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[1997] 1 C.F. 640

T-1944-92

C. J. Michael Flavell (appelant)

c.

Le sous-ministre du Revenu national, Douanes et accise (intimé)

Répertorié : Flavell c. Sous-ministre M.R.N., Douanes et accise (1re inst.)

Section de première instance, juge Campbell— Ottawa, 6 mars et 16 juillet 1996.

Douanes et accise Loi sur les douanes Appel d’une décision du TCCE concluant que le bateau-logement d’origine canadienne, sur lequel un nouveau moteur avait été installé aux États-Unis, était une marchandise importée, et donc assujettie à des droits de douane sur la valeur du bateauL’art. 12 de la Loi sur les douanes dispose que toutes les marchandises importées doivent être déclarées au bureau de douane le plus procheL’art. 18 porte que toutes les marchandises déclarées conformément à l’art. 12 sont réputées avoir été importéesDirectives d’interprétation discutées et appliquéesL’argument alléguant que la loi entraîne un « effet punitif » pour quiconque traverse la frontière afin de protéger les marchandises canadiennes de la concurrence est rejetéLa nouvelle loi n’était pas un simple dépoussiérage, mais visait à remplacer des dispositions législatives désuètes, injustes et ayant un effet punitifL’interprétation du sous-ministre favorisant une méthode d’application différentielle générale, très largement répandue, concernant les dispositions de déclaration prévues à l’art. 12 est au détriment des citoyens canadiens ordinairesLe TCCE a commis une erreur en n’accordant pas suffisamment d’attention à la loi et au contexte commercial en interprétant les mots « importer » et « exporter » — La Loi et le Tarif visent à imposer des droits de douanes uniquement sur les marchandises étrangères qui sont introduites au Canada.

Interprétation des lois L’art. 12 de la Loi sur les douanes dispose que « toutes les marchandises importées » doivent être déclarées au bureau de douane le plus procheL’art. 18 porte que toutes les marchandises déclarées conformément à l’art. 12 sont réputées avoir été importéesLe TCCE a statué que le mot « importer » signifie introduire ou faire introduire au Canada et s’applique à toutes les marchandises, peu importe leur origineDirectives d’interprétation appliquées : la méthode grammaticale ou littérale; la méthode systématique; la méthode téléologique; la méthode historique; l’interprétation pragmatique; et les autoritésLa Loi et le Tarif visent à imposer des droits de douane uniquement sur les marchandises étrangères qui sont introduites au Canada.

Il s’agit d’un appel de la décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE). L’appelant est propriétaire d’un bateau-logement qui est exploité dans une marina près de Kingston (Ontario). Le bateau-logement est loué. En juillet 1989, pendant que le bateau était loué, le moteur a été endommagé irrémédiablement. Un moteur a été installé temporairement sur le bateau-logement au port le plus proche, soit Clayton (New York), dans le cadre d’une transaction visant la fourniture d’un nouveau moteur. Après l’installation du nouveau moteur, l’exploitant en a informé les agents des douanes qui ont classé le bateau-logement en tant que bateau à moteur, autre qu’à moteur hors bord, d’après le Tarif des douanes. L’appelant a été tenu redevable de droits sur la valeur totale du bateau-logement, évaluée à l’origine à 60 000 $. Après révision, la valeur du bateau-logement pour les fins des droits de douane a été réduite à 33 465 $, mais le classement tarifaire est demeuré le même. Par suite d’une nouvelle révision, le sous-ministre a confirmé le classement tarifaire et le montant des droits. En appel, le TCCE a statué à la majorité que le mot « importer » signifiait introduire ou faire introduire au pays et que, par conséquent, le bateau-logement avait été importé au Canada et était assujetti à des droits de douane.

L’article 12 de la Loi sur les douanes exige que toutes les marchandises qui sont importées soient déclarées au bureau de douane le plus proche. L’article 18 dispose que toutes les marchandises déclarées conformément à l’article 12 sont réputées avoir été importées.

L’appelant fait valoir que la Loi et le Tarif ont pour objet d’imposer des droits sur des marchandises étrangères qui sont introduites au Canada, alors que l’intimé prétend que ces droits doivent être imposés sur toutes les marchandises qui sont introduites au Canada.

Les questions litigieuses sont les suivantes : (1) le Tribunal a-t-il commis une erreur en statuant que les marchandises importées au Canada ont été correctement classées comme bateau à moteur plutôt que comme moteur, et (2) si les marchandises introduites au Canada ont été correctement classées comme un bateau-logement, le Tribunal a-t-il commis une erreur en statuant qu’elles avaient d’abord été exportées pour être ensuite réimportées?

Jugement : l’appel doit être accueilli.

(1) La première directive d’interprétation appliquée en vue de déterminer le sens de l’expression « toutes les marchandises qui sont importées » est la méthode grammaticale ou littérale, dont le principe premier exige que l’on donne aux mots leur sens ordinaire. Tout Canadien, à son retour au Canada, s’attend à payer des droits de douane uniquement sur les marchandises qu’il a achetées à l’étranger. En outre, les Canadiens peuvent s’attendre à payer des droits de douane sur les marchandises expédiées de l’étranger en vue de les revendre au Canada. Le Tribunal a commis une erreur en interprétant la définition du mot « exporter » donnée par le juge Strayer dans la décision Old HW-GW Ltd. c. Canada comme signifiant « envoyer hors d’un pays vers un autre ». Le raisonnement du juge Strayer en dit beaucoup plus : il mentionne un « transfert » de marchandises d’un pays à un autre ou un « envoi » dans un contexte commercial. En entendant les mots « exporter » et « importer », « monsieur-tout-le-monde » songerait au commerce international, et il lui viendrait à l’esprit des images de camions ou de navires transportant des marchandises à destination et en provenance du Canada et d’autres pays du monde entier. Ces mots doivent être interprétés dans ce contexte commercial manifeste. Dans un contexte commercial, l’expression « toutes les marchandises qui sont importées » fait référence à des marchandises qui proviennent d’une source étrangère uniquement. (ii) Il faut donner aux mots le sens qu’ils avaient le jour de l’adoption de la loi. Le sens des dispositions de la Loi était en 1985, quand l’article 12 a été adopté, le même que celui d’aujourd’hui. (iii) Il faut éviter d’ajouter aux termes de la loi ou encore de les priver d’effet. Il est illogique de soutenir que le sens à donner à l’expression « toutes les marchandises qui sont importées » est le même que celui que l’on entend par « toutes les marchandises ». L’ajout des mots « qui sont importées » doit avoir un effet certain, en limitant le sens de la première expression.

(2) La méthode systématique d’interprétation des lois s’appuie sur l’idée que le législateur est rationnel. Les interprétations données par chacune des parties sont logiques et devraient donc avoir une importance égale.

(3) La méthode téléologique suppose qu’il faut découvrir le sens d’une loi donnée en cherchant son objet. La Loi et le Tarif sont des textes de nature protectionniste, mais les opinions sur l’effet persuasif de ces dispositions sont très partagées. Le sous-ministre prétend que les dispositions à l’étude incorporent un « effet punitif » qui s’applique à quiconque traverse la frontière, afin de protéger les marchandises canadiennes de la concurrence étrangère.

(4) En théorie et en principe, les travaux préparatoires ne sont pas admissibles, mais en pratique, le recours à ces travaux dans l’interprétation des lois semble de plus en plus fréquent. Lorsqu’il s’agit de trancher entre deux arguments très convaincants, toutes les sources dignes de foi qui sont disponibles dans les limites du droit devraient être utilisées. Les conclusions tirées des déclarations du ministre à la Chambre des communes sont les suivantes : (i) la « situation » que la Loi cherchait à réformer portait sur des problèmes commerciaux pratiques créés ou ignorés par l’ancienne loi; (ii) l’engagement à « faire montre de justice et d’équité dans les rapports avec les Canadiens » a été l’une des considérations principales ayant présidé à la rédaction de la nouvelle Loi; (iii) l’objectif de rendre le droit des douanes « plus facile et plus simple à comprendre » grâce à un libellé « simple et direct » était un objectif important. La première conclusion appuie fortement l’argument selon lequel la définition commerciale proposée pour « importer » devrait être acceptée. La deuxième conclusion s’oppose à la prétention selon laquelle l’article 12 devrait avoir un effet punitif sur les Canadiens. Considérées dans leur ensemble, ces conclusions démontrent que la Loi n’a pas été un simple dépoussiérage. La sanction prévue à l’article 18 selon laquelle « toutes les marchandises » devaient être déclarées était l’une des dispositions « désuètes ou incohérentes » que l’on cherchait à supprimer dans la nouvelle Loi. Les termes ajoutés, c’est-à-dire « toutes les marchandises qui sont importées », marquent un net changement dans l’économie générale de la loi canadienne en matières douanières.

(5) Ce n’est que lorsqu’un texte législatif est ambigu, et peut donc raisonnablement donner lieu à deux interprétations, que les résultats absurdes susceptibles de découler de l’une de ces interprétations justifieront de la rejeter et de préférer l’autre. L’argument selon lequel l’interprétation de l’intimé est illogique et entraîne des résultats absurdes peut avoir un certain poids s’il devient clair que ce qui est arrivé au bateau-logement de l’appelant est contraire aux valeurs exprimées dans la loi, ce qui mène à un résultat absurde. Au moment de traverser la frontière canadienne, les Canadiens ordinaires croient qu’il n’ont à déclarer les marchandises qu’ils ont achetées ou qui leur ont été données à l’étranger et, peut-être, à payer des droits de douane sur elles. Ni la société canadienne de 1985, ni celle d’aujourd’hui, ne pourrait croire que les valeurs « de justice et d’équité » prônées par le ministre puissent inclure l’interprétation du sous-ministre.

(6) Comme des arrêts ultérieurs ont donné leur plein effet aux mots « toutes les marchandises » utilisés dans l’article 18, l’ajout des mots « qui sont importées » à l’article 12 donne du poids à l’argument selon lequel les mots devaient avoir leur plein effet et qu’ils ont été ajoutés dans l’intention de modifier l’interprétation en vigueur.

Pour donner effet à l’interprétation selon laquelle « toutes les marchandises » apportées par quiconque arrive au Canada doivent être déclarées, le régime douanier actuel ne pourrait suffire à la tâche. Il existe apparemment une méthode d’application différentielle générale très largement répandue concernant les dispositions de déclaration prévues à l’article 12. L’interprétation de l’intimé favorise un traitement différentiel général et punitif à l’égard de citoyens tout à fait innocents et non informés. Si le Canadien moyen, bien intentionné et moyennement informé, connaissait la façon dont l’article 12 est appliqué dans certains cas par les agents des douanes, il serait outré. Cette interprétation dénote un manque de respect profond pour les honnêtes gens. L’interprétation de l’appelant est exacte.

Les mesures prises par les agents des douanes étaient brutales, injustifiées et inutiles. L’appelant a dû dépenser énormément de temps et de ressources pour contester ces mesures et, par conséquent, il existe des raisons spéciales de lui adjuger les dépens de l’appel.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 12(1), 18(1).

Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40, art. 18.

Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N-1.

Tarif des douanes, L.C. 1987, ch. 49, annexe I (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 106), III.

Tarif des douanes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 41, art. 19, 22, 25.2 (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 87), 88, 89, 90, 91, 92.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Old HW-GW Ltd. c. Canada, [1991] 1 C.T.C. 460; (1991), 91 DTC 5327; 43 F.T.R. 197 (C.F. 1re inst.); Heydon’s Case (1584), 3 Co. Rep. 7 a; 76 E.R. 637; Pepper (Inspector of Taxes) v. Hart, [1993] 1 All E.R. 42 (H.L.); R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; (1995), 36 C.R. (4th) 171; 178 N.R. 161; 79 O.A.C. 81.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Kong et al. c. La Reine (1984), 10 D.L.R. (4th) 226; 7 C.E.R. 240 (C.F. 1re inst.); Glisic c. La Reine, [1984] 1 C.F. 797 (1983), 3 D.L.R. (4th) 90; 6 C.E.R. 78 (1re inst.); La Compagnie Lanka Link Limitée et al. c. M.R.N. (1990), 3 TCT 5136; 1 T.S.T. 2261; 2 T.T.R. 164 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. v. Cook (1992), 70 C.C.C. (3d) 239; 54 O.A.C. 325 (C.A. Ont.); Bell c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 471; (1983), 3 D.L.R. (4th) 385; 8 C.C.C. (3d) 97; 36 C.R. (3d) 289; 50 N.R. 172.

DOCTRINE

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd. Montréal : Yvon Blais, 1990.

Débats de la Chambre des communes, vol. V, 1re sess., 33e Lég., 1985, aux p. 6504 à 6507.

APPEL de la décision du TCCE (Flavell c. Sous-ministre M.R.N., Douanes et accise (1992), 8 T.T.R. 197 (T.C.C.E.)) confirmant une décision du sous-ministre du Revenu national qui avait entériné une décision selon laquelle le bateau-logement de l’appelant, d’origine canadienne, avait été importé et était assujetti à des droits de douane parce qu’un nouveau moteur avait été installé aux É.-U. Appel accueilli.

AVOCATS :

C. J. Michael Flavell, c.r. et Christopher J. Kent, pour l’appelant.

Geoffrey S. Lester, pour l’intimé.

PROCUREURS :

Flavell, Kubrick & Lalonde, Ottawa, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Campbell : Le présent litige, qui dure depuis près de sept ans, s’attaque directement à la méthode bien établie de Douanes Canada d’imposer des droits sur les marchandises qui sont « importées » au Canada en conformité avec le paragraphe 12(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1 (la Loi). Loin de passer inaperçue, cette contestation a suscité un vif intérêt, bien décrit dans les passages suivants des observations d’ouverture de l’appelant, M. C. J. Michael Flavell, c.r. :

[traduction] Monsieur le juge, je connais bien entendu la maxime qui dit : bien fou est le client de celui qui se défend lui-même, et c’est pourquoi je laisserai la majeure partie des plaidoiries de ce matin à mon ami M. Kent. Toutefois, compte tenu des ennuis de toutes sortes que cette affaire me cause depuis plusieurs années, j’ai demandé à M. Kent quelques minutes de son temps pour exposer les faits à votre intention et formuler quelques observations générales au sujet de la Loi sur les douanes, de la politique duanière et d’autres considérations …

Je dois vous dire, Monsieur le juge, que dans les cercles d’Ottawa, plus particulièrement au barreau du commerce, on a fait des gorges chaudes de cette affaire. Quoi de plus amusant, en effet, que de voir l’avocat de droit commercial le plus important du Canada, sinon le mieux connu, sommé de payer 17 000 $ en droits de douane sur un moteur qui en vaut 5 000 $; si cette histoire en a fait pleurer certains de rire, les larmes qu’elle m’a fait verser sont plutôt amères. Les faits, tels que vous en avez pris connaissance, sont on ne peut plus limpides, du moins pour tous ceux à qui j’ai raconté cette mésaventure, au cours de réunions agrémentées ou non de boissons alcoolisées; et ce récit suscite immanquablement chez mon auditoire le plus grand étonnement.

Les nombreuses objections soulevées par M. Flavell en raison de son étonnement ont finalement donné lieu à une audition de la cause devant le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) le 11 février 1992. C’est la décision de ce Tribunal qui est portée en appel.

I

LES FAITS

Le 4 mai 1992, la décision majoritaire du Tribunal énonçait avec concision les faits essentiels de la façon suivante [Flavell c. Sous-ministre M.R.N., Douanes et accise (1992), 8 T.T.R. 197, aux pages 199 et 200, 202 et 203] :

L’appelant est le propriétaire d’un bateau-logement de 40 pieds connu sous le nom de « Marmalade Skies » et exploité dans une marina de Wolfe Island, près de Kingston (Ontario). Ce bateau-logement, qui est équipé pour recevoir 12 passagers ou plus, est loué à des sociétés ou à des particuliers pour des périodes d’un jour, d’une fin de semaine ou d’une semaine. Le propriétaire de la marina et l’exploitant du bateau-logement est M. Bob Halliday. L’appelant reçoit un pourcentage des recettes de la location du bateau-logement, le reste allant à M. Halliday pour ses services de gestion.

En juillet 1989, le moteur marin de type intérieur-extérieur (le « moteur marin ») du bateau-logement a été endommagé irrémédiablement alors que le bateau était loué. Ce dernier a été remorqué jusqu’au port le plus proche, celui de Clayton (New-York), où il a été équipé d’un moteur temporaire dans le cadre d’une transaction visant la fourniture d’un nouveau moteur. De son côté, la marina a conservé le moteur endommagé à titre de contrepartie partielle dans le cadre de la transaction. Entre temps, le navire était toujours utilisé sur le fleuve St-Laurent.

Après que le nouveau moteur ait [sic] été installé, M. Halliday en a informé les agents des douanes, qui ont adopté la position selon laquelle le bateau-logement tout entier avait été importé au Canada. Ils ont classé le bateau-logement dans le numéro tarifaire 8903.92.00 en tant que bateau à moteur, autre qu’à moteur hors-bord. L’appelant a été tenu redevable de droits sur la valeur totale du bateau-logement, laquelle avait été évaluée à l’origine à 60 000 $.

La facture établie alors entre les parties laisse penser que toutes ces activités faisaient partie d’une transaction unique conclue eu égard à la situation d’urgence, quoique le nouveau moteur ait été mis en place plusieurs semaines plus tard.

Pour des raisons pratiques, cependant, le Tribunal admet que ce qui a été introduit au Canada était un nouveau moteur, ainsi que l’appelant l’a déclaré à Douanes Canada. Nul n’a tenté de tromper les autorités ou de faire une déclaration fallacieuse quant à la nature des marchandises en cause. Au contraire, l’appelant a conclu un marché l’engageant à emprunter un moteur temporaire et à acheter un moteur neuf en conséquence directe d’une situation d’urgence indépendante de sa volonté.

II

LA DÉCISION DU TRIBUNAL CANADIEN

DU COMMERCE EXTÉRIEUR

En 1989, M. Flavell a demandé une révision de l’évaluation des droits de douane, qui a été accueillie en partie. La valeur du bateau-logement pour les fins des droits de douane a été réduite à 33 465 $, mais le classement tarifaire est demeuré le même. Au cours d’une nouvelle révision qui a eu lieu en 1990, le sous-ministre du Revenu national (le sous-ministre) a confirmé le classement tarifaire et le montant des droits.

M. Flavell soutient depuis le tout début qu’il est disposé à payer des droits sur une évaluation raisonnable du prix du moteur, et pour régler ce différend, il est même prêt à payer des droits sur toute plus-value du bateau-logement attribuable à l’installation d’un moteur neuf. Mais il refuse catégoriquement de payer des droits de douane sur le bateau-logement.

Par conséquent, le Tribunal a été saisi de cette affaire dans le cadre de l’appel formé à l’encontre de la confirmation par le sous-ministre du classement tarifaire, mais la preuve et les plaidoiries devant le Tribunal, et, partant, la décision, ont porté sur la question suivante : Qu’est-ce qui a été importé au Canada aux fins du classement tarifaire? Essentiellement, cette question se pose parce que toutes les marchandises qui sont considérées comme ayant été importées sont assujetties à des droits de douane.

Dans sa réponse à cette question, et en s’appuyant sur le raisonnement ci-dessous, le Tribunal, dont la décision majoritaire a été rendue par M. W. Roy Hines et Mme Michèle Blouin, a conclu [aux pages 203 à 205] que le bateau-logement avait été importé et qu’il était par conséquent assujetti à des droits de douane :

Essentielle au règlement du présent appel est la signification des termes « exporter » et « importer » au sens de la Loi sur les douanes ou du Tarif des douanes. Ni l’une ni l’autre loi ne donne de ces termes une définition précise. La Loi sur les douanes définit « exporter » comme signifiant « exporter hors du Canada », et « importer » comme signifiant « importer au Canada ». Le Tarif des douanes reprend ces définitions. Dans la cause Harris Bell c. R. ([1983] 2 R.C.S. 471 aux 488-89), le juge McIntyre déclare :

… Je n’estime pas nécessaire de puiser abondamment dans les dictionnaires afin de définir le mot « importer ». À mon avis, puisque la Loi sur les stupéfiants ne fournit pas de définition particulière de ce mot, c’est son sens ordinaire qu’il faut retenir, c’est-à-dire simplement d’introduire ou de faire introduire au pays …

La majorité estime que le sens ordinaire du mot « importer » est applicable à la Loi sur les douanes et au Tarif des douanes. Elle adopte cette définition d’« importer » comme signifiant introduire ou faire introduire au pays.

Pour définir le mot « exporter », il y a lieu de se reporter à la cause Old HW-GW Ltd. c. Canada (M.R.N.) (Dossiers nos T-560-87, T-602-87 et T-690-87, le 17 avril 1991, Division de première instance de la Cour fédérale du Canada [43 F.T.R. 197, 91 D.T.C. 5327]), à l’occasion de laquelle le juge Strayer a déclaré :

[traduction] Les deux causes canadiennes les plus pertinentes faisant intervenir l’interprétation de « marchandises exportées » ou de « marchandises … pour l’exportation », expressions utilisées en espèce pour désigner des marchandises exemptées de certaines taxes de vente, expriment l’opinion que « exporter » comporte normalement le transfert de marchandises d’un pays à un autre pays.

Après s’être référé à des définitions lexicographiques du verbe « exporter », le juge Strayer poursuivait ainsi :

[traduction] … Il semble découler de ces définitions qu’en dehors du sens littéral de l’étymologie latine, ex portare, qui signifie faire sortir ou emporter, le sens le plus naturel, dans un contexte commercial, des termes « exporter » ou « exportation », est celui de l’envoi de marchandises d’un pays vers un autre.

La majorité estime que le sens ordinaire du terme « exporter » est également applicable à la Loi sur les douanes et au Tarif des douanes. Elle adopte la définition d’« exporter » comme signifiant envoyer hors d’un pays vers un autre ou de faire envoyer hors d’un pays vers un autre.

Suivant l’économie générale de la Loi, il est clair que les marchandises canadiennes peuvent être retournées au Canada en franchise de droits aux termes du numéro tarifaire 9813.00.00 lorsqu’elles n’ont pas reçu de plus-value ni d’amélioration ou qu’elles n’ont pas été unies à un autre article quelconque. Elle prévoit également que lorsque des marchandises canadiennes ont été réparées, qu’un travail a été effectué ou qu’un équipement a été ajouté à l’extérieur du Canada, une exemption peut être accordée à l’égard des droits de douane. Le paragraphe 88(1) du Tarif des douanes vise les cas où des marchandises ont été exportées de façon réglementaire afin de faire effectuer les réparations ou le travail, ou d’ajouter l’équipement. L’exemption accordée aux termes de ce paragraphe n’inclut pas les droits payables sur la valeur des réparations, du travail effectué ou de l’équipement ajouté … et les droits sont payables au taux applicable aux marchandises importées. Le paragraphe 88(2) traite de cas où il a fallu faire des réparations d’urgence à des avions, à des véhicules ou à des bateaux pour leur permettre de rentrer en toute sécurité au Canada. L’exemption accordée aux termes de ce paragraphe vise la totalité des droits qui seraient autrement payables sur les marchandises importées.

Aux termes de l’art. 19 du Tarif des douanes, lorsque des marchandises énumérées dans l’ann. I de cette même Loi sont importées au Canada, des droits de douane doivent être versés au taux fixé dans cette annexe. Lorsque le Marmalade Skies a quitté les eaux territoriales canadiennes, il était, en pratique, exporté hors du Canada. De même, lorsqu’il est rentré au Canada, il était, en pratique, importé. En conséquence, conformément à l’art. 19, le bateau a dû être classé dans l’annexe I. Il est clair que le bateau est rentré au Canada après avoir reçu une amélioration due à l’installation d’un nouveau moteur. À ce titre, il n’était pas classable dans le numéro tarifaire 9813.00.00. Par ailleurs, tel qu’il est indiqué ci-dessus, le Tribunal n’a pas compétence pour déterminer si l’appelant avait droit à l’exemption du paiement des droits prévue par l’art. 88 du Tarif des douanes. En conséquence, les droits de douane sont payables sur la valeur en douane totale du navire.

III

QUESTIONS EN LITIGE ET MOYENS

L’autorisation d’appeler de la décision du Tribunal a été accordée par la présente Cour relativement aux questions suivantes :

Question A : Le Tribunal a-t-il commis une erreur en statuant que les marchandises importées au Canada ont été correctement classées comme « bateau à moteur autre qu’à moteur hors-bord » (no tarifaire 8903.92.00), plutôt que comme « moteur à propulsion de bateau de type intérieur-extérieur » (no tarifaire 8407.29.10)?

Question B : Subsidiairement, si les marchandises introduites au Canada ont été correctement classées comme un bateau-logement, le Tribunal a-t-il commis une erreur en statuant qu’elles avaient d’abord été exportées pour être ensuite réimportées?

Pour prendre sa décision, le Tribunal, à la majorité, a tiré des conclusions déterminantes sur l’économie générale de la Loi. Ce sont ces conclusions qui sous-tendent les questions formulées dans le cadre du présent appel, et ce sont ces conclusions qui exigent l’examen attentif de la Cour afin que des réponses adéquates y soient apportées.

Comme nous le verrons ci-dessous, M. Flavell et le sous-ministre ont des opinions tout à fait différentes sur l’interprétation qu’il convient de donner à la Loi.

A.        L’interprétation du sous-ministre

Le raisonnement du sous-ministre est le suivant :

(1) Le paragraphe 12(1) de la Loi exige expressément que toutes les marchandises qui sont importées soient déclarées à un bureau de douane. Par ailleurs, le paragraphe 18(1) de la Loi établit une présomption d’importation et dispose que toutes les marchandises déclarées conformément à l’article 12 sont réputées avoir été importées. Ces articles sont rédigés dans les termes suivants :

12. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, ainsi que des circonstances et des conditions prévues par règlement, toutes les marchandises importées doivent être déclarées au bureau de douane le plus proche, doté des attributions prévues à cet effet, qui soit ouvert.

18. (1) Pour l’application du présent article, toutes les marchandises déclarées conformément à l’article 12 sont réputées avoir été importées.

(2) La Loi et le Tarif ne donnent pas de sens spécial ou technique aux mots « exporter » ou « importer ». Rien dans le texte ou dans l’objet de cette législation ne justifie que l’on s’écarte du sens ordinaire qui a été attribué à ces termes dans la décision majoritaire du Tribunal.

(3) L’article 12 de la Loi n’est pas limité aux marchandises acquises à l’étranger, comme le prétend l’appelant. Au contraire, l’article 12 et, partant, l’article 18 de la Loi s’appliquent à toutes les marchandises qui sont introduites au Canada, quels que soient le lieu et la date de leur acquisition.

(4) La Section de première instance de la Cour fédérale a définitivement statué que l’article 12 de la Loi exige que toutes les marchandises qui sont introduites au Canada soient déclarées à un bureau de douane quels que soient le lieu ou la date de leur acquisition.

Dans la décision Kong et al. c. La Reine (1984), 10 D.L.R. (4th) 226 (C.F. 1re inst.), à la page 235, le juge Collier a interprété l’article 12 (qui était alors l’article 18 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40) de la Loi, dans les termes suivants :

L’article 18 … est parfaitement explicite. Il exige que toute personne arrivant au Canada fasse connaître par écrit aux douanes tous les effets dont elle a la charge ou la garde … Les effets qu’elle mentionne ne sont pas nécessairement ceux qu’une personne a achetés en dehors du Canada. Ils peuvent, à l’origine, avoir été achetés ou introduits au Canada, sortis pour une raison quelconque et rapportés au Canada. Les vêtements constituent un bon exemple. En termes simples : tous les effets, de quelque nature que ce soit, sans égard à l’endroit, à la date ou à la manière dont ils ont été achetés, qu’ils aient été déclarés … cent fois auparavant, doivent être déclarés … chaque fois qu’une personne arrive au Canada de l’étranger.

Le raisonnement du juge Strayer dans la décision Glisic c. La Reine, [1984] 1 C.F. 797 (1re inst.), à la page 802, accorde un effet semblable à l’article 12 (qui était alors l’article 18 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40) :

La présence au Canada des effets avant leur sortie du Canada et leur retour à l’occasion de l’omission de faire la déclaration ne constitue pas une excuse à l’omission de les déclarer comme l’exige l’article 18.

(5) Donc, d’après l’article 12 de la Loi, le bateau-logement de l’appelant devait être déclaré aux douanes à son retour au Canada et, selon l’article 18 de la Loi, le bateau-logement était réputé avoir été importé.

(6) En outre, en vertu de l’article 19 du Tarif des douanes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 41 (le Tarif), des droits de douane doivent être imposés et perçus aux taux fixés à l’annexe I [L.C. 1987, ch. 49] sur toutes les marchandises dénommées ou visées dans cet annexe au moment de leur importation. Cet article est rédigé dans les termes suivants :

19. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de la Loi sur les douanes ainsi que de leurs textes d’application, il est imposé et perçu sur les marchandises dénommées ou visées à l’annexe I, lors de leur importation, les droits de douane applicables à ces marchandises en vertu de cette annexe ou de l’article 46 et exigibles conformément à la Loi sur les douanes.

(7) Étant donné que toutes les marchandises de fabrication canadienne ou étrangère doivent être déclarées en conformité avec l’article 12 de la Loi, elles doivent être considérées comme ayant été importées, étant donné que l’article 12 exige que les marchandises « importées » soient déclarées. Si les marchandises sont « importées », alors elles sont assujetties aux droits visés à l’article 19 du Tarif.

(8) Finalement, les marchandises assujetties aux droits de douane sont celles qui sont déclarées au moment d’être introduites au Canada.

(9) Par conséquent, l’économie générale de la Loi et du Tarif a pour but de faire en sorte que toutes les marchandises, quels que soient le lieu et la date de leur acquisition, soient déclarées et assujetties à des droits de douane chaque fois qu’elles sont introduites au Canada. Des droits de douane sont imposés sur les marchandises déclarées à leur entrée au Canada, sur la base de leur classement tarifaire. Donc, pour les fins des lois sur les douanes, chaque effet qui traverse physiquement la frontière canadienne est importé ou exporté.

(10) Compte tenu des marchandises contestées en l’espèce, trois numéros tarifaires seulement pouvaient s’appliquer en vertu de l’annexe I du Tarif :

a)         8407.29.10 : moteurs pour la propulsion de bateaux du type intérieur-extérieur;

b)         8903.92.00 : bateaux à moteur, autres qu’à moteur hors-bord; ou

c)         9813.00.00 : marchandises … originaires du Canada, après avoir été exportées hors du Canada, si les marchandises doivent être retournées sans avoir reçu de plus-value ni d’amélioration dues, entre autres choses, à un procédé de fabrication quelconque, ou sans avoir été unies à un autre article quelconque à l’étranger, conformément aux règlements que peut prendre le ministre.

(11) Étant donné que les marchandises importées ne respectent manifestement pas les conditions du no tarifaire 9813.00.00, puisque le bateau a été équipé d’un nouveau moteur à l’étranger, ce qui lui a donné une plus-value et une amélioration, et que le moteur ne provenait pas du Canada, les marchandises ne peuvent être classées sous le no tarifaire 9813.00.00.

(12) La véritable question soumise à l’examen de la Cour est la qualification des marchandises à classer : en l’espèce, le classement concernait-il un bateau à moteur ou simplement un moteur?

(13) Le Tribunal a eu raison de qualifier les marchandises comme un bateau-logement, et par conséquent, un bateau à moteur visé au no tarifaire 8903.92.00. C’est l’économie de la Loi et du Tarif qui rend cette qualification obligatoire.

(14) Quand les marchandises reviennent au Canada, il est possible qu’il n’y ait pas de droits à payer si les marchandises sont visées au no tarifaire 9813.00.00. Subsidiairement, les marchandises qui reviennent au Canada peuvent bénéficier d’une exonération en vertu de certaines dispositions, comme les articles 88 à 92 du Tarif. Dans un cas comme dans l’autre, les marchandises sont toujours importées et assujetties aux droits de douane, bien que le montant de ces droits puisse être réduit pour tenir compte du fait que les marchandises n’ont pas été acquises à l’extérieur du Canada.

Les articles 88 à 92 du Tarif, concernant les « Marchandises canadiennes à l’étranger », sont rédigés en partie dans les termes suivants :

88. (1) Est accordée, sur demande présentée en application de l’article 89, sous réserve de l’article 91, une exonération du paiement de la fraction, déterminée conformément à l’article 92, des droits qui, sans le présent article, seraient payables sur les marchandises retournées au Canada dans l’année ou, le cas échéant, dans le délai prévu par règlement suivant leur exportation, selon les modalités prévues par règlement, dans chacun des cas suivants :

a) les marchandises retournées ont été réparées à l’étranger après avoir été exportées spécifiquement pour réparation;

b) des appareils ont été ajoutés aux marchandises à l’étranger;

c) des travaux ont été effectués à l’étranger sur les marchandises retournées et les marchandises exportées ont été produites au Canada.

(2) Est accordée, sur demande présentée en application de l’article 89, sous réserve de l’article 91, une exonération du paiement de la totalité des droits qui, sans le présent article, seraient payables sur des aéronefs, véhicules ou navires retournés au Canada après leur exportation si, à la fois :

a) les aéronefs, véhicules ou navires ont été réparés à l’étranger à la suite d’un événement imprévu qui s’y est produit;

b) les réparations ont été nécessaires pour permettre le retour sans accident des aéronefs, véhicules ou navires.

(15) Si la position de l’appelant est exacte, les dispositions concernant l’exonération des droits sur les marchandises canadiennes retournées au pays, comme le no tarifaire 9813.00.00, feraient double emploi avec les articles 88 à 92 du Tarif. Une telle interprétation doit donc être rejetée.

(16) En appliquant la Loi selon l’esprit dans lequel elle a été rédigée, si le Marmalade Skies était revenu au Canada avec un nouveau moteur sur le pont et l’ancien moteur dans le bateau, le moteur et le bateau auraient été assujettis aux droits de douane. Le nouveau moteur aurait été évalué en vertu du no tarifaire 8407.29.10 et le bateau muni de l’ancien moteur aurait été évalué en vertu du no tarifaire 9813.00.00.

(17) En fait, les marchandises qui sont rentrées au Canada en l’espèce, n’étaient pas un moteur et un bateau-logement. C’était plutôt un bateau-logement équipé d’un nouveau moteur. En appliquant l’esprit de la loi comme ci-dessus, à l’arrivée au Canada, un bateau-logement a été déclaré aux douanes et, par conséquent, il fallait évaluer les droits de douane à payer sur le bateau, dans l’état où il se trouvait. Par la suite, il fallait vérifier s’il était possible d’obtenir une exonération.

B.        L’interprétation de M. Flavell

M. Flavell prétend que la dissidence de M. Charles A. Gracey, membre du Tribunal, donne une appréciation exacte de l’économie de la loi et de l’intention du législateur qui sous-tendent la Loi et le Tarif et, par conséquent, pour les fins du présent appel, il fait instamment valoir que ce raisonnement dissident devrait être préféré à l’opinion majoritaire. L’opinion que M. Gracey se fait de la Loi est énoncée dans les passages suivants tirés de son jugement [aux pages 206 et 207] :

L’économie générale de la Loi sur les douanes … et l’intention apparente du Parlement plaident en faveur de l’appelant en cette affaire.

La Loi définit « importer » comme signifiant « importer au Canada ». Compte tenu du caractère peu éclairant de cette définition, il y a lieu de recourir aux dictionnaires. Les définitions lexicographiques en cause sont remplies de renvois à l’activité commerciale ou au fait que les marchandises proviennent d’une source étrangère. Ainsi, quoiqu’une définition superficielle puisse impliquer que tout ce qui entre au Canada est importé, je ne peux écarter la signification plus complète du terme que l’on trouve, par exemple, dans le Shorter Oxford English Dictionary. Ce dernier définit le mot « import (importer) » comme suit :

[traduction] Importer—1. Introduire dans un pays une façon de penser, un mode d’utilisation, etc., appartenant à un autre pays. 2. Dans le domaine du commerce international, introduire sur le territoire national (des produits ou des marchandises) en provenance de pays étrangers.

Il semble donc qu’il y ait un meilleur terme que celui d’ »importations » pour définir les marchandises d’origine canadienne rentrant au Canada, celui de « marchandises retournées ». De fait, c’est le terme qu’utilise le Tarif des douanes … pour les besoins de l’exonération du paiement de droits.

Je suis donc persuadé, puisque la notion d’importation recouvre celle de marchandises originaires d’un pays étranger et puisqu’il est évident que le bateau-logement lui-même est d’origine canadienne, que la seule marchandise importée était le moteur marin.

Je suis également persuadé que l’économie générale de la Loi sur les douanes et du Tarif des douanes, ainsi que l’intention du Parlement, ne visent que l’application de droits à l’importation aux marchandises étrangères entrant au Canada. Certes, la Loi permet d’appliquer des droits aux marchandises d’origine canadienne si, et dans la mesure où, il ne peut pas être établi qu’elles sont d’origine canadienne. Mais lorsqu’il y a une preuve que les marchandises en question sont partiellement d’origine canadienne, je ne vois nulle part dans la Loi d’intention expresse d’imposer un droit sur leur retour au Canada. Il y a, à n’en pas douter, des dispositions relatives aux notifications et aux procédures réglementaires à observer relativement aux marchandises canadiennes retournées au Canada et qui ont reçu une plus-value. Cependant, ces procédures visent de toute évidence à aider les agents des douanes à déterminer la mesure dans laquelle les marchandises ont reçu une plus-value, de façon à percevoir un droit sur cette plus-value, ce qui est encore conforme à l’intention du Parlement. Tout en tenant compte des besoins qui ont présidé à l’adoption de ces dispositions, il faut considérer l’objet de celles-ci, qui est de permettre d’établir clairement l’assiette passible de droit.

Les clauses modificatrices des paragraphes 88(1) et (2) faisant d’« une exonération du paiement … des droits qui, sans le présent article, seraient payables sur des marchandises … véhicules … retournés au Canada » ont été interprétées comme signifiant que les marchandises retournées au Canada sont automatiquement passibles de droits. Je suis d’avis qu’elles ne sont passibles de droits que lorsqu’on n’a pas pu établir qu’elles sont en fait des marchandises canadiennes retournées au Canada. C’est à cette dernière fin que servent les mesures réglementaires prévues, et le fait de ne pas les suivre à la lettre n’est pas nécessairement fatal lorsqu’une preuve suffisante de l’origine canadienne et de la plus-value a été fournie par ailleurs. Dans le cas qui nous occupe, des éléments de preuve incontestés indiquent que le bateau-logement était d’origine canadienne et qu’un nouveau moteur y a été installé à la suite d’une panne. L’installation du nouveau moteur a également été expliquée de façon satisfaisante comme ayant été imposée par des nécessités d’ordre matériel.

Attendu que le Parlement avait pour intention de rendre passibles de droits les marchandises étrangères entrant au Canada, et que de nombreux éléments de preuve ont été présentés quant au fait qu’un moteur marin seulement d’origine étrangère a été installé dans un bateau-logement canadien, j’estime que les droits ne devraient être payables que sur ce moteur. Le moteur marin devrait être classé de la façon demandée par l’appelant. Deuxièmement, j’estime que même s’il avait été établi qu’un bateau-logement avait été importé, l’économie de la Loi est claire quant au fait que tout droit ne devrait être appliqué que sur la plus-value.

Pour me convaincre davantage d’approuver la justesse du jugement dissident de M. Gracey, M. Flavell me signale les points suivants :

(1) M. Halliday, malgré les tentatives des agents des douanes, n’a pas déclaré qu’il avait importé un bateau-logement quand il est revenu au Canada à bord du bateau-logement à la suite de l’installation du nouveau moteur. Selon la déclaration des douanes qu’il a signée le 22 août 1989, il a déclaré « des réparations de moteur seulement au montant de 7 000 $ ».

(2) Il n’est pas contesté que le bateau-logement, à l’exception du moteur qui a été installé, était d’origine canadienne. Ce fait est reconnu dans le « Relevé détaillé de réajustement de Douanes Canada » produit par le sous-ministre dans la demande de réexamen de 1991 et déposé devant le Tribunal.

(3) Il n’y a pas de pouvoir de taxation en matières douanières qui permette d’obtenir le résultat prôné par le sous-ministre. Il n’y a absolument aucun fondement législatif à partir duquel on puisse imposer des droits sur des marchandises qui proviennent du Canada et, en fait, tous les droits tarifaires imposés exigent la présence de composants d’origine étrangère.

(4) D’après l’article 19 du Tarif, il est imposé et perçu, sur « les marchandises dénommées ou visées à l’annexe I, lors de leur importation, les droits de douane applicables à ces marchandises en vertu de cette annexe ou de l’article 46 et exigibles conformément à la Loi sur les douanes ».

À l’annexe I [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 106] du Tarif, il n’y a que trois catégories tarifaires : le « Tarif de la nation la plus favorisée », le « Tarif de préférence général » et le « Tarif des États-Unis ». Il n’y a pas de tarif canadien.

(5) Pour ce qui concerne le tarif « des États-Unis », l’article 25.2 [édicté, idem, art. 87] du Tarif dispose comme suit :

25.2 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les marchandises originaires des États-Unis bénéficient du taux de droits de douane figurant à leur égard au tarif des États-Unis à l’annexe I.

Cet article énonce clairement que seules les marchandises en provenance des États-Unis peuvent bénéficier du tarif des États-Unis.

(6) Mais, dans la révision de la valeur du Marmalade Skies effectuée en 1991, le taux appliqué était de 13.5 %, c’est-à-dire, d’après l’annexe I du Tarif, le tarif des États-Unis alors en vigueur. Par conséquent, le tarif « des États-Unis » a été appliqué à des marchandises originaires du Canada.

(7) Les dispositions relatives au tarif de « la nation la plus favorisée » fournissent un autre exemple démontrant que des composants d’origine étrangère sont essentiels. L’article 22 du Tarif dispose comme suit :

22. Sous réserve des articles 23 et 24, les marchandises originaires des pays inscrits à l’annexe III comme bénéficiaires du tarif de la nation la plus favorisée sont passibles des taux de droits de douane de ce tarif prévus à l’annexe I pour ces marchandises.

L’annexe III [L.C. 1987, ch. 49] dresse la liste des pays et des traitements tarifaires applicables à quelque 198 pays. Le Canada ne figure pas sur cette liste.

(8) Il y a une distinction à établir entre le texte précis de l’« ancien » article 18 de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40 aux termes duquel les causes Kong et Glisic ont été décidées, et le « nouvel » article 12 de la Loi (L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1) qui était en vigueur au moment où M. Halliday a fait sa déclaration.

L’« ancien » article 18 se lisait comme suit :

18. Toute personne ayant la charge d’un véhicule, autre qu’une voiture de chemin de fer, arrivant au Canada, comme toute personne arrivant au Canada à pied ou autrement, doit

a) se rendre au bureau de douane le plus rapproché de l’endroit où elle est arrivée au Canada, ou au poste du préposé le plus rapproché de cet endroit si ce poste en est plus rapproché qu’un bureau de douane;

b) avant d’effectuer le déchargement ou d’en disposer de quelque façon, faire connaître par écrit au receveur ou préposé compétent, à ce bureau de douane ou à ce poste, tous les effets dont elle a la charge ou garde … [Non souligné dans l’original.]

Le « nouvel » article 12 dispose comme suit :

12. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, ainsi que des circonstances et des conditions prévues par règlement, toutes les marchandises importées doivent être déclarées au bureau de douane le plus proche, doté des attributions prévues à cet effet, qui soit ouvert. [Non souligné dans l’original.]

Selon la définition du mot « importer » se rattachant au commerce international, qui a été acceptée par M. Gracey, le changement de formulation entre l’« ancien » article 18 et le « nouvel » article 12 démontre une intention d’exclure les marchandises d’origine canadienne de cette obligation de déclaration.

(9) En ce qui concerne la définition du mot « importer », le contexte législatif dans lequel ce terme est utilisé est important. Par opposition au « sens ordinaire » que donne à ce terme le juge McIntyre dans l’arrêt Bell c. La Reine [[1983] 2 R.C.S. 471] et sur lequel s’est appuyée la majorité du Tribunal, il est important de signaler le passage suivant du jugement du juge Dickson [tel était alors son titre], aux pages 476 et 477, dans le même arrêt Bell :

À mon avis, l’al. 101a) de la Loi sur les douanes ne s’applique pas en l’espèce. Cette disposition vise le prélèvement d’un droit ou tout autre objet de la Loi sur les douanes ou d’une autre loi relative aux douanes. Quant à la Loi sur les stupéfiants, elle se préoccupe de la santé et du bien-être des gens ainsi que du grave mal social et économique que constitue l’usage de stupéfiants à des fins non médicales. Il n’existe aucun rapport entre ces deux lois, et la Loi d’interprétation ne supplée pas à ce manque … Ce n’est pas en se reportant à la Loi sur les douanes qu’on peut déterminer le sens véritable de l’expression « importer au Canada » dans la Loi sur les stupéfiants. Manifestement, il faut s’en tenir à son sens naturel et ordinaire.

Donc, si la définition donnée dans la Loi sur les douanes n’est pas importante pour la Loi sur les stupéfiants [L.R.C. (1985), ch. N-1], la définition donnée dans la Loi sur les stupéfiants n’est pas importante pour la Loi sur les douanes. Par conséquent, la définition pertinente au commerce international devrait être utilisée pour le mot « importer » de l’article 12 de la Loi étant donné que cette définition est compatible avec le sujet dont traite la Loi.

(10) Le Tribunal a jugé qu’il n’avait pas compétence pour traiter des dispositions relatives aux « Marchandises canadiennes à l’étranger », c’est-à-dire les articles 88 à 92 du Tarif, et la pertinence de ces articles n’a pas été débattue dans le présent appel, sauf pour aider à déterminer quelle est l’économie de la Loi.

(11) Les dispositions relatives à l’exonération des droits de douane sur les marchandises canadiennes retournées au Canada, comme le no tarifaire 9813.00.00, et les dispositions relatives aux « Marchandises canadiennes à l’étranger » ne sont pas des dispositions imposant une taxe et n’autorisent pas l’imposition de droits sur le Marmalade Skies.

(12) Le sous-ministre soutient, comme moyen principal, que ces dispositions d’exonération seraient redondantes à moins de considérer que « toutes les marchandises » qui entrent au Canada sont assujetties à des droits de douane. Mais le jugement de M. Gracey donne une autre utilisation plausible de ces dispositions en soutenant qu’elles fournissent aux agents des douanes le moyen d’établir que des marchandises canadiennes sont retournées au Canada et de déterminer la plus-value qui a été apportée à ces marchandises pendant qu’elles se trouvaient à l’extérieur du pays aux fins de percevoir des droits sur cette plus-value.

(13) En outre, le sous-ministre suppose que l’article 88 ne s’applique qu’à des marchandises d’origine canadienne. Ce n’est pas le cas puisque l’article 88 peut s’appliquer à des marchandises d’origine étrangère qui quittent le Canada, vont subir des réparations et reviennent au Canada, et, en l’absence de l’article 88, ces marchandises seraient assujetties à un traitement tarifaire semblable à celui qui a été réservé à M. Flavell.

(14) En outre, on peut considérer que les nos tarifaires 9813.00.00 et 9814.00.00 traitent également de la plus-value apportée à un produit canadien pendant qu’il se trouve à l’étranger et qui ne peut être attribuée à un produit étranger. C’est, par exemple, le cas d’une peinture canadienne qui est exportée et qui triple de prix. Les agents des douanes seraient tentés d’attribuer la plus-value à une source étrangère, mais le no tarifaire 9813.00.00 empêche que soient perçus des droits de douane, même si une plus-value a été réalisée.

IV

ANALYSE

Avant d’entamer son exercice d’interprétation des lois, Pierre-André Côté, dans son ouvrage Interprétation des lois (2e édition, Yvon Blais, 1990), indique ce qui suit, à la page 235 :

Le juriste canadien interprète les textes dans un cadre constitué d’un ensemble de directives d’interprétation. On peut concevoir ces directives de diverses manières … D’autres, plutôt des arguments que l’on peut faire valoir à l’encontre d’une interprétation donnée. Guides ou arguments, les directives d’interprétation agissent comme des contraintes avec lesquelles l’interprète doit compter dans sa démarche d’élaboration du sens des textes.

Côté signale qu’une grande convergence se dégage parfoir des résultats de l’emploi de ces directives lorsqu’il n’y a pas vraiment de problème d’interprétation, ou encore qu’il arrive que les directives mènent à des résultats divergents, auxquels cas l’interprète doit trancher. Il souligne que les directives ne sont pas des règles qui dictent le résultat de la décision. Autrement dit, le juge ne doit pas se sentir lié par le résultat obtenu en appliquant certaines directives plutôt que d’autres, parce que sa fonction ultime consiste plutôt à « décider du sens de la disposition, à la lumière, notamment, des termes employés et des considérations générales de politique législative découlant de la Golden Rule et de la Mischief Rule » (à la page 237).

A.        Directives d’interprétation

Dans son analyse, Côté résume consciencieusement un certain nombre de méthodes permettant de faire la lumière sur le sens des dispositions législatives. Les méthodes suivantes, citées en italiques, sont celles qui, à mon avis, sont les plus utiles en l’espèce.

(1)  La méthode grammaticale ou littérale

Pour la mise en œuvre de la méthode grammaticale, on peut faire appel à des directives particulières qui en précisent le mode d’application : 1) il faut donner aux mots le sens qu’ils ont dans la langue courante; 2) il faut donner aux mots le sens qu’ils avaient le jour de l’adoption de la loi; 3) il faut éviter d’ajouter aux termes de la loi ou encore de les priver d’effet. [Côté, à la page 243.]

a)   Le sens courant

Comme on présume que l’auteur de la loi entend être compris des justiciables, c’est-à-dire de l’ensemble de la population régie par le texte législatif, la loi est réputée être rédigée selon les règles de la langue en usage dans la population.

En particulier, il faut présumer que le législateur entend les mots dans le même sens que le justiciable, que « monsieur-tout-le-monde ». [Côté, à la page 243.]

Le juge est censé connaître le sens courant des mots. Il est néanmoins pratique très courante de se référer aux dictionnaires de langue qui ont pour fonction de rendre compte des usages linguistiques d’une communauté à un moment donné. [Côté, à la page 244.]

… il ne faut pas oublier que l’interprète doit rechercher le sens qu’un mot a dans le contexte d’une loi donnée … [Côté, à la page 245.]

L’un des points principaux de la thèse avancée en l’espèce est le sens de l’expression « toutes les marchandises qui sont importées ». Pour l’application de cette méthode, l’objectif est donc de déterminer le sens de ces mots, mais dans le contexte de la Loi.

Bien que l’analyse effectuée par la majorité du Tribunal semble avoir pour but de déterminer le « sens ordinaire » des mots « exporter » et « importer », je ne crois pas que le résultat accorde suffisamment d’attention à la loi à l’étude. En vertu des directives, les mots doivent être examinés dans le contexte de la Loi. Sur ce point, M. Flavell a présenté un argument convaincant visant à exclure le sens dans lequel le mot ou l’expression est utilisé dans une autre loi ou un autre contexte non relié à la loi en question.

Le sens ordinaire qu’il convient de donner à l’expression « toutes les marchandises qui sont importées » doit prendre en compte ce que l’on peut ordinairement attendre d’une loi sur les douanes. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que tout Canadien qui, à son retour au Canada, se fait demander « Quelque chose à déclarer? » s’attend à payer des droits de douane uniquement sur les marchandises qu’il a achetées à l’étranger. En outre, les personnes qui expédient des marchandises de l’étranger en vue de les revendre au Canada s’attendent à payer des droits de douane sur ce qu’elles ont introduit au Canada. Dans ce contexte, l’argument présenté par le sous-ministre selon lequel l’expression « toutes les marchandises qui sont importées » devrait être interprétée dans le sens de « toutes les marchandises » est extraordinaire et, par conséquent, beaucoup moins convaincant que l’interprétation donnée par M. Flavell.

Je conclus donc qu’il y a une erreur d’interprétation dans la décision majoritaire du Tribunal, qui entache la valeur de celle-ci, quant à la détermination du sens ordinaire. Pour justifier sa propre interprétation du mot « exporter », la majorité cite les passages suivants du juge Strayer tirés de la décision Old HW-GW Ltd. c. Canada (maintenant citée à [1991] 1 C.T.C. 460), à la page 466 :

… « exportation » comporte normalement le transfert de marchandises d’un pays à un autre

… le sens le plus naturel dans un contexte commercial du verbe « exporter » ou du substantif « exportation » est l’envoi de marchandises d’un pays à un autre pays étranger . [Non souligné dans l’original.]

À partir de ces passages, la majorité [à la page 204] :

… adopte la définition d’« exporter » comme signifiant envoyer hors d’un pays vers un autre ou de faire envoyer hors d’un pays vers un autre ». [Non souligné dans l’original.]

L’erreur commise par la majorité est d’avoir conclu, en s’appuyant sur le raisonnement du juge Strayer, que le sens du mot « exporter » n’était qu’une simple notion de mouvement mécanique d’un pays à un autre. Pourtant, le raisonnement du juge Strayer en dit beaucoup plus, c’est-à-dire qu’il mentionne un « transfert » de marchandises d’un pays à un autre ou un « envoi » dans un contexte commercial.

En fait, la question est de savoir comment « monsieur-tout-le-monde », comme l’appelle à juste titre Côté, interpréterait les mots « exporter » et « importer » utilisés dans une loi régissant la perception des droits de douane. D’après ce que je sais des personnes moyennement informées, il ne fait aucun doute que le commerce international suscite immédiatement à leur esprit des images de camions et de navires transportant des marchandises à destination et en provenance du Canada et d’autres pays du monde entier. Donc, ces mots doivent être interprétés dans ce contexte commercial manifeste.

Par conséquent, la reconnaissance par M. Gracey du fait que la Loi s’applique dans un contexte commercial donne un poids considérable à son opinion selon laquelle le sens qu’il convient de donner à l’expression « toutes les marchandises qui sont importées » fait référence à des marchandises qui proviennent d’une source étrangère uniquement.

b)   Le sens au moment de l’adoption

Le principe général veut que l’on se reporte, pour interpréter la loi, au jour de son adoption : puisqu’il s’agit, à partir d’un texte, de reconstituer une pensée, il paraît normal de donner aux mots le sens qu’ils avaient, à l’époque de l’adoption, dans le langage courant, compte tenu également du contexte dans lequel ils ont été énoncés. [Côté, à la page 249.]

L’article 12 de la Loi a été adopté dans le cadre de la refonte qui a eu lieu en 1985. Le sens ordinaire des dispositions de la Loi était certainement à cette époque le même que celui d’aujourd’hui. Toutefois, il est aussi important de prendre en compte le contexte juridique, politique, économique et social qui existait au moment de l’adoption de la Loi : c’est ce que permet de faire « l’interprétation historique » dont il est question ci-dessous.

c)   Présomption contre l’addition ou la suppression de termes

Si la loi est bien rédigée, il faut tenir pour suspecte une interprétation qui conduirait soit à ajouter des termes ou des dispositions, soit à priver d’utilité ou de sens des termes ou des dispositions. [Côté, à la page 257.]

En lisant un texte de loi, on doit en outre présumer que chaque terme, chaque phrase, chaque alinéa, chaque paragraphe ont été rédigés délibérément en vue de produire quelque effet. Le législateur est économe de ses paroles : il ne «  parle pas pour ne rien dire  ». [Côté, à la page 259.]

En examinant cet élément de la méthode grammaticale ou littérale, je conclus que la majorité du Tribunal et le sous-ministre, dans leurs tentatives pour déterminer le sens de l’expression « toutes les marchandises qui sont importées », ont commis une erreur. Il est illogique de soutenir, comme le fait le sous-ministre, que le sens à donner à l’expression « toutes les marchandises qui sont importées » est le même que celui que l’on entend par ces trois mots « toutes les marchandises ». Selon les directives relatives à cette méthode, l’ajout des mots « qui sont importées » doit avoir un effet certain, c’est-à-dire que l’expression a un sens plus limité que celui de l’expression « toutes les marchandises ». Par conséquent, il y a une distinction à faire avec les causes Kong et Glisic, distinction qui diminue considérablement le poids qu’il faut accorder à l’interprétation du sous-ministre.

(2)  La méthode systématique et logique

Comme la méthode littérale est fondée sur la présomption de l’aptitude du législateur à transmettre correctement sa pensée par le truchement de la formule légale, la méthode systématique et logique s’appuie sur l’idée que l’auteur de la loi est un être rationnel : la loi, qui manifeste la pensée du législateur rationnel, est donc réputée refléter une pensée cohérente et logique et l’interprète doit préférer le sens d’une disposition qui confirme le postulat de la rationalité du législateur plutôt que celui qui crée des incohérences, des illogismes ou des antinomies dans le droit.

On peut supposer que cette rationalité se manifestera d’abord à l’intérieur même d’un texte législatif donné : la loi s’interprète comme un tout, chacun de ses éléments devant être considéré comme s’intégrant logiquement dans le système d’ensemble que la loi forme. On supposera aussi que la cohérence règne entre les divers textes législatifs, particulièrement s’ils traitent de matières connexes. À cette cohérence horizontale s’ajoute également une cohérence verticale : chaque texte est censé ne pas contrarier les normes qui lui sont hiérarchiquement supérieures : le règlement est conforme à la loi et celle-ci à la Constitution. [Côté, à la page 287.]

La nécessité de rétablir la cohérence interne d’une loi peut justifier un juge de s’écarter d’un texte dont le sens peut paraître clair et précis. La « règle d’or » (Golden Rule) reconnaît qu’il peut être légitime de négliger le sens ordinaire et courant d’un mot et d’une phrase en vue d’assurer la cohérence de l’ensemble. [Côté, à la page 302.]

Les plaidoiries font clairement ressortir que le sous-ministre tout comme M. Flavell ont présenté des arguments détaillés, mais fondamentalement différents sur l’interprétation qui doit être acceptée quant à l’économie générale qui se dégage de la Loi et du Tarif.

En appliquant cette méthode, je conclus que les arguments de l’un et l’autre sont également convaincants. Chaque interprétation est cohérente et logique et devrait avoir une importance égale dans cet exercice de détermination du sens à donner à l’expression.

(3)       La méthode téléologique

L’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 est rédigé dans les termes suivants :

12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

C’est la codification de la règle de la situation à réformer (Mischief Rule) concernant l’interprétation des lois. Comme l’indique Côté, à la page 355, le concept original de la règle, énoncée il y a quatre cents ans dans l’affaire Heydon’s Case [(1584), 3 Co. Rep. 7 a; 76 E.R. 637], pose quatre questions :

Quel était l’état de la common law avant l’édiction de la loi?

Quel était le mal ou le défaut contre lequel la common law ne prémunissait point?

Quel remède le Parlement a-t-il choisi et retenu pour remédier au mal dont souffrait la collectivité?

Quel est la vraie raison de ce choix?

Et ainsi l’office de tous les juges est de toujours donner l’interprétation qui supprime le mal et favorise l’action du remède …

Découvrir le sens d’une loi donnée en cherchant son objet est une notion qui a cours encore aujourd’hui.

Il n’est pas contesté que la Loi et le Tarif sont des textes de nature protectionniste. Mais les opinions sur l’effet persuasif de ces dispositions sont très partagées. C’est précisément sur ce point que repose la controverse en l’espèce, puisqu’il s’agit de déterminer si la Loi et le Tarif ont pour objet d’imposer des droits sur des marchandises étrangères qui sont introduites au Canada, comme le soutient M. Flavell, ou sur toutes les marchandises qui sont introduites au Canada, comme le prétend le sous-ministre. Il faut reconnaître que, dans son interprétation, le sous-ministre admet qu’aucun droit de douane n’est imposé dans certaines situations, mais que l’idée d’imposer des droits de douane sur toutes les marchandises rend possible la situation qui afflige M. Flavell.

En fait, au nom du sous-ministre, M. Lester prétend que les dispositions à l’étude incorporent un « effet punitif » qui vise à protéger les marchandises canadiennes de la concurrence étrangère. Et il entend manifestement étendre cet effet punitif à quiconque traverse la frontière, y compris de bons citoyens ordinaires respectueux de la loi, comme M. Halliday.

Par exemple, M. Lester prétend que l’« effet draconien »—ce sont ses propres mots—de l’article 18 de l’ancienne Loi et de l’article 12 de la nouvelle Loi signifie qu’un Canadien en visite aux États-Unis qui remplace une bougie, un filtre à l’huile, ou qui fait faire des travaux de peinture d’une valeur de 150 $ sur sa voiture, évaluée à 10 000 $, par exemple, rend sa voiture au complet passible de droits de douane à son retour au Canada. Ce résultat aurait apparemment pour but de dissuader les Canadiens d’acheter des marchandises américaines. De l’avis du sous-ministre, ce n’est qu’en respectant strictement les dispositions d’exonération régissant les « marchandises canadiennes à l’étranger » qu’une telle situation peut être évitée.

Pour éprouver la valeur de cette affirmation, j’ai posé une question à laquelle il m’a été répondu ce qui suit :

[traduction]

LA COUR : Poussons votre hypothèse un peu plus loin. Les montants mentionnés ici sont si rapprochés qu’ils créent de la confusion. S’il s’agissait, par exemple, d’un bateau de 500 000 $, ce qui n’est pas rare, dont un moteur d’une valeur de 7 000 $ a été remplacé. Que se passerait-il alors?

M. LESTER : Je dirais que la totalité du bateau est passible de droits. [Transcription, à la page 73.]

À partir de cette affirmation, si le Marmalade Skies avait une telle valeur, les droits de douane évalués à 13,5 % équivaudraient à 67 500 $.

Au cours de l’audition de cet appel, j’ai apprécié la franchise avec laquelle M. Lester, M. Flavell et M. Kent ont présenté leurs arguments. Pour établir si l’article 12 de la Loi a une portée aussi large que l’exemple ci-dessus prétend lui donner, il est important de reproduire l’échange ci-dessous parce que celui-ci exprime clairement avec quelle ferveur le sous-ministre a défendu la position qu’il a adoptée en opposition à celle de M. Flavell :

[traduction]

M. LESTER : Alors, il ne fait aucun doute, Monsieur le juge, il ne fait aucun doute que M. Kent et M. Flavell et vous, Monsieur le juge, essaierez de me déstabiliser en me forçant à pousser cette interprétation à son extrême logique sans trébucher. C’est avec résolution et audace que je soutiens votre regard et que je vous invite à me mettre à l’épreuve, mais je ne reculerai pas. [Transcription, à la page 77.]

Effectivement, il est allé jusqu’au bout.

Ainsi donc, l’objet général de la Loi et du Tarif est manifeste dans l’esprit du sous-ministre. Mais l’objet de la Loi doit-il être aussi punitif que le laisse entendre M. Lester? La méthode ci-dessous nous permettra de jeter un peu de lumière sur cette question.

4)   Méthode historique

En théorie et en principe, les travaux préparatoires ne sont pas admissibles lorsqu’il s’agit, en dehors de tout contexte constitutionnel, d’interpréter une disposition précise d’un texte législatif. Toutefois, ce principe apparaît à ce point miné par les dérogations et grugé par les exceptions qu’on peut se demander s’il n’est pas, en pratique, en voie d’extinction.

Il arrive fréquemment que le principe soit tout simplement ignoré par le tribunal. Ces dérogations auraient sans doute moins de poids si elles ne se trouvaient pas, à l’occasion, dans des arrêts de la Cour suprême du Canada.

Quant aux exceptions mises de l’avant pour limiter la portée de la règle de l’exclusion, on en rencontre deux principales, d’inégale importance. La première, proposée par lord Reid, rendrait les travaux admissibles lorsque leur examen serait de nature à trancher nettement la question d’interprétation en litige dans un sens ou dans l’autre. La seconde, plus importante, veut que les travaux préparatoires soient admissibles aux fins, non pas d’établir directement le sens d’une disposition précise, mais de cerner le contexte d’adoption de la loi et la situation qu’elle voulait corriger, le «  mischief  ». [Côté, aux pages 414 et 415.]

Selon le juge Heald,

La jurisprudence récente établit clairement que les tribunaux ont le droit de s’aider des débats de la Chambre des communes pour vérifier quel « désordre » ou « malaise » une disposition législative particulière avait pour objet de corriger. (Canada (Procureur général) c. Young, [1989] 3 C.F. 647(C.A.F.)). [Côté, à la page 417.]

En fait, le recours aux travaux préparatoires dans l’interprétation des lois semble de plus en plus fréquent. Dans l’arrêt Pepper (Inspector of Taxes) v. Hart, [1993] All E.R. 42 (H.L.), lord Browne-Wilkinson indique ce qui suit, à la page 64 :

[traduction] Mes lords, j’en arrive à la conclusion qu’il existe, en droit, de bonnes raisons de modifier quelque peu la règle en vigueur (sous réserve de solides protections) à moins que des raisons constitutionnelles ou pratiques nous en empêchent. Selon moi, sous réserve des questions de privilège de la Chambre des communes, il devrait être permis de consulter des documents parlementaires pour aider à interpréter une loi ambiguë ou obscure, ou dont le sens littéral mène à une absurdité. Même dans de tels cas, les références faites en cour à des documents parlementaires ne devraient être permises que lorsque ces derniers révèlent clairement le désordre visé ou l’intention législative que dissimulent les termes ambigus ou obscurs. Lorsqu’il s’agit de déclarations faites au Parlement, je ne puis voir aucune déclaration autre que celle du ministre ou d’un autre promoteur du projet de loi qui satisfasse vraisemblablement à ces critères.

Je cite cette méthode avec un doute qu’il nous faut dissiper dès maintenant. Lord Browne-Wilkinson a, par coïncidence, abordé ce doute dans l’arrêt Pepper (Inspector of Taxes) v. Hart, à la page 66, dans les termes suivants :

[traduction] En outre, plusieurs juges éminents ont admis avoir enfreint la règle de l’exclusion et avoir consulté le Hansard afin d’y trouver l’intention du législateur. Lorsque cela se produit, les parties n’en sont pas informées et n’ont donc pas la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet. L’arrêt Hadmor Productions Ltd. v. Hamilton [1981] 2 All ER 724, [1983] 1 AC 191, CA; [1982] 1 All ER 1042, [1983] 1 AC 191, en constitue un exemple typique; dans cet arrêt, lord Denning, maître des rôles à la Cour d’appel, s’est appuyé sur ses propres recherches dans le Hansard pour étayer ses conclusions; devant la Chambre des lords, l’avocat a fait valoir qu’il aurait souhaité attirer l’attention du tribunal sur d’autres passages s’il avait su que lord Denning, maître des rôles, avait consulté le Hansard (voir [1982] 1 All ER 1042, à la p. 1056, [1983] 1 AC 191, à la p. 233). Il est difficile d’accepter que ce genre de renseignements soit mis à la disposition de la Cour, de façon indirecte, alors que les parties ne sont pas autorisées à fonder leurs arguments sur ces documents.

Ni M. Lester, ni M. Flavell ou M. Kent n’ont fait référence au Hansard dans leurs arguments. Si je le faisais, les parties pourraient m’accuser de m’être procuré des renseignements privilégiés, de façon indirecte, pour reprendre les propos de lord Browne-Wilkinson. En l’espèce, je m’efforce de trancher entre deux arguments très convaincants et, franchement, je pense que toutes les sources dignes de foi qui sont disponibles dans les limites du droit devraient être utilisées.

D’après mes recherches, l’extrait qui suit résume la totalité des observations faites au cours de la deuxième lecture du projet de loi par l’honorable Elmer M. MacKay, ministre responsable de la présentation du projet de loi C-59, qui est devenu depuis la Loi en vigueur. Il est difficile d’évaluer les arguments que les propos du ministre auraient pu soulever au procès, compte tenu de la très grande compétence des avocats. Mais j’en suis venu à la conclusion que cela ne suffirait pas à justifier ni la réouverture de l’affaire pour entendre de nouveaux arguments ni l’exclusion totale de cet élément de preuve, étant donné qu’il s’agit d’un aspect seulement d’une analyse complexe.

Donc, d’après les Débats de la Chambre des communes, quelle était « la situation » que se proposait de « réformer » la Loi? Au cours de la deuxième lecture du projet de loi C-59, l’honorable Elmer M. MacKay, a formulé de longues observations sur cette question, comme en fait foi cet extrait tiré du rapport officiel (première session, trente-troisième législature, 34 Elizabeth II, volume V, 1985) [aux pages 6504 à 6506] :

L’hon. Elmer M. MacKay (ministre du Revenu national) propose : Que le projet de loi C-59, concernant les douanes, soit lu pour la 2e fois et renvoyé à un comité législatif.

—Monsieur le Président, la mesure à l’étude aujourd’hui a déjà été proposée par le passé. La Loi sur les douanes, qui réglemente l’importation et l’exportation des marchandises au Canada, est l’une des lois fédérales les plus anciennes de notre pays. Au demeurant, l’une des premières initiatives de la première Législature du Canada fut d’adopter une législation sur les douanes et les tarifs douaniers en vue de concrétiser l’union douanière entre les provinces du pays.

C’est un événement exceptionnel pour moi aujourd’hui de discuter à la Chambre d’un projet de loi prévoyant la première révision fondamentale de la Loi sur les douanes en plus de 100 ans. Cette mesure législative a été proposée plus ou moins sous la même forme par le gouvernement précédent. À l’époque, on avait admis que cette mesure se faisait attendre depuis longtemps. Bien entendu, des modifications ont été apportées à l’occasion à la Loi sur les douanes mais aucune ne prévoyait une refonte importante de la loi. La plupart des modifications adoptées au cours des années sont restées en vigueur longtemps, même lorsqu’elles n’avaient plus de raison d’être. Par exemple, la loi actuelle contient encore une disposition adoptée à l’époque de la prohibition au sujet des navires trouvés en train de rôder dans les eaux canadiennes.

La loi actuelle est un véritable fatras, constituant pour l’essentiel un document du 19e siècle qui vise à faire face aux besoins de l’heure. Tous les députés conviendront, je pense, qu’une révision approfondie s’impose.

Comme mes collègues le savent sans doute, la Loi sur les douanes donne aux services des douanes l’autorité législative et le pouvoir d’appliquer les lois régissant l’importation et l’exportation de marchandises et de percevoir les recettes douanières. Ce n’est pas un projet de loi fiscal comme le Tarif des douanes. La Loi sur les douanes est essentiellement administrative et grâce à ce projet de loi, nous projetons de la réviser fondamentalement pour la première fois depuis son entrée en vigueur.

La Loi sur les douanes n’est pas au centre de l’intérêt de la majorité des Canadiens. La plupart d’entre eux ont affaire aux douanes, seulement lorsqu’ils passent aux frontières, même si ce secteur représente une partie importante des activités du ministère puisque près de 80 millions de personnes passent la frontière chaque année.

Comme la partie émergée de l’iceberg, la surveillance des frontières ne représente qu’une des principales responsabilités des Douanes dans l’application de la loi à l’importation et l’exportation des marchandises et la perception des recettes des douanes et de l’accise. Le Canada, nous le savons, est l’un des principaux pays commerçants du monde et, chaque année, les douanes doivent viser une dizaine de millions de transactions commerciales à l’importation et à l’exportation.

Il est manifeste que la mise à jour de la Loi sur les douanes s’impose pour tenir compte des réalités des années 80 et au-delà. L’adoption de cette loi est particulièrement opportune, monsieur le Président, compte tenu d’Expo 86 qui doit avoir lieu au Canada l’an prochain. Le Revenu national, Division des douanes et accises, est responsable de percevoir près de 18 milliards de recettes chaque année, soit 25 p. 100 environ de l’ensemble des recettes fédérales. C’est donc une source importante de recettes fiscales dans notre pays et pourquoi il nous incombe de faire en sorte que notre législation dans ce domaine soit moderne, logique, efficace et juste.

Nous devons être justes et équitables dans notre attitude mais les Canadiens doivent également avoir la certitude que les douanes perçoivent bien les recettes qui leur sont dues.

En préparant ce nouveau projet de loi, nous avons suivi les quatre objectifs primordiaux suivants : premièrement, la nécessité de supprimer les dispositions de la loi qui sont devenues désuètes ou incohérentes. Mentionnons parmi les dispositions désuètes de la loi actuelle celle qui limitait l’importation aux heures du jour, celle qui restreignait l’octroi des agréments de courtier en douane aux sujets britanniques, et celle qui permettait à l’agent procédant à une saisie d’en partager le produit.

Deuxièmement, nous voulions restructurer la loi selon un ordre logique. La nouvelle loi suit donc l’ordre naturel des exigences des Douanes depuis la déclaration en passant par le transit et l’entreposage, le dédouanement, la déclaration en détail et le paiement des droits, le classement tarifaire et l’appréciation de la valeur, les appels et les remboursements jusqu’aux saisies en [sic] confiscations et aux infractions et peines.

Troisièmement, il était absolument nécessaire d’assurer une souplesse accrue afin de pouvoir répondre aux changements survenus dans les domaines des transports, des communications et des pratiques commerciales.

Quatrièmement, il était très nécessaire de reformuler et de moderniser les dispositions relatives à la perception des droits et à l’application de la loi en général. La nouvelle loi s’adaptera à tous les modes de transport—ce dont mon collègue des Transports (M. Mazankowski) se réjouira sûrement beaucoup—notamment le transport par pipe-line, par conteneur et le reste.

Elle tient également compte des pratiques commerciales modernes comme l’informatisation.

La nouvelle loi permettra de faire la déclaration en détail et de payer périodiquement les droits après dédouanement des marchandises. Il ne s’agira plus de faire payer rubis sur l’ongle. J’estime que nous avons atteint ces objectifs dans le projet de loi dont la Chambre est maintenant saisie.

Nous nous sommes efforcés d’atteindre ces objectifs généraux mais en révisant et en modifiant les versions préliminaires du projet de loi, nous avons aussi gardé bien présent à l’esprit les engagements généraux que notre gouvernement avait pris en ce qui concerne ses rapports avec les contribuables canadiens. Plus particulièrement, monsieur le Président, les députés constateront sans doute que la nouvelle loi reflète bien notre engagement à faire montre de justice et d’équité dans nos rapports avec les Canadiens, à nous efforcer de clarifier et de simplifier dans toute la mesure du possible l’application de la loi, et à nous livrer à des consultations lorsqu’il s’agit d’élaborer des règlements et de faire appliquer la loi.

Je n’ai pas l’intention pour le moment d’exposer longuement et en détail les nombreuses dispositions du projet de loi. Nous aurons plus tard amplement l’occasion de le faire.

Les députés ont reçu des copies du projet de loi et des documents connexes et je suis certain qu’ils vont vouloir les étudier personnellement. Comme je l’ai dit, plusieurs des principes décrits ont déjà été étudiés.

Toutefois, j’aimerais dire quelques mots des particularités de ce projet de loi qui montrent que nous nous intéressons en particulier à l’équité, à la simplification et à la consultation. En ce qui a trait à la question d’équité et de justice, monsieur le Président, j’attire l’attention des députés sur les articles 59 à 72 du projet de loi qui traitent des particuliers ou des sociétés qui ne sont pas d’accord avec une décision du ministère ou de la Commission du tarif et qui demandent une révision de la classification tarifaire ou un réexamen de la valeur en douane des marchandises importées. De plus, lorsqu’une personne réussit à faire annuler une décision du ministère, elle a le droit de recevoir l’intérêt sur les droits de douane acquittés. Par ailleurs, on percevra l’intérêt si la décision est en faveur du ministère.

En ce qui a trait à la perception de taxes ou de droits dus, notre gouvernement a toujours dit clairement que personne n’est présumé coupable dans les conflits qui opposent le gouvernement et des particuliers. Je suis heureux de dire que, une fois cette mesure adoptée, les personnes qui n’acceptent pas une décision ne seront pas tenues de payer les droits de douane avant que l’affaire ne soit réglée. Ils auront la possibilité de donner des garanties au lieu d’effectuer un paiement ou, s’ils le désirent, d’effectuer un paiement avec la garantie qu’on leur versera de l’intérêt sur tous les remboursements auxquels ils pourraient avoir droit en fin de compte. Je crois qu’il s’agit là d’une solution juste à un problème qui a été une pomme de discorde. À mon avis, les importateurs accueilleront bien cette mesure.

La protection des droits civils est assurée dans un certain nombre de dispositions du projet de loi. Ainsi, dans le cas des poursuites intentées en vertu de la nouvelle loi au sujet de l’importation ou de l’exportation de biens, le fardeau de la preuve incombera dorénavant au gouvernement. En vertu de la loi actuelle, il incombe à l’importateur ou à l’exportateur, ce que nous trouvons injuste. Je crois, monsieur le Président, que ces modifications et d’autres proposées à la Loi sur les douanes reflètent l’esprit de la Charte canadienne des droits et libertés et la législation relative aux droits de la personne. Le nouveau projet de loi définit également clairement la procédure que les agents des douanes doivent suivre lors de l’inspection des envois postaux à laquelle ils doivent procéder dans le cadre de leurs fonctions. Comme vous le savez, les agents de douanes doivent pouvoir inspecter les envois lorsqu’ils ont de bonnes raisons de croire que leur contenu peut être assujetti aux règlements des douanes. Dans le cas contraire, ils seraient incapables d’appliquer pleinement les dispositions de la Loi sur les douanes ou les nombreuses lois fédérales au sujet desquelles ils ont certaines responsabilités administratives.

Afin de protéger le public, le projet de loi prévoit que les envois de 30 grammes ou moins ne peuvent être ouverts sans le consentement du destinataire ou de l’expéditeur. Pour le public, une lettre est un envoi qui peut être affranchi avec un timbre de 34ȼ. Seuls les envois pesant 30 grammes ou moins peuvent être affranchis ainsi—le poids moyen d’un envoi de ce genre est d’environ 20 grammes.

Dans le cadre de leurs fonctions, les agents des douanes doivent faire exécuter et appliquer les articles de plus de 60 lois fédérales, dont beaucoup sont conçues pour protéger les valeurs sociales de la nation ou la santé et le bien-être des Canadiens. La gamme de leurs responsabilités s’étend de la vérification des certificats requis par la Loi sur la généalogie des animaux à l’arrêt de l’importation d’armes prohibées en vertu du Code criminel en passant par une vérification préliminaire des voyageurs en vertu de la Loi sur l’immigration. Il faut appliquer des lois comme la Loi des aliments et drogues, la Loi sur les produits dangereux et la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels et bien d’autres dans la mesure où elles concernent l’importation et l’exportation de biens par des Canadiens. Ce nouveau projet de loi met à jour les dispositions permettant aux agents des douanes de rechercher certains biens, de les examiner et de les saisir et leur confère donc le pouvoir nécessaire pour faire respecter ces diverses lois importantes. Ces fonctionnaires accomplissent une tâche importante et ils méritent de travailler dans un cadre approprié.

Ce nouveau projet de loi a été simplifié du tout au tout, monsieur le Président, afin qu’il puisse être plus facile et plus simple à comprendre et à être appliqué par ceux qui doivent en respecter les dispositions. Le libellé est simple et direct. Les 290 articles de la loi actuelle ont été énormément réduits et il n’y a plus que quatre articles au lieu de 35 relatifs à la déclaration. La Loi actuelle sur les douanes renferme de nombreux articles portant sur les infractions et peines. En fait, seulement une demi-douzaine environ de ces articles sont appliqués à l’heure actuelle. Le nouveau projet de loi simplifie grandement ce domaine et fait disparaître un certain nombre d’articles qui font double emploi avec ceux du Code criminel.

Je suis persuadé que les entreprises qui font régulièrement affaire avec les douanes trouveront ce projet de loi plus clair que son prédécesseur, plus compréhensible et plus facile à respecter à tous les égards. Le fonctionnement des douanes en sera d’autant plus simple. À mon avis, le souci de simplification dont procède ce projet de loi est tout à fait compatible avec l’engagement qu’a pris le gouvernement de moderniser ses méthodes et de réduire autant que possible la paperasserie qui accable ceux qui font affaires avec l’État.

Grâce à ce projet de loi, le ministère du Revenu national aura la souplesse législative voulue pour adapter ses procédures aux nouvelles méthodes en usage dans le domaine des affaires, des transports et des communications. En outre, monsieur le Président, le projet de loi stipule expressément que la plupart des règlements afférents à la Loi concernant les douanes doivent être publiés au moins 60 jours avant la date de leur entrée en vigueur. On pourra passer outre à cette règle dans le cas par exemple des règlements qui déterminent les barèmes de frais ou qui n’apportent pas de changement majeur. Ainsi, ceux qui le souhaitent auront une ultime occasion de formuler des observations au sujet des changements proposés. Enfin, le projet de loi C-59 prévoit l’examen parlementaire continu de l’application de la loi, ainsi qu’une étude complète dans les cinq ans qui suivront la date de son adoption.

En terminant, monsieur le Président, j’aimerais dire que nous sommes saisis en l’occurrence d’un projet très important et dont le besoin se faisait sentir depuis longtemps. Nul doute que les Canadiens en général, et en particulier les gens d’affaires qui doivent régulièrement consulter la Loi concernant les douanes, lui feront bon accueil. Le ministère du Revenu national sera dorénavant en mesure d’assumer plus efficacement ses responsabilités et de percevoir d’une façon juste et équitable les droits de douane dus au gouvernement et aux citoyens du Canada.

J’imagine que tous les députés, ceux notamment qui font partie du comité chargé d’étudier ce projet de loi, voudront l’examiner de près. Je m’en réjouis, et j’étudierai moi-même les observations et les recommandations qu’ils voudront sûrement formuler à l’issue de leurs délibérations. J’accueillerai favorablement toutes les idées de nature à favoriser le succès de notre entreprise. En fait, j’ai hâte de collaborer à cet égard avec le député de Gander-Twillingate (M. Baker) et le député de Regina-Est (M. de Jong). D’autre part, j’espère que la Chambre jugera bon d’adopter ce projet de loi aussi rapidement que possible, car il répond à un besoin réel et il servira les meilleurs intérêts de notre pays s’il est mis en vigueur dans les plus brefs délais et après avoir reçu l’attention qu’il mérite.

On peut à tout le moins tirer trois conclusions pertinentes de ces déclarations. Premièrement, la « situation » que la Loi cherchait à « réformer » portait sur des problèmes commerciaux pratiques créés ou ignorés par l’ancienne loi. Deuxièmement, l’engagement à « faire montre de justice et d’équité dans [les] rapports avec les Canadiens » a été l’une des considérations principales ayant présidé à la rédaction de la nouvelle Loi, engagement qui, par implication, semblait faire défaut dans l’ancienne. Troisièmement, l’objectif de rendre le droit des douanes « plus facile et plus simple à comprendre » grâce à un libellé « simple et direct » était un objectif important, que n’avait manifestement pas atteint l’ancienne loi.

La première conclusion appuie fortement l’argument selon lequel la définition commerciale proposée pour le verbe « importer » dans la dissidence de M. Gracey devrait être acceptée. La deuxième conclusion s’oppose à la prétention selon laquelle l’article 12 devrait avoir un effet punitif sur les Canadiens. Et, considérées dans leur ensemble, ces conclusions nous convainquent que la Loi n’a pas été un simple dépoussiérage.

Compte tenu de ces résultats, il est donc tout à fait plausible de prétendre que l’économie générale de l’ancienne Loi, concrétisée dans la sanction prévue à l’article 18 selon laquelle « toutes les marchandises » devaient être déclarées, était l’une des dispositions « désuètes ou incohérentes » que l’on cherchait à supprimer dans la nouvelle Loi. Cette observation ajoute une importance considérable à l’argument de M. Flavell selon lequel les termes ajoutés à l’article 12 de la nouvelle Loi, c’est-à-dire « toutes les marchandises qui sont importées » (non souligné dans l’original), devraient avoir tout l’effet qu’on entendait leur donner, en marquant un net changement dans l’économie générale de la loi canadienne en matières douanières.

En concluant l’analyse à l’aide de cette méthode, je pense que les observations suivantes formulées dans les Débats [à la page 6506] par M. George Baker sont d’un intérêt certain. Même s’il s’exprimait au nom de l’opposition, il est manifeste qu’il était en faveur de la nouvelle loi :

M. George Baker (Gander-Twillingate) : Monsieur le Président, le projet de loi présenté par le ministre devrait, je le pense bien, être adopté assez rapidement par la Chambre. Après tout, la plupart des dispositions qu’on y retrouve ont été proposées par le gouvernement libéral précédent et, comme nous le savons tous, tout ce qu’a pu proposer l’ancien gouvernement libéral est certainement valable en ce qui concerne la réglementation. Certains changements mineurs y ont été apportés, et je voudrais en parler brièvement.

Le ministre qui a présenté la mesure a certainement pris part, même dans ses anciennes fonctions, à la préparation des changements qui ont été apportés au projet de loi qu’avait présenté le gouvernement précédent. Je voudrais aborder quelques-uns d’entre eux. Comme il l’a déclaré, ce projet de loi s’imposait certainement depuis longtemps. La loi canadienne en matières douanières reposait, je pense bien, sur deux grands facteurs. Il y avait d’abord la loi actuelle qui figure dans nos statuts et que devaient faire observer nos douaniers. Et ensuite, il y avait les pratiques observées dans les services douaniers. Certaines de ces pratiques remontaient à avant la Confédération. Il ne fait donc aucun doute que nous avons besoin d’une nouvelle loi concernant les douanes. Selon le ministre, ce projet de loi vise à supprimer certaines dispositions dans l’actuelle loi, lesquelles sont contraires à la Charte des droits. Deux des dispositions de la mesure permettent de supprimer les mandats de main-forte qui équivalaient en réalité à un mandat permanent de perquisition. En d’autres mots, les douaniers n’étaient nullement obligés de demander à un juge de leur remettre un autre mandat de perquisition, ils pouvaient simplement poursuivre leur travail forts de ces mandats de main-forte. Les articles 111 et 112 du projet de loi rectifieront ce défaut de la loi actuelle.

Comme l’a également dit le ministre, ce projet de loi fait disparaître la nécessité de payer immédiatement les droits d’importation sur tout article importé au Canada. En d’autres termes, si quelqu’un importait des brosses à dents au rythme d’une centaine par semaine, il devait payer immédiatement, dès l’entrée de la marchandise au pays. La mesure fait disparaître cette obligation et permet aux hommes d’affaires de prendre avec les services douaniers des dispositions pour effectuer des versements hebdomadaires ou mensuels.

Le projet de loi renferme une nouvelle disposition que je souhaite voir s’appliquer dans tous les ministères. Quand le gouvernement du Canada doit une certaine somme à un particulier canadien, il ne verse pas d’intérêt sur la somme due; par contre, si c’est le particulier qui doit de l’argent au gouvernement, il lui faut payer l’intérêt. On a prévu dans le projet de loi une disposition tendant à faire disparaître cette injustice.

Le ministre a parlé du comité parlementaire qui examinera et mettra à jour la mesure tous les cinq ans. C’est là une bonne idée. L’interprétation des lois régissant les douanes donnait à entendre qu’un douanier avait le droit de saisir tout ce qui n’était pas déclaré. Autrement dit, en exagérant un peu, comme cela a été le cas dans certaines interprétations des tribunaux, si quelqu’un part en automobile aux États-Unis et revient, l’agent des douanes peut légalement saisir son auto et mêmes ses sous-vêtements s’il le veut. La loi l’autorise à saisir tout ce que possède cette personne. Ce projet de loi élimine cette possibilité comme le prévoyait le projet de loi présenté par la précédente administration. Il clarifie aussi la Loi sur l’accès à l’information. [Non souligné dans l’original.]

La référence aux « sous-vêtements » dans l’énoncé de M. Baker renvoie manifestement aux observations du juge Strayer dans la décision Glisic, aux pages 802 et 803 :

C’est avec regret que je dois conclure que le ministère public a raison en droit et que l’action du demandeur ne peut réussir. Il est constant que la confiscation en raison de l’omission de faire la déclaration prévue à l’article 18 est automatique. La présence au Canada des effets avant leur sortie du Canada et leur retour à l’occasion de l’omission de faire la déclaration ne constitue pas une excuse à l’omission de les déclarer comme l’exige l’article 18. Même si l’article 265 empêchait la confiscation dans le cas d’une infraction à l’article 18 survenue plus de trois ans avant la saisie faite le 7 avril 1980, les événements du 7 avril constituent eux-même [sic] une infraction et justifient par conséquent la confiscation.

J’ai dit que c’est « avec regret » que je dois conclure en ce sens parce que, peu importe l’importance relative de l’espèce, je m’inquiète des conséquences de l’article 18. Si on l’interprète à la lettre, cet article signifie qu’une personne qui arrive au Canada ou qui y revient devrait déclarer tous les biens personnels qu’elle a en sa possession ou qu’elle porte y compris, probablement, ses sous-vêtements. Si elle omet de le faire, par l’effet combiné des articles 18 et 180 de la Loi sur les douanes, tous les effets qui ne sont pas déclarés sont susceptibles d’être saisis et d’être confisqués par l’État. La raison en est que l’article 18 oblige à déclarer « tous les effets dont elle a la charge ou garde ». Il ne se limite pas à toutes les marchandises acquises à l’étranger ou aux marchandises acquises au cours du voyage. Je pense que je dois prendre judiciairement connaissance du fait que très peu de voyageurs, s’il en est, savent que c’est ce que dit la loi et que ce n’est pas ainsi que Revenu Canada l’applique. Si une personne comme le demandeur apportait avec elle des effets au moment où elle immigre au Canada, s’en servait durant plusieurs années au Canada et les apportait lors de ses voyages à l’étranger, elle serait bien surprise, après plusieurs voyages sans incident, de se faire interroger par un agent de douane au sujet de ces effets. Le ministère public prétend cependant qu’en vertu de l’article 18 un agent de douane peut contester le libre retour de ces effets au Canada, et si aucune déclaration n’a été faite à leur égard, ces effets sont susceptibles d’être confisqués. Je suis d’accord que c’est ainsi que doit être interprété l’article 18, mais je me sens tenu de faire remarquer qu’il peut aussi être interprété de façon à autoriser la saisie et la confiscation d’un effet qu’un Canadien a acquis au Canada, qu’il a possédé toute sa vie et qu’il a apporté avec lui à l’étranger en vacances s’il omet de le déclarer lors de son retour au Canada. Il faut donner crédit au bon sens des agents de douane s’ils n’appliquent pas la loi de cette manière, mais il reste qu’ils ont, tout comme le Ministre, le pouvoir discrétionnaire de décider quels effets doivent être confisqués s’ils n’ont pas été déclarés.

Bien que je n’accorde pas beaucoup d’importance à la déclaration de M. Baker, il ne semble faire aucun doute que d’après ce qu’il avait appris sur le nouveau projet de loi avant de prendre la parole en Chambre, il croyait que cette loi allait changer l’interprétation reconnue de l’article 18 de l’ancienne Loi.

5)   L’interprétation pragmatique

On entend ici par interprétation pragmatique cette méthode d’interprétation qui repose sur la considération des effets de la loi ou encore des effets d’une interprétation donnée de celle-ci.

Parler d’effets favorables ou défavorables d’une loi, c’est poser un jugement de valeur. L’interprétation pragmatique renvoie ici au contexte de valeurs, au contexte axiologique d’adoption et d’application de la loi. Dès son adoption, le texte législatif s’intègre à un système juridique formé de l’ensemble des normes préexistantes; cette intégration au système que forment, en particulier, les autres textes législatifs est de nature à influer sur le sens de la loi nouvelle. Le contexte dans lequel le texte nouveau s’inscrit n’est cependant pas constitué uniquement de règles au sens strict, qu’elles soient légiférées ou jurisprudentielles : la nouvelle loi est aussi susceptible de voir son sens modeler par les principes juridiques dont le système est porteur (par exemple, le principe de la non-rétroactivité de la loi) ainsi que par les valeurs qui dominent la société à un moment donné (par exemple, la conception du juste et de l’injuste, du raisonnable et du déraisonnable).

Ces principes et ces valeurs, ce système de valeurs, trouvent leur place dans le processus d’interprétation des textes législatifs sous la forme de présomptions d’intention du législateur : on prête à celui-ci l’intention de respecter les valeurs et de ne pas déroger aux principes de la société à laquelle il s’adresse. On supposera, par exemple, que le « bon législateur », le «  législateur raisonnable  » ne peut pas, sauf s’il en manifeste clairement l’intention, vouloir que la loi produise des effets déraisonnables ou manifestement injustes. [Côté, aux pages 419 et 420.]

La Cour suprême du Canada a récemment formulé des observations sur l’interprétation des lois et les résultats absurdes auxquelles elles peuvent mener dans l’arrêt R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, à la page 704, où le juge en chef Lamer indique ce qui suit :

À mon avis, on ne saurait accepter l’argument du ministère public qui assimile l’absurdité à l’ambiguïté. Voici la proposition que j’adopterais : lorsqu’une législature adopte un texte législatif qui emploie des termes clairs, non équivoques et susceptibles d’avoir un seul sens, ce texte doit être appliqué même s’il donne lieu à des résultats rigides ou absurdes ou même contraires à la logique (Maxwell on the Interpretation of Statutes, op. cit., à la p. 29). Le fait qu’une disposition aboutit à des résultats absurdes n’est pas, à mon avis, suffisant pour affirmer qu’elle est ambiguë et procéder ensuite à une analyse d’interprétation globale.

En conséquence, ce n’est que lorsqu’un texte législatif est ambigu, et peut donc raisonnablement donner lieu à deux interprétations, que les résultats absurdes susceptibles de découler de l’une de ces interprétations justifieront de la rejeter et de préférer l’autre. L’absurdité est un facteur dont il faut tenir compte dans l’interprétation de dispositions législatives ambiguës; cependant, il n’existe pas de méthode distincte d’« analyse fondée sur l’absurdité ».

M. Flavell a fait valoir que l’interprétation défendue par le sous-ministre est « illogique » et entraîne des résultats « absurdes ». Étant donné que la question en l’espèce consiste à préciser le sens de mots ambigus, je pense que la prétention de M. Flavell peut avoir un certain poids s’il devient clair que ce qui est arrivé au Marmalade Skies est contraire aux valeurs exprimées dans la loi, ce qui mène à un résultat absurde.

Il est difficile de croire que l’honorable Elmer MacKay aurait pu échapper aux critiques acerbes de ses collègues de la Chambre s’il leur avait dit que l’article 12 devait être interprété de la façon dont a été traité M. Halliday quand il est passé aux douanes avec le bateau-logement. La raison en est manifestement que l’imposition de droits de douane d’une valeur de 17 000 $ pour l’achat et l’installation d’un moteur de 7 000 $ ne saurait être vue comme l’exécution d’un engagement à « faire montre de justice et d’équité dans [les] rapports avec les Canadiens ».

M. Halliday ne savait pas, et j’ose dire qu’aucun Canadien ordinaire ne sait, et je ne savais certainement pas jusqu’à maintenant, qu’il serait traité comme il l’a été. Et pourtant, on ne peut pas prétendre que M. Halliday n’était pas informé. Il ressort plutôt des arguments qui m’ont été présentés qu’il était peu probable qu’il ait pu être au courant de l’interprétation qui lui a été opposée, sauf peut-être s’il s’était renseigné précisément sur le sujet avant de se présenter aux douanes. D’après ce que j’ai entendu, je pense être tout à fait en droit de conclure qu’il n’y a aucun consensus public sur la façon dont les agents des douanes appliquent l’article 12. En fait, comme l’a fait le juge Strayer dans l’arrêt Glisic, je peux prendre judiciairement connaissance du fait que, au moment de traverser la frontière canadienne, les Canadiens ordinaires croient qu’ils n’ont à déclarer et, peut-être, à payer des droits de douane que sur les marchandises qu’ils ont achetées ou qui leur ont été données à l’étranger.

M. Flavell affirme que tous ceux à qui il a raconté sa mésaventure sont étonnés, et c’est avec raison. Je ne pense pas que la société canadienne de 1985, ni même celle d’aujourd’hui, aurait pu croire que les valeurs « de justice et d’équité » prônées par le ministre puissent inclure l’interprétation du sous-ministre.

En appliquant cette méthode, par conséquent, j’accorde beaucoup d’importance à l’interprétation de M. Flavell.

6)         Autorités

a) L’interprétation jurisprudentielle comme élément du contexte

Les tribunaux font l’hypothèse que le législateur est informé des décisions judiciaires rendues avant l’adoption de la loi : celles-ci peuvent donc être considérées comme faisant partie du contexte d’énonciation du texte législatif et, à ce titre, elles peuvent être pertinentes à son interprétation. [Côté, à la page 516.]

En appliquant cette méthode, et parce que les arrêts Kong et Glisic ont donné leur plein effet aux mots « toutes les marchandises » utilisés dans l’article 18 de l’ancienne Loi, l’ajout des mots « qui sont importées » à l’article 12 de la nouvelle Loi donne du poids à l’argument selon lequel ces mots devraient avoir leur plein effet et qu’ils ont été ajoutés dans l’intention de modifier l’interprétation alors en vigueur.

b)         L’interprétation jurisprudentielle comme argument d’autorité

Dans les cas où les règles de respect du précédent ne confèrent pas une autorité contraignante à un arrêt, le juge pourra quand même le prendre en considération à titre de guide, de raison écrite susceptible de l’assister dans la découverte du sens correct de la disposition examinée ou de contribuer à l’argumentation de la décision. [Côté, à la page 519.]

À ma connaissance, il n’y a qu’un seul jugement sur le sens à donner à l’article 12, et celui-ci n’a pas été cité dans les plaidoiries. Dans l’arrêt R. v. Cook (1992), 70 C.C.C. (3d) 239, la Cour d’appel de l’Ontario s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 12 dans un contexte criminel d’omission illégale de déclarer des marchandises importées. La décision appuie l’interprétation du sous-ministre. Bien que je ne sois pas lié par cette décision, je l’ai examinée afin d’en évaluer le bien-fondé.

Dans la décision unanime, le juge d’appel Blair déclare ce qui suit [aux pages 242 et 243] :

[traduction] À mon avis, l’esprit de la Loi est clair. Celle-ci impose une obligation de déclaration complète en vertu de l’art. 12(1) aux personnes qui introduisent des marchandises au Canada, mais elle accorde une exonération dans les cas précis signalés par l’avocat de l’appelant. Si le législateur avait voulu que l’art. 12(1) ne s’applique qu’à des marchandises de fabrication étrangère, il n’aurait pas été nécessaire d’ajouter des dispositions régissant l’exonération des marchandises produites au Canada.

Cette interprétation de l’art. 12(1) de la Loi est renforcée par le fait que la même interprétation était donnée à l’article équivalent de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40, art. 18, qui disposait alors : …

Le juge Blair fait ensuite référence aux interprétations données dans les arrêts Kong et Glisic dans les termes suivants [à la page 244] :

[traduction] La portée de l’art. 12 de la Loi est, à mon avis, aussi large que celle de l’art. 18 de la Loi précédente en ce qu’il exige que « toutes les marchandises qui sont importées » soient déclarées, comme l’a décidé le juge Rouleau dans la décision Compagnie Lanka Link c. Ministre du Revenu du Canada (1990), 2 T.T.R. 164 (C.F. 1re inst.). La Loi, qui est entrée en vigueur en 1986, était la première refonte exhaustive de l’ancienne Loi adoptée 118 ans auparavant par le premier Parlement constitué après la Confédération. Cette refonte avait, notamment, pour objet d’éliminer les expressions désuètes et les mots superflus et de moderniser le libellé de la Loi. Selon moi, c’est tout ce qui a été fait quand l’art. 12(1) de la Loi a remplacé l’ancien art. 18(1). Ces deux articles ont le même sens.

Le juge Blair accorde manifestement de l’importance à l’existence des dispositions d’exonération. Dans son jugement de cinq pages, il est impossible de dire si la cause a été débattue en profondeur, mais, compte tenu de l’absence de détails dans le jugement, je soupçonne que les arguments présentés par M. Gracey dans son jugement dissident, et bien étayés dans la plaidoirie exhaustive préparée par M. Flavell au sujet d’une autre interprétation possible des dispositions d’exonération, n’ont pas été formulés.

En outre, comme le font ressortir les Débats lors de la deuxième lecture du projet de loi, l’intention du législateur au moment de la refonte de 1985 est une question plus complexe que ce qu’en dit le juge Blair.

Quant à l’autorité citée, la décision La Compagnie Lanka Link Limitée et al. c. M.R.N. (1990), 3 TCT 5136 (C.F. 1re inst.), j’ai lu le raisonnement du juge Rouleau et je ne vois pas en quoi il peut être utile pour résoudre les difficultés d’interprétation de l’article 12. La décision a confirmé la saisie effectuée auprès d’un marchand de pierres précieuses qui, au moment de l’entrée des marchandises au Canada, a déclaré que la valeur de ses « échantillons » s’établissait à 15 000 $, alors qu’en fait, ils valaient 75 000 $ et étaient destinés à la revente. La cause ne traitait pas du tout du sens contesté de l’article 12.

Par conséquent, je conclus que l’arrêt R. v. Cook n’est pas concluant.

c)   L’interprétation administrative

L’interprétation administrative ne saurait en principe exercer sur l’interprétation judiciaire une autorité contraignante. Cependant, lorsqu’il y a matière à interprétation, il est admis que le juge puisse tenir compte de l’interprétation administrative. [Côté, à la page 521.]

La tâche du juge étant de rechercher par les moyens légaux l’intention du législateur, il est normal que l’interprétation administrative joue un rôle de second plan dans le processus interprétatif : …

Ce n’est donc généralement que dans l’hypothèse où un effort raisonnable d’interprétation laisse subsister un doute sur l’intention du législateur que le juge devrait recourir à l’interprétation administrative comme l’un des éléments susceptibles de le conduire à une bonne interprétation. [Côté, aux pages 522 et 523.]

L’assurance dont ont fait preuve les agents des douanes qui ont saisi le Marmalade Skies démontre qu’ils suivaient une pratique administrative bien établie. Manifestement, l’application de la Loi à la frontière canadienne est conforme à l’interprétation avancée par le sous-ministre. Bien que j’aie conclu que cette pratique n’a aucune pertinence dans le cadre de cette analyse d’interprétation de la loi, ce que j’ai entendu dans les plaidoiries sur ses aspects pratiques m’inquiète beaucoup.

J’ai lu dans les arguments qu’il existe apparemment une méthode d’application différentielle générale très largement répandue concernant les dispositions de déclaration prévues à l’article 12. Il est tout à fait manifeste que, pour donner effet à l’interprétation selon laquelle « toutes les marchandises » apportées par quiconque arrive au Canada doivent être déclarées, le régime douanier actuel ne pourrait suffire à la tâche. Donc, comme le prétendait M. Lester dans ses arguments :

[traduction] Dans la pratique de tous les jours, les agents des douanes ne posent pas de question, mais s’il s’agit de bijoux de valeur, ils le font. [Transcription, à la page 66.]

Et, comme l’a constaté M. Halliday, il en est de même pour les bateaux-logements parce que, comme l’a confirmé M. Lester :

[traduction] … [la façon dont la Loi est appliquée] dépend véritablement de l’argent qui est en cause. [Transcription, à la page 66.]

Dans la réalité, comme je l’ai dit, quand il est question d’effets personnels, et ainsi de suite, la Loi n’est pas strictement et littéralement mise en application. [Transcription, à la page 78.]

De quel genre de loi s’agit-il? Quand j’ai posé des questions à ce sujet, voici l’échange qui en a résulté :

[traduction]

M. LESTER : Je pense que ce qui vous dérange, Monsieur le juge, c’est que M. Halliday a eu une attitude tout à fait ouverte et honnête dans les deux occasions. Si je me rappelle bien la preuve, je pense qu’à son arrivée au Canada il s’est présenté aux douanes, il a dit, regardez, j’ai un moteur temporaire et, quand il est revenu, il a dit, maintenant j’ai le nouveau moteur.

LA COUR : S’est-il présenté aux douanes pour déclarer le moteur temporaire?

M. LESTER : Oui, je pense que c’est ce que dit la preuve.

LA COUR : Alors, depuis le début, il a dit tout ce qu’il a fait.

M. LESTER : Bien sûr. Il n’y a pas un soupçon de malhonnêteté ou de tentative de contrebande, ni aucun doute sur la possibilité qu’il ait essayé d’échapper à ses responsabilités ou quelque chose du genre. C’est un cas tout à fait régulier qui expose la question d’une façon claire, et il n’y a pas moyen d’éviter de poser carrément la question.

LA COUR : C’est exact.

M. LESTER : Et je ne recule pas, Monsieur le juge.

LA COUR : C’est ce que je peux constater.

M. LESTER : Peut-être que je devrais.

LA COUR : Je ne sais pas, en fait. Vous savez qu’il faut beaucoup de discipline pour défendre jusqu’au bout une question comme celle que vous essayez de pousser jusqu’à sa logique extrême. Si votre position est exacte, elle a de sérieuses conséquences sur des situations tout à fait honnêtes et régulières.

M. LESTER : Bon, Monsieur le juge, s’il s’agissait d’un véritable problème, j’imagine que nous en aurions eu vent dans la presse ou que des questions auraient été posées au Parlement. La Cour n’est saisie d’aucune preuve tendant à démontrer qu’il y a un problème répandu.

LA COUR : Et bien, je dirais qu’une cause comme celle-là suffit.

M. LESTER : Bon, une cause … Je ne veux pas en faire une cause type de mauvais jugement.

LA COUR : Un mauvais jugement … Bon, la question est …

M. LESTER : Loin de moi l’idée de prétendre que la Cour pourrait rendre un mauvais jugement.

LA COUR : C’est relatif, est-ce que la cause est mauvaise en elle-même ou s’agit-il d’autre chose?

B.        Conclusions

D’après l’analyse précitée, je n’ai aucune hésitation à conclure que l’interprétation proposée par M. Flavell est exacte, et, par conséquent, je la préfère à celle du sous-ministre. En ce qui concerne la préoccupation de M. Lester qui se demande si je pourrais rendre un mauvais jugement, je ne crois pas m’en rendre coupable en interprétant la Loi en faveur de M. Flavell. À mon avis, le mauvais jugement aurait été d’accepter l’interprétation donnée par le sous-ministre.

Son interprétation est mauvaise parce qu’elle favorise un traitement différentiel général et punitif à l’égard de citoyens tout à fait innocents et non informés. C’est une mauvaise interprétation parce que si le Canadien moyen, bien intentionné et moyennement informé connaissait la façon dont l’article 12 est appliqué dans certains cas par les agents des douanes, il ne serait pas seulement étonné, comme l’a été M. Flavell. Je pense qu’il serait plutôt outré.

Cette interprétation est aussi mauvaise parce qu’elle dénote un manque de respect profond pour les honnêtes gens. M. Halliday a été traité d’une manière rude et irrespectueuse. Il a informé les douanes, il s’est présenté quand on le lui a demandé, il a déclaré les marchandises correctement, et après avoir fait tout cela, le bateau-logement a été saisi parce qu’on lui demandait des droits de douane deux fois et demi plus élevés que la valeur du moteur déclaré. Au bout du compte, les droits exigés sont presque équivalents à la valeur du bateau-logement, comme l’a constaté le Tribunal.

Donc, les agents des douanes savaient à l’avance que M. Halliday allait déclarer le moteur, ils ne lui ont pas dit ce qu’ils avaient l’intention de faire s’il déclarait ce moteur, ils ont saisi le bateau-logement, ils l’ont évalué à trois fois sa valeur, et ils ont refusé de le libérer tant que les droits ne seraient pas acquittés. Et tout cela serait autorisé par la Loi et le Tarif. Je ne pense pas que ce soit le cas.

Il convient donc de répondre aux deux questions A et B par l’affirmative. Par conséquent, l’appel est accueilli.

En ce qui a trait à la question des dépens, il existe des raisons spéciales de les accorder en l’espèce. À mon avis, les mesures prises par les agents des douanes avec qui M. Halliday a traité, indépendamment des règles qui étaient en vigueur à l’époque, ont été brutales, injustifiées et inutiles. Je conclus que M. Flavell a dû dépenser énormément de temps et de ressources pour contester ces mesures et, par conséquent, les dépens de l’appel lui sont adjugés.

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