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A-512-96

John F. Timmins (appelant) (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée) (défenderesse)

Répertorié: Timminsc. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Desjardins, Décary et Noël, J.C.A. "Montréal, 5 février; Ottawa, 15 février 1999.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Le contribuable a fourni des services en Afrique à titre d'employé pour le compte de la province du Nouveau-BrunswickIl s'est prévalu de déductions et d'un crédit d'impôt pour emploi à l'étranger en vertu des art. 8(10) et 122.3(1) de la Loi de l'impôt sur le revenuLe MRN a refusé sa demande au motif que l'employeur n'exploitait pas une entreprise à l'extérieur du Canada en vue de la réalisation d'un bénéfice ou avec une expectative raisonnable de profitLe juge de première instance a considéré que l'expressionexploite une entrepriseexigeait, comme objet prépondérant, l'intention de réaliser un bénéficeLe juge a commis une erreur en appliquant une décision de la C.S.C. ayant trait à The Assessment Act (loi de l'Ontario)L'employeur exerçait au moins uneactivité de quelque genre que ce soitselon la définition du motentrepriseénoncée à l'art. 248(1) de la LoiIl n'était pas obligé d'exploiter une entreprise dans le butprépondérantde réaliser un bénéficeUn bénéfice, qu'il soit important ou minime, est un bénéficeLe juge de première instance a commis une erreur en statuant que l'employeur n'avait pas une expectative raisonnable de profit.

Il s'agissait d'un appel de la décision par laquelle la Section de première instance a rejeté l'appel formé par l'appelant contre les nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu établies pour les années d'imposition 1982, 1983 et 1984. Entre le 15 novembre 1982 et le 30 novembre 1984, l'appelant a travaillé au Malawi, en Afrique, pour le compte de la province du Nouveau-Brunswick, dans le cadre d'un contrat conclu entre la province, en tant qu'organisme d'exécution, et l'Agence canadienne de développement international, en vue de la mise sur pied et de la gestion de fermes laitières, en contrepartie du paiement d'honoraires et du remboursement de certains frais. Pour les années d'imposition 1982 et 1983, l'appelant s'est prévalu de déductions pour emploi à l'étranger conformément au paragraphe 8(10) de la Loi de l'impôt sur le revenu; pour l'année d'imposition 1984, il a demandé un crédit d'impôt pour emploi à l'étranger conformément au paragraphe 122.3(1) de la Loi. Le ministre du Revenu national a refusé ces demandes au motif que le demandeur n'avait pas travaillé pour un employeur qui "exploitait une entreprise" au Malawi en vue de la réalisation d'un bénéfice ou avec une expectative raisonnable de profit. Le juge de première instance a estimé que l'expression "exploite une entreprise" employée au paragraphe 8(10) exige, comme objet prépondérant, l'intention de réaliser un bénéfice. Il a statué que, bien que la réalisation d'un bénéfice ait été un motif pour conclure le contrat, ce motif était accessoire à d'autres objets plus importants, comme des raisons d'ordre humanitaire, des possibilités d'accroître le nombre d'emplois pour les résidents du Nouveau-Brunswick et la stimulation de l'économie. La question en litige était de savoir si le juge de première instance a statué à bon droit que l'employeur n'exploitait pas une entreprise au Malawi au sens des paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi durant la période en question. S'il exploitait une entreprise durant la période pertinente, l'appelant aurait le droit de se prévaloir des déductions d'impôt pour emploi à l'étranger pour 1982 et 1983, et du crédit d'impôt pour emploi à l'étranger pour 1984.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

Le juge de première instance a fondé sa décision sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada Commissaire régional à l'évaluation et autre c. Caisse populaire de Hearst Ltée, dans lequel, pour la première fois, ce critère était incorporé dans la Loi de l'impôt sur le revenu en tant que condition préalable à l'existence d'une entreprise. Le juge de première instance a commis une erreur en cherchant à appliquer ce critère en vertu de la Loi. Celui qui "exploite" une entreprise au sens ordinaire ou qui exerce une ou plusieurs activités visées au paragraphe 248(1) dans le temps "exploite une entreprise" en vertu de la Loi. Le bénéfice tiré de la poursuite de ces activités est, pour l'application de la Loi, un bénéfice d'entreprise et est imposable à ce titre. Il n'y a rien dans le libellé des paragraphes 8(10) et 122.3(1) qui soustrait à leur application le sens défini du mot "entreprise". Même si l'on pouvait affirmer que l'employeur de l'appelant n'exploitait pas une entreprise au sens ordinaire, il exerçait au moins une "activité de quelque genre que ce soit", à savoir la prestation de services en vertu d'un contrat moyennant le paiement d'honoraires. Pour cette raison, il exploitait une entreprise en vertu d'un contrat comme le prévoient les paragraphes 8(10) et 122.3(1). Le juge de première instance n'a pas tenu compte de la définition du mot "entreprise" énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi. Bien que ce mot désigne généralement une activité pouvant générer un bénéfice, il n'est pas exigé que cette activité soit entreprise ou exercée dans le but "prépondérant" de réaliser un bénéfice. Incorporer pareille exigence dans la Loi aurait pour effet de restreindre la portée de la Loi en ce qui concerne l'imposition des bénéfices commerciaux. Le juge de première instance ne pouvait pas affirmer que l'employeur n'avait pas une expectative raisonnable de profit s'il n'était pas d'abord disposé à conclure que l'employeur n'avait réalisé aucun bénéfice en vertu du contrat. Il a reconnu que les responsables du projet avaient une expectative de profit à l'époque pertinente, et rien dans la preuve ou dans ses conclusions n'indique que cette expectative n'était pas raisonnablement envisageable. Le fait que les bénéfices prévus étaient minimes et visaient simplement à garantir que le projet n'affiche pas une perte ne changeait rien. Un bénéfice, qu'il soit important ou minime, est un bénéfice, indépendamment de l'intention de celui qui veut le générer. Le juge de première instance ne pouvait pas statuer que l'employeur ne pouvait pas raisonnablement envisager la réalisation d'un bénéfice lorsqu'il a conclu le contrat.

lois et règlements

Assessment Act (The), R.S.O. 1970, ch. 32.

Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1), art. 2(3)b), 3, 8(10) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 2), (11) (mod., idem), 9, 13(9) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 6), 24(2) (mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 17), 27(1)a) (mod. par S.C. 1984, ch. 31, art. 14), 28(2) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 13), (4.1) (édicté par L.C. 1991, ch. 49, art. 18), (5), 29(1), 111(5)a) (mod. par L.C. 1987, ch. 46, art. 40; 1988, ch. 55, art. 83), 122.3(1) (édicté par S.C. 1984, ch. 1, art. 66; ch. 45, art. 39), (2) (édicté, idem), 125(7) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 32, art. 32; 1984, ch. 45, art. 40), 143(1) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 71), 149(1)j) (mod. par S.C. 1986, ch. 6, art. 15), 248(1) "entreprise" ou "affaire" (mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 66), "frais personnels ou de subsistance", 253 (mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 197).

jurisprudence

décisions examinées:

Commissaire régional à l'évaluation et autre c. Caisse populaire de Hearst Ltée, [1983] 1 R.C.S. 57; (1983), 143 D.L.R. (3d) 590; 21 M.P.L.R. 9; 46 N.R. 285; Tara Exploration & Development Co. Ltd. v. M.N.R., [1970] C.T.C. 557; (1970), 70 DTC 6370 (C. de l'É.); Canadian Marconi Co c La Reine, [1984] CTC 319; (1984), 84 DTC 6267 (C.A.F.).

décisions citées:

Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480; (1977), 77 D.L.R. (3d) 112; [1977] CTC 310; 77 DTC 5213; 15 N.R. 476; Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73; [1996] 1 C.T.C. 205; (1995), 96 DTC 6001; 191 N.R. 182 (C.A.).

doctrine

Shorter Oxford English Dictionary, 3rd ed., Oxford: Clarendon Press, 1990. "carry on".

APPEL d'une décision par laquelle la Section de première instance ([1996] 3 C.F. 436; [1996] 3 C.T.C. 175; (1996), 96 DTC 6378; 114 F.T.R. 81) a rejeté l'appel formé par le contribuable contre de nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu. Appel accueilli.

ont comparu:

Guy Du Pont et R. Bruce Eddy, c.r., pour l'appelant (demandeur).

Donald G. Gibson, pour l'intimée (défenderesse).

avocats inscrits au dossier:

Eddy, Young, Hoyt & Downs, Fredericton, pour l'appelant (demandeur).

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée (défenderesse).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Noël, J.C.A.: La Cour est saisie de l'appel de la décision par laquelle la Section de première instance de la Cour fédérale1 a rejeté l'appel formé par l'appelant contre les nouvelles cotisations en matière d'impôt sur le revenu établies pour les années d'imposition 1982, 1983 et 1984. La Cour est également saisie de l'appel incident interjeté par l'intimée au motif que le juge de première instance ne lui a pas adjugé les dépens bien qu'il lui ait donné gain de cause.

Les faits suivants ont été constatés par le juge de première instance2 et ne sont pas contestés par les parties3:

a) Entre le 15 novembre 1982 et le 30 novembre 1984, l'appelant a travaillé au Malawi, en Afrique, pour le compte de la province du Nouveau-Brunswick, au ministère de l'Agriculture et de l'Aménagement rural (le Ministère). L'appelant a exercé ses fonctions dans le cadre d'un contrat conclu entre la province, en tant qu'organisme d'exécution, et l'Agence canadienne de développement international (l'ACDI), qui est rattachée au ministère des Affaires extérieures du gouvernement du Canada.

b) En vertu de ce contrat, conclu le 23 septembre 1980, le Ministère a accepté de fournir des services en vue de la mise sur pied et de la gestion de plusieurs fermes laitières au Malawi, en contrepartie du paiement d'honoraires et du remboursement de certains frais. En tant qu'organisme d'exécution, la province devait fournir les biens et les services nécessaires pour l'exécution du contrat au Malawi. L'appelant était au nombre des personnes que le Ministère avait affectées à la prestation de ces services au Malawi.

c) Pour les années d'imposition 1982 et 1983, l'appelant a cherché à déduire de son revenu les sommes de 1 986 $ et de 14 943 $ respectivement, à titre de déductions pour emploi à l'étranger, conformément au paragraphe 8(10) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 2] de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, modifiée par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1 (ci-après la Loi).

d) Pour l'année d'imposition 1984, l'appelant a demandé un crédit d'impôt pour emploi à l'étranger de 4 403,94 $, conformément au paragraphe 122.3(1) [édicté par S.C. 1984, ch. 1, art. 66; ch. 45, art. 39] de la Loi, qui a remplacé le paragraphe 8(10) en 1984.

e) Dans des avis de nouvelle cotisation datés du 9 décembre 1986, le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé les montants indiqués par l'appelant au titre des déductions pour emploi à l'étranger pour 1982 et 1983, et du crédit d'impôt pour emploi à l'étranger pour 1984.

f) Dans des avis d'opposition en date du 23 janvier 1987, l'appelant a contesté les nouvelles cotisations en matière d'impôt sur le revenu établies pour les années 1982 à 1984.

g) Le ministre a confirmé les nouvelles cotisations au moyen d'un avis de ratification en date du 20 novembre 1987, au motif que l'appelant n'avait pas travaillé pour un employeur qui "exploitait une entreprise" à l'extérieur du Canada au sens du paragraphe 8(10) de la Loi en 1982 et 1983, ou au sens du paragraphe 122.3(1) de la Loi en 1984.

h) Pour établir les nouvelles cotisations de l'appelant relativement aux années d'imposition 1982, 1983 et 1984, le ministre a notamment présumé que, durant cette période, le Ministère n'avait pas exploité une entreprise au Malawi en vue de la réalisation d'un bénéfice ou avec une expectative raisonnable de profit.

i) Le Ministère était l'employeur de l'appelant durant la période pertinente et était un "employeur désigné" au sens des paragraphes 8(11) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 2] et 122.3(2) [édicté par S.C. 1984, ch. 1, art. 66] de la Loi.

Le seul point litigieux dans le présent appel est de savoir si le juge de première instance a statué à bon droit que l'employeur n'exploitait pas une entreprise au Malawi au sens des paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi entre le 15 novembre 1982 et le 30 novembre 19844. Si le Ministère exploitait une entreprise en vertu du contrat durant la période pertinente, l'appelant a le droit de se prévaloir des déductions d'impôt pour emploi à l'étranger pour 1982 et 1983, et du crédit d'impôt pour emploi à l'étranger pour 1984. Le droit de l'appelant à la déduction ou au crédit d'impôt demandé dépend donc entièrement de la qualification des activités de son employeur en vertu de la Loi.

Le juge de première instance a considéré l'expression "exploite une entreprise" comme si elle exigeait, comme objet prépondérant, l'intention de réaliser un bénéfice5 . Il a statué que, dans le cas qui nous occupe, bien que la réalisation d'un bénéfice ait été un motif pour conclure le contrat, ce motif était accessoire à d'autres objets plus importants:

Bien que la réalisation d'un bénéfice, comme filet de sécurité, fût l'un des motifs poursuivis, ce n'était certainement pas l'objet prédominant à l'origine de la conclusion du contrat. À mon avis, même si des profits ont été réalisés, ceux-ci étaient simplement accessoires à d'autres objets beaucoup plus importants6.

Ces autres objets plus importants étaient des raisons d'ordre humanitaire, des possibilités d'accroître le nombre d'emplois pour les résidents du Nouveau-Brunswick et la stimulation de l'économie7.

Comme le juge de première instance a estimé que le projet au Malawi n'avait pas été entrepris principalement en vue de la réalisation d'un bénéfice, il a conclu que le Ministère n'avait pas exploité une entreprise durant la période au cours de laquelle l'appelant a travaillé dans ce pays. L'appelant n'avait donc pas le droit de demander la déduction ou le crédit d'impôt.

Il est important de mentionner d'emblée que la conclusion tirée par le juge de première instance ne repose pas sur le fait que le Ministère, en tant qu'organe du gouvernement du Nouveau-Brunswick, n'était pas assujetti à l'impôt8, ni sur l'opinion que les gouvernements ne peuvent pas, en principe, exploiter une entreprise. Sa conclusion repose plutôt sur le fait que pour qu'un employeur désigné "exploite une entreprise" en vertu d'un contrat pour l'application du paragraphe 8(10) et, après 1984, pour l'application du paragraphe 122.3(1) de la Loi, la réalisation d'un bénéfice doit avoir été l'objet prépondérant à l'origine de la conclusion du contrat.

Le juge de première instance a puisé cette exigence dans une décision rendue par la Cour suprême du Canada en vertu de The Assessment Act de l'Ontario, R.S.O. 1970, ch. 329. Il s'agit de la première affaire connue dans laquelle ce critère a été incorporé dans la Loi de l'impôt sur le revenu en tant que condition préalable à l'existence d'une entreprise.

À mon avis, le juge de première instance a commis une erreur en cherchant à appliquer ce critère en vertu de la Loi. Le mot "entreprise" est défini en ces termes10 :

248. (1) Dans la présente loi,

[. . .]

"entreprise" ou "affaire" comprend une profession, un métier, un commerce, une manufacture ou une activité de quelque genre que ce soit et, sauf aux fins de l'alinéa 18(2)c ), comprend un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial mais ne comprend pas une charge ni un emploi; [Non souligné dans l'original.]

Les expressions "exploite une entreprise", "exploiter une entreprise" ou "entreprise exploitée" (en anglais "carry on business", "carrying on business", "carried on business")11 ne sont pas définies, mais eu égard au sens ordinaire des mots, elles désignent forcément la direction ou l'exploitation continue d'une entreprise12. Il semblerait s'ensuivre que celui qui "exploite" une entreprise au sens ordinaire ou qui exerce une ou plusieurs activités visées au paragraphe 248(1) dans le temps "exploite une entreprise" en vertu de la Loi13 .

Dans ses motifs, le juge de première instance a refusé à deux reprises d'examiner cette définition et, plus particulièrement, l'argument voulant que le Ministère exploite une entreprise au sens défini14. Le juge de première instance a déclaré:

Le demandeur prétend que le Ministère exploitait une "activité de quelque genre que ce soit". Toutefois, la disposition précitée [c'est-à-dire la définition d'"entreprise" au paragraphe 248(1)] ne définit pas le mot "entreprise"; elle énumère plutôt un certain nombre d'exemples de ce qui est compris dans ce terme: voir Canadian Marconi Co c La Reine, [1984] CTC 319 (C.A.F.), infirmé pour d'autres motifs par [1986] 2 R.C.S. 52215. [Non souligné dans l'original.]

Cette question a effectivement été soulevée par la Cour dans l'arrêt Canadian Marconi, mais dans le seul but de préciser qu'en dehors des activités énumérées au paragraphe 248(1), le mot "entreprise" conserve son sens ordinaire16 .

Quand on considère la définition d'"entreprise" au paragraphe 248(1) comme une définition ou comme quelque chose d'autre, on constate que les activités qui y sont énumérées relèvent inévitablement de l'acception de ce terme. Le résultat est que le bénéfice tiré de la poursuite de ces activités est, pour l'application de la Loi, un bénéfice d'entreprise et est imposable à ce titre17 . Bien que les paragraphes 8(10) et 122.3(1) ne prévoient pas le paiement d'un impôt, mais accordent un avantage, on ne saurait valablement prétendre que le mot entreprise devrait être interprété différemment pour cette seule raison. Il n'y a rien dans le libellé de ces dispositions qui soustrait à leur application le sens défini du mot "entreprise".

Compte tenu de cette définition, il semble clair que, même si l'on pouvait affirmer que le Ministère n'exploitait pas une entreprise au sens ordinaire18, il exerçait au moins une "activité de quelque genre que ce soit", à savoir la prestation de services en vertu d'un contrat moyennant le paiement d'honoraires. Pour cette raison, il exploitait une entreprise en vertu d'un contrat comme le prévoient les paragraphes 8(10) et 122.3(1).

À mon avis, le juge de première instance n'a pas tenu compte de la définition énoncée au paragraphe 248(1) pour statuer qu'une entreprise ne pouvait pas être "exploitée" au sens des paragraphes 8(10) et 122.3(1) en l'absence d'un objet prépondérant, axé sur la réalisation d'un bénéfice ou gain commercial. La définition donnée au paragraphe 248(1) ne reflète aucune exigence semblable. Bien que le mot "entreprise" tel qu'on l'emploie dans la Loi désigne généralement une activité pouvant générer un bénéfice19 , il n'est pas exigé que cette activité soit entreprise ou exercée dans le but "prépondérant" de réaliser un bénéfice. Incorporer pareille exigence dans la Loi aurait pour effet de restreindre considérablement la portée de la Loi en ce qui concerne l'imposition des bénéfices commerciaux.

Le juge de première instance a invoqué un autre motif pour statuer que le Ministère n'exploitait pas une entreprise. Se fondant sur les arrêts Moldowan c. La Reine20 et Tonn c. Canada21, il a affirmé que le Ministère n'avait pas une "expectative raisonnable de profit" lorsque le contrat a été conclu. Il en est arrivé à cette conclusion en dépit du fait qu'il a reconnu que l'espèce ne comportait pas le moindre élément d'évitement fiscal22 et malgré la concession de la Couronne que:

Ce critère ne devrait s'appliquer [. . .] que lorsqu'il n'y a pas de bénéfice réel, ce qui n'est pas le cas en l'espèce23.

Le contrat prévoyait que le Ministère se verrait rembourser les frais réels engagés pour fournir les services et recevrait des honoraires annuels de 25 000 $ de même qu'une majoration de 25 % sur le coût des salaires24. Les honoraires annuels devaient servir à payer les services d'un coordonnateur de programme au Canada et les employés professionnels nécessaires pour superviser ou conseiller le personnel local25. La majoration était considérée comme une provision pour le paiement des frais généraux administratifs26.

Dans ses motifs, le juge de première instance a exprimé l'opinion que les frais supplémentaires et les frais généraux administratifs avaient été minimes27. Il a considéré comme un fait établi que l'exécution du contrat ne nécessitait pas l'embauchage de personnel supplémentaire ni la location de bureaux supplémentaires28. Selon le juge de première instance, il s'agissait d'un "contrat à prix coûtant majoré ne présentant qu'un risque financier minime"29. (Non souligné dans l'original.)

Des états financiers ont été soumis en preuve et montrent que le Ministère a réalisé un bénéfice net de 136 289 $ sur la durée de dix ans du contrat30. Le juge de première instance n'a pas semblé juger utile de décider si des bénéfices avaient ou non été générés par le contrat. En ce qui concerne les états financiers qui lui ont été soumis, il a déclaré:

Le montant des bénéfices ne m'intéresse nullement, et je ne me prononcerai pas non plus sur la viabilité commerciale du programme31.

Le juge de première instance a douté que tous les coûts du projet aient été pris en considération dans la préparation de ces états financiers, mais il n'a tiré aucune conclusion à cet égard32. Il va sans dire que le juge de première instance ne pouvait pas affirmer que le Ministère n'avait pas une expectative raisonnable de profit s'il n'était pas d'abord disposé à conclure que le Ministère n'avait réalisé aucun bénéfice en vertu du contrat.

Cependant, même en considérant que les motifs du juge de première instance contiennent une telle conclusion, je suis d'avis qu'il ne pouvait pas conclure que le Ministère n'avait aucune expectative raisonnable de profit compte tenu des conclusions qu'il a tirées.

Le juge de première instance a fait remarquer qu'aucun plan d'entreprise proprement dit n'avait été préparé33. Toutefois, il a considéré comme un fait établi que les responsables du projet entendaient que les bénéfices générés en vertu du contrat soient supérieurs aux coûts liés à la prestation des services. Le juge de première instance a déclaré:

Il semble que M. Andrew [qui était alors sous-ministre adjoint au ministère de l'Agriculture et de l'Aménagement rural] avait l'intention que le Ministère fasse des profits, quelle qu'en soit l'importance, afin de disposer d'une sorte de filet de sécurité au cas où certains de ses calculs et de ses hypothèses se révéleraient inexacts34.

Le juge de première instance a reconnu qu'avant de conclure le contrat, M. Andrew avait dû vérifier les coûts liés à la prestation des services:

De même, M. Andrew avait l'obligation de vérifier ses coûts afin de minimiser le fardeau financier du programme sur le trésor public et de rendre compte de son utilisation des fonds publics35.

Il a également considéré comme un fait établi que M. Andrew avait l'intention d'inclure dans le contrat des coûts supérieurs aux coûts estimés pour garantir que le projet génère un bénéfice [à la page 461]:

M. Andrew voulait manifestement inclure au contrat une clause qui servirait de filet de sécurité, au cas où les prévisions ou les hypothèses du Ministère seraient inexactes.

On se rappellera que le juge de première instance avait indiqué précédemment que la prestation des services ne nécessitait pas l'embauchage d'employés supplémentaires ni la location de bureaux supplémentaires au Canada, même si des honoraires avaient été prévus en vertu du contrat pour couvrir de telles dépenses.

Le juge de première instance a évalué l'expectative de profit du Ministère en fonction du témoignage de M. Andrew. Il a déclaré:

La réalisation d'un bénéfice, aussi mince soit-il, ne ferait que s'ajouter aux réalisations de la province36.

En statuant ainsi, le juge de première instance reconnaissait que les responsables du projet avaient une expectative de profit à l'époque pertinente, et rien dans la preuve ou dans les conclusions tirées par le juge de première instance n'indique que cette expectative n'était pas raisonnablement envisageable. Ainsi que le juge de première instance l'a constaté, les bénéfices prévus étaient minimes et visaient simplement à garantir que le projet n'affiche pas une perte. Toutefois, cela ne change rien: un bénéfice, qu'il soit important ou minime, est un bénéfice, indépendamment de l'intention de celui qui veut le générer. En l'absence d'éléments de preuve contraires, le juge de première instance ne pouvait pas statuer, vu ses propres conclusions, que le Ministère ne pouvait pas raisonnablement envisager la réalisation d'un bénéfice lorsqu'il a conclu le contrat.

Pour ces motifs, l'appel devrait être accueilli, la décision du juge de première instance devrait être annulée et les nouvelles cotisations établies pour les années d'imposition 1982, 1983 et 1984 devraient être renvoyées au ministre pour qu'il établisse de nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'employeur de l'appelant exploitait une entreprise en vertu d'un contrat durant les années d'imposition en question, ainsi qu'il est prévu aux paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi. Les dépens devraient être adjugés à l'appelant tant en cette instance que devant la Section de première instance. Étant donné l'issue de l'appel principal, l'appel incident devient sans objet.

Le juge Desjardins, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Décary, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

1 La décision frappée d'appel est publiée à [1996] 3 C.F. 436 (1re inst.) (ci-après Timmins).

2 Timmins, aux p. 441 à 444.

3 Mémoire des faits et du droit de l'appelant, au par. 2. Mémoire des faits et du droit de l'intimée, au par. 1.

4 L'art. 8(10) est notamment libellé ainsi qu'il suit:

8. [. . .]

(10) Lorsqu'un particulier est un résident du Canada dans une année d'imposition et que pendant une période de plus de six mois consécutifs ayant commencé au cours de l'année ou au cours d'une année antérieure (appelée dans le présent paragraphe la "période admissible"),

a) il a été employé par une personne qui est un employeur désigné, et

b) il a exercé la totalité ou la presque totalité des fonctions de son emploi dans un ou plusieurs pays autres que le Canada

(i) dans le cadre d'un contrat en vertu duquel l'employeur désigné exploite une entreprise dans ce ou ces pays en ce qui concerne

(A) l'exploration pour la découverte ou l'exploitation de pétrole, de gaz naturel, de minéraux ou d'autres ressources semblables,

(B) un projet de construction ou d'installation, un projet agricole ou d'ingénierie, ou

(C) toute activité prescrite, ou

(ii) dans le but d'obtenir, pour le compte de l'employeur désigné, un contrat pour la réalisation des activités visées à la disposition (i)(A), (B) ou (C),

lors du calcul de son revenu tiré, pour l'année, de cet emploi, peut être déduite une somme égale au [. . .] [Non souligné dans l'original.]

L'art. 122.3(1) accorde un crédit d'impôt plutôt qu'une déduction, en des termes pratiquement identiques à ceux de l'art. 8(10), sauf pour l'art. 122.3(1)a) qui, à la différence de l'art. 8(10)a), dispose:

122.3 (1) [. . .]

a) il a été employé par une personne qui était un employeur désigné, dans un but autre que celui de fournir des services en vertu d'un programme prescrit du gouvernement du Canada d'aide au développement international, et [. . .] [Non souligné dans l'original.]

La restriction prévue dans cette disposition a fait l'objet d'une disposition transitoire qui a reporté son application aux années postérieures à 1984. Elle n'est donc pas applicable au présent appel.

5 Timmins, à la p. 460.

6 Timmins, à la p. 462.

7 Timmins, à la p. 461.

8 Les parties, tant en appel qu'en première instance, ont adopté le point de vue que le gouvernement du Nouveau-Brunswick était un "employeur désigné" au sens de l'art. 8(11) et de l'art. 122.3(2)a ) de la Loi. Mémoires des faits et du droit de l'appelant et de l'intimée, aux par. 2(i) et 1 respectivement.

9 ;Commissaire régional à l'évaluation et autre c. Caisse populaire de Hearst Ltée, [1983] 1 R.C.S. 57.

10 Cette définition est donnée à l'art. 248(1) [mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 66] qui figure dans la partie XVII de la Loi sous la rubrique "interprétation".

11 Ces expressions sont employées de façon interchangeable dans toute la Loi. Voir, par exemple, les art. 2(3)b), 13(9) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 6), 24(2) [mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 17], 27(1)a) [mod. par S.C. 1984, ch. 31, art. 14], 28(2) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 13], (4.1) [édicté par L.C. 1991, ch. 49, art. 18], (5), 29(1), 111(5)a) [mod. par L.C. 1987, ch. 46, art. 40; 1988, ch. 55, art. 83], 125(7) [mod. par S.C. 1977-78, ch. 32, art. 32; 1984, ch. 45, art. 40], 143(1) [mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 71], 149(1)j) [mod. par S.C. 1986, ch. 6, art. 15], 253 [mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 197].

12 Le terme anglais "carry on" est ainsi défini dans Shorter Oxford English Dictionary , 3e éd., Oxford Clarendon Press, 1990: [traduction] a) poursuivre (une instance); b) perpétuer; c) travailler à, poursuivre; d) continuer un travail; e) faire des histoires ou avoir une conduite inacceptable."

13 À moins que l'activité en question ne se prête pas à une "exploitation". Ainsi, dans l'arrêt Tara Exploration & Development Co. Ltd. c. M.R.N. , [1970] C.T.C. 557 (C. de l'É.), le président Jackett a déclaré qu'on ne pouvait pas considérer qu'une personne morale étrangère avait "exploité" une entreprise au Canada pour l'application de l'art. 2(2) de la Loi pour la seule raison qu'elle avait réalisé un "projet comportant un risque de caractère commercial" au Canada. Il a écrit à la p. 567:

[traduction] J'ai conclu avec beaucoup d'hésitation que la meilleure interprétation est que l'expression "a exercé" n'est pas une expression que l'on peut utiliser convenablement avec le terme "initiative". Exercer quelque chose implique une continuité dans le temps ou dans les opérations, comme celle qu'implique le sens ordinaire du mot "entreprise". Une initiative est un événement isolé. On prend une initiative et on exerce une entreprise.

14 Timmins, aux p. 446 et 455.

15 Timmins, à la p. 446.

16 Canadian Marconi Co c La Reine, [1984] CTC 319 (C.A.F.), aux p. 330 et 331.

17 L'art. 3 assujettit à l'impôt le revenu tiré d'une "entreprise" et l'art. 9 dispose que le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise est le "bénéfice qu'il en tire".

18 C'est une conclusion avec laquelle je ne suis pas d'accord.

19 Ce sens est dicté par la raison d'être fondamentale de la Loi, soit l'imposition des bénéfices, et s'applique à moins qu'un autre sens puisse ressortir de l'emploi de termes particuliers ou par déduction nécessaire. (Voir, par ex., la définition de "frais personnels ou de subsistance" à l'art. 248(1) ou le libellé de la restriction relative au report prospectif d'une perte à l'art. 111(5)a )(i).)

20 [1978] 1 R.C.S. 480.

21 [1996] 2 C.F. 73 (C.A.).

22 Timmins, à la p. 461. Dans l'arrêt Tonn, précité, à la p. 96, le juge Linden, J.C.A., prévient que le "critère de l'arrêt Moldowan" doit être appliqué avec modération, si tant est qu'il doive l'être, lorsque les circonstances ne soulèvent nullement la question de l'évitement.

23 Timmins, à la p. 453.

24 Par. 3 du contrat, dossier d'appel, vol. II, à la p. 102.

25 Par. 3.1 du contrat, dossier d'appel, vol. II, à la p. 102.

26 Par. 3.4 du contrat, dossier d'appel, vol. II, à la p. 102.

27 Le juge de première instance a fait remarquer que (à la p. 461):

Aucune nouvelle entité n'a été créée pour offrir les services auxquels s'était engagé le Ministère; la preuve suggère plutôt que le contrat a simplement été considéré comme une activité supplémentaire s'ajoutant au mandat du Ministère.

28 Timmins, aux p. 461 à 463.

29 Timmins, à la p. 461.

30 Le contrat a été renouvelé d'une année à l'autre et était conçu pour s'appliquer à d'autres projets menés dans d'autres pays. Les états financiers en question cherchaient à faire ressortir la performance financière du Ministère dans le cadre du contrat pendant sa durée de dix ans.

31 Timmins, à la p. 466.

32 Dans ses motifs, le juge de première instance mentionne que des coûts indirects "peuvent avoir été" engagés par d'autres ministères qui sont nommés, mais il n'indique pas quels peuvent avoir été ces coûts (Timmins , à la p. 467). En ce qui concerne les coûts d'investissement, le juge de première instance laisse entendre que les dépenses en immobilisations, "[si elles] sont important[e]s", auraient dû être réparties, mais il n'indique pas quelles pourraient avoir été ces dépenses (Timmins , à la p. 467).

33 Timmins, aux p. 461 et 462.

34 Timmins, à la p. 460.

35 Timmins, à la p. 462.

36 Timmins, à la p. 461.

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