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T-639-97

Petro-Canada (appelante)

c.

2946661 Canada Inc. et Le registraire des marques de commerce (intimés)

Répertorié: Petro-Canadac. 2946661 Canada Inc.(1re inst.)

Section de première instance, juge Teitelbaum" Ottawa, 2 septembre et 6 novembre 1998.

Marques de commerce Enregistrement Appel de la décision du registraire rejetant l'opposition à la demande d'enregistrement de la marque de commercePetro-Québecen vue d'un emploi au Canada en liaison avec desstations-service pour automobilistes— — L'appelante est propriétaire de la marque de commercePetro-Canadaassociée aucarburant et [à] la distribution/mise en marché de produits pétroliers— — Le registraire a conclu à l'absence de confusion entre les marquesIl a commis une erreur en évaluant les faitsLes marques de commerce de l'appelante sont très bien connues au Canada et la marque de commerce de l'intimée n'est pas connuePreuve selon laquelle des tiers ont adopté, en vue d'un usage au Québec, des noms commerciaux où le motCanadaest remplacé parQuébec— — Article de journal portant sur le commerce de stations-service Petro-Québec mais décrivant l'établissement comme une station-service Petro-CanadaPreuve montrant qu'il existe un risque raisonnable de confusionLa marque Petro-Canada étant si bien connue au Canada en liaison avec des stations-service, on tiendrait pour acquis qu'une station-service Petro-Québec appartient ou est affiliée à l'appelanteL'appelante et l'intimée appartiennent au même secteur d'activité ou à des secteurs d'activité semblablesL'intimée ne s'est pas acquitttée de la charge de prouver l'absence de risque de confusionIl y a lieu de trancher les affaires d'opposition en fonction des faits qui sont propres à chaque affaireLe registraire a commis une erreur de droit en disant devoir se conformer au principe du stare decisis, et suivre des décisions de la Cour de l'Échiquier et de la Section de première instance de la Cour fédérale.

L'appelante a interjeté appel de la décision du registraire des marques de commerce la déboutant de son opposition à la demande d'enregistrement de la marque de commerce "Petro-Québec" présentée par l'intimée en vue d'un emploi au Canada en liaison avec des "stations-service pour automobilistes". L'appelante est propriétaire entre autres de la marque de commerce "Petro-Canada" associée au "carburant et [à] la distribution/mise en marché de produits pétroliers". Le registraire a fondé sa décision sur le jugement rendu dans l'affaire Imperial Oil Limited c. Superamerica Stations Inc. et a conclu que même s'il y avait lieu de trancher en fonction des faits qui sont propres à chaque affaire, il ne ressortait pas de la preuve que les "circonstances particulières" de l'exploitation d'une station-service diffèrent aujourd'hui de ce qu'elles étaient lorsque la décision Superamerica a été rendue. Il a dit qu'il devait se conformer au principe du "stare decisis" et est arrivé à la conclusion que "Petro-Québec" ne créait pas de confusion avec "Petro-Canada".

Il s'agissait de décider si le registraire a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas de risque raisonnable de confusion entre les marques de commerce "Petro-Québec" et "Petro-Canada".

Jugement: l'appel doit être accueilli.

Le registraire a commis une erreur de droit en disant qu'il devait se conformer au principe du stare decisis. Il n'est pas tenu d'appliquer ce principe si, comme il le dit dans sa décision, chaque cause doit être décidée au mérite, surtout les causes d'opposition.

La Cour doit éviter de substituer mon propre jugement à celui du registraire et un poids important doit être accordé à la décision de ce fonctionnaire appelé, "au cours de son travail quotidien", à rendre des décisions comme celle rendue en l'espèce. Cependant, si comme c'est le cas en l'occurrence, le registraire a commis une erreur de droit, la Cour a la compétence voulue pour examiner la preuve et déterminer si la conclusion tirée à partir des faits mis en preuve est fondée ou non.

Le registraire a commis une erreur en évaluant les faits. Les marques de commerce de l'appelante étaient très bien connues au Canada et la marque de commerce de l'intimée n'était pas connue. Le registraire était par ailleurs saisi d'une preuve selon laquelle des tiers ont adopté, en vue d'un usage au Québec, de noms commerciaux où le mot "Canada" est remplacé par "Québec" et d'une preuve relative à des demandes d'enregistrement au Canada de paires de marques de commerce où les mots "Québec" et "Canada" se substituent l'un à l'autre. Le registraire disposait en outre d'un article de journal portant sur le commerce de stations-service Petro-Québec de l'intimée mais décrivant l'établissement comme une station-service Petro-Canada. La marque Petro-Canada étant si bien connue au Canada en liaison avec des stations-service, on tiendrait pour acquis qu'une station-service Petro-Québec appartient ou est affiliée à l'appelante. C'est ce qui ressort de l'article de journal. Bell Canada est un exemple d'entreprise qui emploie le nom commercial Bell Québec pour sa filiale au Québec. On peut donc conclure que Petro-Québec serait considérée comme une entreprise affiliée ou appartenant à Petro-Canada, ou contrôlée par celle-ci. Vu la preuve factuelle, il existait un risque raisonnable de confusion.

De plus, l'appelante et l'intimée appartiennent au même secteur d'activité ou à des secteurs d'activité très semblables pour ce qui est de la vente de produits pétroliers, ce qui ne peut qu'entraîner une confusion. L'intimée ne s'est pas acquittée de la charge qui lui incombait d'établir l'absence de risque que l'enregistrement de la marque de commerce "Petro-Québec" ne crée dans l'esprit du consommateur moyen une confusion avec la marque "Petro-Canada".

lois et règlements

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 7, 30 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 64; 1994, ch. 47, art. 198), 50 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 69).

jurisprudence

décisions appliquées:

Lander Co. Canada Ltd. c. Alex E. Macrae & Co. (1993), 46 C.P.R. (3d) 417; 62 F.T.R. 71 (C.F 1re inst.); 101482 Canada Inc. c. Registraire des marques de commerce, [1985] 2 C.F. 501; (1985), 6 C.I.P.R. 222; 7 C.P.R. (3d) 289 (1re inst.); Benson & Hedges (Canada) Limited c. St. Regis Tobacco Corporation, [1969] R.C.S. 192; (1968), 1 D.L.R. (3d) 462; 57 C.P.R. 1; 39 Fox Pat. C. 207.

décisions examinées:

Imperial Oil Ltd. v. Superamerica Stations Inc., [1967] 1 R.C.É. 489; The Wool Bureau of Canada, Ltd. c. Queenswear (Canada) Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 11 (C.F. 1re inst.).

APPEL de la décision du registraire des marques de commerce selon laquelle la marque de commerce "Petro-Québec" proposée par l'intimée en vue d'un emploi au Canada en liaison avec des "stations-service pour automobilistes" ne risquait pas de créer de la confusion avec la marque de commerce "Petro-Canada" de l'appelante associée au "carburant et [à] la distribution/mise en marché de produits pétroliers". Appel accueilli.

ont comparu:

Michael E. Charles pour l'appelante.

Georges T. Robic pour l'intimée 2946661 Canada Inc.

Personne n'a comparu pour l'intimé le registraire des marques de commerce.

avocats inscrits au dossier:

Bereskin & Parr, Toronto, pour l'appelante.

Léger Robic Richard, Montréal, pour l'intimée 2946661 Canada Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Teitelbaum:

INTRODUCTION

L'appelante, Petro-Canada, a interjeté appel de la décision du registraire des marques de commerce datée du 7 février 1997 la déboutant de son opposition à la demande no 689,257.

FAITS

Le 16 septembre 1991, un prédécesseur de l'intimée, Garage Bourbonnière Ltée, a présenté une demande d'enregistrement de la marque de commerce "Petro-Québec" en vue d'un emploi au Canada en liaison avec des "stations-service pour automobilistes". La demande a fait l'objet d'une annonce dans le Journal des marques de commerce le 27 janvier 1993, et l'appelante s'y est opposée le 23 mars suivant.

L'appelante est propriétaire des marques de commerce déposées suivantes:

Marque de commerce    No enr.    Marchandises/services

PETRO-CANADA    354,921    carburant/distribution et

          mise en marché de

          produits pétroliers

PETRO-CANADA & Dessin    352,720    carburant/distribution et

          mise en marché de

          produits pétroliers

PETRO-CANADA & Dessin    352,719    carburant/distribution et

          mise en marché de

          produits pétroliers

PETRO-CANADA & Dessin    324,646    carburant aviation

PETRO-CANADA & Dessin    324,645    carburant aviation

PETRO-CANADA & Dessin    393,165    huile de chauffage/distri-

          bution de carburant

PETRO-CANADA PRECISION    391,117    graisses

PETRO-CANADA SUPREME    335,438    lubrifiants

PETRO-CANADA & Dessin    372,378    services de mise au point

PETROCAN    210,802    essence, huile à moteur,

          pièces et accessoires

          d'automobile

PETROCAN    355,170    carburants, fluides, pneus

PETROCAN    395,110    brûleurs de fournaise

PETROCAN PLUS    393,166    fournaises et humidifica-

          teurs de systèmes de           chauffage

À l'appui de son opposition, l'appelante a soutenu que 1) la marque de commerce n'est pas enregistrable, car à la date du dépôt de la demande ou à la date de l'opposition, ou aux deux dates, elle créait de la confusion avec les marques de commerce déposées de l'appelante; 2) l'intimée n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la marque de commerce, parce que, à la date de dépôt de la demande, sa marque de commerce créait de la confusion avec les marques de commerce et le nom commercial de l'appelante; 3) la marque de commerce de l'intimée n'est pas distinctive puisqu'elle prête à confusion avec les marques de commerce et le nom commercial de l'appelante; et 4) la demande de l'intimée ne satisfait pas aux exigences de l'article 30 de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), ch. T-13 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 64; 1994, ch. 47, art. 198)], parce que les services ne sont pas décrits dans les termes ordinaires du commerce et la marque de commerce de l'intimée porte atteinte aux droits que confèrent à l'appelante ses marques de commerce déposées, ainsi que l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce et la common law.

L'appelante a par ailleurs demandé l'autorisation de modifier sa déclaration d'opposition pour alléguer que la marque de commerce de l'intimée n'est pas distinctive du fait qu'elle a été employée par un tiers, Garage Bourbonnière Ltée. Le registraire a refusé de la lui accorder.

Le registraire des marques de commerce a rejeté l'opposition de l'appelante. Premièrement, le registraire conclut que la demande de l'intimée décrit les services dans les termes ordinaires du commerce (c.-à-d. "stations-service pour automobilistes"). Deuxièmement, il dit ne pas pouvoir se prononcer sur le caractère distinctif en fonction du non-respect de l'article 50 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 69] de la Loi sur les marques de commerce , car cette disposition n'est pas invoquée dans la déclaration d'opposition et l'autorisation de modifier celle-ci a été refusée à l'appelante. Troisièmement, le registraire conclut que la requérante [intimée] avait l'intention d'employer sa marque. L'appelante avait fait valoir que la marque véritablement employée est composée des mots "Petro-Québec", d'une fleur de lis et de lignes horizontales blanches sur fond bleu. Elle soutient que c'est cette marque composée, et non les mots qui en font partie, qui définit la marque de l'intimée. Le registraire conclut que "Petro-Québec" est le seul mot compris dans la marque employée, de sorte que l'emploi de la marque composée peut être considéré comme l'emploi du mot lui-même.

Les autres motifs d'opposition sont liés à la question de savoir si "Petro-Québec" crée de la confusion avec la marque de l'appelante. Le registraire indique que les dates pertinentes à cet égard sont celle de sa décision concernant l'absence d'enregistrabilité de la marque, celle du dépôt de la déclaration d'opposition quant au motif fondé sur l'absence de caractère distinctif et celle du dépôt de la demande pour ce qui est de l'inadmissibilité à l'enregistrement. Il conclut que l'issue de l'affaire ne dépend aucunement de la détermination des dates pertinentes. Il ajoute qu'il incombe à l'intimée d'établir qu'il n'y aucun risque raisonnable de confusion entre les deux marques.

Le registraire arrive à la conclusion que le caractère distinctif inhérent à la marque de l'appelante et à celle de l'intimée est peu prononcé, ces marques étant employées en liaison avec la fabrication et la vente de produits pétroliers et le suffixe indiquant le lieu géographique où les services sont offerts. Cependant, il conclut que la marque de l'appelante est davantage connue que celle de l'intimée et que l'appelante utilise sa marque depuis plus longtemps que l'intimée n'utilise la sienne. En outre, l'appelante appartient au même secteur d'activité que l'intimée.

Le registraire signale que le préfixe "Petro" est à l'origine de la ressemblance entre les marques, mais que son importance est diminuée du fait qu'il se rapporte aux services offerts par les parties. L'appelante fait valoir que certaines entreprises ont adopté en vue de leur emploi au Québec des noms commerciaux et des marques de commerce dans lesquels "Canada" est remplacé par "Québec". Elle soutient donc que les stations-service de l'intimée seraient considérées à tort comme appartenant à une filiale ou à une division de l'appelante ou comme étant exploitées aux termes d'une licence octroyée par celle-ci ou avec son autorisation. Le registraire conclut, à partir de dix des paires de marques de commerce tirées du registre, qu'il est impossible, à cause de l'absence d'illustration, de déterminer si les mots employés constituent un élément important ou insignifiant de la marque. Quant aux quatre autres paires de marques de commerce, il conclut que seulement deux d'entre elles illustrent la substitution alléguée et que, en tout état de cause, rien n'indique que cette pratique est courante dans le secteur pétrolier.

Enfin, le registraire examine la jurisprudence et fonde sa décision sur le jugement rendu dans l'affaire Imperial Oil Ltd. v. Superamerica Stations Inc., [1967] 1 R.C.É. 489 et, plus précisément, sur les propos tenus par le juge Cattanach dans The Wool Bureau of Canada, Ltd. c. Queenswear (Canada) Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 11 (C.F. 1re inst.) relativement à l'affaire Superamerica, précitée (aux pages 19 et 20):

Il signale que ce qu'on entend est le son des lettres "S" et "O" mais le mot écrit "Esso" est plus familier et il est vu en même temps qu'il est prononcé. En outre la marque de commerce s'adresse à une catégorie précise de consommateurs, l'automobiliste canadien, et on a signalé que les points de vente importants de ce produit sont les stations-service qui vendent en exclusivité les produits d'une seule société pétrolière et qu'il n'existe que très peu de ces grandes sociétés pétrolières. Il y en a environ sept qui dominent le marché. Le juge en chef a mentionné les marques Shell, B.P., Esso, B.A. (maintenant GULF)"et j'ajouterais Texaco, Fina et Sunoco. À l'aide de nombreux moyens de publicité, ces marques sont maintenant notoirement connues. L'automobiliste ordinaire, par habitude, a choisi la société dont il achète les produits et lorsqu'il a besoin de faire le plein il arrête à une station-service de cette société.

Ce sont les particularités de ce commerce qui ont amené le juge en chef à conclure, compte tenu de toutes les circonstances, que la marque de commerce projetée, "S.A." dont on demandait l'enregistrement, même employée en liaison avec des marchandises identiques, ne créerait pas une confusion avec la marque de commerce déposée "ESSO". Le fait que la marque "ESSO" était notoirement connue d'une catégorie particulière de consommateurs et qu'il y avait un nombre limité de distributeurs qui exploitaient leur commerce de la même façon sont tous des éléments dont le juge en chef a tenu compte pour arriver à sa conclusion.

Le registraire conclut que même s'il y a lieu de trancher en fonction des faits qui sont propres à chaque affaire, il ne ressort pas de la preuve que les circonstances particulières de l'exploitation d'une station-service diffèrent aujourd'hui de ce qu'elles étaient lorsque la décision Superamerica, précitée, a été rendue. Il arrive donc à la conclusion que "Petro-Québec" ne crée pas de confusion avec la marque "Petro-Canada" de l'appelante.

En guise de conclusion, le registraire formule les observations suivantes:

Bien sûr, chaque cause doit être décidée au mérite, surtout les causes d'opposition où une myriade de circonstances, chacune ayant une importance relative, contribue à déterminer les risques de confusion entre les marques. Toutefois, rien n'indique en l'espèce que les circonstances particulières du commerce des stations-service, discutées plus haut, sont aujourd'hui différentes de ce qu'elles étaient il y a trente ans lorsque l'affaire Superamerica a été décidée.

Compte tenu de ce qui précède, et parce que je dois m'en tenir aux choses décidées, je conclus que la marque PETRO-QUÉBEC pour laquelle un enregistrement est demandé ne crée pas de confusion avec la marque PETRO-CANADA de l'opposante.

Par conséquent, l'opposition est rejetée. [Non souligné dans l'original.]

Je souligne les mots "et parce que je dois m'en tenir aux choses décidées" (and keeping in mind that I am bound by the principle of stare decisis ) (voir version anglaise de la décision, onglet 5, volume 1, page 00039 du mémoire de l'appellante).

Je suis d'avis que le registraire a commis une erreur de droit en faisant l'observation qui précède. Si, comme il le dit dans sa décision, "chaque cause doit être décidée au mérite, surtout les causes d'opposition", comment le principe du stare decisis peut-il s'appliquer? Je suis convaincu que le registraire n'est pas tenu d'appliquer ce principe.

QUESTIONS EN LITIGE

Dans ses observations écrites, l'appelante énonce comme suit les questions en litige.

[traduction] La principale question en litige aux fins du présent appel est de savoir si le registraire a commis une erreur de fait et de droit en concluant qu'il n'y avait pas de risque de confusion entre la marque de commerce PETRO-QUÉBEC de l'intimée employée en liaison avec des "stations-service pour automobilistes" et la famille de marques de commerce PETRO-CANADA et PETROCAN de l'appelante associée au carburant et à la distribution/mise en marché de produits pétroliers.

Les questions en litige connexes sont les suivantes:

a) Le registraire a-t-il commis une erreur de droit en concluant que, suivant le principe du stare decisis, il faut établir que certaines circonstances factuelles reconnues comme étant propres au commerce des stations-service il y a plus de 30 ans par la Cour de l'Échiquier dans l'affaire Imperial Oil Limited c. Super America Stations Inc., précitée, existent encore de nos jours.

b) En conséquence, le registraire a-t-il commis une erreur en n'examinant pas convenablement la preuve.

c) Le registraire a-t-il commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de la preuve relative à la pratique commerciale consistant à adopter une paire de noms commerciaux et de marques de commerce où les mots "Québec" et "Canada" se substituent l'un à l'autre.

d) Le registraire a-t-il commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de la preuve relative à un cas de confusion réelle entre les marques PETRO-CANADA et PETRO-QUÉBEC.

La deuxième principale question en litige est de savoir si la demande d'enregistrement de la marque de commerce PETRO-QUÉBEC de l'intimée devrait être rejetée pour absence de caractère distinctif étant donné que l'emploi par un licencié ne satisfait pas aux exigences de l'article 50 de la Loi sur les marques de commerce. Le registraire ne s'est pas prononcé sur ce motif bien qu'il ait été invoqué par l'appelante. Il a refusé d'autoriser la modification de la déclaration d'opposition pour y ajouter ce motif, comme l'indiquent le paragraphe 6 des motifs d'appel et le paragraphe 3 de l'exposé des faits importants.

La troisième question en litige est de savoir si la demande de l'intimée devrait être rejetée parce que les marchandises et les services visés (stations-service pour automobilistes) ne sont pas décrits dans les termes ordinaires du commerce comme l'exige l'alinéa 30a).

ANALYSE

Quelle est la compétence de la Section de première instance de la Cour fédérale lorsqu'elle est appelée à se prononcer en appel sur une décision du registraire des marques de commerce?

Je crois qu'il est bien établi en droit que la Section de première instance de la Cour fédérale ne doit pas substituer son jugement à celui du registraire, à moins que ce dernier n'ait commis une erreur d'interprétation du droit ou de la jurisprudence applicable ou que ne soient produits en appel des éléments de preuve nouveaux et importants dont le registraire n'a pas tenu compte pour rendre sa décision. En règle générale, la Cour doit à prime abord accorder du poids à la décision du registraire.

Dans la présente affaire, aucune preuve nouvelle n'a été présentée. Aucune des parties n'a produit quelque élément de preuve nouveau; un poids important devrait donc être accordé à la décision du registraire.

Dans la décision Lander Co. Canada Ltd. c. Alex E. Macrae & Co. (1993), 46 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau dit ce qui suit à la page 419:

Qu'il me soit permis de préciser au départ que la circonspection incombe à cette Cour quand elle touche à la décision du registraire. En effet, il est bien établi par la jurisprudence que la Cour ne peut intervenir que si, compte tenu des faits, elle est convaincue sans l'ombre d'un doute du caractère erroné de la conclusion du registraire. Comme l'a fait remarquer le juge Strayer dans la décision Kellogg Salada Canada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd. (1987), 14 C.P.R. (3d) 133, à la p. 135, 11 C.I.P.R. 1, 9 F.T.R. 136 (C.F. 1re inst.):

[. . .] j'estime [. . .] que la Cour devrait hésiter à infirmer la décision du registraire ou du président à moins qu'elle ne soit clairement convaincue qu'il a tiré une conclusion erronée sur les faits ou à moins qu'on ne produise devant la Cour des éléments de preuve nouveaux et importants dont le registraire n'a pas été saisi. (Soulignement ajouté.)

Dans la décision 101482 Canada Inc. c. Registraire des marques de commerce, [1985] 2 C.F. 501 (1re inst.), à la page 504, le juge Joyal dit:

Dans de telles circonstances, un tribunal doit hésiter à substituer son propre jugement à celui du registraire des marques de commerce à moins qu'il se trouve au dossier des éléments de preuve sur lesquels le registraire ne se serait pas penché, ou que le registraire aurait mal interprété la Loi ou la jurisprudence ou que, dans son ensemble, il est juste et bon que le tribunal intervienne. Inutile de dire qu'un tribunal doit, prima facie, porter un certain respect à une décision du registraire.

Dans l'arrêt Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corporation, [1969] R.C.S. 192, le juge Ritchie, aux motifs duquel les juges Martland [et Hall ont] souscrit, dit ce qui suit aux pages 199 et 200:

[traduction] J'estime que pour déterminer si une marque de commerce crée de la confusion au sens de l'art. 6 de la Loi il y a lieu de trancher judiciairement une question de fait pratique, à l'exclusion de tout exercice du pouvoir discrétionnaire par le registraire.

[. . .]

À mon avis, la décision du registraire sur la question de savoir si une marque de commerce crée de la confusion doit être considérée comme étant d'un grand poids et la conclusion d'un fonctionnaire qui, au cours de son travail quotidien doit rendre des décisions sur ce point et sur d'autres questions connexes en vertu de la Loi ne doit pas être rejetée à la légère, mais, comme l'a dit M. le juge Thorson, alors président de la Cour de l'Échiquier, dans l'affaire Freed and Freed Limited. c. Le Registraire des marques de commerce et autre ([1950] R.C.É. 431, à la p. 437, 11 Fox Pat. C. 50, 14 C.P.R. 19, [1951] 2 D.L.R. 7):

[. . .] la confiance dans la décision du registraire à l'effet que deux marques sont semblables au point de créer de la confusion ne peut aller jusqu'à affranchir le juge qui entend un appel de cette décision de l'obligation de décider la question en tenant dûment compte des circonstances de l'affaire.

Il ressort de ces décisions que je dois éviter de substituer mon propre jugement à celui du registraire des marques de commerce et qu'un poids important doit être accordé à la décision de ce fonctionnaire appelé, "au cours de son travail quotidien", à rendre des décisions comme celle rendue en l'espèce.

Cependant, si j'arrive à la conclusion, comme c'est le cas en l'occurrence, que le registraire a commis une erreur de droit, j'ai la compétence voulue pour examiner l'ensemble de la preuve et déterminer si la conclusion tirée à partir des faits mis en preuve est fondée ou non.

J'ai énoncé les faits que j'estime pertinents en l'espèce. Il m'incombe dès lors de déterminer si le registraire des marques de commerce a commis une erreur lorsqu'il a conclu qu'il ne pouvait y avoir de confusion entre les marques de commerce "Petro-Québec" et "Petro-Canada".

Dans sa décision, le registraire énumère les motifs d'opposition de l'appelante à l'enregistrement de la marque de commerce Petro-Québec de l'intimée.

Le premier moyen d'opposition allègue que la marque dont l'enregistrement est demandé n'est pas enregistrable parce qu'elle crée de la confusion avec l'une ou l'autre des marques déposées de l'opposante. L'opposante allègue dans sa déclaration d'opposition que la "distribution et mise en marché de produits pétroliers" inclut l'exploitation de stations-service pour véhicules automobiles. L'enregistrement no 352,720 est simplement constitué des mots PETRO-CANADA en caractère gras. L'opposante décrit l'enregistrement no 352,719, illustré plus bas, comme étant constitué des mots PETRO-CANADA et du dessin d'une demie feuille d'érable, et je ferai de même.

    (dessin)

    Enr. no 352,719

Même si aucun des enregistrements de l'opposante ne porte sur la couleur comme telle, l'enregistrement no 352,719 tel qu'il est employé comporte toujours une demie feuille d'érable blanche sur fond rouge, les mots PETRO-CANADA étant en noir. De plus, les principales couleurs utilisées dans la présentation des postes d'essence de l'opposante sont le blanc et le rouge. Comme les mots PETRO-CANADA constituent l'élément dominant de l'enregistrement no 352,719, je considère que l'emploi de la marque composée constitue un emploi des mots PETRO-CANADA en soi: voir la décision Nightingale Interloc v. Prodesign Ltd. (1984), 2 C.P.R. (3d) 535, à la p. 538 (COMC). Par souci de commodité, je désignerai donc les enregistrements nos  354,921, 352,720 et 352,719 collectivement sous le nom de marque PETRO-CANADA de l'opposante.

Les deuxième et troisième moyens d'opposition portent que la requérante n'est pas la personne admise à l'enregistrement de la marque PETRO-QUÉBEC parce que, à la date à laquelle la demande a été déposée, la marque en question créait de la confusion avec les marques de l'opposante mentionnées plus haut, ainsi qu'avec son nom commercial et sa dénomination sociale, à savoir PETRO-CANADA, ainsi qu'avec son ancien nom commercial et dénomination sociale, à savoir PETRO-CANADA INC. Un quatrième moyen d'opposition porte que la marque PETRO-QUÉBEC dont l'enregistrement est demandé n'est pas distinctive des services de la requérante parce qu'elle crée de la confusion avec les marques et les noms commerciaux et dénominations sociales de l'opposante mentionnés plus haut. Le cinquième moyen d'opposition porte que la demande ne respecte pas l'article 30 de la Loi sur les marques de commerce, parce que l'expression française "stations-service pour automobilistes" ne décrit pas les services de la requérante dans les termes ordinaires du commerce. En outre, l'opposante allègue que la demande ne respecte pas l'article 30 parce que [traduction ] "l'emploi de la marque de commerce PETRO-QUÉBEC violerait les droits conférés à l'opposante par ses marques déposées", et "violerait les droits de l'opposante garantis par l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce et par la common law. . ." Enfin, le dernier moyen d'opposition porte que la demande ne respecte pas l'article 30 parce que la requérante [traduction ] "n'avait pas l'intention d'employer la marque exacte dont l'enregistrement était demandé, et de fait ne l'a pas employée".

Après examen des éléments de preuve produits par les parties, le registraire rejette l'opposition de l'appelante. Ce faisant, il refuse de se prononcer quant à savoir si l'emploi de la marque Petro-Québec par le prédécesseur en titre Garage Bourbonnière Ltée constituait un emploi faisant l'objet d'une licence aux fins de l'article 50 de la Loi sur les marques de commerce. Voici ce que dit le registraire à la page 4 de sa décision:

Toutefois, la question du respect de l'article 50 n'a pas été plaidée par l'opposante dans sa déclaration d'opposition, et celle-ci s'est vu effectivement refuser la permission de modifier sa déclaration pour ajouter cet argument: voir la décision de la Commission en date du 24 janvier 1996. Je ne suis donc pas compétent pour statuer sur la question du caractère distinctif de la marque dont l'enregistrement est demandé (le quatrième moyen d'opposition) pour le motif que l'article 50 n'aurait pas été respecté: voir la décision Imperial Developments Ltd. v. Imperial Oil Limited (1984), 79 C.P.R. (2d) 12 (COMC).

Lorsque l'avocat de l'appelante a soulevé cette question devant moi, l'avocat de l'intimée s'y est opposé. J'estime que la question peut être soulevée, car s'agissant d'un "procès de novo" des éléments de preuve "nouveaux" ou supplémentaires peuvent être présentés. Or, si de tels éléments de preuve peuvent être produits, je ne vois pas pourquoi l'appelante ne pourrait faire valoir cet argument.

Voici le libellé de l'article 50 de la Loi sur les marques de commerce:

50. (1) Pour l'application de la présente loi, si une licence d'emploi d'une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques et la qualité des marchandises et services, l'emploi, la publicité ou l'exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial"ou partie de ceux-ci"ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s'il s'agissait de ceux du propriétaire.

(2) Pour l'application de la présente loi, dans la mesure où un avis public a été donné quant à l'identité du propriétaire et au fait que l'emploi d'une marque de commerce fait l'objet d'une licence, cet emploi est réputé, sauf preuve contraire, avoir fait l'objet d'une licence du propriétaire, et le contrôle des caractéristiques et de la qualité des marchandises et services est réputé, sauf preuve contraire, être celui du propriétaire.

(3) Sous réserve de tout accord encore valide entre lui et le propriétaire d'une marque de commerce, le licencié peut requérir le propriétaire d'intenter des procédures pour usurpation de la marque et, si celui-ci refuse ou néglige de le faire dans les deux mois suivant cette réquisition, il peut intenter ces procédures en son propre nom comme s'il était propriétaire, faisant du propriétaire un défendeur.

L'avocat de l'appelante fait valoir ce qui suit au sujet de l'argument fondé sur l'article 50:

[traduction] Le fait que le président de la société propriétaire d'une marque soit également président de la société licenciée qui emploie la marque ne permet pas au propriétaire de bénéficier de l'application de l'article 50 de la Loi sur les marques de commerce. Un tel emploi ne satisfait pas à l'exigence voulant que le propriétaire de la marque exerce un contrôle sur l'emploi faisant l'objet d'une licence.

À l'audience, j'ai informé l'avocat de l'appelante que cet argument n'était pas convaincant. Comme M. Roger Thibodeau dirige et contrôle à la fois la société propriétaire de la marque et la société titulaire d'une licence d'emploi de la marque, l'exigence prévue à l'article 50 en matière de contrôle est respectée. L'affidavit de M. Thibodeau présenté au registraire me convainc de l'existence du contrôle exigé.

Comme je l'ai dit, c'est avec beaucoup de réticences que je tenterais de me prononcer après coup sur la décision du registraire dans une affaire comme celle dont je suis saisi en l'occurrence, parce que la décision se fonde, abstraction faite de la question du "stare decisis", sur les faits présentés au registraire.

Vu la preuve qui lui a été offerte, je suis convaincu que le registraire a commis une erreur en évaluant les faits.

Comme le dit le registraire dans sa décision, il est clair que les marques de commerce de l'appelante sont très bien connues au Canada et que la marque de commerce de l'intimée n'est pas connue.

On peut reconnaître le fait que l'appelante, au nombre de ses activités, exploite des stations-service à la grandeur du Canada (se reporter à l'affidavit de M. Brent Tremblay). M. Tremblay déclare en outre que Petro-Canada a exploité des stations-service sous des marques de commerce différentes.

Le registraire était par ailleurs saisi d'une preuve selon laquelle des tiers ont adopté, en vue d'un usage au Québec, de noms commerciaux où le mot "Canada" est remplacé par "Québec" (affidavit de M. Andrew T. McIntosh) et d'une preuve relative à des demandes d'enregistrement au Canada de paires de marques de commerce où les mots "Québec" et "Canada" se substituent l'un à l'autre (affidavit de Mme Jane Sheppard).

Le registraire disposait en outre d'un article de journal portant sur le commerce de stations-service Petro-Québec de M. Robert Thibodeau (le président de l'intimée et du Garage Bourbonnière), mais décrivant l'établissement comme une station-service Petro-Canada (affidavit de M. Jacques Viau).

Bien que ce soit avec beaucoup de réticences, je ne peux qu'être en désaccord avec la conclusion du registraire. Il me faut conclure, vu la preuve factuelle, qu'il existe un risque raisonnable de confusion entre les marques "Petro-Québec" et "Petro-Canada".

La marque Petro-Canada étant si bien connue au Canada en liaison avec des stations-service, je suis convaincu que l'on tiendrait pour acquis qu'une station-service Petro-Québec appartient ou est affiliée à l'appelante. C'est d'ailleurs ce qui ressort de l'article de journal produit (affidavit de M. Viau).

Aussi, étant donné que Bell Canada, par exemple, emploie le nom commercial Bell Québec et que l'on croit à juste titre que Bell Québec est affiliée à Bell Canada (voir l'affidavit de Mme Jane Sargeant), on peut conclure que Petro-Québec serait considérée comme une entreprise affiliée ou appartenant à Petro-Canada, ou contrôlée par celle-ci.

Tout cela crée selon moi de la confusion.

Je crois en outre que le registraire a conclu à tort qu'il n'y avait pas de risque de confusion entre la marque de commerce Petro-Québec de l'intimée employée en liaison avec des "stations-service pour automobilistes" et la famille de marques de commerce Petro-Canada et Petrocan de l'appelante associée au carburant et à la distribution/mise en marché de produits pétroliers.

L'appelante assure et a assuré la distribution de produits pétroliers au moyen notamment de stations-service ou de "stations de service pour automobilistes".

Comme je l'ai dit, je crois que l'appelante et l'intimée appartiennent au même secteur d'activité ou à tout le moins à des secteurs d'activité très semblables pour ce qui est de la vente de produits pétroliers, comme l'essence ou l'huile pour véhicules automobiles, ce qui ne peut qu'entraîner une confusion.

Il incombe donc à l'intimée de prouver l'absence de risque que l'enregistrement de la marque de commerce "Pétro-Québec" ne crée dans l'esprit du consommateur moyen une confusion avec la marque "Petro-Canada". Vu les faits de l'espèce, j'estime que l'intimée n'a pas établi l'absence d'un tel risque. L'appel est accueilli.

La décision du registraire datée du 7 février 1997 est annulée avec dépens au bénéfice de l'appelante.

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