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     IMM-3326-98

Rohini Ranganathan (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Ranganathanc. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(1re inst.)

Section de première instance, juge Evans"Toronto, 29 avril; Ottawa, 21 mai 1999.

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Réfugiés au sens de la Convention Demande de contrôle judiciaire formée à l'encontre de la décision de la SSR statuant que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la ConventionLa demanderesse, une Tamoule du Sri Lanka, revendique le statut de réfugié pour le motif qu'elle craint avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe socialLe fait d'avoir de la parenté au Canada, de même que l'absence de parenté à l'endroit sûr, est-il pertinent quant à la question de savoir s'il est déraisonnable de s'attendre à ce que la demanderesse vive à Colombo?Revue de la jurisprudence sur la question du caractère déraisonnableLa norme de la décision correcte est la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision rendue par la SSR quant à la question de savoir si la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieurComme la SSR a commis une erreur, non en pas concluant que la demanderesse n'avait pas raison de craindre d'être persécutée à Colombo, mais en ne tenant pas compte du fait qu'elle avait de la parenté au Canada et non à Colombo, le dossier est renvoyé à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci décide si, en vertu du second volet du critère de Rasaratnam, le fait de s'attendre à ce que la demanderesse vive à Colombo équivaut à une contrainte excessive.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire formée à l'encontre d'une décision rendue par la section du statut de réfugié (SSR), par laquelle cette dernière a rejeté la demande de statut de réfugié présentée par la demanderesse. Celle-ci est une Tamoule du Sri Lanka qui a quitté le nord du pays pour Colombo, où elle a séjourné avec sa mère pendant un certain temps; elle y a vécu pendant quatre ans au total. Après avoir été impliquée dans un incident à Colombo, elle est partie pour le Canada, où elle a revendiqué le statut de réfugié pour le motif qu'elle craignait avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, soit les femmes tamoules du Sri Lanka. Ses plus proches parents vivent actuellement au Canada. La seule question devant la SSR était de savoir s'il y avait une possibilité raisonnable de refuge pour elle dans une autre partie du même pays, soit à Colombo. En se fondant sur les faits, qui sont survenus au poste de police où la demanderesse a été arrêtée et avisée par les policiers de quitter Colombo immédiatement, la SSR a jugé que son arrestation et le mauvais traitement qu'elle a subi au poste de police ne légitimaient pas sa crainte d'être persécutée à Colombo. La SSR a également conclu qu'il n'était pas déraisonnable pour la demanderesse de retourner vivre à Colombo, et qu'elle n'était pas une réfugiée en raison de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Finalement, la SSR a affirmé qu'elle n'était pas autorisée par la loi à tenir compte des raisons d'ordre humanitaire pour permettre à la demanderesse de rester au pays. La question était de savoir si la SSR a commis une erreur en omettant de considérer le fait qu'un demandeur du statut de réfugié a de la parenté au Canada mais n'en a pas à l'endroit sûr de son pays de nationalité.

Jugement: la demande est accueillie.

À l'aide du critère établi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), la SSR a examiné, en premier lieu, si la crainte de persécution de la demanderesse à Colombo était fondée et, en second lieu, dans la négative, s'il était néanmoins déraisonnable d'exiger qu'elle retourne y vivre. La SSR n'a pas commis d'erreur de droit lorsqu'elle a décidé que la demanderesse n'avait pas démontré qu'elle avait raison de craindre d'être persécutée à Colombo. La preuve documentaire soumise devant la SSR révèle qu'il est courant pour la police depuis novembre 1996 de ne pas permettre aux Tamouls du Nord de demeurer plus de trois jours à Colombo. Il ne ressort pas clairement de la preuve qu'une telle interdiction s'appliquerait à la demanderesse, qui a quitté le Nord en 1993 et qui est restée à Colombo pendant quatre ans. Si la SSR avait été convaincue que la demanderesse n'aurait pu rester plus de trois jours à Colombo, elle aurait sûrement décidé que Colombo n'était pas un endroit sûr raisonnablement envisageable pour la demanderesse. La preuve était donc reliée à une question de fond. La preuve documentaire liée à la pratique policière ainsi que l'avertissement des policiers à l'endroit de la demanderesse de quitter les lieux étaient suffisamment convaincants pour obliger la SSR à les examiner dans ses motifs. Le défaut du tribunal de même en faire mention dans ses motifs a fait en sorte que son rejet de la revendication de la demanderesse constitue une erreur de droit.

Bien que la SSR ait eu de la sympathie pour la demanderesse, une personne avec une incapacité physique, elle a déclaré ne pas avoir compétence pour décider de sa revendication du statut de réfugié en fonction de raisons d'ordre humanitaire. De plus, la SSR n'a pas soulevé le fait que la demanderesse n'avait aucune parenté à Colombo lorsqu'elle a décidé qu'il n'était pas déraisonnable de s'attendre à ce qu'elle retourne y vivre. Le "caractère déraisonnable" est un critère souple et comprend non seulement la situation générale de la région ou de la ville en question, mais aussi les circonstances particulières au demandeur qui pourraient faire en sorte que ce ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce qu'il y vive. La question de savoir si l'absence de parenté à l'endroit du refuge est un facteur pertinent pour décider si une personne est un réfugié doit être tranchée selon la norme de la décision correcte. D'un autre côté, la décision de la SSR relativement à la question de savoir si les faits pertinents remplissent les exigences du critère de Rasaratnam constitue une question mixte de droit et de fait, et n'est susceptible de contrôle judiciaire que si elle est déraisonnable. Lors de l'évaluation visant à déterminer s'il y a contrainte excessive ou caractère déraisonnable relativement à la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays, la SSR doit tenir compte du fait que la demanderesse n'a pas de parenté à Colombo, alors que des membres de sa famille se trouvent au Canada. L'absence de membres de la famille pouvant fournir un soutien émotionnel et matériel peut fort bien condamner un requérant à un niveau de vie bien inférieur à la norme consacrée de décence à laquelle tout être humain a droit. Le dossier ayant été renvoyé à un tribunal différemment constitué de la SSR, celui-ci doit seulement décider si, vu l'ensemble des faits de la présente affaire, le retour de la demanderesse à Colombo serait déraisonnable ou équivaudrait à une contrainte excessive aux fins du second volet du critère de Rasaratnam, lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y avait possibilité de refuge dans une autre partie du même pays.

    lois et règlements

        Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 65(3) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 55), 83(1) (mod., idem, art. 73), 114(2) (mod., idem, art. 102).

    jurisprudence

        décisions appliquées:

        Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706; (1991), 140 N.R. 138 (C.A.); Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680; (1989), 57 D.L.R. (4th) 153 (C.A.); Kanagaratnam c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 83 F.T.R. 131; 28 Imm. L.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.); Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589; (1993), 109 D.L.R. (4th) 682; 22 Imm. L.R. (2d) 241; 163 N.R. 232 (C.A.); Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741; (1994), 29 Admin. L.R. (2d) 211; 87 F.T.R. 46 (1re inst.); Gregory c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 606 (1re inst.) (QL); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 50 Admin. L.R. (2d) 199; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 226 N.R. 201.

        décisions examinées:

        Badurdeen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 371 (1re inst.) (QL); Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 152 F.T.R. 305; 44 Imm. L.R. (2d) 294 (C.F. 1re inst.); Elmi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 336 (1re inst.) (QL); Sooriyakumaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1402 (1re inst.) (QL).

        décisions citées:

        Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 97 F.T.R. 139 (C.F. 1re  inst.); Jayabalasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1584 (1re inst.) (QL).

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié, par laquelle celle-ci a rejeté la demande de statut de réfugié présentée par la demanderesse pour le motif qu'elle avait une possibilité de refuge intérieur à Colombo et qu'il n'était pas déraisonnable de s'attendre à ce qu'elle retourne y vivre. Demande accueillie.

    ont comparu:

    Kumar S. Sriskanda pour la demanderesse.

    Kevin Lunney pour le défendeur.

    avocats inscrits au dossier:

    Kumar S. Sriskanda, Toronto, pour la demanderesse.

    Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Evans:

A.    INTRODUCTION

[1]La demanderesse dans la présente affaire, Rohini Ranganathan, est une Tamoule de 42 ans citoyenne du Sri Lanka. Enfant, elle a contracté la poliomyélite et marche aujourd'hui à l'aide de béquilles. Sa famille est relativement aisée; ses plus proches parents vivent actuellement au Canada.

[2]En 1993, Mme Ranganathan et sa mère ont quitté le nord du Sri Lanka pour Colombo, où elles sont restées dans une pension pendant environ un an avant que la mère émigre au Canada à titre de résidente permanente, parrainée par sa fille qui a la citoyenneté canadienne. La demanderesse a continué à se renseigner à propos de son admission au Canada, en dépit du fait qu'on lui a refusé un visa pour le motif qu'elle ne possédait pas les qualités requises d'une personne appartenant à la catégorie de la famille.

[3]Après le départ de sa mère pour le Canada, Mme Ranganathan est demeurée à Colombo; elle y est restée dans une maison comme locataire jusqu'à ce que son locateur lui demande de quitter les lieux en septembre 1997 à la suite de son implication dans un incident que la Cour décrira plus loin dans les présents motifs. La demanderesse est alors retournée dans une pension pendant une courte période de temps avant de partir pour le Canada, où elle a revendiqué le statut de réfugié pour le motif qu'elle craignait avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, soit les femmes tamoules du Sri Lanka.

B.    LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

[4]La section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié était prête à accepter la prétention de Mme Ranganathan selon laquelle elle craignait avec raison d'être persécutée dans le nord du Sri Lanka. Le tribunal n'a pas émis de doute sur la crédibilité de la preuve de la demanderesse. La seule question devant la section du statut de réfugié était de savoir s'il y avait une possibilité raisonnable de refuge pour elle dans une autre partie du même pays, soit à Colombo.

[5]À l'aide du critère établi dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), la section du statut de réfugié a examiné, en premier lieu, si la crainte de persécution de la demanderesse à Colombo était fondée et, en second lieu, dans la négative, s'il était néanmoins déraisonnable d'exiger que la demanderesse retourne y vivre.

i)  la crainte fondée de persécution

[6]La demanderesse a déclaré dans son formulaire de renseignements personnels que, pendant que sa mère et elle vivaient ensemble à Colombo à la fin de 1993 et au début de 1994, leur pension a fait l'objet de plusieurs descentes par la police, qui leur a extorqué de l'argent et des bijoux. La demanderesse n'a pas témoigné de ces incidents à l'audience devant la section du statut de réfugié.

[7]Lors de cette audience, Mme Ranganathan s'est appuyée principalement sur un incident survenu en septembre 1997, lorsque la police est venue arrêter un jeune couple tamoul qui louait une chambre dans la même maison que la demanderesse. Mme Ranganathan a également été arrêtée, et elle a déclaré au policier qui l'interrogeait qu'elle craignait d'aller dans le Nord en raison des viols de femmes tamoules perpétrés par l'armée sri-lankaise là-bas. Ces commentaires ont mis le policier en colère, et la violence verbale qu'il a ensuite dirigée contre elle comprenait notamment une menace de mort à son endroit.

[8]La demanderesse a aussi témoigné qu'un autre policier lui a mis le bras autour de son épaule et l'a rapprochée de lui. Craignant qu'il ait l'intention de la violer, elle lui a demandé d'arrêter. Ce n'est que lorsqu'une autre femme a pénétré dans la salle que le policier a retiré son bras. Mme Ranganathan a passé la nuit au poste de police, pour être relâchée le lendemain sur versement d'un pot-de-vin. Elle a été avisée par les policiers de quitter Colombo immédiatement; cela a précipité son expulsion de la maison où elle avait loué une chambre, de même que son retour dans une pension. Elle est partie pour le Canada peu de temps après, malgré le fait qu'elle n'avait pas encore reçu de réponse favorable du Haut Commissariat relativement aux questions qu'elle n'avait pas cessé d'y adresser aux sujet de sa demande d'immigration.

[9]La section du statut de réfugié a jugé que son arrestation et le mauvais traitement que la demanderesse a subi au poste de police ne légitimaient pas sa crainte d'être persécutée à Colombo. Premièrement, il s'agissait d'un incident isolé: la demanderesse avait vécu seule à Colombo depuis 1994 sans faire l'objet d'aucune forme de harcèlement. La demanderesse semble, selon les termes employés par la section du statut, avoir eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment lors de l'arrestation du jeune couple tamoul. Deuxièmement, bien que l'incident ait sans aucun doute été bouleversant pour la demanderesse, il n'équivaut pas à de la persécution, toutes choses étant considérées.

ii)  l'option envisageable

[10]Lorsque la section du statut de réfugié s'est penchée sur le second volet du critère de Rasaratnam, elle a noté que la demanderesse était une femme manifestement débrouillarde, intelligente et articulée, qui a vécu de façon autonome pendant trois ans à Colombo malgré son handicap, et qui a été bien soutenue sur le plan financier par sa famille. De plus, il existe une importante communauté tamoule à Colombo, là où elle a vécu pendant quatre ans au total.

[11]Sur la foi de ces données, la section du statut de réfugié a conclu qu'il n'était pas déraisonnable pour la demanderesse de retourner vivre à Colombo, et qu'elle n'était pas une réfugiée, en raison de la possibilité raisonnable de refuge dans une autre partie du même pays. Le tribunal a noté à la fin que la demanderesse désirait rester au Canada avec ses parents proches, et a affirmé qu'il n'était pas autorisé par la loi à tenir compte des raisons d'ordre humanitaire pour permettre à Mme Ranganathan de rester au pays.

C.    QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

i)  la crainte fondée de persécution

[12]La Cour est d'avis que la section du statut de réfugié n'a pas commis d'erreur de droit lorsqu'elle a décidé que la demanderesse n'avait pas démontré qu'elle avait raison de craindre d'être persécutée à Colombo, comme le requiert l'arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.), à la page 683.

[13]L'avocat de la demanderesse a soutenu que la section du statut de réfugié était légalement tenue de considérer dans ses motifs le harcèlement et l'extorsion pratiqués par la police à Colombo, dont la demanderesse affirme avoir fait l'objet avant le départ de sa mère pour le Canada. La Cour n'est pas de cet avis. Le fait que ces incidents se sont produits cinq ans auparavant et qu'ils n'ont même pas été mentionnés par la demanderesse lors de son témoignage, et ce malgré que le tribunal lui ait donné l'occasion de relater son expérience à Colombo, laisse croire qu'ils n'étaient pas à ce point indispensables au soutien de sa demande que la section du statut de réfugié se devait d'en faire expressément mention dans ses motifs.

ii)  l'option envisageable

[14]L'avocat de la demanderesse conteste trois éléments de la conclusion du tribunal selon laquelle il était raisonnable de s'attendre à ce que la demanderesse retourne vivre à Colombo. En premier lieu, la section du statut de réfugié n'a pas tenu compte dans ses motifs de la preuve quant à savoir si la demanderesse serait autorisée à demeurer à Colombo pour un certain temps. En second lieu, le tribunal n'a pas examiné dans ses motifs l'impact sur le bien-être psychologique de la demanderesse de l'incident bouleversant survenu au poste de police à Colombo en 1997. En troisième lieu, il appert que la section du statut de réfugié a considéré le fait que tous les membres de la famille de Mme Ranganathan se trouvent au Canada comme une "raison d'ordre humanitaire" qu'elle ne pouvait, sans outrepasser sa compétence, prendre en compte pour décider si Mme Ranganathan avait une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays, soit Colombo.

    a)  la durée permise de séjour

[15]L'avocat de la demanderesse a fait valoir que la section du statut de réfugié a commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu qu'il n'était pas déraisonnable pour Mme Ranganathan de retourner à Colombo, sans toutefois faire mention dans ses motifs de la preuve relative à la courte période de temps qu'elle sera probablement autorisée à rester là-bas.

[16]La preuve documentaire soumise devant le tribunal révèle qu'il est courant pour la police depuis novembre 1996 de ne pas permettre aux Tamouls du Nord de demeurer plus de trois jours à Colombo. De plus, Mme Ranganathan a affirmé dans son formulaire de renseignements personnels que, dès sa remise en liberté en septembre 1997, elle a été avisée par la police qu'elle devait quitter Colombo immédiatement.

[17]La question de savoir si la section du statut de réfugié est légalement tenue d'aborder dans ses motifs certains éléments de preuve dépend notamment de la force probante de la preuve en question et de l'importance pour la résolution des questions en litige des faits auxquels elle renvoie.

[18]Trois facteurs sont pertinents en l'espèce relativement à l'analyse de la valeur probante de la preuve. En premier lieu, il ne ressort pas clairement de la preuve devant la section du statut de réfugié que l'interdiction de séjour de plus de trois jours visant les Tamouls du Nord demeurant à Colombo s'appliquerait à une personne telle que Mme Ranganathan, qui a quitté le Nord en 1993 et qui est restée à Colombo pendant quatre ans. Dans l'affaire Badurdeen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 371 (1re inst.) (QL), la Cour a conclu que les motifs de la section du statut de réfugié étaient mal fondés en droit en ce qu'ils ne tenaient pas compte de l'impact de la règle de séjour de trois jours, et ce malgré que la personne en question avait vécu à Colombo en tout 16 mois étalés sur une période de trois ans.

[19]En second lieu, la demanderesse a continué de vivre encore dix mois à Colombo après novembre 1996 avant de se faire avertir par la police de quitter la ville, à la suite de l'incident au poste de police survenu en septembre. Si la règle de séjour de trois jours vise les Tamouls du Nord qui demeurent à Colombo depuis plusieurs années, il est alors difficilement concevable que la demanderesse n'a pas été avisée de partir beaucoup plus tôt.

[20]Une explication possible est que la règle de séjour temporaire est appliquée de façon plus systématique aux Tamouls vivant en pension qu'à ceux demeurant dans des maisons privées à Colombo, ces derniers n'étant obligés de quitter les lieux que lorsque leur présence est portée à l'attention de la police à la suite d'un incident, comme dans le cas de Mme Ranganathan. Cependant, aucune preuve à cet égard n'a été soumise au tribunal.

[21]En troisième lieu, le fait que l'avocat de la demanderesse n'a pas signalé à l'audience devant le tribunal que, selon toute probabilité, la demanderesse ne serait pas autorisée à rester à Colombo plus de quelques jours, peut donner à penser qu'il n'avait pas au départ attaché à ce renseignement l'importance qui lui est accordée aujourd'hui. Néanmoins, comme l'a fait remarquer l'avocat de la demanderesse, l'existence de la règle de trois jours, de même que l'avertissement du policier selon lequel la demanderesse devait quitter Colombo immédiatement, ont été soumis devant la section du statut de réfugié sous forme de preuve documentaire: une preuve demeure une preuve, qu'elle soit écrite ou de vive voix.

[22]Si la section du statut de réfugié avait été convaincue que Mme Ranganathan n'aurait pu rester plus de trois jours à Colombo, elle aurait sûrement décidé que Colombo n'était pas un endroit sûr raisonnablement envisageable pour la demanderesse. La preuve était donc reliée à une question de fond. De plus, la preuve documentaire liée à la pratique policière ainsi que l'avertissement des policiers à l'endroit de la demanderesse de quitter les lieux sont suffisamment convaincants pour obliger la section du statut de réfugié à les examiner dans ses motifs. Par conséquent, le défaut du tribunal de même faire mention de ces éléments dans ses motifs a fait en sorte que son rejet de la revendication de la demanderesse constitue une erreur de droit.

    b)  l'impact psychologique de la détention

[23]Dans le paragraphe des motifs énumérant les faits pertinents à la question de savoir s'il était déraisonnable d'exiger que la demanderesse vive à Colombo, la section du statut de réfugié n'a pas fait mention de l'impact qu'ont vraisemblablement eu les incidents au poste de police sur le bien-être psychologique de la demanderesse. Cependant, comme aucun rapport de psychologue ou de psychiatre n'a été soumis à cet égard au tribunal, la Cour est d'avis que l'omission de ce renseignement des motifs du tribunal ne peut être considérée comme une erreur de droit.

    c)  le refus de tenir compte de "raisons d'ordre humanitaire"

[24]L'avocat de la demanderesse a soutenu que la section du statut de réfugié a commis une erreur lorsqu'elle a affirmé que le critère de Rasaratnam, à savoir un endroit sûr raisonnablement envisageable pour la demanderesse, ne lui permettait pas de juger les demandes en fonction de raisons d'ordre humanitaire. C'est ainsi que, après avoir résumé les facteurs dont elle avait tenu compte et après avoir conclu que ceux-ci ne satisfaisaient pas au critère de Rasaratnam, la section du statut de réfugié a affirmé:

[traduction] Bien qu'il ait de la sympathie pour la requérante, une personne avec une incapacité physique qui désire manifestement s'établir au Canada avec sa mère, son frère et sa sœur, le tribunal n'a pas compétence pour décider des revendications du statut de réfugié en fonction de raisons d'ordre humanitaire.

[25]L'avocat du ministre a fait valoir que ce passage ne devait pas être pris pour une affirmation du tribunal qu'un facteur n'était pas pertinent quant à la question de savoir s'il est déraisonnable de s'attendre à ce qu'une requérante se prévale de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays, pour la seule raison que ce même facteur pourrait aussi être pertinent, par exemple, quant à une demande du droit d'établissement faite en sol canadien invoquant des raisons d'ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102)].

[26]Il a plutôt soutenu que, après avoir tenu compte de la situation des Tamouls à Colombo et de la situation personnelle de la demanderesse, et après avoir conclu que ni l'une ni l'autre ne satisfaisaient au critère du caractère déraisonnable, la section du statut de réfugié n'a fait que reconnaître qu'elle ne pouvait pas considérer d'autres facteurs qui pourraient être pertinents relativement à une demande d'établissement faite en sol canadien et fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, mais qui ne sont pas pertinents quant à la définition d'un réfugié au sens de la Convention.

[27]En effet, l'argument de l'avocat du ministre est que le cas présent est analogue à l'affaire Kanagaratnam c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 83 F.T.R. 131 (C.F. 1re inst.), où, en réponse à une prétention semblable à celle faite au nom de Mme Ranganathan, le juge Rothstein (tel était alors son titre) a affirmé à la page 133:

Bien que, dans le sens le plus général, la politique canadienne en matière de statut de réfugié se fonde peut-être sur des considérations humanitaires, cette terminologie dans la Loi sur l'immigration et les procédures suivies par les agents sous le régime de cette loi a pris une connotation particulière. La question des considérations humanitaires est normalement soulevée après qu'il a été déclaré qu'un requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention. L'omission par le tribunal d'examiner des considérations humanitaires dans sa décision en matière de statut de réfugié au sens de la Convention n'était pas une erreur.

[28]La Cour ne conteste pas cet énoncé du droit, mais elle n'est pas d'avis qu'il permet de trancher le litige en l'espèce. En premier lieu, il n'aborde pas la question de savoir si la présence au Canada des plus proches parents d'un demandeur est pertinente pour déterminer le statut de réfugié de celui-ci, lorsque la question en litige concerne le caractère raisonnable ou non du fait d'exiger que ce demandeur vive dans un endroit où sa crainte de persécution n'est pas fondée. De plus, comme la Cour le note au paragraphe 54, le juge Rothstein n'a pas considéré que l'absence des membres de la famille de l'endroit du refuge était complètement non pertinente quant au critère du caractère raisonnable.

[29]En second lieu, dans son résumé des faits pertinents relativement à la détermination du statut de réfugié, la section du statut de réfugié n'a pas soulevé le fait que la demanderesse n'avait aucune parenté à Colombo, un renseignement qui semble particulièrement pertinent quant à l'évaluation du caractère raisonnable dans le cas d'une personne avec une incapacité physique, surtout lorsqu'elle avance en âge. La Cour déduit du silence du tribunal à cet égard qu'il n'a pas tenu compte de l'absence de parenté lors de son évaluation de la question du caractère raisonnable.

[30]La Cour doit donc se prononcer sur la question de savoir si la présence de parents au Canada, et leur absence de l'endroit sûr"des facteurs qui sont fréquemment considérés dans le contexte des demandes examinées en vertu du paragraphe 114(2)", sont également pertinentes quant à savoir s'il est déraisonnable de s'attendre à ce que Mme Ranganathan vive à Colombo.

[31]Dans la décision de principe Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), la Cour a affirmé que la question pertinente consiste à savoir s'il est "objectivement déraisonnable" de s'attendre à ce que le demandeur qui craint avec raison d'être persécuté dans une partie de son pays de nationalité, aille vivre dans une autre partie de ce pays où il n'a pas cette crainte. Le juge Linden, J.C.A. (à la page 598) a quelque peu explicité la norme en affirmant qu'"[o]n ne peut exiger du demandeur qu'il s'expose à un grand danger physique ou qu'il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer". (Non souligné dans l'original.)

[32]Ce critère de base a été davantage développé. Ainsi, on a dit que le "caractère déraisonnable" était un critère souple et qu'il comprenait non seulement la situation générale de la région ou de la ville en question, mais aussi les circonstances particulières au demandeur qui pourraient faire en sorte que ce ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce qu'il y vive (à titre d'exemple, Jayabalasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1998] F.C.J. no 1584 (1re inst.) (QL), notamment le bien-être psychologique du demandeur à cet endroit (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 97 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.)).

[33]Cependant, est d'une plus grande pertinence pour les fins de l'espèce l'affirmation du juge Linden dans l'affaire Thirunavukkarasu, supra, (à la page 598), selon laquelle le fait

[. . .] qu'ils n'aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu'ils n'y ont ni amis ni parents ou qu'ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. [Non souligné dans l'original.]

n'est pas suffisant pour considérer les demandeurs comme des réfugiés.

[34]La pertinence de l'absence de parenté dans un endroit sûr a été considérée dans au moins trois cas récents de la Cour. Premièrement, dans l'affaire Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 152 F.T.R. 305 (C.F. 1re inst.), où le demandeur avait 75 ans et, pendant qu'il était au pays, était devenu très dépendant de sa famille sur le plan à la fois des émotions et de ses besoins quotidiens, le juge Hugessen a affirmé [à la page 308]:

[. . .] le facteur qui exige qu'une personne âgée, dépendante, et qui ne se sent pas très bien vive seule dans un foyer étatique ou subventionné par l'État, où elle obtiendrait des services de santé et autres types de services sociaux étatiques ou subventionnés par l'État, alors qu'une solution de rechange s'offre déjà à cette personne à l'endroit où elle vit et où elle bénéficie du soutien affectif et familial de membres de sa famille proches, en déterminant si le fait de forcer la personne à quitter ce dernier milieu pour s'installer dans un foyer décrit précédemment serait indûment pénible pour celle-ci.

[35]Deuxièmement, dans l'affaire Elmi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] F.C.J. no 336 (1re inst.) (QL), le juge McKeown a décidé que l'absence de parenté en Somalie était pertinente pour déterminer le caractère déraisonnable du fait d'exiger qu'un enfant y vive. Il a jugé que, comme le juge Linden l'a indiqué dans Thirunavukkarasu, supra, bien que normalement l'absence de parenté ne cause à une personne rien de plus que des inconvénients, l'absence de parenté dans le cas d'un enfant peut équivaloir à une contrainte excessive, et ainsi faire en sorte qu'il ne soit pas objectivement raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur vive à l'endroit sûr.

[36]Le principe de l'affaire Ramanathan avait auparavant été suivi dans l'affaire Sooriyakumaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1402 (1re inst.) (QL), dans laquelle le juge Lutfy avait conclu que le fait que les seuls parents survivants de la demanderesse, soit ses enfants mineurs, étaient au Canada en tant que réfugiés était un élément pertinent à considérer sous le second volet du critère de Rasaratnam.

[37]En fait, le juge Lutfy est peut-être allé plus loin que la Cour était allée tant dans Ramanathan que, ultérieurement, dans Elmi, lorsqu'il a indiqué que la présence des enfants de la demanderesse au Canada était en soi une considération pertinente, peu importe s'il restait de la parenté à Colombo (et dans les faits il n'y en avait pas). Ainsi il a affirmé [au paragraphe 7]:

La présence au Canada de ses deux enfants mineurs et réfugiés au sens de la Convention constitue le type de circonstance particulière dont le tribunal aurait dû tenir compte pour déterminer si Colombo offre un refuge indûment pénible pour la demanderesse.

Et un peu plus loin [au paragraphe 9]:

Le tribunal a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du lien naturel existant entre une mère et ses enfants mineurs [. . .]

[38]Avant d'approfondir davantage l'analyse de la question de la pertinence, la Cour se penchera sur la norme de contrôle applicable à une décision de la section du statut de réfugié relative à la possibilité pour un demandeur de trouver refuge dans une autre partie du même pays.

[39]Dans l'affaire Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), la Cour a décidé que l'instance révisionnelle devait faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions rendues par la section du statut de réfugié sur la possibilité raisonnable pour un demandeur de trouver refuge dans une autre partie du même pays. Le juge Richard (tel était alors son titre) a fait preuve de retenue judiciaire vis-à-vis tant des conclusions de la section du statut de réfugié concernant les faits essentiels que de l'application à ces faits de la norme juridique du caractère déraisonnable ou de la contrainte excessive.

[40]De manière analogue, dans l'affaire Gregory c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 606 (1re inst.) (QL), la Cour a confirmé une décision de la section du statut de réfugié selon laquelle il n'était pas déraisonnable de s'attendre à ce que le demandeur se prévale d'une possibilité de refuge à Colombo, au motif [au paragraphe 7] qu'"il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer cette conclusion dans ce dossier". (Non souligné dans l'original.)

[41]Toutefois, la question de savoir si l'absence de parenté à l'endroit sûr est pertinente pour décider s'il est "objectivement déraisonnable" ou s'il y a "contrainte excessive" pour un demandeur du statut de réfugié de se prévaloir d'une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est un sujet qui déborde clairement les faits particuliers de la présente affaire. Dans les affaires Canada (Directeur des enquêtes et des recherches) c. Southam Inc. , [1997] 1 R.C.S. 748, aux pages 767 et 768, et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, aux pages 1015 à 1018, la Cour suprême du Canada a affirmé que la généralité de la question en litige constituait un facteur parmi d'autres démontrant que la norme de contrôle judiciaire appropriée était celle de la décision correcte.

[42]La question de savoir si l'absence de parenté à l'endroit du refuge est pertinente aux fins de décider s'il y a une possibilité raisonnable pour le demandeur du statut de réfugié de trouver refuge dans une autre partie du même pays implique l'application de paramètres à la définition de réfugié. Comme le démontre la jurisprudence qui a suivi l'affaire Thirunavukkarasu et que j'ai citée ci-dessus, il s'agit d'une question qui a été soulevée dans plusieurs cas récents et qui est susceptible de se poser de nouveau.

[43]Par conséquent, sur la base du raisonnement dans Pushpanathan, la Cour est d'avis que la question de savoir si l'absence de parenté à l'endroit du refuge est un facteur pertinent pour décider si une personne est un réfugié doit être tranchée par la Cour selon la norme de la décision correcte.

[44]L'application de la norme de la décision correcte à cette question contribuera à atténuer le manque de cohérence entre les nombreux tribunaux de la section du statut de réfugié qui siègent à travers le pays. La possibilité que différents tribunaux puissent avoir différentes perceptions relativement à la pertinence du fait qu'une personne n'a pas de parenté à l'endroit du refuge serait grandement préjudiciable à la légitimité de la section du statut de réfugié. Comme le président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'a émis aucune directive interprétative à cet égard conformément au paragraphe 65(3) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 55] de la Loi sur l'immigration pour aider à maintenir une certaine cohérence entre les tribunaux, la Cour est autorisée à trancher la question elle-même.

[45]D'un autre côté, la décision de la section du statut de réfugié relativement à la question de savoir si les faits pertinents remplissent les exigences du critère de Rasaratnam, interprété comme il se doit, constitue une question mixte de droit et de fait, et n'est susceptible de contrôle judiciaire que si elle est déraisonnable. Les affaires Sivasamboo, supra, et Gregory, supra, font encore autorité après la décision Pushpanatham, supra, dans la mesure où elles établissent que la rationalité est la norme de contrôle appropriée de l'application par la section du statut de réfugié du critère de Rasaratnam aux faits d'un cas particulier.

[46]Par conséquent, il reviendra à la section du statut de réfugié de décider du poids à accorder à des questions telles que la gravité de l'incapacité de la demanderesse, la détérioration prévisible de sa situation à mesure que la demanderesse prendra de l'âge, l'existence d'autres réseaux d'assistance sociale à sa disposition à Colombo et le fait qu'elle a vécu à Colombo durant les années 1994 à 1997 sans l'aide d'aucun parent.

[47]De plus, même si la Cour avait tort d'affirmer que la norme de la décision correcte est la norme de contrôle appropriée relativement à la question de la pertinence soulevée dans la présente affaire, elle ne serait pas prête à faire preuve de retenue judiciaire à l'égard du tribunal qui a rejeté la demande de Mme Ranganathan, parce qu'il ne ressort pas clairement de ses motifs qu'il ait tenu compte de la question de pertinence de quelque façon que ce soit. Par conséquent, le tribunal a simplement omis le fait que la demanderesse n'avait aucune parenté à Colombo lorsqu'il a mentionné les faits qu'il a affirmé avoir pris en considération pour décider s'il serait déraisonnable de s'attendre à ce que la demanderesse y vive.

[48]En ce qui concerne la question de fond, sur la base des décisions récentes que la Cour a citées (Ramanathan, Elmi et Sooriyakumaran), il semble maintenant bien établi que, lors d'une évaluation visant à déterminer s'il y a contrainte excessive ou caractère déraisonnable relativement à la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays, la section du statut de réfugié doit tenir compte du fait que la demanderesse n'a pas de parenté à Colombo, alors que des membres de sa famille se trouvent au Canada.

[49]La Cour ne voit pas pourquoi elle devrait adopter un point de vue différent de celui des autres juges sur cette question. Selon les circonstances de l'espèce, il est clair que l'absence de membres de la famille pouvant fournir un soutien émotionnel et matériel peut fort bien condamner un requérant à un niveau de vie bien inférieur à la norme consacrée de décence à laquelle tout être humain a droit.

[50]La Cour est d'avis que le juge Rothstein avait raison d'affirmer dans la décision Kanagaratnam, supra (à la page 132):

J'interprète les commentaires du juge Linden [dans l'arrêt Thirunavukkarasu, précité] comme n'excluant pas l'absence d'amis ou de parents ou l'impossibilité de trouver du travail comme facteurs dans l'examen du caractère raisonnable, sauf que ces facteurs seuls ne rendent pas déraisonnable l'idée de possibilité d'un refuge dans une autre partie du même pays.

[51]Il ne peut y avoir deux listes de facteurs à considérer qui s'excluent mutuellement selon qu'il s'agit de la détermination du statut de réfugié ou des demandes présentées en vertu du paragraphe 114(2). En effet, comme le juge Hugessen l'a indiqué dans la décision Ramanathan, supra (à la page 308), si des éléments pertinents quant à une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire devaient pour cette raison être exclus de l'évaluation du caractère raisonnable, il n'y aurait pratiquement plus rien à examiner sous le second volet du critère de Rasaratnam.

D.    CONCLUSION

[52]Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision de la section du statut de réfugié selon laquelle Mme Ranganathan n'est pas une réfugiée au sens de la Convention est annulée.

[53]Cependant, comme la Cour n'a relevé aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire de la part de la section du statut de réfugié lorsque celle-ci a décidé que la demanderesse n'avait pas de motifs de craindre d'être persécutée à Colombo, le dossier est renvoyé pour réexamen devant un tribunal différemment constitué de la section du statut de réfugié. La Cour renvoie le dossier avec la directive que le tribunal doit seulement décider si, vu l'ensemble des faits de la présente affaire, le retour de la demanderesse à Colombo est déraisonnable ou équivaut à une contrainte excessive aux fins du second volet du critère de Rasaratnam, lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y avait possibilité de refuge dans une autre partie du même pays.

[54]Lors de cet examen, la section du statut de réfugié doit décider si Mme Ranganathan a de la parenté à Colombo et, conformément aux motifs que la Cour a prononcés, tenir compte de sa conclusion à cet égard lorsqu'elle détermine si, compte tenu de l'ensemble des faits, il a été satisfait au critère de Rasaratnam.

[55]La Cour a invité les avocats à soumettre une ou des questions à certifier. L'avocat du ministre a demandé que, étant donné qu'elle a conclu que la section du statut de réfugié a commis une erreur de droit en n'examinant pas certaines preuves, malgré le fait que ces preuves ne contredisaient pas la conclusion de fait que le tribunal avait tirée, la Cour certifie une question à cet égard. La Cour décide de ne pas faire droit à cette demande du fait que la "règle de séjour de trois jours" avait une importance déterminante au regard de la conclusion de la section du statut de réfugié selon laquelle il n'était pas déraisonnable pour la demanderesse de vivre à Colombo.

[56]L'avocat de la demanderesse s'est opposé à la certification d'une question qui porterait sur la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision de la section du statut de réfugié concernant la pertinence des faits à considérer dans l'examen du caractère déraisonnable. Il a soutenu que la norme de contrôle n'est pas pertinente pour trancher le litige, car la Cour a affirmé que, même si le caractère déraisonnable était la norme applicable, elle n'aurait pas fait preuve de retenue judiciaire à l'égard du tribunal dans le présent cas étant donné qu'il n'est pas clair qu'il ait tenu compte de cette question de quelque façon que ce soit. La Cour est de cet avis.

[57]La Cour certifie la question suivante en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l'immigration:

    La section du statut de réfugié commet-elle une erreur de droit lorsqu'elle omet de considérer, aux fins de l'examen du caractère déraisonnable sous le second volet du critère de Rasaratnam, le fait qu'un demandeur du statut de réfugié qui a de la parenté au Canada n'en a pas à l'endroit sûr de son pays de nationalité?

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