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[1997] 2 C.F. 391

T-309-97

John Edward Dixon (requérant)

c.

La Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie et le gouverneur en conseil (intimés)

T-317-97

John Edward Dixon (requérant)

c.

Le gouverneur en conseil (intimé)

Répertorié : Dixon c. Canada (Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie) (1re inst.)

Section de première instance, juge Simpson— Vancouver, 25 et 26 mars et 1er avril 1997.

EnquêtesCommission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en SomalieDécret constituant une Commission pour faire enquête sur six questions et 19 sujetsLe rapport final devait être présenté le 22 décembre 1995, mais l’échéance a été reportée à deux reprisesLa Commission avait besoin d’encore plus de temps, mais des échéances finales ont été imposées par décretRequêtes introductives d’instance visant à obtenir, d’une part, une ordonnance de mandamus obligeant la Commission d’enquête à se conformer à son mandat et, d’autre part, une ordonnance décrétant que la décision du gouverneur en conseil relative aux échéances finales était contraire à la loiImportance, indépendance des commissions d’enquêtesLa Commission devait-elle faire rapport sur toutes les questions énumérées dans son mandat?Qui pouvait décider si l’enquête était terminée?La Commission se trouvait-elle dans l’impossibilité de s’acquitter complètement de son mandat?La date initiale de présentation du rapport était irréaliste et n’a jamais censé être une date de présentation d’un rapport finalLa Commission d’enquête n’est pas comme un service gouvernemental qui peut être créé, dirigé et démantelé selon le bon vouloir du gouverneur en conseilIl n’appartient pas au gouverneur en conseil de décider quand la Commission a obtenu suffisamment de preuvesPour restreindre le mandat de la Commission d’une manière légitime, le gouverneur en conseil doit expressément énumérer les questions du mandat qu’il faut considérer comme retranchéesIl y a trois raisons pour lesquelles le décret qui imposait les échéances finales est ultra vires : 1) il n’est pas conforme à l’art. 31(4) de la Loi d’interprétation; 2) il enfreint les principes de droit en exigeant l’impossible des commissaires; 3) il enfreint les principes de droit en ne respectant pas l’indépendance dont jouissent les commissaires.

Forces arméesCommission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en SomalieCommission d’enquête constituée en réaction au scandale national suscité par l’assassinat de Somaliens par des soldats canadiensDans le cadre de son large mandat, la Commission devait faire enquête et rapport sur le leadership au sein de la chaîne de commandement, la discipline, la mesure dans laquelle les différences culturelles ont influé sur la conduite des opérations, les mesures prises par le ministère de la Défense nationale, les allégations de camouflage et la destruction d’éléments de preuveLe gouverneur en conseil a imposé des échéances finales relativement à l’enquête et au dépôt du rapport final de la CommissionLe requérant était conseiller spécial du ministre de la Défense nationale de l’époque, Mme Kim Campbell et à ce titre, il participait directement aux communications entre la ministre et les représentants des Forces canadiennes, avec lesquels il est en désaccord quant à la date à laquelle il a été informé de la torture et de l’assassinat d’un Somalien par des membres du Régiment aéroporté du CanadaLes médias ont soulevé la question de savoir si le requérant avait pris part à une opération de camouflageLa demande du requérant visant à obtenir le droit d’être entendu a été rejetée, vu les échéances finales fixéesLe requérant vise à obtenir, d’une part, une ordonnance de mandamus obligeant la Commission d’enquête à se conformer à son mandat et, d’autre part, une ordonnance décrétant que la décision du gouverneur en conseil d’imposer des échéances finales était contraire à la loiLe décret imposant les échéances finales est ultra vires.

PratiquePartiesQualité pour agirDemande d’une ordonnance de mandamus obligeant la Commission d’enquête à se conformer à son mandat ou à accorder une autre réparationLe requérant était conseiller spécial du ministre de la Défense nationale de l’époqueIl participait directement aux communications entre la ministre et les représentants des Forces canadiennes, avec lesquels il est en désaccord quant à la date à laquelle il a été informé de la torture et de l’assassinat d’un Somalien par des membres du Régiment aéroporté du CanadaLes allégations de camouflage relevaient du mandat de la Commission d’enquête, mais la demande du requérant visant à obtenir le droit d’être entendu par celle-ci a été rejetée, le gouverneur en conseil ayant décidé de mettre fin aux audiences le 31 mars 1997Le requérant était directement touché et avait donc le droit d’être entendu en vertu de l’art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

Il s’agit de deux requêtes introductives d’instance visant à obtenir, d’une part, une ordonnance de mandamus obligeant la Commission d’enquête à se conformer à son mandat et, d’autre part, une ordonnance décrétant que la décision du gouverneur en conseil d’exiger que la Commission d’enquête mette fin à ses audiences publiques avant le 31 mars 1997 et présente son rapport final avant le 30 juin 1997 était contraire à la loi.

La Commission d’enquête a été constituée en vertu de la Loi sur les enquêtes, par le décret C.P. 1995-442, pour faire enquête sur le déploiement en Somalie du groupement tactique du Régiment aéroporté du Canada, en réaction au scandale national suscité par l’assassinat d’Arone ainsi que par les faits survenus le 4 mars 1993, où un Somalien a été tué et un autre blessé. Le décret confiait à la Commission d’enquête le mandat de faire enquête et faire rapport sur six sujets concernant le déploiement des Forces canadiennes en Somalie, dont « les mesures et les décisions des Forces canadiennes, et les mesures et les décisions du ministère de la Défense nationale », et 19 questions précises. La Commission d’enquête était également censée formuler des recommandations appropriées en vue de corriger les difficultés qu’elle relevait au cours de ses travaux. Elle a reçu instruction de présenter un rapport final le 22 décembre 1995, mais cette échéance a été reportée au 28 juin 1996. Une autre prolongation de l’échéance relative à la présentation du rapport final, soit à septembre 1997, a été demandée et, à l’appui de cette demande, neuf motifs ont été invoqués, dont le retard occasionné par des [traduction] « documents manquants, altérés ou détruits ». L’échéance a été reportée au 31 mars 1997. En novembre 1996, le président a expliqué les difficultés qu’avait la Commission d’enquête à respecter l’échéance du 31 mars 1997 concernant la présentation du rapport final, notant en particulier le nombre fort considérable de documents que la Commission d’enquête avait reçus et la [traduction] « manière dilatoire » avec laquelle le ministère de la Défense nationale avait traité les prières de collaboration et d’assistance des commissaires. Bien que la Commission d’enquête fût d’avis qu’il serait impossible d’effectuer le travail qui lui était confié avant le 31 décembre 1997, une prolongation de trois mois seulement, soit jusqu’au 30 juin 1997, lui a été accordée. La Commission d’enquête devait conclure ses audiences publiques vers le 31 mars 1997. Ces dates ont été confirmées par le décret C.P. 1997-174 daté du 4 février 1997. Lorsque les échéances finales ont été imposées, le mandat n’a pas été réduit.

En 1993, le requérant a été détaché au ministère de la Défense nationale, à titre de conseiller spécial du ministre de la Défense nationale de l’époque, Mme Kim Campbell. À ce titre, il participait directement aux communications entre la ministre et les représentants des Forces canadiennes, avec lesquels il est en désaccord quant à la date à laquelle les membres du personnel de la ministre ont été informés de la torture et de l’assassinat de Shidane Arone par des membres du Régiment aéroporté du Canada, en Somalie. Quand la controverse est devenue publique, les médias ont soulevé la question de savoir si le requérant avait pris part à une opération de camouflage. La demande du requérant visant à obtenir le droit d’être entendu par la Commission d’enquête a été rejetée. Les échéances fixées par le décret C.P. 1997-174 à propos de la tenue des audiences et de la présentation du rapport empêchaient la Commission d’enquête d’examiner la nature et la pertinence de la réponse du Quartier général de la Défense nationale (le QGDN) aux événements marquants qui ont eu lieu en Somalie, et à la [traduction] « question cruciale » d’un camouflage possible dans les hautes sphères du QGDN et des Forces canadiennes. Le mandat conféré à la Commission d’enquête englobait les allégations d’un camouflage possible, et le témoignage du requérant serait important à cet égard.

Les points en litige étaient les suivants : 1) Le requérant avait-il le droit de présenter ces requêtes? 2) Le mandat exposé dans le décret C.P. 1995-442 obligeait-il la Commission d’enquête à faire rapport sur toutes les questions qui y étaient mentionnées, ou lui permettait-il de faire rapport uniquement sur les questions que les commissaires jugeaient importantes? 3) Qui du gouverneur en conseil ou de la Commission d’enquête pouvait décider si l’enquête de cette dernière était terminée? 4) La Commission se trouvait-elle dans l’impossibilité de s’acquitter complètement de son mandat? 5) Le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation imposait-il des exigences quelconques au gouverneur en conseil? 6) Le décret 1997-174 excédait-il les pouvoirs du gouverneur en conseil?

Jugement : la demande de mandamus doit être rejetée; le décret C.P. 1997-174 doit être infirmé parce qu’il excède les pouvoirs du gouverneur en conseil.

1) Le requérant a personnellement été mêlé aux événements par lesquels la ministre a été informée de l’assassinat d’Arone. Il était censé témoigner devant la Commission d’enquête depuis longtemps, et l’avocat qui le représente à cette fin a été fourni par le gouvernement fédéral. Ces faits suffisent pour conclure que le requérant était directement touché et avait donc le droit d’être entendu en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

2) En demandant aux commissaires de « faire enquête et faire rapport », le décret C.P. 1995-442 obligeait ces derniers à faire rapport sur les six sujets ainsi que sur les 19 questions désignés. Il n’était donc pas loisible aux commissaires de faire rapport uniquement sur les questions qu’ils choisissaient d’examiner dans le délai imparti. Il aurait été possible de rédiger un mandat qui prévoyait une telle latitude. La date initiale de présentation du rapport était irréaliste. Cependant, le 22 décembre 1995 n’a jamais censé être une date de présentation d’un rapport final. Il s’agissait plutôt d’une échéance, et il n’y avait rien d’illicite à ce que le gouverneur en conseil imposât des échéances.

3) Il revient à la Commission de décider quand l’enquête est suffisante. Le gouverneur en conseil peut créer une commission d’enquête, fixer le mandat et désigner les commissaires. Il peut aussi fixer des échéances raisonnables et mettre fin à une commission d’enquête de manière légitime. Cependant, à tout le moins, une commission d’enquête est indépendante lorsque ses décisions se rapportent à la façon dont elle exécutera son mandat. Cette indépendance doit signifier qu’il appartient aux commissaires, dans une situation comme celle-ci où ils se trouvent dans l’obligation de faire enquête et rapport, de décider quand ils ont entendu ou par ailleurs obtenu suffisamment de preuves pour leur permettre de tirer les conclusions de fait nécessaires à l’appui des conclusions qu’ils formuleront dans leur rapport. Le gouverneur en conseil n’a pas le droit de décider quand les commissaires ont obtenu suffisamment de preuves.

4) Si les commissaires doivent faire rapport sur toutes les questions, et s’ils ont le droit de décider quand ils disposent de preuves suffisantes, il s’ensuit donc que s’ils ont à s’acquitter d’un mandat intégral, il leur est impossible de remplir leur obligation de présenter un rapport complet et de respecter les échéances finales. En outre, le gouverneur en conseil était au courant de cette impossibilité lorsqu’il a imposé les échéances finales, qui précédaient de six mois l’échéance dont les commissaires ont indiqué qu’ils avaient besoin pour terminer leur travail. Rien ne pourrait miner davantage la valeur d’une enquête publique que le spectre d’un gouvernement qui restreint les activités d’une commission.

5) Le gouverneur en conseil a effectivement le pouvoir de restreindre le mandat. Le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation dispose que les commissions peuvent être modifiées ou remplacées dans des conditions d’exercice « restant les mêmes » que celles dans lesquelles elles ont été créées. Dans le décret C.P. 1995-442, le mandat a été établi au moyen d’une liste détaillée des six sujets et des 19 questions désignés. Pour restreindre le mandat d’une manière légitime qui satisfasse aux exigences de la Loi d’interprétation, le gouverneur en conseil doit expressément énumérer les questions du mandat qu’il faut considérer comme retranchées. Si le gouverneur en conseil désire restreindre le mandat, il doit le faire en termes clairs et précis.

6) Il y a trois raisons pour lesquelles le décret C.P. 1997-174, qui imposait les échéances finales, est ultra vires : 1) il n’est pas conforme au paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation, qui exige qu’un décret qui restreint le mandat soit énoncé en termes clairs; 2) il enfreint les principes de droit en exigeant l’impossible des commissaires et en les mettant dans une situation où ils ne peuvent se conformer à la loi; et 3) il enfreint les principes de droit en ne respectant pas l’indépendance dont jouissent les commissaires.

Il n’existait aucune justification à une ordonnance de mandamus à l’encontre de la Commission d’enquête. Cette dernière ne pouvait s’acquitter de son mandat entier, mais il est manifeste que cette difficulté n’était pas attribuable à un acte illicite de sa part.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte concernant les enquêtes sur les affaires publiques, S.C. 1868, ch. 38.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 2(1) « règlement », 31(4).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5.

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, art. 13.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; (1995), 124 D.L.R. (4th) 129; 31 Admin. L.R. (2d) 261; 39 C.R. (4th) 141; 180 N.R. 1.

DÉCISION MENTIONNÉE :

Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang), [1997] 2 C.F. 36 (1997), 142 D.L.R. (4th) 237; 207 N.R. 1 (C.A.).

DOCTRINE

Canada. Commission de réforme du droit. Droit administratif : Les commissions d’enquête : une nouvelle loi (Document de travail 17), Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1977.

Lucas, Alastair R. « Public Inquiries » 29 C.E.D. (West. 3rd), Title 122, 1987.

Ontario. Law Reform Commission. Report on Public Inquiries. Toronto : The Commission, 1992.

REQUÊTES introductives d’instance visant à obtenir, d’une part, une ordonnance de mandamus obligeant la Commission d’enquête à se conformer à son mandat et, d’autre part, une ordonnance décrétant que la décision du gouverneur en conseil d’exiger que la Commission d’enquête mette fin à ses audiences publiques avant le 31 mars 1997 et présente son rapport final avant le 30 juin 1997 était contraire à la loi. La demande de mandamus doit être rejetée; le décret C.P. 1997-174 doit être infirmé parce qu’il excède les pouvoirs du gouverneur en conseil.

AVOCATS :

Joseph J. Arvay, c.r. pour le requérant.

W. Stanley Martin et Simon R. Coval pour l’intimée la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie.

Donald J. Rennie pour l’intimé le gouverneur en conseil.

PROCUREURS :

Arvay, Finlay, Victoria, pour le requérant.

Russell & DuMoulin, Vancouver, pour l’intimée la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé le gouverneur en conseil.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Simpson :

LES REQUÊTES

John Edward Dixon (ci-après appelé le requérant) a soumis à la Cour deux requêtes introductives d’instance, chacune présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5]. La première figure dans le dossier portant le no du greffe T-309-97 (ci-après appelée la première requête). Dans cette requête, le requérant nomme à la fois la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie (ci-après appelée la Commission d’enquête) et le gouverneur en conseil. Dans le dossier portant le no du greffe T-317-97 (ci-après appelée la seconde requête), seul le gouverneur en conseil est nommé comme intimé.

Dans la première requête, il a été demandé à la Cour de rendre les ordonnances suivantes :

1)   une ordonnance de mandamus obligeant la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie (la Commission) à se conformer aux conditions du décret C.P. 1995-442, modifié par les décrets C.P. 1995-1273, C.P. 1996-959 et C.P. 1997-174.

2)   subsidiairement, une ordonnance décrétant que le gouverneur en conseil modifie le mandat de la Commission soit en limitant les sujets sur lesquels celle-ci doit faire enquête et rapport, soit en prolongeant le délai avant lequel la Commission doit conclure ses audiences publiques et présenter un rapport final.

Dans la seconde requête, les ordonnances demandées sont les suivantes :

1)   une ordonnance décrétant que la décision du gouverneur en conseil d’exiger que la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie (la Commission) mette fin à ses audiences publiques avant le 31 mars 1997 et présente son rapport final avant le 30 juin 1997 était contraire à la loi;

2)   subsidiairement, une ordonnance décrétant que le gouverneur en conseil modifie le mandat de la Commission soit en limitant les sujets sur lesquels celle-ci doit faire enquête et rapport, soit en prolongeant le délai avant lequel la Commission doit conclure ses audiences publiques et présenter un rapport final.

Les procédures préalables à l’audience qui ont trait à ces requêtes ont été accélérées à la demande du requérant de manière à ce que les deux soient entendues et réglées avant le 31 mars 1997, soit la date suggérée par le décret C.P. 1997-174 pour la conclusion des audiences tenues devant la Commission d’enquête. Par la voie d’ordonnances du juge Denault datées du 4 mars 1997, le requérant devait déposer son dossier de demande supplémentaire le lundi 24 mars 1997, et ses demandes devaient être entendues avant le jeudi 27 mars 1997 inclusivement.

En conséquence, l’affaire a été entendue le mardi 25 mars et, pendant une courte période, le mercredi 26 mars. Une ordonnance réglant les deux requêtes a été rendue le jeudi 27 mars 1997, étant entendu que des motifs seraient diffusés la semaine suivante. Voici les motifs promis.

LES PARTIES

i)          John Edward Dixon

En janvier 1991, le requérant a été détaché du poste d’instructeur en philosophie qu’il occupait au Collège Capilano, à North Vancouver, pour servir auprès du ministère de la Justice, à Ottawa, dans le cadre d’un programme fédéral de permutation de cadres. Au ministère de la Justice, le requérant a travaillé pendant un certain temps comme conseiller supérieur en politiques auprès du sous-ministre. Par la suite, en janvier 1993, il a été détaché au ministère de la Défense nationale, à titre de conseiller spécial du ministre de la Défense nationale de l’époque, la très honorable Kim Campbell (ci-après appelée la ministre).

À titre de conseiller spécial de la ministre, le requérant participait directement aux communications entre les représentants des Forces canadiennes et la ministre. Un de ces représentants était le capitaine Blair, du cabinet du Juge-avocat général. Le requérant et le capitaine Blair ont des souvenirs différents quant à la date à laquelle le requérant et d’autres membres du personnel de la ministre ont été informés de la torture et de l’assassinat de Shidane Arone par des membres du Régiment aéroporté du Canada, en Somalie, le 16 mars 1993 (incident appelé ci-après l’assassinat d’Arone).

Dans une note de service datée du 2 novembre 1994, le capitaine Blair déclare qu’il a informé le requérant et d’autres membres du personnel de la ministre de l’assassinat d’Arone le 26 mars 1993. Par contre, dans sa lettre adressée à la revue Esprit de corps, plus tôt en 1994, le requérant avait indiqué que [traduction] « ni la ministre Campbell ni aucun membre de son personnel n’étaient au courant de l’atrocité avant le 31 mars ». Cette controverse entre le capitaine Blair et le requérant est devenue publique quand, le 13 janvier 1997, la Commission d’enquête a diffusé la note de service du capitaine Blair datée du 2 novembre 1994. C’est à la suite de cela que la Presse canadienne, dans un article daté du 15 janvier 1997, a soulevé la question de savoir si le requérant et ses collègues avaient pris part à une opération de camouflage.

À la suite de ces événements, le requérant a demandé à la Commission d’enquête, le 27 janvier 1997, une ordonnance lui donnant le droit d’être entendu. Toutefois, dans une ordonnance datée du 4 février 1997, la Commission d’enquête a rejeté la demande. Dans ses motifs d’ordonnance, elle a indiqué qu’étant donné que son mandat avait été [traduction] « tronqué » par la décision du gouvernement de mettre fin aux audiences vers le 31 mars 1997, elle se trouverait dans l’impossibilité de faire enquête sur le rôle et les responsabilités de fonctionnaires de haut rang, y compris la question qui intéressait le requérant, soit de savoir si l’assassinat d’Arone avait été camouflé ou non. Toutefois, la Commission d’enquête a clairement indiqué que si elle avait pu poursuivre l’affaire du camouflage, le témoignage du requérant aurait été important.

Le gouverneur en conseil a noté avec raison que le requérant n’a pas officiellement le droit d’être entendu devant la Commission d’enquête, et qu’il n’a pas été informé d’une faute qui lui est imputée, aux termes de l’article 13 de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11. Le requérant est donc, d’après le gouverneur en conseil, un simple témoin éventuel à la Commission d’enquête qui [traduction] « n’a pas le droit de se prévaloir d’un contrôle judiciaire comme recours contre des préjudices civils perçus ». Cependant, le mandat que confère à la Commission d’enquête le décret C.P. 1995-442 englobe les allégations d’un camouflage possible, et les commissaires ont reconnu qu’à cet égard, le témoignage du requérant serait important.

Le requérant a personnellement été mêlé aux événements par lesquels la ministre a été informée de l’assassinat d’Arone. Il est censé témoigner devant la Commission d’enquête depuis longtemps, et l’avocat qui le représente à cette fin est fourni par le gouvernement fédéral. À mon avis, ces faits suffisent pour conclure que le requérant est directement touché et a donc le droit d’être entendu en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire de décider si l’on aurait pu aussi accorder au requérant qualité pour agir dans l’intérêt public.

ii)         La Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie

La Commission d’enquête a été constituée en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes, par le décret C.P. 1995-442, daté du 20 mars 1995. Peu après, la Commission d’enquête a obtenu son nom officiel par le décret C.P. 1995-528, daté du 28 mars 1995. Par souci d’exactitude, il y a deux observations que je devrais faire. Premièrement, il n’existe, techniquement, aucune entité connue sous le nom de « commission d’enquête ». Il y a des commissaires qui sont chargés d’entreprendre une enquête. Cependant, l’expression « commission d’enquête » est une fiction pratique dont on se sert habituellement pour décrire les commissaires et la tâche qu’ils doivent accomplir. Deuxièmement, étant donné qu’en l’espèce, la Commission d’enquête n’a pas été établie par des lettres patentes, il ne s’agit pas d’une commission royale.

L’honorable Gilles Létourneau a été nommé commissaire et président de la Commission d’enquête (ci-après appelé le président). M. Létourneau est juge de la Cour d’appel fédérale. M. Peter Desbarats, un journaliste canadien bien connu, est commissaire, tout comme l’honorable Robert Campbell Rutherford. Ce dernier est juge de la Cour de justice de l’Ontario (Division générale). Les trois commissaires sont, ci-après, appelés collectivement les commissaires.

Le président et le commissaire Desbarats ont tous deux été nommés au moment où la Commission d’enquête a été constituée, le 20 mars 1995. Le commissaire Rutherford a été nommé plus tard, en remplacement d’un commissaire qui avait démissionné. Le décret pertinent est le décret C.P. 1995-614, daté du 23 avril 1995. Cependant, le commissaire Rutherford n’a pas pu commencer à remplir ses fonctions avant le 23 mai 1995.

Il est notoire que la Commission d’enquête a été établie pour faire enquête sur le déploiement en Somalie du groupement tactique du Régiment aéroporté du Canada, et que l’enquête a été entreprise surtout en réaction au scandale national suscité par l’assassinat d’Arone le 16 mars 1993, ainsi que par les faits survenus le 4 mars 1993, où un Somalien a été tué et un autre blessé (faits appelés ci-après l’incident des coups de feu).

Il y a toutefois un point moins bien connu, et il s’agit de l’extraordinaire portée du mandat confié à la Commission d’enquête dans le décret C.P. 1995-442. Dans la description qui suit, j’ai souligné et fait ressortir en caractères gras les éléments qui, à mon sens, ont particulièrement trait aux requêtes dont il est question en l’espèce. Les commissaires ont été nommés pour faire enquête et faire rapport sur les six sujets suivants (appelés ci-après les six sujets) concernant le déploiement des Forces canadiennes en Somalie.

1.   le fonctionnement de la chaîne de commandement;

2.   le leadership au sein de la chaîne de commandement;

3.   la discipline;

4.   les opérations;

5.   les mesures et les décisions des Forces canadiennes;

6.   les mesures et les décisions du ministère de la Défense nationale.

La Commission d’enquête a aussi eu pour instruction, notamment, de faire enquête et faire rapport sur 19 questions précises (appelées ci-après les questions désignées), se rapportant à la période antérieure au déploiement (avant le 10 janvier 1993), à la période des opérations sur le théâtre (du 10 janvier au 10 juin 1993), ainsi qu’à la période qui a suivi le déploiement (du 11 juin 1993 au 28 novembre 1994). J’ai reproduit le texte intéral des questions désignées afin d’illustrer l’immensité de la tâche confiée à la Commission d’enquête.

En ce qui concerne la période antérieure au déploiement, la Commission d’enquête était tenue de faire enquête et rapport sur les points suivants :

a)la question de savoir si le Régiment aéroporté du Canada était apte à se déployer en Somalie;

b)   la mission et les tâches assignées au groupement tactique du Régiment aéroporté du Canada (GTRAC) et l’aptitude de sa composition et de son organisation à exécuter la mission et les tâches qui lui ont été confiées;

c)   l’état de préparation opérationnelle du GTRAC avant son déploiement afin qu’il accomplisse la mission et les tâches qui lui ont été confiées;

d)   le bien-fondé de la présélection et de la sélection des officiers et des militaires du rang appelés à participer au déploiement en Somalie;

e)   l’à-propos des objectifs et des normes d’entraînement ayant servi à préparer le déploiement du Régiment aéroporté;

f)    l’état de la discipline au sein du Régiment aéroporté du Canada avant l’établissement du GTRAC et au sein du GTRAC avant son déploiement;

g)   l’efficacité des décisions et des mesures prises durant la période d’entraînement antérieure au déploiement par les leaders à tous les niveaux du Régiment aéroporté afin de le préparer à la mission et aux tâches qui lui incombaient en Somalie;

h)   l’efficacité des décisions et des mesures prises par les leaders à tous les niveaux du Commandement de la Force terrestre afin de résoudre les problèmes d’ordre opérationnel, disciplinaire et administratif qu’ont connus le Régiment aéroporté du Canada et le GTRAC au cours de la période qui a mené au déploiement du GTRAC en Somalie;

i)    l’efficacité des décisions et des mesures prises par les leaders des Forces canadiennes à tous les niveaux pour faire en sorte que le GTRAC soit en état de préparation opérationnelle, dûment entraîné et doté des effectifs et de l’équipement nécessaires pour accomplir la mission et les tâches qui lui incombaient en Somalie.

En ce qui concerne la période des opérations sur le théâtre, les commissaires étaient tenus de faire enquête et rapport sur ce qui suit :

j)    la mission et les tâches dévolues à la Force interarmées du Canada en Somalie et l’aptitude de la composition et de l’organisation de cette force à exécuter la mission et les tâches qui lui incombaient;

k)   la façon dont la Force interarmées a accompli sa mission et ses tâches sur le théâtre des opérations et dont elle a réagi aux problèmes d’ordre opérationnel, disciplinaire et administratif survenus, y compris les allégations de camouflage et la destruction d’éléments de preuve;

l)    la mesure dans laquelle les différences culturelles ont influé sur la conduite des opérations, le cas échéant;

m)  l’attitude de tous les militaires de tout grade vis-à-vis de la conduite licite des opérations, y compris le traitement des personnes détenues;

n)   la justesse des valeurs et des attitudes professionnelles de la Force interarmées et l’incidence du déploiement en Somalie sur ces valeurs et ces attitudes;

o)   la mesure dans laquelle les règles d’engagement de la Force interarmées ont bien été interprétées, comprises et appliquées à tous les niveaux de la chaîne de commandement des Forces canadiennes;

p)   l’efficacité des décisions et des mesures prises par les leaders à tous les niveaux de la chaîne de commandement de la Force interarmées en réponse aux problèmes d’ordre opérationnel, disciplinaire et administratif survenus durant le déploiement;

q)   l’efficacité avec laquelle l’information concernant les opérations, la discipline et l’administration ainsi que les problèmes survenus sur le théâtre a été transmise par la chaîne de commandement :

(i)   au sein de la Force interarmées du Canada en Somalie,

(ii)  du Quartier général de la Force interarmées du Canada en Somalie au Quartier général de la Défense nationale,

(iii) au sein du Quartier général de la Défense nationale;

r)    l’efficacité des décisions et des mesures prises par les leaders à tous les niveaux du Quartier général de la Défense nationale en réponse aux problèmes d’ordre opérationnel, disciplinaire et administratif survenus durant le déploiement en Somalie;

Et, enfin, au sujet de la période qui a suivi le déploiement, le rapport devait précisément traiter des résultats d’une enquête sur :

s)   les mesures de suivi prises par la chaîne de commandement des Forces canadiennes durant le déploiement du Régiment aéroporté du Canada en Somalie et par la suite afin de résoudre les problèmes d’ordre opérationnel, disciplinaire et administratif liés à ce déploiement.

Il vaut aussi la peine de signaler que les commissaires étaient habilités à :

—   établir leurs propres procédures;

—   siéger aux moments et aux endroits au Canada qu’ils jugeaient opportuns;

—   louer les locaux et installations dont ils avaient besoin;

—   retenir les services d’experts et d’autres personnes requises;

—   siéger à huis clos s’ils jugeaient nécessaire de le faire dans l’intérêt public.

Enfin, devant moi, l’avocat du gouverneur en conseil et celui de la Commission d’enquête ont convenu que les deux parties savent que la Commission d’enquête joue en réalité un rôle d’enquête et de consultation. En conséquence, en plus de faire enquête et rapport sur les questions désignées, la Commission d’enquête est censée formuler des recommandations appropriées en vue de corriger les difficultés qu’elle relève au cours de ses travaux. La tâche toute entière confiée à la Commission d’enquête, telle qu’exposée dans le décret C.P. 1995-442, est donc décrite ci-après comme étant son « mandat ».

Les commissaires ont reçu instruction de présenter un rapport final sur le mandat dans les deux langues officielles, le 22 décembre 1995 au plus tard. Cela leur donnait neuf mois pour accomplir leur travail.

iii)        Le gouverneur en conseil

Le gouverneur en conseil est la source du pouvoir exécutif au sein du gouvernement du Canada. En pratique, le gouverneur en conseil est une expression qui décrit un processus par lequel le gouverneur général met en application les décisions du premier ministre et de son cabinet. En l’espèce, les décisions ont été mises en œuvre par des textes de législation déléguée, appelés « décrets ».

LA LOI SUR LES ENQUÊTES

La Commission d’enquête a été constituée en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes. Cette partie s’intitule « Enquêtes publiques ». Le texte de l’article 2, qui figure sous cette partie, est le suivant :

2. Le gouverneur en conseil peut, s’il l’estime utile, faire procéder à une enquête sur toute question touchant le bon gouvernement du Canada ou la gestion des affaires publiques.

Dans un article intitulé « Public Inquiries », paru dans le Canadian Encyclopedic Digest[1] (ci-après appelé l’article), le professeur Alastair R. Lucas écrit que la première loi canadienne sur les enquêtes a été édictée provisoirement en 1846 par l’Assemblée des provinces unies, et qu’une version permanente ultérieure de la loi originale a été adoptée sous le nom de Acte concernant les enquêtes sur les affaires publiques [S.C. 1868, ch. 38]. Cette Loi, qui a obtenu la sanction royale le 22 mai 1868, ne contenait que deux dispositions, mais la première était quasi identique à l’article 2 de la présente Loi.

Au fil des ans, diverses modifications législatives ont conféré aux commissions d’enquête le pouvoir de contraindre les bureaux publics et les institutions à produire des documents, ainsi que de décerner des citations à comparaître. En outre, la protection de la Loi sur la preuve au Canada [L.R.C. (1985), ch. C-5] a été accordée aux témoins, et les commissaires ont eu le droit de retenir les services d’avocats, d’experts et d’employés, ainsi que de déléguer leurs pouvoirs. Des avis de conclusions proposées d’inconduite ont été établis, et les commissaires ont été habilités à accorder aux personnes faisant l’objet d’une enquête le droit d’être représentées par un avocat.

La Commission de réforme du droit du Canada a également présenté un bref historique de la Loi dans son « Document de travail 17 sur les commissions d’enquête », publié en 1977 (ci-après appelé le document de la CRDC)[2]. Selon le document de la CRDC, entre les années 1867 et 1977, environ 400 commissions d’enquête fédérales ont été nommées en vertu de la partie I de la Loi.

L’INDÉPENDANCE DES ENQUÊTES PUBLIQUES

La question de la nature et de l’étendue de l’indépendance des commissions d’enquête n’a pas été pleinement débattue devant moi. Cependant, il a été soutenu, et j’en conviens, qu’il existe des degrés d’indépendance différents. À une extrémité de la gamme se trouve l’indépendance accordée aux cours de justice. Elle est à l’abri de toute action du pouvoir exécutif, et n’est soumise qu’à la volonté du Parlement. À l’autre extrémité de la gamme se trouve une situation où il n’existe presque aucune indépendance, une situation dans laquelle une commission d’enquête est considérée comme une aide au pouvoir exécutif, et occupe une position similaire à celle d’un service au sein d’un ministère. Il y a ensuite la situation médiane où, après avoir été établie, une commission d’enquête est indépendante pour ce qui est de sa procédure et de la manière dont elle s’acquitte de son mandat.

La Cour suprême du Canada a eu l’occasion de commenter l’importance et l’indépendance des commissions d’enquête dans l’arrêt Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97. Aux pages 137 et 138 du recueil, la Cour signale ce qui suit :

Les commissions d’enquête existent depuis longtemps au Canada. Notre Cour a déjà souligné (Starr c. Houlden, précité, aux pp. 1410 et 1411) le rôle important qu’elles ont joué dans notre pays et les nombreuses fonctions qu’elles remplissent. En tant qu’organismes ad hoc, les commissions d’enquête sont libres d’un bon nombre des entraves institutionnelles qui limitent parfois l’action des diverses branches de gouvernement. Elles sont constituées pour répondre à un besoin, bien qu’il faille malheureusement admettre qu’elles doivent souvent leur existence à des tragédies comme un désastre industriel, des écrasements d’avions, des décès inexpliqués de jeunes enfants, des allégations d’exploitation sexuelle d’enfants largement répandue ou des erreurs judiciaires graves.

Au moins trois études d’importance sur le sujet ont mis en évidence l’utilité des enquêtes publiques et ont recommandé qu’elles soient maintenues : Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 17, Droit administratif : les commissions d’enquête (1977); Commission de réforme du droit de l’Ontario, Report on Public Inquiries (1992); Alberta Law Reform Institute, Report No. 62, Proposals for the Reform of the Public Inquiries Act (1992). D’après ces études, les commissions d’enquête présentent de nombreux avantages. Bien que ces avantages dépendent du contexte de la création de chaque commission et des pouvoirs qui lui sont conférés, il peut être utile de passer en revue certaines des fonctions les plus courantes de ces commissions.

L’une des principales fonctions des commissions d’enquête est d’établir les faits. Elles sont souvent formées pour découvrir la « vérité », en réaction au choc, au sentiment d’horreur, à la désillusion ou au scepticisme ressentis par la population. Comme les cours de justice, elles sont indépendantes; mais au contraire de celles-ci, elle sont souvent dotées de vastes pouvoirs d’enquête. Dans l’accomplissement de leur mandat, les commissions d’enquête sont, idéalement, dépourvues d’esprit partisan et mieux à même que le Parlement ou les législatures d’étudier un problème dans la perspective du long terme. Les cyniques dénigrent les commissions d’enquête, parce qu’elles seraient un moyen utilisé par le gouvernement pour faire traîner les choses dans des situations qui commanderaient une prompte intervention. Pourtant, elles peuvent remplir, et remplissent de fait, une fonction importante dans la société canadienne. Dans les périodes d’interrogation, de grande tension et d’inquiétude dans la population, elles fournissent un moyen d’informer les Canadiens sur le contexte d’un problème préoccupant pour la collectivité et de prendre part aux recommandations conçues pour y apporter une solution. Le statut et le grand respect dont jouit le commissaire, ainsi que la transparence et la publicité des audiences, contribuent à rétablir la confiance du public non seulement dans l’institution ou la situation visées par l’enquête, mais aussi dans l’ensemble de l’appareil de l’État. Elles constituent un excellent moyen d’informer et d’éduquer les citoyens inquiets. [Non souligné dans l’original.]

Il vaut la peine de signaler que la Cour suprême a accordé aux enquêtes publiques un degré d’indépendance qui équivaut à celui conféré aux cours de justice. Il est intéressant aussi que la Cour d’appel fédérale a récemment fait sienne la description que donne la Cour suprême des commissions d’enquête[3]. Cependant, il n’a été demandé à aucune de ces deux cours d’examiner l’impact, si impact il y a, de cette sorte d’indépendance sur la capacité du gouverneur en conseil de mettre fin à une commission d’enquête avant qu’elle termine son mandat.

À ce sujet, la Commission de réforme du droit de l’Ontario, dans son Report on Public Inquiries, publié en 1992, formule la mise en garde suivante, à la page 30 :

[traduction] Une autre utilisation innovatrice et importante du décret est l’imposition, à une enquête publique, d’une date de production d’un rapport. De telles dates ont été imposées à cinq des dix dernières enquêtes publiques menées en Ontario, encore que, dans certains cas, des décrets subséquents aient été passés pour prolonger le délai fixé. Le fait d’imposer une date précise pour la production d’un rapport comporte certains avantages, pour ce qui est de limiter les retards et les coûts. En revanche, cela pourrait restreindre l’intégralité d’une enquête et, peut-être, compromettre son indépendance si la commission demandait une prolongation mais que le Cabinet la refusait. [Non souligné dans l’original.]

La Commission ajoute également ce qui suit, à la page 206 du document :

[traduction] Bien que l’indépendance des enquêtes publiques ne soit pas absolue, ses caractéristiques principales doivent être protégées. Sans cela, l’argument voulant que l’on conserve les enquêtes publiques comme un instrument unique du gouvernement serait nettement affaibli.

La caractéristique la plus importante de l’indépendance d’une enquête publique est la suivante : une fois établie, la commission a entière liberté pour ce qui est de conduire ses procédures et de présenter son rapport pour fins de diffusion publique. Rien ne pourrait miner davantage la valeur d’une enquête publique que le spectre d’un gouvernement qui fait obstacle à la publication d’un rapport qu’il préférerait ne pas voir diffuser, ou qui restreint les activités d’une commission. [Non souligné dans l’original.]

Enfin, pour ce qui est de cette question, c’est le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui confère au gouverneur en conseil le pouvoir de modifier le mandat. Le texte de cette disposition est le suivant :

31.

(4) Le pouvoir de prendre des règlements comporte celui de les modifier, abroger ou remplacer, ou d’en prendre d’autres, les conditions d’exercice de ce second pouvoir restant les mêmes que celles de l’exercice du premier.

Dans la définition du mot « règlement », le paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation inclut les commissions similaires à celles qui établissent une commission d’enquête.

LE TRAVAIL DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

Après avoir passé en revue les documents déposés dans le cadre des présentes requêtes, il m’apparaît clairement que les commissaires se sont occupés de leur tâche énorme de manière systématique et avec diligence. Il serait tout à fait injustifié de laisser entendre de quelque façon que la Commission d’enquête n’a pas [traduction] « fait son travail ». Le travail d’enquête des commissaires ne s’est pas limité à tenir des audiences publiques; il a revêtu de nombreuses formes. Par exemple :

—        Des ordonnances ont été délivrées en vue d’obliger à produire des documents. Le 21 avril 1995, la Commission d’enquête a ordonné au ministère de la Défense nationale et aux Forces canadiennes de déposer auprès d’elle, dans les 30 jours suivants, certains documents « liés à la Somalie ». Le 18 mai 1995, la Commission d’enquête a délivré d’autres ordonnances à l’intention du greffier du Conseil privé ainsi qu’au sous-ministre des Affaires étrangères en vue de la communication de documents « liés à la Somalie » que détenaient leur ministère respectif. Près d’un an plus tard, on ne s’était pas conformé à la première ordonnance à la satisfaction de la Commission d’enquête. En conséquence, le 2 avril 1996, celle-ci a délivré une autre ordonnance au ministre de la Défense nationale, sommant le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes de déposer auprès d’elle, dans les 48 heures suivantes, tous les registres et documents concernant la question des réponses du Ministère et des Forces aux demandes d’information publique, et liés à l’ordonnance du 21 avril 1995 en vue de la production de documents.

—        Des études d’experts ont été commandées sur des questions particulières. La Commission d’enquête prévoyait de déposer (en même temps que le rapport final, ou avant ce dernier) une série de six ou sept études portant sur des questions précises.

—        Une audience de nature procédurale a été tenue. Le 24 mai 1995, aussitôt après que le commissaire Rutherford a commencé son travail, la Commission d’enquête a tenu une audience en vue de fixer ses règles de procédure et de déterminer qui aurait qualité pour agir devant elle.

—        Des audiences relatives aux politiques ont été tenues. Entre le 19 et le 23 juin 1995, la Commission d’enquête a reçu un aperçu des politiques, règlements, règles et pratiques des Forces armées canadiennes, de la structure et de l’organisation de ces dernières, du ministère de la Défense nationale, ainsi que de l’appareil de la justice militaire canadienne.

—        Des documents ont été examinés et évalués. La Commission d’enquête a reçu une quantité énorme de documents : au 26 février 1997, plus de 150 000 documents, totalisant plus de 600 000 pages. Elle a retenu les services d’une équipe de gestion de documents de manière à suivre et contrôler ces documents à mesure qu’elle les recevait. Chaque document a été numéroté et examiné, page par page, évalué afin d’en déterminer la pertinence et catalogué en ordre chronologique et par date de publication.

—        Les documents liés à d’autres instances ont été demandés. La Commission d’enquête a obtenu le rapport du Comité d’enquête (4 000 pages) ainsi que les transcriptions des 14 procédures en cour martiale découlant des incidents survenus en Somalie durant les opérations sur le théâtre.

—        Des audiences relatives à diverses questions ont été tenues, et la Commission d’enquête a décidé de s’occuper de ces questions dans l’ordre dans lequel elles avaient été énoncées dans son mandat. La première phase des audiences publiques, la [traduction] « phase antérieure au déploiement » s’est déroulée du 2 octobre 1995 au 22 février 1996, et 46 témoins ont été entendus. La deuxième phase, la [traduction] « phase des opérations sur le théâtre », a commencé le 1er avril 1996; toutefois, après que la Commission d’enquête eut entendu 12 témoins, cette phase a été suspendue pendant que la Commission d’enquête menait une enquête publique sur l’altération et la destruction présumées de documents au sein du bureau du Directeur général, Affaires publiques. Cette enquête a duré 40 jours d’audience, entre le 15 avril 1996 et le 30 août 1996. Les témoignages relatifs à la « phase des opérations sur le théâtre » se sont poursuivis dans la semaine du 9 septembre 1996, mais cette étape a été récemment arrêtée en raison de l’échéance du 31 mars 1997 qu’impose le décret C.P. 1997-174.

Outre leur travail d’enquête, les commissaires se sont occupés de questions de gestion. Ils ont réglé les points d’ordre administratif et logistique relatifs à l’établissement et à la conduite de la Commission d’enquête. Des avocats et des employés ont été recrutés, des activités et des méthodes de base ont été mises en œuvre, des questions d’échéancier ont été réglées, des installations ont été établies pour les médias, et des bureaux et une salle d’audience ont finalement été obtenus (les audiences relatives à la procédure et aux politiques, tenues en mai et en juin 1995, se sont déroulées dans des locaux empruntés). En outre, les commissaires ont obtenu les conseils de spécialistes quant aux détails relatifs à l’impression et la publication de leur rapport final (on les a informés qu’il faudrait au moins quatre mois pour réviser, traduire, imprimer et publier leur rapport de 1 500 à 2 000 pages). Ils ont aussi fourni au gouverneur en conseil des rapports complets sur les progrès qu’ils accomplissaient en tentant d’obtenir que les échéances fixées pour la présentation de leur rapport soient prolongées.

En réponse aux échéances fixées le 10 janvier 1997 pour la tenue des audiences et la présentation du rapport, la Commission a conclu l’audition des témoignages relatifs à l’incident des coups de feu, et a ensuite arrêté ses audiences concernant les opérations sur le théâtre. La première semaine d’avril 1997 a été réservée aux arguments des parties et, par la suite, la Commission d’enquête rédigera son rapport de manière à respecter l’échéance du 30 juin 1997.

Aucune preuve ne m’a été présentée au sujet de la teneur du rapport de la Commission d’enquête. Cependant, dans ses remarques du 13 janvier 1997, le président a indiqué que les échéances fixées par le décret C.P. 1997-174 à propos de la tenue des audiences et de la présentation du rapport empêchaient la Commission d’enquête d’examiner la nature et la pertinence de la réponse du Quartier général de la Défense nationale aux événements marquants qui ont eu lieu en Somalie (surtout l’incident des coups de feu survenu le 4 mars 1993, que la Commission d’enquête examinait, et l’assassinat d’Arone le 16 mars 1993). Il a ajouté que les échéances empêchaient presque entièrement les commissaires d’analyser la [traduction] « question cruciale » d’un camouflage possible dans les hautes sphères du Quartier général de la Défense nationale et des Forces canadiennes. Ces points sont visés dans le mandat aux questions k), q) et r) des questions désignées, ainsi qu’aux sujets 5 et 6 des six sujets.

En outre, dans ses motifs d’ordonnance du 4 février 1997, par lesquels elle refusait la demande du requérant en vue d’obtenir le droit d’être entendu, la Commission d’enquête a déclaré ce qui suit :

[traduction] Il est maintenant bien compris qu’en choisissant de mettre fin à la présente enquête, le gouvernement a empêché d’examiner des aspects cruciaux de l’affaire de la Somalie, y compris, notamment, les aspects capitaux d’un camouflage possible au sein des hautes sphères de l’armée, et la justesse de la réponse des Forces canadiennes et du Quartier général de la Défense nationale à la foule de difficultés auxquelles se sont heurtées les troupes canadiennes sur le théâtre de la Somalie.

DATES DE PRÉSENTATION DU RAPPORT ET DEMANDES DE PROLONGATION

Conformément au décret C.P. 1995-442 daté du 20 mars 1995, les commissaires ont reçu instruction de présenter au gouverneur en conseil un rapport final dans les deux langues officielles au plus tard le 22 décembre 1995. Toutefois, peu après l’arrivée du commissaire Rutherford au sein de la Commission d’enquête, les commissaires se sont rendus compte que la date de présentation du rapport était irréaliste. En conséquence, dans une lettre datée du 2 juin 1995 et adressée à Mme Jocelyne Bourgon, greffière du Conseil privé et secrétaire du Cabinet, le président a demandé que soit prolongée jusqu’au 20 septembre 1996 l’échéance fixée pour la présentation du rapport final de la Commission d’enquête. Dans sa demande, le président a fait état, notamment, de la nature « monumentale » du mandat des commissaires ainsi que du retard dû à l’entrée en fonction tardive (23 mai 1995) du commissaire Rutherford, nouvellement nommé. Il a aussi indiqué qu’il n’était [traduction] « au courant d’aucune commission royale établie ces dernières années qui soit soumise à une échéance aussi serrée que celle qui a été fixée au départ pour notre enquête ». En réponse, conformément au décret C.P. 1995-1273 daté du 26 juillet 1995, le gouverneur en conseil a fait droit à la demande de prolongation de l’échéance relative à la présentation du rapport final de la Commission, mais uniquement jusqu’au 28 juin 1996, et non au 20 septembre 1996, comme demandé.

Le 6 mars 1996, le président a écrit de nouveau à Mme Bourgon pour demander une prolongation supplémentaire, soit du 28 juin 1996 au 31 mars 1997. En demandant cette deuxième prolongation, le président a fait état, notamment, de l’apparition de nouvelles questions, de la sous-estimation considérable de la quantité de documents qui devraient être déposés auprès de la Commission d’enquête, ainsi que des retards subis en obtenant des documents essentiels du ministère de la Défense nationale. Dans une lettre subséquente datée du 3 mai 1996, adressée à Mme Margaret Bloodworth, sous-greffière du Conseil privé, le président a indiqué qu’il se proposait de fournir au Bureau du Conseil privé [traduction] « une projection plus détaillée et une demande rajustée au sujet de l’échéance ultime concernant la présentation du rapport de la Commission ». Cela a été fait dans une lettre de quatre pages, datée du 9 mai 1996, à l’attention de Mme Bloodworth. Dans cette lettre, le président a demandé une autre prolongation de l’échéance relative à la présentation du rapport final, soit au 30 septembre 1997, et, à l’appui de sa demande, il a invoqué neuf motifs, dont le retard occasionné par des [traduction] « documents manquants, altérés ou détruits ». Dans ce document, le président a fait part de la détermination des commissaires à terminer le rapport final—d’une longueur estimative de 1 500 à 2 000 pages—avant le 31 mars 1997, mais il demandait que l’échéance soit reportée au 30 septembre 1997 parce que [traduction] « il serait plus sûr à ce stade-ci, avant que notre demande soit transmise au Conseil du Trésor pour examen officiel, que nous prévoyions six mois de plus dans notre échéancier ».

Le président a souligné que les commissaires ne souhaitaient aucunement prolonger le processus d’enquête, faisant remarquer en particulier que le commissaire Rutherford qui, à titre de juge surnuméraire, serait normalement censé assumer des responsabilités réduites, travaillait [traduction] « plus qu’à plein temps » pour la Commission d’enquête. Malgré la requête des commissaires, le gouverneur en conseil, conformémement au décret C.P. 1996-959 daté du 20 juin 1996, a reporté l’échéance au 31 mars 1997, plutôt qu’au 30 septembre 1997. Dans une lettre adressée au président, en date du 21 juin 1996, Mme Bourgon explique que :

[traduction] … le gouvernement du Canada, les Forces canadiennes et tous les Canadiens sont impatients de régler les questions entourant les incidents survenus en Somalie. Le gouvernement vous encourage à procéder le plus rapidement possible de manière à ce qu’il puisse disposer du point de vue de la Commission en examinant les options possibles concernant toute réforme des Forces canadiennes. Nous sommes d’accord qu’il s’agit d’une tâche ardue, mais il est à noter que la date actuellement fixée pour la présentation du rapport est déjà une prolongation de l’échéance initiale.

Et d’ajouter Mme Bourgon, en conclusion :

[traduction] Cette prolongation accordera à la Commission un délai supplémentaire de neuf mois pour poursuivre son travail. Il sera possible d’évaluer plus avant les progrès accomplis par la Commission à l’automne. [Non souligné dans l’original.]

À la suite de la lettre datée du 21 juin 1996, les commissaires et les membres du personnel supérieur de la Commission d’enquête ont rencontré M. Dion et Mme Poirier, du Bureau du Conseil privé, en novembre 1996, afin de discuter des projections de la Commission d’enquête au sujet de l’échéancier et de la publication du rapport final, de même que du besoin des commissaires d’obtenir une prolongation supplémentaire de l’échéance du 31 mars 1997. Dans une lettre de huit pages adressée à M. Dion, en date du 27 novembre 1996, le président a expliqué les difficultés qu’avait la Commission d’enquête à respecter l’échéance du 31 mars 1997 concernant la présentation du rapport final, notant en particulier le nombre fort considérable de documents que la Commission d’enquête avait reçus et la [traduction] « manière dilatoire » avec laquelle le ministère de la Défense nationale avait traité les prières de collaboration et d’assistance des commissaires. Le président a fait remarquer que [traduction] « de sérieuses lacunes dans le processus de communication de documents », y compris des révélations de destruction et d’altération de documents, avaient nécessité des audiences supplémentaires.

Dans sa lettre du 27 novembre 1996, le président a présenté trois scénarios concernant la conclusion des audiences et la préparation du rapport final; chaque scénario nécessitait une prolongation de l’échéance relative à la présentation dudit rapport. La date la plus rapprochée qu’envisageaient les commissaires était le 31 décembre 1997, selon leur troisième scénario (ci-après appelé le scénario no 3). Le gouverneur en conseil savait donc, dès novembre 1996, que la Commission d’enquête n’avait pas le sentiment de pouvoir faire rapport efficacement sur son mandat avant le 31 décembre 1997.

Le scénario no 3 fixait le calendrier le plus serré. Il prévoyait environ 23 semaines d’audiences pour entendre des témoignages portant principalement sur i) l’assassinat d’Arone, ii) les mesures et les décisions des hauts dirigeants du Quartier général de la Défense nationale, ainsi que iii) la question d’un camouflage possible. Ces audiences devaient prendre fin en juillet 1997.

Les commissaires ont indiqué que le scénario no 3 les avait obligés à faire des choix difficiles au sujet de la manière d’exécuter leur travail en temps opportun. Par exemple, ils avaient prévu d’obtenir des témoignages oraux avant de rendre compte d’incidents survenus en Somalie, autres que celui des coups de feu et l’assassinat d’Arone, mais ils ont décidé plutôt de faire rapport sans entendre de témoignages. En outre, ils ont proposé de ne pas entendre de témoignages sur les activités des Forces canadiennes au cours de la période qui a suivi le déploiement, mais ils prévoyaient quand même inclure le sujet dans leur rapport final.

Vers la fin de la lettre, les commissaires ont indiqué au gouverneur en conseil ce qui suit :

[traduction] Les commissaires sont fermement d’avis qu’il serait impossible d’effectuer le travail qui leur est confié d’une manière exhaustive, raisonnable et efficace s’il leur est demandé de respecter, pour la présentation d’un rapport, une échéance antérieure au 31 décembre 1997.

Dans sa lettre de réponse datée du 10 janvier 1997, M. Dion, du Bureau du Conseil privé, a informé le président que les commissaires obtiendraient une prolongation de trois mois seulement, soit jusqu’au 30 juin 1997, afin de permettre à la Commission d’enquête de terminer son travail et de déposer son rapport final. La lettre indique aussi que la Commission d’enquête devait conclure ses audiences publiques vers le 31 mars 1997. Ces dates (appelées ci-après les échéances finales) ont été confirmées par le décret C.P. 1997-174 daté du 4 février 1997. Il est important de signaler que lorsque les échéances finales ont été imposées, le mandat n’a pas été réduit.

L’explication qu’a donnée M. Dion pour les échéances finales est la suivante :

[traduction] Les scénarios proposés dans votre plan de travail ont tous été examinés, mais, comme le gouvernement entend trouver des solutions le plus rapidement possible, on a considéré qu’il n’était pas dans l’intérêt du pays d’avoir à attendre au moins un an de plus avant de recevoir le rapport de la Commission.

Toutefois, pour considérer sous un autre angle la question de la date de présentation du rapport final, je fais remarquer que la demande des commissaires en vue de faire repousser l’échéance au 31 décembre 1997, d’après le scénario no 3, ne représentait que trois mois de plus que ce qu’ils avaient demandé dans leur lettre du 9 mai 1996, avant que le décret C.P. 1996-959 soit modifié. Soulignons que les commissaires n’ont jamais obtenu les prolongations qu’ils demandaient.

Le tableau suivant présente sous forme résumée les demandes des commissaires en vue d’obtenir des prolongations par rapport à la date initiale de présentation du rapport final, soit le 22 décembre 1995, ainsi que les décrets connexes :

Décret

Date

Date de

dépôt du rapport

Prolongation demandée

Prolongation accordée

C.P. 1995-1273

26 juillet 1995

22 décembre 1995

20 septembre 1996

28 juin 1996

C.P. 1996-959

20 juin 1996

28 juin 1996

30 septembre 1997

31 mars 1997

C.P. 1997-174

4 février 1997

31 mars 1997

31 décembre 1997*

30 juin 1997

Rapport final

31 mars 1997

(approx.) comme

date de fin des

audiences

* le minimum, selon le scénario no 3

LES POINTS EN LITIGE

La question qui se pose est celle de savoir si le décret C.P. 1997-174, qui imposait les échéances finales, excède les pouvoirs du gouverneur en conseil dans les circonstances de l’espèce.

Cette question soulève un certain nombre de points :

1. Quelle est la nature du mandat? Ce dernier, tel qu’exposé dans le décret C.P. 1995-442, oblige-t-il la Commission à faire rapport sur toutes les questions mentionnées, ou lui permet-elle de faire rapport uniquement sur les questions que les commissaires jugent importantes?

2. Qui décide si l’enquête de la Commission est terminée?

3. La Commission se trouve-t-elle dans l’impossibilité de s’acquitter complètement de son mandat?

4. Le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation impose-t-il des exigences quelconques au gouverneur en conseil?

LES POSITIONS DES PARTIES

i)          Le requérant

Le requérant fait valoir que le décret C.P. 1997-174 a pour effet pratique que la Commission d’enquête demeure légalement tenue de faire rapport sur son mandat intégral, même si le rapport en question est maintenant impossible à présenter en raison des échéances finales imposées. Il est également d’avis que, compte tenu de la lettre que le président a envoyée au sous-chef du Conseil privé le 27 novembre 1996, le gouverneur en conseil savait, en imposant les échéances finales, que la Commission d’enquête ne serait pas en mesure de faire rapport sur toutes les questions énoncées dans le mandat avant le 30 juin 1997.

Le requérant déclare que les lois, y compris la législation déléguée, telle que les décrets qui s’appliquent en l’espèce, doivent pouvoir être exécutées et que, comme le décret C.P. 1997-174 impose les échéances finales mais ne permet pas de s’acquitter du mandat intégral, ledit décret crée une situation dans laquelle la Commission d’enquête se trouve dans l’impossibilité de se conformer à la loi.

Le requérant fait valoir de plus que le gouverneur en conseil agit en dehors des limites de sa compétence quand il décerne un décret qui ne peut être exécuté. Il ajoute qu’il est également inconvenant et contraire aux principes du droit que la Commission d’enquête soit mise dans une situation où elle ne peut se conformer à la loi parce qu’elle ne peut faire rapport, ainsi qu’il est exigé, sur son mandat intégral.

Le requérant admet, sous réserve de son droit de présenter ultérieurement un argument contraire, que le gouverneur en conseil est habilité, de par le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation, à imposer les échéances finales et à restreindre le mandat de la Commission d’enquête. Toutefois, fait-il valoir, dans les circonstances sans précédent de l’espèce, quand les échéances finales ont pour effet d’empêcher la Commission d’enquête de faire rapport sur son mandat intégral ainsi qu’elle est légalement tenue de le faire, un décret, pour être légitime, doit clairement indiquer sur quelles questions il n’est pas nécessaire que les commissaires fassent rapport. Cela doit être fait pour qu’il soit possible aux commissaires de s’acquitter du mandat et de respecter les échéances finales.

Le requérant soutient qu’il était à la fois offensant et illicite pour le gouverneur en conseil de restreindre le mandat en imposant [traduction] « par des moyens détournés » les échéances finales dans le décret C.P. 1997-174. En outre, ajoute-t-il, il serait offensant d’adopter un nouveau décret qui restreindrait directement le mandat en énumérant clairement les questions précises sur lesquelles il n’est pas nécessaire que la Commission d’enquête fasse rapport, mais il s’agirait d’une mesure légitime, qui permettrait au grand public et aux commissaires de bien saisir comment le gouverneur en conseil entend que la Commission d’enquête procède. Cela rendrait le gouverneur en conseil responsable d’une décision de restreindre le mandat.

Le requérant déclare que les motifs pour lesquels le gouverneur en conseil a fixé des échéances finales sont sans importance dans la présente demande. Divers ministres ont fait des déclarations au sujet des motifs du gouverneur en conseil, et bien des conjectures publiques ont été faites au sujet des motifs possibles, mais, de l’avis du requérant, la question des motifs importe peu. Ce qui compte, c’est le fait que la Commission d’enquête ne se conforme pas au décret C.P. 1995-442.

Le pire, selon le requérant, c’est que le gouverneur en conseil est responsable du fait que la Commission d’enquête ne se conforme pas à la loi, car il n’a pas touché au mandat intégral et a imposé les échéances finales irréalistes. Le requérant ajoute qu’il est nécessaire que la Cour intervienne pour rétablir l’ordre et la légalité de la situation. À ce stade-ci, selon lui, le décret C.P. 1995-442 est une imposture parce qu’il ne peut être exécuté.

ii)         La Commission d’enquête

La Commission d’enquête est d’avis qu’il ne convient pas de prononcer contre elle une ordonnance de mandamus. Pour obtenir gain de cause, le requérant devrait montrer que la Commission d’enquête a irrégulièrement refusé ou négligé d’accomplir sa tâche, et qu’il lui serait possible d’exécuter cette dernière en réponse à une ordonnance de mandamus. Elle indique qu’au vu des faits de l’espèce, il n’est possible de satisfaire à ni l’un ni l’autre de ces critères.

iii)        Le gouverneur en conseil

Le gouverneur en conseil allègue que le mandat est une question discrétionnaire, et que les commissaires ne sont pas légalement tenus de faire rapport sur tous les points qu’il contient. De l’avis du gouverneur en conseil, le mandat fixe les limites de l’enquête mais que, à l’intérieur de ces limites, de ces [traduction] « piquets de clôture », les commissaires sont libres de donner la priorité aux questions qui, selon eux, valent le plus la peine de faire l’objet d’une enquête, et de retrancher d’autres questions de leur examen et du rapport final. Les questions désignées ne sont que des sujets facultatifs à inclure dans un rapport final. Il a été allégué, par exemple, qu’un rapport final qui ne fournirait aucune information que ce soit sur six des questions désignées remplirait le mandat selon le gouverneur en conseil. Ce dernier déclare qu’en vertu du décret C.P. 1995-442, les commissaires ont compétence pour faire enquête sur les six sujets et les questions désignées, mais qu’ils ne sont nullement tenus de le faire.

Le gouverneur en conseil est également d’avis que le mandat n’exige même pas de produire un rapport significatif à propos des questions sur lesquelles les commissaires ont choisi de faire enquête. Ainsi, au sujet de la question d’un camouflage possible, par exemple, un rapport qui ne présenterait aucune conclusion de fait ou aucune recommandation, mais se limiterait à une liste de questions qu’il serait possible d’approfondir au sein d’une autre tribune, constituerait, aux yeux du gouverneur en conseil, un rapport convenable sur le sujet. Il a été allégué qu’il appartient au gouverneur en conseil, et non aux commissaires, de décider quand le mandat a été convenablement rempli, et il incombe aux commissaires de s’organiser pour faire le meilleur travail possible dans les limites temporelles et budgétaires qui leur sont fixées. Autrement dit, le mot [traduction] « significatif » est défini d’après les fonds et les échéances que détermine le gouverneur en conseil. Ce ne sont pas les commissaires qui le définissent.

L’avocat du gouverneur en conseil a fait remarquer aussi que le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation est la source du pouvoir de modification du mandat. En outre, le gouverneur en conseil a agi dans l’intérêt du pays, et la décision d’imposer les échéances finales plutôt que de restreindre le mandat a été prise à dessein afin d’éviter de donner l’impression d’une ingérence dans l’indépendance de la Commission d’enquête et du droit de cette dernière de choisir les questions sur lesquelles elle ferait rapport.

Le gouverneur en conseil conteste aussi la position des commissaires selon laquelle ces derniers se trouvent dans l’impossibilité de faire rapport sur le mandat intégral. Il est fait référence, à cet égard, à la lettre du président datée du 27 novembre 1996, dans laquelle ce dernier déclare ce qui suit :

[traduction] Les commissaires ont reçu dans l’ensemble environ 150 000 documents totalisant plus de 600 000 pages. Ce qu’ils ont examiné et admis en preuve, selon leur jugement, constitue les documents essentiels qui sont nécessaires pour examiner les questions de base relevées dans dix-neuf (19) paragraphes clés du décret établissant la Commission et énonçant les attributions des commissaires.

Le président signale aussi que :

[traduction] De sérieuses lacunes dans la communication des documents, dont la destruction et l’altération de documents liés à la Somalie, ont obligé à tenir des audiences supplémentaires. Bien qu’elles aient pris un temps considérable, ces audiences imprévues ont été réellement utiles, dans la mesure où elles portaient sur des questions importantes qui avaient une incidence sur la question centrale du camouflage.

L’avocat du gouverneur en conseil a fait valoir que s’il existe des documents sur toutes les questions désignées et si des témoignages oraux ont déjà été obtenus au sujet de la question du camouflage, on peut raisonnablement s’attendre à recevoir un rapport significatif sur toutes les questions et que, de ce fait, il n’a pas été démontré qu’il est impossible d’exécuter le mandat.

Contrairement au requérant, le gouverneur en conseil présente le décret C.P. 1997-174 sous un jour favorable, en ce sens que, souligne-t-il, ce dernier accordait à la Commission d’enquête une prolongation de trois mois pour présenter le rapport final. Le gouverneur en conseil pose la question suivante : comment le fait d’accorder une prolongation peut-il être un acte ultra vires?

Enfin, en ce qui concerne le scénario no 3 présenté dans la lettre du président datée du 27 novembre 1996, le gouverneur en conseil estime que la date demandée pour la présentation du rapport final, soit le 31 décembre 1997, était inacceptable parce qu’elle signifiait que le rapport était repoussé d’une année de plus, et qu’il était dans l’intérêt du pays d’en activer la production de manière à ce que le gouverneur en conseil puisse entreprendre de réformer l’armée en s’appuyant sur le rapport final des commissaires.

ANALYSE ET CONCLUSIONS

Selon moi, en demandant aux commissaires de « faire enquête et faire rapport », le décret C.P. 1995-442 obligeait ces derniers à faire rapport sur les six sujets ainsi que sur toutes les questions désignées. Il m’est donc impossible de souscrire à l’argument du gouverneur en conseil selon lequel il était loisible aux commissaires de faire rapport uniquement sur les questions qu’ils choisissaient d’examiner dans le délai imparti.

Il aurait été possible de rédiger un mandat qui prévoyait une telle latitude. Ce dernier aurait pu dire, par exemple, [traduction] « voici 19 questions préoccupantes—veuillez choisir les quatre que vous estimez être les plus importantes et faire enquête et rapport sur elles » ou bien [traduction] « voici dix questions—veuillez faire enquête sur le plus grand nombre possible d’entre elles, et présentez votre rapport dans six mois ». Cependant, en l’espèce, le mandat ne donnait pas aux commissaires un tel choix. Vu la nature horrible des événements qui ont mené à la formation de la Commission d’enquête, je suis convaincue que le gouverneur en conseil voulait que l’on fasse enquête et rapport sur les six sujets ainsi que sur toutes les questions désignées.

J’ai également conclu que la date initiale de présentation du rapport, soit le 22 décembre 1995, était irréaliste. Jamais les trois commissaires, même en travaillant à plein temps comme ils l’ont fait, n’auraient pu s’occuper des aspects logistiques de la phase de départ, tenir des audiences publiques, obtenir et examiner les documents nécessaires et rédiger et publier un rapport final dans les deux langues officielles sur le mandat intégral, dans un délai de neuf mois.

Cependant, je suis persuadée que le 22 décembre 1995 n’a jamais censé être une date de présentation d’un rapport final. Il s’agissait plutôt d’une échéance, et il n’y avait rien d’illicite à ce que le gouverneur en conseil impose des échéances. En l’espèce, l’existence d’échéances garantissait que les commissaires planifient leur travail de manière efficace et fassent des projections raisonnables. Les échéances favorisaient cette démarche disciplinée parce qu’elles signifiaient que, de temps à autre, à mesure que s’approchaient les délais fixés, les commissaires auraient à justifier leurs demandes de prolongation. Les commissaires ont présenté leurs demandes dans des lettres exhaustives qui décrivaient entièrement les raisons pour lesquelles ils demandaient les prolongations en question. Il ne s’agissait pas, comme je l’ai déclaré à l’audience, d’une commission d’enquête qui s’éparpillait dans tous les sens. Les commissaires sont des gens raisonnables et travaillants, qui ont organisé leur charge de travail énorme de manière professionnelle.

Toutefois, il ne fait aucun doute que le gouverneur en conseil est devenu exaspéré par le temps que prenait la Commission pour faire enquête sur les questions énoncées dans son mandat, et cet état de choses soulève la question suivante. Qui décide quand l’enquête est suffisante : le gouverneur en conseil ou les commissaires?

Le gouverneur en conseil a examiné la lettre du président datée du 27 novembre 1996, et a fait remarquer que les documents et certaines preuves données à l’audience avaient réglé la question d’un camouflage possible. Selon moi, il n’est pas clair si le président, en parlant de camouflage, faisait référence à la destruction de documents et à l’évitement de demandes d’accès à l’information, ou au camouflage possible de l’assassinat d’Arone par des hauts gradés ou des membres du personnel du ministre. Quoi qu’il en soit, le gouverneur en conseil a conclu que les commissaires disposaient de quelques éléments de preuve au sujet d’un camouflage et que l’on pouvait donc s’attendre raisonnablement à ce qu’ils produisent un rapport.

Les commissaires, en revanche, ont clairement indiqué qu’ils estiment que, sans audiences publiques et sans le témoignage des personnes en cause, dont le capitaine Blair, le requérant et la ministre, ils n’ont pas convenablement enquêté sur le camouflage possible de l’assassinat d’Arone.

Dans l’arrêt Tragédie de la mine Westray, ainsi qu’il est noté précédemment à la page 407, la Cour suprême du Canada a déclaré que « [l]’une des principales fonctions des commissions d’enquête est d’établir les faits ». Cela étant le cas, il est tout à fait raisonnable que les commissaires croient qu’ils doivent entendre les personnes directement en cause avant de tirer des conclusions de fait au sujet d’un éventuel camouflage de l’assassinat d’Arone. En ce qui concerne les questions sur lesquelles ils ont reçu instruction de faire enquête et rapport, le rapport doit être significatif. Il ne peut s’agir d’un rapport « néant » ou simplement d’une liste de questions sans réponses comme l’a laissé entendre le gouverneur en conseil.

Le gouverneur en conseil est d’avis qu’il a le droit de traiter la Commission d’enquête comme un service gouvernemental qui peut être créé, dirigé et démantelé selon son bon vouloir. Il ne fait aucun doute que ce dernier peut créer une commission d’enquête, fixer le mandat et désigner les commissaires. Il peut aussi fixer des échéances raisonnables et mettre fin à une commission d’enquête de manière légitime. Cependant, à mon avis, à tout le moins, une commission d’enquête est indépendante lorsque ses décisions se rapportent à la façon dont elle exécutera son mandat. Je suis convaincue aussi que cette indépendance doit signifier qu’il appartient aux commissaires, dans une situation comme celle-ci où ils se trouvent dans l’obligation de faire enquête et rapport, de décider quand ils ont entendu ou par ailleurs obtenu suffisamment de preuves pour leur permettre de tirer les conclusions de fait nécessaires à l’appui des conclusions qu’ils formuleront dans leur rapport. À mon avis, le gouverneur en conseil n’a pas le droit de décider quand les commissaires ont obtenu suffisamment de preuves.

Cette conclusion mène inexorablement à une décision au sujet de la question de l’impossibilité. Si les commissaires doivent faire rapport sur toutes les questions, et s’ils ont le droit de décider quand ils disposent de preuves suffisantes, il s’ensuit donc que s’ils ont à s’acquitter d’un mandat intégral, il leur est impossible de remplir leur obligation de présenter un rapport complet et de respecter les échéances finales. En outre, le gouverneur en conseil était au courant de cette impossibilité lorsqu’il a imposé les échéances finales, qui précédaient de six mois l’échéance dont les commissaires ont indiqué qu’ils avaient besoin pour terminer leur travail selon le scénario no 3.

En ce qui me concerne, cette cause est sans précédent, en ce sens qu’il n’y a jamais eu de situation où une commission d’enquête—contrainte de faire rapport sur son mandat intégral—ait été mise dans une situation où elle ne peut présenter un rapport si elle se conforme aux échéances imposées par le gouverneur en conseil.

Comme il est indiqué précédemment, la Commission de réforme du droit de l’Ontario, en parlant de l’indépendance des enquêtes publiques et de l’application de dates de présentation de rapport, a fait remarquer que rien ne pourrait miner davantage la valeur d’une enquête publique que le spectre d’un gouvernement qui restreint les activités d’une commission.

Toutefois, dans l’état actuel du droit, le gouverneur en conseil a effectivement le pouvoir de restreindre le mandat. Le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation, ainsi qu’il est indiqué précédemment, à la page 409, dispose que les commissions, comme celle dont il est question en l’espèce, peuvent être modifiées ou remplacées dans des conditions d’exercice « restant les mêmes » que celles dans lesquelles elles ont été créées. Dans le décret C.P. 1995-442, le mandat a été établi au moyen d’une liste détaillée des six sujets et des questions désignées. Pour restreindre le mandat d’une manière légitime qui satisfasse aux exigences de la Loi d’interprétation, le gouverneur en conseil doit expressément énumérer les questions du mandat qu’il faut considérer comme retranchées. Cela veut dire que si le gouverneur en conseil désire restreindre le mandat, il doit le faire en termes clairs et précis.

En conclusion, il y a trois raisons pour lesquelles le décret C.P. 1997-174, qui imposait les échéances finales, est ultra vires :

1) Il n’est pas conforme au paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation, qui exige qu’un décret qui restreint le mandat soit énoncé en termes clairs.

2) Il enfreint les principes de droit en exigeant l’impossible des commissaires et en les mettant dans une situation où ils ne peuvent se conformer à la loi.

3) Il enfreint les principes de droit en ne respectant pas l’indépendance dont jouissent les commissaires. Ces derniers ont le droit de déterminer comment faire enquête sur les éléments énoncés dans leur mandat et quand leur enquête est suffisante pour étayer les conclusions qu’ils exposeront dans leur rapport.

Enfin, je n’ai pu trouver aucune justification à une ordonnance de mandamus à l’encontre de la Commission d’enquête. Je suis convaincue que cette dernière ne peut s’acquitter de son mandat entier, mais il est manifeste que cette difficulté n’est pas attribuable à un acte illicite de sa part.



[1] 29 C.E.D. (West. 3rd.), Title 122, 1987.

[2] Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 17, Droit administratif : Les commissions d’enquête : une nouvelle loi (1977).

[3] Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang), [1997] 2 C.F. 36 (C.A.), aux p. 56-57.

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