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    IMM-2811-98

Veluppillai Pushpanathan (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Pushpanathanc. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(1re inst.)

Section de première instance, juge Sharlow"Toronto, 13 mai; Ottawa, 10 juin 1999.

Droit administratifContrôle judiciaireProhibitionDemande d'ordonnance interdisant à la ministre de prendre toute mesure afin de délivrer unavis de dangeren vertu de l'art. 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigrationLa revendication de statut de réfugié du demandeur n'a pas encore été traitéeLe demandeur a reçu le statut de résident permanent en vertu del'arriéré— — Reconnu coupable de s'être livré au trafic de stupéfiantsMesure d'expulsion conditionnelle prise à sa libération de prisonNe pouvait être exécutée avant le rejet de la revendication de statut de réfugié au sens de la ConventionDes questions sont posées à la ministre à la Chambre des communes au sujet de l'affaire du demandeurLe demandeur soutient que les remarques de la ministre suscitent une crainte raisonnable de partialité et une possible violation des principes de justice fondamentaleDemande rejetée1) En principe, aucune raison de refuser de délivrer un bref de prohibition simplement parce que la décision relève du pouvoir discrétionnaire de la ministreUne ordonnance interdisant à la ministre ou à son délégué de délivrer un avis de danger peut ne pas constituer un redressement approprié, une autre personne pouvant exercer ce pouvoirLa décision pourrait être prise par une personne nommée spécialement à cette fin2) La Cour peut délivrer un bref de prohibition même si les procédures ne sont pas encore engagéesComme il n'existe aucun principe juridique qui écarterait nécessairement, dans tous les cas, la possibilité qu'un avis de danger soit rendu sans que le demandeur ne sache que la procédure a été engagée, il est approprié en l'instance d'envisager d'interdire à la ministre ou à ses délégués de procéder3) La lecture des remarques de la ministre dans leur contexte fait ressortir le fait qu'il n'existe pas de crainte raisonnable de partialitéLa ministre est restée consciente de ses obligations en droit de traiter équitablement le demandeur face à la possibilité d'un avis de danger.

Citoyenneté et ImmigrationExclusion et renvoiProcessus d'enquête en matière d'immigrationDemande d'ordonnance interdisant à la ministre de prendre toute mesure afin de délivrer unavis de dangeren vertu de la Loi sur l'immigration, art. 46.01(1)e)La revendication de statut de réfugié du demandeur n'a pas encore été traitéeLe demandeur a reçu le statut de résident permanent en vertu del'arriéré— — Reconnu coupable de s'être livré au trafic de stupéfiants et condamné à huit ans d'emprisonnementMesure d'expulsion conditionnelle prise à sa libération de prisonNe pouvait être exécutée avant le rejet de la revendication de statut de réfugié au sens de la ConventionEn 1998, l'affaire du demandeur a été abordée à la période de questions à la Chambre des communesLe demandeur soutient que les remarques de la ministre suscitent une crainte raisonnable de partialité et une possible violation des principes de justice fondamentaleDemande rejetéeLa lecture des remarques de la ministre dans leur contexte fait ressortir le fait qu'il n'existe pas de crainte raisonnable de partialitéLa ministre est restée consciente de ses obligations en droit de traiter équitablement le demandeur face à la possibilité d'un avis de danger.

PratiqueFrais et dépensAffaire d'immigrationÀ la veille de l'audience, une année après le début de la demande de contrôle judiciaire, la Couronne a présenté la preuve qu'on n'envisageait pas unavis de danger— — La règle 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration, 1993, exige desraisons spécialespour que des dépens soient accordés dans une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur l'immigrationCesraisons spécialespeuvent exister lorsqu'une partie prolonge les procédures sans nécessité ou de façon déraisonnableLa Couronne aurait pu, aurait dû, agir plus tôt pour amener ce dossier là où il se trouve maintenantLa Couronne a soulevé un argument nouveau à l'audience, sans avoir prévenu le demandeur, ce qui a encore retardé l'affaire jusqu'à ce que les arguments écrits soient présentésLa demande a été rejetée au fondPas de raisons spéciales justifiant d'adjuger les dépens contre la Couronne.

La demande vise l'obtention d'une ordonnance interdisant à la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de prendre toute mesure afin de délivrer un "avis de danger" fondé uniquement sur la déclaration de culpabilité du demandeur en 1988 pour trafic de stupéfiants. Le demandeur est arrivé au Canada en 1985. Sa revendication de statut de réfugié n'a pas été traitée; en 1987, il a reçu le statut de résident permanent en vertu d'un programme pour éponger l'arriéré. En 1988, le demandeur a été reconnu coupable de s'être livré au trafic de stupéfiants et il a été condamné à huit ans d'emprisonnement. Le demandeur a été libéré sous condition en 1991 et une mesure d'expulsion conditionnelle a été prise à son encontre en 1992. La mesure ne pouvait être exécutée avant le rejet de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. La question a été déférée à la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La revendication de statut de réfugié du demandeur n'a pas encore été entendue au fond. Le 5 juin 1998, durant la période des questions, quatre députés ont posé des questions à la Chambre des communes au sujet de l'affaire du demandeur. Les réponses de la ministre ont fait l'objet d'un article dans le Toronto Star , sous la manchette [traduction] "La ministre s'engage à déporter un réfugié trafiquant de stupéfiants". Selon cet article, la ministre aurait déclaré: "J'utiliserai tous les pouvoirs que m'accorde la loi". Les "autres moyens" et "outils" mentionnés par la ministre renvoient à l'alinéa 46.01(1)e ) de la Loi sur l'immigration, qui exclut toute revendication de statut de réfugié par une personne reconnue coupable d'une infraction criminelle punissable d'une période d'emprisonnement donnée "si le ministre est d'avis qu'il constitue un danger pour le public au Canada". L'action est fondée sur le fait que les remarques de la ministre suscitent une crainte raisonnable de partialité et que le déclenchement de la procédure visant la délivrance d'un avis de danger serait contraire aux principes de justice fondamentale.

À la veille de l'audience, une année après le début des procédures, la Couronne a présenté la preuve qu'on n'envisageait pas un avis de danger. Le demandeur soutient que s'il avait eu ce renseignement plus tôt, on aurait bien pu arriver à une entente.

Les questions en litige sont: 1) peut-on interdire à la Couronne d'exercer un pouvoir discrétionnaire?; 2) la demande est-elle prématurée?; 3) les déclarations en cause suscitent-elles une crainte raisonnable de partialité?; et 4) le demandeur doit-il obtenir les dépens?

Jugement: la demande est rejetée.

1) Il n'y a en principe aucune raison de refuser de délivrer un bref de prohibition simplement parce que la décision relève du pouvoir discrétionnaire de la ministre ou de son délégué. On peut interdire à quelqu'un d'utiliser un pouvoir discrétionnaire de cette nature si sa conduite donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. D'habitude, la disqualification d'un décideur au motif de partialité fait que la décision est alors prise par quelqu'un qui n'est pas partial ou vis-à-vis de qui il n'y a pas de crainte raisonnable de partialité. On prétend que la conduite de la ministre donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Au cas où l'on envisagerait la délivrance d'un avis de danger au sujet du demandeur, la question pourrait être traitée par une personne déléguée par la ministre. Par contre, rien dans la Loi ou dans le règlement ne fournit l'assurance qu'une décision prise par une personne présentement titulaire de cette délégation serait prise sans l'intervention de la ministre. C'est pourquoi il n'est pas clair qu'une ordonnance qui ne viserait que la ministre constituerait un redressement approprié pour le demandeur, s'il existe une crainte raisonnable de partialité. Une ordonnance interdisant à la ministre ou à son délégué de délivrer un avis de danger ne veut pas dire que personne ne pourrait exercer ce pouvoir. La décision pourrait être prise par une personne nommée spécialement à cette fin et qui serait clairement indépendante de la ministre.

2) La Cour peut délivrer un bref de prohibition même si les procédures ne sont pas encore engagées. Il n'existe aucun principe juridique qui écarterait nécessairement, dans tous les cas, la possibilité qu'un avis de danger soit rendu sans que le demandeur ne sache que la procédure a été engagée. La ministre elle-même pourrait, sans pour autant enfreindre les principes de justice fondamentale, initier la procédure menant à un avis de danger sans aucunement faire intervenir les fonctionnaires qui agiraient normalement en application des lignes directrices. Les principes de justice fondamentale peuvent n'exiger rien d'autre qu'un avis au demandeur à un moment quelconque avant que la décision soit prise, et une possibilité d'être entendu. Rien dans la preuve n'indique qu'une possibilité de ce genre est envisagée. Il est vraisemblable que si la procédure menant à un tel avis était enclenchée en l'instance, le demandeur aurait le préavis normal, mais ce n'est pas certain. Il est donc approprié en l'instance d'envisager d'interdire à la ministre ou à ses délégués de procéder, même en l'absence possible d'intention de le faire en ce moment. Toutefois, s'il y avait une crainte raisonnable de partialité de la part de la ministre qui justifierait une telle ordonnance, il faudrait envisager la possibilité d'autoriser sa modification sur présentation d'une preuve satisfaisante que la décision serait prise par un délégué qui n'a pas de lien avec la ministre.

3) Quant à la crainte raisonnable de partialité, le contexte des déclarations est important. Il n'est pas du tout clair que l'ambiance antagoniste de la période des questions joue en faveur du demandeur ou de la Couronne. Une ambiance antagoniste peut mener à une certaine exagération dont il n'y aurait pas lieu de tenir compte. Par contre, l'ambiance antagoniste laisse supposer qu'il y a un certain risque que la politique partisane puisse déteindre sur ce qui devrait être une décision impartiale de la ministre. Toutefois, toutes les autres déclarations faites à ce moment-là font état de l'intention de respecter la primauté du droit et les dispositions de la Loi sur l'immigration, et elles ne contiennent aucune indication de préjugé ou de limitation du pouvoir discrétionnaire. La manchette du journal n'est pas un reflet exact des déclarations de la ministre. Une lecture de l'ensemble des remarques de la ministre dans leur contexte mène à la conclusion qu'il n'existe pas de crainte raisonnable de partialité. Dans toutes ses réponses, la ministre est restée consciente de ses obligations en droit de traiter équitablement le demandeur face à la possibilité d'un avis de danger.

4) La règle 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration, 1993, exige qu'il y ait des "raisons spéciales" pour que des dépens soient accordés relativement à une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur l'immigration . Ces raisons spéciales peuvent exister lorsqu'une partie prolonge les procédures sans nécessité ou de façon déraisonnable. La Couronne aurait pu, et aurait dû, agir plus tôt pour amener ce dossier là où il se trouve maintenant. La Couronne a soulevé un argument tout à fait nouveau à l'audience, sans en avoir prévenu le demandeur, ce qui a encore retardé l'affaire jusqu'à ce que les arguments écrits soient présentés. La demande a finalement été rejetée au fond. Il n'y a pas de raisons spéciales qui justifieraient d'adjuger les dépens contre la Couronne.

    lois et règlements

        Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fc).

        Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) "réfugié au sens de la Convention" (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), 46.01(1)e) (édicté, idem, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9), 53(1)d) (mod., idem, art. 12), 70(5) (mod., idem, art. 13), 121(1) (mod., idem, art. 22).

        Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration, DORS/93-22, règle 22.

    jurisprudence

        décisions examinées:

        Pushpanathan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] F.C.J. no 870 (1re inst.) (QL); conf. par (sub nom. Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)), [1996] 2 C.F. 49; (1995), 191 N.R. 247 (C.A.); inf. par [1998] 1 R.C.S. 982; [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201.

        distinction faite d'avec:

        Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 363; (1988), 55 D.L.R. (4th) 321; 91 N.R. 121 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1989] 1 R.C.S. xi.

        décisions citées:

        Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696; (1993), 100 D.L.R. (4th) 151; 14 C.R.R. (2d) 146; 18 Imm. L.R. (2d) 165; 151 N.R. 69 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1993] 3 R.C.S. viii; Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) l; 135 N.R. 161; Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35; 120 N.R. 193 (C.A.F.); Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; (1992), 95 Nfld. & P.E.I.R. 271; 4 Admin. L.R. (2d) 121; 134 N.R. 241; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115; Ayala-Barriere c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 101 F.T.R. 310; 31 Imm. L.R. (2d) 99 (C.F. 1re inst.); Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Ermeyev et autres (1994), 83 F.T.R. 158 (C.F. 1re inst.); Chan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 82 F.T.R. 244 (C.F. 1re inst.).

    doctrine

        Débats de la Chambre des communes, vol. 135, 1re sess., 36e lég., 1998, aux p. 7647, 7648, 7650, 7652, 7653.

DEMANDE d'ordonnance interdisant à la ministre de prendre toute mesure afin de déliver un "avis de danger" en vertu de l'alinéa 46.01(1)e ) de la Loi sur l'immigration, fondée sur le fait que les réponses de la ministre à des questions au sujet de l'affaire du demandeur posées à la période des questions à la Chambre des communes susciterai une crainte raisonnable de partialité. Demande rejetée.

    ont comparu:

    Lorne Waldman pour le demandeur.

    Toby J. Hoffmann pour le défendeur.

    avocats inscrits au dossier:

    Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

    Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Sharlow: Le demandeur sollicite une ordonnance interdisant à la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de prendre toute mesure visant à déclarer qu'il constitue un danger (avis de danger). Sa demande se fonde sur une crainte raisonnable de partialité suite à certaines remarques que la ministre a faites à son sujet à la Chambre des communes.

Le demandeur est arrivé au Canada en 1985. À ce moment-là, il a revendiqué le statut de réfugié, revendication qui n'a pas été traitée. En 1987, il s'est vu reconnaître le statut de résident permanent en vertu d'un programme administratif visant à éponger "l'arriéré".

En 1988, le demandeur a été reconnu coupable de s'être livré au trafic de stupéfiants et il a été condamné à huit ans d'emprisonnement. Cette condamnation soulevait la possibilité qu'un avis de danger soit délivré à son sujet, ce qui aurait facilité son expulsion.

Le demandeur est sorti de prison en 1991, faisant l'objet d'une libération conditionnelle. Il est en liberté depuis lors. Sa peine expirait en août 1996, date à laquelle sa libération conditionnelle a pris fin. Il n'a jamais été accusé d'avoir enfreint les conditions de sa libération et il n'a jamais été arrêté depuis. Il n'a pas non plus été accusé d'avoir commis une autre infraction criminelle. En 1992, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne et ils ont maintenant trois enfants. Depuis sa libération, le demandeur travaille et pourvoit aux besoins de sa famille. Son épouse n'a pas d'emploi rémunéré et elle est à la charge du demandeur avec leurs enfants.

En 1992, une mesure d'expulsion conditionnelle a été prise à l'encontre du demandeur. Cette mesure ne pouvait avoir de suite avant le rejet de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention. La question a été déférée à la section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. À ce jour, aucun avis de danger n'a été délivré.

La SSR n'a pas étudié au fond la revendication de réfugié du demandeur. Elle a plutôt déclaré que le demandeur ne pouvait être considéré un "réfugié au sens de la Convention", tel que défini dans la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1)], du fait que l'infraction de trafic de stupéfiants qu'il avait commise se trouvait comprise dans la description de la section Fc) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6]. Cette disposition est rédigée comme suit:

F.    Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

    [. . .]

    c)    qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations-Unies.

Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de cette interprétation de la Convention. La décision de la SSR a été confirmée par la Section de première instance de la Cour fédérale en 1993 [[1993] F.C.J. no 870 (QL)], et par la Cour d'appel fédérale en 1996 [[1996] 2 C.F. 49].

Le 4 juin 1998, la Cour suprême du Canada a jugé que la SSR et les tribunaux d'instance inférieure avaient mal interprété la Convention: Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et [1998] 1 R.C.S. 1222 [modification au paragraphe 77]. Selon cette décision, on ne pouvait se fonder sur la section Fc) de l'article premier de la Convention pour refuser au demandeur la possibilité de revendiquer le statut de réfugié.

La revendication de statut de réfugié du demandeur n'a pas encore été entendue au fond. Dans un affidavit déposé à l'audition de cette demande, la Couronne indique qu'elle prévoit que la revendication en cause sera entendue d'ici juillet 1999.

Le 5 juin 1998, le lendemain de la décision de la Cour suprême du Canada, l'affaire a été abordée à la période des questions à la Chambre des communes. Les questions posées soulèvent des inquiétudes quant à l'impact politique de la décision, ainsi que certaines réserves quant à l'efficacité des dispositions de la Loi sur l'immigration prévoyant l'expulsion des personnes trouvées coupables d'infractions graves.

Le journal officiel des Débats de la Chambre des communes (Hansard) [vol. 135, 1re sess., 36 lég., 1998] consigne le fait que quatre députés ont posé des questions ce jour-là au sujet de l'affaire du demandeur. La ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a répondu à trois de ces questions, ainsi qu'aux questions supplémentaires. Voici les réponses de la ministre:

1)  Réponse à la question de M. Reynolds [à la page 7647]

Monsieur le Président, il faut bien comprendre que c'est une décision de la Cour suprême du Canada. J'ose espérer que le député d'en face ne me demande pas de ne pas respecter la loi au Canada.

Cela étant dit, la décision est tout à fait récente. Nous sommes en train d'analyser les impacts de cette décision, mais nous avons d'autres outils dans la Loi sur l'immigration qui nous permettraient aussi d'agir, et c'est ce que nous sommes en train de regarder.

2)  Réponse à la question supplémentaire de M. Reynolds [aux pages 7647 et 7648]

Monsieur le Président, j'espère que le député n'est pas en train de recommander que l'on ne respecte pas la primauté du droit. C'est un principe que nous allons respecter.

Il existe d'autres dispositions dans la Loi sur l'immigration. Je pense à l'attestation de sécurité si la personne constitue un risque pour le public. Lorsque nous avons présenté cette mesure législative, il y a quelques années, le Parti réformiste a voté contre. Nous prendrons nos responsabilités, dans le cas présent.

3)  Réponse à la question de M. Obhrai [à la page 7650]

Nous avons eu une décision de la Cour suprême, hier, et nous sommes en train d'analyser les impacts de cette décision.

Cela étant dit, je ne peux pas discuter en détail de la situation de l'individu concerné, mais nous avons d'autres moyens, à l'intérieur de la législation, pour être en mesure d'intervenir dans ce dossier et de faire en sorte que jamais on ne gardera ce type d'individu au Canada.

4)  Réponse à la question supplémentaire de M. Obhrai [à la page 7650]

Il s'agit d'une question d'immigration et ce n'est pas simple. Nous devons réfléchir à deux fois avant de prendre une décision qui va changer la vie d'individus. Il est clair que nous allons étudier très attentivement cette question et que la loi met à notre disposition d'autres outils pour prendre des mesures dans ce cas-ci.

5)  Réponse à la question de M. Benoît [à la page 7652]

C'est la quatrième question sur le même sujet. Nous avons répondu très clairement aux précédentes en disant que la loi prévoit des moyens pour traiter ce cas.

Hier, la Cour suprême a rendu un arrêt concernant l'interprétation de la Convention sur les réfugiés des Nations Unies. Ce n'est pas une question simple. C'est une question importante. Nous allons l'examiner et nous agirons s'il le faut. Entre temps, nous pouvons prendre des mesures à l'égard de cette personne.

6)  Réponse à la question supplémentaire de M. Benoît [à la page 7653]

Monsieur le Président, nous devons d'abord évaluer les répercussions de l'arrêt que nous avons reçu hier, lequel prévoit seulement que la personne en cause devrait obtenir une audience devant la commission des réfugiés.

La loi prévoit aussi d'autres mesures empêchant une personne d'avoir recours à la commission des réfugiés. Ces mesures figuraient dans le projet de loi C-44, mais le Parti réformiste a voté contre.

Ces remarques ont fait l'objet d'un article dans le Toronto Star le lendemain, sous la manchette suivante: [traduction] "La ministre s'engage à déporter un réfugié trafiquant de stupéfiants". Dans le même article, on disait que la ministre avait déclaré en entrevue: [traduction ] "J'utiliserai tous les pouvoirs que m'accorde la loi." Rien dans la preuve ne me permet de contrôler l'exactitude de cette citation.

Les "autres moyens" et "autres outils" mentionnés par la ministre renvoient à l'alinéa 46.01(1)e ) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9] de la Loi sur l'immigration. Cette disposition exclut toute revendication de statut de réfugié par une personne reconnue coupable d'une infraction criminelle punissable d'une période d'emprisonnement donnée (déclaration de culpabilité du demandeur en 1988 tombe dans cette catégorie) si, "selon la ministre, il constitue un danger pour le public au Canada".

La délivrance d'un tel avis de danger suffit à exclure tout appel de l'ordonnance d'expulsion à la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (paragraphe 70(5) [mod., idem, art. 13] de la Loi sur l'immigration). Elle permet aussi d'expulser le demandeur, même s'il se voyait accorder le statut de réfugié au sens de la Convention et s'il devait être renvoyé dans le pays qui est à l'origine de sa revendication du statut de réfugié (alinéa 53(1)d) [mod., idem, art. 12] de la Loi sur l'immigration).

Les tribunaux ont jugé qu'aucune disposition constitutionnelle ne restreignait le droit du Canada d'expulser un résident permanent, même un réfugié au sens de la Convention, si ce dernier a été reconnu coupable d'une infraction criminelle grave et si le ministre a délivré un avis de danger: Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35 (C.A.F.).

Le ministre a le pouvoir discrétionnaire de délivrer un avis de danger. Ce pouvoir discrétionnaire n'est limité dans son exercice que par les principes de justice fondamentale. La Cour d'appel fédérale a décidé qu'en cas d'avis de danger, la justice fondamentale n'exigeait pas qu'il y ait une audition orale: Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.); autorisation d'en appeler refusée, [1993] 3 R.C.S. viii.

Il arrive que des avis de danger soient délivrés par le ministre en personne, mais ils le sont habituellement par un agent qui a reçu la délégation du ministre en vertu du paragraphe 121(1) [mod., idem, art. 22] de la Loi sur l'immigration. Rien dans la Loi sur l'immigration ne porte sur les modalités de nomination d'une personne déléguée par le ministre pour délivrer des avis de danger. Il n'y a pas non plus de loi ou de règlement qui nous permettraient de déterminer si et dans quelle mesure une personne qui a reçu cette délégation agit ou peut agir suite aux directives du ministre.

La Loi sur l'immigration et son règlement d'application ne disent rien quant à la procédure à suivre lors de la délivrance d'un avis de danger. Je crois savoir que la procédure est normalement initiée par une lettre à la personne qui peut faire l'objet d'un tel avis. La lettre fait état des documents ou autres renseignements qui seront analysés avant la délivrance de l'avis, et elle sollicite les réactions du demandeur ou de son avocat. Un fonctionnaire du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration prépare un bref rapport fondé sur le dossier, y compris toute observation faite par le demandeur ou son représentant. Ce rapport est analysé par un autre fonctionnaire, qui présente ses recommandations au ministre ou à son délégué, qui décide alors s'il y a lieu ou non de délivrer un avis de danger. L'avocat de la Couronne a fait savoir que le ministre a publié des lignes directrices prévoyant ces diverses étapes, mais elles n'ont pas été versées au dossier, et, quoiqu'il en soit, elles n'ont aucune valeur légale.

On ne peut pas en appeler d'un avis de danger. Comme c'est le cas de la plupart des décisions rendues en vertu de la Loi sur l'immigration, on peut demander le contrôle judiciaire, mais à condition d'obtenir l'autorisation d'un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale. La décision sur le contrôle judiciaire ne peut faire l'objet d'un appel, à moins que le juge qui préside au contrôle ne certifie que l'affaire soulève une question grave de portée générale.

Le 8 juin 1998, le demandeur a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, afin d'obtenir une ordonnance interdisant à la ministre d'entamer la procédure menant à la délivrance d'un avis portant que le demandeur constituait un danger pour le public au sens de l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration. Le demandeur fonde son action sur le fait que les remarques précitées de la ministre suscitent une crainte raisonnable de partialité et que le déclenchement de la procédure en question serait contraire aux principes de justice fondamentale.

Le 14 août 1998, la Couronne a déposé une réponse à la demande d'autorisation, donnant deux raisons pour lesquelles l'autorisation ne devrait pas être accordée. La première est que les remarques en cause ne suscitaient pas de crainte raisonnable de partialité. Suivant la seconde, il n'y avait aucune question de droit valable sur laquelle la demande proposée de contrôle judiciaire pourrait réussir, puisqu'il n'y avait pas de décision sur laquelle on pouvait fonder la demande.

L'autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire a été accordée le 9 mars 1999. L'audience a été fixée au 13 mai 1999. Les parties n'ont déposé aucun mémoire additionnel.

À l'audience, l'avocat du demandeur a déclaré qu'il ne sollicitait plus une ordonnance aussi large que celle prévue dans sa demande originale, mais seulement une ordonnance interdisant la délivrance d'un avis de danger fondé uniquement sur la déclaration de culpabilité du demandeur en 1988. Ceci laisserait l'option de délivrer un avis de danger fondé sur de nouveaux faits, s'il en est.

Toutes les questions présentées par écrit ont été débattues à l'audience. L'avocat de la Couronne a aussi soulevé un nouvel argument, savoir qu'il ne saurait être question d'un bref de prohibition puisque la ministre ne pouvait se voir interdire de faire quelque chose qui relève de la compétence que lui confère la loi. Subsidiairement, il a fait valoir que l'ordonnance ne devrait pas être rendue, parce que la demande était prématurée.

L'argument subsidiaire de la Couronne s'appuie sur un affidavit d'un fonctionnaire du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, en date du 14 avril 1999. Dans cet affidavit, le fonctionnaire en question affirme avoir la responsabilité d'examiner les dossiers et de faire des recommandations au ministre ou à son délégué quant à savoir si un individu devrait faire l'objet d'un avis de danger pour le public aux termes de l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration. Cet affidavit est rédigé en partie comme suit:

[traduction] C'est sans réserves que j'affirme que la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ou ses délégués ne seront pas appelés à se prononcer sur le dossier du demandeur en vertu de l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration sur le fondement de condamnations passées.

L'avocat du demandeur a sollicité un délai pour répondre aux nouveaux arguments de la Couronne, délai que je lui ai accordé. Les deux parties ont maintenant déposé leurs arguments écrits.

Peut-on délivrer un bref de prohibition visant l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire?

Je vais d'abord analyser l'argument de la Couronne qu'on ne peut interdire à la ministre d'exercer un pouvoir discrétionnaire. Il est clair que la délivrance d'un avis de danger est un pouvoir discrétionnaire. Si cet argument est valable, la présente demande n'a aucun fondement en droit. Je suis toutefois d'avis que cet argument n'est pas fondé, du moins en ce qui concerne les avis de danger.

La décision de délivrer un avis de danger doit être exercée dans le respect des principes de justice fondamentale. Selon mon interprétation de la jurisprudence, on peut interdire à quelqu'un d'utiliser un pouvoir discrétionnaire de cette nature si sa conduite donne lieu à une crainte raisonnable de partialité: Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369.

D'habitude, lorsqu'on interdit à quelqu'un de prendre une décision qui est de son ressort au motif de partialité, la décision peut alors être prise par quelqu'un qui n'est pas partial ou vis-à-vis de qui il n'y a pas de crainte raisonnable de partialité. En l'instance, on prétend que la conduite de la ministre donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Au cas où on envisagerait la délivrance d'un avis de danger au sujet du demandeur, la question pourrait être traitée par une personne déléguée par la ministre. Par contre, rien au dossier, non plus que dans la Loi sur l'immigration et son règlement d'application, ne nous fournit l'assurance qu'une décision prise par une personne qui est présentement titulaire de cette délégation serait prise sans intervention de la ministre. C'est pourquoi il n'est pas clair qu'une ordonnance qui ne viserait que la ministre constituerait un redressement approprié pour le demandeur, s'il existe une crainte raisonnable de partialité.

Ceci ne veut toutefois pas dire qu'une ordonnance interdisant à la ministre ou à son délégué de délivrer un avis de danger fondé uniquement sur la déclaration de culpabilité du demandeur en 1988 ferait que personne ne pourrait exercer le pouvoir discrétionnaire en question. La décision pourrait être prise par une personne nommée spécialement à cette fin et qui serait clairement indépendante de la ministre. Je n'ai aucun doute qu'on pourrait trouver une telle personne.

J'en conclus qu'il n'y a en principe aucune raison de refuser de délivrer un bref de prohibition en l'instance simplement parce que la décision en cause relève du pouvoir discrétionnaire de la ministre ou de son délégué.

La demande est-elle prématurée?

L'avocat de la Couronne soutient que la demande de délivrance d'un bref de prohibition est prématurée, puisqu'il n'y a aucune preuve que la procédure visant la délivrance d'un avis de danger ait été enclenchée. L'avocat du demandeur soutient pour sa part que la Cour peut rendre une telle ordonnance, même si les procédures ne sont pas encore engagées (Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, précité). Je suis d'accord que la Cour a ce pouvoir discrétionnaire.

L'avocat de la Couronne soutient que l'ordonnance ne devrait pas être délivrée puisque la preuve démontre qu'il n'y a aucune intention en ce moment d'entamer la procédure normale menant à un avis de danger. Cet argument se fonde en partie sur l'affidavit susmentionné, et en partie sur la prémisse que les lignes directrices prévoyant la procédure à suivre en cas d'avis de danger font que ce dernier ne peut être délivré que si la procédure est respectée. Je n'accepte pas cette prémisse.

Même si je tiens pour acquis que les lignes directrices mentionnées par l'avocat de la Couronne existent, ces dernières n'ont aucune sanction légale et leur utilisation n'est pas impérative. La question de savoir si les exigences de la justice fondamentale seraient respectées par l'utilisation d'une procédure qui ne suivrait pas les lignes directrices reste à débattre. Il n'existe aucun principe juridique qui écarterait nécessairement, dans toutes les cas, la possibilité qu'un avis de danger soit rendu sans que le demandeur ne sache que la procédure a été engagée.

Il faut aussi admettre qu'il est possible que la ministre elle-même pourrait, sans pour autant enfreindre les principes de justice fondamentale, mettre en marche la procédure menant à un avis de danger sans aucunement faire intervenir les fonctionnaires qui agiraient normalement en application des lignes directrices. Il se peut que les principes de justice fondamentale n'exigent rien d'autre qu'un avis au demandeur à un moment quelconque avant que la décision soit prise, et une possibilité d'être entendu.

Rien dans la preuve n'indique qu'une possibilité de ce genre est envisagée. Compte tenu de l'historique de cette affaire et de l'affidavit portant très clairement que la délivrance d'un avis de danger n'est aucunement envisagée en ce moment, il est vraisemblable que si la procédure menant à un tel avis était enclenchée, le demandeur aurait le préavis normal dans les circonstances. Nous ne pouvons toutefois pas en être certains.

À mon avis, il est approprié en l'instance d'envisager d'interdire à la ministre ou à ses délégués de procéder, même en l'absence possible d'intention de le faire en ce moment. Toutefois, si je devais conclure qu'il y a une crainte raisonnable de partialité de la part de la ministre qui justifierait une telle ordonnance, j'envisagerais aussi la possibilité d'autoriser une modification de ladite ordonnance sur présentation d'une preuve satisfaisante que la décision serait prise par un délégué qui n'a pas de lien avec la ministre.

Crainte raisonnable de partialité

Le demandeur soutient qu'il y a une crainte raisonnable de partialité dans tout examen à venir de délivrance d'un avis de danger fondé sur sa déclaration de culpabilité de 1988.

Il n'est pas allégué qu'il y a partialité réelle, seulement une crainte raisonnable de partialité. La question est de savoir si les remarques de la ministre feraient qu'une personne bien renseignée, examinant la question de manière réaliste et pratique, et ayant bien réfléchi, en arriverait à la conclusion qu'il est plus probable que la ministre ou ses délégués, consciemment ou inconsciemment, ne prennent pas une décision équitable (Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, précité).

L'avocat de la Couronne soutient que les remarques de la ministre ne peuvent être distinguées des remarques d'un certain nombre de ministres qui ont été examinées dans l'affaire Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 363 (C.A.); autorisation d'en appeler refusée, [1989] 1 R.C.S. xi. Les remarques en question sont très semblables. Dans Mohammad, la Cour d'appel fédérale a décidé que les déclarations en cause n'entraînaient pas de crainte raisonnable de partialité.

Il y a toutefois une distinction importante entre l'affaire Mohammad et la présente instance. Dans Mohammad, la question était de savoir si une personne raisonnable conclurait que l'arbitre serait indûment influencé par les remarques des ministres ou qu'il les considérerait comme lui indiquant la décision à prendre. Ici, la question est de savoir si les remarques de la ministre peuvent être raisonnablement interprétées comme préjugeant de la décision qu'elle pourrait elle-même avoir à rendre. C'est dans cet esprit qu'il faut analyser les remarques de la ministre.

L'avocat de la Couronne a soutenu que je dois tenir compte du fait que les déclarations en cause ont été faites dans ce que la Cour d'appel fédérale, dans Mohammad, a qualifié de "ambiance antagoniste" de la période des questions. Je suis d'accord que le contexte desdites déclarations est important. Il n'est toutefois pas du tout clair si en l'instance ceci joue en faveur du demandeur ou de la Couronne. Une ambiance antagoniste peut très bien mener à une certaine exagération dont il n'y aurait pas lieu de tenir compte. Par contre, l'ambiance antagoniste de la période des questions laisse supposer qu'il y a un certain risque que la politique partisane puisse déteindre sur ce qui devrait être une décision impartiale de la ministre.

Je vais maintenant analyser les remarques elles-mêmes. À mon avis, la principale difficulté réside dans les réponses de la ministre aux questions de M. Obhrai, lorsqu'elle fait référence à "d'autres moyens" pour faire en sorte que "jamais on ne gardera ce type d'individu au Canada". Cette déclaration pourrait mener à conclure au préjugé, dans la mesure où on lui donne une interprétation littérale et hors contexte. On pourrait l'interpréter comme voulant dire qu'une personne qui a été déclarée coupable du même type d'infraction que le demandeur n'a aucune chance de pouvoir demeurer au Canada, car sa déclaration de culpabilité mènerait automatiquement à la délivrance d'un avis de danger. On pourrait dire sur cette base que la ministre limiterait illégalement son pouvoir discrétionnaire si elle délivrait des avis de danger sur cette base.

Cette déclaration doit toutefois être replacée dans le contexte général des autres déclarations faites à ce moment-là. Toutes les autres déclarations font état de l'intention de respecter la primauté de droit et les dispositions de la Loi sur l'immigration, et elles ne contiennent aucune indication de préjugé ou de limitation du pouvoir discrétionnaire.

Par exemple, en répondant aux questions de M. Reynolds, la ministre souligne qu'il y a "d'autres dispositions" dans la loi et déclare: "nous prendrons nos responsabilités". De la même façon, en répondant aux questions de M. Benoît, elle indique que "la loi prévoit des moyens pour traiter ce cas". Dans les deux cas, ses remarques indiquent qu'elle compte fonder ses actions sur le droit applicable, qui comprend par définition les principes de justice fondamentale.

On peut comprendre que la manchette du Toronto Star, publiée le lendemain des remarques de la ministre, intitulée [traduction] "La ministre s'engage à déporter un réfugié trafiquant de stupéfiants", ait inquiété le demandeur. Cette manchette n'est toutefois pas un reflet exact des déclarations de la ministre. Elle n'est donc pas pertinente lorsqu'il s'agit d'évaluer objectivement les remarques de la ministre dans le contexte d'une allégation de crainte raisonnable de partialité.

Compte tenu de tout ceci, et après lecture de l'ensemble des remarques de la ministre dans leur contexte, j'ai conclu qu'il n'existe pas de crainte raisonnable de partialité en l'instance. Dans toutes ses réponses, la ministre a clairement souligné qu'elle était consciente de ses obligations en droit de traiter équitablement le demandeur dans tout examen de la possibilité de délivrer un avis de danger.

Sur cette base, la demande sera rejetée. En l'instance, il n'y a pas lieu de certifier une question.

Dépens

L'avocat du demandeur a soutenu que les dépens devraient lui être adjugés, quelle que soit l'issue de l'affaire. La demande trouve son origine en juin 1998 et ce n'est qu'à la veille de l'audience, presqu'une année plus tard, que l'avocat de la Couronne a présenté la preuve qu'on n'envisageait pas de délivrer un avis de danger. L'avocat du demandeur soutient que s'il avait eu ce renseignement plus tôt, on aurait bien pu arriver à une entente.

La règle 22 des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration [DORS/93-22] exige qu'il y ait des "raisons spéciales" pour que des dépens soient accordés relativement à une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise en vertu de la Loi sur l'immigration . Un examen de la jurisprudence démontre que de telles raisons spéciales peuvent exister lorsqu'une partie prolonge les procédures sans nécessité ou de façon déraisonnable: Ayala-Barriere c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 101 F.T.R. 310 (C.F. 1re inst.); Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Ermeyev et al. (1994), 83 F.T.R. 158 (C.F. 1re inst.); Chan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 82 F.T.R. 244 (C.F. 1re inst.).

Les circonstances de cette affaire sont inhabituelles. Le demandeur est allé jusqu'à la Cour suprême du Canada pour obtenir le droit d'être entendu dans le cadre de sa revendication de statut de réfugié. Pendant toute l'année qui a suivi, il a cru qu'il risquait de perdre ce droit parce qu'on pouvait délivrer un avis de danger à son sujet. La Couronne nous dit maintenant qu'il n'est pas question de délivrer un tel avis. La Couronne aurait pu, et aurait dû, agir plus tôt pour amener ce dossier là où il se trouve maintenant.

J'ai aussi tenu compte du fait que l'avocat de la Couronne a soulevé un argument tout à fait nouveau à l'audience, sans en avoir prévenu l'avocat du demandeur. Ceci a encore retardé l'affaire jusqu'à ce que les arguments écrits soient présentés.

Cependant, la demande a finalement été rejetée au fond. À mon avis, il n'y a pas de raisons spéciales en l'instance qui justifieraient d'adjuger les dépens contre la Couronne.

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