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A-657-97

Le ministre du Revenu national (appelant)

c.

Le grand chef Michael Mitchell alias Kanantakeron (intimé)

et

Le Conseil des Mohawks de Kahnawake, en son nom propre et au nom du peuple mohawk de Kahnawake (intervenant)

Répertorié: Mitchellc. M.R.N. (C.A.)

Cour d'appel, juge en chef Isaac, juges Létourneau et Sexton, J.C.A."Ottawa, 14, 15, 16, 17 septembre et 2 novembre 1998.

Peuples autochtones L'intimé est un Mohawk inscrit d'Akwesasne habitant l'île de CornwallIl a rapporté au Canada divers articles provenant de l'État de New YorkIl les a déclarés à la douane mais a invoqué ses droits ancestraux et droits issus de traités pour refuser d'en acquitter les droits de douaneLe droit ancestral revendiqué est celui de rapporter en franchise des marchandises des États-UnisLe juge de première instance n'a pas assigné une limite géographique à ce droitCe droit est limité au commerce à petite échelle de marchandises rapportées de l'État de New York avec d'autres Premières nations au Québec et en Ontario.

Douanes et accise Loi sur les douanes Il est reproché à l'intimé, qui est un Mohawk d'Akwesasne, de s'être soustrait au paiement de droits de douane sur diverses marchandises, en contravention à l'art. 153c) de la Loi sur les douanesIl invoque le droit de rapporter en franchise au Canada des marchandises achetées aux États-UnisL'art. 22(1) de la Loi sur les douanes de 1970 régit le paiement des droits de douaneLa possibilité de réglementer l'application des droits de douane fait partie intégrante de la LoiLe droit ancestral n'avait pas été éteint avant 1982 par la Loi sur les douanes.

Droit constitutionnel Droits ancestraux ou issus de traités L'intimé, qui est un Mohawk d'Akwesasne, s'est vu reconnaître le droit ancestral de passer librement la frontière entre le Canada et les États-Unis, et de rapporter en franchise des marchandises destinées à l'usage personnel ou communautaireDroit protégé par les art. 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982Le juge de première instance n'a pas assigné une limite géographique à ce droit ancestralLe droit ancestral de l'intimé recouvre celui de se livrer au commerce hors douane à petite échelle avec d'autres Premières nationsLe Traité Jay n'en limite pas la portéeCe droit est protégé par la Constitution sauf extinction antérieureIl n'a pas été éteint par la Loi sur les douanes.

Il y a appel et appel incident de la décision de la Section de première instance déclarant entre autres que l'intimé jouit, en tant que Mohawk d'Akwesasne résidant au Canada, du droit ancestral existant de passer librement la frontière Canada-États-Unis, y compris le droit d'introduire en franchise au Canada, à partir des États-Unis, des marchandises pour usage personnel ou communautaire. Le 22 mars 1988, celui-ci est entré au Canada par l'île de Cornwall, avec divers articles en provenance de l'État de New York. Il les a déclarés au poste de douane de Cornwall mais a refusé d'en payer les droits, en invoquant l'exemption tenant à un droit ancestral existant ainsi qu'à des droits issus de traités. Les agents de douane n'ont pas saisi ces articles, mais lui ont signifié qu'il s'était soustrait au paiement des droits de douane y afférents, en contravention à l'alinéa 153c) de la Loi sur les douanes. Le juge de première instance a conclu entre autres que le droit ancestral en question recouvrait celui de rapporter des marchandises pour usage personnel ou communautaire des États-Unis au Canada, aux fins de commerce à petite échelle avec les Premières nations. Il a aussi posé pour règle que tout Mohawk d'Akwesasne rapportant au Canada des marchandises des États-Unis sera soumis aux modalités de fouille et de déclaration en douane, puis a conclu que toute disposition de la Loi sur les douanes qui est incompatible avec ce droit ancestral est nulle et non avenue dans les limites de cette incompatibilité. Deux points principaux ont été examinés en appel: 1) la nature, la portée et l'étendue du droit ancestral reconnu par le juge de première instance, et 2) l'argument que celui-ci a commis une erreur en concluant que le droit de l'intimé n'avait pas été éteint par la Loi sur les douanes avant 1982 (année où fut consacrée la protection constitutionnelle des droits issus des traités).

Arrêt: il faut faire droit en partie à l'appel, et rejeter l'appel incident.

Le juge Létourneau, J.C.A.: 1) Le droit revendiqué par l'intimé est celui de rapporter en franchise au Canada des marchandises achetées aux États-Unis. Le juge de première instance a transformé par inadvertance le droit ancestral d'exemption des droits de douane, que revendique l'intimé, en droit de libre circulation internationale, savoir celui de traverser librement la frontière entre le Canada et les États-Unis, lequel recouvrirait aussi celui d'être exempté des droits de douane. Le droit de libre circulation internationale reconnu de ce fait à l'intimé est d'une portée bien plus large que le droit revendiqué à l'origine puisqu'il peut impliquer l'existence et l'exercice de droits litigieux de libre circulation personnelle, économique et commerciale. Les ramifications légales d'un tel droit ne se limitent pas à la Loi sur les douanes; elles s'étendent à la Loi sur la citoyenneté, à la Loi sur l'immigration, à la Loi sur l'extradition et aux diverses lois respectives des provinces sur le droit d'y résider et d'y gagner sa vie. Le jugement déclaratoire de première instance pèche par défaut de fixer la portée géographique du droit ancestral de l'intimé. L'État canadien a un intérêt légitime et urgent à protéger ses frontières, et les droits ancestraux existants, dans les cas où ils sont reconnus et protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, doivent être subordonnés à la souveraineté de la Couronne. La reconnaissance de nos jours du droit ancestral de l'intimé est subordonnée à la condition en premier lieu qu'il l'exerce par la déclaration des marchandises au poste de douane de Cornwall et, en second lieu, qu'il le revendique seulement pour les marchandises achetées dans l'État de New York. Les preuves produites ne justifient pas la conclusion tirée par le juge de première instance que le droit ancestral dont jouit l'intimé lui permet de rapporter des États-Unis des marchandises destinées au commerce à petite échelle avec tous les membres des Premières nations. Par cette conclusion, le juge de première instance a surestimé la portée du droit ancestral en question.

L'intimé revendique en fait le droit à l'exemption, dont le contenu est le même, que la source en soit les usages et traditions des Mohawks ou les termes du Traité Jay, lequel est considéré comme consacrant ces usages et traditions. Rien dans le premier paragraphe de l'article III de ce traité ne prouve la volonté des signataires d'exempter des droits de douane le commerce et les échanges qui reprendraient entre les deux États. Le deuxième paragraphe pose clairement pour règle l'obligation de payer les droits de douane sur toutes les marchandises dont l'importation n'est pas interdite. L'article III du Traité Jay avait pour but de garantir la liberté de commerce à tout un chacun, et non le commerce sans droits ni taxes. Le droit ancestral que revendique l'intimé est celui de rapporter, au passage de la frontière internationale sur l'île de Cornwall et sans en payer les droits de douane ou taxes au gouvernement ou aux autorités canadiennes, des marchandises achetées dans l'État de New York pour son usage ou consommation personnelle, ou pour l'usage ou la consommation des membres de la communauté d'Akwesasne. Il y a lieu de réformer en conséquence le premier paragraphe de la décision de première instance.

2) L'appelant ne s'est pas acquitté de la charge de prouver que la Loi sur les douanes exprime la volonté "claire et expresse" nécessaire pour l'extinction du droit ancestral. À la suite de l'adoption de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 , il est clair que si ce droit avait été éteint, il faut qu'il l'ait été avant 1982. Le texte actuellement en vigueur n'a donc pas application à l'égard de la question de l'extinction. Les articles 9 et 18 de la Loi sur les douanes de 1970, qu'invoque l'appelant, ne portent pas sur la question des droits de douane et ne peuvent donc avoir pour effet d'éteindre le droit ancestral d'importer en franchise des articles pour usage personnel ou communautaire. Le fait que le gouverneur en conseil peut réglementer l'application des droits prévus par la Loi sur les douanes ne s'accorde pas avec l'assertion par l'appelant que celle-ci exclut absolument toute importation en franchise. La possibilité de réglementer l'application des droits de douane n'est pas seulement une disposition incidente mais fait partie intégrante de la Loi; elle figure toujours dans le texte actuellement en vigueur. Les preuves produites ne révèlent pas chez les autorités responsables d'appliquer la Loi sur les douanes une intention claire d'éteindre le droit ancestral de l'intimé.

Le juge Sexton, J.C.A.: Le juge de première instance n'a pas commis une erreur en jugeant que le droit ancestral de l'intimé s'entend également du droit de rapporter des marchandises destinées au petit négoce (droit au commerce hors douane) avec d'autres Premières nations. Cette décision n'est pas subordonnée à sa conclusion que l'article III du Traité Jay confère exactement le même droit. Il n'a donc pas commis une erreur tangible et dirimante qui justifie l'intervention de la Cour. Avant de parvenir à cette conclusion, il a dûment examiné toutes les preuves produites au sujet du commerce qui se faisait avant l'arrivée des Européens. Ces preuves fondent sa conclusion que le droit ancestral de l'intimé recouvrait le droit au commerce hors douane et à petite échelle avec d'autres Premières nations. Son interprétation du Traité Jay justifiait sa conclusion que le droit ancestral en cause recouvrait celui au commerce hors douane. Ce traité ne pourrait jamais être invoqué pour limiter la portée des droits ancestraux. Une fois jugé que la condition de l'existence d'un droit ancestral est remplie, ce droit est protégé par la Constitution sauf extinction antérieure. Le fait que des Autochtones ont pu se voir reconnaître une forme plus limitée du droit ancestral dans un traité international ne peut servir à limiter le droit qui est protégé par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le juge de première instance n'a commis aucune erreur en se fondant sur le Traité Jay pour conclure à l'existence du droit ancestral au commerce hors douane. Il n'a cependant assigné aucune limite géographique au droit ancestral en question. La manifestation contemporaine de ce droit est le droit d'acheter des marchandises en n'importe quel lieu de l'État de New York et de les rapporter en franchise à travers la frontière entre cet État et le Québec ou l'Ontario. Ce commerce était limité aux membres des Premières nations du Québec, de l'Ontario et de l'État de New York. En conséquence, le droit de l'intimé est encore limité aux marchandises destinées à l'usage personnel ou communautaire, ou au commerce à petite échelle avec d'autres Premières nations en Ontario ou au Québec.

lois et règlements

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35, 52.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 32(6) (mod. par L.C. 1992, ch. 28, art. 5), 131 (mod. par L.C. 1993, ch. 25, art. 84), 153c).

Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40, art. 9, 18, 22(1),(3).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E-23.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663.

Traité de Ghent (1814).

Traité d'Utrecht (1713).

Traité Jay (1794).

jurisprudence

décision appliquée:

R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101; (1996), 138 D.L.R. (4th) 657; 110 C.C.C. (3d) 97; [1996] 4 C.N.L.R. 1; 202 N.R. 89.

décisions citées:

Watt c. Liebelt et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 82 F.T.R. 57 (C.F. 1re inst.); Ekiu v. United States, 142 U.S. 651 (1892); Attorney-General for Canada v. Cain, [1906] A.C. 542 (P.C.); R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312; (1996), 110 C.C.C. (3d) 1; 202 N.R. 49; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241; R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; (1996), 80 B.C.A.C. 81; 200 N.R. 1; 130 W.A.C. 81; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723; (1996), 137 D.L.R. (4th) 648; [1996] 9 W.W.R. 149; 79 B.C.A.C. 161; 23 B.C.L.R. (3d) 155; 109 C.C.C. (3d) 193; [1996] 4 C.N.L.R. 65; 50 C.R. (4th) 111; 200 N.R. 189; 129 W.A.C. 161; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010.

doctrine

Beaudoin, Gérald A. et Errol P. Mendes, éds. Charte canadienne des droits et libertés, 3e éd. Montréal: Wilson & Lafleur, 1996.

Brun, Henri et Guy Tremblay. Droit constitutionnel, 3e éd. Cowansville (Qué.): Éditions Yvon Blais, 1997.

Richter, Daniel, "Ordeal of the Longhouse: The Five Nations in Early American History" in D. K. Richter and J. H. Merrel eds., Beyond the Covenant Chain: The Iroquois and their Neighbors in Indian North America 1600-1800 , Syracuse, N.Y.: Syracuse University Press, 1987.

van den Bogaert, Harmen Meyndertsz. A Journey into Mohawk and Oneida Country, 1634-1635, Syracuse, N.Y.: Syracuse University Press, 1988.

APPEL et APPEL INCIDENT relatifs au jugement de la Section de première instance ((1997), 134 F.T.R. 1) déclarant que l'intimé jouit, en tant que Mohawk d'Akwesasne résidant au Canada, d'un droit ancestral existant que protègent les articles 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, pour passer librement la frontière Canada-États-Unis, lequel droit s'entend également de celui d'introduire en franchise au Canada, à partir des États-Unis, des marchandises pour usage personnel ou communautaire. Appel accueilli en partie, appel incident rejeté.

ont comparu:

Graham R. Garton, c.r., et Sandra E. Phillips pour l'appelant.

Peter W. Hutchins, Anjali Choksi et Paul Williams pour l'intimé.

François Dandonneau pour l'intervenant.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.

Hutchins, Soroka & Dionne, Montréal, pour l'intimé.

Conseil des Mohawks de Kahnawake, Services juridiques, Kahnawake (Québec), pour l'intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Létourneau, J.C.A.: Il y a en l'espèce appel contre une décision fort méthodique du juge McKeown, de la Section de première instance, rendue le 27 juin 1997 [(1997), 134 F.T.R. 1] par laquelle ce dernier a prononcé en faveur de l'intimé, le grand chef Mitchell, un jugement déclarant notamment que celui-ci [à la page 75] "en tant que Mohawk d'Akwesasne résidant au Canada, a, en raison d'un droit ancestral existant constitutionnellement protégé par les articles 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 , le droit de passer et de repasser librement l'actuelle frontière Canada-États-Unis, y compris le droit d'introduire au Canada, à partir des États-Unis, des marchandises destinées à un usage personnel et communautaire, sans acquitter de droits de douane".

Dans son jugement déclaratoire, le juge de première instance a conclu que les marchandises destinées à l'usage personnel et communautaire s'entendaient des denrées alimentaires, des biens domestiques et des articles utilisés dans le cadre des coutumes des Premières nations, et que le droit ancestral en question recouvrait celui de rapporter ces articles des États-Unis au Canada aux fins d'échanges non commerciaux avec les Premières nations.

Pour ce qui est des limitations, il a exclu de ce droit ancestral l'importation au Canada des armes à feu quelles qu'elles soient, des drogues prohibées ou à usage restreint, de l'alcool, des plantes, etc. Il en a encore limité l'exercice en posant pour règle que tout Mohawk d'Akwesasne rapportant au Canada des marchandises des États-Unis sera soumis aux modalités de fouille et de déclaration en douane.

Enfin, il a déclaré que toute disposition de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, qui est incompatible avec le droit ancestral en cause est nulle et non avenue dans les limites de cette incompatibilité.

Cependant, pour parvenir à cette conclusion, il a rejeté deux autres prétentions de l'intimé. La première était que son droit à l'exemption des douanes était aussi garanti ou protégé par l'article XV du Traité d'Utrecht [1713], l'article III du Traité Jay [1794] et l'article IX du Traité de Ghent [1814]. La seconde était que les cinq conseils ou rencontres1 tenus par les représentants de la Couronne britannique pour expliquer le Traité de Ghent à divers groupes autochtones et pour les rassurer à ce sujet équivalaient à des traités et créaient de ce fait des droits protégés par les articles 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Pour ce qui est du droit ancestral en cause, l'intimé soutenait que ces droits issus de traités n'avaient pas été éteints par la Loi sur les douanes.

L'intimé a formé appel incident contre le rejet de ces deux prétentions et contre les motifs pris à cet effet par le juge de première instance.

Je me propose de me prononcer en premier lieu sur l'appel incident. La Cour a entendu les conclusions de l'appelant à l'incident sur les points ci-dessus et a demandé à l'avocat du ministre du Revenu national (le ministre) de répondre uniquement aux deux questions suivantes: savoir si les cinq rencontres ou conseils équivalaient à des traités ou créaient des droits issus de traités, que garantit l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, entre la Couronne britannique et les Mohawks d'Akwesasne et, dans l'affirmative, si ces droits ont été éteints avant 1982.

Après examen attentif de la décision de première instance et des conclusions des parties ainsi que de l'intervenant, je juge que l'appel incident n'est pas fondé. Je partage les conclusions du juge de première instance essentiellement pour les mêmes motifs. Je me prononce donc pour le rejet de l'appel incident avec dépens.

L'appelant soulève plusieurs points mais, à mon avis, il suffit d'examiner deux d'entre eux: la nature, la portée et l'étendue du droit ancestral reconnu par le juge de première instance et l'argument que celui-ci a commis une erreur en concluant que le droit de l'intimé n'avait pas été éteint par la Loi sur les douanes avant 1982.

Les faits de la cause et la procédure

Il convient cependant de faire un bref rappel des faits de la cause, qui permettra de mieux saisir la nature du droit revendiqué en l'espèce. L'intimé est un Mohawk d'Akwesasne, inscrit sous le régime de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5. Il habite l'île de Cornwall, laquelle fait partie de la réserve indienne d'Akwesasne, en Ontario.

Il est entré au Canada en provenance de l'État de New York le 22 mars 1988 par l'île de Cornwall, avec divers articles (une machine à laver, 20 bibles, 10 couvertures, des articles vestimentaires usagés, 10 pains, deux livres de beurre, quatre gallons de lait, six sacs de biscuits, 12 boîtes de soupe en conserve et une caisse d'huile à moteur) qu'il avait achetés aux États-Unis. Ces articles étaient des cadeaux destinés aux résidents de la réserve indienne de Tyendinaga près de Belleville (Ontario), sauf l'huile à moteur que l'intimé se proposait de livrer au magasin Jock's Store dans l'île de Cornwall pour la revente aux résidents de la réserve qui s'y trouvent.

L'intimé a déclaré ces articles au poste de douane de Cornwall mais a refusé d'en payer les droits de douane, en invoquant l'exemption tenant à un droit ancestral existant ainsi qu'à des droits issus de traités. Les agents des douanes n'ont pas saisi ces articles et ont laissé l'intimé partir pour la réserve de Tyendinaga. Le 15 septembre 1989, l'intimé s'est vu signifier un avis de confiscation compensatoire en application de la Loi sur les douanes, lequel avis indiquait qu'il s'était soustrait au paiement des droits de douane sur les articles en question, en contravention à l'alinéa 153c) de cette Loi. Par la suite, le ministre a exigé le paiement de 361,64 $, dont 142,88 $ de droits non acquittés, 98,21 $ de taxe de vente non acquittée et une pénalité de 120,55 $ correspondant à la moitié des droits et taxes non acquittés.

L'intimé a demandé que le ministre rende une décision à ce sujet en application de l'article 131 [mod. par L.C. 1993, ch. 25, art. 84] de la Loi sur les douanes. Celle-ci ne l'ayant pas satisfait, il l'a contestée par voie d'action intentée devant la Section de première instance.

La nature, la portée et l'étendue du droit ancestral en cause

Dans sa déclaration (Dossier d'appel, vol. 1, paragraphe 42(a), de la page 7), l'intimé demandait un jugement déclarant que "le demandeur, en tant que Mohawk d'Akwesasne résidant au Canada, est titulaire d'un droit ancestral existant, constitutionnellement protégé par les articles 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 , lui permettant de passer et de repasser librement ce qui est maintenant la frontière Canada-États-Unis avec ses marchandises sans avoir à acquitter à un gouvernement ou autre autorité canadienne des taxes ou des droits de douane".

Il est clair que le droit revendiqué par l'intimé est celui de rapporter en franchise au Canada des marchandises achetées aux États-Unis. Les débats en première instance portaient exclusivement sur la portée et les effets de la Loi sur les douanes sur le droit de l'intimé à l'exemption de droits de douane. Cependant, dans ses conclusions écrites en première instance, l'intimé a modifié le texte du jugement déclaratoire recherché et, de ce fait, a changé la nature et le contenu mêmes du droit qu'il revendiquait. Il n'avait demandé ni obtenu une autorisation de modifier la déclaration conformément aux Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663]. Le juge de première instance a rendu le jugement déclaratoire selon la formulation contenue dans ces conclusions. Le premier paragraphe de ce jugement déclaratoire porte [à la page 75]:

1. Le demandeur, en tant que Mohawk d'Akwesasne résidant au Canada, a, en raison d'un droit ancestral existant constitutionnellement protégé par les articles 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, le droit de passer et de repasser librement l'actuelle frontière Canada-États-Unis, y compris le droit d'introduire au Canada, à partir des États-Unis, des marchandises destinées à un usage personnel et communautaire, sans acquitter de droits de douane. [Non souligné dans l'original.]

De fait, le juge de première instance a transformé par inadvertance le droit ancestral d'exemption des droits de douane, que revendique l'intimé, en droit de libre circulation internationale, savoir celui de traverser librement la frontière entre le Canada et les États-Unis, lequel recouvrirait aussi, entre autres droits non définis, celui d'être exempté des droits de douane.

Le droit de libre circulation internationale, reconnu à l'intimé, n'est pas, ne serait-ce qu'en théorie, de la même nature ni de la même importance que le droit revendiqué à l'origine. Il est d'une portée bien plus large puisqu'il peut impliquer l'existence et l'exercice de droits litigieux de libre circulation personnelle, économique et commerciale, comme le droit de résidence et le bénéfice des autres droits implicites découlant de la résidence, le droit de posséder un passeport et celui de travailler ou de gagner sa vie2. Les ramifications légales d'un tel droit ne se limitent pas à la Loi sur les douanes. Elles s'étendent à la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29], à la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], à la Loi sur l'extradition [L.R.C. (1985), ch. E-23] et aux diverses lois respectives des provinces sur le droit d'y résider et d'y gagner sa vie. Cependant, aucune de ces questions n'a été débattue par les parties ni abordée par le juge de première instance puisque les débats étaient focalisés sur l'exemption des droits de douane et la Loi sur les douanes.

L'intimé revendique son droit de libre circulation internationale en sa qualité de citoyen de la nation Mohawk. Je serais enclin à convenir avec l'avocat de l'appelant qu'un droit ancestral d'entrée dans un État souverain, droit qui ne serait pas fondé sur la citoyenneté, ne peut se concilier avec le droit de cet État de se protéger par le contrôle nécessaire de ses frontières. Dès 1892, la Cour suprême des États-Unis a confirmé le lien entre la souveraineté et le contrôle de la frontière de l'État:

[traduction] C'est une maxime de droit international que toute nation souveraine a le pouvoir, inhérent à sa souveraineté, et essentiel à sa propre protection, d'interdire l'entrée des étrangers sur son territoire ou de ne les admettre que dans les cas ou dans les conditions qu'elle juge bon de prescrire3.

J'examinerai donc le droit ancestral revendiqué sous l'angle de l'exemption des droits de douane à l'entrée au Canada en provenance des États-Unis. À cet égard, le jugement déclaratoire de première instance pèche par défaut d'en fixer la portée géographique. Tel quel, il signifie que l'intimé peut passer la frontière canadienne en Colombie-Britannique et se prévaloir de l'exemption des droits de douane sur des marchandises achetées en Californie. Or, les preuves produites devant le juge de première instance, qu'il s'agisse de tradition orale, de témoignages d'expert ou de preuves documentaires, sur les usages, coutumes et traditions du passé, ni n'établissent l'existence ni ne justifient la reconnaissance d'un droit ancestral sans aucune limitation géographique claire et spécifique.

En effet, l'avocat de l'intimé, pressé par la Cour à ce sujet, a reconnu en toute responsabilité que les preuves relatives aux déplacements et au commerce des Mohawks avant et durant le contact avec les Européens se rapportent aux passages de la frontière entre ce qui est maintenant l'État de New York et les provinces de Québec et d'Ontario. Les preuves historiques font état d'une voie de communication Montréal-Albany (État de New York), partant du village mohawk de la vallée des Mohawks dans l'État de New York au nord-ouest du site actuel de la ville d'Albany pour rejoindre le nord de la vallée du Saint-Laurent et comprenant, vers 1747 au plus tôt, le site de l'actuelle réserve d'Akwesasne. Ce site a ceci d'unique qu'il se trouve à la fois au Québec, en Ontario et dans l'État de New York, et les membres de la communauté mohawk qui vivent dans la réserve doivent traverser régulièrement la frontière entre le Canada et les États-Unis pour se rendre visite.

Selon la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur l'exercice légitime de la souveraineté du gouvernement du Canada et sur l'interprétation correcte des droits ancestraux existants (voir R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312, à la page 322; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, à la page 1093; et R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, à la page 539), l'État canadien a un intérêt légitime et urgent à protéger ses frontières, et les droits ancestraux existants doivent être "confirmés dans leur état actuel plutôt que dans leurs simplicité et vigueur primitives", et dans les cas où ces droits sont reconnus et protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 , ils doivent être réconciliés avec la souveraineté de la Couronne. En outre, comme l'a fait observer le juge en chef Lamer dans R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101, en page 119:

En effet, même si un droit ancestral s'attache à une parcelle de terrain dont le titre n'appartient pas au peuple autochtone concerné, ce droit peut fort bien être spécifique à un site et, en conséquence, ne pouvoir être exercé que sur cette parcelle de terrain spécifique [. . .] Un droit de chasse ou de pêche spécifique à un site ne devient pas, du seul fait qu'il existe indépendamment du titre aborigène sur le territoire où il a été exercé, un droit de chasse ou de pêche abstrait, pouvant être exercé n'importe où; il demeure un droit de chasse ou de pêche sur la parcelle de terrain en question.

Conformément à ces principes et étant donné la preuve, administrée en première instance, qu'en l'espèce, le soi-disant usage chez les résidents mohawks. d'Akwesasne de rapporter au Canada des marchandises en provenance des États-Unis, sans en payer les droits de douane, se limitait spécifiquement à l'État de New York et à la réserve d'Akwesasne, je conclus que la reconnaissance de nos jours du droit ancestral de l'intimé est subordonnée à la condition en premier lieu qu'il l'exerce par la déclaration des marchandises au poste de douane de Cornwall et, en second lieu, qu'il le revendique seulement pour les marchandises achetées dans l'État de New York. Cette condition représente la conciliation raisonnable de l'exercice de la souveraineté actuelle de l'État et du droit ancestral de l'intimé à l'exemption de l'obligation générale de payer les droits de douane.

D'ailleurs, les preuves produites ne justifient pas la conclusion tirée par le juge de première instance en page 72 de sa décision que le droit ancestral dont jouit l'intimé lui permet de rapporter des États-Unis des marchandises destinées à des échanges non commerciaux avec tous les membres des Premières nations. À ce propos encore, et l'avocat de ce dernier l'a reconnu à l'audience, le troc aurait été, par le passé, limité géographiquement aux membres des Premières nations au Québec, en Ontario et dans l'État de New York. Ainsi donc, à supposer que le droit ancestral s'étende aux échanges non commerciaux, l'exercice en a été, au mieux, plus restreint et, en conséquence, limité aux membres des Premières nations vivant dans ces deux provinces. Je pense qu'à cet égard, tout comme dans l'énumération des marchandises qui pourraient être importées en franchise, le juge de première instance a surestimé la portée du droit ancestral en question.

Après avoir rappelé l'assertion faite par l'intimé que les termes du Traité Jay expriment le contenu du droit ancestral revendiqué en l'espèce, il a conclu en page 71 de sa décision que ce libellé "renforce l'idée que le droit ancestral en question est le droit de se livrer à un commerce à petite échelle". Il a décidé ensuite [à la page 72] que les marchandises visées à l'article III du Traité Jay sont les marchandises destinées à un "usage personnel ou communautaire" et, à la même page, que les termes de ce traité confirment que ce droit englobe celui de se livrer au troc avec d'autres Premières nations. Il faut rappeler que l'intimé revendique en fait un droit à l'exemption, dont le contenu est le même, que la source en soit les usages et traditions des Mohawk ou les termes du Traité Jay, lequel est considéré comme consacrant ces usages et traditions.

L'article III de ce traité porte notamment:

[traduction] Il est convenu qu'il sera en tout temps libre aux sujets de Sa Majesté et aux citoyens des États-Unis, ainsi qu'aux Indiens résidant sur l'un ou l'autre côté des frontières, de passer et repasser librement par terre ou par la navigation intérieure dans les territoires et pays des deux parties respectivement, sur le continent de l'Amérique (le pays en dedans des limites de la Compagnie de la Baie d'Hudson seulement excepté) et de naviguer sur tous les lacs et rivières d'iceux et d'avoir un commerce libre les uns avec les autres.

Tous les biens et marchandises, dont l'importation dans lesdits territoires de Sa Majesté en Amérique, ne sera pas entièrement interdite, pourront librement, aux fins du commerce, être transportés dans lesdits territoires de la manière prévue, par les citoyens des États-Unis, et ces biens et marchandises ne seront pas soumis à des droits de douane plus élevés que ceux auxquels sont tenus les sujets de Sa Majesté pour l'importation de ces mêmes marchandises d'Europe dans lesdits territoires. De même manière, tous les biens et marchandises dont l'importation aux États-Unis ne sera pas entièrement interdite, pourront librement, aux fins du commerce, être importés aux États-Unis, de la manière prévue, par les sujets de Sa Majesté, et ces biens et marchandises ne seront pas assujettis à des droits de douane plus élevés que ceux auxquels seraient tenus les citoyens des États-Unis dans le cadre de l'importation de ces mêmes marchandises à bord de vaisseaux américains dans les ports atlantiques desdits États-Unis. Et tous les biens dont l'exportation n'est pas interdite à partir desdits territoires, pourront de même manière être transportés de ces territoires par les deux parties respectivement, sur paiement des droits prévus.

Il ne sera levé par aucune des parties aucun droit d'entrée sur les pelleteries apportées par terre ou par la navigation intérieure dans lesdits territoires respectivement, et les Indiens passant ou repassant avec leurs propres effets et marchandises, de quelque nature qu'ils soient, ne seront sujets pour iceux à aucun droit ou impôt quelconque. Mais les marchandises en balles, ou autres gros paquets, qui ne sont pas communs parmi les Indiens, ne seront point considérés comme des marchandises appartenant bona fide aux Indiens4.

Le premier de ces trois paragraphes ne fait qu'énoncer que tous les belligérants, savoir les sujets britanniques, les citoyens des États-Unis et les Indiens, qui avaient combattu pour l'une ou l'autre partie de part et d'autre de la frontière, seraient libres d'utiliser les routes, les voies de navigation intérieure, les rivières et les lacs des deux côtés de la frontière, et de reprendre entre eux le commerce qui avait été, en toute probabilité, interrompu par la guerre. Les signataires du traité s'engageaient à permettre l'usage commun des voies de communication par terre et par eau des deux côtés de la frontière. Il y a lieu de noter que cette liberté n'était pas réservée aux Indiens. Elle est reconnue à tout un chacun et, de ce fait, n'est pas d'un grand secours pour ce qui est de prouver l'existence et de définir le contenu du droit ancestral à l'exemption des droits de douane, tel que le revendique l'intimé.

Qui plus est, il n'y a rien dans ce paragraphe, en particulier lorsqu'il est examiné à la lumière des deux paragraphes suivants, qui prouve la volonté des signataires d'exempter des droits de douane le commerce et les échanges qui reprendraient entre les deux États. Au contraire, le droit reconnu à tout un chacun est d'avoir un commerce libre les uns avec les autres, et non d'avoir un commerce hors douane les uns avec les autres (c'est moi qui souligne). En d'autres termes, l'article III du Traité Jay avait, après une période perturbatrice de haine et d'hostilité engendrées par la guerre, pour but de garantir la liberté de commerce à tout un chacun, et non le commerce sans droits ni taxes.

De fait, le deuxième paragraphe pose clairement pour règle l'obligation de payer les droits de douane sur toutes les marchandises dont l'importation n'est pas interdite. Le troisième paragraphe prévoit expressément l'exemption des droits de douane pour les seules pelleteries et, en faveur des Indiens, pour leurs propres effets et marchandises.

L'exemption limitée de droits de douane accordée aux Indiens accompagnés de leurs propres effets et marchandises s'applique, à mon avis, aux articles destinés à leur usage personnel ainsi qu'aux articles appartenant à leur communauté et destinés à l'usage communautaire ou collectif des membres de cette dernière. Elle ne leur permet pas d'importer en franchise d'autres marchandises aux fins d'échanges non commerciaux. À preuve la limitation suivante de l'exception, qui figure dans la dernière phrase du paragraphe:

Mais les marchandises en balles, ou autres gros paquets, qui ne sont pas communs parmi les Indiens, ne seront point considérés comme des marchandises appartenant bona fide aux Indiens.

Cette limitation signifie que les marchandises transportées en grande quantité ou en quantité excédant ce qui correspond habituellement aux effets personnels ou communautaires ne sauraient raisonnablement être considérées comme des "propres effets et marchandises" exemptés de droits et taxes. Elles sont considérées comme marchandises destinées au commerce et, de ce fait, sont assujetties aux droits de douane.

Pour récapituler la portée et le contenu du droit ancestral revendiqué par l'intimé, je suis d'avis que ce droit est celui de rapporter, au passage de la frontière internationale sur l'île de Cornwall et sans en payer les droits de douane ou taxes au gouvernement ou aux autorités canadiennes, des marchandises achetées dans l'État de New York pour son usage ou consommation personnelle, ou pour l'usage ou consommation des membres de la communauté d'Akwesasne. Il y a donc lieu de réformer en conséquence le premier paragraphe de la décision de première instance.

Le droit ancestral a-t-il été éteint par la Loi sur les douanes avant 1982?

En appel, le ministre soutient que le droit ancestral en question avait été éteint par les dispositions de la Loi sur les douanes, lesquelles, dit-il, imposent à chacun l'obligation générale de déclarer à l'entrée au Canada toutes les marchandises qu'il se propose d'importer.

Il n'est pas nécessaire d'approfondir cet argument. Je partage la conclusion du juge de première instance que l'appelant ne s'est pas acquitté de la charge de prouver que la Loi sur les douanes exprime la volonté "claire et expresse" nécessaire pour l'extinction de ce droit ancestral.

Outre les motifs prononcés à ce sujet en première instance, il y a lieu de rappeler que la Loi sur les douanes prévoit l'exemption des droits par voie de réglementation, et que son application aux Mohawks d'Akwesasne au XIXe et au XXe siècle a été sporadique et changeante.

L'appelant cite uniquement l'obligation de déclarer les marchandises à l'entrée, que prévoient la Loi sur les douanes de 1985 et ses prédécesseurs, pour soutenir que le droit ancestral en cause avait été éteint. À la suite de l'adoption de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, il est clair que si ce droit avait été éteint, il faut qu'il l'ait été avant 1982. Le texte actuellement en vigueur n'a donc pas application à l'égard de la question de l'extinction. L'appelant ne peut donc invoquer que la Loi sur les douanes de 1970 (S.R.C. 1970, ch. C-40) et ses prédécesseurs. Il s'appuie sur les articles 9 et 18 de la Loi de 1970, lesquels, dit-il, ont été continuellement en vigueur au Canada depuis 1906. Les voici:

9. Tous effets importés au Canada, soit par mer, soit par terre, par voie de cabotage ou de navigation intérieure, qu'ils soient imposables ou non, doivent être apportés dans un port ou lieu d'entrée où un bureau de douane est légalement établi.

[. . .]

18. Toute personne ayant la charge d'un véhicule, autre qu'une voiture de chemin de fer, arrivant au Canada, comme toute personne arrivant au Canada à pied ou autrement, doit

a) se rendre au bureau de douane le plus rapproché de l'endroit où elle est arrivée au Canada, ou au poste du préposé le plus rapproché de cet endroit si ce poste en est plus rapproché qu'un bureau de douane;

b) avant d'en effectuer le déchargement ou d'en disposer de quelque façon, faire connaître par écrit au receveur ou préposé compétent, à ce bureau de douane ou à ce poste, tous les effets dont elle a la charge ou garde ou dans le véhicule, et les garnitures, équipements et accessoires du véhicule, et tous animaux qui le traînent ainsi que leurs harnais et attelages, de même que les quantités et les valeurs des effets, équipements, accessoires, harnais et attelages en question; et

c) sur-le-champ répondre véridiquement à telles questions, relatives aux articles mentionnés dans l'alinéa b), que lui pose le receveur ou préposé compétent et faire à ce sujet une déclaration en bonne forme ainsi que l'exige la loi.

On peut voir immédiatement que les dispositions invoquées par l'appelant ne portent pas sur la question des droits de douane et ne peuvent donc avoir pour effet d'éteindre le droit ancestral d'importer en franchise des articles d'usage personnel ou communautaire. L'appelant n'a pas invoqué les dispositions se rapportant expressément aux droits de douane, mais à l'analyse on voit que même celles-ci n'expriment pas la volonté claire et expresse d'éteindre le droit en question. Le paragraphe 22(1) de la Loi sur les douanes de 1970, qui régit le paiement des droits de douane, prévoit ce qui suit:

22. (1) À moins que les effets ne soient destinés à l'entreposage de la manière prescrite par la présente loi, l'importateur doit, lors de la déclaration d'entrée,

a) payer ou faire payer tous les droits dus sur tous les effets déclarés à l'entrée;

[. . .]

et le receveur ou autre préposé compétent doit immédiatement, dès lors, accorder son autorisation pour le débarquement de ces effets et accorder un laissez-passer ou permis de les transporter plus loin au Canada, si l'importateur le demande.

Le paragraphe 22(1) pose la règle générale du paiement des droits de douane sur toutes marchandises. Le paragraphe 22(3) habilite cependant le gouvernement à en exempter par règlement certaines marchandises:

22. [. . .]

(3) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements prescrivant

a) les conditions auxquelles des effets peuvent être entrés au Canada sans que l'exportateur soit tenu, lors de l'entrée, de payer ou de faire ainsi payer tous les droits visant les effets ainsi déclarés à l'entrée; [. . .]

Le fait que le gouverneur en conseil peut réglementer l'application des droits prévus par la Loi sur les douanes ne s'accorde pas avec l'assertion par l'appelant que celle-ci exclut absolument toute importation en franchise. Il conforte la conclusion tirée en première instance que cette Loi est plutôt de nature réglementaire, tout comme la législation applicable dans les causes R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, et R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075. Je note que la possibilité de réglementer l'application des droits de douane n'est pas seulement une disposition incidente mais fait partie intégrante de la Loi; elle figure toujours dans le texte actuellement en vigueur5.

En ce qui concerne l'application de la Loi sur les douanes, les preuves produites ne révèlent pas chez les autorités responsables de l'appliquer une intention claire d'éteindre le droit en question. De fait, pendant de longs intervalles durant la période allant de 1900 aux années 1950, les Autochtones n'étaient pas tenus au paiement de droits de douane sur leurs effets personnels. En accordant cette franchise, les agents de douane n'agissaient pas de leur propre chef, mais suivaient les instructions des hautes autorités. Il ressort de ces preuves que différents niveaux d'autorité toléraient et encourageaient ce traitement à l'égard des Autochtones en matière de droits de douane. En 1951 encore, le sous-ministre de la Justice pensait que les Autochtones avaient le droit de rapporter des effets personnels en franchise des droits de douane. C'est ce qui ressort d'une lettre du sous-ministre de la Citoyenneté au sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise, et dans laquelle se trouve cet avis du sous-ministre de la Justice:

[traduction] En ce qui concerne l'importation en franchise au Canada de marchandises en provenance des États-Unis, j'estime qu'elle dépendra des circonstances de chaque cas d'espèce. Aux termes de l'article III, "les Indiens passant ou repassant avec leurs propres effets et marchandises, de quelque nature qu'ils soient, ne seront sujets pour iceux à aucun droit ou impôt quelconque". En conséquence, la réponse dépendra dans chaque cas du point de savoir si l'article en question fait partie des propres effets et marchandises de l'Indien. Mais les marchandises en balles, ou autres gros paquets, qui ne sont pas communs parmi les Indiens, seront assujettis aux droits de douane.

Enfin, on peut rapprocher le traitement préférentiel réservé aux Indiens à la frontière de l'attitude manifestée par les autorités gouvernementales dans la cause Gladstone, supra, en page 754, où le fait que le gouvernement avait accordé un traitement préférentiel aux pêcheurs commerciaux autochtones par une réduction considérable des droits de licence et par l'encouragement donné aux Autochtones de participer à la pêche permettait de conclure que la Couronne n'avait pas entendu éteindre le droit de pêche des Autochtones.

En concluant mon analyse de la décision du juge de première instance, je dois souligner l'effort considérable qu'il a dû consentir pour examiner la grande quantité de preuves et de témoignages, souvent contradictoires, qui a été produite. Notre intervention ne doit pas faire oublier que sa décision renferme un grand nombre de conclusions sur les faits et sur les points de droit auxquelles nous souscrivons.

Par ces motifs, l'appel incident sera rejeté avec dépens. L'appel principal sera accueilli en partie mais, l'appelant et l'intimé ayant eu partiellement gain de cause, aucuns dépens ne seront adjugés. Il n'y aura aucune adjudication de dépens pour ou contre l'intervenant. Le premier paragraphe de la déclaration émise par le juge de première instance sera remplacé par ce qui suit:

1. Le demandeur, en sa qualité de Mohawk d'Akwesasne résidant au Canada, jouit d'un droit ancestral existant que protègent les articles 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, savoir celui de rapporter au Canada, lorsqu'il traverse la frontière internationale sur l'île de Cornwall, des marchandises achetées dans l'État de New York pour son usage ou sa consommation personnelle, ou pour l'usage ou la consommation collective des membres de la communauté d'Akwesasne, sans en payer les droits ou taxes au gouvernement ou aux autorités canadiennes.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Sexton, J.C.A.: J'ai lu les motifs rédigés en l'espèce par mon estimé collègue et souscris à la suite qu'il réserve à l'appel incident. Pour ce qui est de l'appel principal, je souscris aux motifs qu'il prononce au sujet des autres points litigieux, mais j'estime nécessaire d'y ajouter les observations qui suivent, après avoir conclu que le juge de première instance n'a pas commis une erreur en jugeant que le droit ancestral de l'intimé s'entend également du droit de rapporter des marchandises destinées à des échanges non commerciaux (droit aux échanges hors douane) avec d'autres Premières nations. Pour les motifs qui suivent, je conclus que ce droit est géographiquement limité aux marchandises destinées aux échanges avec d'autres Premières nations au Québec et en Ontario.

À cet égard, il est deux points sur lesquels je ne partage pas les conclusions de mon estimé collègue. Je ne pense pas, en premier lieu, que le juge de première instance ait, dans ses conclusions sur les faits, commis une erreur telle qu'elle appelle l'intervention de la Cour et, en second lieu, que l'interprétation du Traité Jay ait quelque rapport que ce soit avec la détermination de la portée du droit ancestral de l'intimé.

Il est clair que la juridiction d'appel ne doit toucher aux conclusions sur les faits du juge de première instance que s'il y a eu "erreur manifeste et dominante". En l'espèce, je ne peux convenir que les preuves produites ne permettent pas de conclure qu'avant le contact avec les Européens, les Mohawks d'Akwesasne se livraient au commerce à travers ce qui est maintenant la frontière séparant le Canada et les États-Unis. En outre, il faut souligner que la conclusion tirée par le juge de première instance que le droit ancestral en cause englobe le droit aux échanges hors douane n'est pas subordonnée à sa conclusion que l'article III du Traité Jay confère exactement le même droit. À mon avis donc, le juge de première instance n'a pas commis par cette conclusion une erreur manifeste et dominante qui justifie l'intervention de la Cour.

La conclusion du juge de première instance sur la question des échanges hors douane se trouve en page 44 de ses motifs, comme suit:

En ce qui concerne l'utilisation du territoire d'Akwesasne et des environs aux fins de leur commerce, je considère que les Mohawks franchissaient la frontière pour se rendre de leur territoire national aux États-Unis en territoire canadien afin de s'y livrer au commerce, et cela avant l'arrivée des Européens. Les Mohawks franchissaient la frontière avec des marchandises destinées à un usage personnel et communautaire sans avoir à payer de droits de douane ou de taxes sur ces marchandises. Les articles qu'ils se procuraient, soit lors de leurs expéditions guerrières, soit par la chasse ou la pêche, pouvaient librement être ramenés de l'autre côté. On ne possède guère de preuves directes que, avant l'arrivée des Européens, les Mohawks amenaient, de leur territoire national, des marchandises afin de les échanger avec d'autres Premières nations habitant du côté canadien, mais j'estime que les Mohawks constituent une société distincte, que le commerce faisait partie intégrante de leur tradition et qu'ils franchissaient librement la frontière afin d'élargir leur territoire commercial et afin de se procurer des marchandises qu'ils pourraient échanger [. . .] J'estime que le demandeur et les Mohawks d'Akwesasne ont établi l'existence d'un droit ancestral en vertu duquel ils peuvent passer et repasser librement l'actuelle frontière entre le Canada et les États-Unis avec des marchandises destinées à un usage personnel et communautaire ainsi qu'à des échanges avec d'autres Premières nations.

Ce passage montre qu'avant de parvenir à la conclusion susmentionnée, il a dûment examiné toutes les preuves produites au sujet des échanges qui se faisaient avant l'arrivée des Européens. Tout en notant qu'il n'y avait guère de preuves directes à ce sujet, il a conclu, par application des règles de preuve définies par la Cour suprême pour les affaires touchant les Autochtones, que les preuves produites établissaient l'existence du droit aux échanges hors douane. Dans R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, et Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, la Cour suprême reconnaît qu'il serait excessivement difficile de produire des preuves concluantes remontant à l'époque antérieure à l'arrivée des Européens, sur les pratiques traditionnelles des communautés autochtones. Le juge de première instance était donc justifié de se fonder sur les preuves postérieures à ce contact, tendant à démontrer qu'avant l'arrivée des Européens, les Mohawks faisaient des échanges à travers ce qui est maintenant la frontière entre le Canada et les États-Unis.

J'estime que les preuves sur lesquelles s'est fondé le juge de première instance sont suffisantes pour appuyer sa conclusion à l'existence d'échanges avant l'arrivée des Européens. Il y a lieu de souligner qu'en première instance, le débat entre les experts portait sur l'étendue géographique des échanges (savoir s'il se faisait dans l'axe nord-sud) et non sur l'existence même de ce commerce. Que les échanges aient été une activité importante de la nation des Iroquois est un fait bien établi. Je note en particulier que le juge de première instance a cité les premières observations en la matière, consignées en 1634 dans le journal de l'explorateur hollandais Dr van den Bogaert (Harmen Meyndertsz van den Bogaert, A Journey into Mohawk and Oneida Country 1634-1635 (Syracuse, New York: Syracuse University Press, 1988)), qui décrivent le troc de poisson séché et de tabac, auquel se livraient un certain nombre d'Iroquoises. L'importance des preuves anciennes de ce genre a été reconnue par la Cour suprême du Canada (voir R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, en page 747). Le juge McKeown a également noté que le Traité de 1645 qui ouvrait les échanges entre les Français, les Iroquois et d'autres Premières nations est une autre preuve de l'importance que représentaient les échanges pour les Iroquois.

Je vois qu'il a pleinement pris en considération les observations de l'une et l'autre parties sur l'existence d'échanges nord-sud avant de tirer ses propres conclusions. Selon les experts cités par l'intimé, la position géographique des Mohawks facilitait leurs entreprises commerciales et diplomatiques dans la vallée du Saint-Laurent et le sud de la région des Grands Lacs. Cette opinion est renforcée par le fait que, selon les experts cités par l'une et l'autre parties, les Iroquois allaient souvent vers le nord, en territoire canadien actuel, pour y faire la guerre pour des raisons commerciales. Selon l'expert cité par l'intimé, cette activité avait pour but d'étendre leur contrôle sur les échanges. Le juge de première instance a accepté cette opinion et expressément rejeté l'opinion de l'expert cité par l'appelant, M. von Gernet, pour le motif que celui-ci "accorde trop d'importance aux excursions guerrières" des Mohawks et que son avis était incompatible avec la preuve archéologique tirée de l'article de Daniel Richter, "Ordeal of the Longhouse: The Five Nations in Early American History" dans Beyond the Covenant Chain: the Iroquois and their Neighbors in Indian North America 1600-1800 , D. K. Richter et J. H. Merrel, éds. (Syracuse, N.Y.: Syracuse University Press, 1987).

Cet article, qu'a produit l'expert cité par l'appelant, démontre que les Iroquois vivant sur le territoire qui est maintenant l'État de New York faisaient le troc du cuivre provenant de la rive nord du lac Supérieur. Le juge McKeown y voit la preuve archéologique concluante du commerce nord-sud à travers ce qui est maintenant la frontière entre le Canada et les États-Unis. Il conclut que l'article de Richter confirme l'importance vitale des échanges pour les Iroquois en même temps qu'il constitue la preuve d'échanges avec des peuples lointains.

À mon avis, la preuve d'échanges avant l'arrivée des Européens fonde la conclusion du juge de première instance que le droit ancestral de l'intimé englobait le droit de faire des échanges hors douane à un niveau non commercial avec d'autres Premières nations. J'en viens maintenant au second point litigieux, savoir la signification de l'interprétation faite par le juge de première instance du Traité Jay.

Je ne peux convenir qu'il se soit fondé à tort sur son interprétation du Traité Jay pour conclure que le droit ancestral en cause englobait celui de faire des échanges hors douane. Comme déjà noté, il n'a pas pris ce Traité en compte dans son analyse initiale du droit ancestral. Ce n'est qu'après avoir conclu que le droit ancestral comprenait celui de faire des échanges hors douane qu'il s'est penché sur la question des droits issus des traités. Ce n'est qu'après cette analyse en page 71, qu'il conclut que les termes du Traité Jay renforcent son interprétation du droit ancestral. Il y a lieu de noter que cette conclusion était une observation incidente dans le cours de l'analyse des rapports entre droits ancestraux et droits issus des traités. Comme noté supra, à ce stade de son jugement, le juge de première instance avait déjà reconnu l'existence du droit ancestral de faire des échanges hors douane.

À mon avis, le Traité Jay ne pourrait jamais être invoqué pour limiter la portée des droits ancestraux. Ainsi que le juge de première instance l'a fait observer à juste titre en page 71, le Traité Jay "ne saurait venir restreindre un droit ancestral constitutionnellement protégé". Une fois jugé que la condition de l'existence d'un droit ancestral, telle que la définit l'arrêt Van der Peet , précité, est remplie, ce droit est protégé par la Constitution sauf extinction antérieure. En l'espèce, l'appelant ne soutient pas que le Traité Jay ou la loi portant sa mise en vigueur a éteint le droit ancestral en cause. De toute façon, il est clair que cet argument aurait été rejeté: le fait que des Autochtones ont pu se voir reconnaître une forme plus limitée du droit ancestral dans un traité international ne peut servir à limiter le droit qui est protégé par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Pour récapituler, le juge de première instance n'a pas commis une erreur en concluant que le droit ancestral de l'intimé comprend celui de faire des échanges non commerciaux avec d'autres Premières nations. Il n'a commis aucune erreur en se fondant sur le Traité Jay pour conclure à l'existence du droit ancestral de faire des échanges hors douane. À supposer cependant que le Traité Jay ne prévoie pas ce droit, pareille erreur n'aurait rien à voir avec le contenu du droit ancestral dont il a trouvé le fondement dans le grand nombre de preuves administrées à cet effet. La seule question qu'il reste à examiner est l'étendue géographique de ce droit.

Le juge de première instance n'a assigné aucune limite géographique au droit ancestral en question. Il est clair que le jugement de première instance doit être clarifié pour qu'on puisse en saisir les ramifications potentiellement étendues, qu'analyse mon collègue au paragraphe 19 de ses motifs de jugement. À mon avis, la manifestation contemporaine du droit ancestral en cause est le droit d'acheter des marchandises en n'importe quel lieu de l'État de New York et de les rapporter en franchise à travers ce qui est maintenant la frontière entre cet État et le Québec ou l'Ontario. Comme l'a fait observer mon collègue, l'avocat de l'intimé reconnaît que ces échanges étaient limités aux membres des Premières nations du Québec, de l'Ontario et de l'État de New York. En conséquence, ce droit est, au surplus, limité aux marchandises destinées à l'usage personnel ou communautaire, ou encore aux échanges non commerciaux avec d'autres Premières nations en Ontario ou au Québec.

Enfin, je suis d'accord avec la décision de mon collègue sur la question des dépens. Par ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel en partie et de modifier le premier paragraphe du jugement de première instance, qui se lira:

1. Le demandeur, en sa qualité de Mohawk d'Akwesasne résidant au Canada, jouit d'un droit ancestral existant que protègent les articles 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, savoir celui de rapporter en franchise des droits de douane et taxes du Canada, lorsqu'il traverse la frontière internationale pour aller de l'État de New York en Ontario ou au Québec, des marchandises achetées dans cet État pour son usage ou sa consommation personnelle, ou pour l'usage ou la consommation collective des membres de la communauté d'Akwesasne, ou encore à des fins d'échanges non commerciaux avec d'autres Premières nations en Ontario ou au Québec.

Le juge en chef Isaac: Je souscris aux motifs ci-dessus.

1 L'allocution faite le 15 août 1791 par lord Dorchester (gouverneur du Bas-Canada) aux chefs et guerriers, délégués par les nations indiennes confédérées des Outaouais, des Chippewas, des Potawatamies, des Hurons, des Shawaneses, des Delawares, des Turturs et des Six Nations; la rencontre du 28 août 1795 à Fort Erie, où la Couronne britannique était représentée par le lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe du Haut-Canada, et les Six Nations, par Joseph Brant; la rencontre en août 1796 à Chenail Écarté, près du lac St. Claire, entre le surintendant général adjoint des Affaires indiennes et les chefs des Chippewas et des Outaouais; la rencontre du 24 avril 1815 à Burlington Heights entre le surintendant général adjoint des Affaires indiennes et divers chefs et guerriers, y compris un chef huron et un chef de guerre onondaga du territoire de la rivière Grand; et enfin la rencontre d'août-septembre 1815 à Niagara, où le surintendant général adjoint réitéra aux Premières nations ce qu'il avait dit à la rencontre de Burlington Heights en avril de la même année.

2 Voir par exemple Watt c. Liebelt et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 82 F.T.R. 57 (C.F. 1re inst.), en appel devant la Cour, affaire dans laquelle un citoyen américain, membre de la tribu d'Arrow Lake, revendique, au titre de son droit ancestral de libre circulation, celui de demeurer au Canada. Voir aussi, par analogie, l'analyse de la portée et de la nature des droits de libre circulation garantis par la Charte dans l'ouvrage de G.-A. Beaudoin et E. Mendes, Charte canadienne des droits et libertés, 3e éd., Wilson & Lafleur Ltée, Montréal, 1996, aux p. 389-413; H. Brun et G. Tremblay, Droit constitutionnel, 3e éd., Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1997, aux p. 174-185.

3 Nishimura Ekiu v. United States, 142 U.S. 651 (1892), à la p. 659. Voir aussi Attorney-General for Canada v. Cain, [1906] A.C. 542 (P.C.), en p. 546, motifs prononcés par lord Atkinson; R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312.

4 Traité d'amitié, de commerce et de navigation, 12 Bevans 13 (1794) [Traité Jay (1794)].

5 Voir l'art. 32(6) [mod. par L.C. 1992, ch. 28, art. 5] de la Loi sur les douanes de 1985.

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