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     A-861-96

La Compagnie T. Eaton Limitée (anciennement T. Eaton Holdings Limited) (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: Cie T. Eatonc. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Linden et Robertson, J.C.A."Toronto, 2 mars; Ottawa, 9 avril 1999.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Revenu ou gain en capital Rachat au montant de 9,25 millions de dollars de la clause de participation figurant dans un bail à long terme en faveur de la contribuable à l'égard des profits nets annuels d'un centre commercialGain en capital pour la contribuableLe fait que la clause était une partie intégrante d'un bien immobilisé et le fait que l'annulation de cette clause a influé de façon importante sur la valeur d'une propriété à bail sont des considérations primordiales et supplantent la règle générale selon laquelle l'indemnité servant à remplacer l'abandon de profits est imputable au revenu.

En 1955, la contribuable a conclu un bail à long terme pour la location de locaux pour commerce de détail dans le centre commercial d'Oshawa, dans lequel bail figurait une "clause de participation" lui permettant de toucher 20 % des profits nets annuels du centre commercial pour la durée du bail et toute période de renouvellement. Quelques années après que la contribuable eut commencé à percevoir un revenu en vertu de la clause de participation, elle a accepté l'offre du locateur de racheter la clause de participation pour la somme de 9,25 millions de dollars. La question était de savoir si ce paiement constituait un revenu tiré d'une entreprise ou un gain en capital. Il s'agissait d'un appel formé contre la décision par laquelle le juge de la Cour de l'impôt a statué que le montant total constituait un revenu tiré d'une entreprise.

Arrêt: l'appel est accueilli.

Le produit résultant de l'annulation de la clause de participation constitue une rentrée de capital. Le fait que la clause est une partie intégrante de ce qui est clairement un bien immobilisé et le fait que l'annulation de cette clause influe de façon importante sur la valeur d'une propriété à bail sont des considérations primordiales. Tout particulièrement, ces faits supplantent la règle générale selon laquelle l'indemnité servant à remplacer l'abandon de profits est imputable au revenu.

L'annulation de la clause de participation constituait, aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, une "disposition" de biens admissibles au régime fiscal des gains en capital. Comme la loi ne prévoit rien sur la question, la qualification d'un gain ou d'une perte comme imputable au capital ou au revenu est établie d'après les principes ou les règles de la common law. Aucune des décisions invoquées par le juge de la Cour de l'impôt ou le ministre ne venait étayer l'argument selon lequel le paiement en question ne pouvait pas être réclamé en tant que gain en capital. Même si la clause de participation avait pour effet d'inciter la contribuable à conclure un bail à long terme, les paiements d'incitation à la location ne s'appliquent pas aux affaires portant sur l'annulation d'un droit contractuel. La clause de participation n'était pas non plus similaire à un contrat commercial ordinaire. Bien qu'il y ait un principe de common law selon lequel les engagements ou les obligations figurant dans un bail sont "indépendants" les uns des autres, cela ne change pas le fait que la clause de participation constituait un aspect intégrant du bail.

La clause de participation ne faisait pas seulement partie intégrante du bail, mais elle influait aussi considérablement sur la valeur d'un bien immobilisé, à savoir une propriété à bail. La rentabilité d'un bien est un élément à prendre en considération pour déterminer sa valeur en capital. À cet égard, la clause de participation est intimement liée à un bien immobilisé et à sa valeur. Un droit foncier représente également un bien immobilisé, dont la valeur dépend à la fois des modalités du bail et des conditions du marché. En l'espèce, le rachat de la clause de participation a eu pour effet évident de réduire la valeur du bien immobilisé de la contribuable de 9,25 millions de dollars. L'annulation de la clause de participation a eu autant d'effets sur la valeur du droit foncier qu'en aurait eu un incendie qui aurait détruit partiellement les locaux. Puisque l'indemnité relative à une telle perte serait imputable au capital, ce devrait également être vrai dans le cas d'une perte volontaire découlant de l'annulation d'un droit contractuel qui fait partie intégrante d'un bien immobilisé.

    lois et règlements

        Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 12(1)x) (édicté par S.C. 1986, ch. 6, art. 6; 1990, ch. 45, art. 39), 39(1)a), b) (mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 11), 54b) "biens en immobilisations", c ) "disposition de biens", 80, 248(1) "biens" (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 125; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 128).

    jurisprudence

        distinction faite avec:

        Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; (1995), 127 D.L.R. (4th) 193; [1995] 2 C.T.C. 369; 95 DTC 5551; 186 N.R. 243.

        décisions examinées:

        London and Thames Haven Oil Wharves, Ltd. v. Attwooll, [1967] 2 All E.R. 124 (C.A.); Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 111; (1988), 88 D.T.C. 6340; 21 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.); C.I.R. v. Fleming & Co. (Machinery), Ltd. (1951), 33 T.C. 57 (Ct. of Sess.); Pe Ben Industries Co. c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 120; (1988), 88 DTC 6347; 21 F.T.R. 90 (C.F. 1re inst.).

        décisions citées:

        Ikea Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 196; (1998), 155 D.L.R. (4th) 295; 98 DTC 6092; 222 N.R. 161; Mohawk Oil Co. c. Canada, [1992] 2 C.F. 485; [1992] 1 C.T.C. 195; (1992), 92 DTC 6135; 140 N.R. 225 (C.A.); Canderel Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147; (1998), 155 D.L.R. (4th) 257; 98 DTC 6100; 222 N.R. 81; Toronto College Park Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 183; (1998), 155 D.L.R. (4th) 285; 98 DTC 6088; 222 N.R. 189; Westfair Foods Ltd. c. Canada, [1991] 1 C.T.C. 146; (1990), 91 DTC 5073; 40 F.T.R. 207 (C.F. 1re inst.); conf. par [1991] 2 C.T.C. 343; (1991), 91 DTC 5625; 137 N.R. 74 (C.A.F.); La Reine c. Golden et autres, [1986] 1 R.C.S. 209; (1986), 25 D.L.R. (4th) 490; [1986] 3 W.W.R. 1; [1986] 1 C.T.C. 274; 86 DTC 6138; 65 N.R. 135; 39 R.P.R. 297.

APPEL d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt (T. Eaton c. R., [1997] 1 C.T.C. 2082; (1996), 96 DTC 1846 (C.C.I.)) rejetant l'appel interjeté par la contribuable contre la cotisation établie par le ministre à l'égard du rachat au montant de 9,25 millions de dollars de la clause de participation figurant dans un bail à long terme en faveur de la contribuable à l'égard des profits nets annuels d'un centre commercial comme constituant un revenu tiré d'une entreprise et rejetant l'argument de la contribuable selon lequel cela constituait un gain en capital. Appel accueilli.

    ont comparu:

    Brian G. Morgan et Nancy J. Stitt pour l'appelante.

    Elizabeth D. Chasson et J. S. Gill pour l'intimée.

    avocats inscrits au dossier:

    Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour l'appelante.

    Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Robertson, J.C.A.: La contribuable appelante, une compagnie canadienne de vente au détail bien connue, a conclu un bail à long terme pour la location de locaux pour commerce de détail dans le centre commercial d'Oshawa. C'était en 1955. Selon les termes de ce bail, le locateur a convenu d'une "clause de participation" permettant à la contribuable de toucher 20 % des profits nets annuels du centre commercial pour la durée du bail et toute période de renouvellement. Aucun revenu de participation n'a été perçu jusqu'en 1981. De 1981 à 1989, la contribuable a perçu et déclaré près de 3,9 millions de dollars à titre de revenu en vertu de la clause de participation. En 1989, le locateur a offert de "racheter" la clause de participation pour la somme de 9,25 millions de dollars. L'offre a été acceptée, et la contribuable a déclaré ce montant à titre de produit de la disposition d'un bien en immobilisation, avec une valeur d'acquisition nulle. Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation relativement à l'appelante pour le motif que le montant intégral constituait un revenu tiré d'une entreprise et que, par conséquent, la contribuable n'avait pas le droit de réclamer un gain en capital égal aux deux tiers de la somme de 9,25 millions de dollars pour l'année d'imposition 1989.

[2]Le juge de la Cour de l'impôt [T. Eaton c. R., [1997] 1 C.T.C. 2082] était d'accord avec la façon dont le ministre qualifiait l'opération eu égard notamment à deux décisions. La première est London and Thames Haven Oil Wharves, Ltd. v. Attwooll1, rendue par la Cour d'appel d'Angleterre. La seconde est Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. La Reine2, une décision rendue par la Section de première instance de notre Cour. L'une des questions à trancher en l'espèce est de savoir si ces décisions sont déterminantes quant à l'issue du présent appel. À mon humble avis, elles ne le sont pas. Il n'existe pas de règle claire et simple pour décider si le produit reçu sera considéré comme imputable au capital par opposition au revenu.

[3]Pour les motifs qui suivent, je conclus que le produit résultant de l'annulation de la clause de participation constitue une rentrée de capital. Le fait que la clause est une partie intégrante de ce qui est clairement un bien immobilisé et le fait que l'annulation de cette clause influe de façon importante sur la valeur d'une propriété à bail sont, à mon humble avis, des considérations primordiales. Tout particulièrement, ces faits supplantent la règle générale selon laquelle l'indemnité servant à remplacer l'abandon de profits futurs est imputable au revenu. L'allégation du ministre selon laquelle la clause de participation est apparentée à un contrat commercial ordinaire ou à un paiement d'incitation à la location ne peut pas résister à un examen sérieux.

[4]La contribuable avance deux arguments à l'appui de sa position. Le premier est ingénieux, mais manifestement insoutenable. Il est fondé sur deux prémisses, dont la seconde est entachée de vices. Selon la première prémisse, l'annulation de la clause de participation constitue une "disposition" de biens au sens de l'alinéa 54c ) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63]. Ce terme est défini de façon à comprendre toute opération par laquelle "toute créance d'un contribuable ou tout autre droit qu'a un contribuable de recevoir une somme est réglé ou annulé". Le paragraphe 248(1) [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 125; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 128] définit ensuite "biens" comme comprenant "un droit de quelque nature qu'il soit". Compte tenu de ces dispositions, je ne vois aucune objection à la première prémisse3 .

[5]La seconde prémisse exposée par la contribuable veut que tout bien soit un bien en immobilisation ou figure dans un inventaire. De façon corrélative, l'inventaire est considéré comme comprenant le bien destiné à la vente dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial. À l'appui de cette prémisse, la contribuable invoque le passage suivant de l'arrêt de la Cour suprême Friesen c. Canada4:

Le deuxième problème que pose l'interprétation préconisée par l'intimée tient à son incompatibilité avec la dichotomie fondamentale que la Loi de l'impôt sur le revenu établit entre le revenu d'entreprise et le gain en capital. Comme cela a déjà été mentionné, la sous-section b de la section B de la Loi porte sur le revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien, tandis que la sous-section c de la section B porte sur les gains en capital. La Loi définit deux types de biens, qui correspondent respectivement à chacune de ces sources de revenu. Les biens en immobilisation (définis à l'al. 54b)) engendrent un gain ou une perte en capital lors de leur aliénation. Les biens figurant dans un inventaire sont des biens dont le coût ou la valeur entre dans le calcul du revenu d'entreprise. La Loi crée ainsi un système simple qui ne reconnaît que deux catégories générales de biens. La qualification d'un bien comme bien figurant dans un inventaire ou comme bien en immobilisation est fondée principalement sur le type de revenu qui sera tiré de ce bien. [Non souligné dans l'original.]

[6]Se basant sur ce passage, la contribuable pose comme principe qu'un bien particulier figure dans un inventaire ou devient un bien en immobilisation dans les mains d'un contribuable au moment de son achat initial ou de son acquisition initiale. De plus, il est soutenu que, si le bien ne peut pas être considéré comme figurant dans un inventaire, qui est censé comprendre un projet comportant un risque de caractère commercial, il est, par la force des choses, un bien en immobilisation. En dernier lieu, la contribuable soutient que notre Cour devrait trancher la question en recourant aux différents facteurs à examiner au moment de décider si le bien a été détenu à titre d'investissement ou à titre de projet comportant un risque de caractère commercial. Quant à ces facteurs, il est allégué que le bien en question n'était pas destiné à la revente et que, par conséquent, sa disposition était imputable au capital. Comme je l'ai dit d'emblée, le problème que soulève ce raisonnement est que la seconde prémisse est entachée de vices.

[7]À mon humble avis, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas commis d'erreur en concluant que l'arrêt Friesen ne s'applique pas aux faits de l'espèce. Je suis d'accord pour dire que cette affaire portait sur le "moment" auquel les gains et pertes découlant d'un projet comportant un risque de caractère commercial étaient reconnus. D'après moi, rien de ce qui a été décidé dans l'arrêt Friesen ne déprécie la compréhension suivante du cadre juridique imposé par la Loi de l'impôt sur le revenu.

[8]Il est de droit constant qu'un gain ou une perte en capital est un gain ou une perte résultant de la disposition d'un bien. Selon l'alinéa 54b) de la Loi, la disposition de biens qui donne lieu à une perte ou à un gain en capital est censée constituer un bien en immobilisation. Voici le libellé de cette disposition:

54. [. . .]

    b) "biens en immobilisation" d'un contribuable signifie

        (i) tous biens amortissables du contribuable, et

        (ii) tous biens (autres que des biens amortissables), dont la disposition, s'il y avait disposition, se traduirait pour le contribuable par un gain ou une perte en capital, suivant le cas;

[9]Pris seul, l'alinéa 54b) ne nous dit pas quelles sortes de biens constituent des biens en immobilisation. Cependant, l'article 39 spécifie ceux qui ne sont pas admissibles au régime fiscal des gains en capital. Les biens exclus ne sont pas des biens en immobilisation. Aux fins qui nous intéressent, les dispositions pertinentes sont les alinéas 39(1)a) et b) [mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 11], dont voici le libellé:

39. (1) [. . .]

    a) un gain en capital d'un contribuable, tiré, pour une année d'imposition, de la disposition d'un bien quelconque, désigne le gain, déterminé conformément aux dispositions de la présente sous-section (jusqu'à concurrence du montant de ce gain qui ne serait pas, si l'on supprimait, dans l'alinéa a) de l'article 3, l'expression "autre qu'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien" et si l'on supprimait l'alinéa b ) de ce même article 3, inclus dans le calcul de son revenu pour l'année ou pour toute autre année d'imposition) que ce contribuable a tiré pour l'année, de la disposition d'un bien lui appartenant, autre [par ex., qu'un bien en immobilisation admissible].

    [. . .]

    b) une perte en capital subie par un contribuable, pour une année d'imposition, du fait de la disposition d'un bien quelconque, désigne la perte qu'il a subie dans l'année, déterminée conformément aux dispositions de la présente sous-section (jusqu'à concurrence du montant de cette perte qui ne serait pas déductible, si l'article 3 était interprété de la manière indiquée dans l'alinéa a) et en faisant abstraction de l'expression "ou une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise pour l'année, subie par le contribuable" à l'alinéa 3d ), lors du calcul de son revenu pour l'année ou pour toute autre année d'imposition) du fait de la disposition d'un bien quelconque de ce contribuable autre [par ex., qu'un bien amortissable]. [C'est moi qui souligne.]

[10]Ces dispositions législatives ont pour effet d'exclure du régime fiscal des gains en capital le produit de la disposition de biens qui donne lieu à un revenu ordinaire, par exemple, un revenu tiré d'une entreprise. Ces articles mentionnent aussi expressément certaines sortes de biens qu'il faut exclure de la notion de biens en immobilisation. Ce que la loi ne dit pas, c'est comment on va faire la distinction entre les dispositions de biens qui ne sont pas mentionnés expressément et celles de biens qui sont autrement exclus de la catégorie des biens en immobilisation. Donc, la qualification d'un gain ou d'une perte comme imputable au capital ou au revenu est établie d'après les principes ou les règles de la common law. Je dois ajouter que toute rentrée de fonds ne relève pas nécessairement de la catégorie du capital ou de celle du revenu. Par exemple, un "profit inattendu" n'est pas considéré comme un revenu ou un capital5 .

[11]Malgré l'élaboration de diverses règles de common law permettant d'évaluer si un gain ou une perte devrait être imputable au capital ou au revenu, le litige persiste à cause de l'avantage fiscal afférent aux dispositions de biens en immobilisation. Par souci de commodité, la jurisprudence peut sans inconvénient être groupée en un certain nombre de catégories distinctes. La catégorie qui comprend le plus grand nombre de décisions concerne les projets comportant un risque de caractère commercial. À notre époque, on tranche la question surtout en isolant les principales considérations de fait et en appliquant ensuite la décision judiciaire. Parmi les autres catégories, mentionnons les opérations de change, les affaires relatives à la remise de dettes non régies par l'article 80 de la Loi et les "subventions" non visées par l'alinéa 12(1)x ) [édicté par S.C. 1986, ch. 6, art. 6; L.C. 1990, ch. 45, art. 39].

[12]Deux autres catégories étroitement liées se rapportent particulièrement au présent appel. L'une concerne les dommages-intérêts ou les paiements de liquidation reçus pour dédommager la perte d'un bien immobilisé ou le dommage causé à ce bien, ainsi que toute perte consécutive de profits, résultant de la négligence d'un tiers. La deuxième concerne l'indemnisation pour rupture ou résiliation hâtive d'un contrat, qui peut comprendre un montant pour les profits perdus. La présente affaire diffère légèrement, car elle porte sur l'annulation réciproque d'un droit contractuel, par opposition à la résiliation de l'intégralité du contrat.

[13]L'une des questions que je dois traiter est celle de savoir s'il existe une règle de droit qui empêche la contribuable de réclamer un gain en capital relativement à la somme de 9,25 millions de dollars qu'elle a reçue pour l'annulation de la clause de participation. À mon humble avis, aucune des décisions invoquées par le juge de la Cour de l'impôt ou le ministre n'impose un tel résultat. Pour commencer, je reviendrai aux deux décisions sur lesquelles l'argumentation repose en grande partie.

[14]La première décision invoquée par le ministre et le juge de la Cour de l'impôt est London and Thames Haven. Le passage suivant tiré du jugement prononcé par lord Diplock est immanquablement cité dans les affaires ressemblant à la présente affaire6:

[traduction] Chaque fois qu'un commerçant reçoit, en vertu d'un droit, de quelqu'un d'autre, une indemnité au lieu d'une somme d'argent qui aurait été comptabilisée dans les profits réalisés au cours d'une année, dans le commerce qu'il exploitait à l'époque où il a reçu l'indemnité, il y a lieu de traiter cette indemnité pour fin d'impôt de la même manière que la somme d'argent l'aurait été si l'indemnité ne l'avait pas remplacée.

[15]Ce passage reflète l'opinion selon laquelle l'indemnité reçue au lieu d'une somme d'argent devrait être imposée de la façon dont la somme d'argent aurait été imposée si elle avait été reçue (la "règle de la substitution"). Essentiellement, la règle de la "substitution" cherche à qualifier des rentrées de fonds de nature ambiguë en se référant à des trous dans le revenu. Ainsi, par exemple, il est généralement admis qu'une indemnité résultant de la rupture d'un contrat commercial devrait être imposée comme si elle avait été reçue dans le cours ordinaire des affaires; c'est-à-dire comme un revenu tiré d'une entreprise. Par contre, si l'indemnité est versée en raison de la perte d'un élément en capital, une telle indemnité devrait être imposée comme étant imputable au capital. En tant que proposition générale, la règle de la substitution est logique. La question de savoir comment elle doit être appliquée en l'espèce est abordée plus loin.

[16]L'un des aspects intéressants de l'arrêt London and Thames Haven est que la proposition décrite ci-dessus n'était pas décisive quant à cet appel. La contribuable était propriétaire d'un quai endommagé en raison de la négligence d'un tiers. L'indemnité a été versée pour les frais de réparation, ainsi que pour les profits perdus pendant que le quai n'était pas utilisable. Seule l'indemnité relative aux profits perdus était en cause, puisque les parties étaient d'accord pour dire que l'indemnité relative aux réparations était imputable au capital. Le juge de première instance avait conclu que l'indemnité relative aux profits perdus devait être assujettie au même régime fiscal que l'indemnité relative aux réparations. Pour arriver à cette conclusion, il s'est fondé sur une série de décisions anglaises qui reposaient sur la proposition selon laquelle l'indemnité payée pour un bien productif de revenu qui avait été détruit de façon permanente était imputable au capital, même si une partie de l'indemnité se rapportait aux profits perdus. Le juge de première instance a déclaré qu'il ne faudrait pas établir de distinction entre les biens partiellement endommagés et ceux qui ont été complètement détruits, bien qu'une partie de l'indemnité soit attribuable aux profits perdus.

[17]En appel, la Cour d'appel d'Angleterre a, dans l'arrêt London and Thames Haven, retenu la distinction entre l'indemnité payée pour les biens qui ont été détruits complètement et ceux qui ont subi un "préjudice partiel", dans la mesure où les profits perdus sont concernés. Ainsi, si un bien productif de revenu est endommagé partiellement, l'indemnité pour profits perdus est considérée comme une rentrée commerciale. Cependant, si le bien est complètement détruit, l'intégralité du versement d'indemnité est considérée comme une rentrée de capital puisque la rentabilité d'un bien est un élément à prendre en considération dans l'évaluation de la valeur en capital d'un bien. Ce dernier point vient étayer mon opinion selon laquelle l'indemnité en question est imputable au capital. Enfin, la Cour d'appel a ensuite précisé qu'il n'était pas nécessaire que toute l'entreprise de la contribuable soit perdue avant que l'indemnité pour profits perdus soit considérée comme imputable au capital. Elle a jugé qu'il suffisait que les pertes se rapportent à une partie de l'entreprise de la contribuable, comme cela se produit avec la perte d'un bien productif de revenu.

[18]En résumé, l'arrêt London and Thames Haven repose sur la proposition selon laquelle l'indemnité payée pour la destruction d'un bien immobilisé sera imputable au capital même si une partie de l'indemnité se rapporte aux profits perdus7. Si l'indemnité résulte de la destruction partielle de ce bien immobilisé, alors toute somme reçue relativement aux profits perdus est imposable en tant que rentrée commerciale, tandis que l'indemnité relative seulement aux biens endommagés constitue une rentrée de capital. En fin de compte, cependant, rien de cela n'est décisif quant au présent appel.

[19]Le ministre et le juge de la Cour de l'impôt ont tous deux invoqué amplement la décision Cie des chemins de fer nationaux du Canada, précitée. À mon humble avis, cette décision ne peut s'interpréter sans qu'on se reporte à la décision Pe Ben Industries Co. c. La Reine8, qui a été rendue d'après des faits similaires et à la même époque que la décision Cie des chemins de fer nationaux du Canada. Les deux décisions ont été rendues par le juge Strayer (tel était son titre à l'époque). Je traiterai de chacune à tour de rôle.

[20]Dans l'affaire Cie des chemins de fer nationaux du Canada, la contribuable avait reçu la somme de 1,9 million de dollars à titre d'indemnité pour la résiliation hâtive d'un contrat de transport. La contribuable a déclaré la somme à titre de capital, mais le ministre l'a considérée comme un revenu. Le juge Strayer était d'accord avec la cotisation établie par le ministre, se fondant tout particulièrement sur le jugement rendu par lord Russell dans C.I.R. v. Fleming & Co. (Machinery), Ltd.9:

[traduction] Lorsque les droits et les avantages auxquels on a renoncé lors de la résiliation ont pour effet de détruire ou de disloquer effectivement toute la structure du mécanisme de réalisation de bénéfices du bénéficiaire et que cela entraîne un grave bouleversement dans l'organisation commerciale normale et éventuellement une réduction des effectifs antérieurement requis, le bénéficiaire de l'indemnité peut à bon droit affirmer que l'indemnité représente le prix payé pour la perte ou la stérilisation d'une immobilisation et qu'il s'agit par conséquent d'une rentrée de capital et non d'un produit [. . .] D'autre part, lorsque l'avantage auquel on a renoncé lors de la résiliation ne représente pas la perte d'un bien durable dans des circonstances comme celles évoquées plus haut dans lesquelles, par exemple, la structure de l'entreprise du bénéficiaire est conçue de façon à pouvoir absorber le choc comme faisant partie des incidents normaux auxquels l'on s'attend et lorsqu'il semble que l'indemnité reçue n'est rien de plus qu'un succédané pour les bénéfices futurs auxquels on a renoncé, l'indemnité reçue doit normalement être considérée comme un produit et non comme une rentrée de capital.

[21]Dans l'affaire Fleming, il s'agissait de savoir si l'indemnité reçue pour l'annulation d'un contrat commercial ordinaire était imputable au revenu. Ce passage laisse entendre que, lorsque l'annulation d'un contrat commercial influe effectivement sur les opérations commerciales d'un contribuable, l'indemnité payée pour la perte de ce contrat peut être considérée comme imputable au capital. En bref, l'arrêt Fleming représente une exception à la règle générale concernant les contrats commerciaux (l'"exception établie par l'arrêt Fleming"). Le juge Strayer a considéré que lorsque le contrat de transport en question était résilié mutuellement, aucun bien durable de la nature d'une entreprise distincte ou d'un contrat à long terme n'avait été détruit ou rendu inutilisable, et l'annulation du contrat n'avait pas eu non plus d'effet paralysant sur l'entreprise de la contribuable. Ainsi, la contribuable dans l'affaire Cie des chemins de fer nationaux du Canada ne pouvait pas invoquer l'exception établie par l'arrêt Fleming.

[22]En résumé, la décision Cie des chemins de fer nationaux du Canada admet que l'indemnité pour profits perdus reçue à l'égard de la rupture ou de la résiliation d'un contrat commercial ordinaire constitue un revenu tiré d'une entreprise. Elle ne conteste pas le principe selon lequel l'indemnité reçue relativement à la perte d'un contrat commercial qui est d'une importance fondamentale pour l'entreprise du contribuable peut être considérée comme une rentrée de capital. Ce dernier principe a joué un rôle décisif dans Pe Ben Industries.

[23]Dans l'affaire Pe Ben Industries, le juge Strayer a conclu que l'indemnité reçue pour rupture d'un contrat commercial entraînait la destruction d'une partie distincte de l'entreprise de la contribuable. La distinction cruciale sur le plan des faits entre l'affaire Pe Ben Industries et l'affaire Cie des chemins de fer nationaux du Canada est que, dans la première affaire, l'entreprise de transport intermodal de la contribuable consistait en un contrat important qui avait été résilié prématurément. Cependant, le contrat de transport dans l'affaire Cie des chemins de fer nationaux du Canada était simplement un contrat commercial ordinaire et sa résiliation n'était pas d'une importance cruciale pour les opérations commerciales de la contribuable. En résumé, il est clair que, dans des circonstances appropriées, l'indemnité payée pour l'annulation ou la rupture d'un contrat commercial peut être une rentrée de capital. De l'aveu de tous, la règle générale veut qu'une telle indemnité soit imputable au revenu.

[24]Comme le juge Strayer l'a si bien noté dans la décision Cie des chemins de fer nationaux du Canada, il existe une jurisprudence considérable sur la question de savoir si l'indemnité payée conformément à la résiliation d'un contrat commercial constitue du capital ou un revenu et, dans une large mesure, chaque cas repose sur ses propres faits. J'admets qu'il serait beaucoup plus facile d'adopter une règle rigide qui considérerait toute indemnité reçue pour rupture ou résiliation de tout contrat commercial, ou même un droit y afférent, comme un revenu tiré d'une entreprise. Mais ce n'est pas la voie suivie par la common law. Je ne suis pas prêt non plus à rejeter la jurisprudence existante à seule fin de promouvoir le caractère certain du droit au dépens de son caractère souple et rationnel. Voici le moment venu de passer à l'autre allégation de la contribuable et aux arguments du ministre.

[25]Selon l'autre allégation de la contribuable, si je comprends bien, la clause de participation fait partie intégrante du bail et, par conséquent, devrait être assujettie au même régime fiscal que la disposition d'une propriété à bail. Aux fins du présent appel, je suis prêt à admettre la qualification de la rentrée de fonds en question de la contribuable comme une rentrée de capital. Toutefois, le ministre fait valoir des arguments sérieux qui méritent d'être pris en considération. L'exposé exhaustif et convaincant de Me Gill peut être divisé en deux allégations principales présentées au nom du ministre. Selon la première allégation, l'indemnité reçue pour l'annulation de la clause de participation est apparentée à un paiement d'incitation à la location et, par conséquent, le produit serait assujetti au régime fiscal accordé par la Cour suprême dans trois affaires récentes10. D'après la deuxième allégation, la clause de participation est apparentée à un contrat commercial ordinaire et, par conséquent, toute indemnité reçue est imputable au revenu. Corrélativement, le ministre soutient que l'exception signalée dans les décisions Fleming et Pe Ben Industries ne s'applique pas. Je vais d'abord traiter de l'analogie faite à l'incitation à la location.

[26]Selon une jurisprudence récente de la Cour suprême, les paiements d'incitation à la location doivent être considérés comme du revenu par le locataire et comme une dépense par le locateur dans l'année où ils ont été reçus ou versés respectivement. Cette règle n'est pas absolue. Si des principes comptables généralement reconnus le prévoient d'une autre façon, les paiements peuvent être considérés de façon différente aux fins de l'impôt. J'admets que la clause de participation en question avait pour effet d'inciter la contribuable à conclure un bail à long terme. Ce que je ne peux admettre, c'est que les paiements d'incitation à la location s'appliquent aux affaires portant sur l'annulation d'un droit contractuel.

[27]Répondre à la question dont nous sommes saisis en invoquant l'analogie faite à un paiement d'incitation à la location, c'est éluder la question de savoir comment le droit fiscal traite les affaires portant sur l'indemnité payée pour l'abandon d'un droit à des profits futurs. L'analogie faite au paiement d'incitation à la location cherche à nous forcer à admettre que la clause de participation est apparentée à un contrat commercial, indépendamment du bail dans lequel elle se trouve. Cet argument est examiné plus en profondeur plus loin. À mon avis, les trois décisions récentes de la Cour suprême portant sur le régime fiscal des paiements d'incitation à la location ne sont pas décisives en ce qui concerne la question en litige. De crainte qu'il y ait quelque doute, voici comment je comprends ce qui a été décidé par la Cour suprême.

[28]Dans l'arrêt Ikea, précité, la Cour suprême a jugé que la rentrée de fonds résultant d'un paiement d'incitation à la location était imputable au revenu parce qu'elle faisait partie intégrante des opérations quotidiennes de la contribuable et n'était pas liée à une fin relative au capital. Que le paiement d'incitation ait représenté une baisse du loyer ou un paiement en contrepartie du fait que la locataire a assumé ses diverses obligations en vertu du bail ne changeait rien au fait qu'il s'agissait d'une rentrée de fonds. La Cour suprême a rejeté l'argument selon lequel le paiement était une rentrée de capital simplement parce qu'il se rapportait à l'acquisition d'un bien immobilisé (le bail). Pour trancher le présent appel, je reconnais que l'indemnité reçue pour le rachat de la clause de participation n'est pas une rentrée de capital simplement parce que cette clause figure dans un bail, qui est lui-même un bien immobilisé. Je passe maintenant au deuxième argument du ministre.

[29]Selon le deuxième argument du ministre, la clause de participation est similaire à un contrat commercial ordinaire. Le ministre adopte la conclusion du juge de la Cour de l'impôt selon laquelle la clause de participation était simplement une disposition contractuelle figurant dans le bail et selon laquelle son annulation n'influait pas de façon importante sur l'entreprise de la contribuable. D'après le juge de la Cour de l'impôt11:

Quel était donc l'effet du paiement en question? L'appelante a soutenu que la clause de participation faisait partie de son droit de tenure à bail, qu'elle devait donc être considérée comme un bien en immobilisation et que la disposition devait donc être considérée comme se rapportant à un bien en immobilisation. Je ne suis pas d'accord. Cela est erroné et, de toute façon, considérer la clause de participation comme faisant partie du domaine foncier que le bail confère au locataire n'a rien à voir avec la question. La clause de participation est simplement une disposition contractuelle figurant dans un bail. La nature du document dans lequel se trouve la clause n'a pas pour effet de lui donner un genre de statut magique. L'annulation de la clause de participation n'influait pas sur le droit qu'avait l'appelante en vertu du bail de demeurer en possession du magasin d'Oshawa. De fait, il a été admis que l'annulation n'avait aucun effet sur l'exploitation du commerce de détail de l'appelante. Il est clair que l'annulation de la clause n'influait pas sur la structure de l'entreprise de l'appelante dans son ensemble ou sur la structure d'un élément de son entreprise. Pour ce motif, il est facile de faire une distinction entre la présente espèce et des affaires telles que Glenboig Union Fireclay Co. Ltd. v. C.I.R., (sub. nom. Glenboig Union Fireclay Co. v. IRC) [1922] S.C. 112, 12 T.C. 427; Van Den Berghs Ltd. v. Clark, [1935] A.C. 431, 19 T.C. 390, et H.A. Roberts Ltd. v. Minister of National Revenue, [1969] S.C.R. 719, [1969] C.T.C. 369, 69 D.T.C. 5249. [Non souligné dans l'original.]

[30]Le ministre affirme que l'omission du locateur de faire un versement conformément à la clause de participation n'aurait pas accordé à la contribuable locataire le droit de retenir le paiement du loyer et que cela prouve que la clause est une entente contractuelle indépendante du bail. En effet, le ministre invoque le principe de common law selon lequel les engagements ou les obligations figurant dans un bail sont "indépendants" les uns des autres, de sorte qu'une rupture ne donne pas naissance à la possibilité de réclamer la fin du bail ou la confiscation du montant par le locateur ou la locataire, afin d'étayer l'argument selon lequel la clause de participation est apparentée à un contrat commercial ou accessoire. À mon humble avis, ce principe de common law ne vient nullement appuyer la position du ministre.

[31]J'estime que l'obligation du locateur en vertu de la clause de participation fait autant partie du bail que son obligation de s'assurer contre les dangers ou que l'obligation de la contribuable de payer le loyer. Ainsi, par exemple, l'omission du locateur d'assurer la propriété à bail ne donne pas droit à la locataire de retenir le loyer. Mais nous n'en conclurions pas que l'obligation de s'assurer ne fait pas partie intégrante du bail. Il est vrai que, en common law, les engagements figurant dans un bail sont indépendants les uns des autres, mais cela ne change pas le fait que la clause de participation constituait un aspect intégrant du bail en question. Il existe une différence entre la notion de l'indépendance des engagements figurant dans un bail et le fait que de tels engagements font partie intégrante des obligations assumées par les parties. Le caractère indépendant des engagements ne concerne que les recours possibles dont disposent les parties en vertu du droit régissant le louage d'immeubles lorsque l'une des parties a manqué à ses obligations. Cela ne signifie pas que de tels engagements sont autonomes à l'égard du bail lui-même.

[32]Bref, l'argument du ministre selon lequel la clause de participation est une disposition contractuelle indépendante du bail est peu judicieux. Si la contribuable n'avait pas respecté le bail et si le locateur avait choisi de mettre fin à l'entente relative à la location, les avantages à tirer de la clause de participation auraient été perdus également. Je n'ai pas besoin de citer de sources juridiques pour établir le bien-fondé de ces propositions. Le bon sens dicte que tout locateur qui consent à une clause de participation ne va pas rendre cette clause indépendante du contrat de location. S'il est mis fin au bail ou si le bail prend fin, le droit de participer aux profits futurs prend fin aussi. Cela explique la raison pour laquelle une clause de participation est insérée dans le bail et n'est pas rédigée comme un contrat accessoire.

[33]De l'aveu général, l'annulation de la clause de participation n'équivaut pas à l'annulation du bail, après quoi la propriété louée par le locataire est recédée au locateur, comme cela s'est produit dans Westfair Foods Ltd. c. Canada12. Le ministre et le juge de la Cour de l'impôt ont tous deux raison de soutenir que la clause de participation ne fait pas partie de la propriété à bail transférée à la contribuable par le locateur. Mais cette concession ne signifie pas que la clause de participation équivaut à un contrat "accessoire" ou "commercial", comme l'a maintenu le ministre et comme l'a effectivement admis le juge de la Cour de l'impôt.

[34]Le ministre ajoute que la rentrée de fonds en litige reflète simplement l'évaluation actuelle de revenus futurs recevables par la contribuable. Par conséquent, le ministre allègue qu'un paiement effectué en retour de l'abandon du droit à des profits futurs doit être imputable au revenu. Essentiellement, le ministre considère qu'une clause de participation équivaut à un contrat commercial ordinaire et donc que la règle de la substitution s'applique. Par conséquent, la somme de 9,25 millions de dollars reçue à titre d'indemnité pour l'annulation de la clause devrait être imposée de la même manière que le produit reçu au cours des années d'imposition 1981 à 1989. L'argument du ministre selon lequel le rachat n'a eu aucun effet sur les opérations commerciales normales de la contribuable vise à empêcher la contribuable de bénéficier de l'exception établie par l'arrêt Fleming et signalée précédemment. Cette exception ne peut s'appliquer que s'il peut être prouvé que l'annulation a eu des répercussions fondamentales sur l'entreprise du contribuable.

[35]En l'espèce, le rachat de la clause de participation n'a eu aucun effet sur les opérations commerciales normales de la contribuable. Il n'a pas non plus affecté le droit de la contribuable de rester en possession des locaux en vertu du bail. Sa fin n'a pas, par exemple, "paralysé" l'entreprise rentable de la contribuable au centre commercial d'Oshawa. Ainsi, je concède aisément que l'exception établie par l'arrêt Fleming ne s'applique pas au cas présent. Mais cette concession ne met pas fin à l'affaire, parce que je suis également d'avis que l'analogie faite au contrat commercial n'est pas appropriée.

[36]À mon humble avis, la clause de participation ne fait pas seulement partie intégrante du bail en question, mais elle influe aussi considérablement sur la valeur d'un bien immobilisé, à savoir une propriété à bail. Comme il est mentionné dans London and Thames Haven, la rentabilité d'un bien est un élément à prendre en considération pour déterminer sa valeur en capital. À cet égard, la clause de participation est intimement liée à un bien immobilisé et à sa valeur. Ce que le ministre a omis d'apprécier, c'est que le bail d'un locataire n'est pas seulement une obligation, comme il a été affirmé au cours de la plaidoirie. Un droit foncier représente également un bien immobilisé, dont la valeur dépend à la fois des modalités du bail et des conditions du marché. Par exemple, le locataire dont le loyer à verser équivaut à la moitié du taux du marché possède un bien de grande valeur qui peut être vendu par transfert, sous réserve de toute restriction protégeant les droits du locateur. De même, le bail qui contient une clause de participation est encore d'une plus grande valeur, tout particulièrement si le centre commercial devient rentable, comme dans le cas présent. Sinon, le locateur n'aurait pas été disposé à racheter la clause pour la somme de 9,25 millions de dollars.

[37]À mon humble avis, le rachat de la clause de participation a eu pour effet évident de réduire la valeur du bien immobilisé de la contribuable de 9,25 millions de dollars. C'est ce que la clause valait tant pour le locateur que pour la contribuable. Je ne vois pas pourquoi la Cour ne devrait pas admettre que l'indemnité payée pour la diminution de la valeur d'une propriété à bail est imputable au capital. L'annulation de la clause de participation a eu autant d'effets sur la valeur du droit foncier qu'en aurait eu un incendie qui aurait détruit partiellement les locaux. Puisque l'indemnité relative à une telle perte serait imputable au capital, ce devrait également être vrai dans le cas d'une perte volontaire découlant de l'annulation d'un droit contractuel qui fait partie intégrante d'un bien immobilisé.

[38]En fin de compte, il y a deux façons de voir pour établir si l'indemnité pour la perte de profits futurs découlant de l'annulation d'une clause de participation est imputable au revenu ou au capital. Si on recourt à celle du ministre, le rachat de la clause de participation remplace une source de revenu et elle est donc une rentrée de fonds. Selon celle de la contribuable, le rachat fait baisser la valeur d'un bien immobilisé pour lequel l'indemnité doit être considérée comme une rentrée de capital. N'eût été du fait que la clause de participation en question fait partie intégrante du bail, la façon de voir du ministre aurait été la seule acceptable.

[39]Je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens devant notre Cour et la Cour de juridiction inférieure, d'annuler la décision de la Cour canadienne de l'impôt en date du 24 juin 1996 et de renvoyer l'affaire au ministre pour qu'il établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que la somme de 9,25 millions de dollars était imputable au capital.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je suis d'accord.

Le juge Linden, J.C.A.: Je suis d'accord.

1 [1967] 2 All E.R. 124 (C.A.).

2 [1988] 2 C.T.C. 111 (C.F. 1re inst.).

3 Voir La Reine c. Golden et autres, [1986] 1 R.C.S. 209, aux p. 214 et 215.

4 [1995] 3 R.C.S. 103, à la p. 121.

5 Voir Ikea Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 196; et Mohawk Oil Co. c. Canada, [1992] 2 C.F. 485 (C.A.).

6 London and Thames Haven, précité, note 1, à la p. 134 (le lord juge Diplock).

7 Comparer Mohawk Oil Co. c. Canada, précité, note 5, où la question principale était de savoir si le produit équivalait à un "profit inattendu" non imposable.

8 [1988] 2 C.T.C. 120 (C.F. 1re inst.).

9 (1951), 33 T.C. 57 (Ct. of Sess.), aux p. 63 et 64.

10 Ikea Ltd., précité; Canderel Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147; et Toronto College Park Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 183.

11 [1997] 1 C.T.C. 2082 (C.C.I.), à la p. 2087.

12 [1991] 1 C.T.C. 146 (C.F. 1re inst.); conf. par [1991] 2 C.T.C. 343 (C.A.F.). Dans Westfair Foods, la Cour a statué que le paiement effectué pour la fin des deux baux de la contribuable était un "remboursement pour des biens immobilisés" et donc une rentrée de capital.

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