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[1997] 3 C.F. 601

A-343-96

Sa Majesté la Reine du chef du Canada (appelante) (défenderesse)

c.

Greif Containers Ltd. (intimée) (mise en cause)

et

Pakistan National Shipping Corporation (demanderesse)

et

Kuehne & Nagel International Ltd. (défenderesse)

et

Hunter Drums Limited (mise en cause)

Répertorié : Pakistan National Shipping Corp. c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Strayer et McDonald, J.C.A.—Ottawa, 8 et 30 avril 1997.

Droit maritime Transport de marchandises Appel d’une ordonnance de la Section de première instance radiant la demande en garantie contre l’intimée pour défaut de compétenceLa réclamation dans l’action principale découle du transport d’une cargaison d’huile de colza (canola)La cargaison a été endommagée pendant le voyage à cause de fûts défectueuxLa demande en garantie porte sur des déclarations inexactes faites avec négligence, selon lesquelles les fûts pouvaient supporter les contraintes d’un transport en merElle est entièrement liée à la compétence de la Cour en matière maritime et d’amirautéLes termes « maritime » et « amirauté » doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Demande en garantie fondée sur des fausses déclarations faites par l’intimée quant au caractère adéquat des fûts de plastique pour le transport d’huile de colza par merIl s’agit de savoir si la C.F. 1re inst. a compétence pour entendre cette demande en vertu de l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédéraleExamen de la jurisprudence concernant la compétence de la Cour fédérale en matière maritimeArrêt ITO appliquéLe fait que les fausses déclarations alléguées ont été faites à terre n’est pas suffisant pour établir le défaut de compétenceLa demande est entièrement liée à la compétence de la Cour en matière maritime et d’amirauté.

Il s’agit d’un appel d’une ordonnance de la Section de première instance radiant la demande en garantie de l’appelante contre l’intimée pour défaut de compétence. Dans l’action principale, la demanderesse, Pakistan National Shipping Corp. a poursuivi l’appelante et Kuehne & Nagel International Ltd. pour les dommages subis pendant le transport d’une cargaison d’huile de colza de Montréal à Karachi (Pakistan). On a allégué que les dépenses et les pertes de la demanderesse étaient attribuables à l’état défectueux des fûts de plastique contenant l’huile, plus particulièrement aux fuites, aux pertes de contenu et à l’affaissement des fûts pendant le voyage océanique. L’appelante a déposé une demande en garantie contre les fournisseurs des fûts, en alléguant qu’il y avait eu des déclarations inexactes quant au caractère approprié et adéquat des fûts pour le voyage en mer. En radiant la demande d’indemnisation, le juge des requêtes s’est appuyé sur l’arrêt ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre et a conclu que l’objet de la demande n’était pas entièrement lié aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien relevant de la compétence législative fédérale. La question en appel était de savoir si la Section de première instance avait compétence relativement à la demande en garantie en vertu de l’article 22 de la Loi sur la Cour fédérale.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Dans l’arrêt ITO, la Cour suprême du Canada a énoncé les conditions essentielles pour qu’une demande relève de la compétence de la Cour fédérale en matière maritime et d’amirauté. La Cour a conclu que la première condition, c’est-à-dire l’attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral, était respectée en raison du libellé général du paragraphe 22(1) de la Loi. En discutant de la définition de « droit maritime canadien », la Cour suprême a signalé qu’il était important de démontrer que la question examinée dans chaque cas est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale. La Cour a également déclaré que les termes « maritime » et « amirauté » doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau. Les réclamations formées contre l’appelante dans l’action principale sont indiscutablement des affaires maritimes. La demande en garantie de l’appelante est de nature délictuelle et s’appuie sur des déclarations inexactes faites avec négligence quant à la capacité des fûts de supporter les tensions et contraintes d’un voyage en mer. Le fait que les présumées déclarations inexactes aient pu être faites à terre n’établit pas de façon concluante l’absence de compétence. La cause de l’action délictuelle ne s’est pas matérialisée avant que la perte ou les dommages « s’ils sont prouvés—se soient produits après l’affaissement de certains fûts au cours du voyage en mer. Le fondement des réclamations de l’action principale pour les pertes subies du fait de l’affaissement des fûts de plastique arrimés dans la cale pendant le voyage au Pakistan était la capacité des fûts de supporter les conditions auxquelles serait soumis le navire. Se fondant sur les déclarations inexactes faites avec négligence par l’intimée, selon lesquelles les fûts de plastique qu’elle a fabriqués étaient suffisamment robustes pour supporter un voyage en mer, la demande en garantie est entièrement liée à la compétence de la Cour en matière maritime et d’amirauté. Les allégations de négligence dans la demande en garantie et la preuve par affidavit de l’appelante sont suffisantes aux fins de trancher la question de compétence.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte de l’Amirauté, 1891, S.C. 1891, ch. 29.

Loi d’amirauté, 1934, S.C. 1934, ch. 31.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1) « droit maritime canadien », 22(1),(2)i), 42.

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 22(2)m),n).

Loi sur le transport des marchandises par eau, L.R.C. (1985), ch. C-27, art. 2, ann., Art. IV, art. 2n), 3.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Q.N.S. Paper Co. c. Chartwell Shipping Ltd., [1989] 2 R.C.S. 683; (1989), 62 D.L.R. (4th) 36; 26 Q.A.C. 81; 101 N.R. 1; Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273; (1990), 77 D.L.R. (4th) 25; [1991] 2 W.W.R. 195; 52 B.C.L.R. (2d) 187; 120 N.R. 109; Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779; (1991), 80 D.L.R. (4th) 58; 123 N.R. 1; Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd. et autres, [1981] 1 R.C.S. 363; (1981), 121 D.L.R. (3d) 517; 35 N.R. 288; H. Smith Packing Corp. c. Gainvir Transport Ltd. (1989), 61 D.L.R. (4th) 489; 99 N.R. 54 (C.A.F.).

DÉCISIONS CITÉES :

Pakistan National Shipping Corp. c. Canada (1991), 50 F.T.R. 24 (C.F. 1re inst.); Domestic Converters Corporation c. Arctic Steamship Line, [1984] 1 C.F. 211 (1980), 46 N.R. 195 (C.A.F.).

DOCTRINE

Branch, Alan E. The Elements of Shipping. London : Chapman and Hall, 1977.

Coquillette, Daniel R. The Civilian Writers of Doctors Commons London, Berlin : Dunckee & Humblot, 1988.

Levack, Brian P. The Civil Lawyers in England, 1603-1641, Oxford : Clarendon Press, 1973.

Linden, Allen M. Canadian Tort Law, 5th ed. Toronto : Butterworths, 1993.

Owen, David R. et Michael C. Tolley. Courts of Admiralty in Colonial America, Durham, N.C. : Carolina Academic Press, 1995.

Tetley W. « The General Maritime Law—The Lex Maritima » (1994), 20 Syracuse J. Intl. L. and Com. 105.

Tetley, William. Marine Cargo Claims, 3rd ed. Montréal : Éditions Yvon Blais Inc., 1988.

Wiswall, F. L. The Development of Admiralty Jurisdiction and Practice since 1800, Cambridge University Press, 1970.

APPEL d’une ordonnance de la Section de première instance radiant la demande en garantie de l’appelante contre l’intimée pour défaut de compétence. Appel accueilli.

AVOCATS :

Robert B. Carter pour l’appelante (défenderesse).

David R. Rothwell pour l’intimée (mise en cause).

Andrew Deere pour Hunter Drums Limited.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante (défenderesse).

Beard, Winter, Toronto, pour l’intimée (mise en cause).

David F. H. Marler, Law Office, Montréal, pour Hunter Drums Limited.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté contre une ordonnance de la Section de première instance en date du 15 avril 1996, par laquelle une requête en vue de faire radier la demande en garantie de l’appelante à l’encontre de l’intimée a été accueillie au motif qu’elle ne relevait pas de la compétence de la Cour en matière maritime et d’amirauté.

La réclamation dans l’action principale

La réclamation intentée contre l’intimée dans l’action principale découle des circonstances suivantes. Par voie de déclaration déposée le 26 novembre 1990, Pakistan National Shipping Corp. a intenté une poursuite contre l’appelante et Kuehne & Nagel International Ltd., dans laquelle elle réclamait des dommages et intérêts et le remboursement de ses frais pour le transport d’une cargaison d’huile de colza (canola) raffinée sur son navire le N.M. Islamabad de Montréal à Karachi (Pakistan). L’intimée fabrique et distribue des contenants de plastique depuis son usine située en Ontario. Il ressort que l’intimée a vendu certains fûts dans lesquels l’huile a été expédiée aux fournisseurs de l’huile, et qu’aucun lien contractuel n’existait entre l’appelante et l’intimée à cet égard. La déclaration fait référence à une charte-partie entre Kuehne & Nagel et Approvisionnements et Services Canada, et à un connaissement qui aurait été délivré au nom du capitaine du navire après que le chargement a été terminé au port de Montréal le 26 novembre 1989, et dans lequel il est indiqué que les chargeurs sont le gouvernement du Canada et l’Agence canadienne de développement international (ACDI). Aucun de ces documents n’a été déposé devant la Cour. Selon les plaidoiries, le connaissement renferme les clauses suivantes :

[traduction] 1. Le présent connaissement est assujetti aux dispositions de la Loi sur le transport des marchandises par eau de 1936, adoptée par le Parlement du Dominion du Canada, qui est réputée être incorporée aux présentes; aucune clause des présentes ne peut s’interpréter comme une renonciation du transporteur à ses droits et exonérations ou comme une augmentation de ses responsabilités ou obligations en vertu de la Loi. Advenant l’incompatibilité de l’une des clauses du présent connaissement avec la Loi, cette clause est réputée nulle sans pour autant porter atteinte au reste du document.

Le présent connaissement est assujetti aux conditions et exceptions de la charte-partie en vigueur et en cas de conflit ou d’ambiguïté entre le connaissement et la charte-partie, les conditions et exceptions de la charte-partie auront priorité.

La déclaration allègue également qu’en septembre 1989 la demanderesse, par l’entremise de son agent Lillis Marine Agencies Ltd., a été invitée à fournir un prix marchandises aux conditions « lignes régulières » pour le transport de la cargaison précitée qui [traduction] « serait placée dans des fûts de résine de polyéthylène haute densité à poids moléculaire élevé, pesant chacun 444,5 livres brutes, de 94 cm (37 pouces) de haut par 59 cm (23 pouces) de diamètre ». La déclaration allègue ceci :

[traduction] 20. Le N.M. « Islamabad » a quitté Montréal le 29 novembre 1989, les responsables ayant exercé la diligence raisonnable pour mettre le navire en bon état de navigabilité à tous égards, convenablement armer, équiper et approvisionner le navire, et approprier et mettre en bon état les cales et toutes autres parties du navire dans lesquelles la cargaison est chargée pour la réception, le transport et la conservation de celle-ci.

21. Le 3 décembre 1989, pendant qu’il se trouvait dans l’Atlantique Nord, le navire « Islamabad » a traversé une zone de gros temps avec des vents de plus en plus violents. Afin de réduire les effets de ce gros temps, le navire a changé de cap et réduit sa vitesse, mais il a néanmoins commencé à rouler et à tanguer.

22. Les fûts d’huile de colza ont subi les effets des tensions et contraintes causées par le roulis et le tangage du navire; des fuites, des affaissements et des pertes de contenu se sont produits, créant des vides dans la cargaison et entraînant un effondrement ou un déplacement de la cargaison dans les cales.

23. En conséquence, les fûts d’huile de colza se sont déplacés latéralement dans les cales, nuisant à la stabilité du navire et provoquant une gîte importante qui a mis le navire en péril.

24. En raison de son instabilité dangereuse, le navire « Islamabad » a dû chercher refuge à Norfolk (Virginie) jusqu’à la fin du gros temps. Le navire a ensuite poursuivi sa route vers Charleston (Caroline du Sud) où il est arrivé le 6 décembre 1989. Par la suite, la demanderesse a pris toutes les mesures nécessaires pour réarrimer la cargaison des défendeurs et remettre le navire en état de poursuivre son voyage. Pour ce faire, la demanderesse a engagé des dépenses considérables et subi des pertes importantes.

25. À la fin du voyage et à l’arrivée du navire à Karachi, on s’est aperçu que d’autres fûts avaient coulé et s’étaient affaissés, et la demanderesse a engagé d’autres dépenses à Karachi à cause de la manutention supplémentaire qu’a nécessitée le déchargement des fûts défectueux, de même que le nettoyage du navire et des cales pour enlever les résidus d’huile de colza.

26. Les dépenses et les pertes de la demanderesse sont entièrement attribuables à l’état défectueux de la cargaison des défenderesses et plus particulièrement aux fuites, aux pertes de contenu et à l’affaissement des fûts pendant le voyage océanique dont les conditions, malgré leur gravité, n’étaient pas inhabituelles ou imprévisibles considérant la période de l’année et le parcours que doit emprunter un navire qui se rend de Montréal à Karachi.

27. Au début du voyage, la demanderesse ne connaissait pas et n’avait aucun moyen raisonnable de détecter l’état défectueux des fûts qui ont provoqué le déplacement de la cargaison qui a mis le navire en péril.

28. Comme en fait foi le connaissement, la défenderesse Sa Majesté la Reine du chef du Canada était et est le chargeur et le fournisseur de la cargaison précitée ou, à tout le moins, la partie intéressée dans la cargaison et, à ce titre, elle est responsable envers PNSC des dommages réclamés en vertu du droit maritime canadien.

30. Les défenderesses connaissaient, ou auraient dû connaître, l’état défectueux des fûts et sont, de toutes les façons, responsables envers la demanderesse des dépenses et des pertes que celle-ci a engagées et subies à cause de ces défectuosités.

L’acte de procédure énonce ensuite plusieurs chefs de dommages concernant les « dépenses et pertes » et la « perte de jouissance » du navire.

En temps opportun, soit le 27 février 1991, l’appelante a déposé sa défense et demande reconventionnelle dans laquelle elle nie, pour la majeure partie, les diverses allégations contenues dans la déclaration et prétend qu’une partie de la cargaison n’a pas été débarquée à Karachi. Elle nie en particulier [traduction] « que les fûts étaient défectueux » (paragraphe 25). Les paragraphes 37 à 39 de cette plaidoirie sont reproduits ci-dessous :

[traduction] 37. Le ou vers le 25 septembre 1989, la codéfenderesse Kuehne & Nagel International Ltée a conclu une charte-partie avec Approvisionnements et Services Canada pour le transport d’une cargaison d’environ 6 464 à 6 855 tonnes métriques nettes d’huile de colza raffinée en fûts du port de Montréal au port de Karachi (Pakistan).

38. Le ou vers le 29 novembre 1989, la demanderesse a délivré, par l’entremise de ses agents autorisés, le connaissement no 48 pour le chargement « net à bord » de 34 019 fûts de plastique contenant de l’huile de colza (canola) raffinée à bord du N.M. « Islamabad » à Montréal.

39. Les fûts utilisés pour le transport de l’huile de colza étaient des contenants réutilisables en polyéthylène moulé respectant la spécification 34 de la Commission canadienne des transports émise conformément aux exigences du Code maritime international des marchandises dangereuses et ils étaient donc, a fortiori, plus qu’adéquats pour le transport par mer de l’huile de colza.

La demande en garantie

Le 14 mai 1991, l’appelante a déposé une demande en garantie contre l’intimée et contre Hunter Drums Ltd., le fournisseur des autres fûts transportés à bord du navire. Les paragraphes 1 et 2 de cette plaidoirie sont rédigés dans les termes suivants :

[traduction] 1. Comme il ressort du dossier, la réclamation de la demanderesse à l’encontre des défenderesses porte sur les pertes ou dommages présumés résultant du transport par mer d’une cargaison partielle de fûts d’huile de colza raffinée qui ont été chargés à bord du navire de la demanderesse, le N.M. « Islamabad », à Montréal, le ou vers le 17 novembre 1989 et qui ont été déchargés à Karachi (Pakistan) le ou vers le 26 janvier 1990. Il est allégué que la demanderesse a engagé des dépenses et subi des pertes en raison de l’état défectueux des fûts composant la cargaison et plus particulièrement du fait des fuites, des pertes de contenu et de l’affaissement de ces fûts au cours du voyage en mer entre Montréal et Karachi.

2. La défenderesse Sa Majesté la Reine conteste la réclamation de la demanderesse pour les motifs qui sont exposés dans sa défense, mais au cas où sa responsabilité à l’égard de la demanderesse serait établie, la défenderesse réclame une indemnisation ou, subsidiairement, une exonération totale ou partielle de la part des tiers pour les motifs suivants :

a) pendant toute la période pertinente, la défenderesse s’est appuyée sur les déclarations des tiers concernant les qualités et la capacité des fûts de plastique, selon lesquelles ces fûts étaient des contenants appropriés, adéquats et sécuritaires pour le transport de l’huile par mer;

b) en outre, pendant toute la période pertinente, la défenderesse s’est appuyée sur les conseils et les déclarations des tiers indiquant que les fûts de plastique pouvaient être transportés sans être arrimés dans les cales d’un navire de charge, empilés à quatre fûts de haut sans aucun dommage;

c) la défenderesse s’est appuyée sur ces déclarations inexactes faites avec négligence pour énoncer les conditions faites à ses sous-traitants.

Le 23 décembre 1991, l’intimée a déposé une défense à la demande en garantie, dont le paragraphe 5 est reproduit ci-dessous :

[traduction] 5. Le tiers déclare que les fûts ont été fabriqués conformément à la spécification no 6 de l’ACDI, qu’ils ont passé avec succès toutes les procédures d’essai requises conformément à la spécification 34 de la CCT, qu’ils respectaient à tous égards la norme reconnue et qu’à leur sortie de l’usine du fabricant, ils étaient appropriés à la fin pour laquelle ils devaient être utilisés.

La requête en radiation

Le 1er juin 1995, l’intimée a déposé la requête en vue de faire radier la demande en garantie au motif que la Cour [traduction] « n’a aucune compétence ratione materiae, en vertu de l’article 22 de la Loi sur la Cour fédérale, concernant la procédure intentée contre elle ». En accueillant cette requête, le juge des requêtes a indiqué ce qui suit dans son ordonnance du 15 avril 1996 :

[traduction] ATTENDU QUE Sa Majesté la Reine réclame du tiers Greif Containers des dommages-intérêts pour cause de fausses déclarations en alléguant que celle-ci savait que l’ACDI avait l’intention d’utiliser les fûts pour le transport par navire et que le tiers a expressément déclaré que ces fûts respectaient les exigences et les normes applicables au transport de l’huile de colza par mer;

ET ATTENDU QUE l’arrêt ITOInternational Terminal Operators Limited c. Miida Electronics Inc. a statué que, pour que soit reconnue la compétence de la Cour à l’égard de la question dont elle est saisie, il doit être établi que cette question est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale. [Renvoi omis.]

Le juge des requêtes n’a pas autrement motivé sa décision.

À ce stade de l’instance, la Cour doit s’abstenir d’examiner le bien-fondé de la réclamation principale tout comme celui de la demande en garantie. Néanmoins, il convient de tenir compte de la preuve par affidavit qui a été déposée au soutien de la requête en radiation et à l’encontre de celle-ci. Cette façon de procéder est conforme à la méthode suivie par le juge Strayer (tel était alors son titre) dans Pakistan National Shipping Corp. c. Canada (1991), 50 F.T.R. 24 (C.F. 1re inst.), à la page 27.

Il ressort de la preuve qu’au cours de la première partie de la dernière décennie, le gouvernement du Canada s’est engagé dans un programme visant à mettre au point une norme de rendement pour le conditionnement des marchandises dangereuses transportées par conteneurs. À cette fin, les services de l’Office des normes générales du Canada (l’Office) ont été retenus pour élaborer la norme qui devait être compatible avec les normes internationales concernant le transport par modes divers, y compris par navire. Ces normes internationales comprenaient le « Code du chapitre 9 et le Code maritime international des marchandises dangereuses (ci-après MDG) des Nations Unies »[1]. Selon le dossier, le directeur général et un employé de longue date de l’intimée, Lowell Watson, a assisté aux réunions d’un sous-comité de l’Office qui avait le mandat d’élaborer la norme. En fait, M. Watson est devenu président du sous-comité dès la troisième réunion qui a eu lieu le 23 octobre 1981. En décembre 1987, l’Office a émis la norme CAN/CGSB-43.55-M87, intitulée [traduction] « Fûts réutilisables en polyéthylène, à dessus non amovible, sans suremballage (TC-34) ». La « portée » de la norme est énoncée au paragraphe 1.1 dans les termes suivants :

[traduction] 1.1 Cette norme s’applique à des conteneurs réutilisables en polyéthylène pour le transport des marchandises dangereuses. Elle indique les exigences en ce qui concerne la capacité, les matériaux, la construction, le rendement et le marquage.

L’affidavit de Jozef Tadeusz Lukaszewicz, qui était chef du Transport à la Direction des approvisionnements de l’ACDI à l’époque pertinente, a été déposé pour contester la requête en radiation. Les paragraphes 3 à 7 de cet affidavit sont les suivants :

[traduction] 3. M. Lowell Watson, de Greif Containers, a communiqué avec moi en 1985 et c’est par lui que j’ai appris l’existence de fûts de plastique. À cette époque, l’ACDI expédiait environ un million de tonnes métriques d’aide alimentaire par année dans des pays éloignés. Elle envoyait annuellement à Karachi environ 20 000 tonnes métriques d’huile végétale stockée dans des fûts en acier. Il y avait des pertes élevées, car les fûts en acier coulaient et arrivaient à destination percés et bosselés. M. Watson avait été informé de ces difficultés du fait de ses relations de travail avec Andrew Debicki qui était, à cette époque, agent des normes à l’Office des normes générales du Canada. M. Watson a déclaré que les fûts de plastique qui étaient fabriqués par Greif Containers représentaient une amélioration par rapport aux fûts en acier parce qu’ils respectaient les normes reconnues par les Nations Unies pour le transport des marchandises dangereuses.

4. Parce que les fûts de plastique respectaient les normes des Nations Unies pour le transport des marchandises dangereuses, l’ACDI s’est dit intéressée à délaisser les fûts en acier en faveur des fûts de plastique pour le transport de l’huile végétale. Les trois fabricants de fûts connus à cette époque, soit Hunter Drums Ltd., Greif Containers Inc. et Anchor Plastics Ltd., ont été invités à participer et ont effectivement participé à des réunions, à des entretiens et à des essais avec l’ACDI. La participation d’Anchor Plastics a été limitée comparativement à celle de Hunter et de Greif, qui ont joué un rôle actif pendant toute l’étape de l’élaboration.

5. Ces réunions avaient pour but de dissiper les préoccupations de l’ACDI concernant l’arrimage des fûts de plastique. Nous avons discuté des spécifications des fûts et plus particulièrement de leurs dimensions, de leur disponibilité, des possibilités de gerbage, de leur robustesse et de leur facilité d’utilisation du point de vue du transport, et du prix. L’intention était de mettre au point une norme que l’industrie pourrait respecter.

6. Nous nous préoccupions particulièrement de la capacité de production des fabricants. Nos envois annuels exigeaient un très grand nombre de fûts qui dépassait la capacité de production des fabricants à cette époque. Il fallait établir un délai suffisamment long pour permettre aux fabricants d’augmenter leur capacité combinée de production et de nous livrer les fûts à temps pour le chargement du navire. Le délai exigé par les fabricants déterminerait la date à laquelle ASC rendrait public son appel d’offres.

7. La première réunion a eu lieu le 17 septembre 1985, et les trois fabricants mentionnés ci-dessus y assistaient. La pièce A jointe à mon affidavit est une copie de la lettre en date du 9 septembre 1985 accompagnée de l’ordre du jour qui a été envoyé aux trois fabricants. À cette réunion, et pendant les nombreuses discussions avec les fabricants de fûts, il a été clairement établi que les fûts devaient être appropriés pour le transport par navire sur de longues distances. Sinon, l’ACDI n’avait aucun intérêt à délaisser ses fûts en acier pour des fûts de plastique.

L’auteur de l’affidavit indique au paragraphe 8 que l’ACDI a retenu les services d’un consultant [traduction] « pour poser des questions précises, compiler les renseignements et aider à la rédaction de la spécification de l’ACDI ». Dans sa lettre du 9 septembre 1985, invitant les fabricants de fûts à participer à la réunion du 17 septembre 1985, l’ACDI indiquait ceci : [traduction] « Il est temps de nous réunir et de discuter des détails pour assurer la plus grande uniformité possible du conditionnement de nos envois futurs ». Une lettre en date du 25 novembre 1985, concernant [traduction] « les fûts de plastique pour l’ACDI », envoyée par le consultant de l’ACDI aux fabricants, indique notamment ceci :

[traduction] Nous aimerions avoir plus de renseignements sur d’autres caractéristiques importantes, notamment :

a) la quantité de fûts pouvant être empilés les uns sur les autres sans risque de déformation ou de fissuration, la durée de l’empilement et les températures recommandées,

c) le mode d’arrimage des fûts de plastique, s’il diffère de celui utilisé pour les fûts de métal.

Les paragraphes 18 à 20 de l’affidavit de Lukaszewicz sont les suivants :

[traduction] 18. La spécification no 6 de l’ACDI a été adoptée par l’ACDI en 1987 comme norme de conditionnement de l’huile, par suite des déclarations faites par les fabricants de fûts. La spécification incorpore par renvoi la spécification 34 de la Commission canadienne des transports (CCT), qui est une norme de conception des fûts de plastique. En outre, les fûts sont censés respecter la norme de rendement de l’Office des normes générales du Canada (ci-après ONGC) CAN/CGSB 43.55-M87. Des copies des normes CTC 34 et CAN/CGSB 43.55-M87 sont jointes à la pièce H de mon affidavit.

19. Pendant toute la période pertinente, les fabricants de fûts, y compris Greif Containers et Hunter Drums, connaissaient très bien l’usage que l’ACDI comptait faire des fûts, et ils savaient plus particulièrement que les fûts seraient principalement utilisés pour le transport de l’huile par navire.

20. Pendant toute la période pertinente, j’ai moi-même, au nom de l’ACDI, au même titre que d’autres agents de l’ACDI, fait entièrement confiance aux connaissances générales et spécialisées et à l’expérience des fabricants de fûts pour nous conseiller sur l’appropriation des fûts au transport par mer.

Les paragraphes 1, 3 et 4 de la « spécification no 6 de l’ACDI », intitulée « Spécification relative au marquage et au conditionnement (ACDI)—Huiles comestibles (canola) » de janvier 1987, sont pertinents. Ils sont rédigés dans les termes suivants :

[traduction] 1. Conditionnement

Dans des fûts d’une capacité de 208 à 220 litres, faits de résine de polyéthylène haute densité à poids moléculaire élevé (voir NOTE ci-dessous), à dessus non amovible, muni d’un anneau de levage et de manutention moulé par injection sur le dessus du fût; couleur Resco blanc M350 (voir le nuancier de Resco), ou l’équivalent.

Les fûts doivent respecter à tous égards la spécification 34 de la Commission canadienne des transports (CCT) pour les conteneurs réutilisables en polyéthylène moulé, munis de deux (2) bouchons inviolables de 5 cm (2 po); un avec filetage NPT, et un avec filet trapézoïdal avec un renfort central de 19 mm (3/4 po); capuchons d’étanchéité en métal apposés sur chaque fermeture.

Dimensions du fût : hauteur 92.0±1.5 cm (36½±½ po), diamètre 58.5±1.0 cm (23±½ po).

NOTE Un contenu canadien minimal de 80 % est exigé pour les matières premières.

3. Palettes

Chevrons entaillés (Figure 1), entrée quatre sens, un seul voyage, palettes de bois dur, dimensions 122 x 122 cm (48 x 48 po).

4. Palettisation

Fûts placés sur des palettes et sanglés sous le premier anneau des fûts avec une sangle de 19 mm (3/4 po) en nylon ou l’équivalent. Il est interdit de placer les fûts en porte-à-faux[2].

Dans son propre affidavit, M. Watson nie avoir fait les déclarations qui lui sont attribuées ou celles qui sont attribuées à l’intimée pendant la période d’élaboration de la spécification no 6 de l’ACDI et il précise que [traduction] « ni Greif ni moi-même n’avons prétendu être des spécialistes dans le transport des marchandises et particulièrement dans le transport des fûts de plastique ». Il reconnaît avoir participé à deux réunions avec l’ACDI au nom de l’intimée, mais il affirme que la participation de l’intimée était [traduction] « uniquement sur une base volontaire », qu’on lui a [traduction] « demandé d’assister à la réunion à cause de ses connaissances spécialisées dans la fabrication des fûts de plastique », et que la participation de l’intimée et sa propre participation [traduction] « ont été limitées et avaient trait uniquement à la conception et à la fabrication des fûts de plastique et rien d’autre ».

Dispositions législatives

La question de savoir si la Section de première instance a compétence concernant la demande en garantie dans les circonstances précitées dépend de l’interprétation de divers articles de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, (la Loi), qui confère à la Cour une compétence en matière maritime et d’amirauté. Le paragraphe 22(1) et l’alinéa 22(2)i) sont rédigés dans les termes suivants :

22. (1) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas—opposant notamment des administrés—où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), la Section de première instance a compétence dans les cas suivants :

i) une demande fondée sur une convention relative au transport de marchandises à bord d’un navire, à l’usage ou au louage d’un navire, notamment par charte-partie;

L’expression « droit maritime canadien » est définie au paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1] de la Loi dans les termes suivants :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« droit maritime canadien » Droit—compte tenu des modifications y apportées par la présente loi ou par toute autre loi fédérale—dont l’application relevait de la Cour de l’Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction de l’Amirauté, aux termes de la Loi sur l’Amirauté , chapitre A-1 des Statuts révisés du Canada de 1970, ou de toute autre loi, ou qui en aurait relevé si ce tribunal avait eu, en cette qualité, compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté.

L’article 42 de la Loi dispose comme suit :

42. Le droit maritime canadien en vigueur au 31 mai 1971 continue à s’appliquer, sous réserve des modifications éventuelles par la présente loi ou toute autre loi.

JURISPRUDENCE

Dans l’arrêt de principe ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, concernant une réclamation pour marchandises volées dans un hangar après leur déchargement d’un navire au port de Montréal, la Cour suprême du Canada a énoncé les trois conditions essentielles qui doivent être réunies pour conclure qu’une réclamation relève de la compétence de la Cour fédérale en matière maritime et d’amirauté. Ces trois conditions sont énoncées à la page 766 :

1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

3. La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

La Cour suprême a statué que le libellé général du paragraphe 22(1) de la Loi permettait de conclure à l’attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral. Traitant de la deuxième des trois conditions, le juge McIntyre, s’exprimant au nom de la majorité, indique ce qui suit à la page 769 :

Pour décider si la deuxième condition est remplie, il faut déterminer si le droit maritime canadien ou une autre loi du Canada se rapportant à une matière quelconque relevant de la catégorie ou du sujet que constituent la navigation et les expéditions par eau sont essentiels à la solution du litige et constituent le fondement de l’attribution légale de compétence.

Il a divisé la définition de l’expression « droit maritime canadien » en deux catégories en indiquant qu’il s’agit du droit [à la page 769] :

(1)  dont l’application relevait de la Cour de l’Échiquier du Canada, en sa juridiction d’amirauté, en vertu de la Loi sur l’Amirauté ou de quelque autre loi; ou

(2)  qui en aurait relevé si cette cour avait eu, en sa juridiction d’amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté.

Aux pages 769 à 772, il déclare que la première partie de la définition inclut le droit anglais qui a été introduit au Canada en 1891 quand l’Acte de l’Amirauté, 1891, S.C. 1891, ch. 29, a été adopté, et le droit qui a été reçu en 1934 quand la Loi d’amirauté, 1934, S.C. 1934, ch. 31, a été adoptée. En discutant de la deuxième partie de la définition, le juge McIntyre déclare ce qui suit à la page 774 :

Je suis d’accord pour dire que la compétence historique des cours d’amirauté est importante pour déterminer si une demande particulière est une matière maritime au sens qu’en donne la définition du droit maritime canadien que l’on trouve à l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Je n’irais pas cependant jusqu’à limiter la définition de matière maritime et d’amirauté aux seules demandes qui cadrent avec ces limites historiques. Une méthode historique peut servir à éclairer, mais ne saurait autoriser à limiter. À mon avis, la seconde partie de la définition que donne l’art. 2 du droit maritime canadien a été adoptée afin d’assurer que le droit maritime canadien comprenne une compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté. À ce titre, elle constitue une reconnaissance légale du droit maritime canadien comme ensemble de règles de droit fédérales portant sur toute demande en matière maritime et d’amirauté. On ne saurait considérer ces matières comme ayant été figées par la Loi d’amirauté, 1934. Au contraire, les termes « maritime » et « amirauté » doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau. En réalité, l’étendue du droit maritime canadien n’est limitée que par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867. Je n’ignore pas, en tirant cette conclusion, que la cour, en déterminant si une affaire donnée soulève une question maritime ou d’amirauté, doit éviter d’empiéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une matière d’une nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils ou toute autre question qui relève essentiellement de la compétence exclusive de la province en vertu de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il est donc important de démontrer que la question examinée dans chaque cas est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale. [Non souligné dans l’original.]

Il ajoute ce qui suit à la page 776 :

Ayant conclu que la demande formée par Miida contre ITO relève du droit maritime canadien, la question du contenu de ce droit sur le plan du fond se pose ensuite. Le droit maritime canadien, en tant qu’ensemble de règles de fond, englobe les principes du droit maritime anglais élaborés et appliqués par la Cour d’amirauté d’Angleterre (La Reine c. Canadian Vickers Ltd., précité, et la jurisprudence qui y est citée, pp. 683 et 684). En 1934, lorsque, comme je l’ai déjà noté, un ensemble de règles de droit maritime d’Angleterre a été incorporé dans le droit canadien, la Haute Cour de justice, en sa juridiction d’amirauté, pouvait connaître des affaires contractuelles et délictuelles considérées comme des affaires en matière d’amirauté. En examinant ces affaires, la cour a appliqué les principes de common law en matière délictuelle et contractuelle nécessaires à la résolution des points litigieux. Les règles de common law en matière de négligence, par exemple, étaient appliquées dans les affaires d’abordage (« Cuba » (The) v. McMillan (1896), 26 R.C.S. 651, aux pp. 661 et 662) et E. Mayers, Admiralty Law and Practice in Canada (1916), à la p. 146). Les principes en matière de dépôt ont été appliqués dans les affaires de perte de cargaison (« Winkfield » (The), [1902] P. 42 (C.A.)). Ainsi, l’ensemble de règles de droit maritime qui a été emprunté à l’Angleterre pour constituer le droit maritime canadien englobait à la fois les règles et principes spéciaux en matière d’amirauté et les règles et principes puisés dans la common law et appliqués aux affaires d’amirauté selon que ces règles et principes ont été, et continuent d’être, modifiés et élargis dans la jurisprudence canadienne. (Voir, par exemple, l’arrêt de cette Cour Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd., [1981] 1 R.C.S. 363, où les principes de common law en matière de négligence et de droit des contrats ont été utilisés pour résoudre le pourvoi.)

En s’appuyant sur cette analyse, le juge McIntyre a jugé que les deuxième et troisième conditions étaient remplies, et il conclut dans les termes suivants à la page 777 :

Le droit maritime canadien est donc cet ensemble de règles de droit fédérales existantes qui est essentiel à la solution de l’espèce et qui constitue le fondement de la compétence attribuée à la Cour fédérale par l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale. Ainsi, la seconde condition nécessaire pour conclure que la Cour fédérale a compétence se trouve remplie. La troisième condition, savoir que la loi en question soit une loi du Canada au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, est aussi remplie du fait que le droit maritime canadien et les autres lois qui portent sur la navigation et les expéditions par eau relèvent du par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, confirmant ainsi la compétence législative fédérale.

L’importance de l’opinion du juge McIntyre dans l’arrêt ITO, précité, a été soulignée par le juge La Forest, s’exprimant au nom de la majorité, dans l’arrêt Q.N.S. Paper Co. c. Chartwell Shipping Ltd., [1989] 2 R.C.S. 683 et, au nom de la Cour, dans Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273, et par le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la majorité, dans Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779. Dans l’arrêt Chartwell, précité, aux pages 695 à 697, le juge La Forest formule les observations suivantes concernant le contenu du « droit maritime canadien » :

Il est certain que l’évolution du droit d’amirauté anglais, dont dérive une partie considérable du droit maritime canadien, doit beaucoup à la tradition civiliste. Au début, la common law n’était pas dotée des outils nécessaires pour traiter de questions relevant des domaines commercial et maritime, de sorte que les cours d’amirauté, quand elles étaient appelées à statuer sur des litiges en matière maritime, appliquaient des principes conçus sur le continent. Les cours d’amirauté étaient en fait présidées par des civilistes. N’oublions toutefois pas que ces cours, à l’instar d’autres tribunaux anglais spécialisés, devaient lutter constamment pour résister au pouvoir toujours croissant des tribunaux de common law, et leur compétence en matière civile ordinaire est devenue extrêmement étroite et circonscrite. En particulier, elles n’avaient pas compétence relativement aux affaires en cette matière qui avaient pris naissance dans les limites du royaume; voir Mersey Docks Harbour Board v. Turner (TheZeta), [1893] A.C. 468 (H.L.), aux pp. 481 et suiv. C’étaient surtout les tribunaux de common law qui en étaient saisis, même si elles soulevaient des questions de caractère maritime. Avec la rationalisation du système judiciaire anglais vers la fin du XIXe siècle, la compétence en matière d’amirauté a été transférée à la division d’amirauté de la Haute Cour, mais toutes les autres divisions de cette cour peuvent exercer la même compétence : voir Administration of Justice Act, 1928 (R.-U.), 18 & 19 Geo. 5, ch. 26, art. 6.

C’est cet amalgame qui a été incorporé dans le droit maritime canadien. Le juge McIntyre, dans l’arrêt ITO, examine en détail la méthode employée par la Cour de l’Échiquier et ensuite par la Cour fédérale pour appliquer les principes de common law relatifs aux contrats, à la responsabilité délictuelle et au dépôt pour résoudre des questions d’amirauté (voir notamment la p. 776), ainsi que la compétence actuelle de la Cour fédérale. Je n’ai donc pas l’intention de répéter ce qu’il a dit. Qu’il suffise de mentionner que le juge McIntyre s’est fondé particulièrement sur l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale, qui définit le « droit maritime canadien » comme comprenant non seulement le droit dont l’application relevait anciennement de la Cour de l’Échiquier en sa juridiction d’amirauté, mais aussi le « droit […] qui en aurait relevé si cette cour avait eu, en sa juridiction d’amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté » (p. 769). Cette dernière partie de la définition engloberait toutes les réclamations en matière maritime et n’a pas été figée par la compétence préexistante en matière d’amirauté. Elle a pour effet d’incorporer le droit maritime d’Angleterre en tant qu’ensemble uniforme de règles de droit fédérales (p. 779).

C’est à la lumière de cette analyse que notre Cour à la majorité a conclu dans l’affaire ITO que le droit maritime canadien englobait les principes de common law en matière de responsabilité délictuelle, de contrats et de dépôt. À ceux-ci j’ajouterais le mandat, à supposer que ce soit vraiment un ajout, car on ne se rend jamais aussi clairement compte de l’unité du droit que lorsqu’on examine l’interaction entre les domaines des contrats, du mandat et de la responsabilité délictuelle, sans parler du dépôt. En fait, il s’agit en l’espèce d’une action découlant d’un contrat, la question en litige étant de savoir si le mandataire est lié par ce contrat. Un bon nombre des décisions citées par mon collègue dans son exposé de la position en common law relativement au problème précis qui se pose en l’espèce ont été rendues en matière maritime. Cela n’est guère surprenant parce que, comme je l’ai déjà mentionné, il y a des siècles que ces affaires maritimes relèvent de la compétence des tribunaux de common law. Les règles de droit élaborées dans ces affaires font maintenant partie du droit maritime uniforme fédéral ou canadien. [Non souligné dans l’original.]

Plusieurs ouvrages modernes[3] reconnaissent également l’influence qu’ont eue sur l’élaboration du droit d’amirauté anglais les principes de droit civil appliqués sur le continent et les anciens codes, coutumes et usages des gens de mer et des nations maritimes.

Dans l’affaire Monk, précitée, le fournisseur de marchandises transportées à bord d’un navire réclamait à l’acheteur le paiement de l’excédent de produit livré, des surestaries et du prix de location de grues ayant servi au déchargement du navire. Aucun lien contractuel n’existait entre la défenderesse et le transporteur maritime. Les réclamations étaient fondées sur une entente conclue par télex le 11 octobre 1985, entre le fournisseur et l’acheteur concernant l’expédition d’un engrais qui a été transporté au Canada à bord du navire en novembre 1985 en vertu d’un contrat de transport. Le juge Iacobucci note, à la page 796, que l’entente conclue par télex incluait « des engagements … qui ont trait à un contrat de transport maritime » puisque le fournisseur était tenu notamment d’affréter un « navire à mâts de charge » et que l’acheteur avait convenu de décharger la cargaison et d’être responsable de la surestarie. Toutefois, il ajoute à la page 797 qu’« il ne suffit pas de démontrer l’existence d’engagements de caractère maritime, encore faut-il prouver que les revendications elles-mêmes sont entièrement liées aux affaires maritimes ». À son avis, qu’il exprime à la page 799, « l’activité sous-jacente visée par les demandes … est le déchargement de la cargaison, dont Island était responsable en raison des aspects de l’entente entre les parties propres au contrat de transport et possédant un caractère maritime ». À la page 800, il ajoute ce qui suit :

Le caractère maritime des demandes n’est pas atténué du fait que Monk était le vendeur de l’urée et Island l’acheteur, sans qu’il y ait aucun lien de droit contractuel entre Island et les propriétaires du Super Spirit. Island a assumé une obligation maritime—le déchargement de la cargaison—relativement à la vente et à l’achat de l’urée. C’est cette obligation de nature maritime qui est le fondement des demandes de Monk. Les parties peuvent assumer des obligations maritimes régies par le droit maritime bien qu’elles puissent ne pas être formellement parties à une charte-partie ou même à un contrat de transport maritime. Ce qui importe pour que les demandes ressortissent au droit maritime, c’est qu’elles soient entièrement liées aux affaires maritimes. [Non souligné dans l’original.]

Une cause antérieure, Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd. et autres, [1981] 1 R.C.S. 363, fournit un autre exemple d’une situation où la Cour a conclu qu’une demande en garantie ressortissait à la compétence en matière maritime et d’amirauté de la Cour fédérale. Dans cette affaire, la défenderesse réclamait une indemnisation pour la perte en mer d’un chaland servant au transport de billes alors qu’il était remorqué, cette perte étant survenue à la suite de la rupture du câble de remorquage et de l’échouement du chaland. La preuve tendait à établir que le câble de remorquage s’était brisé à l’attache du câble principal. Il était clair que la Cour fédérale avait compétence pour connaître des réclamations dans l’action principale découlant de la charte-partie et d’un contrat de touage, étant donné que ces réclamations ressortissaient au « droit maritime canadien ». La question qui se posait était de savoir si la demande en garantie fondée sur l’allégation selon laquelle l’attache avait cédé parce qu’elle avait été endommagée et affaiblie par la négligence de la tierce partie qui avait procédé au remboîtement du câble relevait de la compétence en matière maritime et d’amirauté de la Cour fédérale. En concluant que tel était le cas, le juge McIntyre fait observer à la page 377 que les réclamations dans l’action principale sont fondées sur le remboîtement du câble et que celui-ci est une pièce de l’équipement du remorqueur—un « bâtiment de mer impliqué dans le sinistre maritime qui est à l’origine de cette action ». Il fait observer que le paragraphe 22(1) de la Loi donne un énoncé général de la compétence, et que les alinéas 22(2)m) et n) confèrent à la Cour une compétence particulière concernant toute demande relative à des marchandises, fournitures ou services fournis à un navire pour son exploitation ou son entretien, et toute demande née d’un contrat relatif à la construction, à la réparation ou à l’équipement d’un navire. Il conclut dans les termes suivants à la page 379 :

Je suis par conséquent d’avis que les réclamations contre Wire Rope relèvent du droit maritime canadien défini à la Loi sur la Cour fédérale. Je suis convaincu que le droit positif concernant ces réclamations relève du pouvoir législatif fédéral aux termes du par. 91.10 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique puisqu’elles se rapportent à la navigation et aux bâtiments ou navires. Il existe par conséquent un droit canadien se rapportant aux questions soulevées en l’espèce sur lequel la Cour fédérale exerce sa compétence.

La présente Cour, dans H. Smith Packing Corp. c. Gainvir Transport Ltd. (1989), 61 D.L.R. (4th) 489, a conclu qu’elle avait compétence pour connaître d’une demande en garantie se fondant sur des allégations de déclarations inexactes faites avec négligence à l’égard des conditions de transport de marchandises par eau du Canada vers la Jamaïque et de la couverture d’assurance souscrite par les propriétaires du navire. À la page 494, le juge Desjardins, J.C.A., s’exprimant au nom de la Cour, s’est dit d’avis que « c’est l’existence du contrat de transport par mer qui a donné lieu aux déclarations » et que « n’eût été de ce contrat, ces déclarations n’auraient jamais été faites ». En concluant ainsi, elle s’est appuyée sur les trois conditions essentielles à la reconnaissance de la compétence de la Cour en matière maritime et d’amirauté énoncées par le juge McIntyre dans l’arrêt ITO, précité.

Analyse

Il n’est pas contesté que les réclamations formées contre l’appelante dans l’action principale sont des affaires maritimes. Ces réclamations se fondent sur l’expédition par eau, en vertu d’un contrat de transport, de fûts d’huile de colza dont l’appelante aurait dû savoir qu’ils étaient défectueux. La demande en garantie de l’appelante est de nature délictuelle et s’appuie sur des déclarations inexactes faites avec négligence quant à la capacité des fûts de supporter les tensions et contraintes d’un voyage en mer.

À mon avis, le fait que les présumées déclarations inexactes puissent avoir été faites à terre n’établit pas de façon concluante l’absence de compétence. La cause de l’action délictuelle, si elle peut être établie, ne s’est pas matérialisée avant que la perte ou les dommages—s’ils sont prouvés—se soient produits après l’affaissement de certains barils au cours du voyage en mer[4]. Dans l’arrêt Whitbread, précité, aux pages 1288 et 1289, le juge La Forest, se référant à la déclaration de principe susmentionnée du juge McIntyre dans ITO, précité, à la page 779, déclare que « la responsabilité délictuelle dont il est question dans un contexte maritime est régie par un ensemble de règles de droit maritime relevant de la compétence exclusive du Parlement ». À la page 1292, il rejette l’opinion qui avait été exprimée par la présente Cour dans Domestic Converters Corporation c. Arctic Steamship Line, [1984] 1 C.F. 211 à la page 244, selon laquelle il « serait contraire à toute la tradition en matière de compétence en amirauté sur les délits maritimes de conclure qu’un délit commis à terre est une affaire maritime ».

La thèse de la demanderesse est la suivante : les pertes réclamées ont été subies parce que [traduction] « des fuites, des affaissements et des pertes de contenu se sont produits, créant des vides dans la cargaison » et entraînant [traduction] « un effondrement ou un déplacement de la cargaison » (paragraphe 22), ce qui, en retour, a eu pour effet de déplacer les fûts dans la cale [traduction] « provoquant une gîte importante qui a mis le navire en péril » (paragraphe 23); en sa qualité de chargeur, l’appelante est responsable des dommages de la demanderesse [traduction] « en vertu du droit maritime canadien » (paragraphe 28) et, finalement, l’appelante est coupable de négligence parce qu’elle [traduction] « connaiss[ait], ou aur[ait] dû connaître, l’état défectueux des fûts » (paragraphe 30). Toute la thèse de la demanderesse, à ce qu’il semble, repose sur l’allégation que les fûts d’huile de colza transportés à bord du navire étaient d’une façon ou d’une autre défectueux.

Il ressort des plaidoiries de la demanderesse que le connaissement qui a été délivré par le transporteur devait être assujetti à la loi canadienne qui y est mentionnée et aux conditions de la « charte-partie en vigueur ». D’après l’article 2 de cette loi, les Règles énoncées dans l’annexe (les Règles de La Haye) s’appliquent « au transport de marchandises par navires entre un port canadien et toute autre destination ». Comme le signale l’appelante, le paragraphe 2 de l’article IV des Règles de La Haye libère le transporteur et le navire de toute responsabilité pour les pertes ou dommages résultant ou provenant d’un certain nombre de circonstances incluant « une insuffisance d’emballage », et le paragraphe 3 du même article fait implicitement porter au chargeur la responsabilité de tout « acte, faute ou négligence » de cette partie à un contrat de transport par eau[5]. L’appelante s’appuie sur l’exonération relative à « l’insuffisance d’emballage » pour faire valoir que les parties à un contrat de transport de marchandises par eau sont conscientes du rôle de l’emballage dans la sécurité du transport. Il n’est pas rare que les cargaisons se composent de marchandises emballées, et lorsque cela se produit, le chargeur est tenu de les emballer selon une méthode normalement ou habituellement utilisée dans l’industrie[6]. A. E. Branch, dans son ouvrage The Elements of Shipping[7], dit ceci aux pages 151 et 152 :

[traduction] La méthode d’emballage dépend principalement de la nature des marchandises et du mode de transport envisagé pour le voyage. Il existe d’autres facteurs accessoires, notamment l’usage qui sera fait de l’emballage lorsque les marchandises arriveront à destination, la valeur des marchandises (des marchandises de peu de valeur sont moins bien emballées que des marchandises de grande valeur); toutes les exigences douanières ou légales devant être respectées; la facilité de manutention (l’emballage de marchandises de dimensions irrégulières dans des cartons ou dans des caisses peut faciliter la manutention); les conditions de marketing; la fragilité du produit, les variations de température pendant le voyage; la taille de la cargaison et son poids et, en particulier, le fait qu’un emballage volumineux fasse vraisemblablement augmenter le poids de la cargaison au point de rendre les marchandises hors de prix sur le marché; les installations disponibles dans les ports (certains ports n’ont pas l’équipement hautement mécanisé pour la manutention de la cargaison ou des entrepôts bien aménagés); le type et la taille des conteneurs; et finalement, l’à-propos d’indiquer sur l’emballage toute information pertinente.

Par conséquent, l’emballage n’est pas seulement conçu comme une forme de protection pour réduire les risques de dommages pouvant être causés aux marchandises pendant le transport, mais aussi pour prévenir les vols. Bien entendu, il est essentiel de veiller non seulement à ce que le type adéquat d’emballage soit utilisé, mais également la bonne qualité et la bonne forme de conteneur. [Non souligné dans l’original.]

Dans l’arrêt Monk, précité, le juge Iacobucci, souscrivant aux motifs du juge Hugessen, J.C.A., conclut à la page 797 que ce qu’il appelle les « facteurs de liaison » avec le droit maritime dans cette affaire « sont considérablement plus forts que ceux que l’on trouve dans l’arrêt ITO ». Mais je le répète, il ne suffit pas de démontrer l’existence d’engagements de caractère maritime, « encore faut-il prouver que les revendications elles-mêmes sont entièrement liées aux affaires maritimes » plutôt que d’être liées de cette façon à la vente des marchandises. Les demandes de paiement de l’excédent de produit livré, des surestaries et du prix de location des grues étaient toutes liées au déchargement du navire, et elles avaient leur « fondement » ou leur « source » dans les engagements prévus au contrat de transport conclu entre le chargeur et l’acheteur. De même, dans l’arrêt Wire Rope, précité, le « fondement » des réclamations dans l’action principale était le remboîtement du câble utilisé par le remorqueur pour être en mesure d’offrir des services de touage.

La présente affaire concerne une réclamation découlant d’une entente ayant trait au transport de marchandises par mer. Même s’il ne convient pas de se prononcer sur le bien-fondé de la réclamation à ce stade, le dossier indique que l’intimée n’était pas partie à cette entente ni directement impliquée dans l’exécution de celle-ci. Par ailleurs, il ressort du dossier que l’intimée a contacté l’ACDI en 1985 après avoir été informée des pertes subies par l’ACDI dans ses expéditions annuelles d’huile de colza au Pakistan dans des fûts en acier, et qu’elle a alors déclaré à l’ACDI que ses fûts de plastique « représentaient une amélioration par rapport aux fûts en acier » parce qu’ils respectaient les normes internationales reconnues. Le dossier laisse également entendre que pendant toute la période pertinente l’intimée « [connaissait] très bien l’usage que l’ACDI comptait faire des fûts, et … [elle savait] plus particulièrement que les fûts seraient principalement utilisés pour le transport de l’huile par navire ». Il fait également ressortir que les responsables de l’ACDI ont « fait entièrement confiance aux connaissances générales et spécialisées et à l’expérience » de l’intimée pour les « conseiller sur l’appropriation des fûts au transport par mer ». Il semble donc que le fondement des réclamations de l’action principale pour les pertes subies du fait de l’affaissement des fûts de plastique arrimés dans la cale pendant le voyage au Pakistan était la capacité des fûts de supporter les conditions auxquelles serait soumis le navire. Il convient de noter que la demande en garantie se fonde sur les déclarations inexactes faites avec négligence par l’intimée selon lesquelles les fûts de plastique qu’elle a fabriqués étaient suffisamment robustes pour supporter un voyage en mer. Elle ne se fonde pas sur la simple fourniture de fûts défectueux par le tiers aux fournisseurs des marchandises qui ont par la suite été transportées dans ces fûts à bord du navire. À mon avis, la demande en garantie est entièrement liée à la compétence de la Cour en matière maritime et d’amirauté. Cette compétence, comme le souligne le juge McIntyre dans l’arrêt ITO, précité, n’est pas « figée par la Loi d’amirauté, 1934 » et les termes « maritime » et « amirauté » doivent être interprétés « dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau ». Cette opinion est partagée par le juge Iacobucci dans l’arrêt Monk, précité, où il déclare ce qui suit aux pages 800 et 801 :

Finalement, je dirais que les demandes de Monk ont un caractère maritime et qu’elles n’empiètent d’aucune façon sur ce qui constitue, « de par son caractère véritable », une matière qui relève de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. À mon sens, les prétentions avancées en l’espèce ne trouvent pas leur fondement ni leur source dans les conventions du télex adressé par Monk à Island qui tiennent de la vente de marchandises, et, par conséquent, elles ne ressortissent pas à la propriété et aux droits civils ni à aucune autre rubrique de l’art. 92.

Je tiens aussi à ajouter que ma façon d’aborder cette question correspond au point de vue du juge McIntyre lorsqu’il dit que les termes « maritime » et « amirauté » doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau, et qu’ils ne doivent pas être statiques ou figés. On devrait plutôt pouvoir adapter ces termes selon l’évolution des circonstances sans être prisonniers du carcan des classifications doctrinales rigides ou des limites historiques excessives. [Non souligné dans l’original.]

Avant de régler le présent appel, j’aimerais faire quelques observations sur deux points qui ont été soulevés par l’intimée. Premièrement, elle a fait valoir qu’aucune preuve n’avait été versée au dossier pour appuyer l’allégation de déclaration inexacte qui pourrait permettre à la Cour de se prononcer sur la question de compétence. Cependant, il me semble que les allégations de négligence dans la demande en garantie et la preuve par affidavit de l’appelante sont en elles-mêmes suffisantes à cet égard. La preuve par affidavit n’établit pas clairement à mon avis que les fausses déclarations alléguées n’ont pas été faites. Deuxièmement, d’après l’intimée, la réclamation ne serait pas valide de toute façon parce que la spécification no 6 de l’ACDI, qui incorpore la norme TC-34 de décembre 1987 selon les termes du paragraphe 1, ne peut s’appliquer que si la cargaison a été palettisée avant son transport par eau, comme l’exige le paragraphe 3 de la spécification. Étant donné que cet argument ne concerne pas directement la question de la compétence, il est préférable de ne pas se prononcer définitivement sur ce point. Cela dit, il n’est pas aussi clair que la spécification no 6 ne s’applique pas aux fûts qui n’ont pas été palettisés. Le paragraphe 4 de cette spécification fait référence à des « fûts placés sur des palettes et sanglés ». Cette formulation pourrait appuyer l’opinion selon laquelle, lorsque des fûts sont expédiés sur des palettes, ils doivent être sanglés les uns avec les autres, plutôt que l’opinion selon laquelle, pour que la spécification no 6 s’applique, les marchandises doivent toujours être expédiées sur des palettes. Il ne s’agit pas d’une question qui peut ou devrait être résolue dans le cadre du présent appel, alors que la preuve est peut-être incomplète. Cette question devra attendre d’être débattue devant le juge de première instance, qui en décidera au vu de toute la preuve pertinente.

Je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens et d’infirmer l’ordonnance de la Section de première instance.

Le juge Strayer, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] Dossier d’appel, vol. 1, à la p. 98.

[2] La « figure 1 » est placée immédiatement après le texte du par. 3.

[3] Voir par ex., F. L. Wiswall, The Development of Admiralty Jurisdiction and Practice since 1800 (Cambridge : University Press, 1970); B. P. Levack, The Civil Lawyers in England, 1603-1641 (Oxford : Clarendon Press, 1973); D. R. Coquillette, The Civilian Writers of Doctors Commons London (Berlin : Duncker & Humblot, 1988); D. R. Owen et M. C. Tolley, Courts of Admiralty In Colonial America (Durham, N.C. : Carolina Academic Press, 1995). Voir également W. Tetley, « The General Maritime Law—The Lex Maritima » (1994), 20 Syracuse J. Int. L. and Com. 105.

[4] Voir A. M. Linden, Canadian Tort Law, 5e éd. (Toronto : Butterworths, 1993), aux p. 94 et 95.

[5] Cette loi est maintenant la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.R.C. (1985), ch. C-27, art. IV, alinéa 2n) et par. 3 de l’annexe qui sont rédigées dans les termes suivants :

2. Ni le transporteur ni le navire ne seront responsables pour perte ou dommage résultant ou provenant :

n) d’une insuffisance d’emballage;

3. Le chargeur ne sera pas responsable des pertes ou dommages subis par le transporteur ou le navire et qui proviendraient ou résulteraient de toute cause quelconque sans qu’il y ait acte, faute ou négligence du chargeur, de ses agents ou de ses préposés.

[6] Voir W. Tetley, Marine Cargo Claims, 3e éd. (Montréal : Éditions Yvon Blais Inc., 1988), à la p. 491.

[7] Londres : Chapman and Hall, 1977.

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