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[1997] 1 C.F. 207

T-945-95

Douglas Lloyd Matthews (requérant)

c.

Le Procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : Matthews c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay— Halifax, 10 avril; Ottawa, 13 août 1996.

Pêches Contrôle judiciaire de la décision du ministre des Pêches et des Océans de ne pas délivrer au requérant un permis de pêche au crabe des neiges pour les trois premières semaines de la saison de 1995 et de réduire son contingent au cours de la saison en questionL’art. 7 de la Loi sur les pêches confère au ministre le pouvoir discrétionnaire absolu de délivrer et d’autoriser la délivrance de permis de pêcheLa décision visait à pénaliser le requérant pour avoir enfreint les conditions de son permis de 1994La Loi prévoit expressément une variété de peines devant être imposée par la courIl est entendu implicitement que le législateur n’entend pas que le ministre exerce un pouvoir pénalLe requérant a droit aux garanties procédurales envisagées par les dispositions pénales de la LoiJugement déclaratoire portant que le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l’art. 7 ne comprend pas l’autorité d’imposer des conditions aux permis à l’égard de violations antérieures de la Loi, de ses Règlements ou des conditions des permis.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre des Pêches et des Océans de ne pas délivrer au requérant un permis de pêche au crabe des neiges pour les trois premières semaines de la saison de 1995 et de réduire son contingent de 50 % au cours de la saison de 1995. En 1994, le requérant a enfreint les conditions de son permis de pêche au crabe des neiges en ne prévenant pas les responsables du programme de vérification à quai avant de changer de zone de pêche et en dépassant, à au moins trois occasions, le poids total des prises qui lui était accordé. En janvier 1995, le gestionnaire du ministère des Pêches et des Océans pour la région de l’Île-du-Prince-Édouard a demandé au directeur général régional de rendre une décision pour le ministre, concernant la délivrance au requérant d’un permis limité et la réduction de son contingent pour la saison de 1995. Cette demande était faite en raison des violations des conditions du permis de pêche. Par lettre en date du 12 avril 1995, qui mentionnait les violations de son permis pour 1994, le requérant était avisé que son permis pour 1995 était assujetti aux sanctions susmentionnées.

L’article 7 de la Loi sur les pêches confère au ministre le pouvoir discrétionnaire absolu de délivrer ou d’autoriser la délivrance de permis de pêche.

La question litigieuse consistait à savoir si l’article 7 accorde au ministre l’autorité d’imposer une peine pour sanctionner la violation des conditions des permis de pêche.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Les restrictions avaient clairement pour objet d’imposer une peine.

Le législateur a prévu un processus applicable à la violation de la Loi, de ses Règlements ou des conditions des permis aux articles 78 à 79.7 de la Loi sur les pêches, et il n’a pas donné l’autorité de prendre des règlements qui permettraient d’imposer des peines par des processus autres que ceux qui sont exposés dans la Loi. Il est implicite que le législateur n’avait pas l’intention que le ministre exerce des pouvoirs pénaux, qui appartiennent au tribunal, auprès duquel les garanties procédurales associées au processus judiciaire sont disponibles. Le requérant a droit aux garanties procédurales envisagées par les dispositions pénales de la Loi, s’il doit y avoir recours à un mécanisme d’imposition de peines pour violation de la Loi ou de ses règlements. Le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l’article 7 ne comprend pas l’autorité d’imposer des peines à l’égard de violations antérieures de la Loi, de ses règlements ou des conditions des permis.

La saison de pêche de 1995 étant terminée, une ordonnance annulant la décision du ministre n’offrirait aucune réparation efficace. Mais la question restant d’une importance vitale pour les saisons à venir, une ordonnance devrait être rendue portant que le ministre ne peut pas imposer des conditions aux permis pour sanctionner les infractions à la Loi.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 7, 43 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 35, art. 3, 7; L.C. 1991, ch. 1, art. 12), 78 (mod., idem, art. 24), 78.1 (édicté, idem), 78.2 (édicté, idem), 78.3 (édicté, idem), 78.4 (édicté, idem), 78.5 (édicté, idem), 78.6 (édicté, idem), 79 (mod., idem), 79.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 97; L.C. 1991, ch. 1, art. 24), 79.2 (édicté, idem), 79.3 (édicté, idem), 79.4 (édicté, idem), 79.5 (édicté, idem), 79.6 (édicté, idem), 79.7 (édicté, idem).

Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53, art. 22(6),(7).

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Everett c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1994), 25 Admin. L.R. (2d) 112; 169 N.R. 100 (C.A.F.); Everett c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1993), 63 F.T.R. 279 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 447 (1994), 17 Admin. L.R. (2d) 2; 164 N.R. 361 (C.A.).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du ministre des Pêches et des Océans de ne pas délivrer au requérant un permis de pêche au crabe des neiges pour les trois premières semaines de la saison de 1995 et de réduire son contingent au cours de cette saison. La demande est accueillie.

AVOCATS :

J. Allan Shaw pour le requérant.

Gregory A. MacIntosh pour l’intimé.

PROCUREURS :

J. Allan Shaw, Alberton (Île-du-Prince-Édouard) pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle, le 12 avril 1995, le ministre des Pêches et des Océans a décidé de ne pas délivrer au requérant un permis de pêche au crabe des neiges pour les trois premières semaines de la saison de 1995 et de réduire son contingent de 50 % au cours de la saison 1995. Le requérant cherche à obtenir un bref de certiorari annulant la décision de ne pas lui délivrer de permis pour les trois premières semaines et de réduire son contingent.

Le requérant est un pêcheur de l’Île-du-Prince-Édouard. En 1994, il était titulaire d’un permis de pêche au crabe des neiges délivré relativement à son bateau, le Desert Storm, qui lui permettait de pêcher dans les zones désignées 25 et 26 seulement. Le 8 mai 1994, le bateau Desert Storm a été observé, à partir d’un avion patrouilleur, environ trois quarts de mille marin dans la zone 12, dont l’accès n’était pas autorisé au navire. Le bateau du requérant a été observé une seconde fois, plus tard le même jour, environ deux milles marins dans la zone 12. À cette époque, le permis du requérant contenait une condition l’obligeant à prévenir par radio les responsables du programme de vérification à quai au moins trois heures avant de changer de zone, ce qu’il n’a pas fait avant de pénétrer deux fois dans la zone 12 ce jour-là.

À la seconde occasion, les agents des pêches à bord d’un patrouilleur ont commencé à poursuivre le Desert Storm, qui est alors retourné dans ses zones permises. Les agents sont montés à bord du bateau et ils ont prévenu le requérant qu’on l’avait vu pêcher dans la zone de pêche 12, ce à quoi il a rétorqué qu’il avait dû dériver dans cette zone lorsqu’il prenait son repas. Un rapport d’infraction a été rédigé et les agents des pêches se sont dirigés vers la zone 12, où avait été observé le Desert Storm. Ils y ont alors découvert un certain nombre de pièges à crabes des neiges fraîchement appâtés mais non étiquetés. Ils n’affichaient aucune identification, mais les pièges et les bouées repères qu’ils portaient étaient semblables à ceux observés plus tôt à bord du Desert Storm.

Subséquemment, les 11 et 12 mai 1994, le requérant a déchargé sa prise de crabes provenant d’un voyage de pêche. Cette prise pesait 8 710 livres, portant sa prise totale jusqu’alors à 44 541 livres. Ce total dépassait les conditions de son permis qui, à l’époque, lui donnait le droit de prendre 44 100 livres de crabes des neiges. M. Matthews dépassait donc de 441 livres son contingent admissible. À ce moment, on a lu ses droits au requérant et on l’a avisé qu’il avait enfreint les conditions de son permis.

Le 13 mai 1994, on a donné au requérant d’autres conditions applicables à son permis, lui permettant de pêcher 5 000 livres supplémentaires de crabe des neiges. Le jour suivant, soit le 14 mai 1994, il a pris 5 229 livres de crabe des neiges, dépassant son contingent supplémentaire de 229 livres. Les agents des pêches ont alors rédigé un rapport de violation à cet égard.

Par la suite, le 19 mai 1994, d’autres conditions de permis ont été données au requérant, lui permettant de prendre au maximum 73 490 livres de crabe des neiges cette année-là. Le premier juin 1994, il a pris 1 232 livres de crabe, portant ainsi sa prise totale pour l’année à 73 728 livres, soit 238 livres de plus que son contingent admissible pour l’année. De nouveau, cette infraction a donné lieu à un rapport de violation.

Par la suite, une poursuite a été engagée contre le requérant, mais cette procédure, apparemment reliée à la pêche avec des pièges non étiquetés, n’a pas été complétée avant l’audition de cette affaire.

Par lettre datée le 9 janvier 1995, le requérant a été avisé par le gestionnaire de la région de l’Île-du-Prince-Édouard du ministère des Pêches et des Océans (MPO) qu’une demande de décision relative à la délivrance de son permis et à la réduction de son contingent à l’égard de son permis de pêche au crabe des neiges en 1995 était adressée à Cormier, directeur général régional, MPO, en raison des quatre violations que le requérant avait commises au cours de la saison précédente. La lettre prévoyait que le requérant pouvait adresser à Cormier des observations écrites sur la question.

La lettre envoyée au requérant comprenait une copie d’une note de service, aussi datée le 9 janvier 1995, dans laquelle le gestionnaire régional demandait au directeur général régional de rendre une décision pour le ministre, concernant la réduction du contingent du requérant et la délivrance à ce dernier d’un permis limité de pêche au crabe des neiges pour la saison de pêche 1995, conformément à l’article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14 et ses modifications (la Loi). Dans cette note de service, le gestionnaire régional signalait que le requérant avait violé à quatre reprises les conditions de son permis pour 1994, notamment en ne prévenant pas par radio lorsqu’il s’est rendu dans la zone 12 le 8 mai 1994, et en dépassant à trois reprises son contingent les 12 et 14 mai et le premier juin 1994. On a déclaré au nom du Ministère que les pêcheries de crabe des neiges à l’Île-du-Prince- Édouard avaient déjà, dans le passé, donné lieu à de graves soucis en ce qui concerne l’application de la législation, et [traduction] « de stricts contrôles des conditions des permis … existent pour promouvoir la conservation et la protection et assurer une récolte régulière dans cette pêcherie de grande valeur ».

Le gestionnaire régional a demandé, pour le Ministère, que le requérant n’obtienne pas de permis de pêche au crabe des neiges pour les trois premières semaines de la saison de 1995 et que son contingent admissible soit réduit de moitié, conformément à l’article 7 de la Loi. Le gestionnaire a ajouté que la demande résultait de la violation, à quatre reprises en 1994, des conditions du permis du requérant, contrairement au paragraphe 22(7) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53, (le Règlement). Inclus dans la note de service du gestionnaire régional se trouvaient des rapports des violations du requérant rapportées en 1994. On y trouvait aussi deux autres déclarations non datées signées par l’agent des pêches qui était monté à bord du Desert Storm en mer le 8 mai 1994 et qui avait signalé l’omission du requérant de faire un rapportradio lorsqu’il s’est déplacé d’une zone à une autre ce jour-là. La première déclaration, intitulée [traduction] « Impact sur la conservation » discute de l’objet et de l’importance de l’obligation de prévenir par radio comme mesure de contrôle. La seconde déclaration, intitulée [traduction] « Défense de la diligence requise », ne fait aucune mention de discussions avec Matthews, mais repousse toute prétention que pourrait avancer le requérant d’avoir pris soin de rester dans ses zones de pêche permises ou d’avoir prévenu par radio lorsqu’il se déplaçait d’une zone à une autre. Essentiellement, l’agent a conclu que le requérant ne pouvait faire valoir la défense de la diligence requise pour s’être trouvé dans la zone 12 sans avoir prévenu par radio parce qu’il avait à bord un équipement technique, dont un téléphone cellulaire et un téléphone maritime VHS, qui lui auraient permis de prévenir les responsables du programme de vérification à quai, et la réception des appareils de ce genre était bonne ce jour-là.

La dernière page des observations du MPO au directeur général régional est intitulée [traduction] « Recommandation de sanctions ». Ce titre vise la recommandation de ne pas délivrer au requérant un permis de pêche au crabe des neiges pour les trois premières semaines de la saison 1995 et de réduire de moitié son contingent admissible. Cette page précise les motifs des recommandations, soit quatre violations distinctes en 1994, dont trois dépassements du contingent admissible, un mépris continuel à l’égard des niveaux de récolte du MPO sans preuve d’aucun effort pour corriger la situation, et le défaut d’avoir adressé des rapports-radio, violation considérée comme une grave infraction. Les agents du MPO ont estimé que les recommandations de sanctions occasionneraient au requérant une perte financière s’élevant à plus de 82 600 $, ce qui est recommandé comme étant approprié selon les faits en cause. Le requérant estime que la perte financière subie est bien supérieure à la somme évaluée par le Ministère.

Il semble d’après le dossier que le MPO a confirmé, par lettre en date du 22 mars 1995 adressé à l’avocat du requérant, que la violation alléguée pour avoir pêché avec des pièges non étiquetés faisait l’objet d’une poursuite devant les tribunaux mais qu’elle était ajournée à ce moment, tandis que la demande de sanctions à l’égard de quatre violations des conditions du permis de 1994, était traitée [traduction] « comme une simple sanction administrative conformément à la [traduction] Politique nationale sur l’application de sanctions sur les permis ». Je note que le dossier ne contient aucune autre mention ni détails de cette politique « nationale », bien qu’il contienne un tableau d’une page de lignes directrices applicables aux sanctions pour la région du golfe pour le crabe des neiges et le crabe commun.

Par lettre en date du 12 avril 1995, le requérant a été avisé que son permis de pêche au crabe des neiges pour 1995, délivré conformément à l’article 7 de la Loi, était sujet à sanctions. La lettre prévoyait en partie ce qui suit :

[traduction]

OBJET : DÉCISION RELATIVE À L’INFRACTION

Ceci concerne la violation, à quatre (4) occasions distinctes, des conditions de votre permis de pêche au crabe des neiges pour 1994. Ces violations se sont produites entre le 8 mai et le premier juin 1994, près de North Lake (Î.-P.-É.).

En rendant ma décision, j’ai examiné les faits et les renseignements contenus dans tous les documents qui m’ont été soumis le 28 mars 1995, particulièrement les faits rapportés par les agents des pêches … et les observations faites par J. Allan Shaw pour votre compte …

Selon la preuve dont je suis saisi, vous avez violé le paragraphe 22(7) du Règlement de pêche (dispositions générales), pris conformément à la Loi sur les Pêches, à quatre (4) occasions distinctes en contrevenant aux conditions de votre permis de pêche au crabe des neiges, délivré pour les zones 25 et 26 …

Conformément aux pouvoirs qui me sont conférés par l’article 7 de la Loi sur les pêches, j’ordonne que la sanction suivante soit imposée à votre permis de pêche au crabe des neiges dans les zones 25 et 26 :

Votre permis de pêche au crabe des neiges ne sera pas délivré pour les trois premières semaines de la saison de pêche 1995 dans les zones 25 et 26, et votre contingent de crabe des neiges pour 1995 sera réduit de 50 %. [En caractère gras dans l’original.]

Le ministère des Pêches et des Océans appliquera cette décision à l’égard de la saison 1995 de pêche au crabe des neiges.

Cette décision est finale et il ne peut en être interjeté appel auprès du ministère fédéral des Pêches et des Océans. Cependant, vous pouvez en appeler de cette décision auprès de la Cour fédérale du Canada.

L’article 7 de la Loi prévoit ce qui suit :

7. (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries—ou en permettre l’octroi —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’octroi de baux, permis et licences pour un terme supérieur à neuf ans est subordonné à l’autorisation du gouverneur général en conseil.

Je souligne qu’en l’espèce, aucune question ne se pose quant à l’exercice de l’autorité exercée par le directeur général régional pour le compte du ministre en vertu de l’article 7 de la Loi, c’est-à-dire, aucune question ne se soulève quant à la délégation des pouvoirs conférés au ministre par la Loi.

On fait valoir au nom du requérant que l’article 7 de la Loi n’autorise pas le ministre à imposer une peine pour la violation des conditions des permis de pêche. Le requérant soutient que la Loi contient des dispositions pénales en application desquelles il aurait pu être accusé, et de fait il semble que certaines accusations aient été portées. Le requérant estime que le ministre n’a pas la compétence nécessaire pour recourir à l’article 7 pour lui imposer un peine et qu’en le faisant, il tentait de faire échec au processus judiciaire conçu pour fournir des garanties procédurales à quiconque est accusé en vertu des dispositions pénales de la Loi. L’avocat du requérant affirme que le processus administratif utilisé ici permet aux agents des pêches de tenir le rôle d’enquêteurs, de procureurs de la poursuite et de juges en imposant des peines sans les garanties traditionnelles ordinairement disponibles en vertu du processus judiciaire, que le législateur a expressément accordées en vertu des articles 78 à 79.7 de la Loi [art. 78 (mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 24), 78.1 à 78.6 (édictés, idem), 79 (mod., idem), 79.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 97; L.C. 1991, ch. 1, art. 24), 79.2 à 79.7 (édictés, idem)], à ceux qui sont accusés de violations donnant lieu à poursuites. Le requérant soutient que le pouvoir discrétionnaire accordé à l’article 7 consiste soit à délivrer ou à autoriser la délivrance d’un permis, soit à ne pas le faire. Selon le requérant, ou doit interpréter les dispositions pénales de la Loi en faveur du particulier de sorte que les protections procédurales ordinaires, dont dispose une personne dans les procédures judiciaires, soient préservées.

On fait valoir en outre, sur le fondement d’articles de journaux concernant les poursuites pour dépassement du contingent de poisson, que les peines imposées aux autres personnes poursuivies devant les tribunaux en vertu de la Loi ont été moins considérables que celles imposées en l’espèce au requérant. Des dépassements de contingent bien supérieurs à ceux du requérant ont donné lieu à des sommes inférieures, en ce qui concerne les amendes et les prises confisquées, à celles que le MPO a estimées en l’espèce comme représentant la perte pécuniaire subie par le requérant.

On fait valoir pour le requérant qu’assujettir la délivrance d’un permis au respect des conditions d’un permis antérieur équivaut, de la part du ministre et de ses représentants, à adopter une politique générale, mesure qui constitue essentiellement un acte législatif. On soutient en outre que l’application d’une politique d’une façon qui contrôle le jugement discrétionnaire du ministre impose des limitations à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. En l’espèce, comme on l’a souligné, il semble que des lignes directrices du MPO applicables aux sanctions pour la région du Golfe aient régi les violations des permis de pêche au crabe des neiges, et qu’elles devaient s’appliquer en qualité de conditions des permis futurs. De plus, le requérant affirme que l’article 22 du Règlement, qui permet au ministre d’imposer des conditions à la délivrance des permis, ne lui donne pas le pouvoir discrétionnaire d’imposer des sanctions de la nature de celles qui sont imposées en l’espèce en qualité de conditions des permis, puisque ces sanctions visent des peines à l’égard desquelles la Loi prévoit pas ailleurs des procédures.

Un autre souci du requérant est le moment où les mesures ont été prises par rapport à son permis. Les violations qui ont eu lieu en mai et au début de juin 1994 ont été considérées relativement à la délivrance d’un permis l’année suivante, mais ce processus n’a été enclenché par le MPO qu’en janvier 1995 et une décision n’a été prise qu’à la mi-avril, juste avant l’ouverture de la saison 1995. Il n’y avait alors pas possibilité de contester la décision par voie de contrôle judiciaire avant l’ouverture de la saison, de sorte que la peine imposée, qui n’était pas susceptible d’appel auprès du MPO, ne pouvait être contestée d’aucune façon efficace avant sa mise à exécution.

On fait valoir pour le défendeur que la décision du ministre en l’espèce est une décision administrative. Selon le défendeur, l’article 7 de la Loi, en conférant au ministre le droit de délivrer un permis, lui accorde aussi le pouvoir d’en refuser la délivrance, comme il l’a fait pour au moins une partie de la saison dans les circonstances. L’intimé affirme que la décision de délivrer ou non un permis n’est pas de nature pénale. De plus, dit-il, les politiques relatives aux sanctions élaborées par le Ministère n’ont pas fait obstacle au pouvoir discrétionnaire du ministre, car en l’espèce la sanction concrétisée par une réduction de contingent était plus stricte à certains égards que celle qui aurait pu être imposée en vertu de ces politiques et en même temps, il n’y a pas eu recours à tout l’éventail des sanctions possibles prévues par ces politiques. L’intimé soutient que les infractions du requérant sont très graves et qu’il a eu la possibilité de repousser les inquiétudes formulées en vue de leur examen par le ministre relativement aux infractions en cause.

L’avocat de l’intimé affirme que le ministre a le pouvoir discrétionnaire absolu de décider s’il y a lieu ou non de délivrer un permis conformément à l’article 7. Lorsqu’il a pris sa décision en l’espèce pour le ministre, on dit que le directeur général régional a tenu compte de la preuve soumise, dont la preuve de graves infractions, par le requérant, aux conditions de son permis, aussi bien que des observations de ce dernier. Je note que la dernière « observation » semble être une lettre de l’avocat du requérant dans laquelle d’une part, il s’oppose aux sanctions envisagées à l’époque alors que le requérant était déjà poursuivi et que la Cour n’avait rendu aucune décision, et d’autre part, il demande des renseignements sur les pratiques du Ministère au sujet des dépassements de contingent afin de pouvoir préparer [traduction] « une défense adéquate » aux recommandations de restreindre le permis de son client pour 1995. Il semble y avoir eu quelque confusion au sujet de la date de réception de la lettre, qualifiée d’[traduction] « observations », de la part de l’avocat du requérant, lettre restée sans réponse à la demande de renseignements de l’avocat. Dans les circonstances, il semble plutôt injuste de considérer la lettre comme si elle contenait des observations sur le bien-fondé des mesures alors proposées par le MPO.

Mise à part la question de l’équité dans la procédure, le ministre, à mon sens, a excédé en l’espèce la compétence que lui confère l’article 7 de la Loi en refusant de délivrer au requérant un permis de pêche au crabe des neiges pour les trois premières semaines et en réduisant son contingent de 50 % pour la saison 1995 alors que ces restrictions visaient à sanctionner des violations de la Loi commises par le requérant en 1994. Il ne peut y avoir aucun doute en l’espèce que l’objet des restrictions était d’imposer une peine. Dans le dernier paragraphe de la [traduction] « Demande de décision » du MPO adressée au directeur général, cet objet est clairement exprimé.

[traduction] Cette demande est la conséquence de la violation des conditions de son permis à quatre occasions distinctes contrairement au paragraphe 22(7) du Règlement de pêche (dispositions générales). Les dépassements de contingent témoignent d’un mépris continuel pour les niveaux de récolte fixés, et l’infraction que constitue le défaut de prévenir du changement de zones de pêche au crabe symbolise le difficile et historique problème de mise à exécution dans les pêcheries de crabe des neiges de l’Î.-P.-É.. Une sanction aussi sévère est nécessaire pour constituer une dissuasion et conséquemment aider à protéger cette précieuse ressource …

Dans la lettre de décision en date du 12 avril 1995, adressée, comme nous l’avons vu, à Matthews, le directeur général fait mention des documents que le Ministère lui a soumis et des observations faites pour le compte du requérant, et il ordonne alors

[traduction] … que la sanction suivante soit imposée à votre permis de pêche au crabe des neiges pour les zones 25 et 26.

Votre permis de pêche au crabe des neiges ne sera pas délivré pour les trois premières semaines de la saison de pêche 1995 dans les zones 25 et 26, et votre contingent de crabe des neiges pour 1995 sera réduit de 50 %.

Vu cet objectif déclaré, à mon avis, cette affaire se distingue des circonstances en cause dans l’affaire Everett c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1994), 25 Admin. L.R. (2d) 112 (C.A.F.), sur laquelle s’appuie l’intimé. Dans cette affaire, le ministre avait refusé d’accorder au requérant un permis de pêche en 1993 en raison de violations de son permis, qui auraient eu lieu en 1990 lorsque l’on a conclu que ses prises réelles, qui n’avait pas été correctement déclarées, dépassaient son contingent de 100 %. Dans l’affaire Everett, la question de savoir si le ministre avait compétence, en vertu de l’article 7 de la Loi, de refuser la délivrance d’un permis en guise de sanction n’était pas directement soumise à la Cour, du moins selon mon interprétation des décisions de mon collègue, le juge Denault, le juge des requêtes, dans (1993), 63 F.T.R. 279, et de la Cour d’appel, précitée. Dans cette affaire [à la page 282], on a dit que la décision du ministre tenait compte du dossier dont il était saisi, qui montrait un grave mépris des règles de conservation, et pour « la raison que les fausses déclarations concernant les prises et le dépassement des quotas constituent des infractions très graves en matière de conservation et de contrôle des ressources ».

Mme le juge Desjardins, J.C.A., dans l’arrêt Everett, a déclaré (à la page 119) que l’instruction de l’affaire par le ministre, c’est-à-dire la considération de la recommandation ministérielle de ne pas délivrer de permis, n’était « pas une procédure pénale ». Le ministre avait le droit de décider la question selon la prépondérance des probabilités et le requérant n’avait soumis aucune preuve. Dans cette affaire, le juge MacGuigan, J.C.A., a souligné qu’il n’y avait pas contestation auprès de la Cour du rapport du MPO au sujet de pêches beaucoup trop considérables par le requérant, excédant de beaucoup son contingent, rapport dont le ministre pouvait tenir compte dans une décision portant sur la délivrance d’un permis. En l’espèce cependant, bien que l’on puisse faire valoir que la décision rendue au nom du ministre a un effet général identique, mais quelque peu moins draconien, à celui dont il est question dans l’arrêt Everett , il ressort clairement de la lettre du 12 avril 1995 que l’on voulait que la décision en l’espèce au nom du ministre ait un caractère pénal.

En vertu du Règlement, le gouverneur en conseil a prévu une grande variété de conditions que le ministre impose en accordant un permis. Ce qui n’est pas étonnant, aucune des conditions mentionnées expressément à l’article 22 de ce Règlement ne fait allusion à l’imposition de sanctions à l’égard de violations passées d’un permis, car la Loi elle-même contient des dispositions relatives à des procédures pénales. Le Règlement prévoit cependant que l’observation de la Loi et des règlements est une condition de tout permis (paragraphe 22(6)) et qu’il est interdit à quiconque pratique une activité autorisée en vertu d’un permis de contrevenir aux conditions de ce permis (paragraphe 22(7)).

La Loi prévoit des peines et des processus pour sanctionner ceux qui contreviennent à la Loi ou à ses règlements. Notons parmi ces dispositions :

78. Sauf disposition contraire de la présente loi, quiconque contrevient à celle-ci ou à ses règlements commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité :

a) par procédure sommaire, une amende maximale de cent mille dollars lors d’une première infraction ou, en cas de récidive, une amende maximale de cent mille dollars et un emprisonnement maximal d’un an, ou l’une de ces peines;

b) par mise en accusation, une amende maximale de cinq cent mille dollars lors d’une première infraction ou, en cas de récidive, une amende maximale de cinq cent mille dollars et un emprisonnement maximal de deux ans, ou l’une de ces peines.

78.6 Nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction à la présente loi s’il établit :

a) soit qu’il a pris les mesures nécessaires pour l’empêcher;

b) soit qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l’existence de faits qui, avérés, l’innocenteraient.

79. Le tribunal saisi d’une poursuite pour infraction à la présente loi peut, s’il est convaincu que le contrevenant a tiré des avantages financiers de la perpétration de celle-ci, lui infliger, indépendamment de l’amende maximale qui peut être infligée en vertu de cette loi, le montant qu’il juge égal à ces avantages, à titre d’amende supplémentaire.

79.1 En cas de déclaration de culpabilité pour une infraction à la présente loi commise dans l’exercice d’activités régies par un bail, une licence ou un permis délivré en vertu de cette loi ou de ses règlements, le tribunal peut, en sus de toute autre peine infligée, par ordonnance :

a) annuler la licence, le permis ou le bail ou les suspendre pour la période qu’il estime indiquée;

b) interdire au titulaire de présenter une nouvelle demande de licence, de permis ou de bail sous le régime de la présente loi pendant la période qu’il estime indiquée.

De plus, la Loi prévoit diverses ordonnances judiciaires, qu’il s’agisse de prohibitions ou de directives, en plus de toute peine imposée en cas de déclaration de culpabilité (article 79.2), à l’égard d’une autre infraction et une peine s’il y a contravention à une ordonnance de la Cour (article 79.6), et des modes de poursuite par le truchement de « contraventions » à l’égard des infractions désignées par règlement, un processus apparemment destiné à fournir une procédure simplifiée pour sanctionner les infractions dont le gouverneur en conseil peut ordonner, par règlement, qu’elles relèvent du processus en question (article 79.7).

En vertu de la Loi l’article 43 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 35, art. 3, 7; L.C. 1991, ch. 1, art. 12] confère au gouverneur en conseil l’autorité de prendre des règlements d’application de la Loi, notamment concernant la gestion et la surveillance des pêches en eaux côtières et internes, la conservation et la protection du poisson, la délivrance, la suspension et la révocation des permis, les conditions attachées aux permis et une variété d’autres questions. Cette disposition n’autorise pas expressément le gouverneur en conseil à prévoir, par sanction ou peine, une punition pour la violation des conditions d’un permis. Puisque le législateur traite expressément de cette question dans la Loi, et qu’elle n’est pas expressément visée par l’autorité réglementaire conférée au gouverneur en conseil ou au ministre, je suis d’avis qu’elle échappe implicitement aux pouvoirs réglementaires délégués en vertu de la Loi.

Le législateur a expressément prévu dans la Loi une variété de peines, dont l’interdiction d’obtenir un nouveau permis, imposable par un tribunal judiciaire, lorsque les garanties procédurales associées au processus judiciaire sont disponibles, et le législateur n’a pas autorisé l’imposition de peines au moyen d’un autre processus administratif. J’estime qu’il est implicite que le législateur n’avait pas l’intention que le ministre exerce des pouvoirs pénaux. Ainsi donc, en exerçant le pouvoir qu’il a de délivrer ou non des permis en vertu de l’article 7, le ministre ne peut pas agir dans le but d’imposer des peines ou des sanctions à l’égard de violations passées de permis. Il se peut que l’observation antérieure, par le requérant, des conditions d’un permis soit un facteur pertinent dont le ministre tiendra compte comme un des aspects de la conservation lorsqu’il décidera de l’opportunité de la délivrance d’un permis, comme ce fut le cas dans l’affaire Everett, mais l’article 7 (l’autorité générale en matière de baux, permis et licences) ne peut être appliqué pour la fin principale d’imposer une peine au requérant. Si le ministre veut imposer une peine à quiconque est censé avoir violé la Loi, ses Règlements, ou les conditions de son permis, le législateur, en prévoyant les dispositions pénales de la Loi, a dicté comment il doit poursuivre cet objectif, soit par voie de poursuite en vertu de la Loi.

Puisque, à mon sens, la décision en l’espèce entendait clairement pénaliser le requérant pour avoir violé les conditions de son permis de 1994 de pêche au crabe des mers, cette décision dépasse l’étendue de l’autorité conférée au ministre par l’article 7. Cet article n’accorde pas le pouvoir d’appliquer des peines sanctionnant les infractions à l’égard desquelles des poursuites sont par ailleurs prévues en vertu de la Loi. Le requérant a droit aux garanties procédurales envisagées par les dispositions pénales de la Loi, s’il doit y avoir recours à un mécanisme d’imposition de peines pour violation de la Loi ou de ses Règlements. On a déjà fait mention dans ces motifs que l’agent des pêches a écrit dans son rapport que dans les circonstances en cause, le requérant ne pouvait opposer la défense de la diligence nécessaire. Bien que l’on n’y ait pas fait allusion dans les plaidoiries, cela semble viser la défense possible à une poursuite, défense exposée à l’article 78.6 de la Loi, laquelle ne peut être écartée par un agent des pêches si le requérant est poursuivi conformément à la Loi pour violation des conditions de son permis de pêche. L’agent enquêteur, par le processus administratif appliqué en l’espèce, nie la validité du recours à une défense prévue par la Loi, sans avoir discuté de la question avec le requérant.

Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Cela aurait ordinairement pour conséquence la délivrance de l’ordonnance portant que la décision par laquelle le ministre, le 12 avril 1995, décidait de ne pas délivrer au requérant un permis de pêche au crabe des neiges pour les trois premières semaines de la saison 1995 et de réduire son contingent de 50 %, doit être annulée ou infirmée. En outre, cela entraînerait le réexamen, par le ministre, de la demande de permis du requérant. En l’espèce, un examen de ce genre ne fournirait aucune réparation efficace, car un permis pour 1995 serait vain même s’il devait être délivré.

Néanmoins, la question soulevée en l’espèce conserve une importance vitale à l’égard des saisons à venir. Dans les circonstances, bien qu’un jugement déclaratoire n’a pas été expressément recherché en l’espèce, cela me semble la réparation appropriée étant donné ma conclusion relative à la décision du ministre dans cette affaire. Cette conclusion est que, indépendamment de ce que peut contenir d’autre le pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de l’article 7 de la Loi, ce pouvoir ne comprend pas l’autorité d’imposer des peines à l’égard de violations antérieures de la Loi, de ses Règlements ou des conditions des permis. Ainsi le déclare l’ordonnance rendue aux présentes. Le législateur a déjà prévu un processus applicable à de telles violations aux articles 78 à 79.7 de la Loi, et il n’a pas autorisé l’adoption de règlements qui permettraient l’imposition de peines par des processus autres que ceux qui sont exposés dans la Loi.

On a fait valoir dans des observations écrites faites pour le compte de l’intimé que l’intimé compétent dans cette affaire est le procureur général du Canada, et non le ministre des Pêches et des Océans, originalement désigné par le requérant (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 447(C.A.)). J’accueille cette observation et l’ordonnance rendue présentement prévoit que désormais l’intimé dans ces procédures sera le procureur général, et l’intitulé de la cause est modifié en conséquence.

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