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    DES-2-99

Jaggi Singh (demandeur)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

    T-659-99

Craig Elton Jones, Jonathan Oppenheim, Jamie Doucette, Deke Samchok, Denis Porter et Annette Muttray (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine, le ministre de la Justice et le procureur général du Canada (défendeurs)

Répertorié: Singhc. Canada (Procureur général)(1re   inst.)

Section de première instance, juge McKeown" Vancouver, 17, 18 et 19 mai; Toronto, 25 juin 1999.

Droit constitutionnelPrincipes fondamentauxOpposition à la divulgation de renseignements prévue aux termes des art. 38(6) et 39 de la Loi sur la preuve au CanadaL'art. 38(6) permet la présentation ex parte des motifs d'opposition à la divulgation de renseignements relatifs à la sécurité nationaleL'art. 39 prévoit que lorsque le greffier du Conseil privé s'oppose à la divulgation de renseignements, la divulgation sera refusée sans autre examen judiciaireLes demandeurs soutiennent que l'art. 39 est inconstitutionnel au motif qu'il va à l'encontre des principes fondamentaux et structurels, en grande partie non écrits, de la Constitution, à savoir la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la magistrature et la primauté du droitLes normes constitutionnelles non écrites peuvent combler un vide dans les termes exprès du texte constitutionnel, ou servir d'outil d'interprétation dans le cas où une disposition constitutionnelle n'est pas claireLes principes du contrôle judiciaire n'habilitent pas un tribunal à invalider une loi en l'absence de violation d'une disposition expresse de la Constitution par la loi en questionLa disposition constitutionnelle expresse qui était requise n'existe pas en l'espèceIl n'y a pas de vide à combler dans la ConstitutionLes normes constitutionnelles en grande partie non écrites ne suffisent pas à invalider une loi qui a été par ailleurs validement adoptéeLes demandeurs plaident que l'art. 39 contrevient à la doctrine de la séparation des pouvoirs du fait qu'il attribue une fonction judiciaire à l'exécutif (soit le pouvoir discrétionnaire de décider de divulguer ou non des éléments de preuve pertinents)La C.S.C. a statué que le Parlement pouvait conférer des fonctions juridiques aux tribunaux, de même que certaines fonctions judiciaires à des organismes qui ne sont pas des tribunauxLe Parlement peut par conséquent attribuer des pouvoirs judiciaires à l'exécutifL'art. 39 ne soustrait pas les décisions de l'exécutif (visant à empêcher des documents du Cabinet d'être divulgués) au contrôle judiciaire fondé sur des questions de compétenceL'art. 39 ne contrevient pas à l'art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867La doctrine implicite de la séparation des pouvoirs n'a pas été reconnue dans le cadre de la Constitution canadienne et, par conséquent, ne peut être invoquée pour invalider une loi intra vires qui ne contrevient pas à la CharteL'art. 39 n'enfreint pas le principe de l'indépendance de la magistratureIl n'y a pas eu de violation du principe de la primauté du droitLe principe de la primauté du droit ne peut invalider une loiIl est loisible au Parlement, et non aux tribunaux, de réviser les droits et privilèges de la CouronneLe privilège conféré à l'exécutif par l'art. 39 est compris dans une loi qui a été adoptée par le ParlementLes mesures législatives peuvent modifier la common law plutôt que l'énoncerL'omission du Parlement d'apporter des modifications à l'art. 39 suite à l'arrêt Carey c. Ontario, lequel énonce les principes sous-tendant le privilège de l'exécutif en common law, est révélatrice de sa réticence à changer le droit.

Juges et tribunauxIndépendance de la magistratureDemande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une opposition à la divulgation de renseignements prévue aux termes des art. 38(6) et 39 de la Loi sur la preuve au CanadaL'art. 38(6) permet la présentation ex parte des motifs d'opposition à la divulgation de renseignements relatifs à la sécurité nationaleL'art. 39 prévoit que lorsque le greffier du Conseil privé s'oppose à la divulgation de renseignements, la divulgation sera refusée sans autre examen judiciaireLes demandeurs soutiennent que l'art. 39 est inconstitutionnel au motif qu'il va à l'encontre des principes fondamentaux et structurels, en grande partie non écrits, de la Constitution, notamment du principe de l'indépendance de la magistratureCaractéristiques de l'indépendance de la magistrature: inamovibilité, sécurité financière et indépendance administrativeL'art. 39 de la Loi sur la preuve au Canada ne touche pas à l'inamovibilité ni à la sécurité financièreSi l'indépendance administrative est définie comme étant le pouvoir par le tribunal de prendre des décisions administratives qui portent directement et immédiatement sur l'exercice des fonctions judiciaires, l'art. 39ne va pas à l'encontre de la norme constitutionnelle de l'indépendance de la magistratureL'art. 38(6) n'a aucune incidence sur l'indépendance administrativede la magistratureLa prétention des demandeurs selon laquelle l'art. 38(6) a pour effet de priver les tribunaux de leur pouvoir discrétionnaire de décider s'il y a lieu d'autoriser la présentation d'observations ex parte doit être rejetée étant donné que la Cour fédérale a prévu la tenue d'une audience en deux étapes, ce qui, dans certains cas, rend les observations ex parte inutiles.

PreuveL'art. 39 prévoit que lorsque le greffier du Conseil privé s'oppose à la divulgation de renseignements, la divulgation sera refusée sans autre examen judiciaireLes demandeurs soutiennent que l'art. 39 est inconstitutionnel au motif qu'il va à l'encontre des principes fondamentaux et structurels non écrits de la Constitution, à savoir la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la magistrature et la primauté du droitLes normes constitutionnelles non écrites peuvent combler un vide dans les termes exprès du texte constitutionnel, ou servir d'outil d'interprétation dans le cas où une disposition constitutionnelle n'est pas claireCependant, les principes du contrôle judiciaire n'habilitent pas un tribunal à invalider une loi en l'absence de violation d'une disposition expresse de la Constitution par la loi en questionLa disposition constitutionnelle expresse qui était requise n'existe pas en l'espèceIl n'y a pas de vide à combler dans la ConstitutionLes normes constitutionnelles en grande partie non écrites ne suffisent pas à invalider une loi qui a été par ailleurs validement adoptéeL'art. 39 n'enfreint pas les principes de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance de la magistrature, de la primauté du droit.

GRCDemande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une opposition à la divulgation de renseignements pertinents quant à l'enquête tenue par la Commission des plaintes du public contre la GRC au sujet de la conduite de membres de la GRC, dans l'exécution de leurs fonctions, lors de la conférence de l'APEC à Vancouver, en novembre 1997La constitutionnalité des art. 38(6) (qui permet la présentation ex parte d'une opposition à la divulgation) et 39 (lorsque le greffier du Conseil privé s'oppose à la divulgation de renseignements, la divulgation sera refusée sans autre examen judiciaire) de la Loi sur la preuve au Canada est confirméeMême si la Commission s'estime compétente pour tirer des conclusions relativement à des ordres inappropriés donnés par l'exécutif, l'enquête concerne la conduite des agents de la GRC.

Il s'agit d'une demande formulée, pour des motifs constitutionnels, à l'encontre de l'opposition faite à la divulgation de renseignements pertinents quant à une enquête publique tenue par la Commission des plaintes du public contre la GRC au sujet de la conduite de membres de la GRC, dans le cadre de l'exécution de leurs fonctions, lors de la conférence de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique (l'APEC) à Vancouver, en novembre 1997. La Commission a demandé que le gouvernement du Canada divulgue tous les documents gouvernementaux pertinents aux fins de l'audition de la demande. Par une série de certificats, plusieurs fonctionnaires du gouvernement se sont opposés à la divulgation de nombreux documents en se fondant sur les articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada. Le greffier du Conseil privé s'est également opposé à la divulgation de documents gouvernementaux en certifiant, aux termes du paragraphe 39(1), qu'ils contenaient des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Le paragraphe 38(6) permet de présenter des observations ex parte relativement à une opposition fondée sur la sécurité nationale. L'article 39 prévoit que lorsque le greffier du Conseil privé s'oppose à la divulgation de renseignements devant un organisme qui a le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, la divulgation sera refusée sans autre examen.

La question en litige est de savoir si le paragraphe 38(6) et l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada sont ultra vires du Parlement au motif qu'ils sont incompatibles avec la Constitution du Canada, notamment avec le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et avec les principes fondamentaux et structurels, en grande partie non écrits, de la Constitution, à savoir la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la magistrature et la primauté du droit.

Jugement: la demande est rejetée.

Dans l'arrêt Commission des droits de la personne c. Procureur général du Canada et autre (l'arrêt sur la Commission des droits de la personne), il a été statué que le paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale, soit le prédécesseur de l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, était constitutionnel. Cette décision devrait normalement régler la question en l'espèce. Toutefois, les demandeurs font observer que cette décision a été rendue avant l'entrée en vigueur de la Charte et qu'elle a été écartée depuis par trois arrêts plus récents de la Cour suprême du Canada qui ont clairement indiqué que c'est la Constitution, et non le Parlement, qui constitue désormais l'autorité suprême: Carey c. Ontario; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale(Î.-P.-É.) (le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale); et le Renvoi relatif à la sécession du Québec (le Renvoi relatif à la sécession du Québec).

L'adoption d'une loi qui est contraire au partage des compétences prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867 est ultra vires de l'assemblée législative qui l'a édictée et a toujours été invalidée par les tribunaux. L'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 a fourni un second motif sur lequel les tribunaux peuvent se fonder pour déclarer une loi invalide. Les demandeurs soutiennent que les principes fondamentaux et structurels en grande partie non écrits de la Loi constitutionnelle de 1867 offrent un troisième motif, en plus du partage des compétences et de la Charte, sur lequel les tribunaux peuvent se fonder pour invalider une loi adoptée par le Parlement ou par les législatures provinciales. La Cour suprême du Canada a établi que les normes constitutionnelles non écrites peuvent combler un vide dans les termes exprès du texte constitutionnel, ou servir d'outil d'interprétation dans le cas où une disposition de la Constitution n'est pas claire. Cependant, les principes du contrôle judiciaire n'habilitent pas un tribunal à invalider une loi en l'absence de violation d'une disposition expresse de la Constitution par la loi en question. La disposition constitutionnelle expresse qui était requise en l'espèce n'existe pas. De plus, il n'y a pas de vide à combler dans la Constitution. Ces normes constitutionnelles en grande partie non écrites ne suffisent pas en soi à invalider une loi qui a été par ailleurs validement adoptée.

Les demandeurs plaident que l'article 39 contrevient à la doctrine de la séparation des pouvoirs du fait qu'il attribue une fonction judiciaire à l'exécutif, soit le pouvoir discrétionnaire de décider de divulguer ou non certains éléments de preuve pertinents. La Cour suprême du Canada a statué que si le Parlement peut conférer d'autres fonctions juridiques aux tribunaux, de même que certaines fonctions judiciaires à des "organismes qui ne sont pas des tribunaux", il peut également attribuer des pouvoirs judiciaires à l'exécutif. Quant à l'argument suivant lequel il n'est pas loisible à une législature de priver les cours visées à l'article 96 de leur pouvoir inhérent de surveillance, l'article 39 ne soustrait pas les décisions de l'exécutif (visant à empêcher des documents du Cabinet d'être divulgués) au contrôle judiciaire fondé sur des questions de compétence. L'article 39 ne contrevient donc pas à l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. La jurisprudence montre qu'un "droit" d'examen judiciaire d'une mesure administrative dans tous les cas peut être exclu complètement, sauf pour ce qui est de questions de compétence, lorsque l'organe exécutif du gouvernement est en cause, même quand l'équité elle-même est en jeu. La doctrine implicite de la séparation des pouvoirs n'a pas été reconnue dans le cadre de la Constitution canadienne. Par conséquent, elle ne peut être invoquée pour invalider une loi intra vires qui ne contrevient pas à la Charte.

Les trois composantes essentielles de l'indépendance de la magistrature sont l'inamovibilité, la sécurité financière et l'indépendance administrative. L'article 39 ne touche pas à l'inamovibilité ni à la sécurité financière des membres de la magistrature. L'indépendance administrative a été définie comme étant le pouvoir par le tribunal de prendre les décisions administratives qui portent directement et immédiatement sur l'exercice des fonctions judiciaires, à savoir l'assignation des juges aux causes, les séances de la cour, le rôle de la cour, ainsi que les domaines connexes de l'allocation de salles d'audience et de la direction du personnel administratif qui exerce ces fonctions. Bien que le pouvoir des tribunaux de contrôler leur propre administration n'est pas absolu, le Parlement ne peut agir de manière à entraver les pouvoirs et fonctions des tribunaux. À la lumière de cette définition, l'article 39 n'enfreint pas la norme constitutionnelle de l'indépendance de la magistrature. De plus, à la lumière de cette conclusion, le paragraphe 38(6) n'a aucune incidence sur l'"indépendance administrative" de la magistrature. L'argument suivant lequel le paragraphe 38(6) a pour effet de priver les tribunaux de leur pouvoir discrétionnaire de décider s'il y a lieu d'autoriser la présentation d'observations ex parte doit être rejeté étant donné que la Cour fédérale du Canada a prévu la tenue d'une audience en deux étapes, ce qui, dans certains cas, rend les observations ex parte inutiles.

Les trois composantes du principe de la primauté du droit sont: la suprématie du droit sur les actes du gouvernement et des particuliers, c'est-à-dire l'existence d'une seule loi pour tous; la création et le maintien d'un ordre réel de droit positif; l'assujettissement des rapports entre l'État et les individus au droit. Il n'y a pas eu de violation du principe de la primauté du droit dans la présente affaire. Le principe de la primauté du droit ne peut invalider de loi. Il est loisible au Parlement de réviser les droits et privilèges de la Couronne de temps à autre. Il revient toutefois au Parlement et non aux tribunaux d'entreprendre cet exercice.

Finalement, le demandeur fait valoir que l'article 39 est inconstitutionnel du fait qu'il empêche la Cour d'examiner les documents du Cabinet et, par le fait même, de soupeser les intérêts publics qui sont en jeu, par exemple la possibilité d'accomplissement d'actes inconstitutionnels par l'exécutif par opposition au besoin de secret et de solidarité du Cabinet. Le privilège conféré à l'exécutif par l'article 39 constitue une composante d'une loi qui a été adoptée par le Parlement; l'exécutif ne se fonde pas en l'espèce sur un privilège qui n'existe que sous le régime de la common law. Le Parlement a le droit d'outrepasser les principes de la common law et d'accorder une protection à l'exécutif. Les principes de common law ne peuvent en soi invalider des lois validement adoptées. Les mesures législatives peuvent avoir pour objet de modifier la common law plutôt que de l'énoncer. L'omission du Parlement d'apporter des modifications à l'article 39 suite à la décision rendue dans l'arrêt Carey, qui énonce les principes sous-tendant le privilège de l'exécutif en common law, est révélatrice de sa réticence à changer la législation pour qu'elle se conforme aux principes énoncés dans cet arrêt.

La jurisprudence sur laquelle les demandeurs se fondent pour soutenir leur prétention, selon laquelle un tribunal peut interpréter une disposition législative de manière restrictive lorsque la loi aurait autrement pour effet de protéger un acte inconstitutionnel, portait sur des lois inconstitutionnelles. Ces décisions appuient la proposition selon laquelle la Couronne ne peut invoquer des dispositions législatives valides pour soustraire des lois inconstitutionnelles au contrôle judiciaire. L'article 39 n'était pas ultra vires du Parlement. L'exercice par l'exécutif du pouvoir discrétionnaire prévu à cet article est par conséquent valide, sous réserve seulement du contrôle judiciaire en matière de compétence. Le risque d'abus de pouvoir de la part de l'exécutif n'a pas pour effet de faire perdre au Parlement son pouvoir de légiférer, lequel relève de sa compétence. Il est possible que l'applicabilité de l'article 39 puisse être contestée lorsqu'une partie qui conteste la non-divulgation de la preuve aux termes de cet article: i) prétend que l'exécutif a contrevenu aux dispositions de la Constitution et ii) fournit des éléments de preuve qui corroborent cette allégation. Une simple allégation de dérogation aux dispositions de la Constitution n'est pas suffisante. Il ne s'agit pas ici d'un tel cas. Même si la Commission a déclaré qu'elle avait compétence pour tirer des conclusions au sujet de la participation de l'exécutif dans le fait de donner des directives ou des ordres inappropriés à la GRC, l'enquête vise le comportement des agents de la GRC et non celui de l'exécutif. De plus, il n'y a pas eu d'éléments de preuve tendant à démontrer que l'exécutif a invoqué l'article 39 de façon arbitraire ou malveillante.

    lois et règlements

        Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2, 7, 11d).

        Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 96.

        Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

        Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 41(2).

        Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 45.43(1) (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16), 45.44(1) (édicté, idem), 45.45(14) (édicté, idem).

        Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 37, 38(6), 39 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, art. 5).

        Proceedings against the Crown Act (The), R.S.S. 1965, ch. 87, art. 5(7).

        Régime d'assistance publique du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-1.

        Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, tarif B, colonne IV.

    jurisprudence

        décisions appliquées:

        Commission des droits de la personne c. Procureur général du Canada et autre, [1982] 1 R.C.S 215; (1982), 134 D.L.R. (3d) 17; 41 N.R. 318; Canadian Assn. of Regulated Importers c. Canada (Procureur général), [1992] 2 C.F. 130; (1991), 87 D.L.R. (4th) 730; 135 N.R. 217 (C.A.); Bacon v. Saskatchewan Crop Insurance Corp., [1999] S.J. No. 302 (C.A.) (QL).

        distinction faite d'avec:

        Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637; (1986), 58 O.R. (2d) 352; 35 D.L.R. (4th) 161; 22 Admin. L.R. 236; 30 C.C.C. (3d) 498; 14 C.T.C. (2d) 10; 72 N.R. 81; 20 O.A.C. 81; Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; (1981), 127 D.L.R. (3d) 1; 38 N.R. 541; B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Company, [1962] R.C.S. 642; (1962), 34 D.L.R. (2d) 196; 38 W.W.R. 701; Amax Potash Ltd. et al. c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576; (1976), 71 D.L.R. (3d) 1; [1976] 6 W.W.R. 61; 11 N.R. 222; Air Canada c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1986] 2 R.C.S 539; (1986), 32 D.L.R. (4th) 1; [1987] 1 W.W.R. 304; 8 B.C.L.R. (2d) 273; 22 Admin. L.R. 153; 72 N.R. 135; Little Sisters Book and Art Emporium v. Canada (Minister of Justice) (1996), 134 D.L.R. (4th) 286; 48 C.P.C. (3d) 323 (C.S.C.-B.).

        décisions examinées:

        Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S 217; (1998), 161 D.L.R. (4th) 385; 55 C.R.R. (2d) 1; 228 N.R. 203; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.), [1997] 3 R.C.S. 3; (1997), 206 A.R. 1; 156 Nfld. & P.E.I.R. 1; 150 D.L.R. (4th) 577; [1997] 10 W.W.R. 417; 483 A.P.R. 1; 121 Man. R. (2d) 1; 49 Admin. L.R. (2d) 1; 118 C.C.C. (3d) 193; 11 C.P.C. (4th) 1; 46 C.R.R. (2d) 1; 217 N.R. 1; 156 W.A.C. 1; Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S 525; (1991), 83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1; 127 N.R. 161; Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S 49; (1989), 61 D.L.R. (4th) 604; 97 N.R. 241; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319; (1993), 118 N.S.R. (2d) 181; 100 D.L.R. (4th) 212; 327 A.P.R. 181; 13 C.R.R. (2d) 1; 146 N.R. 161; MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796; (1989), 94 N.S.R. (2d) 1; 61 D.L.R. (4th) 688; 41 Admin. L.R. 236; 50 C.C.C. (3d) 449; 72 C.R. (3d) 129; 100 N.R. 81.

        décisions citées:

        Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [1983] 1 C.F. 917; (1983), 38 C.P.C. 182; 76 C.P.R. (2d) 192 (1re inst.); Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2 C.F. 641; (1990), 71 D.L.R. (4th) 253; 45 Admin. L.R. 1; 109 N.R. 357 (C.A.); Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56; (1986), 30 D.L.R. (4th) 481; 26 C.R.R. 59; 70 N.R. 1; Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; (1985), 52 O.R. (2d) 779; 24 D.L.R. (4th) 161; 23 C.C.C. (3d) 193; 49 C.R. (3d) 97; 19 C.R.R. 354; 37 M.V.R. 9; 64 N.R. 1; 14 O.A.C. 79; Gold c. R., [1986] 2 C.F. 129; (1986), 25 D.L.R. (4th) 285; 18 Admin. L.R. 212; 64 N.R. 260 (C.A.); Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872 (1re inst.); conf. par [1983] 2 C.F. 463; (1984), 7 D.L.R. (4th) 144; 3 Admin. L.R. 225; 10 C.C.C. (3d) 492; 40 C.P.C. 295; 50 N.R. 286 (C.A.).

    doctrine

        Cooper, T. G. Crown Privilege. Aurora, Ont.: Canada Law Book, 1990.

DEMANDE invoquant des motifs constitutionnels formée à l'encontre des oppositions faites à la divulgation de renseignements pertinents quant à une enquête publique tenue par la Commission des plaintes du public contre la GRC au sujet de la conduite que des membres de la GRC auraient eue dans le cadre de l'exécution de leurs fonctions, lors de la conférence de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique à Vancouver, en novembre 1997. Demande rejetée.

    ont comparu:

    Joseph J. Arvay, c.r., pour le demandeur dans le dossier DES-2-99 et pour les demandeurs dans le dossier T-659-99.

    Ivan G. Whitehall, c.r., Ronald M. Snyder et Simon Fothergill pour le défendeur dans le dossier DES-2-99 et pour les défendeurs dans le dossier T-659-99.

    Marvin R. V. Storrow, c.r., et Barbara Fisher pour l'intervenante la Commission des plaintes du public contre la GRC.

    avocats inscrits au dossier:

    Arvay Finlay, Victoria, pour le demandeur dans le dossier DES-2-99 et pour les demandeurs dans le dossier T-659-99.

    Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur dans le dossier DES-2-99 et pour les défendeurs dans le dossier T-659-99.

    Blake, Cassels & Graydon, Vancouver, pour l'intervenante la Commission des plaintes du public contre la GRC.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[]Le juge McKeown: Les demandeurs contestent la constitutionnalité du paragraphe 38(6) et de l'article 39 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, art. 5] de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (la Loi), pour le motif que le paragraphe 38(6) permettrait au gouvernement de présenter des observations ex parte en faveur de la non-divulgation de renseignements pouvant être préjudiciables aux relations internationales ou à la défense ou sécurité nationale, et que l'article 39 accorderait une immunité complète à l'encontre de tout examen judiciaire et de toute ordonnance de divulgation imposée par la cour relativement aux "renseignement[s] confidentiel[s] du Conseil privé de la Reine pour le Canada". Subsidiairement, les demandeurs soutiennent que les dispositions visées doivent recevoir une interprétation restrictive étant donné qu'elles ne sont pas applicables en l'espèce en raison des allégations de comportement inconstitutionnel de la part du gouvernement. Il a été convenu que seuls les litiges constitutionnels liés à l'audition visée au paragraphe 38(6) et à l'article 39 de la Loi seraient entendus lors de l'audition de la présente demande.

Les questions en litige

[]Les points en litige portent sur la question de savoir si le paragraphe 38(6) et l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada sont ultra vires du Parlement au motif qu'ils sont incompatibles avec la Constitution du Canada, notamment avec le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] et avec les principes fondamentaux et structurels de la Constitution.

Les faits

[]La présente contestation constitutionnelle s'inscrit dans le cadre des objections soulevées par les défendeurs relativement à la divulgation de renseignements pertinents à une enquête publique en cours tenue par la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada (Commission) au sujet de la conduite de membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) lors de la conférence de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) en novembre 1997. Les demandeurs ont tous déposé des plaintes liées à la conduite de membres de la GRC dans le cadre de l'exécution de leurs fonctions aux termes de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 (Loi sur la GRC), relativement aux événements qui sont survenus au cours de la conférence de l'APEC. Il y a eu approximativement 52 plaintes, dont les détails sont exposés dans le document produit par la Commission, qui ont été formulées suite à la tenue de la conférence de l'APEC.

[]Le 20 février 1998, Mme Heafey, présidente de la Commission, a décidé qu'il était dans l'intérêt public de convoquer une audience devant des membres de la Commission (la formation), conformément au paragraphe 45.43(1) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16] de la Loi sur la GRC. L'audience visait à examiner tous les aspects liés aux plaintes, à entendre toutes les preuves qui y sont pertinentes et à tirer, au terme de l'audience, les conclusions de fait et formuler les recommandations qui s'imposent. Sans restreindre la portée de ce qui précède, Mme Heafey a indiqué que la formation avait pour mandat de faire un rapport après avoir examiné les éléments suivants:

a) les événements qui se sont produits lors des manifestations tenues à l'occasion de la conférence de l'APEC à Vancouver, en Colombie-Britannique, entre le 23 et le 27 novembre 1997, et qui ont eu lieu sur le campus de l'Université de la Colombie-Britannique (UCB), ou à proximité de celui-ci, puis par la suite à l'UCB et aux détachements de la GRC à Richmond, ou les événements s'y rattachant;

b) la question de savoir si la conduite des membres de la GRC mis en cause dans cette affaire était appropriée eu égard aux circonstances;

c) la question de savoir si la conduite des membres de la GRC mis en cause dans cette affaire était compatible avec le principe du respect des libertés fondamentales prévues à l'article 2 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

[]Le 20 février 1998, Mme Heafey a désigné Gerald Morin à titre de président de la formation de la Commission appelée à examiner les plaintes, et Vina Starr et John Wright pour y siéger à titre de membres. Suite à la démission des membres de cette formation initiale, Mme Heafey a nommé E. N. (Ted) Hughes, c.r. (le commissaire Hughes), le 21 décembre 1998 pour entendre les plaintes. Le pouvoir de faire la nomination en question se fonde sur le paragraphe 45.44(1) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16] de la Loi sur la GRC.

[]Dans un avis de requête en date du 21 janvier 1999, on a demandé au commissaire Hughes de prononcer, entre autres, les décisions suivantes:

a) que la Commission a compétence pour enquêter sur la question de savoir si le très honorable Jean Chrétien, premier ministre du Canada, les membres du Cabinet du premier ministre (CPM), le Bureau du Conseil privé (BCP) ou le gouvernement du Canada aurait donné des directives ou des ordres inappropriés à des membres de la GRC relativement à la question de la sécurité lors de la conférence de l'APEC;

b) que la Commission a compétence pour tirer des conclusions selon lesquelles le très honorable Jean Chrétien, premier ministre du Canada, les membres du CPM, le BCP ou le gouvernement du Canada a donné des directives ou des ordres inappropriés à des membres de la GRC relativement à la question de la sécurité lors de la conférence de l'APEC;

c) que la Commission a compétence pour faire des recommandations au commissaire en ce qui a trait à l'ingérence politique du premier ministre du Canada, des membres du CPM, du BCP ou du gouvernement du Canada dans ses fonctions.

[]Le 5 février 1999, le commissaire Hughes a décidé que la Commission avait compétence pour mener une enquête et pour tirer les conclusions et formuler les recommandations recherchées dans l'avis de requête en question, dans la mesure où elles reposent sur des éléments de preuve qui ont été soumis devant la Commission. Le commissaire Hughes a confirmé sa décision le 5 mars 1999.

[]La Commission est un tribunal établi par la loi et sa compétence se fonde sur le paragraphe 45.45(14) [édicté, idem] de la Loi sur la GRC. Dans sa décision rendue le 5 mars 1999, le commissaire Hughes a décrit son mandat en ces termes:

[traduction] La conduite des membres de la Gendarmerie qui font l'objet d'une ou plusieurs plaintes est centrale à la tenue de l'enquête. Elle est le but même, la fonction et la raison d'être du présent processus.

[]Le 5 mars 1999, le commissaire Hughes a également décidé que la Commission avait compétence pour enjoindre à toute personne dont la Commission juge le témoignage nécessaire à la tenue d'une enquête et d'un examen complets de la question qui lui a été soumise de venir témoigner devant elle. Le commissaire Hughes a précisé que nul n'était à l'abri d'une citation à comparaître comme témoin, dans la mesure où cette comparution s'avère nécessaire au vu des éléments de preuve soumis devant la Commission.

[]La GRC a préparé un document intitulé [traduction] "Les questions les plus fréquemment posées à propos des mesures de sécurité à l'APEC" le 2 décembre 1997, ou vers cette date, dans lequel il était indiqué que [traduction ] "le Cabinet du premier ministre n'était pas impliqué à l'égard des mesures de sécurité prises par la GRC".

[]Le gouvernement fédéral est représenté à l'audition par une équipe d'avocats du gouvernement fédéral qui, en guise de déclaration préliminaire devant le commissaire Hughes, ont reconnu que des agents du CPM [traduction] "ont discuté avec les policiers en charge de la sécurité". En dépit de cet aveu, les avocats du gouvernement fédéral ont soutenu que [traduction ] "la preuve démontrera que les décisions finales en ce qui concerne les mesures de sécurité prises avant et au cours de la tenue de la conférence de l'APEC sont le seul fait de la GRC".

[]Il existe des preuves documentaires, versées au dossier à titre de pièces à l'appui, qui révèlent que le CPM aurait demandé à la GRC que [traduction] "tout ce qui peut être fait soit fait afin d'apaiser les inquiétudes des Indonésiens" et aurait dit clairement à l'APEC Canada Coordinating Office (ACCO) qu'il devait [traduction ] "tout faire pour s'assurer que le président de l'Indonésie assiste à la conférence de l'APEC".

[]Le 8 avril 1998, ou vers cette date, l'avocat de la Commission a écrit à l'avocat du gouvernement pour demander que le gouvernement du Canada divulgue aux membres de la formation tous les documents gouvernementaux pertinents relativement à l'audition de la demande.

[]Par une série de certificats déposés entre le 9 octobre 1998 et le 23 février 1999, plusieurs fonctionnaires du gouvernement se sont opposés à la divulgation de nombreux documents en se fondant sur les articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada. Un par un, les certificats en question ont été identifiés par leur date et par le nom de leur auteur dans la demande déposée par les demandeurs le 1er mars 1999, no du greffe DES-2-99.

[]Le 3 octobre 1998, Mme Jocelyne Bourgon, alors greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet, s'est opposée à la divulgation de huit des documents gouvernementaux en cause en certifiant, aux termes du paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada, qu'ils contenaient des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada.

[]Le 22 février 1999, Mel Cappe, greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet, s'est opposé à la divulgation de documents gouvernementaux additionnels en certifiant, aux termes du paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada, qu'ils contenaient des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada.

Analyse

[]Je propose d'aborder en premier lieu la question de la constitutionnalité de l'article 39.

[]Les demandeurs contestent la constitutionnalité de l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada en soutenant qu'il confère à l'exécutif du gouvernement le droit absolu de déterminer si des "renseignement[s] confidentiel[s] du Conseil privé de la Reine pour le Canada" devraient être exclus de la preuve lors d'une cause entendue devant une cour ou un tribunal administratif, même dans le cas où le contenu de ces [traduction ] "documents du Cabinet" serait pertinent dans le dossier. Les demandeurs affirment que le Canada est aujourd'hui une démocratie constitutionnelle, ce qui signifie que la Constitution du Canada est l'autorité suprême au pays et qu'elle a supplanté la doctrine de la suprématie parlementaire. Leur argumentation s'appuie sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec , [1998] 2 R.C.S. 217 (Renvoi sur la sécession du Québec). Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a affirmé à la page 258: "Notre Cour a souligné plusieurs fois que, dans une large mesure, l'adoption de la Charte avait fait passer le système canadien de gouvernement de la suprématie parlementaire à la suprématie constitutionnelle." Les demandeurs font valoir que l'article 39 va à l'encontre des principes fondamentaux et structurels de la Constitution du Canada, en grande partie non écrits. Les principes qui sont pertinents aux fins de la présente demande sont: la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la magistrature et la primauté du droit. Les demandeurs plaident que l'article 39 devrait être invalidé en raison du principe de la suprématie constitutionnelle.

[]Subsidiairement, les demandeurs soutiennent que ces principes non écrits de la Constitution devraient certainement empêcher le Parlement, en tant qu'organe législatif du gouvernement, d'adopter des lois qui ont pour effet de soustraire le comportement prétendument illégal de l'organe exécutif à l'examen d'une cour ou d'un tribunal administratif qui aurait par ailleurs compétence pour examiner une telle conduite.

[]Les défendeurs plaident que l'argument des demandeurs a été rejeté dans l'arrêt Commission des droits de la personne c. Procureur général du Canada, et autre, [1982] 1 R.C.S. 215 (l'arrêt sur la Commission des droits de la personne). Les défendeurs s'opposent à la proposition qui veut qu'il existe des principes fondamentaux et structurels de la Constitution du Canada qui ne sont pas écrits et dont l'effet est d'imposer des restrictions à l'adoption des lois qui relèveraient par ailleurs de la compétence du Parlement.

[]Doit servir de point de départ pour la présente analyse l'arrêt sur la Commission des droits de la personne, précité, où la Cour suprême du Canada a décidé à l'unanimité que le paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, soit le prédécesseur de l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, était valide sur le plan constitutionnel. Cette décision devrait normalement régler la question en l'espèce. Toutefois, les demandeurs font observer que cette décision a été rendue avant l'entrée en vigueur de la Charte et qu'elle a été écartée depuis par trois arrêts plus récents de la Cour suprême du Canada. Ils soutiennent que l'arrêt sur la Commission des droits de la personne, précité, ne tranche donc pas la question en litige en l'espèce. Les trois décisions auxquelles se réfèrent les demandeurs sont: Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î-P-.É.), [1997] 3 R.C.S. 3 (le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale); et le Renvoi sur la sécession du Québec, précité.

[]Dans l'arrêt sur la Commission des droits de la personne, la Commission des droits de la personne du Québec a soutenu devant la Cour supérieure du Québec [[1977] C.S. 47] que le paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale était inconstitutionnel parce qu'il "entérin[ait] un principe qui répugne à notre système de gouvernement et qui viole la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire". Dans la décision rendue par la Cour supérieure du Québec, le juge en chef Deschênes a commenté l'évolution du privilège de la Couronne en Angleterre, en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis et au Québec, de même qu'au Canada avant 1970 et après 1970. Le juge en chef de la Cour supérieure du Québec a conclu ce qui suit à la page 66 [à la page 223 R.C.S.]:

    Entre deux options qui lui étaient offertes, entre les deux thèses dont chacune avait connu sa période de suprématie, le Parlement a décidé de choisir, entre autres en matière de sécurité nationale, la thèse de l'immunité absolue de la Couronne à l'égard des tribunaux. Il a reposé sa confiance entière dans les ministres de la Couronne et il a enlevé aux tribunaux toute discrétion. Comme le soulignait l'honorable juge Mahoney (Landreville c. R. (1977), 70 D.L.R. (3d) 122, 124 et 125), le Parlement a préféré un Exécutif intéressé à un Judiciaire indépendant.

    La Commission intimée est libre de le regretter et de s'en plaindre; mais il ne suit pas que le Parlement ait excédé sa compétence ni qu'il ait légiféré de façon invalide et ce n'est pas de la Cour supérieure que la Commission peut espérer obtenir une modification législative.

Le juge en chef a décidé que le paragraphe 41(2) n'était pas ultra vires du Parlement.

[]L'argument soulevé par la Commission devant le juge en chef Deschênes n'a pas été présenté devant la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a cependant cité de nombreux passages du commentaire du juge en chef Deschênes au sujet du privilège de la Couronne, plus particulièrement les paragraphes reproduits plus haut, au paragraphe 22 du présent jugement.

[]Devant la Cour suprême du Canada, la Commission appelante a plaidé [à la page 223] que le "par. 41(2) est hors de la compétence du Parlement parce qu'il empiète sur un domaine exclusivement réservé aux provinces, l'administration de la justice". Le juge Chouinard a rejeté cet argument et, ce faisant, a cité avec approbation le commentaire suivant du juge en chef Deschênes à la page 224: "[i]l n'est certes pas inconstitutionnel en ce sens qu'en l'adoptant, le Parlement aurait empiété sur un domaine de compétence provinciale exclusive: les cas qu'il prévoit relèvent de la juridiction fédérale".

[]Le procureur général du Québec est intervenu devant la Cour suprême sur la question de la constitutionnalité de l'article 41 de la Loi sur la Cour fédérale. Il a soumis que le paragraphe 41(2) était "ultra vires dans la mesure où il vise à interdire le contrôle par les tribunaux compétents de la légalité constitutionnelle de la décision de l'exécutif fédéral de refuser la production de documents". L'intervenant n'a pas contesté le pouvoir du Parlement de légiférer sur le privilège de la Couronne; il n'a pas non plus contesté le pouvoir similaire qui existe au palier provincial. Cependant, il a plaidé que les règles de la common law relatives à ce privilège particulier, ayant été élaborées sous un régime unitaire, ne peuvent s'appliquer comme telles dans le contexte d'un État fédéral où les pouvoirs exécutifs sont répartis en fonction du partage des compétences législatives suivant la Constitution du Canada.

[]L'argument formulé par le procureur général du Québec est différent de celui qui a été invoqué par la Commission des droits de la personne devant la Cour supérieure du Québec. Essentiellement, le procureur général a soutenu que le paragraphe 41(2), qui prive les tribunaux de leur pouvoir de contrôler la légalité constitutionnelle de la décision de l'exécutif de refuser la production de documents, constituait une clause privative inadmissible.

[]Le juge Chouinard a noté aux pages 227 et 228 qu'il ne fallait pas confondre la validité de la législation avec la possibilité qu'un comportement inconstitutionnel ou abusif survienne en application de la législation. Il a affirmé:

Si je le comprends bien, [. . .] ce à quoi l'intervenant fait allusion, c'est ce que le juge Mayrand, dans le passage précité, a appelé "le risque d'abus de pouvoir qui échapperait au contrôle judiciaire".

Mais ce risque ne découle pas du caractère fédéral de la constitution canadienne. C'est un risque inhérent au privilège absolu qui se retrouvera tout autant dans un État unitaire. Il se retrouve aussi au niveau d'une législation provinciale, comme c'était le cas au Québec sous l'art. 332 C.p.c. jusqu'à ce qu'il soit remplacé en 1966 par l'art. 308.

Dès que l'on reconnaît au Parlement et aux législatures provinciales le pouvoir de légiférer en cette matière dans leurs domaines respectifs et on ne saurait le nier, ce risque existe. Cependant le risque que l'Exécutif applique à mauvais escient ou même de façon arbitraire une législation validement adoptée par le Parlement n'a pas pour effet de faire perdre à celui-ci son pouvoir de légiférer. Il ne faut pas confondre la loi adoptée par le Parlement et l'acte de l'Exécutif posé en application de cette loi.

Par ailleurs, dès que l'on reconnaît au Parlement et aux législatures provinciales le pouvoir de légiférer, force est de reconnaître qu'ils peuvent rendre le privilège absolu. Dire en effet que le Parlement et les législatures ne peuvent rendre le privilège absolu équivaudrait, à mon sens, à nier la suprématie parlementaire et à nier au Parlement et aux législatures leur pouvoir souverain de légiférer dans leurs champs respectifs de compétence.

L'existence de ce risque "d'abus de pouvoir" ne justifie pas, à mon avis, que l'on prononce à l'encontre de la constitutionnalité du par. 41(2).

[]Les demandeurs font valoir que la décision rendue dans l'arrêt sur la Commission des droits de la personne, précité, ne tranche pas la présente demande étant donné que la Cour suprême du Canada [traduction] "a établi, depuis, que le Canada était une démocratie constitutionnelle". Au soutien de leur argument selon lequel la Constitution est désormais l'autorité suprême au pays, et non le Parlement, les demandeurs se fondent sur le Renvoi sur la sécession du Québec, précité, à la page 258:

Le principe du constitutionnalisme ressemble beaucoup au principe de la primauté du droit, mais ils ne sont pas identiques. L'essence du constitutionnalisme au Canada est exprimée dans le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982: "La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit." En d'autres mots, le principe du constitutionnalisme exige que les actes de gouvernement soient conformes à la Constitution. Le principe de la primauté du droit exige que les actes de gouvernement soient conformes au droit, dont la Constitution. [. . .] La Constitution lie tous les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, y compris l'exécutif (Operation Dismantle Inc. c. La Reine , [1985] 1 R.C.S. 441, à la p. 455). Ils ne sauraient en transgresser les dispositions: en effet, leur seul droit à l'autorité qu'ils exercent réside dans les pouvoirs que leur confère la Constitution. Cette autorité ne peut avoir d'autre source.

[]On ne peut toutefois contester le fait que le Canada ait toujours été une démocratie constitutionnelle. Le caractère fédératif du Canada, qui est prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867, exige que les actes du Parlement et des législatures provinciales soient conformes à la Constitution du Canada. L'adoption d'une loi qui est contraire au partage des compétences est ultra vires de l'assemblée législative qui l'a édictée et a toujours été invalidée par les tribunaux. L'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] a simplement fourni un second motif sur lequel les tribunaux peuvent se fonder pour déclarer une loi invalide.

[]En l'espèce, les demandeurs soutiennent que les principes fondamentaux et structurels en grande partie non écrits de la Loi constitutionnelle de 1867 offrent un troisième motif, en plus du partage des compétences et de la Charte, sur lequel les tribunaux peuvent se fonder pour invalider une loi adoptée par le Parlement ou par les législatures provinciales.

[]Dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, le juge en chef Lamer a ouvert la porte à la page 68 aux observations présentées par le demandeur:

[. . .] j'accepte le principe général que la Constitution comprend des règles non écrites"et écrites", dans une large mesure sur le fondement du libellé du par. 52(2). En effet, comme notre Constitution est dérivée d'un régime constitutionnel dont les règles fondamentales ne sont pas fixées dans un seul document ou dans un ensemble de documents faisant autorité, il n'est pas étonnant qu'elle retienne certains aspects de cet héritage.

Il a par la suite continué à la même page:

[. . .] il est possible d'expliquer l'existence de bon nombre des règles non écrites de la Constitution canadienne en se reportant au préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 [. . .]

Après avoir examiné le préambule, il a dit à la page 75:

Celui-ci énonce les principes structurels de la Loi constitutionnelle de 1867 et invite les tribunaux à transformer ces principes en prémisses d'une thèse contitutionnelle qui amène à combler les vides des dispositions expresses du texte constitutionnel.

[]Dans le cadre même du Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, à la page 68, le juge en chef Lamer a quelque peu atténué ses commentaires et a mis l'accent sur les difficultés qui peuvent survenir du fait de se fonder sur une constitution non écrite:

Toutefois, je tiens à ajouter une mise en garde. Comme je l'ai dit dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, à la p. 355, l'histoire constitutionnelle du Canada peut être considérée, en partie, comme une évolution "qui a abouti à la suprématie d'une constitution écrite définitive". La préférence pour une Constitution écrite repose sur bon nombre de raisons importantes, particulièrement la certitude du droit et, par ce moyen, la légitimité du contrôle judiciaire fondé sur la Constitution. Compte tenu de ces préoccupations, qui sont au cœur de l'idée de constitutionnalisme, il est de la plus haute importance de préciser la source de ces normes non écrites.

[]Les demandeurs s'appuient également sur le Renvoi sur la sécession du Québec, précité, pour soutenir leur argument suivant lequel la suprématie parlementaire a été supplantée. Dans cet arrêt, la Cour a réitéré à la page 239 l'affirmation qu'elle avait faite dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, de la manière suivante:

La Constitution "comprend des règles non écrites"et écrites"".

[]La Cour a ajouté, à la page 240:

Ces règles et principes de base, qui comprennent les conventions constitutionnelles et les rouages du Parlement, font nécessairement partie de notre Constitution, parce qu'il peut survenir des problèmes ou des situations qui ne sont pas expressément prévus dans le texte de la Constitution.

[]La Cour a noté une fois de plus, à la page 248, l'existence de ces principes constitutionnels sous-jacents et a affirmé que: "le respect de ces principes est indispensable au processus permanent d'évolution et de développement de notre Constitution, cet [traduction ] "arbre vivant"". Elle a ensuite affirmé à la page 249:

Étant donné l'existence de ces principes constitutionnels sous-jacents, de quelle façon notre Cour peut-elle les utiliser? Dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, aux par. 93 et 104, nous avons apporté la réserve que la reconnaissance de ces principes constitutionnels (l'opinion majoritaire parle de "principes structurels" et décrit l'un deux, l'indépendance de la magistrature, comme une norme non écrite) n'est pas une invitation à négliger le texte écrit de la Constitution. Bien au contraire, nous avons réaffirmé qu'il existe des raisons impératives d'insister sur la primauté de notre Constitution écrite. [. . .] Dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, au par. 104, nous avons statué que le préambule "invite les tribunaux à transformer ces principes en prémisses d'une thèse constitutionnelle qui amène à combler les vides des dispositions expresses du texte constitutionnel". [Non souligné dans l'original.]

[]La Cour semble avoir formulé par la suite quelques restrictions à l'intervention judiciaire en se fondant sur ces principes constitutionnels sous-jacents. Cela se démarque quelque peu de l'approche qu'elle a utilisée dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale. Dans le Renvoi sur la sécession du Québec, la Cour trace une ligne entre le rôle des tribunaux et celui des législatures à la page 270:

Dans le Renvoi relatif au rapatriement, une distinction a été faite entre le droit de la Constitution, que généralement les tribunaux font respecter, et d'autres règles constitutionnelles, telles les conventions de la Constitution, qui sont susceptibles de sanctions politiques seulement. Ici encore, toutefois, l'intervention judiciaire, même en ce qui concerne le droit de la Constitution, est subordonnée à l'appréciation que la Cour fait du rôle qui lui revient dans notre système constitutionnel.

[]La Cour a ensuite cité le Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525 (le Renvoi sur le Régime d'assistance publique). Dans cet arrêt, les demandeurs ont contesté la décision du gouvernement fédéral d'alléger unilatéralement l'obligation financière lui incombant aux termes du Régime d'assistance publique du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-1] et de l'accord. Les demandeurs ont soutenu que l'exercice par le gouvernement de son pouvoir de dépenser allait à l'encontre du "principe essentiel du fédéralisme". La Cour suprême du Canada a conclu que le principe du fédéralisme ne pouvait en soi invalider une loi par ailleurs validement adoptée. Plus particulièrement, elle a affirmé à la page 545 du jugement précité:

Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de décider s'il convient de répondre à une question qui, allègue-t-on, ne relève pas de la compétence des tribunaux, la Cour doit veiller surtout à conserver le rôle qui lui revient dans le cadre constitutionnel de notre forme démocratique de gouvernement.

[]La Cour a noté, à la page 271 du Renvoi sur la sécession du Québec, précité, qu'un principe de réserve judiciaire analogue à celui énoncé dans le Renvoi sur le Régime d'assistance publique, précité, était applicable. La Cour a également noté à la page 271 du même jugement qu'elle avait dit, à la page 91 de l'arrêt Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49 (Vérificateur général):

Il existe tout un éventail de questions litigieuses exigeant l'exercice d'un jugement judiciaire pour déterminer si elles relèvent à bon droit de la compétence des tribunaux. Finalement, un tel jugement dépend de l'appréciation par le judiciaire de sa propre position dans le système constitutionnel.

[]La Cour suprême du Canada a établi que les normes constitutionnelles non écrites peuvent combler un vide dans les termes exprès du texte constitutionnel, ou servir d'outil d'interprétation dans le cas où une disposition d'une loi constitutionnelle n'est pas claire. Cependant, comme l'a noté le juge La Forest, dissident dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, les principes du contrôle judiciaire n'habilitent pas un tribunal à invalider une loi en l'absence de violation d'une disposition expresse de la Constitution par la loi en question.

[]Les défendeurs ont fait observer qu'en l'espèce, la disposition constitutionnelle expresse qui était requise n'existe pas. De plus, ils ont noté qu'il n'y avait pas de vide à combler dans la Constitution. Je suis d'avis que ces normes constitutionnelles en grande partie non écrites ne suffisent pas en soi à invalider une loi qui a été par ailleurs validement adoptée.

[]Toutefois, vu les nombreuses observations présentées par les demandeurs, je passe à présent à l'examen en détail des principes non écrits sur lesquels ceux-ci se fondent pour demander l'invalidation de l'article 39 et du paragraphe 38(6) de la Loi sur la preuve au Canada.

Les principes non écrits de la Loi constitutionnelle de 1867

[]Avant de procéder à l'examen des principes constitutionnels en grande partie non écrits que les demandeurs mettent de l'avant, je note que la suprématie parlementaire constitue également un principe fondamental non écrit de la Constitution canadienne. Le juge McLachlin a affirmé dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, à la page 384:

[. . .] il semble évident que, du point de vue historique, les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges inhérents qui peuvent être nécessaires à leur bon fonctionnement. Ces privilèges font partie de notre droit fondamental et sont donc constitutionnels.

[]De plus, dans l'arrêt Vérificateur général, précité, le juge en chef Dickson a dit à la page 103:

Il ne sert à rien d'insister sur la centralisation des pouvoirs qui caractérise le système de gouvernement hérité de Westminster [. . .] La règle fondamentale que les tribunaux doivent appliquer dans ce contexte est celle de la souveraineté du Parlement.

[]L'importance de la souveraineté parlementaire a aussi été soulignée dans l'arrêt MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796, à la page 832:

[. . .] le principe fondamental de l'indépendance judiciaire doit laisser place à un autre principe essentiel, celui de la suprématie du Parlement. Mais en même temps, il est évident que le Parlement et les assemblées législatives ne peuvent agir de manière à entraver ce que le juge Dickson appelle dans l'arrêt Beauregard c. Canada les pouvoirs et fonctions des tribunaux.

[]Il importe de se rappeler que l'affaire en l'espèce vise une loi adoptée par le Parlement et non une tentative par l'exécutif de réclamer l'immunité en invoquant un privilège de la Couronne fondé sur la common law.

[]Tel qu'il a été décrit précédemment, l'argument des demandeurs repose sur trois principes constitutionnels non écrits dont ceux-ci prétendent qu'ils imposent des restrictions à l'application de la doctrine de la suprématie parlementaire. Les demandeurs reconnaissent que l'article 39 tombe par ailleurs sous la compétence du Parlement et, de ce fait, doit se trouver à aller à l'encontre de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance de la magistrature et de la primauté du droit, soit à l'encontre de normes constitutionnelles non écrites, pour être déclaré invalide. J'aborde à présent la question de savoir si l'article 39 constitue une entorse à ces principes, en commençant par la doctrine du "partage des compétences".

i)  La doctrine du partage des compétences

[]Les demandeurs plaident que la séparation des pouvoirs est un principe fondamental et structurel de la Constitution du Canada. Du fait qu'il attribue une fonction judiciaire à l'exécutif, soit le pouvoir discrétionnaire de décider de divulguer ou non certains éléments de preuve pertinents, l'article 39 contreviendrait à la doctrine de la séparation des pouvoirs.

[]L'existence d'une doctrine stricte de la séparation des pouvoirs au sein du droit constitutionnel canadien est, au mieux, douteuse. Cela est particulièrement vrai à la lumière de l'énoncé explicite mis de l'avant par la Cour suprême dans le Renvoi sur la sécession du Québec, à la page 233:

[. . .] la Constitution canadienne n'impose pas une séparation stricte des pouvoirs. Le Parlement et les législatures provinciales peuvent à bon droit confier aux tribunaux d'autres fonctions juridiques, et conférer certaines fonctions judiciaires à des organismes qui ne sont pas des tribunaux. L'exception à cette règle touche uniquement les cours visées à l'art. 96.

Je conclus que si le Parlement peut conférer d'autres fonctions légales aux tribunaux, de même que certaines fonctions judiciaires à des "organismes qui ne sont pas des tribunaux", il peut également attribuer des pouvoirs judiciaires à l'exécutif.

[]Les demandeurs invoquent au soutien de leurs prétentions l'arrêt Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220, dans lequel la Cour avait décidé qu'il n'était pas loisible à une législature de priver les cours visées à l'article 96 de leur pouvoir inhérent de surveillance. Le sommaire du jugement relève les faits et conclusions pertinents à la page 221:

Chaque fois que le législateur provincial prétend soustraire l'un des tribunaux créé par la loi à toute révision judiciaire de sa fonction d'adjuger, et que la soustraction englobe la compétence, la loi provinciale doit être déclarée inconstitutionnelle parce qu'elle a comme conséquence de faire de ce tribunal une cour au sens de l'art. 96. Il est incontestable que des clauses privatives bien formulées peuvent efficacement écarter le contrôle judiciaire sur des questions de droit et sur d'autres questions étrangères à la compétence. Toutefois, comme l'art. 96 fait partie de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et que ce serait le tourner en dérision que de l'interpréter comme un pouvoir de nomination simple et sans portée, la Cour ne peut trouver de marque plus distinctive d'une cour supérieure que l'attribution à un tribunal provincial du pouvoir de délimiter sa compétence sans appel ni autre révision. En conséquence, un tribunal créé par une loi provinciale ne peut être constitutionnellement à l'abri du contrôle de ses décisions sur des questions de compétence.

[]Contrairement à l'initiative contestée dans l'arrêt Crevier, précité, l'article 39 ne soustrait pas les décisions de l'exécutif, visant à empêcher des documents du Cabinet d'être divulgués, au contrôle judiciaire fondé sur des questions de compétence. Ce principe a été confirmé par la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [1983] 1 C.F. 917 (1re inst.); et Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2 C.F. 641 (C.A.). L'article 39 ne contrevient donc pas à l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[]Bien que je ne traite pas de l'article 7 de la Charte en l'espèce"même si les demandeurs se réservent le droit de contester l'article 39 en se fondant sur l'article 7 devant une cour de juridiction supérieure", je suis d'avis que les commentaires du juge MacGuigan dans l'arrêt Canadian Assn. of Regulated Importers c. Canada (Procureur général) , [1992] 2 C.F. 130 (C.A.), à la page 158, en ce qui a trait au pouvoir de contrôle judiciaire à l'égard d'une mesure administrative sont révélateurs:

En conséquence, l'article 7 entre en jeu lorsque l'on restreint la liberté physique dans quelque contexte que ce soit, lorsque l'on exerce un contrôle sur l'intégrité physique ou mentale ou lorsque l'on invoque la menace de sanctions dans les cas de violation. Les faits de la présente espèce n'indiquent rien de la sorte. Le droit que les particuliers appelants veulent faire valoir est un vague "droit" traditionnel d'examen judiciaire d'une mesure administrative dans tous les cas. La jurisprudence montre toutefois qu'un tel droit peut être exclu complètement sauf pour ce qui est de questions de compétence, lorsque l'organe exécutif du gouvernement est en cause, même quand l'équité elle-même est en jeu: Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.S.C. 735. [Non souligné dans l'original.]

[]Je conclus que la doctrine implicite de la séparation des pouvoirs n'a pas été reconnue dans le cadre de la Constitution canadienne. Par conséquent, elle ne peut être invoquée pour invalider une loi intra vires qui ne contrevient pas à la Charte.

ii)  La doctrine de l'indépendance de la magistrature

[]Les demandeurs font valoir que le principe de l'indépendance de la magistrature est un principe sous-jacent en grande partie non écrit de la Constitution et qu'il a, de ce fait, force de loi. Dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, le juge en chef Lamer a fait plusieurs commentaires en ce sens. Bien que ce renvoi ne concernait que l'application de l'alinéa 11d) de la Charte, le juge en chef Lamer a abordé une question plus large, à savoir la source non écrite de l'indépendance de la magistrature. Il a fait l'observation suivante aux pages 63 et 64:

Malgré la présence de l'al. 11d) de la Charte et des art. 96 à 100 de la Loi constitutionnelle de 1867, je suis d'avis que l'indépendance de la magistrature est à l'origine un principe constitutionnel non écrit, en ce sens qu'il est extérieur aux articles particuliers des Lois constitutionnelles. L'existence de ce principe, dont les origines remontent à l'Act of Settlement de 1701, est reconnue et confirmée par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. Les dispositions précises des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 ne font [traduction] "qu'établir ce principe dans l'appareil institutionnel qu'elles créent [. . .]".

[]Le juge en chef Lamer a par la suite cité l'arrêt Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56 (ci-après l'arrêt Beauregard) et a noté, aux pages 75 et 76, que la Cour suprême a conclu que: "le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et, en particulier, sa référence à "une constitution semblable dans son principe à celle du Royaume-uni" constituent une "reconnaissance écrite" du principe de l'indépendance de la magistrature". Au terme de son analyse sur la source non écrite du principe de l'indépendance de la magistrature, le juge en chef a affirmé aux pages 77 et 78 que:

[. . .] les dispositions expresses de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Charte ne codifient pas de manière exhaustive la protection de l'indépendance de la magistrature au Canada. L'indépendance de la magistrature est une norme non écrite, reconnue et confirmée par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. En fait, c'est dans le préambule, qui constitue le portail de l'édifice constitutionnel, que se trouve la véritable source de notre engagement envers ce principe fondamental.

[]Le juge La Forest, dissident, a souligné le fait que la question n'avait pas entièrement été débattue dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité. Il a affirmé en particulier aux pages 180 et 181:

La nature du pouvoir de contrôle judiciaire fournit une réponse plus générale à cette question. Le pouvoir d'annuler les lois adoptées par des représentants démocratiquement élus tire sa légitimité d'une source supra-législative: le texte de la Constitution. Ce document fondamental (au Canada, il s'agit de plusieurs documents) exprime le désir du peuple de limiter, de certaines façons précises, le pouvoir des législatures. Comme notre Constitution est écrite, ces limites ne peuvent pas être modifiées par le recours au processus démocratique habituel. Toutefois, elles ne sont pas immuables et peuvent être modifiées au moyen d'une autre forme d'expression de la volonté du peuple: la modification constitutionnelle.

Nonobstant le fait que l'argument et les éléments de preuve soumis devant la Cour visaient essentiellement l'alinéa 11d) de la Charte, le juge en chef Lamer s'est penché sur la question de l'indépendance de la magistrature et en a défini le contenu de la façon suivante, à la page 79:

Dans Valente, le juge Le Dain a ajouté que l'indépendance reposait sur l'existence d'un ensemble de "conditions ou garanties objectives" (p. 685), dont l'absence amènerait à conclure qu'un tribunal ou une cour n'est pas indépendant. Il va de soi que l'existence de garanties objectives découle du fait que l'indépendance est liée au statut; les garanties objectives définissent ce statut. Toutefois, le juge Le Dain a ajouté à l'exigence relative aux conditions objectives ce qui pourrait être considéré comme une condition supplémentaire: savoir que la cour ou le tribunal en cause doit raisonnablement être perçu comme indépendant. Cette condition additionnelle a été formulée parce que l'objectif de la garantie d'indépendance de la magistrature est non seulement de faire en sorte que justice soit rendue dans les différentes instances, mais également d'assurer la confiance du public dans le système judiciaire.

[]Après avoir énoncé les grands principes établis dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673, le juge en chef Lamer a identifié les trois composantes essentielles de l'indépendance de la magistrature qui ont été énumérées par le juge Le Dain, soit: "inamovibilité, sécurité financière et indépendance administrative". L'article 39 ne touche pas à l'inamovibilité ni à la sécurité financière des membres de la magistrature. J'examinerai par conséquent l'effet de l'article 39 sur l'"indépendance administrative" telle que l'a définie le juge en chef Lamer à la page 81 citant une fois de plus l'arrêt Valente , précité:

[. . .] le pouvoir par le tribunal de prendre les "décisions administratives qui portent directement et immédiatement sur l'exercice des fonctions judiciaires" (p. 712). Ces décisions ont été définies de manière limitative (à la p. 709):

    [. . .] l'assignation des juges aux causes, les séances de la cour, le rôle de la cour, ainsi que les domaines connexes de l'allocation de salles d'audience et de la direction du personnel administratif qui exerce ces fonctions [. . .]

[]Le juge en chef Lamer a par la suite abordé de façon générale le sujet de l'indépendance institutionnelle de la magistrature, mais ses commentaires doivent être lus à la lumière de ceux qu'il a faits précédemment. Il a dit aux pages 84 et 85:

Par contraste, a dit la Cour, l'indépendance institutionnelle de la magistrature découle du rôle des tribunaux en tant qu'organes constitutionnels et protecteurs "de la Constitution et des valeurs fondamentales qui y sont enchâssées"la primauté du droit, la justice fondamentale, l'égalité, la préservation du processus démocratique, pour n'en nommer peut-être que les plus importantes" (p. 70). L'indépendance institutionnelle permet aux tribunaux de jouer ce deuxième rôle, qui a nettement un caractère constitutionnel.

Dans Beauregard, la Cour a fait état d'un certain nombre de sources de l'indépendance de la magistrature, sources qui sont de nature constitutionnelle et, en conséquence, contribuent à ancrer davantage l'indépendance institutionnelle des tribunaux. L'indépendance institutionnelle des tribunaux découle de la logique du fédéralisme, qui exige un arbitre impartial pour régler les conflits de compétence entre le fédéral et les provinces. Elle est en outre inhérente à la fonction juridictionnelle des tribunaux dans les litiges fondés sur la Charte, parce que les droits protégés par ce document sont des droits qui sont invoqués contre l'État. De plus, la Cour a souligné que le préambule et les dispositions relatives à la magistrature de la Loi constitutionnelle de 1867 étaient des sources supplémentaires de l'indépendance de la magistrature; quant à moi, ces sources fondent aussi l'indépendance institutionnelle de la magistrature. Tout compte fait, il est clair que l'indépendance institutionnelle de la magistrature est "un élément fondamental de la compréhension du constitutionnalisme au Canada" (Cooper , précité, au par. 11).

Cependant, l'indépendance institutionnelle de la magistrature reflète un engagement plus profond envers la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire de l'État: voir Cooper, précité, au par. 13. Cela ressort également de façon claire de l'arrêt Beauregard, où notre Cour a souligné (aux pp. 73 et 74) que, bien que l'indépendance de la magistrature ait été conçue historiquement comme un rempart contre l'abus du pouvoir exécutif, elle servait également à contrer "toute autre ingérence possible, y compris celle du pouvoir législatif" au moyen de lois.

[]Je suis d'avis que le juge en chef Lamer n'a pas amoindri le principe de la suprématie parlementaire en faveur de l'indépendance de la magistrature. Le lien qui existe entre ces deux principes constitutionnels a fait l'objet d'une analyse détaillée par Mme le juge McLachlin dans l'arrêt MacKeigan c. Hickman, précité, à la page 832:

Je ne dis pas que le pouvoir des tribunaux de contrôler leur propre administration est absolu, si, par absolu, on veut dire que l'Assemblée législative ou le Parlement ne peut en aucun cas adopter des lois relatives au fonctionnement des tribunaux ni enquêter sur la conduite de certains juges [. . .] Mais en même temps, il est évident que le Parlement et les assemblées législatives ne peuvent agir de manière à entraver ce que le juge en chef Dickson appelle dans l'arrêt Beauregard c. Canada les pouvoirs et fonctions des tribunaux.

[]Je ne peux conclure, à partir de la définition de l'"indépendance administrative" que l'on retrouve dans l'arrêt Valente , précité, et dans le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, que l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada va à l'encontre de la norme constitutionnelle de l'indépendance de la magistrature.

[]De plus, à la lumière de ma conclusion selon laquelle l'article 39 ne contrevient pas au principe de l'indépendance de la magistrature, je conclus que le paragraphe 38(6) n'a aucune incidence sur l'"indépendance administrative" de la magistrature. Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 38(6) a pour effet de priver les tribunaux de leur pouvoir discrétionnaire de décider s'il y a lieu d'autoriser la présentation d'observations ex parte . Cette prétention doit être rejetée étant donné que la Cour fédérale du Canada a prévu la tenue d'une audience en deux étapes, ce qui, dans certains cas, rend les observations ex parte inutiles. (Voir Gold c. R., [1986] 2 C.F. 129 (C.A.); et Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872 (1re inst.); conf. par [1983] 2 C.F. 463 (C.A.).)

iii)  La primauté du droit

[]À la lumière de la décision rendue par la Cour d'appel de la Saskatchewan dans Bacon v. Saskatchewan Crop Insurance Corp., [1999] S.J. No. 302 (C.A.) (QL), les demandeurs insistent moins sur le principe constitutionnel de la primauté du droit. Dans le Renvoi sur la sécession du Québec, aux pages 257 et 258, la Cour suprême a passé en revue les éléments de la primauté du droit et a évalué l'importance de ce principe au sein de la Constitution du Canada:

Les principes du constitutionnalisme et de la primauté du droit sont à la base de notre système de gouvernement. Comme l'indique l'arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la p. 142, la primauté du droit (le principe de la légalité) est [traduction] "un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle". [. . .] À son niveau le plus élémentaire, le principe de la primauté du droit assure aux citoyens et résidents une société stable, prévisible et ordonnée où mener leurs activités. Elle fournit aux personnes un rempart contre l'arbitraire de l'État.

Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, précité, aux pp. 747 à 752, notre Cour a défini les éléments de la primauté du droit. Nous avons souligné en premier lieu la suprématie du droit sur les actes du gouvernement et des particuliers. En bref, il y a une seule loi pour tous. Deuxièmement, nous expliquons, à la p. 749, que "la primauté du droit exige la création et le maintien d'un ordre réel de droit positif qui préserve et incorpore le principe plus général de l'ordre normatif". [. . .] Un troisième aspect de la primauté du droit, comme l'a récemment confirmé le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale , précité, au par. 10, tient à ce que "l'exercice de tout pouvoir public doit en bout de ligne tirer sa source d'une règle de droit". En d'autres termes, les rapports entre l'État et les individus doivent être régis par le droit. Pris ensemble, ces trois volets forment un principe d'une profonde importance constitutionnelle et politique.

[]Je suis d'avis qu'il n'y a pas de violation du principe de la primauté du droit dans la présente affaire. L'arrêt Bacon c. Saskatchewan Crop Insurance Corp., précité, est d'une grande utilité à cet égard. Dans cette affaire, le gouvernement avait cherché à se protéger contre les poursuites en dommages dans le domaine de l'agriculture. Les modifications législatives qu'il a adoptées étaient extrêmes, à savoir que dans le cadre d'une poursuite ou d'une procédure engagée à l'encontre de la Couronne ou d'un agent de la Couronne relativement aux domaines en question et au cours des années en question [au paragraphe 3]: [traduction] "un tribunal ne doit pas tenir compte des principes de common law ou d'equity qui exigeraient que la société avise, ou avise de façon adéquate et raisonnable, toutes les parties au contrat de toute modification ou changement apporté au contrat". La Cour d'appel de la Saskatchewan a dit au paragraphe 4 de son jugement:

[traduction] En première instance, les appelants ont fait valoir que le gouvernement n'avait pas le pouvoir d'adopter la présente loi, car les gouvernements, au même titre que les particuliers, sont assujettis au droit. La primauté du droit est un concept ou un principe si fondamental que même les gouvernements ne peuvent se soustraire à son application. Cela signifie que les lois du pays, y compris celles qui sont relatives aux obligations contractuelles, lient aussi bien le gouvernement que le public. Par conséquent, le gouvernement n'a aucun fondement légal pour adopter une loi qui se caractérise par l'imposition d'un nouveau contrat et par l'extinction du droit de poursuivre pour violation d'un contrat antérieur.

[]Les appelants dans l'arrêt Bacon, précité, ont clairement affirmé que l'affaire ne touchait pas à la Charte canadienne des droits et libertés et, de plus, [au paragraphe 7] [traduction] "qu'elle ne concernait pas la répartition des compétences dans la Constitution entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux". Selon les appelants, l'affaire portait sur la [traduction ] "primauté du droit dans une société démocratique".

[]Le gouvernement a soutenu que le [traduction] "Parlement (terme qui comprend les législatures) est souverain lorsqu'il agit dans les limites prescrites par la Constitution", et que c'était bien le cas dans l'affaire Bacon , précitée. [traduction] "Pour ce motif, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de savoir si l'adoption de la loi constituait un usage arbitraire de pouvoir" (voir Bacon , précité, au paragraphe 11).

[]La Cour d'appel de la Saskatchewan a examiné la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi sur la sécession du Québec. La Cour d'appel [au paragraphe 24] a commenté en particulier les déclarations faites par la Cour suprême, à la page 258, où celle-ci a mis l'accent sur: "la suprématie du droit sur les actes du gouvernement et des particuliers". La Cour d'appel a jugé que ce paragraphe constituait [traduction ] "l'autorité la plus péremptoire au soutien de la prétention" des appelants, et a écrit aux paragraphes 25 à 27 et 29:

[traduction] Les appelants interprètent le passage "la suprématie du droit sur les actes du gouvernement et des particuliers" comme étant une indication sans équivoque que le gouvernement n'est pas plus autorisé qu'un particulier à se soustraire à ses obligations contractuelles.

Ce n'est pas ce que je comprends de ce passage. Ce n'est rien de plus qu'une reconnaissance du principe que le droit, tel qu'il existe, s'applique à la fois au gouvernement et aux particuliers. Il s'agit d'un principe fondamental lié aux obligations des gouvernements qui n'est mis en doute par aucune des parties au présent appel. Cependant, le droit, y compris la common law, est assujetti aux modifications législatives et, lorsque survient une telle modification, c'est ce droit modifié qui constitue la "seule règle de droit pour tous". Le droit, qui est applicable à tous, ne peut être perçu comme étant fixe et immuable. Il est en constante évolution et le Parlement joue un rôle prépondérant dans son développement. Il n'existe pas d'énoncé dans le Renvoi sur la sécession qui suggère le contraire.

J'interprète les commentaires ci-dessus extraits du Renvoi sur la sécession comme n'étant rien de plus qu'un examen nécessaire du fondement du fédéralisme tel qu'il existe dans ce pays. Cet examen exigeait que soit réaffirmé l'énoncé fait précédemment selon lequel la primauté du droit constituait un "postulat fondamental" de notre Constitution. Cet examen du fédéralisme n'a pas été entrepris avec l'intention de modifier les notions liées à la suprématie parlementaire qui ont été acceptées à travers les siècles, mais plutôt en vue d'établir le fondement de la question appelée à être examinée, à savoir le droit d'une province de faire sécession.

    [. . .]

Je ne peux accepter la proposition voulant que les juges de la Cour suprême avaient, en même temps qu'ils procédaient à un examen de notre système fédéral, l'intention de modifier ce même système. Cela est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit non pas d'une modification subtile ou marginale, mais bien d'une modification qui amoindrirait le principe de la suprématie du Parlement en l'assujettissant au contrôle des juges des cours supérieures pour s'assurer qu'il ne contreviendrait pas au principe de la primauté du droit, et si c'est le cas, pour déterminer s'il s'agit d'un geste arbitraire. Si la Cour suprême du Canada avait voulu adhérer à cette doctrine, je m'attendrais à ce qu'elle ressente le besoin de le dire très clairement dans une affaire où il s'agissait de la question dont elle était saisie. Cela est particulièrement vrai vu que les juges sont non seulement au courant des nombreuses décisions rendues dans diverses juridictions qui confirment le principe de la suprématie parlementaire, mais qu'ils doivent également être conscients de leurs propres décisions antérieures par lesquelles ils ont endossé ce principe, tels les arrêts: AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424, Renvoi relatif au régime d'assistance publique du Canada, [1991] 2 R.C.S. 525, Procureur général de la Colombie-Britannique c. Esquimalt & Nanaimo Railway, [1950] A.C. 87 (C.P.).

[]Le principe de la primauté du droit ne peut invalider de loi, comme le démontre ce qui précède. Il est loisible au Parlement de réviser les droits et privilèges de la Couronne de temps à autre. Il revient toutefois au Parlement et non aux tribunaux d'entreprendre cet exercice.

L'argument de l'intérêt public

[]Finalement, les demandeurs plaident que l'intérêt public visant le respect et la protection de la Constitution du Canada l'emporte sur l'intérêt public visant la préservation des renseignements confidentiels du Cabinet. Ils font valoir que l'article 39 est invalide sur le plan constitutionnel du fait qu'il empêche la Cour d'examiner les documents du Cabinet et, par le fait même, de soupeser les intérêts publics qui sont en jeu, par exemple la possibilité d'accomplissement d'actes inconstitutionnels par l'exécutif par opposition au besoin de secret et de solidarité du Cabinet. Les demandeurs s'appuient sur l'arrêt Carey, précité, mais, même dans cet arrêt, le juge La Forest a écrit à la page 671:

Pour peu que le certificat revête la forme prescrite [par exemple, s'il se réfère à la sécurité nationale ou aux relations diplomatiques], le tribunal pourrait très bien en pareil cas consentir, sans même procéder à une inspection, à ce que les documents ne soient pas produits; dans ce contexte voir l'arrêt Goguen c. Gibson, précité. En effet, dans le cas de documents relevant de ces domaines, il vaut souvent mieux que même les juges ne soient pas au courant de leur contenu, et la période pendant laquelle ils devraient rester secrets peut alors être très longue.

[]Les commentaires du juge La Forest dans l'arrêt Carey, précité, doivent être pris dans le contexte de la description qu'il fait de la question en litige. Il a écrit à la page 639:

La première question qui se pose est de savoir si, dans une action contre Sa Majesté du chef de l'Ontario et les autres intimés, l'appelant Carey est en droit d'obtenir la production de documents du Cabinet se trouvant en la possession du pouvoir exécutif de la province, documents qui, selon l'appelant, serviraient à étayer sa demande. En Ontario, cette question doit être décidée en vertu de la common law.

Le juge La Forest a continué aux pages 659 et 660:

Depuis quelques années, l'idée que les documents du Cabinet doivent jouir d'une protection absolue contre la divulgation semble être nettement en perte de vitesse. Cette tendance a été amorcée aux États-Unis par l'affaire célèbre United States v. Nixon, 418 U.S. 683 (1974), dans laquelle l'ancien président de ce pays a été sommé par voie de subpoena de produire des enregistrements sur bande magnétique et des documents se rapportant à certaines conversations et réunions entre lui et d'autres personnes. Le Président, invoquant le privilège du pouvoir exécutif, a présenté une requête en annulation de subpoena, mais la Cour suprême des États-Unis a confirmé la conclusion des tribunaux d'instance inférieure et rejeté la requête.

[]Une fois de plus, en l'espèce, le privilège conféré à l'exécutif par l'article 39 de la Loi sur la preuve constitue une composante d'une loi qui a été adoptée par le Parlement; l'exécutif ne se fonde pas en l'espèce sur un privilège qui n'existe que sous le régime de la common law.

[]Le juge La Forest a passé en revue la jurisprudence anglaise et australienne, dont nulle ne traite cependant du privilège de la Couronne découlant d'un cadre législatif dont la fonction est de protéger les renseignements confidentiels du Cabinet. Les demandeurs soutiennent que les principes résumés par le juge La Forest aux pages 670 et 671 s'appliquent en l'espèce. Bien que je reconnaisse l'importance de ces principes, je suis d'avis que le Parlement a le droit d'outrepasser ces principes et d'accorder une protection à l'exécutif.

[]Le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale a abordé cette question dans l'arrêt Canadian Assn. of Regulated Importers c. Canada (Procureur général), précité, aux pages 148 et 149:

Si l'arrêt Carey représente un exposé très important de la common law, on ne peut considérer, à mon avis, qu'il détermine les règles juridiques qui figurent dans la Loi sur la preuve au Canada, car il se peut fort bien qu'un texte législatif ait pour objet de modifier la common law plutôt que de l'énoncer. Tout dépend du libellé de la loi en particulier, vu dans son contexte entier.

Le libellé de l'article 39 de la Loi m'apparaît suffisamment clair: le fait qu'un ministre de la Couronne ou le greffier du Conseil privé se soient opposés à la divulgation de renseignements tranche la question lorsque le ministre ou le greffier attestent par écrit que les informations demandées constituent des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada; dans ce cas, la divulgation des informations doit être refusée sans autre examen.

Comme l'a indiqué le juge Strayer dans l'affaire Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [1983] 1 C.F. 917 (1re inst.), aux pages 929 à 931, et ainsi que l'a renforcé la présente Cour dans l'affaire Central Cartage, précitée, il est certainement loisible à un tribunal de décider si un certificat d'un ministre ou du greffier renferme une allégation de privilège selon les conditions qu'autorise la loi, mais un tribunal ne peut aller au-delà du certificat et examiner les documents en question. Le juge en chef Iacobucci, de la présente Cour, a exprimé comme suit ce principe dans l'affaire Central Cartage (aux pages 652 et 653), où le greffier du Conseil privé s'était opposé à la divulgation de huit documents en émettant un certificat aux termes de ce qui est aujourd'hui l'article 39:

    Il semble évident que, lorsqu'il a adopté l'article 36.3 [aujourd'hui l'article 39], le Parlement désirait confier à un ministre de la Couronne ou au greffier du Conseil privé le soin de déterminer si un renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé pour la Reine. La décision du ministre ou du greffier, que celui-ci atteste par écrit, ne peut faire l'objet d'un examen par un tribunal, pourvu, et c'est là la seule restriction, que les exigences explicites de cette disposition soient respectées. La cour ne peut aller au-delà du libellé du certificat et examiner les documents comme elle peut le faire sous le régime des articles 36.1 [aujourd'hui l'article 37] et 36.2 [aujourd'hui l'article 38] de la Loi sur la preuve au Canada. Toutefois, il est loisible à un tribunal de déterminer si, à première vue, le certificat renferme une allégation de privilège selon les limites législatives concernant les revendications de privilège par l'exécutif.

[]Je suis d'accord avec les commentaires de M. Cooper dans le livre intitulé Crown Privilege, Aurora (Ont.): Canada Law Book Inc., 1990, à la page 141:

[traduction] Les organes législatif et exécutif ont tous deux l'obligation de protéger l'intérêt public, mais un seul peut décider de divulguer ou non des documents du Cabinet. Le fait que le Parlement ait adopté des lois qui confèrent une responsabilité entière à l'exécutif n'a aucune incidence sur le rapport constitutionnel. Comme c'est le cas pour l'évolution de tout concept de common law, le Parlement a l'obligation et la mission politique d'examiner la possibilité d'adopter des dispositions législatives qui, sous le régime de la common law, expriment la volonté du public. Telle est l'interaction historique entre les lois et la common law; de nier la suprématie du Parlement relativement à l'adoption de dispositions législatives, par ailleurs constitutionnelles (au sens de la répartition fédérale et politique des compétences et de la Charte), aurait manifestement pour effet de saper la tension constitutionnelle.

[]En définitive, l'arrêt Carey, précité, constitue un énoncé de la common law. Les principes établis par le juge La Forest ne peuvent en soi invalider des dispositions législatives validement adoptées. Tel que l'a noté le juge MacGuigan dans l'arrêt Canadian Assn. of Regulated Importers, précité, les mesures législatives peuvent avoir pour objet de modifier la common law plutôt que de l'énoncer.

[]L'omission du Parlement d'apporter des modifications à l'article 39 suite à la décision rendue dans l'arrêt Carey, précité, est révélatrice de sa réticence à changer les textes législatifs pour qu'ils se conforment aux principes énoncés dans cet arrêt.

L'argument subsidiaire des demandeurs

[]Subsidiairement, les demandeurs plaident que l'application du privilège prévu à l'article 39 devrait être restreinte aux cas où les "renseignement[s] confidentiel[s] du Conseil privé de la Reine pour le Canada" que cherche à obtenir un demandeur ne sont pas pertinents relativement à une violation potentielle de la Constitution par l'exécutif. Ils se fondent sur les arrêts B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Company , [1962] R.C.S. 642; Amax Potash Ltd. et al. c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576; et Air Canada c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1986] 2 R.C.S. 539, pour soutenir leur prétention selon laquelle un tribunal peut interpréter une disposition législative de manière restrictive lorsque la loi aurait autrement pour effet de protéger un acte inconstitutionnel.

[]Les défendeurs soutiennent que les arrêts cités par les demandeurs ne s'appliquent pas lorsque la disposition législative qui fait l'objet de la contestation relève de la compétence du Parlement. Ils reconnaissent que la Couronne ne peut adopter de lois inconstitutionnelles pour les soustraire par la suite à l'examen des tribunaux. Toutefois, selon la jurisprudence, un tribunal ne peut intervenir que lorsqu'une législature adopte des lois dont l'effet est de lui permettre de faire indirectement ce qu'elle ne peut faire directement.

[]Dans l'arrêt B.C. Power, précité, la Couronne du chef de la Colombie-Britannique s'est opposée à la nomination d'un séquestre au motif qu'une telle nomination porterait atteinte à son immunité fondée sur un intérêt dans des biens. Le juge en chef Kerwin a conclu, aux pages 644 et 645:

[traduction] Dans un système fédéral, où les compétences législatives sont partagées entre le Dominion et les provinces, tout comme le sont d'ailleurs les prérogatives de la Couronne, je suis d'avis qu'il n'est pas loisible à la Couronne, qu'elle soit du chef du Canada ou du chef d'une province, de revendiquer l'immunité de la Couronne en se fondant sur un intérêt qu'elle possède dans certains biens, alors que cet intérêt dans ces biens est entièrement et uniquement tributaire de la validité de la loi qu'elle a elle-même adoptée, et qu'il existe un doute raisonnable quant à la validité constitutionnelle de cette loi. Faire droit à une telle procédure équivaudrait à obtenir, au moyen des droits revendiqués sous le régime d'une loi qui outrepasse ses compétences, le même résultat que si la loi était valide sur le plan constitutionnel.

[]Dans l'arrêt Amax Potash, précité, les demandeurs ont payé sous toutes réserves un impôt prélevé par la province et ont par la suite contesté la compétence de la législature d'imposer cet impôt. La province s'est fondée sur le paragraphe 5(7) de The Proceedings against the Crown Act, R.S.S. 1965, ch. 87, qui interdisait toute procédure relative à une mesure prise en vertu d'une loi invalide. Le juge Dickson [tel était alors son titre], a écrit à la page 592 que:

[. . .] si une loi est déclarée ultra vires de la législature qui l'a adoptée, toute législation qui aurait pour effet d'attacher des conséquences juridiques aux actes accomplis en exécution de la loi invalide est également ultra vires puisqu'elle a trait à l'objet même de la première loi. Un État ne peut conserver par des mesures inconstitutionnelles ce qu'il ne peut prendre par de telles mesures.

Il a écrit plus loin, à la page 594:

Pour tous ces motifs, je conclus que le par. 5(7) de The Proceedings against the Crown Act est ultra vires de la Législature de la Saskatchewan dans la mesure où il vise à empêcher le recouvrement d'impôts payés en vertu d'une loi ou d'une disposition législative qui outrepasse la compétence de ladite Legislature.

[]Finalement, dans l'arrêt Air Canada, précité, le juge La Forest, s'exprimant au nom de la Cour à l'unanimité, a noté à la page 543 qu'il existait un "principe bien établi selon lequel ni le Parlement ni une assemblée législative ne peut empêcher qu'une décision soit rendue sur la constitutionnalité d'une mesure législative". Dans cette affaire, le lieutenant gouverneur avait refusé une autorisation, empêchant par le fait même la demanderesse d'obtenir un jugement déclarant qu'elle avait droit au remboursement de toutes les sommes versées en application d'une loi qu'elle prétendait être ultra vires de la législature. Le juge La Forest a écrit à la page 545:

[. . .] si même une loi ne peut permettre de conserver une somme d'argent obtenue en vertu d'une loi inconstitutionnelle, ce résultat ne peut être atteint par ce qui a la prétention d'être l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de refuser l'autorisation, quel que soit le fondement juridique de ce supposé pouvoir discrétionnaire. Tous les pouvoirs exécutifs, qu'ils découlent de la loi, de la common law ou d'une prérogative, doivent respecter les impératifs constitutionnels.

Il a conclu à la page 546:

Peu importe le pouvoir discrétionnaire qui peut être exercé dans une affaire non constitutionnelle, dans une affaire comme l'espèce le pouvoir discrétionnaire doit être exercé conformément aux préceptes de la Constitution et les conseillers de Sa Majesté doivent s'y conformer. Toute autre manière d'agir violerait la structure fédérale de la Constitution.

[]Les trois arrêts cités par les demandeurs se distinguent de la présente affaire au motif qu'ils appuient la proposition selon laquelle la Couronne ne peut invoquer des dispositions législatives valides, ni son pouvoir en vertu de la prérogative, pour soustraire des lois inconstitutionnelles ou leurs effets au contrôle judiciaire. Autrement dit, ni la législature ni l'exécutif ne peut tenter de réaliser indirectement ce qui est par ailleurs ultra vires de la Couronne.

[]Les demandeurs n'ont pas démontré en l'espèce que l'article 39 était ultra vires du Parlement. L'exercice par l'exécutif du pouvoir discrétionnaire prévu à cet article est par conséquent valide, sous réserve seulement du contrôle judiciaire en matière de compétence. Comme l'a noté le juge Chouinard dans l'arrêt sur la Commission des droits de la personne, précité, à la page 227, le risque d'abus de pouvoir de la part de l'exécutif n'a pas pour effet de faire perdre au Parlement son pouvoir de légiférer, lequel relève de sa compétence.

[]Je note toutefois qu'aux pages 228 et 229, le juge Chouinard a indiqué qu'il existait des circonstances dans lesquelles l'applicabilité de l'article 39 pouvait être contestée:

Il est peut-être concevable qu'un cas puisse se présenter d'un abus que j'ai qualifié de caractérisé, où les tribunaux seraient justifiés de considérer si le par. 41(2) est inapplicable. Il n'est pas nécessaire de le déterminer car en l'espèce il ne s'agit clairement pas d'un tel cas. Il suffit de relire l'affidavit pour se satisfaire que c'est bien l'intérêt public fédéral qui est invoqué. Par ailleurs aucun élément du dossier ni aucune allégation ne permet même de supposer qu'il en soit autrement.

[]Il est possible que l'applicabilité de l'article 39 puisse être contestée lorsqu'une partie qui conteste la non-divulgation de la preuve aux termes de cet article: i) prétend que l'exécutif a contrevenu aux dispositions de la Constitution; et ii) fournit des éléments de preuve qui corroborent cette allégation. Une simple allégation de dérogation aux dispositions de la Constitution n'est pas suffisante.

[]Il ne s'agit pas ici d'un tel cas. Je suis d'avis qu'il serait inapproprié de conclure que l'article 39 ne s'applique pas en l'espèce. Le mandat de la Commission, qui consiste à tenir une enquête publique où la responsabilité civile et criminelle ne peut être établie, est d'enquêter sur la question de savoir si la conduite des agents de la GRC affectés à la conférence de l'APEC va à l'encontre de la Charte. Même si la Commission a déclaré qu'elle avait compétence pour tirer des conclusions au sujet de la participation de l'exécutif dans le fait de donner des directives ou des ordres inappropriés à la GRC, l'enquête vise le comportement des agents de la GRC et non celui de l'exécutif.

[]De plus, les demandeurs n'ont pas fourni d'éléments de preuve qui tendent à démontrer que l'exécutif a appliqué l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada de façon arbitraire ou malveillante.

[]Pour ces motifs, la demande est rejetée.

[]J'adjuge les dépens aux demandeurs conformément au nombre maximum d'unités prévu dans la colonne IV du tarif B [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106]. Je suis d'avis qu'un examen approfondi des principes constitutionnels en cause dans la présente affaire relevait clairement de l'intérêt public, étant donné que ces principes sont au cœur de notre démocratie constitutionnelle. Je suis d'accord avec le commentaire du juge Smith dans la décision Little Sisters Book and Art Emporium v. Canada (Minister of Justice) (1996), 134 D.L.R. (4th) 286 (C.S.C.-B.), à la page 292:

[traduction] Les demandeurs n'ont pas eu gain de cause dans le cadre de leur contestation de la loi sur le plan constitutionnel, mais ne devraient pas pour autant subir de réduction de dépens à ce titre. Les questions en litige étaient d'une grande importance, la cause était coûteuse et difficile à argumenter, et les demandeurs ont établi le fondement complet de la preuve aux fins de l'examen des questions soulevées. De plus, les conséquences financières de la présentation de l'affaire sont lourdes à l'égard des demandeurs et peuvent être plus facilement défrayées par la Couronne fédérale. Il s'agit d'un facteur important dont il faut tenir compte: Landry and Landry v. Bridgestone Tire Co. Ltd. et al. (1975), 66 D.L.R. (3d) 408, [1976] 3 W.W.R. 160 (C.S.B.-C.) et qui est particulièrement convaincant dans les cas où il est dans l'intérêt public d'examiner et de trancher les questions en litige.

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