Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1407-96

Harbans Singh Pawar, en son nom personnel et en tant que représentant de tous ceux qui ont aussi été irrégulièrement exclus de la pension (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié: Pawarc. Canada(1re inst.)

Section de première instance, juge Reed"Vancouver, 11 septembre; Ottawa, 9 octobre 1998.

Pratique Jugements et ordonnances Jugement sommaire Demande de rejet de la déclaration au motif qu'il n'y a pas de véritable question litigieuse à trancherLa r. 216 des Règles de la Cour fédérale autorise la Cour à rendre un jugement sommaire si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droitBien que l'on ne puisse conclure que la présente affaire ne soulève aucune véritable question litigieuse, les actions ne devraient pas être instruites dès qu'on laisse entendre que d'autres éléments de preuve pourront être présentés ou que le droit est incertainL'intimé a l'obligation d'aller au-delà des hypothèses; le tribunal est tenu d'examiner attentivement le bien-fondé de l'action dès cette étape préliminaireLa Cour dispose d'éléments de preuve établissant les faits essentiels pertinents en ce qui concerne la déclaration du demandeurL'instruction de la cause permettrait d'ajouter des détails, mais pas nécessairement de nouveaux éléments de preuve importantsL'instruction de la cause n'est ni nécessaire, ni justifiée, compte tenu des coûts qu'elle entraînerait.

Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité En vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, une personne peut bénéficier de la pleine pension à l'âge de 65 ans si elle a résidé au Canada pendant les dix années précédant la date d'agrément de sa demande, ou encore elle doit avoir résidé au Canada pendant 40 ans après avoir eu 18 ansLe demandeur a quitté l'Inde pour le Canada en 1987, alors qu'il avait 58 ansAprès avoir atteint l'âge de 65 ans, le demandeur s'est vu refuser le droit à une pension de la sécurité de la vieillesse au motif qu'il ne satisfaisait pas à l'exigence selon laquelle il devait avoir résidé au Canada pendant au moins dix ansLa loi établit une distinction qui engendre une négation du droit au même bénéfice de la loiLa distinction est fondée sur le fait de résider au Canada et non sur un motif énuméré à l'art. 15 de la ChartePar ailleurs, l'élargissement du groupe des personnes admissibles à toucher une pension, par l'ajout de personnes qui ont droit à une pension en vertu du régime de l'un des pays avec lequel le Canada a conclu des accords de réciprocité, n'a pas pour effet de transformer la distinction en une distinction fondée sur l'origine nationaleL'élargissement n'est fondé ni sur la citoyenneté, ni sur l'origine nationale, mais sur le droit à une pension en vertu de régimes établis dans d'autres paysLe groupe des personnes qui n'ont pas droit de recevoir des prestations ne comprend pas de catégorie analogue aux catégories énumérées à l'art. 15Les personnes qui ne sont pas admissibles à recevoir des prestations ne subissent pas un désavantage historiqueLe droit à une pension fondé sur le lieu de résidence ne renforce aucunement des stéréotypes sociétaux, car il n'existe pas de stéréotypes particuliers et uniques à propos du groupe viséLes personnes âgées de plus de 65 ans qui n'ont pas résidé au Canada pendant dix ans ne constituent pas une minorité discrète et isolée; elles forment plutôt un groupe diffus et disparateLes personnes appartenant à ce groupe ne subiront pas de discrimination pour le motif qu'elles n'ont pas résidé au Canada pendant dix ansLe fait de demander des prestations d'aide sociale ne porte pas atteinte à la dignité humaine essentielle des personnes âgéesLa distinction ne contrevient pas à l'art. 15 de la Charte.

Santé et bien-être social Loi sur la sécurité de la vieillesseOn soutient que l'exigence en matière de résidence est discriminatoire et qu'elle contrevient à la disposition de la Charte relative au droit à l'égalitéLe demandeur a quitté l'Inde pour le Canada alors qu'il avait 58 ansAprès avoir atteint l'âge de 65 ans, il s'est vu refuser le droit à une pension de sécurité de la vieillesse au motif qu'il n'avait pas résidé au Canada pendant dix ansLe Canada n'a pas conclu d'accord de réciprocité avec l'Inde, étant donné que la forme hybride de caisse de prévoyance existant dans ce pays n'est pas compatible avec la loi canadienneOn a prétendu que la dépendance de l'aide sociale provinciale stigmatisait les personnes âgéesLe demandeur ne fait pas partie d'un groupe de personnes victimes de stéréotypes ou de préjugés sociauxÀ la suite d'une demande sollicitant un jugement sommaire, l'action a été rejetée parce que la Charte n'avait pas été violée.

Il s'agit d'une demande sollicitant un jugement sommaire rejetant la déclaration du demandeur au motif que l'affaire ne soulève pas de véritable question litigieuse à trancher ou que la Cour dispose des faits dont elle a besoin pour statuer sur la déclaration et qu'il ressort de ces faits que le demandeur ne saurait avoir gain de cause. Le demandeur soutient que l'exigence en matière de résidence de la Loi sur la sécurité de la vieillesse est discriminatoire et qu'elle contrevient donc à l'article 15 de la Charte. Une personne peut toucher une pleine pension après avoir atteint l'âge de 65 ans si elle a résidé au Canada pendant les dix années précédant la date d'agrément de sa demande ou si elle a résidé au Canada pendant 40 ans après avoir eu 18 ans. La personne qui ne satisfait pas à l'exigence en matière de résidence peut, en vertu de la Loi, avoir droit à une pension partielle établie en fonction du nombre total d'années pendant lesquelles elle a résidé au Canada, si elle y réside depuis au moins dix ans. En outre, le Canada a conclu des accords de réciprocité avec trente-quatre pays dotés d'un système de pension de l'État compatible avec le programme canadien de sécurité de la vieillesse et disposés à accorder la réciprocité aux personnes qui y résident actuellement mais qui ont déjà vécu au Canada. Les personnes qui ont résidé dans l'un ou l'autre des pays signataires, ou qui ont contribué au régime de sécurité sociale de l'un ou l'autre de ces pays, peuvent ajouter à leur période de résidence au Canada les périodes pendant lesquelles elles ont résidé dans ces pays, afin de devenir admissibles à toucher une pleine pension au Canada. Le demandeur a quitté l'Inde pour le Canada en 1987, alors qu'il avait 58 ans. Après avoir atteint l'âge de 65 ans, il s'est vu refuser le droit à une pension de sécurité de la vieillesse au motif qu'il ne satisfaisait pas à l'exigence selon laquelle il devait avoir résidé au Canada pendant au moins dix ans. Par ailleurs, il n'était pas admissible à toucher une pension en vertu d'un accord de réciprocité. La forme hybride de caisse de prévoyance qui existe en Inde n'est pas compatible avec le programme canadien de sécurité de la vieillesse. Après avoir vécu au Canada pendant presque dix ans, il a présenté une nouvelle demande et obtenu qu'une pension partielle lui soit versée à partir du moment auquel il satisferait à l'exigence en matière de résidence. Le demandeur soutient qu'il est essentiel pour la dignité des personnes âgées que ces dernières jouissent de la sécurité et de l'autonomie que procure une source de revenu. Il a participé à la formation d'une association de personnes âgées. La plupart des membres de cette association dépendent de l'aide sociale, ce qui, considèrent-ils, les stigmatise. Suivant la règle 216 des Règles de la Cour fédérale (1998), la Cour peut rendre un jugement sommaire si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

Jugement: la demande de jugement sommaire doit être accueillie; l'action doit être rejetée.

On n'a pas pu conclure que la présente affaire ne soulève aucune véritable question litigieuse. Il y a eu plusieurs requêtes et auditions nécessitant un certain examen du bien-fondé de la déclaration qui n'a pas permis de conclure que la déclaration ne soulevait pas de véritable question litigieuse à trancher. Mais les actions ne devraient pas être instruites dès qu'on laisse entendre que d'autres éléments de preuve pourront être présentés ou que le droit est incertain. L'intimé a l'obligation d'aller au-delà des hypothèses et le tribunal est tenu d'examiner attentivement le bien-fondé de l'action dès cette étape préliminaire. La Cour dispose d'éléments de preuve établissant les faits essentiels pertinents en ce qui concerne la déclaration du demandeur. L'instruction de la cause permettrait d'ajouter des détails, mais pas de nouveaux éléments de preuve importants. L'instruction de la cause n'est ni nécessaire, ni justifiée, compte tenu des coûts qu'elle entraînerait.

Pour savoir si l'article 15 de la Charte a été violé, il faut d'abord déterminer s'il y a une distinction entraînant la négation du droit à l'égalité devant ou dans la loi ou la négation du droit à la même protection ou au même bénéfice de la loi, et ensuite examiner si cette négation constitue une discrimination fondée sur l'un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) ou sur un motif analogue à ceux-ci. La nature de la distinction, dont la question de savoir si elle est fondée sur une caractéristique personnelle, doit être examinée à la deuxième étape.

La Loi établit une distinction qui engendre une négation du droit au même bénéfice de la loi. Mais une distinction fondée principalement sur la durée de la période de résidence de la personne au Canada et sur l'époque pendant laquelle celle-ci a résidé au pays ne constitue pas une distinction fondée sur un motif énuméré. Par ailleurs, l'élargissement du groupe des personnes admissibles à toucher une pension, par l'ajout de personnes qui ont droit à une pension en vertu du régime de l'un des pays avec lequel le Canada a conclu des accords de réciprocité, n'a pas pour effet de transformer la distinction en une distinction fondée sur l'origine nationale. D'abord, la caractéristique principale de la catégorie est liée au fait de résider au Canada; l'élargissement du groupe visé par l'ajout de personnes qui ont droit à une pension en vertu du régime d'un autre pays est secondaire. Chose plus importante, cet élargissement n'est fondé ni sur la citoyenneté, ni sur l'origine nationale"il est fondé sur le droit à une pension en vertu de régimes établis dans ces autres pays, régimes qui peuvent ou non être fondés sur le lieu de résidence. Le renvoi à des pays en particulier ne vise pas à identifier l'origine nationale de la personne en cause.

Le groupe des personnes qui n'ont pas droit à recevoir des prestations ne comprend tout simplement pas de catégorie analogue aux catégories énumérées à l'article 15 de la Charte. Les indices permettant de conclure à l'existence d'un motif analogue comprennent la question de savoir si le groupe touché a subi un désavantage historique, celle de savoir s'il forme une minorité discrète et isolée, et la question de savoir si la distinction en cause a été établie sur le fondement de présumées caractéristiques de groupe ou de caractéristiques personnelles. Les personnes qui ne sont pas admissibles à recevoir des prestations ne peuvent être considérées comme ayant subi un désavantage historique. Il ne s'agit pas non plus d'un groupe de personnes victimes de stéréotypes ou de préjugés sociaux. Le refus d'accorder une pension de vieillesse à la personne à moins qu'elle n'ait résidé au Canada pendant les dix années précédant la date d'agrément de sa demande ou conformément aux autres exigences de la loi en matière de résidence ne renforce aucunement des stéréotypes sociétaux. Cela ne s'apparente pas à un refus d'accorder des prestations de conjoint aux personnes dont le conjoint est de même sexe. La distinction ne renforce pas des stéréotypes sociétaux, car il n'existe pas de stéréotypes particuliers et uniques à propos du groupe visé. En outre, cette distinction ne donne à entendre rien d'autre qu'il n'a pas été satisfait à l'exigence en matière de résidence applicable à tous les demandeurs. Les personnes âgées de plus de 65 ans qui n'ont pas résidé au Canada pendant dix ans ou qui n'ont pas satisfait aux autres exigences subsidiaires de la Loi ne constituent pas une minorité discrète et isolée, mais elle forment un groupe diffus et disparate. Il se peut que des personnes appartenant à ce groupe subissent, dans d'autres circonstances, de la discrimination fondée sur l'âge ou l'origine nationale, mais aucune de ces personnes ne subira de discrimination pour le motif particulier qu'elle n'a pas résidé au Canada pendant dix ans. Par ailleurs, il n'est pas clair que la durée de résidence au Canada constitue une caractéristique personnelle, du moins pas dans les circonstances de la présente affaire.

Bien que le demandeur soutienne que le fait de demander des prestations d'aide sociale provinciale porte atteinte à la dignité des personnes âgées qui n'ont d'autre choix, la Cour n'est pas convaincue qu'il s'agit du type d'atteinte à la dignité humaine essentielle auquel le juge Cory renvoyait dans l'arrêt Egan. Il se peut que l'exigence selon laquelle la personne doit avoir résidé au Canada pendant dix ans de même que les autres exigences qui définissent la catégorie des personnes exclues de la pension constituent une distinction de nature arbitraire, mais elles ne définissent pas une catégorie qui mérite la protection de la Constitution.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15.

Loi de stabilisation concernant le grain de l'Ouest, S.C. 1974-75-76, ch. 87.

Loi modifiant la Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.C. 1976-77, ch. 9.

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, art. 3.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, Règles 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219.

Règles de Procédure Civile, Règl. de l'Ont. 560/84, Règle 20.

jurisprudence

décisions appliquées:

Vaughan v. Warner Communications, Inc. et al. (1986), 56 O.R. (2d) 242; 10 C.P.C. (2d) 205; 20 C.P.R. (3d) 492 (H.C.); Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493; (1998), 156 D.L.R. (4th) 385; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; (1995), 124 D.L.R. (4th) 693; 29 C.R.R. (2d) 189; [1995] I.L.R. 1-3185; 10 M.V.R. (3d) 151; 181 N.R. 253; 81 O.A.C. 253; 13 R.F.L. (4th) 1.

distinction faite avec:

Pearkes c. Canada (1993), 72 F.T.R. 90 (C.F. 1re inst.); Lavoie c. Canada, [1995] 2 C.F. 623; (1995), 125 D.L.R. (4th) 80; 31 C.R.R. (2d) 109; 95 CLLC 210-023 (1re inst.); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.

décisions examinées:

Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; (1995), 124 D.L.R. (4th) 609; C.E.B. & P.G.R. 8216; 95 CLLC 210-025; 29 C.R.R. (2d) 79; 182 N.R. 161; 12 R.F.L. (4th) 201; Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995; (1993), 105 D.L.R. (4th) 577; 16 C.R.R. (2d) 193; 156 N.R. 81; Peterson c. Canada (Ministre d'État, Céréales et Oléagineux) (1995), 124 D.L.R. (4th) 96; 30 C.R.R. (2d) 349; 108 N.R. 338 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Pattinson (1990), 123 N.R. 156 (C.A.F.).

décisions citées:

Collie Woolen Mills Ltd. c. R., [1996] 2 C.T.C. 152; (1996), 96 DTC 6146; 107 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.); R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 39 C.R.R. 306; 96 N.R. 115; 34 O.A.C. 115; Wong c. Canada, [1997] 1 C.F. 193; (1996), 119 F.T.R. 306 (1re inst.); conf. par [1997] A.C.F. no 1797 (C.A.) (QL); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1998] 1 R.C.S. xvi; Clarken et al. v. Ontario Health Insurance Plan (1998), 109 O.A.C. 363 (C. div. Ont.); McCarten et al. v. Prince Edward Island (1994), 117 Nfld. & P.E.I.R. 1; 112 D.L.R. (4th) 711; 365 A.P.R. 1 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1994] 2 R.C.S. viii.

doctrine

Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. III, 2e sess., 30e lég., 1977, aux p. 2834 à 2836.

ont comparu:

Lewis Spencer pour le demandeur.

Edward R. Sojonky pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier:

Lewis Spencer, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Reed: Il s'agit d'une demande déposée par la défenderesse en vue d'obtenir un jugement sommaire rejetant la déclaration du demandeur. L'argumentation de la défenderesse a deux fondements: dans un premier temps, elle affirme que la présente affaire ne soulève pas de véritable question litigieuse à trancher et, dans un deuxième temps, elle affirme de façon subsidiaire que la Cour dispose des faits dont elle a besoin pour statuer sur la déclaration et qu'il ressort de ces faits que le demandeur ne saurait avoir gain de cause.

La déclaration du demandeur est fondée sur l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte). Il a présenté sa déclaration en son nom personnel et en tant que représentant d'autres personnes à qui des prestations de la sécurité de la vieillesse ont été refusées en vertu de l'article 3 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, au motif qu'elles ne satisfont pas à l'exigence en matière de résidence qui y est prévue. Le demandeur soutient que l'exigence est discriminatoire et qu'elle est donc inconstitutionnelle. Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit:

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Les dispositions pertinentes de la Loi sur la sécurité de la vieillesse en ce qui concerne le droit d'une personne de toucher une pleine pension après avoir atteint l'âge de 65 ans peuvent être résumées de la façon suivante: la personne visée doit avoir résidé au Canada pendant les 10 années précédant la date d'agrément de sa demande, ou encore elle doit avoir résidé au Canada pendant 40 ans après avoir eu 18 ans. Si le demandeur n'a pas résidé au Canada pendant les 10 années précédant sa demande de pension, ou s'il a eu des périodes d'absence du Canada au cours de ces 10 années, il doit établir qu'après avoir atteint l'âge de 18 ans, il a résidé au Canada pendant une période équivalant au triple du total de ses périodes d'absence du pays au cours de ces 10 années, et qu'il a résidé au pays pendant l'année qui a précédé l'agrément de sa demande de pension. La personne qui n'a pas résidé au Canada pendant l'une ou l'autre des périodes prévues par ces dispositions peut, en vertu de la Loi, avoir droit à une pension partielle établie en fonction du nombre total d'années pendant lesquelles elle a résidé au Canada, si elle y réside depuis au moins 10 ans.

En outre, le Canada a conclu avec 34 pays des accords de réciprocité qui permettent aux personnes qui ont résidé dans l'un ou l'autre des pays signataires, ou qui ont contribué au régime de sécurité sociale de l'un ou l'autre de ces pays, d'ajouter à leur période de résidence au Canada les périodes pendant lesquelles elles ont résidé dans ces pays, afin de devenir admissibles à toucher une pleine pension au Canada. Le Canada a conclu de tels accords avec des pays dotés d'un système de pensions de l'État compatible avec le programme canadien de sécurité de la vieillesse et disposés à accorder la réciprocité aux personnes qui y résident présentement mais qui ont déjà vécu au Canada.

La possibilité de toucher une pension partielle et la conclusion d'accords de réciprocité avec d'autres pays sont le fruit de modifications apportées à la Loi en 1977 [Loi modifiant la Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.C. 1976-77, ch. 9]. Monsieur Lalonde, ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de l'époque, a proposé ces modifications en deuxième lecture, en expliquant l'objet de la façon suivante [Débats de la Chambre des communes, vol. III, 2e sess., 30e Lég., aux pages 2834 à 2836]:

À cause de ces amendements, plus d'un demi-million de personnes résidant au Canada pourront éventuellement récupérer les crédits de sécurité sociale qu'elles ont acquis à l'étranger. Ces amendements apporteront plus d'équité dans le traitement des prestataires en pondérant le montant de la pension de vieillesse plus directement aux années de participation à la vie canadienne et plus de cohésion au système canadien de prestations de retraite en modifiant certaines caractéristiques du Régime de sécurité-vieillesse, donnant ainsi plus d'unité à l'ensemble du système.

[. . .]

Ces modifications autoriseraient l'inclusion du programme de sécurité-vieillesse dans des accords internationaux permettant le transfert des prestations de sécurité sociale entre le Canada et les pays avec lesquels le gouvernement canadien pourrait négocier des ententes. Des accords de cette nature profiteraient directement à bon nombre d'immigrants, particulièrement à ceux qui ont choisi de s'établir au Canada pour être auprès de leurs enfants et petits-enfants. Souvent, leur pension n'a pas augmenté depuis le moment où ils ont quitté leurs pays d'origine et se trouve rognée par l'inflation et la dévaluation. Le but des accords internationaux de réciprocité est de protéger les personnes qui séjournent dans plus d'un pays au cours de leur vie active et, de ce fait, ne satisfont pas toujours aux conditions minimales d'admissibilité des programmes obligatoires de sécurité sociale auxquels ils ont cotisé.

[. . .]

Je voudrais traiter, en deuxième lieu, du critère unique d'admissibilité que prévoit le bill. Après la période de transition de 40 ans, un seul et même critère régira l'admissibilité au RSV: chaque résident du Canada devra acquérir sa pension de vieillesse une année à la fois en vivant au Canada après l'âge de 18 ans. La pleine pension s'établira sur 40 années complètes de résidence au Canada. Quiconque aura vécu ici pendant moins de 40 ans pourra se prévaloir d'une pension partielle: chaque année de résidence au Canada vaudra 1/40ième d'une pleine pension. Au moins dix années de résidence seront requises pour recevoir une pension au Canada.

[. . .]

Toute personne qui n'a jamais vécu au Canada et qui n'a pas en main un visa d'immigrant, devra dorénavant acquérir sa pension une année à la fois, comme tous les autres résidents du Canada.

Le demandeur a quitté l'Inde pour le Canada le 14 mai 1987, alors qu'il avait 58 ans. Il est entré au pays en tant qu'immigrant parrainé. Son fils a parrainé sa demande de droit d'établissement en s'engageant à lui fournir ou à l'aider à obtenir un logement, des soins, et un soutien adéquats, pendant 10 ans. Il s'agit de l'engagement type auquel doivent souscrire les personnes qui parrainent la demande de droit d'établissement de parents à charge. Le 27 février 1995, après qu'il a eu 65 ans, le demandeur a déposé une demande visant à obtenir une pension de sécurité de la vieillesse. Sa demande a été rejetée au motif qu'il ne satisfaisait pas à l'exigence selon laquelle il devait avoir résidé au Canada pendant au moins 10 ans. Par ailleurs, il n'était pas admissible à toucher une pension en vertu d'un accord de réciprocité. En effet, aucun accord n'a été conclu avec l'Inde, étant donné que ce pays n'est pas doté d'un régime de pension de l'État. Il existe en Inde ce qui a été décrit comme une forme hybride de caisse de prévoyance qui n'est pas compatible avec la Loi sur la sécurité de la vieillesse du Canada. Le 5 mai 1997, après avoir vécu au Canada pendant presque 10 ans, il a présenté une nouvelle demande et obtenu qu'une pension partielle lui soit versée à partir du moment auquel il satisferait à l'exigence en matière de résidence. À la même occasion, il a demandé des prestations en vertu du Programme du supplément de revenu garanti, qui s'adresse aux personnes âgées dont le revenu est insuffisant (il reçoit actuellement 858,01 $ par mois, soit 101,79 $ à titre de pension de la sécurité de la vieillesse et 756,22 $ à titre de paiement de supplément de revenu garanti).

Le caractère approprié d'un jugement sommaire

Les règles 213 à 219 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, traitent des demandes visant à obtenir des jugements sommaires. La règle 216, sur laquelle se fonde la défenderesse, prévoit:

216. (1) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

(2) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est:

[. . .]

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(3) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard d'une déclaration ou d'une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit. [Non souligné dans l'original.]

Je ne suis pas convaincue que l'on puisse conclure que la présente affaire ne soulève aucune véritable question litigieuse. À première vue, on ne peut pas dire que la déclaration relève de cette catégorie. En outre, l'argument de l'avocat du demandeur, selon lequel la présente affaire a donné lieu à plusieurs requêtes et auditions nécessitant un certain examen du bien-fondé de la déclaration qui n'a pas permis de conclure que la déclaration ne soulevait pas de véritable question litigieuse à trancher, a du mérite. Je ne suis pas d'accord, cependant, qu'il est trop tard pour déposer une requête en jugement sommaire.

La question litigieuse est de savoir, conformément au paragraphe 216(3) des Règles, si la Cour "parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit" en litige. Les éléments de preuve dont dispose la Cour consistent en un exposé conjoint des faits, un affidavit de M. Pawar, un affidavit de M. de March, directeur de l'élaboration de la législation, direction des programmes, direction générale des Programmes de la sécurité du revenu du ministère du Développement des ressources humaines, et une partie du contre-interrogatoire de M. de March au sujet de son affidavit.

Dans son affidavit, M. Pawar soutient qu'il est essentiel pour la dignité des personnes âgées que ces dernières jouissent de la sécurité et de l'autonomie que procure une source de revenu. Il a participé à la formation d'une association de personnes âgées à qui la pension de la sécurité de la vieillesse a été refusée. L'association, qui comprenait 1 148 membres le 13 août 1997, s'appelle Old Age Security Benefits Forum. Le demandeur estime que 75 % des personnes âgées qu'il représente dépendent de l'aide sociale de la Colombie-Britannique au lieu de la sécurité de la vieillesse, et que ces personnes considèrent qu'une telle dépendance de l'aide sociale les stigmatise. Il prétend qu'il a dû recourir à l'aide sociale de décembre 1995, alors que la pension de la sécurité de la vieillesse lui était refusée pour la première fois, à juin 1997, moment auquel il a enfin satisfait à l'exigence selon laquelle il devait avoir résidé au Canada pendant au moins 10 ans, devenant ainsi admissible à toucher une pension partielle de la sécurité de la vieillesse et à recevoir un paiement de supplément de revenu garanti. Je présume que son fils a été incapable de remplir l'engagement qu'il avait pris de fournir un soutien financier à son père pendant 10 ans. Le demandeur fait valoir que l'exigence de résidence pendant au moins 10 ans est imposée pour un motif de nature strictement financière, et qu'il ne convient pas de rendre un jugement déclaratoire à un stade aussi avancé de l'instance. Monsieur Pawar n'a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit.

Dans son affidavit, M. de March fait en partie l'historique de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, et il fait des remarques sur ce qu'il considère comme l'objet de la Loi et l'objet des exigences en matière de résidence. Il fournit une liste des pays avec lesquels le Canada a conclu un accord de réciprocité, de même qu'une copie de l'accord conclu avec la Nouvelle-Zélande. Il a subi un contre-interrogatoire au sujet de cet affidavit, et des parties de ce contre-interrogatoire ont été produites devant la Cour par l'avocat du demandeur.

L'avocat du demandeur a dit que si la présente affaire devait être instruite, la Cour pourrait voir et entendre M. de March. À son avis, M. de March était incapable de fournir une explication crédible concernant l'objet des exigences de la loi en matière de résidence. Outre la preuve dont disposait déjà la Cour, l'avocat du demandeur a dit qu'il avait l'intention de demander à un expert en gérontologie de témoigner au sujet de l'atteinte à la dignité des personnes âgées qui n'ont pas de ressources économiques suffisantes.

En ce qui concerne la volonté de contre-interroger M. de March devant la Cour, il convient de souligner que l'explication de ce dernier concernant l'objet de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et celui des exigences en matière de résidence qui y sont prévues n'aurait pas beaucoup de poids de toute façon. Les dispositions d'une loi doivent être interprétées en fonction du libellé de celle-ci et d'autres lois connexes, ainsi qu'en fonction des sources dont on se sert habituellement à cette fin, dont les débats du Parlement, les travaux des comités parlementaires, et les rapports qui ont donné lieu à l'adoption de la loi, mais, l'opinion après coup d'un seul fonctionnaire n'a pas beaucoup de poids. En ce qui concerne la volonté de demander à un expert en gérontologie de témoigner sur l'atteinte à la dignité des personnes âgées, M. Pawar a déjà fait état de cette question dans son affidavit, au sujet duquel il n'a pas été contre-interrogé. En conséquence, une telle preuve, bien qu'elle ne provienne pas d'un expert, a déjà été produite devant la Cour.

L'avocat de la défenderesse, qui préfère que la Cour rende une décision sur le fondement de la preuve dont elle dispose actuellement, a dit que si la cause était instruite, il appellerait probablement quatre témoins. Ceux-ci comprendraient vraisemblablement M. de March et un expert qui témoignerait au sujet des accords internationaux.

Certains des principes applicables pour déterminer si l'affaire doit être tranchée au moyen d'un jugement sommaire ont été analysés dans Collie Woolen Mills Ltd. c. R., [1996] 2 C.T.C. 152 (C.F. 1re inst.). Dans cette décision, M. le juge Richard a renvoyé à des décisions portant sur la Règle 20 des Règles de Procédures Civile [Règl. de l'Ont. 560/84]. Une explication particulièrement pertinente se trouve dans Vaughan v. Warner Communications, Inc. et al. (1986), 56 O.R. (2d) 242 (H.C.), à la page 247:

[traduction] À mon avis, il ressort des modifications apportées à la règle relative aux jugements sommaires et de l'esprit dans lequel d'autres règles sont modifiées que la règle 20 ne devrait pas être vidée de sa substance par l'usage consistant à permettre que des actions soient instruites dès qu'on laisse entendre que d'autres éléments de preuve pourront être présentés ou que le droit est incertain. L'intimé a l'obligation d'aller au-delà des hypothèses et le tribunal est maintenant tenu d'examiner attentivement le bien-fondé de l'action dès cette étape préliminaire. [Non souligné dans l'original.]

Je suis convaincue qu'en l'espèce, la Cour dispose d'éléments de preuve établissant les faits essentiels pertinents en ce qui concerne la déclaration du demandeur. L'instruction de la cause permettrait d'ajouter des détails, mais pas nécessairement de nouveaux éléments de preuve importants. L'instruction de la cause n'est ni nécessaire, ni justifiée, compte tenu des coûts qu'elle entraînerait.

L'analyse de la question fondée sur la Charte

Pour déterminer si l'article 15 de la Charte a été violé, il faut d'abord déterminer s'il y a une distinction entraînant la négation du droit à l'égalité devant la loi ou dans la loi ou la négation du droit à la même protection ou au même bénéfice de la loi, et ensuite examiner si cette négation constitue une discrimination fondée sur l'un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) ou sur un motif analogue à ceux-ci.

Dans l'arrêt Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, l'arrêt le plus récent dans lequel la Cour suprême du Canada a interprété et appliqué l'article 15 de la Charte, M. le juge Cory, s'exprimant au nom des juges majoritaires, a examiné certains des arrêts récents et parfois divergents de la Cour suprême du Canada qui portent sur l'article 15 et résumé de la façon suivante l'interprétation qu'il convenait de donner à cet article (à la page 539):

Les exigences essentielles établies dans ces affaires sont respectées si l'on se demande premièrement s'il y a une distinction entraînant la négation du droit à l'égalité devant la loi ou dans la loi ou la négation du droit à la même protection ou au même bénéfice de la loi et, deuxièmement, si cette négation constitue une discrimination fondée sur un motif énuméré au par. 15(1) ou sur un motif analogue.

Le demandeur soutient que l'exigence selon laquelle la personne doit avoir résidé au Canada pendant au moins dix ans pour être admissible à toucher une pension de la sécurité de la vieillesse établit une distinction entre deux groupes de personnes âgées, soit celles qui sont admissibles à toucher la pension et celles qui ne le sont pas. Il prétend également que cette distinction entraîne la négation du droit au même bénéfice de la loi et du droit à l'égalité devant la loi.

La jurisprudence semble incertaine sur la question de savoir si la première étape de l'analyse fondée sur l'article 15 exige une appréciation de la question de savoir si la distinction établie par la loi est fondée sur une caractéristique personnelle, ou si une telle appréciation fait partie de la deuxième étape de cette analyse. Dans l'arrêt Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, la Cour suprême a mis l'accent sur les caractéristiques personnelles en décrivant la première étape de cette analyse. M. le juge Cory, s'exprimant en son propre nom et au nom des juges Iacobucci et McLachlin, a dit, à la page 584:

La première [étape] consiste à déterminer si, en raison de la distinction créée par la disposition contestée, il y a eu violation du droit d'un plaignant à l'égalité devant la loi, à l'égalité dans la loi, à la même protection de la loi et au même bénéfice de la loi. À cette étape de l'analyse, il s'agit principalement de vérifier si la disposition contestée engendre, entre le plaignant et d'autres personnes, une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. [Non souligné dans l'original.]

Cependant, dans l'arrêt Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, à la page 485 (rendu en même temps que l'arrêt Egan), Mme le juge McLachlin, s'exprimant au nom de quatre juges, laisse entendre que le plaignant doit seulement démontrer qu'il fait l'objet d'une distinction comparativement à une autre personne, et elle estime que la question de savoir si la distinction est fondée sur des caractéristiques personnelles doit être appréciée à la deuxième étape de l'analyse:

L'analyse fondée sur le par. 15(1) comporte deux étapes. Premièrement, le demandeur doit démontrer qu'il y a eu négation de son droit "à la même protection" ou "au même bénéfice" de la loi qu'une autre personne. Deuxièmement, le demandeur doit démontrer que cette négation constitue une discrimination. À cette seconde étape, pour établir qu'il y a discrimination, le demandeur doit prouver que la négation repose sur l'un des motifs de discrimination énumérés au par. 15(1) ou sur un motif analogue et que le traitement inégal est fondé sur l'application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe. [Non souligné dans l'original.]

Je suis convaincue que la nature de la distinction, dont la question de savoir si elle est fondée sur une caractéristique personnelle, doit être examinée à la deuxième étape. Je conviens que la loi établit une distinction qui engendre une négation du droit au même bénéfice de la loi. J'ai cru comprendre que l'avocat de la défenderesse acceptait cette conclusion lui aussi. J'examinerai donc d'abord si la distinction créée par la loi est fondée sur l'un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) et, ensuite, si elle est fondée sur un motif analogue à ceux-ci.

Tout d'abord, il convient de rappeler quels sont les motifs énumérés à l'article 15, soit "la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques". La distinction en cause dans la présente affaire est fondée principalement sur la durée de la période de résidence de la personne au Canada et sur l'époque pendant laquelle celle-ci a résidé au pays. Aucune distinction n'est établie entre les personnes qui ont la citoyenneté canadienne et celles qui ne l'ont pas. Aucune distinction n'est établie entre les citoyens de naissance et les citoyens naturalisés. Aucune distinction n'est établie entre les personnes qui ont le statut d'immigrant et celles qui ont un autre statut. La distinction, dans la mesure où elle est fondée sur le fait de résider au Canada, ne peut être qualifiée de distinction fondée sur un motif énuméré au paragraphe 15(1).

Par ailleurs, l'élargissement du groupe des personnes admissibles à toucher une pension, par l'ajout de personnes qui ont droit à une pension en vertu du régime de l'un des pays avec lesquels le Canada a conclu des accords réciproques, n'a pas pour effet de transformer la distinction en une distinction fondée sur l'origine nationale. D'abord, la caractéristique principale de la catégorie est liée au fait de résider au Canada; l'élargissement du groupe visé par l'ajout de personnes qui ont droit à une pension en vertu du régime d'un autre pays est secondaire. Chose plus importante, cependant, cet élargissement n'est fondé ni sur la citoyenneté, ni sur l'origine nationale"il est fondé sur le droit à une pension en vertu de régimes établis dans ces autres pays, régimes qui peuvent ou non être fondés sur le lieu de résidence. Certains pays, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, la Suisse et les Pays-Bas, par exemple, ont des régimes de pensions qui, comme celui du Canada, sont fondés sur l'âge et le lieu de résidence. Le renvoi à des pays en particulier vise à identifier les pays qui ont accepté de conclure un accord réciproque avec le Canada et non l'origine nationale de la personne en cause. La catégorie élargie (par la conclusion d'accords internationaux) permet aux personnes qui sont admissibles en vertu du régime canadien de déménager dans l'un ou l'autre de ces pays sans perdre de prestations, et elle permet aux personnes qui viennent s'installer au Canada et qui ont contribué au régime de l'un ou l'autre de ces pays de continuer de recevoir des prestations.

J'aborde maintenant la question de savoir si les groupes de personnes qui n'ont pas droit à des prestations peuvent être considérées comme analogues à un ou plusieurs des groupes expressément énumérés au paragraphe 15(1). Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, du moins en ce qui concerne la résidence dans une province, une catégorie définie en fonction du fait de résider à l'extérieur de la province n'est pas un motif analogue aux motifs énumérés à l'article 15. Par exemple, dans l'arrêt Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995, la Cour suprême du Canada a statué que des personnes qui ont déménagé de l'Ontario au Québec et qui, en conséquence, n'ont pu voter lors du référendum de 1992 parce que les exigences québécoises en matière de résidence auxquelles il doit être satisfait afin de pouvoir voter étaient plus sévères que celles qui étaient en vigueur dans les autres provinces, n'ont pas subi de discrimination au sens de l'article 15. La loi québécoise exigeait que la personne ait résidé dans la province pendant six mois avant d'être admissible à voter. Voici une partie du sommaire, qui se trouve à la page 999:

Les nouveaux résidents d'une province ne forment pas un groupe désavantagé visé au par. 15(1). Les personnes qui s'installent au Québec moins de six mois avant la date d'un référendum ne souffrent ni de stéréotypage ni de préjudices sociaux. Quoique ses membres n'aient pu voter au référendum québécois, le groupe en question n'est pas de ceux qui ont subi des désavantages historiques ou des préjugés politiques. Il ne semble pas s'agir non plus d'un groupe "distinct et séparé".

Il a déjà été statué que les distinctions fondées sur le fait de résider ou de se trouver dans une province ne violaient pas non plus l'article 15; voir R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; Wong c. Canada, [1997] 1 C.F. 193 (1re inst.), à la page 197; décision confirmée, [1997] A.C.F. no 1797 (C.A.) (QL); autorisation de pourvoi refusée [1998] 1 R.C.S. xvi; Clarken et al. v. Ontario Health Insurance Plan, (1998), 109 O.A.C. 363 (Cour div. de l'Ont.), à la page 373; McCarten et al. v. Prince Edward Island (1994), 117 Nfld. & P.E.I.R. 1 (C.A.), opinion du juge Mitchell de la Cour d'appel, aux pages 4 et 5; autorisation de pourvoi refusée, [1994] 2 R.C.S. viii (25 août 1994).

Les décisions citées plus haut portent sur des distinctions fondées sur la province de résidence. Je conviens qu'elles ne sont pas particulièrement convaincantes, étant donné qu'il existe davantage de similitude entre le pays de résidence et la nationalité qu'entre celle-ci et la province de résidence. On peut librement changer de province de résidence, mais il n'est pas aussi facile de changer de pays de résidence vu qu'en général, en vertu du droit international et du droit interne, seul le pays de nationalité est appelé à accepter une personne en tant que résidente. Pour changer de pays de résidence, du moins s'il s'agit d'un changement à long terme, il faut obtenir le consentement du pays d'accueil. En conséquence, il existe un lien plus étroit entre le pays de résidence et le pays d'origine nationale qu'entre celui-ci et la province de résidence. Plusieurs arrêts de la Cour d'appel fédérale traitent de contestations constitutionnelles fondées sur le pays de résidence.

L'affaire Peterson c. Canada (Ministre d'État, Céréales et Oléagineux) (1995), 124 D.L.R. (4th) 96 (C.A.F.), portait sur une allégation selon laquelle des exigences en matière de résidence portaient atteinte à l'article 15. Dans cette affaire, des dispositions de la Loi de stabilisation concernant le grain de l'Ouest, S.C. 1974-75-76, ch. 87, qui établissaient un programme de subventions à l'intention des producteurs de céréales de l'Ouest mais en limitaient l'admissibilité aux seuls citoyens canadiens et immigrants ayant obtenu le droit d'établissement, étaient en cause. Des personnes qui résidaient aux États-Unis mais cultivaient des terres en Saskatchewan ont contesté la constitutionnalité du programme. Voici ce que la Cour a conclu, d'après le résumé de l'arrêt [à la page 97]:

[traduction] [. . .] l'art. 7(1) de la Loi ne constitue pas de la discrimination à l'égard des appelants, étant donné que le groupe auquel ils appartiennent, soit les visiteurs temporaires qui entrent au Canada de temps à autre pour y vendre des céréales, ne constituait pas un groupe minoritaire distinct et séparé ayant souffert de stéréotypage ou d'autres formes de préjudices sociaux au sein de la société canadienne, et que le lieu de résidence n'était pas une caractéristique personnelle non pertinente, compte tenu de l'objet de la loi.

[. . .]

Le traitement différent que prétendent subir les appelants en vertu de l'art. 7(1) de la Loi ne constitue pas de la discrimination. La caractéristique de non-résidence du groupe des appelants n'est pas analogue aux motifs illicites énumérés à l'art. 15(1). Le lieu de résidence n'est pas une caractéristique immuable et la personne exerce un contrôle sur elle.

L'arrêt Canada (Procureur général) c. Pattinson (1990), 123 N.R. 156 (C.A.F.) est plus important. La question en litige était de savoir si l'intimée, Mme Pattinson, devait toucher les 22/40ièmes ou les 27/40ièmes de la pleine pension mensuelle à laquelle les personnes qui satisfaisaient aux exigences en matière de résidence prévues par la Loi sur la sécurité de la vieillesse avaient droit. Mme Pattinson s'étaient absentée du Canada pendant un certain temps pour prendre des vacances en Europe et travailler à Washington, D.C. Bien que la question principale fût de savoir quels règlements il convenait d'appliquer (des règlements qui avaient été en vigueur à une certaine époque antérieure ou encore des règlements pris plus récemment), l'intimée a également soutenu que les exigences en matière de résidence portaient atteinte à l'article 15 de la Charte. La Cour d'appel fédérale a écourté cet argument sans ménagement. Voici le passage pertinent de l'arrêt, qui se trouve à la page 160:

[. . .] elle a prétendu que le règlement violait l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés en ce qu'il constituait une discrimination à son égard. Cependant, l'intimée ne peut se prévaloir de cette prétention depuis la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; 91 N.R. 255, à la p. 180, par le juge McIntyre. Les distinctions faites entre les différents requérants en matière de pension ne sont pas fondées sur des motifs énumérés à l'art. 15 ni sur des motifs analogues.

Le demandeur se fonde sur Pearkes c. Canada (1993), 72 F.T.R. 90 (C.F. 1re inst.), etLavoie c. Canada, [1995] 2 C.F. 623 (1re inst.), pour étayer sa proposition selon laquelle l'établissement d'une distinction entre, d'une part, les personnes âgées qui sont légalement des résidents canadiens et qui ont été présentes au Canada pendant 10 ans et, d'autres part, de telles personnes qui ne l'ont pas été, viole l'article 15. Dans Pearkes, la demanderesse a contesté la politique du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada qui consistait à refuser d'accorder des bourses aux résidents permanents qui en faisaient la demande en vue de fréquenter des institutions à l'étranger. Il était permis aux citoyens canadiens d'utiliser les bourses à cette fin, mais cela était interdit aux résidents permanents1. M. le juge Pinard a conclu que la distinction établie entre les résidents permanents et les citoyens canadiens était fondée exclusivement sur le fait d'avoir obtenu ou non la citoyenneté canadienne et qu'elle était discriminatoire à l'égard des résidents permanents qui, n'eût été cette exigence, auraient été des candidats méritants en vue de l'obtention d'une bourse. Il a statué que la politique ne pouvait être justifiée en vertu de l'article premier.

Dans Lavoie, la pratique préférentielle qui consistait à embaucher des citoyens canadiens dans la fonction publique a été contestée par plusieurs résidents permanents. M. le juge Wetston a conclu que la politique portait atteinte à l'article 15, vu qu'elle faisait subir un fardeau ou un désavantage aux demanderesses en fonction de leur citoyenneté, une caractéristique personnelle. Il a conclu, cependant, que cette pratique préférentielle en matière d'embauche était justifiée en vertu de l'article premier. Dans les deux cas, les juges se sont fondés sur la conclusion tirée dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, selon laquelle la citoyenneté était un motif analogue aux motifs énumérés à l'article 15.

Ni l'une ni l'autre de ces décisions n'est particulièrement pertinente en ce qui concerne l'appel interjeté par le demandeur. En effet, dans chacune de ces affaires, comme c'était le cas dans l'affaire Andrews, la distinction en cause était établie entre les citoyens canadiens et les résidents permanents. Il a été conclu que la citoyenneté était une caractéristique personnelle au cœur de l'identité de l'individu. Plusieurs résidents permanents du Canada, tels certains de ceux dont il était question dans les affaires susmentionnées, ne peuvent obtenir la citoyenneté canadienne sans renoncer à la citoyenneté de leur pays d'origine et, pour cette raison, choisissent de demeurer des résidents permanents. Dans les deux affaires susmentionnées, les avantages que les demanderesses cherchaient à obtenir étaient assortis de critères d'admissibilité et de compétences requises, conditions auxquelles les demanderesses satisfaisaient. Les avantages leur ont été refusés sur le seul fondement de la citoyenneté. En l'espèce, comme il a déjà été souligné, la loi n'établit pas de distinction entre les citoyens et les résidents permanents.

Dans l'arrêt Miron, supra, à la page 486, Mme le juge McLachlin a expliqué à quoi servaient les motifs énumérés à l'article 15. Ils "permettent de procéder à une sorte de tri qui sert à distinguer les inégalités banales de celles qui méritent la protection de la Constitution". Pour justifier qu'ils méritent la protection de la Constitution, les plaignants doivent établir que le traitement inégal qu'ils ont subi était fondé sur l'un des motifs expressément énumérés au paragraphe 15(1) ou sur un autre motif analogue à ceux-ci. Elle a conclu que les motifs traduisaient l'objectif général de la garantie d'égalité (à la page 487):

[. . .] empêcher la violation de la dignité et de la liberté de la personne par l'imposition de restrictions, de désavantages ou de fardeaux fondés sur une application stéréotypée de présumées caractéristiques de groupe plutôt que sur les mérites ou capacités d'une personne ou encore sur les circonstances qui lui sont propres.

Dans l'arrêt Miron, Mme le juge McLachlin a conclu que les indices permettant de conclure à l'existence d'un motif analogue comprenaient la question de savoir si le groupe touché avait subi un désavantage historique, celle de savoir s'il forme une minorité discrète et isolée, et la question de savoir si la distinction en cause a été établie sur le fondement de présumées caractéristiques de groupe ou de caractéristiques personnelles. Dans l'arrêt Egan, M. le juge Cory a conclu que l'une des principales caractéristiques de la discrimination est qu'elle implique une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus. Il a poursuivi plus loin en définissant un fondement plus large permettant d'établir si un motif donné est analogue aux motifs énumérés à l'article 15 (aux pages 599 et 600):

La considération fondamentale qui sous-tend l'analyse relative aux motifs analogues est celle de savoir si le fondement de la distinction peut servir à priver le requérant de sa dignité humaine essentielle. Puisque l'un des objectifs du par. 15(1) est de mettre un frein à la discrimination contre les groupes qui souffrent d'un désavantage social ou politique, il peut être bon de chercher toute indication que le groupe en question a été victime de discrimination découlant de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux. [Non souligné dans l'original.]

Dans l'arrêt Vriend, supra, la Cour n'a pas fait d'analyse détaillée relativement aux motifs analogues. Elle s'est plutôt fondée sur la conclusion tirée dans l'arrêt Egan, selon laquelle l'orientation sexuelle est un motif analogue, compte tenu du fait qu'il s'agit d'une "caractéristique profondément personnelle qui est soit immuable, soit susceptible de n'être modifiée qu'à un prix personnel inacceptable" et en raison des ""désavantages sociaux, politiques et économiques" dont souffrent les homosexuels" (Vriend , à la page 546).

En l'espèce, les personnes qui ne sont pas admissibles à recevoir des prestations ne peuvent être considérées comme ayant subi un désavantage historique. Il ne s'agit pas non plus d'un groupe de personnes victimes de stéréotypes ou de préjugés sociaux. Le refus d'accorder une pension de vieillesse à la personne à moins qu'elle n'ait résidé au Canada pendant les 10 années précédant la date d'agrément de sa demande ou conformément aux autres exigences de la loi en matière de résidence ne renforce aucunement des stéréotypes sociétaux. Cela ne s'apparente pas à un refus d'accorder des prestations de conjoint aux personnes dont le conjoint est de même sexe. En effet, un tel refus donnerait à entendre que les unions de personnes de même sexe ne sont pas légitimes et renforcerait des stéréotypes sociétaux concernant les homosexuels et les lesbiennes. Or, la distinction en cause dans la présente affaire ne peut être considérée comme renforçant des stéréotypes sociétaux, car il n'existe pas de stéréotypes particuliers et uniques à propos du groupe visé. En outre, cette distinction ne donne à entendre rien de négatif, sinon qu'il n'a pas été satisfait à l'exigence en matière de résidence applicable à tous les demandeurs. Les personnes âgées de plus de 65 ans qui n'ont pas résidé au Canada pendant 10 ans ou qui n'ont pas satisfait aux autres exigences subsidiaires de la loi ne constituent pas un groupe minoritaire distinct et séparé; en fait, elles forment un groupe diffus et disparate. Il se peut que des personnes appartenant à ce groupe subissent, dans d'autres circonstances, de la discrimination fondée sur l'âge ou l'origine nationale, mais aucune de ces personnes ne subira de discrimination pour le motif particulier qu'elle n'a pas résidé au Canada pendant 10 ans. Par ailleurs, il n'est pas clair que la durée de résidence au Canada constitue une caractéristique personnelle, du moins pas dans les circonstances de la présente affaire.

Bien que le demandeur soutienne que le fait de demander des prestations d'aide sociale provinciale porte atteinte à la dignité des personnes âgées qui n'ont d'autre choix, je ne suis pas convaincue qu'il s'agit du type d'atteinte à la dignité humaine essentielle auquel le juge Cory renvoyait dans l'arrêt Egan. Il se peut que l'exigence selon laquelle la personne doit avoir résidé au Canada pendant 10 ans, de même que les autres exigences qui définissent la catégorie des personnes excluses de la pension, constituent une distinction de nature arbitraire, mais elles ne définissent pas une catégorie qui mérite la protection de la Constitution. La distinction n'étant fondée ni sur l'un des motifs énumérés à l'article 15, ni sur un motif analogue à ceux-ci, elle ne porte donc pas atteinte à cet article.

Le groupe des personnes qui n'ont pas droit à recevoir des prestations ne comprend tout simplement pas de catégorie analogue aux catégories énumérées à l'article 15.

1 Les résidents permanents pouvaient également utiliser la bourse à l'étranger, mais seulement si, au moment de la demande, ils avaient été professeurs pendant au moins deux ans à temps complet et s'ils pouvaient attester qu'un emploi de professeur leur était réservé dans une université canadienne à la fin de la période de validité de la bourse.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.