de la deuxième question litigieuse. Il s’agit de savoir en premier lieu si la décision notifiée par la lettre du 22 mars 1995 du contre-amiral Johnston est une « décision ou ordonnance » au sens du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale. Les appelants soutiennent qu’elle n’en est pas une parce que, pour reprendre la conclusion tirée par le juge Pratte, J.C.A., dans Lingley c. Commission d’examen, [1976] 1 C.F. 98(C.A.), à la page 101, « juridiquement, [les décisions de ce genre] ne tranchent pas une question et n’ont pas d’effet obligatoire ». L’intimé soutient que sur le plan juridique, la décision en question tranchait effectivement la question pour ce qui était du contre-amiral Johnston, et avait effet obligatoire puisque celui-ci avait compétence pour refuser d’annuler la décision du 7 décembre 1994 du capitaine Collinson, et aussi parce que sauf annulation de la mesure de MG et S, elle demeurerait à jamais dans le dossier militaire de l’intimé. Je suis enclin à accepter l’argument de l’intimé. À mon avis, la décision du 22 mars 1995 a effectivement tranché la question telle qu’elle était soumise à la décision du contre-amiral Johnston et elle a force obligatoire à l’égard de l’intimé. Le fait qu’il ait la possibilité de saisir le niveau supérieur de la chaîne de commandement ne rendait pas la décision moins définitive à ce palier, bien que théoriquement, elle puisse être infirmée au palier suivant par une autre autorité de redressement.

Le troisième point litigieux concerne la forme de l’ordonnance de la Section de première instance. Se prononçant sur la fin de non-recevoir, le juge des requêtes a prescrit ce qui suit dans son ordonnance du 1er novembre 1995 :

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que la requête en radiation de tous les intimés à l’exception du commandant des Forces maritimes du Pacifique soit rejetée, et elle est aussi rejetée, sans frais; et la Cour accorde au requérant le choix de laisser l’intitulé de la cause tel qu’il est, ou de demander une ordonnance éliminant tous les intimés qui y sont nommés, à l’exception du chef d’état-major de la défense et du ministre de la Défense nationale;

La disposition ci-dessus est expliquée au paragraphe 18 des motifs de la décision, en particulier en ces termes :

Dans des affaires comme l’espèce, il serait approprié d’avoir deux intimés, le ministre et le chef d’état-major de la défense, représentant l’autorité civile et l’autorité militaire subalterne, qui, comme le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration dans les affaires d’immigration, pourraient agir à titre d’intimés généraux pour toutes les affaires de la défense nationale où un contrôle judiciaire est demandé, évitant ainsi toute devinette, confusion et mystère inutiles. On devrait toujours rechercher l’efficacité par l’utilisation de moyens simples, non complexes. En procédant simplement, comme cela est proposé ici, le requérant cernerait bien correctement la décision contestée et le décideur, tout comme dans les affaires d’immigration. La décision et le décideur se retrouvent toujours sous l’égide et l’autorité de ces intimés. Il faut toujours rechercher la simplicité et l’efficacité.

À mon avis, la seule personne qu’il soit nécessaire de citer dans le recours en contrôle judiciaire en cet état de la cause est la personne dont la décision est contestée, savoir le commandant des Forces maritimes du Pacifique. Il serait vraiment prématuré de citer le chef d’état-major de la défense ou le ministre en cet état de la cause où il n’y a recours en contrôle judiciaire contre aucune décision de l’un ou de l’autre.

Enfin, je conviens que la décision du 7 décembre 1994 du capitaine Collinson ne pourrait être soumise au contrôle judiciaire dans le cadre du recours formé contre la décision du 22 mars 1995 du contre-amiral Johnston, pour la simple raison que selon le paragraphe 1602(4) des Règles, la requête porte « sur le contrôle judiciaire d’une seule … décision »; voir Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464(C.A.).

Je me prononce pour l’accueil de l’appel et la radiation de l’avis de requête introductive d’instance du 14 avril 1995. Vu la nouveauté de la question en litige et étant donné que les arguments de l’intimé ne sont pas dénués de fondement, j’estime qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur les dépens.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris aux motifs ci-dessus.

Le juge suppléant Henry : Je souscris aux motifs ci-dessus.

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