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     T-222-97

Rachel Shilling (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada représentée par le ministre du Revenu National (défenderesse)

Répertorié: Shilling c. M.R.N. (1re inst.)

Section de première instance, juge Sharlow"Toronto, 31 mai, 1er et 2 juin; Ottawa, 9 juin 1999.

Peuples autochtones " Taxation " Impôt sur le revenu " Une membre de la bande indienne de Rama vit à Toronto où elle travaille dans un centre de santé pour autochtones " Son employeur est un Indien, unique propriétaire d'une agence de placement pour autochtones, dans la réserve des Six nations de la rivière Grand " L'art. 87 de la Loi sur les Indiens exempte de taxation les biens d'un Indien situés sur une réserve " Historique de la position du ministère public et de la jurisprudence sur la question de savoir si le revenu d'emploi est un bien meuble d'un Indien situé sur une réserve " But et interprétation de l'art. 87 " La règle de la résidence du débiteur survit-elle à l'arrêt Williams de la C.S.C.? " Les facteurs de rattachement sont soupesés au cas par cas " Application du critère des facteurs de rattachement " Résidence de l'employé " Lieu et nature de l'emploi et bénéfice qu'en tire la réserve " Les Indiens, comme les autres contribuables, peuvent organiser leurs affaires dans le seul but de bénéficier de réductions d'impôt permises par la Loi de l'impôt sur le revenu " Peu importe que l'employeur soit sur une réserve différente de celle où se trouve la bande demanderesse " L'art. 87 est large et fait référence aux biens situés sur "une réserve" et non pas sur "la réserve" " Le lieu de résidence de l'employeur est le facteur le plus important en l'espèce " Le revenu d'emploi de la demanderesse est exempt d'impôt sur le revenu parce qu'il est situé sur une réserve.

Impôt sur le revenu " Exemptions " Indiens " Le revenu d'emploi d'une Indienne de la réserve de Rama, qui travaille dans un centre de santé pour autochtones situé à Toronto, est-il exempt d'impôt parce qu'il est "situé sur une réserve" (Loi sur les indiens, art. 87)? " L'employeur est un Indien qui fait affaire dans la réserve des Six nations de la rivière Grand " Historique de la position du ministère public et de l'interprétation jurisprudentielle de l'art. 87 " But de l'art. 87 " Lieu ou est situé le revenu d'emploi " Règle de la résidence du débiteur " Critère des facteurs de rattachement " L'importance accordée à la résidence de l'employé en tant que facteur de rattachement dans les "lignes directrices" de Revenu Canada pourrait devoir être modifiée " L'argument du ministère public selon lequel la résidence de l'employeur n'est qu'un faible facteur de rattachement et que la demanderesse a signé un contrat avec lui en raison des avantages fiscaux est rejeté " Les Indiens, comme les autres, peuvent organiser leurs affaires de façon à réduire leur fardeau fiscal " Le revenu d'emploi de la demanderesse est exempt d'impôt parce qu'il est situé sur une réserve.

La demanderesse est une Ojibway de la bande indienne de Rama, qui vit à Toronto. Depuis 1993, elle travaille au Anishnawbe Health Toronto (AHT), un centre de santé pour autochtones; son employeur est un Indien s'appelant Roger Obonsawin, qui exploite, à titre de propriétaire unique, une agence de placement pour autochtones portant le nom de Native Leasing Services (NLS). M. Obonsawin réside et fait affaire dans la réserve des Six nations de la rivière Grand, située dans le sud de l'Ontario. L'agence a passé un contrat avec AHT en 1992. La demanderesse a signé un contrat avec NLS afin de bénéficier de l'article 87 de la Loi sur les Indiens et d'être donc exemptée d'impôt sur le revenu. Le ministère public, toutefois, a émis un avis de cotisation à l'endroit de la demanderesse sur la base que son revenu d'emploi gagné chez NLS pendant les années d'imposition 1995 et 1996 est imposable.

La demanderesse prétend qu'elle n'a pas à payer d'impôt quant à son revenu d'emploi pour ces années parce que ce revenu était "situ[é] sur une réserve" au sens de l'article 87 de la Loi sur les Indiens .

La question a été présentée sous la forme d'une question portant sur un point de droit, en vertu de la règle 220 des Règles de la Cour fédérale (1998), fondée sur un exposé conjoint des faits.

Jugement: la question doit recevoir une réponse en faveur de la demanderesse.

L'article 87 exempte de taxation tous les biens d'un Indien situés sur une réserve. Le but de l'article 87 de la Loi sur les indiens "est simplement de protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens sur leurs terres réservées pour veiller à ce que ceux-ci ne soient pas dépouillés de leurs droits": Mitchell c. Bande indienne Peguis , [1990] 2 R.C.S. 85. Il est bien établi qu'un revenu d'emploi est un bien meuble: Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29. Avant 1972, le ministère public soutenait que le revenu d'emploi d'un Indien était exempt de taxation seulement si l'Indien en question vivait et travaillait dans une réserve. En 1972, le ministère public a émis un Bulletin d'interprétation qui a déplacé le point central au lieu où le travail était exécuté. Par la suite, toutefois, le point central est devenu le lieu de résidence de l'employeur: R. c. National Indian Brotherhood, [1979] 1 C.F. 103 (1re inst.). Cependant, dans l'arrêt Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, il a été décidé que le situs du revenu devrait être déterminé en soupesant tous les facteurs de rattachement au cas par cas en tenant compte de trois choses: l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, le genre de bien en cause et la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien en tant qu'Indien sur une réserve. L'arrêt Williams laisse place à la possibilité que, dans certains cas, le critère des facteurs de rattachement apporte le même résultat que la règle de la résidence du débiteur.

Les lignes directrices de Revenu Canada n'ont pas force de loi, ne prétendent pas avoir force de loi et ne devraient pas être lues comme si elles avaient force de loi. Elles pourraient devoir être modifiées parce qu'elles accordent une importance indue à la résidence de l'employé en tant que facteur de rattachement.

L'avocat du ministère public a reconnu que le lieu de résidence de l'employé n'était pas pertinent en l'espèce. Pour plusieurs Indiens, le choix de résider à l'extérieur de la réserve n'est pas voulu, mais forcé par des événements se produisant à cause des inconvénients sociaux et économiques de la vie sur certaines réserves. La détermination de l'emplacement du revenu d'emploi pour l'application de l'article 87 ne devrait aucunement relever du lieu de résidence de l'employé ou de ses liens personnels et sociaux avec la réserve. Il n'existe aucun lien logique entre ces caractéristiques personnelles et la relation d'emploi ou avec l'emplacement du revenu d'emploi pour l'application de l'article 87.

Le fait que le revenu gagné provienne de la prestation de services à des personnes autochtones ne devrait pas être considéré comme un facteur de rattachement parce que cela ne nécessite pas un rattachement avec la réserve comme lieu physique. Toutefois, s'il doit être tenu compte du bénéfice apporté à une réserve, l'avantage apporté à NLS, une entreprise située dans une réserve, doit être considéré comme un facteur qui relie le revenu d'emploi de la demanderesse à une réserve.

Les parties sont d'accord pour dire que la résidence de l'employeur devrait être un facteur de rattachement. Le fait que la demanderesse est devenue une employée de NLS en raison des avantages fiscaux ne devrait pas diminuer le poids de ce facteur de rattachement. Il est bien établi que les contribuables peuvent organiser leurs affaires d'une façon particulière dans le seul but de se prévaloir délibérément des mécanismes de réduction de l'impôt prévus dans la Loi de l'impôt sur le revenu. En outre, le fait que la réserve en cause soit celle des Six nations de la rivière Grand, où M. Obonsawin et NLS ont leur résidence, plutôt que celle de Rama, n'est pas pertinent. L'article 87 fait référence aux biens situés sur "une réserve" et non pas sur "la réserve" ou "la réserve appartenant à la bande dont l'Indien[ne] est membre". Ce qui est pertinent est que, parce qu'elle a choisi cet employeur, la demanderesse ne peut se tourner vers personne d'autre que M. Obonsawin, qui réside sur la réserve, afin d'obtenir son salaire.

Le lieu du paiement du salaire de la demanderesse n'est pas pertinent.

Le facteur le plus important dont il doit être tenu compte pour déterminer l'emplacement du revenu d'emploi de la demanderesse est la résidence de son employeur. En raison des conséquences juridiques et économiques non négligeables de sa relation d'emploi, il est accordé beaucoup de poids à ce facteur. L'employeur de la demanderesse réside sur une réserve, ce qui appuie la conclusion que son revenu d'emploi est situé dans une réserve.

Un autre facteur qui permet de relier le revenu à la réserve est le fait que le travail de la demanderesse bénéficie à l'entreprise de son employeur, qui est une entreprise située sur une réserve.

Le revenu d'emploi de la demanderesse est situé sur une réserve et est exempt d'impôt sur le revenu en vertu de l'article 87 de la Loi sur les Indiens.

    lois et règlements

        Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n 44], art. 15(1).

        Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48.

        Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11.

        Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) "bande", "Indien", 87.

        Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, art. 87.

        Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 220.

    jurisprudence

        décisions appliquées:

        Mitchell c. Bande indienne Peguis (juge La Forest, quant aux principes d'interprétation applicables), [1990] 2 R.C.S. 85; (1990), 71 D.L.R. (4th) 193; [1990] 5 W.W.R. 97; 67 Man. R. (2d) 81; [1990] 3 C.N.L.R. 46; 110 N.R. 241; 3 T.C.T. 5219; Union of New Brunswick Indians c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [1998] 1 R.C.S. 1161; (1998), 200 N.B.R. (2d) 201; 161 D.L.R. (4th) 193; 512 A.P.R. 201; [1998] 3 C.N.L.R. 295; 98 G.T.C. 6247; 227 N.R. 92; Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877; (1992), 90 D.L.R. (4th) 129; 41 C.C.E.L. 1; [1992] 3 C.N.L.R. 181; [1992] 1 C.T.C. 225; 92 DTC 6320; 136 N.R. 161; Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770; (1998), 159 D.L.R. (4th) 1; [1998] 3 C.T.C. 177; 98 DTC 6297; 225 N.R. 190.

        distinction faite d'avec:

        Canada c. Folster, [1997] 3 C.F. 269; (1997), 148 D.L.R. (4th) 314; [1997] 3 C.T.C. 157; 97 DTC 5315; 212 N.R. 342 (C.A.); Recalma c. Canada, [1998] 3 C.N.L.R. 279; [1998] 2 C.T.C. 403; (1998), 98 DTC 6238; 232 N.R. 7 (C.A.F.).

        décisions examinées:

        R. c. National Indian Brotherhood, [1979] 1 C.F. 103; (1978), 92 D.L.R. (3d) 333; 9 C.N.L.C. 268; [1978] CTC 680; 78 DTC 6488 (1re inst.); Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41.

        décisions citées:

        Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord) (1999), 173 D.L.R. (4th) 1 (C.S.C.); Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020; (1990), 76 D.L.R. (4th) 217; [1991] 2 W.W.R. 244; [1991] 1 C.T.C. 169; 91 DTC 5001; 119 N.R. 101; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312; (1994), 94 DTC 6314; 168 N.R. 16; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336; (1997), 148 D.L.R. (4th) 1; [1998] 1 C.T.C. 213; 97 DTC 5363; 213 N.R. 81; Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795; (1998), 159 D.L.R. (4th) 457; 39 B.L.R. (2d) 1; [1998] 3 C.T.C. 303; 98 DTC 6334; 225 N.R. 241.

    doctrine

        Canada. Ministère du Revenu national. Impôt. Bulletin d'interprétation IT-62, 18 août 1972.

        Cheshire, G. C. Private International Law, 10th ed. by P. M. North. London: Butterworths, 1979.

        Nouveau Petit Robert: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (Le), Paris: Dictionnaire Le Robert, 1993.

        Shorter Oxford English Dictionary, Vol. II, 3rd ed., Oxford: Clarendon Press, 1973.

DÉCISION sur un point de droit en vertu de la règle 220 des Règles de la Cour fédérale (1998) quant à savoir si la demanderesse, une Indienne qui travaille dans un centre de santé pour autochtones situé à Toronto mais dont l'employeur est une agence de placement pour autochtones située sur une réserve, a droit, par application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, à une exemption d'impôt sur le revenu. La demanderesse a droit à l'exemption.

    ont comparu:

    Leslie J. Pinder et Clarine Ostrove pour la demanderesse.

    Paul E. Plourde et François Bordeleau pour la défenderesse.

    avocats inscrits au dossier:

    Leslie J. Pinder, Vancouver, pour la demande-resse.

    Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Sharlow: La demanderesse, Rachel Shilling, prétend qu'elle n'a pas à payer d'impôt quant à son revenu d'emploi pour les années 1995 et 1996 parce que ce revenu était "situ[é] sur une réserve" au sens de l'article 87 de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5].

Le point litigieux a été présenté sous forme de question de droit, en vertu de la règle 220 [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106], sur la base d'un exposé conjoint des faits et de la transcription de l'interrogatoire préalable de la demanderesse.

Les faits

Mme Shilling est une "Indien[ne]" suivant la définition donnée dans la Loi sur les Indiens [paragraphe 2(1)], et est membre de la bande de Rama, qui est une "bande" suivant la définition donnée dans la Loi sur les Indiens [paragraphe 2(1)]. Les membres de la bande de Rama sont des Ojibways. La bande de Rama vit dans une réserve située à Orillia (Ontario). L'exposé conjoint des faits énonce, au paragraphe 2:

[traduction] L'identité personnelle de la demanderesse est pliée au fait d'être membre de la bande et de sa première nation.

Cette affirmation est expliquée plus en profondeur dans l'extrait de l'interrogatoire préalable de Mme Shilling qui suit:

[traduction]

11. [. . .] LA DÉPOSANTE: Ma mère et mon père ont été élevés dans la réserve de Rama, sauf pour la période où ma mère était au pensionnat. C'est une partie de notre communauté. C'est là que j'ai grandi, et c'est de là que je viens.

PAR M. PLOURDE:

12.    Q.    Serait-il juste de dire que vous vous considérez d'abord et avant tout comme une autochtone? Est-ce là le message que vous tentez de communiquer dans ce paragraphe?

    R.    M'hmm. C'est ce qui nous a été enseigné. C'est ce qui nous a été entré dans la tête, que nous faisions d'abord partie du groupe des Shilling dans ma communauté, puis du groupe des Ojibways, qui [. . .] je ne sais pas comment l'expliquer. Les gens à ma réserve étaient comme nos cousins au premier degré et la nation Ojibway, qui s'étend le long des Grands Lacs au Canada et aux États-Unis, sont comme des cousins au second degré, et c'est comme ça que nous avons été toujours [. . .] que nous pensions.

13.    Q.    Quand vous dites que vous êtes membre de la bande, voulez-vous dire que vous êtes une Ojibway, ou est-ce un concept différent?

    R.    Ojibway [. . .] quand je suis à Toronto et que je rencontre d'autres Ojibways, ils sont comme des frères pour moi et un frère, comme une sœur pour nous, même s'ils ne viennent pas de Rama; et quand tu rencontres quelqu'un de Rama, c'est encore plus proche. C'est comme [. . .]

14.    Q.    Donc, quand vous dites la "bande", cela se rapporte à la réserve de Rama même?

    R.    À ma communauté, oui.

15.    Q.    D'accord.

    R.    Et nous sommes tous Ojibways, donc nous pensons que nous avons de la famille partout, et ils sont tous des Ojibways. De cette façon, tu vas au Minnesota, tu peux aller à Sault Ste. Marie (Ontario), et ces gens-là sont tes cousins.

16.    Q.    Donc, c'est une grande famille?

    R.    Oui, oui.

Mme Shilling est née en 1951 et a habité la réserve de Rama pendant les 20 premières années de sa vie, avec ses parents et leurs 11 autres enfants. Les raisons pour lesquelles elle est allée vivre à Toronto sont expliquées dans son interrogatoire préalable:

[traduction]

    R.    Ma mère a grandi dans un pensionnat. Elle est allée à un pensionnat à l'âge de cinq ans, et elle y a été jusqu'à l'âge de 21 ans, je crois. Non, probablement 19. Durant tout le temps où je grandissais à la réserve, je suis la onzième de douze enfants, et quand j'ai commencé à poser des questions, la façon dont elle répondait était: "Je ne sais pas ce que sont vos traditions. Je sais que ce qu'ils t'enseignent à l'église et dans les écoles n'est pas la réponse, mais je ne sais pas quoi te dire, alors tu devras sortir et aller le trouver par toi-même".

L'église avait une très grande influence dans ma communauté et on ne m'a pas encouragée à participer à ce qui se passait à la réserve. Mais elle m'a toujours dit: "Trouve ce que c'est. Trouve ce qu'est ta culture. Je ne peux pas te l'apprendre, mais c'est là-bas, quelque part."

Donc, quand je suis venue à Toronto, les gens qui avaient les plus fortes traditions étaient les Mohawks, et ce sont eux qui partagent le plus ces enseignements à Toronto, et j'ai souvent posé des questions à propos des traditions Ojibways, et personne ne savait. Cela comprend ma communauté et celle de Toronto, donc j'ai comme pris les traditions Mohawks et j'ai passé beaucoup de temps avec les aînés, et ils m'ont aidé à élever mon fils.

5.    Q.    Vous dites que cela était une raison. Y a-t-il d'autres raisons qui ont fait que vous ressentiez le besoin de partir de la réserve en "71?

    R.    Oui. Il y a plusieurs raisons.

6.    Q.    Encore une fois, je ne veux pas vous embrouiller. Il y a une référence dans la déclaration, au paragraphe 5, à plusieurs autres raisons.

    R.    Quand j'ai quitté la réserve en "71, j'avais aussi des frères et des sœurs qui étaient adultes; ils avaient leurs propres familles et vivaient à Détroit, Windsor, London, dans la région de Toronto; donc j'ai passé beaucoup de temps avec les membres de ma famille et d'autres [. . .] c'est pourquoi je suis venue à Toronto, il y avait tellement de gens pour s'occuper de moi, des possibilités d'emploi, bien sûr, parce qu'il y avait [. . .] les possibilités à ma réserve étaient presque inexistantes. Tous les emplois qui étaient disponibles à la réserve étaient pris par des non-autochtones.

Mme Shilling a un fils qui est né en 1972. En 1979, elle a décidé de retourner vivre dans la réserve de Rama pour initier son fils à la communauté et aux traditions ojibways, qui commençaient alors à se revivifier. Mme Shilling a pu se trouver un emploi dans la réserve de Rama. Pendant le temps où elle a travaillé, elle a vécu dans la réserve, sauf pour les six premiers mois, où elle a vécu à Orillia en attendant de trouver un logement dans la réserve.

Quand Mme Shilling est retournée à Toronto en 1985, c'était pour sortir son fils de la réserve de Rama car il y était sujet à de mauvaises influences.

Depuis 1985, Mme Shilling a vécu à Toronto et y a travaillé, sauf pendant une courte période en 1989, où elle a touché des prestations d'assurance-emploi et une autre période d'environ six mois, d'octobre 1992 à mars 1993, où elle a touché des primes d'assuranceinvalidité.

Bien que Mme Shilling ait vécu pendant de longues périodes à Toronto, elle a toujours gardé de nombreux liens avec sa famille et sa communauté dans la réserve de Rama, qu'elle considère comme son foyer. Elle a hérité de son grand-père un certificat d'occupation d'un terrain de 6 acres situé sur la réserve de Rama. Elle a des liens familiaux avec environ trente pour cent des habitants de la réserve. Elle s'y rend environ à toutes les deux semaines et elle demeure chez des parents ou, l'été, elle fait du camping. Elle contribue de diverses façons à la vie de la réserve de Rama.

Tout au long de sa carrière, Mme Shilling a choisi d'occuper des emplois dans le domaine des services aux personnes et aux organismes autochtones. C'est le cas de presque tous les emplois rémunérés qu'elle a occupés, y compris son emploi dans la réserve de Rama de 1984 à 1989, et son emploi à Toronto avant et après cette période. Elle a aussi participé à la création et à la gestion de plusieurs organismes au service des personnes autochtones à Toronto.

Depuis 1993, Mme Shilling est employée par Roger Obonsawin, propriétaire unique d'une entreprise qui fait affaire sous le nom de Native Leasing Service (NLS). M. Obonsawin est un Mohawk et un "Indien" tel que défini dans la Loi sur les Indiens . Il réside et fait affaire dans la réserve des Six nations de la rivière Grand, située dans le sud de l'Ontario.

L'exposé conjoint des faits ne traite pas de l'emplacement des biens mais mentionne que le bureau principal de NSL est situé dans la réserve des Six nations de la rivière Grand et que NSL a un compte bancaire dans une succursale de la CIBC située tout près, dans la réserve Mississauga de New Credit. Aux fins de la présente affaire, la Couronne a admis que NSL et son propriétaire, M. Obonsawin, résidaient dans la réserve des Six nations de la rivière Grand.

En 1992, NLS a passé un contrat selon lequel NLS fournissait des employés à Anishnawbe Health Toronto (AHT), un centre de santé pour autochtones situé à Toronto.

AHT a été créé en 1987. AHT concentre ses activités sur les soins de santé préventifs et la guérison des personnes autochtones par les soins traditionnels, qui sont le cœur de l'organisme. À cet égard, AHT tient des cérémonies et apporte son aide lors de jeûnes saisonniers. L'organisme offre aussi des soins de santé occidentaux.

AHT conserve des liens importants et nécessaires avec les communautés de plusieurs réserves, qui sont la source des médecines traditionnelles et l'endroit où se déroulent certaines cérémonies et d'autres aspects du processus de guérison qui ne peuvent se faire dans un environnement urbain. Ces communautés incluent des Ojibways, des Mohawks et d'autres groupes dans des réserves situées à différents endroits en Ontario, mais n'incluent pas la bande de Rama. La clientèle de AHT est principalement autochtone.

En 1993, Mme Shilling s'est trouvé un emploi à AHT. On leur a dit qu'elle aurait le choix de signer un contrat avec NLS. Elle connaissait M. Obonsawin et elle savait qu'il s'occupait de promouvoir les intérêts des personnes autochtones. Elle a choisi cette dernière option afin de bénéficier de l'article 87 de la Loi sur les Indiens.

Le contrat entre Mme Shilling et NLS a été conclu le 8 mars 1993. Initialement, le contrat prévoyait un salaire horaire de 22,50 $. Le contrat a été modifié le 18 avril 1994 pour prévoir un salaire de 32 000 $ par année. Le contrat a été modifié deux fois, augmentant d'abord son salaire à 46 800 $ par année à compter du 18 avril 1994, puis le réduisant à 41 754 $ par année à compter du 5 décembre 1994.

Le salaire de Mme Shilling lui est versé par transfert bancaire de fonds provenant du compte bancaire situé dans la réserve Mississauga de New Credit. Au départ, l'argent était transféré dans le compte de Mme Shilling, dans une succursale de la Canada Trust à Toronto. Depuis le 14 juin 1995, l'argent est transféré dans son compte d'une succursale de la Banque Toronto-Dominion, située dans la réserve de Walpole Island. Depuis juin 1995, c'est le seul compte en banque que possède Mme Shilling.

Mme Shilling a fourni différents services à AHT. Elle a débuté en tant que coordonnatrice d'un programme de formation pour les personnes autochtones et elle agit maintenant à titre de directrice intérimaire du programme.

Mme Shilling remplit principalement ses fonctions à Toronto, qui consistent la plupart du temps à aider des personnes autochtones en crise à rétablir le contact avec leur culture; elle apporte aussi son support aux personnes qui suivent le processus de guérison. Elle a organisé des voyages de camping dans des réserves qui ont lieu deux fois par année, habituellement dans la réserve de Stoney Point. Pendant ces voyages, les clients de AHT rencontrent des aînés et participent à des sueries. Elle a amené des gens à des sueries mensuelles organisées par AHT dans des réserves. Chacun de ces voyages dure 12 ou 13 heures.

Mme Shilling était aussi responsable de la coordination d'un groupe de parents afin de mettre sur pied un programme Bon départ, pour préparer les jeunes enfants autochtones aux études scolaires et leur fournir un enseignement sur leur patrimoine. Il n'est pas établi clairement si elle a fait cela dans le cadre de son travail ou en tant que bénévole.

Même si les services de Mme Shilling sont fournis à AHT et visent à aider des clients d'AHT, la Couronne ne prétend pas que Mme Shilling soit une employée d'AHT. L'exposé conjoint des faits dit qu'elle est une employée de NLS.

Pour les années d'imposition 1993 et 1994, Mme Shilling n'avait pas à payer d'impôt sur son revenu d'emploi chez NLS en raison d'un décret de remise émis en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques [L.R.C. (1985), ch. F-11]. Cependant, ce décret de remise ne s'applique pas aux années 1995 et 1996.

Mme Shilling a produit des déclarations de revenus pour les années 1995 et 1996. La Couronne a émis un avis de cotisation à son endroit sur la base que son revenu d'emploi gagné chez NLS est imposable. Ses contestations à l'encontre de ces avis de cotisation sont en suspens en raison d'une entente survenue entre les parties, en attente du résultat des présentes procédures.

Le droit applicable

L'article 87 exempte de taxation tous les biens d'un Indien situés sur une réserve. Il s'agit d'une des dispositions de la Loi sur les Indiens qui prend racine dans l'obligation de la Couronne de protéger les intérêts des Indiens dans les réserves1. D'autres aspects de cette obligation se retrouvent dans des contraintes législatives portant sur l'aliénabilité des réserves, ainsi que dans la protection législative contre la saisie de biens se trouvant dans une réserve.

La façon d'appliquer l'article 87 à l'impôt sur le revenu d'emploi gagné par un Indien n'a pas toujours été claire. Avant 1972, la Couronne soutenait que le revenu d'emploi d'un Indien était exempt de taxation seulement si l'Indien en question vivait et travaillait dans la réserve.

En 1972, la Couronne a adopté un autre point de vue, comme l'indique le Bulletin d'interprétation IT-62, en date du 18 août 1972, intitulé "Indiens"2. Sur la base de ce bulletin, le point central est devenu le lieu où le travail était exécuté. Le lieu de résidence de l'employé, tout comme celui de l'employeur, n'étaient pas pertinents.

Par la suite, le lieu de résidence de l'employeur est devenu le point central en raison de la décision du juge en chef adjoint Thurlow dans R. c. National Indian Brotherhood, [1979] 1 C.F. 103 (1re inst.). La question dans cette affaire était de savoir si un impôt sur le revenu était payable sur les salaires gagnés par des employés indiens de la National Indian Brotherhood.

La National Indian Brotherhood était une société qui avait son siège social à Ottawa et qui pratiquait ses activités à la grandeur du Canada. Sa raison d'être et ses activités étaient d'aider les Indiens à la grandeur du Canada. Les employés qui étaient indiens avaient résidé dans des réserves avant de devenir des employés et auraient probablement résidé dans des réserves s'ils avaient cessé d'être des employés. Pendant qu'ils étaient au service de la société, la plupart résidaient à Ottawa. Ils accomplissaient leurs fonctions à la grandeur du Canada, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur de réserves.

Le juge en chef adjoint Thurlow est arrivé à la conclusion que, dans le contexte de l'article 87 [S.R.C. 1970, ch. I-6], le revenu d'emploi devrait être traité comme un droit à un traitement ou un salaire, et ainsi comme une simple dette contractuelle ou un droit incorporel. Selon les principes du droit international privé, le situs d'une simple dette contractuelle est la résidence du débiteur. Suivant le raisonnement du juge en chef adjoint Thurlow, ce même principe pourrait s'appliquer pour qu'un revenu d'emploi ait comme emplacement la résidence de l'employeur. Étant donné que National Indian Brotherhood était une société qui n'était pas située sur une réserve, le juge en chef adjoint Thurlow a conclu que le traitement qu'elle a payé ne pouvait pas être considéré comme situé sur une réserve.

Dans Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, la question était de savoir si l'article 87 [S.R.C. 1970, ch. I-6] s'appliquait au revenu d'emploi (une question qui n'avait pas été débattue dans la décision National Indian Brotherhood).

M. Nowegijick était Indien et bûcheron employé par Gull Bay Development Corporation, une société sans capital-actions dont le siège social et les bureaux administratifs étaient situés dans la réserve de Gull Bay. La société effectuait une opération forestière à dix miles de la réserve, endroit où M. Nowegijick exécutait les fonctions de son emploi. Il vivait dans la réserve. La Couronne a admis que l'employeur résidait dans la réserve et que si le revenu d'emploi de M. Nowegijick était un bien meuble au sens de l'article 87, l'exemption s'appliquerait.

La Cour Suprême du Canada a décidé que, pour l'application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, le revenu d'emploi est un bien meuble. M. Nowegijick a donc eu droit à l'exemption d'impôt sur le revenu pour son revenu d'emploi.

Bien que la question principale soulevée dans la décision Nowegijick ne soit plus l'objet d'une controverse, deux aspects de la décision doivent être examinés attentivement. Le premier aspect est la déclaration de principe générale en rapport avec l'interprétation de l'article 87. Le deuxième aspect est un commentaire à propos de l'emplacement du revenu d'emploi, aspect sur lequel l'avocate de Mme Shilling se fonde pour affirmer que la Cour suprême du Canada a approuvé la règle de la résidence du débiteur.

Je commencerai par traiter du principe général d'interprétation. Le juge Dickson [tel était alors son titre] l'exprime en ces termes, au nom de la Cour (à la page 36):

Il me semble [. . .] que les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté doit profiter aux Indiens. Si la loi contient des dispositions qui, suivant une interprétation raisonnable, peuvent conférer une exemption d'impôts, il faut, selon moi, préférer cette interprétation à une interprétation plus stricte qui pourrait être utilisée pour refuser l'exemption. Dans l'affaire Jones v. Meehan, 175 U.S. 1 (1899), on a conclu que les traités avec les Indiens [traduction] "doivent [. . .] être interprétés non pas selon le sens strict de [leur] langage [. . .] mais selon ce qui serait, pour les Indiens, le sens naturel de ce langage".

Le juge en chef Dickson a répété ce principe dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 853, à la page 98, ne parlant qu'en son nom. Deux autres opinions ont été rédigées dans l'arrêt Mitchell: l'une par le juge La Forest (en son nom et celui des juges Sopinka et Gonthier) et l'autre par le juge Wilson (en son nom et celui des juges Lamer et L'Heureux-Dubé). Le juge Wilson n'a pas traité des principes d'interprétation applicables, mais elle a exprimé son accord avec la conclusion à laquelle était arrivé le juge La Forest sur la question de l'interprétation. Le juge La Forest dit, aux pages 142 et 143, à propos du principe d'interprétation exposé dans l'arrêt Nowegijick (non souligné dans l'original):

[. . .] je ne conteste pas le principe que les traités et les lois visant les Indiens devraient recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté devrait profiter aux Indiens. Dans le cas des traités, ce principe se justifie par le fait que la Couronne jouissait d'un pouvoir de négociation supérieur au moment de la négociation des traités avec les peuples autochtones.

Mais selon ma conception de l'affaire, des considérations quelque peu différentes doivent s'appliquer dans le cas des lois visant les Indiens. Alors qu'un traité est le produit d'une négociation entre deux parties contractantes, les lois relatives aux Indiens sont l'expression de la volonté du Parlement. Cela étant, je ne crois pas qu'il soit particulièrement utile d'essayer de déterminer comment les Indiens peuvent comprendre une disposition particulière. Je pense que nous devons plutôt interpréter la loi visée en tentant de déterminer ce que le Parlement voulait réaliser en adoptant l'article en question. Ce point de vue ne constitue pas un rejet de la méthode d'interprétation libérale. Comme je l'ai déjà dit, il est clair que dans l'interprétation d'une loi relative aux Indiens, et particulièrement de la Loi sur les Indiens, il convient d'interpréter de façon large les dispositions qui visent à maintenir les droits des Indiens et d'interpréter de façon restrictive les dispositions visant à les restreindre ou à les abroger. Donc si la loi porte sur des promesses contenues dans un traité, les tribunaux vont toujours s'efforcer de rejeter une interprétation qui a pour effet de nier les engagements pris par la Couronne [. . .]

En même temps, je n'accepte pas que cette règle salutaire portant que les ambiguïtés législatives doivent profiter aux Indiens revienne à accepter automatiquement une interprétation donnée pour la simple raison qu'il peut être vraisemblable que les Indiens la préféreraient à toute autre interprétation différente. Il est également nécessaire de concilier toute interprétation donnée avec les politiques que la Loi tente de promouvoir.

S'il y a une quelconque incompatibilité entre l'approche interprétative du juge en chef Dickson dans l'arrêt Nowegijick et celle du juge La Forest dans l'arrêt Mitchell, je préfère la seconde approche au motif qu'elle survient plus tard dans le temps et qu'elle est expliquée de façon plus complète. J'en conclus que si l'article 87 de la Loi sur les Indiens peut être interprété de plus d'une façon, celle qui promeut le mieux les buts qu'il poursuit doit prévaloir.

Quel est le but de l'article 87 de la Loi sur les Indiens? Le juge La Forest est arrivé aux conclusions suivantes quant au but de l'article 87 (à la page 131, non souligné dans l'original):

En résumé, le dossier historique indique clairement que les art. 87 et 894 de la Loi sur les Indiens [. . .] font partie d'un ensemble législatif qui fait état d'une obligation envers les peuples autochtones, dont la Couronne a reconnu l'existence tout au moins depuis la signature de la Proclamation royale de 1763. Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu'elle est tenue par l'honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non-Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est-à-dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

Il dit aussi, à la page 133 (non souligné dans l'original):

[. . .] il faut éviter d'accorder une portée trop large aux art. 87 et 89. Ces dispositions n'ont pas pour but d'accorder des privilèges aux Indiens à l'égard de tous les biens qu'ils peuvent acquérir et posséder, peu importe l'endroit où ils sont situés. Leur but est plutôt simplement de protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens sur leurs terres réservées pour veiller à ce que ceux-ci ne soient pas dépouillés de leurs droits.

et, à la page 137 (non souligné dans l'original):

[. . .] un examen des obligations assumées par la Couronne dans ce domaine indique qu'elle a tout simplement tenté de protéger des atteintes portées par les non-Indiens les biens des Indiens qui ont un lien direct et discernable avec l'occupation d'une réserve.

Dit simplement, l'article 87 est conçu pour protéger de la taxation les biens d'un Indien qui sont "situés sur une réserve". Le mot "situé" veut dire "placé en un lieu"5. L'expression "sur la réserve" veut dire à l'intérieur des limites de la réserve: Union of New Brunswick Indians c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances) , [1998] 1 R.C.S. 1161, aux pages 1183 et 1184. L'article 87 ne vise pas simplement à apporter des bénéfices aux Indiens propriétaires de biens ou à faire augmenter leur richesse6. Cependant, cela peut être un effet de l'article 87 si un Indien possède des biens situés sur une réserve.

J'étudierai maintenant le principe découlant de l'arrêt Nowegijick. Comme écrit plus haut, il n'est pas contesté que cet arrêt permet d'affirmer que le revenu d'emploi est un bien meuble. L'avocate de Mme Shilling plaide que cet arrêt permet aussi d'affirmer que la règle de la résidence du débiteur s'applique pour déterminer le lieu où est situé le revenu pour l'application de l'article 87. Son argument est fondé sur ces commentaires du juge Dickson, à la page 34 (non souligné dans l'original):

Un [point] aurait pu soulever un débat. Le fait que les services ont été rendus à l'extérieur d'une réserve était-il pertinent relativement au situs? Sa Majesté a reconnu au cours des plaidoiries, avec raison selon moi, que le situs du salaire de M. Nowegijick était la réserve parce que c'est là où la débitrice [. . .] avait sa résidence ou son lieu d'affaires et parce que c'est là que le salaire devait être payé7.

Si la règle de la résidence du débiteur s'applique à l'article 87, le revenu d'emploi est situé sur la réserve si l'employeur est situé sur la réserve.

Étant donné que l'arrêt Nowegijick approuve implicitement la décision National Indian Brotherhood, il aurait été raisonnable de conclure que la Cour suprême du Canada a approuvé l'application de la règle de la résidence du débiteur pour déterminer l'emplacement du revenu d'emploi. Cependant, cela ne s'arrête pas là.

L'avocat de Sa Majesté allègue que même si la règle de la résidence du débiteur avait été approuvée dans Nowegijick, cette approbation n'avait pas survécu à l'arrêt Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877. Il allègue que cet arrêt a eu pour effet de remplacer la règle de la résidence du débiteur par un critère qui rend nécessaire une analyse, dans chaque cas, des facteurs qui relient le revenu à la réserve. L'avocate de Mme Shilling allègue que l'arrêt Williams vient tout au plus compléter la règle de la résidence du débiteur lorsque se présentent des situations où la règle de la résidence du débiteur ne pourrait pas raisonnablement être appliquée.

La question, dans l'affaire Williams, était de savoir si l'article 87 [S.R.C. 1970, ch. I-6] s'appliquait à des prestations d'assurance-chômage qu'un Indien vivant sur une réserve avait reçues, alors que les fonctions avaient été accomplies et que le revenu d'emploi donnant droit aux prestations avait été payé sur la réserve. Ses deux employeurs étaient une bande et une société forestière située sur la réserve. Le juge Gonthier, au nom de la Cour, a analysé la règle de la résidence du débiteur telle qu'elle avait été appliquée dans la décision National Indian Brotherhood, et il dit (aux pages 890 et 891):

[. . .] il est évident qu'il serait complètement contraire à l'économie et aux objets de la Loi sur les Indiens et de la Loi de l'impôt sur le revenu d'adopter simplement les principes généraux du droit international privé dans le présent contexte. En effet, les objets du droit international privé ont peu sinon rien en commun avec ceux qui sous-tendent la Loi sur les Indiens. On ne voit pas en quoi le lieu d'exécution normal d'une dette est pertinent pour décider si l'imposition de la réception du paiement de la dette représenterait une atteinte aux droits détenus par un Indien à titre d'Indien sur une réserve. Le critère du situs en vertu de la Loi sur les Indiens doit être interprété conformément aux objets de cette loi et non à ceux du droit international privé. En conséquence, il faut réexaminer attentivement, en fonction des objets de la Loi sur les Indiens, si l'on doit retenir la résidence du débiteur comme facteur exclusif pour déterminer le situs de prestations comme celles qui ont été versées en l'espèce.

Le juge Gonthier dit ensuite que le situs du revenu devrait être déterminé en soupesant tous les facteurs de rattachement au cas par cas, plutôt que par la règle de la résidence du débiteur de la décision National Indian Brotherhood. La souplesse de cette approche a été perçue comme un avantage, sous réserve de certaines limites. Cela ressort à la page 892:

[. . .] il est souhaitable de concevoir des critères dont l'application est prévisible de sorte que les contribuables concernés puissent planifier leurs affaires en conséquence. Cela est également important puisque les mêmes critères régissent l'exemption de saisie.

De plus, il serait dangereux de soupeser les facteurs de rattachement de manière abstraite, indépendamment de l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens. Un facteur de rattachement n'est pertinent que dans la mesure où il identifie l'emplacement du bien en question aux fins de la Loi sur les Indiens. Dans des catégories particulières de cas, un facteur de rattachement peut donc avoir beaucoup plus de poids qu'un autre. On pourrait facilement perdre cette réalité de vue en soupesant les facteurs de rattachement cas par cas.

Cependant, un critère trop rigide qui accorderait une force déterminante à un ou deux facteurs comporte ses propres possibilités d'embûche. Un tel critère donnerait ouverture à des manipulations et à des abus et, en étant axé sur trop peu de facteurs, il pourrait ne pas donner effet aux objectifs de l'exemption contenue dans la Loi sur les Indiens aussi facilement qu'un critère qui est axé indifféremment sur un trop grand nombre de facteurs.

Il conclut, aux pages 892 et 893:

Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses: (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

Je suis d'accord avec l'avocat de Sa Majesté pour dire que l'arrêt Williams était destiné à remplacer la règle de la résidence du débiteur par un principe qui exige qu'on détermine et soupèse divers facteurs qui relient le revenu d'emploi à la réserve ou à un autre endroit. Les commentaires du juge Gonthier, à la page 897 (où il traite de l'emplacement du revenu d'emploi), n'auraient eu aucune raison d'être s'il avait pensé que la règle de la résidence du débiteur était suffisante, à elle seule, pour déterminer l'emplacement du revenu d'emploi pour l'application de l'article 87.

Néanmoins, je suis d'accord avec l'avocate de Mme Shilling pour dire que l'arrêt Williams laisse place à la possibilité que, dans certains cas, le critère des facteurs de rattachement apporte le même résultat que la règle de la résidence du débiteur. Comme le dit le juge Gonthier à la page 891:

Il se peut que la résidence du débiteur demeure un facteur important, voire même le seul.

Le reste de l'arrêt Williams montre de quelle façon le critère des facteurs de rattachement devrait être appliqué. Le revenu en cause dans l'affaire Williams a été reçu sous le régime de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, ch. 48]. Le payeur du revenu était la Couronne, et le droit à ce revenu résulte du paiement de primes fait par M. Williams alors qu'il occupait son emploi. Les facteurs de rattachement pouvant être pertinents ont été identifiés comme étant la résidence de la personne qui paie le revenu, la résidence de la personne qui reçoit les prestations et le lieu où a été gagné le revenu donnant droit aux prestations.

Il n'a été accordé un poids significatif qu'au troisième facteur. Il n'a pas été contesté que le revenu d'emploi donnant droit aux prestations était exempt d'imposition en vertu de l'article 87. La Cour a constaté le lien entre le revenu d'emploi donnant droit aux prestations et les prestations d'assurance-emploi, et a conclu que le but de l'article 87 n'aurait pas été atteint si les prestations avaient été imposables alors que le revenu d'emploi ne l'était pas (aux pages 894 à 897).

Il a été déclaré que le facteur de la résidence de la personne qui reçoit les prestations "ne peut avoir d'importance que s'il indique un emplacement différent de celui de l'emploi qui a rendu admissible aux prestations" (à la page 897). Les autres facteurs proposés, soit la résidence du payeur et le lieu du paiement, ne se sont vu accorder que peu ou pas de poids en raison du fait que c'était la Couronne qui était débitrice et que le revenu en question était disponible partout au Canada pour quiconque y avait droit (aux pages 893 et 894).

Ainsi, l'emplacement du revenu d'emploi donnant droit aux prestations a fixé l'emplacement des prestations d'assurance-emploi. La prochaine étape aurait été de déterminer l'emplacement du revenu d'emploi. Cependant, ce point n'était pas contesté. Les parties étaient d'accord sur le point que le revenu d'emploi avait pour emplacement la réserve. Bien que, en apparence, elles soient arrivées à cette conclusion en vertu de la règle de la résidence du débiteur, tous les facteurs de rattachement possibles menaient, de toute façon, à la réserve. Le résultat aurait été le même, indépendamment du critère appliqué.

Je conclus de la décision du juge Gonthier que, s'il avait été nécessaire de déterminer l'emplacement du revenu d'emploi donnant droit aux prestations, il aurait analysé chaque facteur de rattachement potentiel relatif à ce revenu en tenant compte des trois éléments mentionnés à la page 892, précité. C'est ce que je dois faire en l'espèce.

Une partie de l'argumentation qui m'est présentée fait référence aux "lignes directrices" publiées suite à l'arrêt Williams par Revenu Canada en 1994. Selon moi, les lignes directrices étaient une tentative de Revenu Canada d'expliquer sa façon d'interpréter et d'appliquer le principe découlant de l'arrêt Williams dans le contexte d'un revenu d'emploi. Parce que la fiscalité au Canada repose sur un système d'autocotisation et que les règles fiscales sont difficiles à comprendre et à appliquer, de telles publications sont un aspect important du devoir de Revenu Canada d'aider les contribuables à satisfaire à leurs obligations fiscales. Il y a un besoin particulier d'obtenir cette aide quant à la façon d'appliquer l'article 87 de la Loi sur les Indiens étant donné que l'exemption est rédigée en des termes larges et généraux et que le Parlement n'a pas adopté de règles détaillées, et parce que l'évolution de la jurisprudence a mené à des changements majeurs dans les politiques relatives à cotisation.

Cependant, les lignes directrices n'ont pas force de loi. Elles ne prétendent pas avoir force de loi. Elles ne doivent pas être lues comme si elles avaient force de loi. Tel qu'il apparaîtra dans l'examen qui suit, je remets en question certains postulats sous-jacents aux lignes directrices: par exemple, l'importance accordée à la résidence de l'employé en tant que facteur de rattachement. Si j'ai raison, les lignes directrices pourraient devoir être modifiées.

Application du droit aux faits

Les facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents doivent être déterminés en fonction 1) de l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens; 2) du genre de bien en cause; et 3) de la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien en tant qu'Indien sur une réserve.

La résidence de l'employé

L'avocat de Sa Majesté donne à penser, dans ses observations écrites, que le lieu de résidence de Mme Shilling est un facteur de rattachement pouvant être pertinent. L'avocate de Mme Shilling a allégué que son lieu de résidence n'était pas pertinent, ce que l'avocat de Sa Majesté a reconnu à l'audience.

L'avocate de Mme Shilling a soutenu que le fait de résider sur la réserve peut servir à prouver un rattachement à la réserve, mais que le fait de résider à l'extérieur de la réserve ne peut pas servir à prouver le contraire. Par conséquent, le lieu de résidence de l'employé ne devrait pas être considéré comme un facteur de rattachement quand vient le temps de déterminer l'emplacement du revenu d'emploi. Elle a aussi fait valoir que dans la mesure où il faut tenir compte de la situation personnelle de Mme Shilling, il faudrait accorder de l'importance aux liens sociaux et familiaux qu'elle entretient avec les gens de la réserve de Rama plutôt qu'à son lieu de résidence. Cet argument a une certaine force. Pour plusieurs Indiens, y compris Mme Shilling, le choix de résider à l'extérieur de la réserve n'est pas voulu, mais forcé par des événements se produisant à cause des inconvénients sociaux et économiques de la vie sur certaines réserves. Ce fait est reconnu dans Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord) (1999), 173 D.L.R. (4th) 1, de la Cour suprême du Canada, qui a statué que le fait d'enlever à des membres d'une bande ne résidant pas sur la réserve leur privilège de voter en ce qui a trait à la direction de la bande était contraire au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

À mon avis, la détermination de l'emplacement du revenu d'emploi pour l'application de l'article 87 ne devrait aucunement relever du lieu de résidence de l'employé ou de ses liens personnels et sociaux avec la réserve. Je ne vois aucun lien logique entre ces caractéristiques personnelles et la relation d'emploi ou avec l'emplacement du revenu d'emploi pour l'application de l'article 87.

Le lieu et la nature de l'emploi, et la manière dont il bénéficie à la réserve

L'avocat de Sa Majesté diviserait cela en trois catégories: la nature du travail effectué, le lieu où le travail est effectué et la nature du bénéfice qu'en tire la réserve: Canada c. Folster, [1997] 3 C.F. 269 (C.A.). Il allègue qu'en l'espèce, contrairement à Folster, un examen de ces facteurs mènerait à la conclusion que l'emplacement du revenu d'emploi serait ailleurs que sur la réserve.

L'avocate de Mme Shilling allègue que le fait que le revenu gagné provienne de la prestation de services à des personnes autochtones devrait être pris en considération. Je ne partage pas cet avis, parce que cette façon de voir fait abstraction de la nécessité d'un rattachement avec la réserve comme lieu physique. L'article 87 n'a pas pour but de bénéficier aux Indiens en général, ou de promouvoir leurs valeurs et leur culture. Il a pour but de protéger les biens d'Indiens situés sur une réserve.

Mme Shilling effectue son travail surtout à Toronto et parfois dans des réserves. Son travail bénéficie à AHT, une organisation torontoise ayant des liens significatifs avec diverses réserves, et bien sûr à la clientèle de AHT. AHT effectue ses opérations à l'extérieur des réserves parce que ses clients vivent à l'extérieur des réserves. L'avocate de Mme Shilling plaide que le lien entre les réserves et AHT est suffisamment fort pour que je conclue, comme l'a fait la Cour d'appel fédérale dans Folster (précité), que cela l'emporte sur le fait que Mme Shilling effectue son travail à l'extérieur d'une réserve.

Dans l'affaire Folster, le litige portait sur l'emplacement du revenu d'emploi d'Indiens à l'emploi d'un hôpital gouvernemental qui desservait surtout les résidents de la réserve située à proximité. L'hôpital avait déjà été situé sur la réserve, mais il avait été détruit par un incendie et reconstruit à l'extérieur des limites de la réserve sans que personne ne se préoccupe des conséquences juridiques possibles de cette relocalisation. Mais, l'hôpital est demeuré principalement l'hôpital de la réserve, et cela a suffi à la Cour d'appel fédérale pour considérer le fait qu'il soit situé à l'extérieur de la réserve comme un simple détail technique ne devant pas prédominer sur tous les autres liens existant entre l'hôpital et la réserve qu'il desservait.

Les faits de la présente affaire sont très différents. Ils ne peuvent appuyer le raisonnement de l'arrêt Folster. Il n'y a pas de base factuelle pour appuyer la conclusion que les services de AHT, ou le travail effectué par Mme Shilling, bénéficient à une réserve en particulier. Il n'est pas possible, non plus, de conclure raisonnablement que la quantité de travail relativement restreinte effectuée par Mme Shilling dans diverses réserves est une base suffisante pour y fixer l'emplacement de son revenu d'emploi. Donc, si le lieu où Mme Shilling effectue son travail est d'une quelconque manière pertinent, il doit être considéré comme un facteur qui relie son emploi à un lieu situé à l'extérieur d'une réserve.

Cependant, il y a une autre façon de relier les services de Mme Shilling à un lieu. Son employeur est NLS. Il est admis que NLS est une entreprise, et j'en déduis que ses activités sont exercées dans le but de générer un profit. J'en déduis aussi que le travail de Mme Shilling apporte des profits à cette entreprise, et conséquemment à M. Obonsawin. Il s'agit d'un avantage non négligeable pour une entreprise située dans une réserve. À mon avis, s'il doit être tenu compte du bénéfice apporté à une réserve, l'avantage apporté à NLS doit être considéré comme un facteur qui relie le revenu d'emploi de Mme Shilling à une réserve.

La résidence de l'employeur

Les parties sont d'accord pour dire que la résidence de l'employeur devrait être un facteur de rattachement. Il n'est pas contesté que l'employeur est NLS et que NLS est située sur une réserve.

L'avocat de Sa Majesté allègue que dans la présente affaire, la résidence de l'employeur devrait n'être considérée que comme un faible facteur de rattachement en raison de la façon dont la relation d'emploi a pris naissance. Il fait valoir que Mme Shilling a trouvé un emploi chez AHT mais que plutôt d'entrer en relation d'emploi avec AHT, elle est devenue une employée de NLS. Il soutient que, puisqu'elle a agit de la sorte en raison des avantages fiscaux, l'importance accordée à la résidence de NLS devrait être réduite.

Je ne suis pas d'accord avec cet argument. Je pars de la prémisse que chaque personne a le droit d'organiser ses affaires pour bénéficier des allègements fiscaux prévus par la loi, et que cela peut être accompli par la création d'obligations et de relations qui n'ont pas d'autre but que l'obtention de cet allègement. C'est dans l'arrêt Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770, à la page 785, que se trouve l'expression la plus récente de ce principe:

[. . .] les contribuables peuvent organiser leurs affaires d'une façon particulière dans le seul but de se prévaloir délibérément des mécanismes de réduction de l'impôt prévus dans la [Loi de l'impôt sur le revenu]8.

Ce principe doit s'appliquer également aux Indiens qui cherchent à obtenir l'avantage que leur procure l'article 87 de la Loi sur les Indiens et qui sont disposés à créer des relations juridiques en ne poursuivant que ce seul but: Recalma c. Canada, [1998] 3 C.L.N.R. 279 (C.A.F.), à la page 281. Cela est compatible avec les commentaires du juge Gonthier exposés dans l'arrêt Williams, à la page 887:

[. . .] en vertu de la Loi sur les Indiens, un Indien jouit d'un choix en ce qui concerne ses biens personnels. L'Indien peut situer ces biens sur la réserve, auquel cas les biens sont protégés contre la saisie et la taxation, ou il peut les situer hors de la réserve, auquel cas les biens sont situés à l'extérieur de la zone protégée et peuvent davantage être utilisés dans le cours des opérations commerciales ordinaires dans la société. Il appartient à l'Indien de décider s'il désire bénéficier du système de protection que constitue la réserve ou s'il veut s'intégrer davantage dans l'ensemble du monde des affaires.

Accepter l'argument de l'avocat de Sa Majesté reviendrait à dire que les obligations fiscales des Indiens pourraient varier et ne dépendre que de la question de savoir si la localisation des biens sur la réserve a été planifiée ou non. Une telle distinction n'a pas de sens.

À mon avis, le facteur de rattachement qu'est la résidence de l'employeur doit être analysé sans tenir compte du fait que cet emplacement a été choisi délibérément pour des fins de planification fiscale.

Je trouve que l'analyse faite dans l'arrêt Recalma, précité, est intéressante. Dans cette affaire, un Indien réclamait le bénéfice de l'exemption fiscale de l'article 87 pour un revenu de placement gagné à partir d'instruments financiers achetés dans une succursale d'une banque située sur la réserve. L'exemption lui a été refusée parce que les investissements qu'il avait choisis et qui étaient la source de son revenu de placement généraient leur revenu d'activités "sur le marché" partout dans le monde.

Mme Shilling a fait le choix contraire. Elle a choisi d'entrer en relation d'emploi avec NLS. Ce choix amène des conséquences juridiques et commerciales non négligeables qui confèrent à sa relation d'emploi un lien indéniable avec une réserve. Si la relation d'emploi se termine, le seul recours de Mme Shilling est à l'endroit de M. Obonsawin. Si M. Obonsawin devient insolvable, Mme Shilling peut ne pas être payée. D'un autre côté, Mme Shilling ne sera pas nécessairement lésée si AHT cesse d'opérer ou devient insolvable, parce que sa relation d'emploi est avec NLS.

Le fait que la réserve en question soit celle où M. Obonsawin et NLS résident et non la réserve de Rama n'est pas pertinent. Les termes de l'article 87 sont très larges et font référence aux biens situés sur "une réserve" et non pas sur "la réserve" ou "la réserve appartenant à la bande dont l'Indien est membre". Ce qui est pertinent est que, parce qu'elle a choisi cet employeur, Mme Shilling ne peut se tourner vers personne d'autre que M. Obonsawin, qui réside sur la réserve, afin d'obtenir son salaire, qui est son gagne-pain et son moyen de subvenir aux besoins de son fils.

Le fait que l'employeur de Mme Shilling réside sur une réserve est un facteur auquel il doit être donné beaucoup de poids pour déterminer l'emplacement de son revenu d'emploi. Puisque la source du revenu d'emploi de Mme Shilling est une entreprise située sur une réserve, prélever un impôt sur ce revenu pourrait constituer une atteinte à ses droits d'Indienne en tant qu'Indienne sur une réserve.

Autres points examinés

Les parties s'entendent pour dire que le lieu du paiement du salaire de Mme Shilling n'est pas pertinent. Aucun autre facteur de rattachement n'a été soumis.

Conclusion

Le facteur le plus important dont il doit être tenu compte pour déterminer l'emplacement du revenu d'emploi de Mme Shilling est la résidence de son employeur. En raison des conséquences juridiques et économiques non négligeables de sa relation d'emploi, il est accordé beaucoup de poids à ce facteur. Son employeur réside sur une réserve et cela appuie la conclusion que son revenu d'emploi est situé dans une réserve.

Un autre facteur qui permet de relier le revenu à la réserve est le fait que le travail de Mme  Shilling bénéficie à l'entreprise de son employeur, qui est une entreprise située sur une réserve.

Les facteurs appuyant la conclusion contraire sont le fait qu'elle accomplisse ses fonctions à Toronto, que son travail bénéficie à AHT et par le fait même à des Indiens vivant à Toronto, mais pas à une réserve en particulier. Cependant, ces facteurs n'ont pas suffisamment de poids pour l'emporter sur les facteurs qui relient le revenu d'emploi de Mme Shilling à une réserve.

Je conclus donc que le revenu d'emploi de Mme Shilling est situé sur une réserve et qu'il est exempt d'impôt sur le revenu en vertu de l'article 87 de la Loi sur les Indiens.

La question était exposée comme suit (avec les modifications qui ont dû être apportées afin de tenir compte des décrets de remise pour les années 1993 et 1994):

    Rachel Shilling a-t-elle le droit, par application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, d'être exemptée de payer de l'impôt sur le salaire qui lui a été versé par Native Leasing Services, pour les années 1995 et 1996, dans les circonstances décrites dans l'exposé conjoint des faits (annexe B de la présente requête et les pages 8 à 22 du dossier de requête de la demanderesse)?

La réponse est oui.

1 L'historique de ces dispositions est exposé dans le jugement du juge La Forest dans Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, aux p. 127 à 131.

2 Le Bulletin d'interprétation IT-62 a été annulé le 15 juillet 1995 par une publication spéciale comprenant des modifications apportées à IT-397.

3 L'affaire Mitchell portait sur l'interprétation de l'art. 90(1)b) de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, ch. I-6].

4 L'art. 89 est la disposition selon laquelle les biens d'un Indien ou d'une bande ne peuvent pas faire l'objet d'un privilège, d'un nantissement, d'une hypothèque, d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécution en faveur ou à la demande d'une personne autre qu'un Indien, si les biens sont situés sur une réserve.

5 Le Nouveau Petit Robert: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris: Dictionnaire le Robert, 1993. Dans la version anglaise de l'art. 87, le mot utilisé est "situated", auquel le Shorter Oxford English Dictionnary , vol. II, 3e éd. Oxford: Clarendon Press, 1973 donne le sens de "located" ou "placed".

6 Union of New Brunswick Indians, précité à la p. 1183.

7 Voir Cheshire et North, Private International Law (10e éd., Londres: Butterworths, 1979), à la p. 536 et suiv. et aussi le jugement du juge en chef adjoint Thurlow dans l'affaire National Indian Brotherhood (précitée).

8 Voir aussi Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336; Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795.

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