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IMM-169-98

IMM-170-98

Dawod Noori Said (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Saidc. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein" Toronto, 27 janvier et 11 février 1999.

Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Contrôle judiciaire de l'avis du ministre selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, et de la décision d'une agente d'immigration l'informant de la date de son renvoiL'art. 53(1)d) de la Loi sur l'immigration autorise le refoulement des réfugiés au sens de la Convention lorsqu'il est établi que ceux-ci constituent un danger pour le public au CanadaLe demandeur, un réfugié au sens de la Convention, a été déclaré coupable de trafic d'héroïneLe demandeur allègue qu'il est contraire à l'art. 7 de la Charte de renvoyer une personne dans un pays où elle a une crainte fondée d'être persécutéeLa question de la validité constitutionnelle ne peut être déterminée dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire parce qu'il n'y a pas eu de décision judiciaire portant sur cette questionLa déclaration d'invalidité exige l'introduction d'une action.

Droit administratif Contrôle judiciaire Avis du ministre indiquant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, et décision d'une agente d'immigration l'informant de la date du renvoiL'art. 53(1)d) de la Loi sur l'immigration autorise le refoulement des réfugiés au sens de la Convention lorsqu'il est établi que ceux-ci constituent un danger pour le public au CanadaLa contestation fondée sur la Charte contre la validité de l'art. 53(1)d) ne peut être déterminée dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire parce qu'il n'y a pas eu de décision judiciaire concernant la validité constitutionnelle de l'art. 53(1)d)Il aurait fallu intenter une action.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Immigration et procédure d'enquêteContrôle judiciaire de l'avis du ministre selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public au Canada et de la décision d'une agente d'immigration l'informant de la date du renvoiLe demandeur, un réfugié au sens de la Convention, a été déclaré coupable de trafic d'héroïneAprès avoir été informé que le ministre envisageait la possibilité de délivrer un avis de danger, le demandeur a déposé des observations auprès du ministre concernant le risque auquel l'exposait son retour en AfghanistanLe rapport concernant l'avis du ministre de février 1996 concluait que le retour du demandeur en Afghanistan ne l'exposait à aucun risque; le risque pour la société canadienne était plus important que tout risque auquel le retour du demandeur en Afghanistan l'exposaitL'avis de danger a été formuléLa date du renvoi a été retardée pendant presque deux ans parce que le demandeur a refusé de collaborer pour obtenir ses documents de voyage de l'AfghanistanAucune obligation légale ni aucune autre raison ne justifie que l'évaluation du risque soit distincte de l'évaluation du danger que le demandeur constitue pour le publicMême si une évaluation du risque distincte avait été effectuée, ses résultats auraient dû être pondérés au regard du danger que le demandeur pose pour le public au CanadaLe demandeur n'a subi aucun préjudice qui pourrait exiger des évaluations distinctesLa combinaison des deux évaluations dans une seule procédure est plus efficaceIl n'est pas nécessaire de tenir une audience étant donné que rien n'indique que le demandeur avait une connaissance personnelle des observations formulées concernant le risque auquel l'expose son retour en Afghanistan ou que celles-ci n'ont pas été cruesLes cours de justice et les tribunaux n'ont aucune obligation de fournir des motifs lorsque ceux-ci ne sont pas exigés par la loiIl n'y a pas non plus de preuve que l'avis de danger a été formulé sans tenir compte de l'évaluation du risque contenue dans le rapport concernant l'avis du ministreL'évaluation du risque est adéquateLe ministre n'a pas d'obligation générale de fournir périodiquement des mises à jour des évaluations du risque.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de l'avis du ministre selon lequel le demandeur constituait un danger pour le public au Canada et de la décision d'une agente d'immigration informant le demandeur de la date de son renvoi en Afghanistan.

Le demandeur est entré au Canada en 1986 en qualité de réfugié au sens de la Convention. En 1992, il a été déclaré coupable de cinq accusations de trafic d'héroïne et condamné à cinq ans d'emprisonnement. En 1993, une mesure d'expulsion a été prise contre lui en raison de ses condamnations pour trafic de stupéfiants. En décembre 1995, il a été avisé que le ministre envisageait la possibilité de délivrer un avis concernant le danger qu'il présentait pour le public au Canada en vertu du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration. En janvier 1996, le demandeur a déposé ses observations auprès du ministre concernant le risque auquel l'exposerait son retour en Afghanistan. Le rapport concernant l'avis du ministre concluait que le retour du demandeur en Afghanistan ne l'exposait à aucun risque, et que le risque pour la société canadienne était plus important que tout risque auquel le retour du sujet en Afghanistan l'exposait. Le 15 février 1996, un avis a été formulé indiquant que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Le demandeur a été détenu par les agents du ministre pendant près de deux ans après avoir obtenu sa libération du pénitencier parce qu'il a refusé de demander ses documents de voyage afghans. Quand le ministre a finalement obtenu les documents de voyage de l'Afghanistan, le demandeur a été informé de la date du renvoi, mais celui-ci a été différé en attendant le règlement des demandes de contrôle judiciaire.

L'alinéa 53(1)d) stipule qu'une personne ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison d'un motif visé dans la Convention. Toutefois, cette interdiction ne s'applique pas dans le cas d'un résident permanent qui a été déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à 10 ans et qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada.

Le demandeur a fait valoir qu'il est contraire aux articles 7 et 12 de la Charte d'expulser un réfugié au sens de la Convention dans un pays où il craint avec raison d'être persécuté, ou que l'expulsion ne peut avoir lieu sans qu'une évaluation du risque ait été effectuée et qu'il n'y en a pas eu en l'espèce.

Jugement: la demande doit être rejetée.

La validité de l'alinéa 53(1)d) ne peut être déterminée dans cette demande de contrôle judiciaire parce qu'il n'y a pas de décision judiciaire ayant trait à la validité constitutionnelle de cet article à examiner. Il faudrait intenter une action pour que la Cour puisse se prononcer sur la validité de l'alinéa 53(1)d).

La question de savoir si l'exercice normal de pondération entre les intérêts du gouvernement et ceux de la personne, prévu à l'article 7 de la Charte, s'applique au renvoi de réfugiés au sens de la Convention dans le pays qu'ils ont fui s'attaque à la validité constitutionnelle de l'alinéa 53(1)d). Il ne s'agit pas de savoir si le pouvoir discrétionnaire est exercé d'une manière qui contrevient aux principes énoncés dans la Charte. Cette question ne peut être tranchée dans une procédure de contrôle judiciaire, mais doit être décidée dans le cadre d'une action ayant pour but d'obtenir une déclaration attestant que l'alinéa 53(1)d) est invalide.

Le demandeur a fait valoir que les procédures suivies sont déficientes parce que l'évaluation du risque a été faite conjointement avec l'évaluation du danger que présente le demandeur pour le public au Canada, qu'il n'y a pas eu d'audience, et que le délégué du ministre n'a pas motivé sa décision. Même s'il faut effectuer une évaluation du risque avant de retourner un réfugié au sens de la Convention dans le pays contre lequel il réclame une protection à l'étranger, il n'y a dans la loi aucune disposition qui oblige à faire une évaluation indépendante de ce risque. Il n'y a pas non plus de raison pour laquelle il faudrait faire une évaluation distincte. Bien au contraire, l'article 7 de la Charte, sur lequel le demandeur s'appuie, traite d'une pondération du droit à la liberté de l'individu au regard de l'obligation du gouvernement de protéger le public canadien contre un certain danger. Même si une évaluation du risque indépendante était faite, ses résultats devraient être pondérés par rapport à une évaluation du danger que l'individu représente pour le public au Canada. En principe, il n'y a pas de raison de faire séparément ces deux évaluations. Le demandeur n'a subi aucun préjudice connu qui pourrait exiger des évaluations distinctes. En fait, il est plus efficace de combiner ces deux évaluations dans une seule procédure pour épargner le temps et les ressources du demandeur.

Il n'y avait pas d'obligation de tenir une audience étant donné que rien n'indique que le demandeur avait une connaissance personnelle des observations qu'il a formulées concernant ce risque ou que celles-ci n'ont pas été crues.

Les principes fondamentaux de notre système juridique n'imposent pas aux cours de justice ni aux tribunaux l'obligation de fournir des motifs lorsque ceux-ci ne sont pas exigés par la loi.

Le demandeur prétendait que l'évaluation du risque contenu dans le rapport concernant l'avis du ministre était inadéquate étant donné que l'avis de danger lui-même ne renfermait pas d'évaluation du risque et qu'il n'était pas possible de savoir si le décideur avait tenu compte du risque auquel serait exposé le demandeur à son retour en Afghanistan. Il n'y a pas de preuve qui laisse supposer que l'avis de danger était illégal ou qu'il a été formulé sans tenir compte de l'évaluation du risque qui était contenue dans le rapport concernant l'avis du ministre dont était saisi le décideur. Il y a eu en l'espèce une évaluation du risque adéquate et les procédures suivies ne violent pas les principes de justice fondamentale.

Aucune obligation générale n'est faite au ministre de fournir périodiquement des mises à jour des évaluations du risque quand le renvoi du demandeur est retardé et, en particulier, quand ce retard est dû au propre refus de collaborer du demandeur. Un demandeur est toujours libre de présenter une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire étayée de nouveaux éléments de preuve postérieurs à la dernière évaluation du risque.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 12.

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36, art. 1, 3(1).

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa),b),c), 33.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985) ch. I-2, art. 2(1) "réfugié au sens de la Convention" (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), 53(1) (mod par L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12), (2) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43), 70(5) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13), ann. (édictée par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 34).

jurisprudence

décisions appliquées:

Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Barre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 150 F.T.R. 257 (C.F. 1re inst); Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646; (1997), 147 D.L.R. (4th) 93; 212 N.R. 63 (C.A.); Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 40 C.R.R. 100; 93 N.R. 183.

décision non suivie:

Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 315; (1998), 52 C.R.R. (2d) 51; 144 F.T.R. 76 (1re inst.).

décisions examinées:

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 226 N.R. 201; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; (1993), 107 D.L.R. (4th) 342; [1993] 7 W.W.R. 641; 56 W.A.C. 1; 82 B.C.L.R. (2d) 273; 34 B.C.A.C. 1; 85 C.C.C. (3d) 15; 24 C.R. (4th) 281; 158 N.R. 1.

décisions citées:

Sivaraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 107 F.T.R. 64 (C.F. 1re inst.); Nagarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. nE 703 (C.A.) (QL).

DEMANDE de contrôle judiciaire de l'avis du ministre indiquant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada et de la décision d'une agente d'immigration informant le demandeur de la date prévue pour son renvoi en Afghanistan. Demande rejetée.

ont comparu:

Lorne Waldman, pour le demandeur.

Sally E. Thomas, pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Rothstein:

INTRODUCTION

Le demandeur demande dans la présente instance, regroupant deux dossiers, le contrôle judiciaire des deux décisions suivantes:

1. L'avis du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en date du 15 février 1996, fondé sur l'alinéa 53(1)d) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

2. La décision de Nina Stireno, agente d'immigration, en date du 7 janvier 1998, informant le demandeur que son renvoi en Afghanistan avait été fixé au 17 janvier 19981.

Dans les ordonnances du 16 janvier 1998, le juge Pinard a accordé un sursis à l'exécution du renvoi du demandeur en Afghanistan en attendant l'issue des demandes de contrôle judiciaire relatives aux deux décisions précitées. Dans les ordonnances du 8 septembre 1998, le juge Lutfy a accordé une prorogation de délai pour signifier et déposer la demande de contrôle judiciaire concernant l'avis du ministre en date du 15 février 1996, ainsi que l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire concernant les deux décisions.

LES FAITS

Le demandeur est entré au Canada en 1986 en qualité de réfugié au sens de la Convention. En janvier 1992, il a été déclaré coupable de cinq accusations de trafic d'héroïne et condamné à cinq ans d'emprisonnement. Le 31 mars 1993, une mesure d'expulsion a été prise contre lui en raison de ses condamnations pour trafic de stupéfiants. En décembre 1995, il a été avisé que le ministre envisageait la possibilité de délivrer un avis concernant le danger qu'il présentait pour le public au Canada en vertu du paragraphe 70(5) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] et de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration. On l'informait que le ministre tiendrait compte des éléments de risque que poserait son retour en Afghanistan. Il était invité à présenter ses observations au ministre. Le 11 janvier 1996, le demandeur a déposé ses observations auprès du ministre. Le 15 février 1996, un avis a été formulé en vertu du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1)d) selon lequel le demandeur constituait un danger pour le public au Canada.

Après avoir obtenu sa libération le 26 février 19962, le demandeur a été détenu par les agents du ministre en attendant son renvoi, et les motifs de sa détention ont été révisés tous les 30 jours. Apparemment, le renvoi a été retardé parce que le demandeur refusait de collaborer en présentant une demande pour obtenir des documents de voyage afghans. Finalement, en janvier 1998, le ministre a obtenu les documents de voyage de l'Afghanistan. Le 7 janvier 1998, la lettre de l'agente d'immigration, Nina Stireno, a été communiquée au demandeur et l'informait que son renvoi en Afghanistan était fixé au 17 janvier 1998.

LES QUESTIONS EN LITIGE

Le demande fait valoir deux moyens. Selon le moyen principal, il est contraire aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]3, d'expulser un réfugié au sens de la Convention dans un pays où il craint avec raison d'être persécuté. Le moyen subsidiaire fait valoir que si le réfugié au sens de la Convention peut être expulsé dans un tel pays, l'expulsion ne peut avoir lieu sans qu'une évaluation du risque n'ait été effectuée et, en l'espèce, il n'en a pas eue.

Le moyen principal du demandeur semble être une contestation fondée sur la Charte concernant la validité de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration qui autorise expressément le renvoi d'un réfugié au sens de la Convention, dans certaines circonstances, dans un pays où sa vie ou sa liberté pourraient être menacées pour un motif prévu dans la Convention. Son moyen subsidiaire, tout en reconnaissant qu'un réfugié au sens de la Convention peut être expulsé, conteste la procédure suivie en l'espèce. Bien qu'une telle contestation fondée sur la procédure puisse signifier implicitement qu'il y a dans la loi une lacune qui constitue une violation de la Charte, elle peut également s'attaquer à une procédure qui contrevient à la loi, mais qui est autorisée par une discrétion imprécise qui est conférée au ministre par la Loi sur l'immigration.

Les parties conviennent que, dans les circonstances de l'espèce, si c'est la validité de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration qui est contestée, la question ne pourra être tranchée dans la présente instance. Le demandeur n'a pas demandé au ministre ou à l'agente d'immigration de conclure que l'alinéa 53(1)d) est inconstitutionnel et, même s'il l'avait fait, il semble que ceux-ci n'aient pas la compétence pour se prononcer sur ce point. Par conséquent, il n'y a pas de décisions judiciaires ayant trait à la validité constitutionnelle de l'alinéa 53(1)d) à examiner. Dans les circonstances, il faudrait intenter une action pour que la Cour puisse se prononcer sur la validité constitutionnelle de l'alinéa 53(1)d). Voir Sivaraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 107 F.T.R. 64 (C.F. 1re inst.), à la page 66, par le juge Tremblay-Lamer, confirmée dans Nagarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 703 (C.A.) (QL), par le juge Robertson.

Même si la validité de l'alinéa 53(1)d) ne peut être décidée dans la présente instance, le demandeur fait valoir qu'il peut toujours contester la validité constitutionnelle des décisions prises en vertu de cet alinéa. Toutefois, il me semble que la personne lésée qui soulève une telle contestation sur le plan constitutionnel doive décider si c'est la loi qui contrevient à la Charte ou si c'est l'exercice d'une discrétion imprécise qui entraîne une décision contraire à la Charte. Voir l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, le juge Lamer (maintenant juge en chef), à la page 1079. Pour les motifs énoncés au paragraphe 7, si c'est la loi qui contrevient à la Charte, le demandeur doit procéder par voie d'action; s'il s'appuie sur le deuxième moyen, il doit présenter une demande de contrôle judiciaire.

LE MOYEN PRINCIPAL DU DEMANDEUR CONSTITUE-T-IL UNE CONTESTATION FONDÉE SUR LA CHARTE CONCERNANT LA VALIDITÉ DE L'ALINÉA 53(1)d) OU CONCERNANT LE POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE EXERCÉ PAR LE MINISTRE?

Une analyse du régime législatif en vertu duquel certaines personnes peuvent être exclues du statut de réfugié au sens de la Convention est donnée dans les motifs du juge Bastarache, qui s'exprimait au nom de la majorité dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, aux paragraphes 4 à 13. La Loi sur l'immigration a incorporé la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] dans le droit interne. Le paragraphe 2(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1] de la Loi définit l'expression réfugié au sens de la Convention. La définition renferme l'exception suivante:

2. (1) [. . .]

"réfugié au sens de la Convention" [. . .] Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

La section F de l'article premier de la Convention est ainsi conçue:

Article premier

Définition du TermeRéfugié

[. . .]

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Les personnes décrites à la section F de l'article premier de la Convention sont exclues d'emblée du statut de réfugié.

L'article 53 de la Loi sur l'immigration incorpore l'article 33 de la Convention4 dans le droit canadien. Le paragraphe 33(1) dispose qu'un réfugié ne peut être renvoyé dans un lieu où sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison d'un motif visé par la Convention. Toutefois, le paragraphe 33(2) précise que le bénéfice du paragraphe 33(1) ne peut être invoqué par un réfugié lorsqu'il y a des raisons sérieuses de considérer cette personne comme un danger pour la sécurité du pays dans lequel il a revendiqué le statut de réfugié ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

L'article 53 de la Loi sur l'immigration particularise les circonstances décrites au paragraphe 33(2). L'alinéa 53(1)d) stipule qu'une personne ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison d'un motif visé dans la Convention, sauf un résident permanent qui a été déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans et qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada.

Dans l'arrêt Pushpanathan, le juge Bastarache fait la distinction entre les personnes qui sont visées à la section F de l'article premier de la Convention, qui sont automatiquement exclues de la protection de la Convention et de la Loi sur l'immigration d'une part, et les personnes qui ont été reconnues comme étant des réfugiés au sens de la Convention ou qui sont devenues résidents permanents d'autre part, et dans ce dernier cas, il faut en outre décider que ces personnes constituent un danger pour la sécurité du Canada ou le public au Canada. À la page 1024 de l'arrêt Pushpanathan, le juge Bastarache déclare:

L'objet de l'art. 33 de la Convention, par contraste, n'est pas d'établir qui a la qualité de réfugié, mais bien de permettre le refoulement de réfugié authentique vers son pays natal s'il constitue un danger pour son pays d'accueil et pour la communauté dudit pays. Cette distinction fonctionnelle est reflétée dans la Loi, laquelle, d'une part, intègre la section F de l'article premier à l'art. 2, l'article définitoire, et d'autre part, confère au ministre, à l'art. 53, où sont reprises généralement les dispositions de l'art. 33, le pouvoir d'expulser un réfugié admis comme tel. Par conséquent l'objet général de la section F de l'article premier n'est pas de protéger le pays d'accueil contre les réfugiés dangereux, que ce soit en raison d'actes commis avant ou après la présentation de la revendication du statut de réfugié; c'est l'art. 33 de la Convention qui vise cet objectif.

Dans l'arrêt Pushpanathan, le juge Bastarache fait référence au mécanisme de pondération que l'on trouve à la section Fb) de l'article premier de la Convention et à l'article 53 de la Loi sur l'immigration"qui consiste à peser la gravité du danger pour la société canadienne par rapport au danger de persécution en cas de refoulement. À la page 1034, il déclare:

La section Fb) de l'article premier vise des crimes de droit commun commis en dehors du pays d'accueil, alors le par. 33(2) traite des crimes ou délits de droit commun perpétrés dans le pays d'accueil. La section Fb) de l'article premier renferme un mécanisme de pondération dans la mesure où il faut que soient remplies les conditions exprimées par les termes "grave" et "de droit commun", tandis que le par. 33(2), mis en œuvre par les art. 53 et 19 de la Loi, oblige à peser la gravité du danger pour la société canadienne par rapport au danger de persécution en cas de refoulement. Cette approche reflète l'intention des États signataires de réaliser un équilibre des considérations humanitaires entre, d'une part, la personne qui craint la persécution et, d'autre part, l'intérêt légitime des États dans la répression de la criminalité.

Cette pondération entre la liberté d'une personne et la protection de la société est bien établie dans l'application des principes de "justice fondamentale" énoncés à l'article 7 de la Charte. Dans l'arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général) , [1993] 3 R.C.S. 519, le juge Sopinka déclare aux pages 593 et 594:

Cette théorie de la pondération a été confirmée dans un arrêt très récent de notre Cour, Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143, dans lequel le juge McLachlin a conclu que l'appelant avait été privé d'un droit à la liberté garanti par l'art. 7. Elle a ensuite examiné si cette restriction était conforme aux principes de justice fondamentale (aux pp. 151 et 152):

Ces principes touchent non seulement au droit de la personne qui soutient que sa liberté a été limitée, mais également à la protection de la société. La justice fondamentale exige un juste équilibre entre ces droits, tant du point de vue du fond que de celui de la forme [. . .] [Souligné dans l'original.]

Lorsqu'il y a une preuve à la fois d'un danger pour le réfugié au sens de la Convention en cas de refoulement et d'un danger pour le public au Canada si la personne demeure dans ce pays, l'exercice de pondération peut être particulièrement difficile. La raison en est que l'un des rôles importants du gouvernement est d'assurer la sécurité des Canadiens alors que, simultanément, il peut être incompatible avec les valeurs canadiennes de placer de force une personne dans une situation de danger grave du fait des mesures prises par le gouvernement. Le premier objectif n'a pas toujours préséance sur l'autre. C'est pourquoi on serait normalement porté à croire que la pondération de ces deux solutions en vertu de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration est compatible avec l'article 7 de la Charte et est en fait requis par cet article.

Abstraction faite de cette raison d'être de l'exercice de pondération requis par l'article 7, le demandeur prétend que la pondération fondée sur l'alinéa 53(1)d) n'est pas applicable dans le cas d'un réfugié au sens de la Convention et qu'une interdiction absolue empêche de refouler ces personnes. Cet argument se fonde sur la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36]. L'article premier est ainsi conçu:

Article premier

1. Aux fins de la présente Convention, le terme "torture" désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elle.

Le paragraphe 3(1) est rédigé dans les termes suivants:

Article 3

1. Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

Le demandeur reconnaît que cette Convention ne fait pas partie du droit canadien. Toutefois, le Canada a ratifié la Convention. Les parties conviennent que, dans les circonstances, l'interprétation des droits garantis par la Charte doit être éclairée par cette Convention ratifiée, mais que la Convention n'est pas obligatoire comme si elle faisait partie du droit national. Dans l'arrêt Slaight Communications, précité, le juge en chef Dickson, s'exprimant au nom de la majorité, déclare aux pages 1056 et 1057:

Étant donné la double fonction de l'article premier que l'on a identifiée dans l'arrêt Oakes, les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne devraient renseigner non seulement sur l'interprétation du contenu des droits garantis par la Charte, mais aussi sur l'interprétation de ce qui peut constituer des objectifs urgents et réels au sens de l'article premier qui peuvent justifier la restriction de ces droits.

En s'appuyant sur le fait que le paragraphe 3(1) de la Convention contre la torture devrait éclairer l'interprétation de l'article 7 de la Charte, est-ce que cela signifie que les réfugiés au sens de la Convention ne peuvent être renvoyés dans le pays qu'ils ont fui et que l'exercice normal de pondération entre les intérêts du gouvernement et ceux de la personne, prévu à l'article 7, n'est pas applicable? À mon avis, cette question s'attaque à la validité constitutionnelle de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration dont les dispositions autorisent le refoulement des réfugiés au sens de la Convention qui sont considérés comme un danger pour le public au Canada. Il ne s'agit pas de savoir si le pouvoir discrétionnaire est exercé d'une manière qui contrevient aux principes énoncés dans la Charte. Pour les motifs que j'ai déjà donnés, cette question ne peut être tranchée dans une procédure de contrôle judiciaire, mais doit être décidée dans le cadre d'une action ayant pour but d'obtenir une déclaration attestant que l'alinéa 53(1)d) est invalide parce qu'il contrevient à l'article 7 de la Charte.

LE MOYEN SUBSIDIAIRE

Comme moyen subsidiaire, le demandeur fait valoir qu'une évaluation du risque est nécessaire avant qu'un réfugié au sens de la Convention puisse faire l'objet d'un refoulement, que cette évaluation doit se faire indépendamment de la procédure menant à la délivrance de l'avis de danger, qu'une audience est requise, qu'un contrôle judiciaire doit être prévu, que cette évaluation doit être motivée et que, si l'évaluation indique qu'il y a des motifs sérieux de croire que le demandeur risque d'être soumis à la torture, il ne peut être renvoyé dans ce pays. Je traiterai ces éléments à tour de rôle.

En l'espèce, le demandeur a été informé le 7 décembre 1995 de la possibilité que le ministre délivre un avis indiquant qu'il constitue un danger pour le public au Canada. Dans cet avis, on invitait le demandeur à présenter des observations et à fournir des éléments de preuve concernant le fait qu'il constitue un danger pour le public au Canada et à prouver le risque auquel l'expose son retour en Afghanistan, risque qui pourrait être plus important que le danger qu'il présente au Canada. L'avis indiquait ceci:

[traduction] Il convient également de noter que les sources suivantes peuvent être consultées pour évaluer tout risque auquel vous expose votre renvoi dans le pays que vous avez fui:

Les Country Reports on Human Rights

    Practices de 1994 et d'autres

    documents publics.

Afin de vous donner la possibilité de réfuter la preuve susmentionnée, vous pouvez envoyer à l'adresse indiquée ci-dessus, dans les 15 jours suivant la réception du présent avis, tous les renseignements, observations ou autres éléments de preuve concernant le fait que vous constituez un danger pour le public au Canada, ainsi que tous les facteurs d'ordre humanitaire en votre faveur, ou le risque auquel vous expose votre retour dans le pays que vous avez fui pour chercher refuge ailleurs, et qui pourrait avoir préséance sur le danger que vous présentez.

Dans une lettre datée du 11 janvier 1996, l'avocat du demandeur a fait parvenir des observations concernant le risque auquel le retour du demandeur en Afghanistan l'expose. La lettre de l'avocat indique ceci:

[traduction] Au sujet du risque auquel le retour de mon client dans son pays d'origine l'expose, j'aimerais insister sur le fait que le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été reconnu par rapport à l'Afghanistan. La formule de renseignements personnels faisant partie de la documentation indique que malgré les tentatives de recrutement, il s'est opposé aux forces gouvernementales et qu'il s'est allié dans une certaine mesure aux rebelles moudjahiddines. Il a finalement refusé de se joindre aux forces moudjahiddines et il a fui le pays.

Bien que je n'aie pas eu la possibilité de recueillir les documents à l'appui de la situation actuelle en Afghanistan, je crois comprendre que le pays traverse une période de guerre féroce entre de multiples factions, dont l'une d'elles est constituée par les moudjahiddines. Par conséquent, le retour de M. Noori Said en Afghanistan aurait pour résultat de le placer dans une situation très dangereuse puisqu'il serait perçu comme déserteur à la fois par les forces moudjahiddines et par les forces gouvernementales.

Dans une autre lettre datée du 23 janvier 1996, l'avocat du demandeur faisait parvenir des renseignements à jour sur les conflits qui font rage en Afghanistan. Il semble que les fonctionnaires du ministre disposaient de quelque 80 pages de rapports sur la situation en Afghanistan.

Le rapport concernant l'avis du ministre a été publié le 14 février 1996. Il ressort clairement de ce rapport que les observations de l'avocat du demandeur ont été reçues et examinées. Le rapport concluait que le retour du demandeur en Afghanistan ne l'exposait à aucun risque.

[traduction] Compte tenu de ce qui précède, il semble que le sujet ne courrait pas de risque en raison de son refus de joindre l'armée en 1980 étant donné que le gouvernement a changé depuis ce temps. Sa brève association de trois mois avec les moudjahiddines ne l'expose vraisemblablement pas davantage à quelque risque que ce soit. Il convient de noter qu'il y a de nombreuses factions de moudjahiddines qui sont en guerre les unes contre les autres. Le sujet n'a pas identifié le groupe particulier de moudjahiddines qui pourrait s'en prendre à lui.

Après avoir pondéré les intérêts du demandeur au regard de ceux du gouvernement, le rapport concluait de cette façon:

[traduction] En raison des condamnations graves de trafic de stupéfiants et de l'effet dévastateur de l'héroïne sur la société canadienne, le risque pour la société canadienne est plus important que tout risque auquel le retour du sujet en Afghanistan l'expose.

Les observations du responsable suivent:

[traduction] Le sujet a quitté l'Afghanistan en 1980. Il est peu probable que sa situation personnelle l'expose encore à un quelque risque à son retour dans son pays d'origine. En outre, je pense que le danger qu'il représente pour la société canadienne est plus important que tout risque potentiel.

L'avis de danger du 15 février 1996 indique ceci:

[traduction] D'après les renseignements que j'ai examinés, je suis d'avis, aux termes de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration que

Dawod (Noori Said)

DDN 01Nov60-Afghanistan

constitue un danger pour le public au Canada.

Le rapport concernant l'avis du ministre ne fait aucune référence au fait que le demandeur pourrait être soumis à la torture. Au contraire, on a jugé que le risque auquel le demandeur serait exposé à son retour n'était pas grand. L'avocat du demandeur n'a pas débattu devant moi que l'évaluation du risque n'était pas fondée sur la preuve dont étaient saisis les fonctionnaires appropriés ni qu'elle faisait état de lacunes importantes.

Il a plutôt fait valoir que les procédures suivies sont déficientes parce que l'évaluation du risque a été faite conjointement avec l'évaluation du danger que présente le demandeur pour le public au Canada, qu'il n'y a pas eu d'audience, et que le délégué du ministre n'a pas motivé sa décision.

Dans la décision Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 315 (1re inst.), d'après les faits dont il était saisi, le juge Gibson a conclu que le demandeur, au sujet duquel on avait conclu que la revendication avait un minimum de fondement, avait droit à une évaluation du risque et à une décision à cet égard en plus de la procédure suivie pour décider du danger qu'il constituait pour le public au Canada. Dans la décision Barre c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1998), 150 F.T.R. 257 (1re inst.), le juge Teitelbaum en est venu à la conclusion opposée concernant un demandeur qui avait été admis au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention. À son avis, il n'était pas nécessaire d'effectuer, indépendamment de la procédure suivie pour décider que le demandeur présentait un danger pour le public au Canada, une évaluation du risque et de prendre une décision à cet égard.

Je conviens avec le juge Gibson, dans la décision Farhadi, et avec le juge Teitelbaum dans la décision Barre, qu'il faut effectuer une évaluation du risque avant de retourner un réfugié au sens de la Convention dans le pays contre lequel il réclame une protection à l'étranger. Toutefois, je ne vois dans la loi aucune disposition qui oblige à faire une évaluation indépendante de ce risque. Je ne vois pas non plus la raison pour laquelle il faudrait une évaluation distincte. Bien au contraire, l'article 7 de la Charte, sur lequel le demandeur s'appuie en l'espèce, traite d'une pondération du droit à la liberté de l'individu au regard de l'obligation du gouvernement de protéger le public canadien contre un certain danger5. Même si une évaluation du risque indépendante était faite, ses résultats devraient être pondérés par rapport à une évaluation du danger que l'individu représente pour le public au Canada. En principe, il n'y a pas de raison de faire séparément ces deux évaluations. Le demandeur n'a subi aucun préjudice connu qui pourrait exiger des évaluations distinctes. En fait, il est plus efficace de combiner ces deux évaluations dans une seule procédure pour épargner le temps et les ressources du demandeur. Le demandeur ne m'a pas convaincu qu'il subira un inconvénient quelconque du fait que l'évaluation du risque a été effectuée dans le cadre de la procédure de détermination du danger qu'il présente pour le public au Canada ou de la raison pour laquelle les principes de justice fondamentale exigeraient qu'une telle procédure soit jugée insuffisante. Par ailleurs, je reconnais que le juge Gibson en est venu à une conclusion différente dans la décision Farhadi et, pour cette raison, une question devra être certifiée sur ce point aux fins de l'appel.

Je ne peux pas non plus donner raison au demandeur qui prétend que l'évaluation du risque exige toujours une audience. Le demandeur s'appuie sur l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177. Il est bien reconnu que même si l'arrêt Singh oblige à tenir une audience dans certaines circonstances, cela ne signifie pas qu'une audience doive avoir lieu à chaque étape des procédures menant à l'admission ou au renvoi des réfugiés au sens de la Convention. Une audience n'est pas non plus nécessaire chaque fois que les droits garantis par l'article 7 de la Charte sont invoqués. Le demandeur a présenté des observations concernant le risque auquel son retour en Afghanistan l'expose. Rien n'indique qu'il avait une connaissance personnelle des observations qu'il a formulées concernant ce risque et que celles-ci n'ont pas été crues. Dans les circonstances, il n'y avait pas lieu de tenir une audience. Voir la décision Farhadi, précitée, à la page 343, paragraphe 51.

Quant à la disponibilité d'une procédure de contrôle judiciaire concernant la décision de renvoyer le demandeur en Afghanistan, je crois qu'il est évident que cette possibilité lui a été offerte, comme en témoigne la présente instance.

Finalement, il reste à décider si la décision doit être motivée. Je pense que l'arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), règle cette question. Le juge d'appel Strayer y traitait d'un avis de danger fondé sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, mais je ne vois aucune raison de principe qui empêche d'appliquer ses conclusions aux décisions contestées en l'espèce. Je fais particulièrement référence à son raisonnement énoncé aux pages 672 à 675, paragraphes 38 à 44. Comme il le souligne, bien qu'il soit préférable de motiver la décision, les principes fondamentaux de notre système juridique n'imposent pas aux cours de justice ni aux tribunaux l'obligation de fournir des motifs lorsque ceux-ci ne sont pas exigés par la loi.

Bien que le rapport concernant l'avis du ministre renferme une évaluation du risque, le demandeur prétend qu'elle est inadéquate étant donné que l'avis de danger lui-même ne renferme pas d'évaluation du risque et qu'il n'est pas possible de savoir si le décideur a tenu compte du risque auquel sera exposé le demandeur à son retour en Afghanistan. Ici encore, je pense que les motifs du juge Strayer dans l'arrêt Williams règlent cet argument. Au paragraphe 43 de la page 675 il déclare:

Il me semble que cette approche est fondée sur la prémisse selon laquelle les décisions rendues par les tribunaux et les hauts fonctionnaires sont présumées erronées tant que leur bien-fondé n'a pas été établi. Toutefois, la séparation des pouvoirs et les principes ordinaires de retenue judiciaire exigent qu'il incombe à la personne qui conteste une décision discrétionnaire de prouver que cette décision est illégale. Cette preuve peut être facile à faire dans certains cas s'il s'agit d'une décision qui est manifestement absurde, qui est manifestement illégale parce qu'elle se rapporte à des questions qui ne ressortissent pas à la compétence du décideur, ou qui n'est explicable qu'en présumant la mauvaise foi. En l'absence de tels facteurs, c'est à la personne qui demande un contrôle judiciaire qu'il appartient de soumettre des éléments de preuve ou d'invoquer des moyens expliquant pourquoi la décision est illégale.

En l'espèce, il n'y a pas de preuve qui laisse supposer que l'avis de danger était illégal ou qu'il a été formulé sans tenir compte de l'évaluation du risque qui était contenue dans le rapport concernant l'avis du ministre dont était saisi le décideur.

Pour ces raisons, je pense qu'il y a eu en l'espèce une évaluation du risque adéquate et que les procédures suivies ne violent pas les principes de justice fondamentale prévus à l'article 7 de la Charte.

Finalement, je dois tenir compte du fait que le demandeur est demeuré au Canada pendant près de deux ans avant qu'on puisse procéder à son renvoi, et qu'aucune mise à jour n'a été faite concernant l'évaluation du risque. Le dossier indique que ce retard est dû à son propre refus de collaborer pour obtenir les documents de voyage de l'Afghanistan. Bien que chaque affaire doive être décidée d'après ses propres faits, je ne pense pas qu'une obligation générale soit faite au ministre de fournir périodiquement des mises à jour des évaluations du risque quand le renvoi d'un demandeur est retardé et, en particulier, quand ce retard est dû au propre refus de collaborer du demandeur. Bien entendu, un demandeur est toujours libre de présenter une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, étayée de nouveaux éléments de preuve postérieurs à la dernière évaluation du risque.

La demande de contrôle judiciaire est refusée. L'ordonnance est retenue pour une période de sept jours afin de donner aux parties la possibilité de présenter des questions à faire certifier aux fins de l'appel.

1 La demande de contrôle judiciaire fait référence à une décision en date du 13 janvier 1998, mais l'avocat du demandeur a confirmé que la décision faisant l'objet du contrôle était la lettre datée du 7 janvier 1998.

2 Selon le rapport concernant l'avis du ministre, en date du 14 février 1996.

3 Les art. 7 et 12 de la Charte sont rédigés dans les termes suivants:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[. . .]

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

4 L'art. 53 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12] de la Loi sur l'immigration est rédigé dans les termes suivants:

53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si

a) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées à l'alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;

b) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité du Canada;

c) elle relève du cas visé au sous-alinéa 27(1)a.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;

d) elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada.

(2) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)b) ne peut être renvoyée dans un autre pays que celui d'où elle est arrivée au Canada, selon la détermination faite aux termes de cet alinéa, sauf si:

a) soit ce pays, autre que celui d'où elle est arrivée au Canada, figure dans la liste établie en vertu des règlements d'application de l'alinéa 114(1)s);

b) soit, son cas ayant été déféré à la section du statut conformément à l'article 46.03, le statut de réfugié au sens de la Convention lui est refusé dans le cadre de la présente loi.

L'art. 33 de la Convention est ainsi conçu:

Article 33

Défense d'Expulsion et de Refoulement

1. Aucun des États Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

5 À moins que le demandeur n'ait gain de cause dans son action qui conteste la validité de l'art. 53(1)d) de la Loi sur l'immigration.

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