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     A-82-98

Roger et Richard Barnabe, en leur qualité d'exécuteurs testamentaires de feu Louis Barnabe (appelants)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: Barnabe, successionc. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Robertson et Sexton, J.C.A."Winnipeg, 5 mai; Ottawa, 22 juin 1999.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Gains en capital Appel d'une décision de la C.C.I. concluant à l'absence de choix valable au regard de l'art. 85 de la Loi de l'impôt sur le revenuL'art. 85 permet au contribuable de reporter le paiement de gains en capital lorsqu'un bien est transféré par un individu à une société en contrepartie d'actions de cette sociétéLe 1er mai 1992, le contribuable a demandé à son comptable de procéder à la cession de ses équipements agricoles à une société de portefeuille dont le contribuable était l'unique actionnaire et l'unique administrateurLe contribuable a signé (en blanc) le formulaire prévu à l'art. 85Le formulaire a été égaré et le choix n'a pas été déposé avant le décès accidentel du contribuableLes exécuteurs testamentaires ont déposé un nouveau formulaire de choixL'appel est accueilli (le juge Robertson, J.C.A., étant dissident)1) Les exécuteurs testamentaires ont effectué un choix valableSelon l'art. 85(6), le choix doit être effectué parun contribuable— — Compte tenu des définitions decontribuableet depersonne, le motcontribuableenglobe un exécuteur testamentaireLes appelants étaient en droit d'effectuer, au nom du contribuable et après le décès de celui-ci, un choix communCela est dans la logique du formulaire fourni par Revenu Canada, qui permet à unepersonne autoriséede signer la formule de choix en tant que cédantEn l'espèce, les personnes autorisées étaient les exécuteurs testamentaires2) Il y a eu disposition valable des équipements agricolesLe contribuable avait, le 1er mai 1992, nettement décidé de transférer à la société l'ensemble de ses biens agricolesIl ne restait plus qu'à remplir les formalités nécessaires afin de fixer la juste valeur marchande des biensUn engagement contractuel entre un actionnaire et une société à peu d'actionnaires n'est pas conclu du fait d'une décision prise dans l'esprit d'un actionnaire, à moins que cette décision ne s'accompagne d'un acte manifeste de la sociétéIl y a, en l'espèce, suffisamment de mesures manifestes telle la signature de la formule de choix communi) Le fait que les biens devant être cédés n'avaient pas été énumérés sous forme définitive n'est d'aucune importance en l'espèce étant donné que l'ensemble des équipements a été transféréii) En fixant à leur juste valeur marchande le montant de la contrepartie, le prix était fixé avec suffisamment de précision pour être retenu comme condition valable du contratIl ne restait qu'à accomplir de pures formalités administratives servant à documenter l'accord déjà concluiii) Les biens en question devant être transférés en contrepartie de leur juste valeur marchande, le montant de cette contrepartie pouvait être connuPour qu'il y ait disposition, il n'est pas nécessaire que la contrepartie soit effectivement verséeUn contrat conférant à l'une des parties le droit d'être payée à l'avenir répond aux exigences de l'art. 85.

Contrats Le 1er mai 1992, le contribuable a demandé à son comptable de céder ses biens agricoles à la société de portefeuille dont le contribuable était l'unique actionnaire et l'unique administrateurIl a signé (en blanc) le formulaire de choix prévu à l'art. 85 de la Loi de l'impôt sur le revenuLe formulaire a été égaré et le choix effectué n'a pu être déposé avant le décès du contribuableLa Cour, à la majorité, (le juge Robertson, J.C.A., est dissident) a conclu à la disposition valable des équipements agricolesLe contribuable avait, le 1er mai 1992, nettement décidé de transférer à la société l'ensemble de ses biens agricolesIl ne restait plus qu'à remplir les formalités nécessaires afin de fixer la juste valeur marchande des biensUn engagement contractuel entre un actionnaire et une société à peu d'actionnaires n'est pas conclu du fait d'une décision prise dans l'esprit d'un actionnaire, à moins que cette décision ne s'accompagne d'un acte manifeste de la sociétéIl y avait, en l'espèce, suffisamment de mesures manifestes telle la signature de la formule de choix communi) Le fait que les biens devant être cédés n'avaient pas été énumérés sous forme définitive n'est d'aucune importance en l'espèce étant donné que l'ensemble des équipements a été transféréii) En fixant à leur juste valeur marchande le montant de la contrepartie, le prix était fixé avec suffisamment de précision pour être retenu comme condition valable du contratIl ne restait qu'à accomplir de pures formalités administratives servant à documenter l'accord déjà concluiii) Les biens devant être transférés en contrepartie de leur juste valeur marchande, le montant de cette contrepartie pouvait être connuPour qu'il y ait disposition, il n'est pas nécessaire que la contrepartie soit effectivement verséeUn contrat conférant à l'une des parties le droit d'être payée à l'avenir répond aux exigences de l'art. 85.

Il s'agit d'un appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt concluant à l'absence de choix valable au regard de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'article 85 autorise le contribuable à reporter le paiement de gains en capital lorsqu'un bien est transféré par un individu à une société en contrepartie d'actions de cette société.

Le 1er mai 1992, Louis Barnabe (le contribuable) se réunit avec son comptable afin de signer sa déclaration de revenus personnelle de 1991 et de faire le point sur ses affaires. Au cours de cette réunion, le contribuable a décidé de céder ses équipements agricoles à la Barnabe Grain Farms Ltd., société dont il était l'unique actionnaire et l'unique administrateur et qu'il avait justement créée afin qu'elle reprenne l'exploitation agricole; il donna à son comptable des instructions en ce sens. Bien que le contribuable ait signé, en blanc, le formulaire officialisant le choix prévu à l'article 85, formulaire que le comptable était censé remplir et faire enregistrer, le formulaire a été égaré et le choix effectué n'a pu être déposé avant le décès accidentel du contribuable, le 10 mai 1992. Ni l'un ni l'autre n'a pris de notes quant à ce qui a été décidé au cours de cette réunion. Les exécuteurs testamentaires ont rempli et signé un nouveau formulaire de choix le 28 janvier 1993. La Cour de l'impôt a estimé que pour qu'un choix soit valable en vertu de l'article 85, il aurait fallu qu'il soit effectué par le contribuable personnellement avant son décès.

Les questions en litige sont les suivantes: 1) Y a-t-il eu, de la part des appelants et de la Barnabe Grain Farms Ltd., un choix valable en vue de la disposition des biens agricoles conformément à l'article 85? et 2) Y a-t-il eu, le 1er mai 1992, disposition valable des équipements agricoles du contribuable?

Arrêt (le juge Robertson J.C.A., étant dissident): l'appel est accueilli.

Le juge Sexton, J.C.A. (aux motifs duquel a souscrit le juge Strayer, J.C.A.): 1) Le choix effectué par les exécuteurs testamentaires au titre du paragraphe 85(6) était valable. Selon le paragraphe 85(6), le choix doit être effectué par "un contribuable". La définition de "contribuable" figurant au paragraphe 248(1) englobe "toute personne, qu'elle soit tenue ou non de payer l'impôt". Le même paragraphe précise que la notion de "personne" comprend notamment "les héritiers, exécuteurs testamentaires, administrateurs et autres représentants légaux de cette personne, selon la loi de la partie du Canada visée par le contexte". Le mot "contribuable" englobe donc un exécuteur testamentaire. Cela est dans la logique du formulaire fourni par Revenu Canada, qui prévoit que la personne signant la formule de choix en tant que cédant pourra notamment être "un cadre ou autre personne autorisée". En l'espèce, les personnes autorisées étaient les exécuteurs testamentaires de la succession Barnabe. Il est également clair que les dirigeants de la société étaient habilités à signer au nom du cédant. Les appelants étaient en droit d'effectuer, au nom du contribuable et après le décès de celui-ci, un choix commun. Le choix a été déposé dans le délai prévu au paragraphe 85(6).

2) Il y a eu, au regard de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu, disposition valable. Il ressort de la preuve que, le 1er mai 1992, le contribuable avait nettement décidé de transférer à la société l'ensemble de ses biens agricoles. Il ne restait plus qu'à accomplir les formalités nécessaires afin de faire état de cette décision, et de fixer la "juste valeur marchande" des biens en question. Le fait que le contribuable aurait pu éventuellement changer d'avis et décider d'annuler le transfert n'a que peu d'importance en l'espèce. Les parties peuvent toujours convenir de résoudre un contrat qu'elles ont conclu. En outre, rien n'indique que le contribuable ait eu l'intention de résoudre le contrat. Au contraire, les autres éléments du dossier confirment que le contribuable entendait consigner la disposition en bonne et due forme. Les actes du contribuable confirment le témoignage non contredit selon lequel il avait, le 1er  mai 1992, conclu un contrat afin de céder ses biens agricoles à la société. Bien qu'un engagement contractuel entre un actionnaire et une société à peu d'actionnaires n'est pas conclu du fait d'une décision prise dans l'esprit d'un actionnaire, à moins que cette décision ne s'accompagne d'un acte manifeste de la société, il ressort des faits de l'espèce suffisamment d'éléments de preuve établissant que la société a pris des mesures manifestes telle la signature de la formule de choix commun. Il est admis qu'au Manitoba, un contrat de disposition n'a pas à être écrit et il est bien établi en droit qu'un contrat oral est exécutoire.

i) Le fait que les biens devant être cédés n'avaient pas été énumérés sous forme définitive n'a aucune importance en l'espèce étant donné que l'ensemble des biens agricoles devait être transféré. ii) En fixant à la "juste valeur marchande" des biens le montant de la contrepartie, le prix était fixé avec suffisamment de précision pour être retenu comme condition valable du contrat. Il n'est pas nécessaire de préciser le montant exact auquel se fera la vente. La pratique veut que lorsque des biens sont cédés aux fins de l'article 85, on fixe, après avoir convenu de la cession, le prix à la juste valeur marchande des biens. L'énumération définitive des biens devant être transférés et la fixation de la juste valeur marchande de ces biens sont de pures "formalités administratives" servant uniquement à documenter l'accord déjà conclu le 1er  mai 1992. iii) Les biens en question devant être transférés en contrepartie de leur juste valeur marchande, il est clair que le montant de la contrepartie qui devait revenir à M. Barnabe sur la disposition des biens en question pouvait être connu. Pour qu'il y ait effectivement disposition, il n'est pas nécessaire que la contrepartie soit effectivement versée. Un contrat qui confère à l'une des parties le droit d'être payée à l'avenir, répond aux exigences de l'article 85. Selon le paragraphe 15(1) de la Loi sur les corporations du Manitoba, la corporation a la capacité d'une personne physique. Une personne physique est en droit de conclure un contrat oral et, par conséquent, une société a le même droit au Manitoba.

Le juge Robertson, J.C.A. (dissident): L'appel interjeté ne saurait aboutir pour l'une ou l'autre de quatre raisons. D'abord, le témoignage du comptable n'a pas établi que le contribuable avait l'intention de conclure un contrat entre lui-même agissant à titre personnel, et lui-même agissant en sa qualité de représentant de la société. Le témoignage a simplement établi que le contribuable avait donné à son comptable l'ordre de céder, dans le cadre d'un transfert libre d'impôt, ses équipements agricoles à une société de portefeuille. À se fonder sur le témoignage du comptable, il y a bien eu contrat non entre le contribuable à titre personnel et le même en sa qualité de représentant de la société, mais entre le contribuable et son comptable. Ce contrat imposait au comptable l'obligation d'effectuer le transfert des équipements agricoles du contribuable à la société de portefeuille de celui-ci afin de se mettre en conformité avec l'article 85 et de pouvoir profiter de l'avantage prévu par cette disposition. Selon un principe fondamental du droit des contrats, le critère qui permet de savoir si un "marché a été conclu" est un critère objectif. En l'espèce, l'intention n'a pas objectivement été démontrée.

Deuxièmement, aucune logique commerciale ne portait le contribuable à conclure un contrat non réalisé ayant force obligatoire, à moins qu'il n'ait su qu'il devait mourir avant le transfert effectif de ses équipements agricoles. La raison d'être d'un contrat non réalisé est de protéger la confiance et les attentes des parties. En l'espèce, le contribuable n'avait aucunement besoin de se protéger pour des considérations tenant à la confiance ou l'expectative, étant donné que le contrat était entre lui-même, à titre personnel, et lui-même en sa qualité d'unique administrateur, cadre et actionnaire de sa société agricole. Le contribuable n'avait aucunement besoin de conclure avec lui-même un contrat oral, à moins qu'il n'ait prévu son décès et qu'il n'ait craint que sa succession ne soit pas en mesure de bénéficier des avantages fiscaux prévus à l'article 85 de la Loi. Or, il est mort accidentellement.

Troisièmement, l'idée que l'on puisse passer avec soi-même un contrat oral est contraire aux principes fondamentaux du droit des contrats car, selon un principe fondamental du droit des contrats, le critère permettant de savoir si un marché a effectivement été conclu est un critère objectif. La personne qui entend établir, de manière objective, l'intention de se lier juridiquement avec elle-même, doit produire des éléments de preuve documentaires correspondant à l'élément objectif exigé en matière contractuelle. En l'occurrence, le droit exigeait que le contrat soit mis sous forme écrite.

Quatrièmement, le prétendu contrat oral n'assure pas la "certitude des clauses" qu'exige le droit des contrats. Il ne s'agit pas ici d'un cas où la Cour pourrait ou devrait suppléer à des lacunes contractuelles sur des points essentiels en fournissant par exemple la liste des équipements agricoles à être transférés à la société agricole, l'évaluation de leur juste valeur marchande et le montant de la contrepartie que le contribuable devait recevoir de sa société agricole en échange d'équipements non précisés. En l'espèce, on demandait à la Cour d'élaborer un contrat. On ne pourrait pas, en tout réalisme, affirmer que toutes les clauses de ce contrat ex post facto , pouvaient être raisonnablement inférées de la conversation que le contribuable avait eue avec son comptable. Il aurait été préférable que les juges majoritaires acceptent que l'intention manifeste de transférer les biens en question répondait suffisamment aux conditions auxquelles sont subordonnés les avantages fiscaux prévus à l'article 85, au lieu de s'attacher à l'idée qu'un contrat ayant force obligatoire avait été conclu avant le décès de M. Barnabe.

    lois et règlements

        Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 85(1)a) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 58), (6) (édicté par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 48), 150(1)a),d) (mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 85), 248(1) "contribuable", "personne".

        Loi sur les corporations, L.R.M. 1987, ch. C225, art. 15(1).

    jurisprudence

        décisions appliquées:

        Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada, [1995] 2 R.C.S. 187; (1995), 142 N.S.R. (2d) 1; 123 D.L.R. (4th) 449; 52 C.B.R. (3d) 1; 180 N.R. 161; Kozan (D. R.) c. M.R.N., [1987] 1 C.T.C. 2258; (1987), 87 DTC 1418 (C.C.I.); Dale c. Canada, [1997] 3 C.F. 235; (1997), 97 DTC 5252; 211 N.R. 191 (C.A.).

        distinction faite avec:

        Nesis c. R., [1998] 2 C.T.C. 2931; (1998), 98 DTC 1949 (C.C.I.); Rose c. Ministre du Revenu national, [1973] C.F. 65; [1973] C.T.C. 74; (1973), 73 DTC 5083 (C.A.); R. c Neudorf, P, [1975] CTC 192; (1975), 75 DTC 5213 (C.F. 1re inst.); La Reine c. Paxton, J.D. (1996), 97 DTC 5012; 206 N.R. 241 (C.A.F.).

        décisions citées:

        Cudd Pressure Control Inc. c. R., [1999] 1 C.T.C. 1; (1998), 98 DTC 6630 (C.A.F.); Adams c. Canada (1998), 159 D.L.R. (4th) 205; 98 DTC 6232; 227 N.R. 63 (C.A.F.); Ferrel c. R., [1999] 2 C.T.C. 101; (1999), 99 DTC 5111 (C.A.F.); Sudbrook Trading Estate Ltd. c. Eggleton, [1983] 1 A.C. 444 (H.L.); Ross (L S) Enterprises Ltd et al c MRN, [1984] CTC 2338; (1984), 84 DTC 1295 (C.C.I.).

    doctrine

        Revenu Canada, Impôt. Bulletin d'interprétation IT-169. Ottawa: Revenu Canada, 6 août 1974.

        Waddams, S. M. Law of Contracts, 4th ed. Toronto: Canada Law Book, 1999.

APPEL interjeté contre une décision de la Cour canadienne de l'impôt (Barnabe, succession c. Canada, [1998] 3 C.T.C. 2201), selon laquelle un choix valable n'a pas été opéré au regard de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu lorsque le contribuable, qui avait donné pour ordre à son comptable de transférer l'ensemble de ses biens agricoles à une société dont il était lui-même l'unique actionnaire et l'unique administrateur, et qui avait signé, en blanc, le formulaire de choix, est mort avant que le choix ait été déposé dans la forme prescrite. L'appel est accueilli (le juge Robertson, J.C.A., étant dissident).

    ont comparu:

    Jonathan B. Kroft et Frank Lavitt pour les appelants.

    Gerald L. Chartier pour l'intimée.

    avocats inscrits au dossier:

    Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winnipeg, pour les appelants.

    Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendu par

[]Le juge Robertson, J.C.A. (dissident): Dans la quatrième édition de son ouvrage Law of Contracts, le professeur Waddams remarque que de temps à autre se pose la question de savoir si l'on peut conclure un contrat avec soi-même1. La présente affaire est une de quatre dont la Cour ait été saisie au cours des 12 derniers mois portant, justement, sur la capacité légale qu'une personne a de faire cela2. Dans chacune, la question se posait dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu. Mais, comme c'est souvent le cas, ce genre d'affaire a trait moins au droit fiscal qu'aux principes de la common law régissant la formation d'un contrat exécutoire. Le présent appel découle de l'application de l'article 85 de la Loi [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 48; 1988, ch. 55, art. 58)].

[]L'article 85 de la Loi autorise un contribuable à reporter le paiement de gains en capital lorsqu'un bien est transféré par un individu à une société en contrepartie d'actions dans cette société. Comme on pourrait s'y attendre, le contribuable doit effectuer une "disposition" du bien pour pouvoir profiter de cet avantage fiscal. En l'espèce, Louis Barnabe est mort avant d'avoir effectivement transféré les équipements agricoles amortissables à une société qui avait été constituée justement pour les recevoir. Nul ne conteste qu'il avait l'intention d'effectuer ce transfert avant sa mort. Mais, aux fins de l'article 85, l'intention seule ne suffit pas. Par conséquent, la seule manière dont les appelants, les ayant-droits de M. Barnabe, puissent prétendre au bénéfice de cette disposition prévoyant un transfert libre d'impôt est d'établir qu'avant sa mort, M. Barnabe avait conclu, pour la vente de l'équipement agricole, un contrat ayant force obligatoire. Les appelants doivent en outre établir que M. Barnabe avait conclu un contrat avec lui-même, à la fois à titre personnel et en sa qualité d'unique administrateur, cadre et actionnaire de sa société agricole. Pour compliquer les choses, les appelants font valoir que le contrat présumé est un contrat oral. Le seul élément de preuve confirmant l'existence d'un tel contrat est le témoignage de M. Fillion, le comptable de M. Barnabe. Le souvenir que M. Fillion a de ce prétendu contrat oral remonte à la réunion qu'il avait eue avec M. Barnabe neuf jours avant le décès de celui-ci. Les appelants doivent, enfin, répondre à l'objection que le contrat passe sous silence au moins trois conditions importantes, à savoir la liste des équipements agricoles censés être cédés à la société agricole, la juste valeur marchande de cet équipement, et la contrepartie que M. Barnabe devait recevoir de sa société agricole en échange de ses équipements agricoles non identifiés. Les appelants estiment que ces conditions importantes peuvent être raisonnablement induites des circonstances de l'affaire.

[]Avec égards, je ne saurais me ranger à l'avis de mes confrères qui estiment que la succession de M. Barnabe peut prétendre aux avantages fiscaux découlant de l'article 85; il y a lieu, d'après moi, de rejeter l'appel, comme l'a fait le juge de la Cour de l'impôt [[1998] 3 C.T.C. 2201], mais pour des motifs légèrement différents.

[]Je fais remarquer d'emblée que mes confrères semblent estimer que, le 1er mai 1992, M. Barnabe a effectivement disposé de ses biens en les cédant à sa société agricole. Avec égards, les appelants font valoir, me semble-t-il, qu'un contrat ayant force obligatoire a été conclu le 1er mai 1992 entre M. Barnabe agissant à titre personnel et celui-ci en sa qualité d'unique administrateur, cadre et actionnaire de sa société de portefeuille. Il ne pouvait pas y avoir cession effective des biens en question avant que ces biens ne soient transférés à la société de portefeuille et qu'en échange, celle-ci remette à M. Barnabe des actions de la société. Selon mon interprétation des faits, la cession effective des biens en question n'a eu lieu qu'après le décès de M. Barnabe. L'analyse suivante repose sur cette interprétation.

[]J'estime avec égards que l'appel interjeté ne saurait aboutir, et ce pour l'une ou l'autre de quatre raisons. D'abord, le témoignage de M. Fillion n'a pas établi que M. Barnabe avait l'intention de conclure un contrat avec lui-même agissant à titre personnel, et lui-même agissant en sa qualité de représentant de la société. Ce témoignage établit, par contre, que M. Barnabe avait donné à son comptable l'ordre de céder, dans le cadre d'un transfert libre d'impôt, ses équipements agricoles à une société de portefeuille. Deuxièmement, on ne voit pas en vertu de quelle logique commerciale M. Barnabe aurait voulu conclure, avec force obligatoire, un contrat obligatoire non réalisé (c'est-à-dire un contrat qui n'a pas été intégralement exécuté), à moins qu'il n'ait su qu'il allait mourir avant d'achever le transfert effectif des biens. Nul ne conteste que le décès de M. Barnabe était accidentel. Troisièmement, l'idée même de passer, avec soi-même, un contrat oral est incompatible avec l'un des principes fondamentaux du droit des contrats. Je considère qu'il s'agit en l'occurrence d'un cas où le droit exige qu'un tel contrat soit mis sous forme écrite. Quatrièmement, et à supposer que j'aie tort sur chacun de ces points, je considère que le prétendu contrat oral n'assure pas la "détermination suffisante des clauses" qu'exige le droit des contrats. Il ne s'agit pas ici d'un cas où la Cour pourrait ou devrait suppléer à des lacunes contractuelles sur des points essentiels. Or, dans cette affaire, on demande en fait à la Cour d'interpréter un contrat. J'examinerai à tour de rôle chacune de mes objections.

[]Ma première objection est que le dossier ne permet pas de dire que M. Barnabe avait conclu contrat avec lui-même, à la fois à titre personnel et en tant que représentant de la société. Selon les appelants il ressort du témoignage de M. Fillion que la conversation qui a eu lieu entre M. Barnabe et M. Fillion permet d'établir que celui-là avait l'intention de conclure un contrat avec lui-même, agissant à titre personnel et en sa qualité d'administrateur, de cadre et d'actionnaire unique de la société agricole. Les appelants font par ailleurs valoir que M. Fillion avait retenu de cette conversation que M. Barnabe concluait, avec sa société agricole, un contrat selon lequel: [traduction] "Je, soussigné [Louis Barnabe], vous vends [c'est-à-dire à la société agricole] l'ensemble de mes biens amortissables à leur juste valeur marchande." Voilà en quels termes l'avocat des appelants a formulé le contrat lors de sa plaidoirie.

[]M. Barnabe a-t-il conclu un contrat avec luimême à titre personnel et en sa qualité de représentant de la société? L'annexe "A" des présents motifs contient la transcription de certains des propos que M. Fillion a tenus, dans son témoignage, au sujet de la conversation qu'il avait eue avec M. Barnabe le 1er  mai 1992. Je me fonde sur le témoignage de M. Fillion pour admettre qu'un contrat a été conclu, mais non pas entre M. Barnabe à titre personnel et le même en sa qualité de représentant de la société. Si un contrat a été conclu le 1er mai 1992, c'est entre M. Fillion et M. Barnabe. Ce contrat imposait à M. Fillion l'obligation d'effectuer le transfert des équipements agricoles de M. Barnabe à la société de portefeuille de celui-ci afin de se mettre en conformité avec l'article 85 de la Loi et de pouvoir ainsi profiter de l'avantage prévu par cette disposition. C'est, après tout, M. Fillion qui avait conseillé à M. Barnabe de ne pas effectuer ce transfert avant la fin de l'année d'imposition 1991 (c'est-à-dire le 30 avril 1992).

[]Il s'agit, en l'espèce, non pas de savoir si le témoignage de M. Fillion est crédible lorsqu'il affirme être convaincu que M. Barnabe avait conclu contrat avec lui-même, agissant en même temps à titre personnel et en tant que représentant de la société. Ce que M. Fillion a pu croire sur ce point n'est, en l'espèce, d'aucune pertinence. Il s'agit plutôt de savoir si la Cour est d'avis qu'un tel contrat a effectivement été formé. Selon un principe fondamental du droit des contrats, le critère qui permet de savoir si un "marché a été conclu" est un critère objectif. Ainsi, la formation du contrat ne dépend pas d'un examen des intentions subjectives des parties. Cela ne dépend pas, non plus, de ce qu'un tiers tel que M. Fillion a pu prendre pour l'intention d'une des parties. En l'espèce, la Cour ne peut qu'examiner les propos échangés entre M. Fillion et M. Barnabe afin de savoir si un contrat a effectivement été conclu. D'après moi, il ressort clairement des extraits pertinents de la transcription de cette conversation que M. Barnabe a donné à M. Fillion des instructions pour qu'il effectue le transfert libre d'impôt que permet l'article 85, mais seulement après que M. Barnabe aurait précisé quels étaient les biens qui seraient transférés à la société agricole. Mais, chose plus importante encore, cette transcription ne permet pas de savoir ce que M. Barnabe a effectivement dit à M. Fillion. Après tout, c'est à la Cour qu'il appartient de dire si un contrat a effectivement été formé, et non à un témoin dont les dires peuvent être intéressés.

[]Il faudrait, pour retenir la thèse des appelants, supposer que M. Barnabe et M. Fillion étaient tous deux conscients du fait qu'il est juridiquement possible de conclure un contrat avec soi-même si l'on agit, en même temps, à titre personnel et en qualité de représentant. M. Barnabe était un agriculteur prospère et il est difficile d'imaginer qu'un homme si près de la terre aurait eu l'occasion de se familiariser avec la métaphysique du droit des contrats. Je n'ose guère conjecturer sur la compréhension que M. Fillion peut avoir des principes classiques du droit des contrats, mais ma brève expérience du droit fiscal m'a permis de constater que les comptables ne sont jamais à court d'imagination lorsqu'il s'agit de promouvoir les intérêts de leurs clients. Il y a, pourtant, des limites à l'imagination en ce domaine et l'affaire dont est saisie la Cour se situe au-delà. Je reconnais que, selon les principes reconnus en matière de contrat, peu importe si un défendeur savait que l'engagement pris ferait naître des obligations juridiques. Le critère qui permet de conclure à l'intention de créer un lien juridique est un critère objectif, question sur laquelle nous reviendrons plus loin. Or, en l'espèce, aucun élément objectif ne témoigne d'une telle intention.

[]Ma seconde objection à la décision de mon confrère vient du fait qu'aucune logique commerciale ne portait M. Barnabe à conclure un contrat non réalisé ayant force obligatoire, à moins qu'il n'ait su qu'il devait mourir avant le transfert effectif de ses équipements agricoles. Je reconnais que cette objection n'est pas évidente en soi.

[]La plupart des arrangements contractuels que nous concluons dans la vie quotidienne ne sont pas des contrats non réalisés, c'est-à-dire qu'ils n'exigent pas que leur exécution intégrale soit différée. Il n'y a, en général, aucun intervalle entre la date de formation du contrat et la date de son exécution. Les offres et les acceptations soit immédiatement suivies d'une remise d'argent en contrepartie de biens ou de services. La formation du contrat et son exécution ont lieu simultanément. Il y a des cas, cependant, où l'échange des engagements reste inachevé car les parties ne sont pas encore capables, lors de la formation du contrat, de remplir leurs obligations. Malgré cette incapacité des parties à exécuter intégralement les obligations prévues, un contrat non réalisé prend néanmoins naissance, sa raison d'être étant de protéger la confiance et les attentes des parties. Il en va souvent de même dans les contrats de vente de maison. Dans ce genre de situation, le contrat non réalisé donnera à l'acheteur en puissance l'assurance que la maison ne sera pas vendue à un tiers. Les parties sont parfaitement conscientes du fait que toute violation de cette condition pourra donner lieu à des dommages-intérêts ou à une mesure d'exécution en nature. La confiance que les parties se font doit être protégée. Étant donné que les parties devront engager des frais pour satisfaire à leurs obligations contractuelles le jour où la vente aura effectivement lieu, le contrat non réalisé permet, en cas de violation, de protéger la confiance réciproque des parties.

[]Admettant que le contrat non réalisé trouve sa raison d'être dans la protection des attentes et de la confiance des parties, on est porté à se demander si de telles considérations pouvaient être à l'origine de la décision de M. Barnabe de passer un contrat avec lui-même. La réponse me semble évidente. M. Barnabe n'avait aucunement besoin de se protéger pour des considérations tenant à la confiance ou à l'expectative. Personne ne pouvait se plaindre s'il décidait, avant de les transférer à sa société agricole, de vendre certains de ses équipements agricoles à un tiers. Il en va de même sur le plan des dépenses que l'engagement contracté par une des parties peut porter l'autre à encourir avant que n'ait lieu le transfert effectif. Ni l'une ni l'autre des parties contractantes (si l'on peut en l'occurrence s'exprimer ainsi) n'aurait été à même de se plaindre si le prétendu contrat oral avait, par la suite, été modifié ou résilié. M. Barnabe, en somme, n'avait aucunement besoin de conclure avec lui-même un contrat oral, à moins qu'il n'ait prévu son décès et qu'il n'ait craint que sa succession ne soit pas en mesure de bénéficier des avantages fiscaux prévus à l'article 85 de la Loi. Comme nous l'avons indiqué plus tôt, M. Barnabe est mort accidentellement.

[]Ma troisième objection, qui n'est pas sans rapport avec l'autre, est que le droit ne saurait permettre que l'on passe avec soi-même un contrat oral, car un tel contrat serait contraire aux principes fondamentaux du droit des contrats. D'après moi, de tels contrats doivent, pour avoir force obligatoire et signification juridique, être mis sous forme écrite. Certains trouveront paradoxal qu'un tribunal prône la nécessité de l'écrit alors que certaines commissions de réforme du droit prônent l'abolition de la loi relative aux preuves littérales (sans succès d'ailleurs, hormis au Manitoba). Il me semble cependant logique, si l'on veut respecter un principe fondamental du droit des contrats, d'exiger que des contrats conclus par une seule personne agissant à deux titres différents soit mis par écrit.

[]Comme nous l'avons indiqué plus haut, selon un principe fondamental du droit des contrats, le critère permettant de savoir si un marché a effectivement été conclu est un critère objectif. Le principe de l'objectivité en matière de formation de contrat est clairement énoncé par le professeur Waddams3:

[traduction] Le droit des contrats a pour fonction principale de protéger les attentes raisonnables qui naissent d'une promesse. Il s'ensuit que, le droit des contrats cherche moins à accomplir la volonté de celui qui promet qu'à protéger les attentes de celui à qui on a promis. Cela ne veut cependant pas dire que la volonté de celui qui promet n'est d'aucune importance. Toute définition du contrat, que celui-ci soit fondé sur l'accord ou sur la promesse, comprend un élément de consentement. Mais le critère qui permet de savoir s'il y a eu promesse, ou si l'assentiment équivaut en l'occurrence à un accord, ne dépend pas et ne doit pas dépendre d'un examen de l'état d'esprit de celui qui promet, mais bien de la manière dont une personne raisonnable se trouvant dans la situation de la personne à qui la chose a été promise percevrait le comportement de celui qui promet. Si A fait une offre à B, qui l'accepte dans un délai raisonnable, A sera liée par son offre même si, secrètement, A avait changé d'avis entre temps, c'est-à-dire entre l'offre et l'acceptation. Ce n'est pas simplement une règle d'administration de la preuve. Il en irait de même si A avait pu produire des éléments de preuve établissant qu'elle avait effectivement changé d'avis. Pour éviter de voir sa responsabilité engagée, elle aurait dû faire savoir à B qu'elle avait changé d'avis, et si elle ne le fait pas, elle ne saurait se plaindre si on lui impute l'interprétation auquel son comportement pouvait raisonnablement donner lieu.

    [. . .]

Le principe de l'objectivité en matière de formation du contrat n'est pas une règle mystérieuse ou arbitraire mais un résultat inévitable de cette volonté qu'a le droit de protéger les attentes raisonnables des parties.

[]Je considère que la passation, avec soi-même, d'un contrat oral est, en matière contractuelle, contraire au principe d'objectivité. Comment pourrait-on affirmer de manière réaliste l'existence d'un contrat ayant force obligatoire alors que ce contrat peut être annulé ou modifié selon le bon vouloir d'un individu? Le droit est disposé à admettre qu'une personne peut conclure un contrat avec elle-même, mais il faut tout de même démontrer par une preuve objective que l'intéressé avait effectivement l'intention de se lier par contrat. Si le contribuable ou la succession d'un contribuable entend obtenir du ministre un avantage en excipant d'un engagement ayant force obligatoire, il lui faudra rapporter la preuve objective de cet engagement. On ne saurait se fonder uniquement sur la mémoire d'un tiers, en l'occurrence M. Fillion, qui avait après tout pour tâche de s'assurer que la succession respectait la Loi de l'impôt sur le revenu. Je précise que l'exigence de l'écrit ne s'appliquera pas aux situations où une personne, agissant à un double titre, conclut un contrat avec un tiers. L'existence d'un tel contrat pourra être établie au moyen d'un témoignage oral, ainsi qu'il en va de la plupart des contrats synallagmatiques (hormis l'exception générale des contrats portant sur l'achat et la vente de terrains). Mais, dans les cas comme celui dont la Cour est saisie, la personne qui entend établir, de manière objective, l'intention de se lier juridiquement avec elle-même doit produire des éléments de preuve documentaires correspondant à l'élément objectif exigé en matière contractuelle. Il serait injuste de permettre aux contribuables de prétendre à des avantages fiscaux autorisés par la Loi s'ils ne peuvent établir, par une preuve objective, qu'ils remplissent les conditions préalables imposées par le législateur.

[]À supposer que ces trois objections ne soient pas fondées, je ferais valoir, comme quatrième objection, que le contrat oral dont excipent les appelants n'assure pas cette "certitude des clauses" exigée en matière contractuelle. Pour l'avocat des appelants, c'est à la Cour qu'il appartient, par inférence, de fournir la liste actuelle des équipements agricoles à être transférés, l'évaluation de leur juste valeur marchande, et un "accord" quant à ce que la société de portefeuille de M. Barnabe aurait à verser en contrepartie. Il cite, à l'appui de cette proposition, l'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada4 . Je ne saurais retenir cet argument.

[]Jointe aux présents motifs à titre d'annexe "B" est une copie du contrat rédigé après la mort de M. Barnabe exposant dans le détail les obligations contractuelles (12 clauses) dont auraient présumément convenu, la 1er  mai 1992, M. Barnabe et sa société agricole. Compte tenu des clauses de ce contrat ex post facto, pourrait-on, en tout réalisme, affirmer qu'elles peuvent toutes être raisonnablement inférées de la conversation que M. Barnabe a eue avec M. Fillion? Je ne le pense certainement pas! Le contrat, qui comporte cinq pages plus huit pages d'annexes, opère la vente de plus de 700 000 $ de biens en échange d'actions de la société de portefeuille et de la prise en charge, par cette société, des dettes relatives aux biens en question.

[]Je reconnais que la question de savoir jusqu'à quel point les tribunaux sont disposés à suppléer aux lacunes d'un contrat fait l'objet d'une longue controverse. Je reconnais également que les tribunaux ont souvent, pour donner à une opération de l'efficacité commerciale, fourni des conditions importantes sur lesquelles les parties ne s'étaient pas entendues. Cela vaut notamment pour le prix. Mais, la plupart du temps, ce genre d'intervention s'explique de l'une de deux manières. D'abord, lorsque les parties en cause contractent sans se soucier des formalités juridiques. C'est ainsi qu'entre un acheteur et un fournisseur une relation commerciale va se nouer, et leurs échanges seront alors régis par les conditions qui leur sont devenues habituelles. Il s'agira, dans la seconde hypothèse, de contrats exécutés intégralement ou en partie par l'une des parties contractantes alors que l'autre partie refuse de satisfaire à l'une des obligations qui lui incombent en vertu du contrat, invoquant pour cela l'imprécision d'une condition essentielle, en général le prix. L'affaire Mitsui relève de cette deuxième catégorie.

[]Dans l'affaire Mitsui, le contrat de bail relatif à un hélicoptère offrait au preneur à bail la possibilité de se porter acquéreur de l'hélicoptère à "la juste valeur marchande raisonnable de l'hélicoptère établie par le bailleur". Il s'agissait de savoir si le bail offrait un choix véritable. La Cour suprême a estimé qu'un contrat prévoyant la vente de certaines marchandises à leur juste valeur marchande était valable et avait force obligatoire et qu'il incombait au bailleur de fixer la valeur en question de bonne foi. J'estime, avec égards, que si l'arrêt Mitsui est important, c'est parce que le fait qu'il incombait au bailleur de fixer la juste valeur marchande n'a pas porté la Cour à conclure que la condition offrant au preneur à bail la possibilité de se porter acquéreur de l'hélicoptère n'était pas exécutoire dans la mesure où, par cette clause, les parties ne s'engageaient en fait qu'à rechercher un accord. D'après la jurisprudence anglaise, y compris la décision Sudbrook Trading Estate Ltd. v. Eggleton5, citée par la Cour suprême dans l'arrêt Mitsui, la convention par laquelle les parties s'engagent à payer la juste valeur marchande n'est pas exécutoire si les parties n'ont pas convenu d'une clause d'arbitrage en vertu de laquelle sera réglé tout différend concernant la valeur. Pour les fins du présent appel, ce qu'il convient de retenir de l'arrêt Mitsui, c'est que la Cour suprême a accepté de reconnaître le caractère exécutoire d'une option du fait que toutes les conditions préalables à son exercice étaient réunies, malgré le fait que le contrat en cause ne contenait aucune clause d'arbitrage. Le fait de refuser au preneur à bail le droit de lever l'option au motif que celle-ci ne constituait pas un contrat ayant force obligatoire aurait permis d'invoquer l'enrichissement sans cause du bailleur. Si, cependant, il n'y avait pas eu, entre les parties, un lien contractuel préexistant, et qu'elles avaient simplement convenu d'acheter et de vendre l'hélicoptère à sa juste valeur marchande, telle que fixée par le bailleur, il est peu probable que la Cour suprême aurait conclu à l'existence d'un contrat ayant force obligatoire. L'idée que le donneur à bail est tenu, dans la fixation d'un prix de vente, d'agir de bonne foi, est une invitation au procès.

[]D'après moi, des précédents tels que l'arrêt Mitsui ne peuvent guère être invoqués en l'espèce par les appelants. L'arrêt Mitsui représente indubitablement un important progrès du droit des contrats puisqu'il fournit la certitude permettant d'établir l'existence d'un contrat ayant force obligatoire par le jeu d'inférences raisonnables concernant l' "intention" présumée des parties. Mais, en l'espèce, les appelants n'ont pas demandé à la Cour de procéder par inférence. Ils demandent en fait à la Cour d'élaborer un contrat, auquel il manque au moins trois conditions importantes. À ma connaissance, la position adoptée par mes confrères est sans précédent. Je ne suis pas non plus convaincu que cette affaire se prête à un tel développement du droit.

[]L'avocat des appelants, M. Kroft, a convaincu mes confrères de retenir une issue équitable, et ses efforts en ce sens sont méritoires. Je ne saurais, hélas, souscrire à leur interprétation du droit des contrats. Avec égards, j'estime qu'il aurait été préférable que les appelants soutiennent, et que les juges majoritaires acceptent, que l'intention manifeste de transférer les biens en question répondait suffisamment aux conditions auxquelles sont subordonnés les avantages fiscaux prévus à l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu, au lieu de s'attacher à l'idée qu'un contrat ayant force obligatoire avait été conclu avant le décès de M. Barnabe.

[]Il y aurait lieu de rejeter l'appel avec dépens.

    * * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[]Le juge Sexton, J.C.A.: La principale question litigieuse que soulève la présente affaire est de savoir si c'est avec raison que le juge de la Cour de l'impôt a estimé que Louis Barnabe n'a pas conclu, en droit, avant son décès, un contrat avec la Barnabe Grain Farms Ltd. en vue de la disposition, aux fins de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu, de ses biens agricoles. Je dois dire, avec égards, qu'après avoir examiné les éléments de preuve versés au dossier, dont beaucoup n'ont pas été contredits, j'ai conclu à l'existence d'un contrat oral.

[]Jusqu'à sa mort accidentelle, le 10 mai 1992, Louis Barnabe a été un agriculteur prospère du Manitoba. Vers la fin de l'année 1990, il commença à préparer la cession de ses biens agricoles, hormis ses terres, à une société qu'il possédait en propriété exclusive et, dès 1991, la direction de son exploitation agricole était assumée par la société en question, la Barnabe Grain Farms Ltd. C'est la société qui réglait toutes les dépenses et qui percevait les revenus de l'exploitation, ayant par ailleurs le contrôle et la possession des équipements agricoles que lui louait M. Barnabe.

[]En janvier 1992, M. Barnabe se réunit avec son comptable, Denis Fillion, pour envisager la cession de ses équipements agricoles à la Barnabe Grain Farms Ltd., société dont il était l'unique actionnaire et l'unique administrateur, et qu'il avait justement créée afin qu'elle reprenne l'exploitation agricole. M. Fillion conseilla à M. Barnabe de ne pas céder à la société les équipements en question avant d'avoir rempli sa déclaration de revenus pour 1991.

[]Le 1er mai 1992, M. Barnabe se réunit à nouveau avec M. Fillion afin de signer sa déclaration de revenus personnelle de 1991 et de faire le point sur ses affaires. Selon le témoignage de M. Fillion, M. Barnabe a décidé, au cours de cette réunion, de céder ses équipements agricoles à sa société de portefeuille, lui donnant des directives en ce sens. Selon lui, M. Barnabe a en outre signé le formulaire officialisant le choix prévu en cas de disposition aux fins de l'article 85 (il a signé une formule en blanc), document que M. Fillion était censé remplir et faire enregistrer. Malheureusement, ni l'un ni l'autre n'a pris de notes quant à ce qui a été décidé au cours de cette réunion, le formulaire en question a été égaré par M. Fillion, et le choix effectué n'a pu être déposé avant le décès de M. Barnabe.

[]Les appelants en l'espèce, Roger et Richard Barnabe, sont les exécuteurs testamentaires de la succession de M. Barnabe et, depuis le décès de celui-ci, administrateurs de la Barnabe Grain Farms Ltd. C'est le 20 mai 1992 que M. Fillion fit pour la première fois savoir aux exécuteurs testamentaires que M. Barnabe avait conclu un contrat en vue de la disposition de ses biens agricoles. Une nouvelle formule de choix T-2057 fut remplie, signée par les appelants et déposée le 29 janvier 1993.

[]Les appelants prétendent que c'est lors de la réunion du 1er mai 1992 que M. Barnabe effectua la disposition aux fins de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Leur avocat soutient que c'est à cette date que M. Barnabe a pris la décision de céder, à leur juste valeur marchande, l'ensemble de ses biens. Il affirme que le choix opéré par les exécuteurs testamentaires après le décès de M. Barnabe était valable pour les fins de l'article 85.

[]L'avocat de l'intimée considère pour sa part que le témoignage de M. Fillion ne permet aucunement de conclure qu'un contrat avait été effectivement conclu, estimant que pour qu'un choix effectué au regard du paragraphe 85(6) soit valable, il aurait fallu qu'il précède le décès de M. Barnabe.

Le cadre législatif

[]Sont pertinentes en l'espèce les dispositions suivantes de la Loi de l'impôt sur le revenu:

85. (1) Lorsqu'un contribuable a disposé, au cours d'une année d'imposition, d'un bien admissible en faveur d'une corporation canadienne imposable et pour une contrepartie comprenant des actions du capital-actions de la corporation, et que le contribuable et la corporation en ont fait le choix sur le formulaire prescrit conformément au paragraphe (6), les règles suivantes s'appliquent:

    a) la somme convenue entre le contribuable et la corporation, dans leur option, relativement au bien, est réputée être, pour le contribuable, le produit de disposition du bien et, pour la corporation, le coût du bien;

    [. . .]

(6) Toute option en vertu du paragraphe (1) ou (2) doit être prise au plus tard à la date qui survient la première parmi les dates auxquelles un contribuable prenant l'option doit, au plus tard, produire une déclaration de revenu, en application de l'article 150, pour l'année d'imposition pendant laquelle a eu lieu l'opération à laquelle se rapporte l'option.

Conclusions du juge de la Cour de l'impôt

[]De l'avis du juge de la Cour de l'impôt, pour que le choix effectué au regard de l'article 85 soit valable, il fallait qu'il soit effectué par M. Barnabe personnellement, avant sa mort. Il a estimé qu'en l'espèce il n'y avait pas eu de choix valable.

[]Le juge de la Cour de l'impôt a conclu, pour les raisons suivantes, qu'il n'y avait pas eu disposition valable des biens agricoles au profit de la Barnabe Grain Farms Ltd.:

    a) aucune liste n'énumérait les biens devant être cédés;

    b) il n'existait, entre M. Barnabe et sa société, aucun contrat ayant force obligatoire;

    c) la juste valeur marchande des biens en question n'avait pas été établie;

    d) La Barnabe Grain Farms Ltd. n'avait adopté aucune résolution autorisant la société à conclure un contrat.

Les questions en litige

[]Le présent appel soulève deux questions:

    1. Y a-t-il eu, de la part des appelants et de la Barnabe Grain Farms Ltd., un choix valable en vue de la disposition des biens agricoles conformément au paragraphe 85(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu?

    2. Y a-t-il eu, le 1er mai 1992, disposition valable des équipements agricoles de M. Barnabe?

ANALYSE

A.  Le choix effectué aux fins du paragraphe 85(6)

[]Le juge de la Cour de l'impôt a estimé que pour qu'un choix soit valable en vertu de l'article 85, il fallait qu'il fût effectué par M. Barnabe personnellement. J'admets, cependant, la thèse des appelants, selon qui, après le décès de M. Barnabe, les exécuteurs testamentaires de celui-ci pouvaient effectuer un choix valable. Ils l'ont fait, effectivement, en remplissant et en signant une nouvelle formule T-2057, déposée le 29 janvier 1993.

[]Les appelants étaient-ils en droit d'effectuer, au nom de M. Barnabe et après le décès de celui-ci, un choix commun? Selon le paragraphe 85(6), le choix doit être effectué par "un contribuable". Selon la définition du paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu , cela comprend "toute personne, qu'elle soit tenue ou non de payer l'impôt". Le paragraphe 248(1) précise que la notion de "personne" comprend notamment "les héritiers, exécuteurs testamentaires, administrateurs et autres représentants légaux de cette personne, selon la loi de la partie du Canada visée par le contexte".

[]Le mot "contribuable" englobe donc un exécuteur testamentaire. Cela est dans la logique du formulaire fourni par Revenu Canada, qui prévoit que la personne signant la formule de choix en tant que cédant pourra notamment être un cadre ou autre personne autorisée. En l'espèce, les personnes autorisées étaient les exécuteurs testamentaires de la succession Barnabe. Il est également clair que les dirigeants de la société étaient habilités à signer au nom du cédant.

[]Le choix a manifestement été déposé dans le délai prescrit. Selon le paragraphe 85(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le choix doit être effectué avant la première des deux dates auxquelles chacun des contribuables effectuant le choix est tenu de produire sa déclaration de revenus. L'alinéa 150(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu exige d'une société qu'elle produise une déclaration de revenus dans les six mois qui suivent la fin de l'exercice financier. L'alinéa 150(1)d) [mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 85] exige qu'une déclaration de revenus soit produite par un particulier au plus tard le 30 avril de l'année suivante. Barnabe Grain Farms Ltd. était donc tenue de produire sa déclaration de revenus au plus tard le 30 janvier 1993, alors que la déclaration de M. Barnabe devait être produite au plus tard le 30 avril 1993. En conséquence, le choix commun devait être déposé au plus tard le 31 janvier 1993 pour satisfaire aux exigences du paragraphe 85(6).

[]Le choix a été déposé le 29 janvier 1993. Je conclus donc que ce choix était valable et qu'il a été déposé en temps utile.

B.  Y a-t-il eu disposition valable?

I.  Contrat exécutoire

[]J'écarte les motifs par lesquels le juge de la Cour de l'impôt a refusé d'admettre qu'un contrat de disposition avait été effectivement conclu. Le témoignage de M. Fillion concernant la réunion du 1er mai 1992 demeure incontesté et le juge de la Cour de l'impôt n'a nullement indiqué qu'il ne croyait pas M. Fillion. Ces propos, extraits du témoignage de M. Fillion, renforcent la thèse des appelants.

[traduction]

Q    Je voudrais maintenant traiter de la discussion que vous avez eue avec M. Barnabe, notamment en ce qui concerne le transfert des biens amortissables. Vous nous avez dit que vous aviez l'impression que [. . .] Je vous demanderais de revenir sur cela afin d'être certain que nous avons bien saisi de quoi il s'agissait. Quelle était, d'abord, la teneur des conseils que vous avez donnés à M. Barnabe?

R     J'ai conseillé à M. Barnabe de transférer les biens en question [. . .]

Q     Et a-t-il [. . .]

R    [. . .] et M. Barnabe s'est dit d'accord.

Q    Bon. Et vous en avez conclu que c'est à ce moment-là qu'il a pris la décision de transférer les biens?

R    Oui, c'est à ce moment-là que la décision a été prise.

Q    D'après votre discussion avec M. Barnabe le 1er mai 1992, quelle est la date que vous retiendriez comme date où la cession des biens a effectivement eu lieu?

R    Le 1er mai.

Q    De quelle année?

R    De 19926.

[]Il ressort clairement de ce témoignage que, le 1er mai 1992, M. Barnabe avait nettement décidé de transférer à la société l'ensemble de ses biens agricoles. Le passage suivant établit qu'il ne restait plus qu'à remplir les formalités nécessaires afin de faire état de la décision, et de fixer la "juste valeur marchande" des biens en question:

Q    Je vous remercie. Comment a-t-on décidé, au juste, quels équipements seraient transférés à la société?

R    C'est tout l'équipement qui a été transféré.

Q    Tout l'équipement agricole qu'il possédait?

R    Tout l'équipement agricole et aussi les bâtiments.

Q    A-t-on jamais envisagé d'exclure une partie de l'équipement agricole?

R    Non.

Q    Le 1er mai, possédiez-vous la liste des équipements agricoles appartenant à Louis Barnabe?

R    Oui, nous avions la liste dans nos dossiers,

Q    M. Barnabe en a-t-il jamais vérifié le contenu?

R    Oui, il lui a fallu vérifier la liste, et puis alors il nous a également fallu, il lui a fallu [. . .] il fallait établir la juste valeur marchande des équipements en question.

Q    Mais à part cela, pour effectuer vos calculs, vous fallaitil obtenir de M. Barnabe des renseignements supplémentaires?

R    Non7.

L'ensemble des équipements agricoles a donc été cédé à sa juste valeur marchande.

[]Le fait que M. Barnabe aurait éventuellement pu changer d'avis et décider d'annuler le transfert n'a que peu d'importance. Il est constant en droit que les parties peuvent toujours convenir de résoudre un contrat qu'elles ont conclu. En outre, rien n'indique que M. Barnabe ait eu l'intention de résoudre le contrat. Au contraire, les autres éléments du dossier confirment que M. Barnabe entendait consigner la disposition en bonne et due forme.

[]Il est utile, à ce stade-ci, de résumer les mesures prises par M. Barnabe, mesures qui confirment les déclarations de M. Fillion, selon qui M. Barnabe avait effectivement décidé de procéder au transfert des biens agricoles en question:

1) Au mois de juin 1990, M. Barnabe a expliqué à l'avocat qui devait plus tard s'occuper de la constitution de la Barnabe Grain Farms Ltd., qu'il s'agissait de créer une entreprise personnelle qui reprendrait les activités agricoles qu'il avait jusqu'alors personnellement gérées. M. Barnabe avait déclaré à son avocat que la nouvelle société acquerrait les stocks et les équipements lui appartenant et remplirait les engagements de celui-ci en ce qui concerne les terres agricoles qu'il louait d'autres propriétaires8.

2) Le 28 décembre 1990, M. Barnabe a créé la société Barnabe Grain Farms Ltd., étant, lui, l'unique dirigeant, administrateur et actionnaire. En 1991, c'est la société qui a dirigé l'exploitation agricole.

3) C'est la Barnabe Grain Farms Ltd. qui réglait toutes les dépenses et percevait tous les revenus de l'exploitation agricole. C'est elle qui avait la possession et le contrôle des biens amortissables et qui assumait toutes les dépenses en découlant. En 1991, elle a versé d'ailleurs à M. Barnabe un loyer pour l'utilisation des biens agricoles en question9.

4) Selon des éléments de preuve non contestés, le 1er mai 1992, M. Barnabe a, en son nom propre et au nom de la Barnabe Grain Farms Ltd., signé en blanc un formulaire de choix T-2057. Il s'agit de la formule de choix commun régissant les transferts de biens aux fins du paragraphe 85(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. M. Fillion a, malheureusement, égaré la formule10.

5) Le 4 mai 1992, M. Barnabe s'est réuni avec son courtier d'assurances afin de renouveler la police d'assurance de la ferme et des biens amortissables. La prime d'assurance fut réglée par chèque tiré sur le compte de la société. À l'époque, M. Barnabe a fait savoir à son courtier d'assurances que son exploitation agricole était dorénavant dirigée par la société.

[]J'estime que les actes de M. Barnabe confirment le témoignage non contredit de M. Fillion, selon qui M. Barnabe avait, le 1er mai 1992, conclu un contrat afin de céder ses biens agricoles à la société. Cela permet de faire une distinction entre la présente affaire et la récente affaire Nesis c. R.11, dans laquelle le contribuable n'a pas pu établir qu'un contrat avait effectivement été conclu en novembre 1987, le premier acte manifeste témoignant de l'existence d'un contrat n'ayant eu lieu qu'en septembre 1988.

[]Je devrais, en principe, dire que j'adopte ici la constatation que le juge Bonner de la Cour de l'impôt a faite dans l'affaire Nesis (à la page 1949 du recueil):

Un engagement contractuel entre un actionnaire et une société à peu d'actionnaires n'est pas conclu du fait d'une décision prise dans l'esprit d'un actionnaire, à moins que cette décision ne s'accompagne d'un acte manifeste de la société12.

Cependant, il ressort des faits de l'espèce suffisamment d'éléments de preuve établissant que la société a pris des mesures manifeste telle la signature de la formule de choix commun. S'il est regrettable que cette formule de choix ait été égarée, le juge de la Cour de l'impôt n'a aucunement indiqué qu'il n'avait pas trouvé le témoignage de M. Fillion crédible sur ce point.

[]Compte tenu des faits, il est aisé de faire une distinction par rapport à la décision de la Cour dans l'affaire Rose c. Ministre du Revenu National. Dans l'affaire Rose, le juge en chef Jackett avait conclu que:

[. . .] l'appelante n'a pas réussi à faire cette démonstration, parce qu'elle n'a pas démontré que le contrat passé entre la société et la Central Park Estates Limited pour la gestion des immeubles de rapport à été exécuté avant que la compagnie ne vende ses immeubles13.

Puisque, dans cette autre affaire, rien n'établissait que la société de personnes avait autorisé les cinq administrateurs à poursuivre leur gestion, et puisque les statuts de la société étaient muets sur la question de savoir comment la société pourrait poursuivre ses activités, la Cour avait conclu au besoin d'étayer, par la production de documents, la thèse de l'appelant. En l'espèce, les témoignages et les actes manifestes de M. Barnabe montrent qu'il y avait bien contrat même s'il n'a pas été possible de produire les documents attestant l'opération.

[]Le témoignage de M. Fillion, selon lequel il y a effectivement eu transfert, permet d'établir une distinction entre la présente affaire et les nombreuses autres affaires portant sur la question, dans lesquelles l'absence de preuve était manifeste. L'affaire R c Neudorf, P14, dans laquelle la Cour a appliqué l'arrêt Rose, peut être distinguée de la présente affaire puisqu'en l'espèce, on ne relève aucun arrangement pris ex post facto pour des considérations purement fiscales. Au contraire, la preuve démontre en l'occurrence que M. Barnabe avait, plus d'un an avant son décès, décidé de transférer l'équipement à la nouvelle société, ce qu'il a fait le 1er mai 1992.

[]Il est admis qu'au Manitoba, un contrat de disposition n'a pas à être écrit et il est bien établi en droit qu'un contrat oral est exécutoire15. Examinons maintenant les autres problèmes évoqués par le juge de la Cour de l'impôt.

i)  L'énumération des biens

[]Pour le juge de la Cour de l'impôt, le fait que les biens devant être cédés n'avaient pas été énumérés sous forme définitive confirmait sa conclusion que la disposition n'avait pas été achevée. Il ressort clairement du témoignage de M. Fillion, cependant, que l'ensemble des équipements agricoles devait être transféré et je n'attache, par conséquent, aucune importance particulière à ce détail.

ii)  L'évaluation des biens

[]Les propos qui suivent renforcent l'effet de l'extrait reproduit au paragraphe 40 lorsqu'il s'agit d'établir que le prix des biens en question avait été établi puisqu'il était fixé à leur juste valeur marchande:

[traduction]

Q.    J'imagine donc qu'il serait normal, ou peut-être devrais-je vous demander si, d'après vous, et aux termes du transfert libre d'impôt prévu à l'article 85, la cession des biens doit se faire à leur juste valeur marchande?

R.    Le transfert doit se faire effectivement à la juste valeur marchande des biens, mais le montant choisi [. . .]

Q.    Je comprends bien qu'une répartition se fait. Est-il habituel ou inhabituel de fixer, du moins de manière définitive, la juste valeur marchande des biens à une date postérieure à la conclusion de l'accord?

R.    Tout à fait habituel.

Q.    Les accords auxquels vous avez pris part, c'est-à-dire pour le transfert libre d'impôt, contiennent-ils habituellement une clause de réajustement du prix?

R.    Oui, il y en a toujours une.

Q.    Et quel est le rôle de cette clause de réajustement du prix?

R.    Cela permet de revoir la juste valeur marchande au cas où Revenu Canada la met en cause.

Q.    On pourrait donc dire que la juste valeur marchande peut être modifiée, selon les circonstances, après la signature de l'accord?

R.    Oui, c'est effectivement le cas16.

[]J'estime qu'en fixant à la "juste valeur marchande" des biens le montant de la contrepartie, le prix était fixé avec suffisamment de précision pour être retenu comme condition valable du contrat. Il est admis en droit que les parties peuvent être liées par un contrat de vente fixant comme prix la juste valeur marchande des biens en question. Il n'est donc pas nécessaire de préciser le montant exact auquel se fera la vente. Je renvoie, à cet égard, aux remarques du juge Major, se prononçant au nom d'une Cour suprême unanime dans l'arrêt Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada :

Les parties avaient déjà convenu que le prix de la levée de l'option serait la "juste valeur marchande raisonnable" des hélicoptères. Ce prix n'est pas incertain. Il n'est pas sujet à d'autres négociations; il ne s'agit pas d'un "engagement à conclure un accord". Ce prix a été fixé à la juste valeur marchande raisonnable. Comme la Cour d'appel de la Colombie-Britannique l'a souligné dans Re Nishi , une option d'achat à la "juste valeur marchande" est exécutoire. Il ne s'agit pas d'une situation où il reste encore à s'entendre sur le prix ou une autre condition importante de l'option. Le droit reconnaît que les conventions d'achat futur d'une propriété à un "prix raisonnable" ou à sa "juste valeur marchande" sont valides et exécutoires17 .

[]Selon le témoignage non contredit de M. Fillion, la pratique veut que lorsque des biens sont cédés aux fins de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu, on fixe, après avoir convenu de la cession, le prix à la juste valeur marchande des biens18. J'admets son témoignage, selon lequel les contrats portant cession de biens aux fins de l'article 85 contiennent normalement des clauses d'ajustement du prix, prévoyant l'ajustement a posteriori des valeurs attribuées aux biens en question au cas où cette valeur ne correspondrait pas à la juste valeur marchande19. Revenu Canada a reconnu l'effet et la validité de telles clauses20.

[]Il ressort clairement du témoignage de M. Fillion que l'énumération définitive des biens devant être transférés et la fixation de la juste valeur marchande de ces biens étaient de pures "formalités administratives" servant uniquement à documenter l'accord déjà conclu le 1er  mai 1992. On retrouve une situation analogue dans l'affaire Kozan (D.R.) c. M.R.N., dans le cadre de laquelle le juge Goetz de la Cour de l'impôt a estimé:

L'enregistrement du titre fut retardé jusqu'au mois de mars 1980, mais les démarches à effectuer en 1980 n'étaient en l'occurrence que des formalités administratives, à savoir l'obtention d'un certificat du curateur public et la transmission du titre. Les deux parties ont considéré cela comme une chose acquise. Les deux ont agi à tous égards comme si la disposition avait été conclue en 1979. Il est donc clair que les nouvelles cotisations établies par le Ministre pour les années d'imposition 1979 et 1980 étaient fondées21.

[]Enfin, l'affaire dont nous sommes saisis se distingue d'une affaire telle que La Reine c. Paxton, J.D.22 où le prix n'avait pas été convenu, car il est clair qu'en l'espèce le prix a été fixé à la "juste valeur marchande".

iii)  La contrepartie

[]Les biens en question devant être transférés en contrepartie de leur juste valeur marchande, il est clair que le montant de la contrepartie qui devait revenir à M. Barnabe sur la disposition des biens en question pouvait être connu. La question essentielle n'est pas en l'espèce de savoir si M. Barnabe a reçu quelque chose en contrepartie, mais s'il existait bien un contrat exécutoire en vertu duquel M. Barnabe pouvait prétendre au produit de la disposition. La Cour a décidé, dans son arrêt Dale c. Canada23, que pour qu'il y ait effectivement disposition, il n'est pas nécessaire que la contrepartie soit effectivement versée. En un mot, un contrat qui, comme celui dont il est question ici, confère à l'une des parties le droit d'être payée à l'avenir, répond aux exigences de l'article 85.

iv) La nécessité, pour la société, d'adopter une résolution en ce sens

[]D'après moi, il n'était pas nécessaire en l'espèce qu'intervienne une résolution de la société pour rendre effective la disposition des biens. Le paragraphe 15(1) de la Loi sur les corporations du Manitoba24 prévoit: "La corporation a, sous réserve de la présente loi, la capacité d'une personne physique". Il est clair qu'une personne physique est en droit de conclure un contrat oral et que, par conséquent, une société a le même droit au Manitoba.

[]Enfin, le juge Robertson de la Cour d'appel, dans des motifs auxquels a souscrit son confrère le juge Strayer, a décidé dans l'arrêt Paxton: "Il s'ensuit que la présente Cour ne se soucie pas de la forme sous laquelle se présentent les transferts dans le contexte des dispositions de la Loi qui s'appliquent aux cas de roulement"25. Il s'agissait, dans cette autre affaire, de savoir si les éléments versés au dossier confirmaient l'existence d'un contrat oral exécutoire. Après examen des éléments de preuve produits, la Cour majoritaire a estimé que c'était d'autant moins le cas qu'aucun prix n'avait été fixé. En l'espèce, le prix a été fixé, par accord des parties, à la juste valeur marchande des biens en question, ce qui permet aisément de distinguer de l'affaire Paxton l'affaire dont la Cour est saisie en l'espèce.

Conclusion

[]Compte tenu du témoignage non contredit du comptable de M. Barnabe et des faits qui l'étayent, je conclus qu'il y a eu en l'espèce, au regard de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu, disposition valable. Je conclus également que le choix effectué par les exécuteurs testamentaires au titre du paragraphe 85(6) était, lui aussi, valable. Il convient, en conséquence, d'accueillir l'appel et d'adjuger des dépens en faveur des appelants.

Le juge Strayer, J.C.A.: J'en conviens.

1 S. M. Waddams, Law of Contracts, 4e éd. (Toronto: Canada Law Book, 1999).

2 Voir également Cudd Pressure Control Inc. c. R., [1999] 1 C.T.C. 1 (C.A.F.); Adams c. Canada (1998), 159 D.L.R. (4th) 205 (C.A.F.); et Ferrel c. R., [1999] 2 C.T.C. 101 (C.A.F.).

3 Supra, note 1, aux p. 105 et 107. Sans reprise des notes en bas de page.

4 [1995] 2 R.C.S. 187.

5 [1983] 1 A.C. 444 (H.L.).

6 Voir la transcription des débats, à la p. 44 du dossier d'appel (non souligné dans l'original).

7 Voir la transcription des débats, à la p. 44 du dossier d'appel.

8 Voir la cote 1 du dossier d'appel.

9 Voir le dossier d'appel, à la p. 43.

10 Voir le dossier d'appel, à la p. 44.

11 [1998] 2 C.T.C. 2931 (C.C.I.).

12 Ibid., à la p. 2933 (les renvois aux notes en bas de page n'ont pas été repris ici).

13 [1973] C.F. 65 (C.A.), à la p. 72.

14 (1975] CTC 192 (C.F. 1re inst.).

15 Voir Ross (L S) Enterprises Ltd et al c MRN, [1984] CTC 2338 (C.C.I.), à la p. 2339; et La Reine c. Paxton, J.D. (1996), 97 DTC 5012 (C.A.F.), à la p. 5016.

16 Voir le dossier d'appel, à la p. 45.

17 [1995] 2 R.C.S. 187, à la p. 203.

18 Voir le par. 49, supra.

19 Ibid.

20 Voir le Bulletin d'interprétation IT-169.

21 [1987] 1 C.T.C. 2258 (C.C.I.), à la p. 2264.

22 (1996), 97 DTC 5012 (C.A.F.).

23 [1997] 3 C.F. 235 (C.A.).

24 L.R.M. 1987, ch. C225.

25 (1996), 97 DTC 5012 (C.A.F.), à la p. 5016.

    ANNEXE "A"

    TRANSCRIPTION DE L'INSTANCE

    INTERROGATOIRE PRINCIPAL DE

    DENIS FILLION

    (Dossier d'appel, aux pages 43 à 45)

MENÉ PAR M. KROFT

(avocat des appelants)

R    Puis, le 1er mai 1992, nous avions achevé de remplir sa déclaration de revenus personnelle et nous nous étions assurés qu'il avait été tenu compte de son revenu agricole personnel, du moins en gros, et nous nous sommes réunis avec M. Barnabe, nous nous sommes donc réunis et nous en avons discuté et M. Barnabe nous a dit de procéder au transfert.

Q    Bon. J'aimerais maintenant insister un petit peu sur ce point car c'est de lui que dépend, du moins en partie, toute cette affaire. Vous dites donc que vous vous êtes réunis avec M. Barnabe le 1er mai?

R    C'est bien cela.

Q    Et où cette réunion a-t-elle eu lieu?

R    À notre bureau.

Q    Quel était l'objet de cette réunion?

R    Il s'agissait de lui faire signer sa déclaration de revenus pour l'année 1991.

Q    Bon.

R    Et aussi d'évoquer les futures activités de la société, comme je le disais plus tôt, et la cession des biens. Nous avons également parlé des moyens d'attirer d'autres personnes au sein de la société.

Q    Vous avez déclaré que cela s'est passé le 1er mai. Je ne me souviens pas exactement où, mais je me souviens d'une lettre que vous avez écrite à Revenu Canada et dans laquelle vous évoquiez les environs du 30 avril?

R    C'est bien cela.

Q    Je tenais simplement à être bien précis quant à la date. Vous souvenez-vous de ce qui s'est passé le 1er mai?

R    Oui.

Q    Et comment parvenez-vous à vous souvenir de cela?

R    Bien, je sais que le 30 avril est le dernier jour pour la production des déclarations de revenus des particuliers, et je sais que M. Barnabe n'était pas venu la veille. Puis il est entré [. . .] au bureau, le 1er mai est traditionnellement un jour de congé et M. Barnabe est arrivé à notre porte très tôt ce matin-là. À l'époque nous avions nos bureaux chez nous et il était donc très [. . .] nous ne pouvions guère nous éloigner du bureau.

Q    Avez-vous pris des notes lors de cette réunion du 1er mai?

R    Non. Comme c'était un jour de congé, je n'ai pas pris de notes ce jour-là.

Q    Mais vous vous souvenez de manière précise de cette réunion?

R    Oui.

Q    Bon. D'autres personnes y ont-elles assisté?

R    Non, pas au bureau.

Q    Je voudrais maintenant traiter de la discussion que vous avez eue avec M. Barnabe, notamment en ce qui concerne le transfert des biens amortissables. Vous nous avez dit que vous aviez l'impression que [. . .] Je vous demanderais de revenir sur cela afin d'être certain que nous avons bien saisi de quoi il s'agissait. Quelle était d'abord la teneur des conseils que vous avez donnés à M. Barnabe?

R    J'ai conseillé à M. Barnabe de transférer les biens en question [. . .]

Q    Et a-t-il [. . .]

R    [. . .] et M. Barnabe s'est dit d'accord.

Q    Bon. Et vous en avez conclu que c'est à ce moment-là qu'il a pris la décision de transférer les biens?

R    Oui, c'est à ce moment-là que la décision a été prise.

Q    Lui avez-vous demandé de signer quelque chose pour cela?

R    Je lui ai fait signer une formule T2057 en blanc, simplement pour que quand les documents nécessaires seraient tous [. . .] quand les calculs mathématiques seraient terminés, la formule serait toute prête. Elle est comme ça déjà signée. Nous pouvons donc la produire immédiatement, sans attendre les derniers jours du délai.

Q    Avez-vous pu retrouver cette formule?

R    Non.

Q    La formule T2057 dont vous venez de parler, est-ce la formule de choix commun prévue dans la Loi?

R    Oui, c'est pour effectuer le choix commun.

Q    D'après vos discussions avec M. Barnabe le 1er mai 1992, quelle est la date que vous retiendriez comme date où la cession des biens a effectivement eu lieu?

R    Le 1er mai.

Q    De quelle année?

R    De 1992.

Q    Je vous remercie. Comment a-t-on décidé, au juste, quels équipements seraient transférés à la société?

R    C'est tout l'équipement qui a été transféré.

Q    Tout l'équipement agricole qu'il possédait?

R    Tout l'équipement agricole et aussi les bâtiments.

Q    A-t-on jamais envisagé d'exclure une partie de l'équipement agricole?

R    Non.

Q    Le 1er mai, possédiez-vous la liste des équipements agricoles appartenant à Louis Barnabe?

R    Oui, nous en avions la liste dans nos dossiers.

Q    M. Barnabe en a-t-il jamais vérifié le contenu?

R    Oui, il lui a fallu vérifier la liste, et puis alors il nous a également fallu, il lui a fallu [. . .] il fallait établir la juste valeur marchande des équipements en question.

Q    Mais à part cela, pour effectuer vos calculs, vous fallait-il obtenir de M. Barnabe des renseignements supplémentaires?

R    Non.

Q    Bon. Si M. Barnabe n'était pas mort le 10 mai 1992, quelle aurait normalement été, d'après vous, l'étape suivante de votre intervention dans le cadre de cette opération?

R    Ensuite, il nous aurait emmené, il nous aurait fait visiter la cour de son exploitation et donné une liste de ses équipements. Il l'aurait comparée à la liste que nous avions nous-mêmes, aurait effectué les calculs, et rempli les formules.

Q    Si M. Barnabe n'était pas mort, à quelle date serait réellement intervenue l'opération?

R    Le 1er mai.

Q    Avez-vous eu l'occasion d'évoquer de nouveau la question avec M. Barnabe avant qu'il ne meure?

R    Non.

Q    Quelle est la date de la mort de M. Barnabe?

R    Le 10 mai.

Q    Bon. Si je comprends bien [. . .] puis-je vous demander le nombre de transferts libres d'impôt en vertu de l'article 85 dont vous vous êtes personnellement occupé à ce jour?

R    Une bonne quarantaine, j'imagine.

Q    Est-il, d'après vous, habituel ou inhabituel de rédiger l'accord écrit, et de remplir la formule de choix après la date où a effectivement lieu l'opération?

R    Ça ce fait toujours après la date de prise d'effet.

Q    Normalement, chez vous, la date de prise d'effet est-elle la date à laquelle la décision est prise ou la date à laquelle sont remplis les papiers?

R    La date à laquelle est prise la décision.

    ANNEXE "B"

    (Dossier d'appel, pages 104 à 116)

    CONTRAT NON DATÉ ENTRE

    LOUIS BARNABE ET

    LA SOCIÉTÉ 2674859 MANITOBA LTD.

LE PRÉSENT CONTRAT CONCLU le 1er mai 1992 et officiellement signé le jour de , 199  .

ENTRE:

    LOUIS D. BARNABE

    (ci-après dénommé le "vendeur"),

    D'UNE PART,

    et

    LA SOCIÉTÉ 2674859 MANITOBA LTD.,

    société constituée en vertu

    des lois du Manitoba,

    (ci-après dénommée l'"acheteuse"),

    D'AUTRE PART

CONSIDÉRANT QUE:

A.  Avant le 1er mai 1992, le vendeur exploitait une entreprise agricole à Letellier (Manitoba) et était propriétaire d'équipements, de machines et de bâtiments (hormis sa résidence principale) utilisés dans le cadre de son exploitation agricole, et plus précisément décrits à l'annexe "A" ci-joint (ci-après collectivement dénommés les biens achetés);

B. Le 1er mai 1992, ou avant cette date, le vendeur et son comptable, Denis G. Filion [sic], se sont réunis pour discuter du transfert à l'acheteuse des biens achetés du vendeur, aux conditions ci-après exposées;

C. Le 1er mai 1992, ou avant cette date, le vendeur et l'acheteuse ont convenu qu'à partir du 1er mai 1992, les biens achetés seraient cédés à l'acheteuse;

D. Avant la signature en bonne et due forme de ce contrat, le vendeur est mort;

E. Il est nécessaire que les exécuteurs testamentaires du vendeur signent ce contrat au nom de ce dernier;

F. Les parties au présent contrat entendent effectuer un choix commun conformément aux dispositions de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) en ce qui concerne les biens achetés, et ce aux conditions suivantes;

G. La contrepartie due en échange de la disposition d'un bien qui, si le prix d'achat de ce bien n'avait pas été réglé par la remise d'actions dans la société acheteuse, aurait donné lieu à une dette fiscale conformément à la Loi de la taxe sur les ventes au détail du Manitoba (Loi sur la taxe de vente) se limitera aux actions de la classe B appartenant au vendeur.

EN FOI DE QUOI LE PRÉSENT CONTRAT EST CONCLU en contrepartie des engagements ci-dessous exposées, les parties convenant de ce qui suit:

1.    Le préambule au présent contrat fait partie intégrante de celui-ci comme s'il était intégralement exposé ci-dessous.

2.    Sous réserve des conditions inscrites au présent contrat, le vendeur par les présentes vend à l'acheteuse et l'acheteuse par les présentes achète au vendeur, le 1er mai 1992 (date d'exécution) les biens achetés libres de tout droit de rétention, sûreté réelle, charge ou droit de sûreté (sous réserve de ce qui est prévu à l'annexe B ci-jointe), au prix de 697 500 $ (cette somme étant ci-après dénommée le "prix d'achat"). Le prix d'achat pour chacun des biens achetés sera détaillé à l'annexe A.

3.    Le prix d'achat sera versé par l'acheteuse au vendeur à la date d'exécution du présent contrat sous la forme suivante:

    a)    l'acheteuse assumera les dettes du vendeur, soit 36 000 $ au total, plus précisément décrites à l'annexe B du présent contrat;

    b)    l'acheteuse inscrira au crédit du compte de prêts à l'actionnaire que le vendeur aura auprès d'elle la somme de 184 114 $;

    c)    l'acheteuse délivrera au vendeur 477 386 actions libérées achetables au gré, de classe B dans le capital social de l'acheteuse.

4.    Le vendeur et l'acheteuse reconnaissent par les présentes que la vente et l'achat des biens achetés sont effectués conformément aux dispositions de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) et, en conséquence, le vendeur et l'acheteuse conviennent de faire un choix commun dans la forme prescrite et dans les délais prévus au paragraphe (6) dudit article 85 pour chaque groupe ou catégorie de biens amortissables d'une classe prescrite appartenant au vendeur et cédé à l'acheteuse, quant au montant estimé correspondre à la somme de tous les montants dont chacun est un montant afférent à un bien amortissable de la catégorie égal au coût en capital non amorti de l'ensemble des biens en capital amortissables de cette catégorie vendus à l'acheteuse, et calculé comme si chacun de ces biens amortissables vendus à l'acheteuse constituait une catégorie de biens distincte; et à l'égard de chaque article (ou groupe ou catégorie d'articles) des biens achetés, le montant respectif est, comme il est convenu ou réputé qu'il soit, équivalent au produit, pour le vendeur, de la disposition de cet article (ou groupe ou catégorie d'articles) des biens achetés et au coût payé par l'acheteuse. Ces montants, tels que fixés par les parties après consultation avec leur comptable, sont décrits de manière plus précise à l'annexe A.

5.    a)    Le vendeur et l'acheteuse conviennent en outre que si le ministre du Revenu national décide que la juste valeur marchande de l'un ou l'autre des biens achetés est supérieure ou inférieure au montant fixé conformément aux conditions du présent contrat, la valeur telle que fixée par le ministre du Revenu national, si elle est acceptée par les parties au présent contrat, ou si elle n'est pas acceptée par eux, telle qu'elle sera fixée en définitive conformément à la cotisation, à l'opposition à cette cotisation et aux procédures d'appel qui pourraient être engagées conformément aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) après une telle évaluation, s'imposera et le montant du prix d'achat et de la contrepartie tel que prévu au présent contrat sera rajusté afin de rendre compte de la juste valeur marchande ainsi fixée.

    b)    Les dispositions de l'alinéa 5a) s'appliqueront mutatis mutandis à la fixation du coût des biens achetés.

6.    Nonobstant toute autre clause du présent contrat, les parties reconnaissent que, dans la répartition de la contrepartie entre les divers biens achetés:

    a)    (i)    la contrepartie ne correspondant pas à une part du capital social ne dépassera pas le coût d'un bien donné;

            (ii)    la contrepartie due en échange d'un des biens dont la disposition entraîne une dette fiscale au titre de la Loi sur la taxe de vente se limitera aux actions de la classe B;

    b)    les services du comptable des parties seront et sont par les présentes retenus afin d'effectuer la répartition nécessaire envisagée au présent paragraphe.

7.    a)    Le vendeur certifie à l'acheteuse que:

            (i)    il n'existe aucun contrat, aucune option ni aucun autre droit qu'un tiers puisse faire valoir à quelqu'époque que ce soit, à l'égard du vendeur pour obliger celui-ci à vendre, à transférer, à céder, à donner en garantie, à grever, à hypothéquer, à disposer ou à donner en sûreté l'un ou l'autre des biens achetés autrement qu'en vertu des dispositions du présent contrat;

            (ii)    le vendeur n'est pas une personne non résidente au sens de l'article 116 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada).

    b)    L'acheteuse garantit au vendeur:

            (i)    que l'acheteuse a le pouvoir, l'autorité et le droit nécessaires pour conclure et exécuter le présent contrat et mener à bien les opérations qui lui incombent en vertu des présentes;

            (ii)    que ni la conclusion ni l'exécution du présent contrat, ni l'achèvement des opérations incombant à l'acheteuse en vertu des présentes n'entraînera une violation;

                    A.    de l'une ou l'autre des dispositions de son statut ou de son règlement;

                    B.    de tout accord ou de tout autre instrument auquel l'acheteuse serait partie ou par lequel elle serait liée; ou

                    C.    de toute loi, règle ou règlement applicable.

    c)    Les engagements et garanties souscrits par le vendeur et par l'acheteuse resteront en vigueur après l'achèvement de la vente et de l'achat des biens achetés tel que prévu par les présentes et resteront pleinement en vigueur dans l'intérêt de la partie en faveur de qui la garantie a été émise.

8.    L'achat et la vente des biens achetés interviendront à la date d'exécution, et à cette date:

    a)    le vendeur livrera à l'acheteuse tous les cessions et documents que l'acheteuse pourrait raisonnablement demander afin d'effectuer le transfert de propriété des biens achetés, libres de tout privilège, charge, sûreté qu'elle qu'en soit la nature (sous réserve de ce qui est prévu à l'annexe B aux présentes):

    b)    l'acheteuse assumera l'ensemble des dettes du vendeur conformément à l'alinéa 3a) des présentes; et

    c)    l'acheteuse émettra en faveur du vendeur 477 386 actions libérées de la classe B, achetables au gré, du capital social de l'acheteuse.

9.    Les parties conviennent par les présentes que, même si les présentes ne contiennent, en ce qui concerne les actions de classe B, aucune clause d'encaissement par anticipation, les détenteurs d'actions de la classe B émises en vertu du présent contrat auront, de manière absolue et irrévocable, en vertu du présent contrat, le droit à l'encaissement par anticipation:

    "La société devra, sur demande d'un porteur d'actions de la classe B, acheter à toute époque, l'intégralité, ou de temps à autre, toute partie des actions de la classe B d'un tel porteur, sur versement, sous réserve des dispositions du paragraphe 34(2) de la Loi, sous sa forme actuelle ou conformément aux modifications qui peuvent de temps à autre lui être apportées, réadoptées ou remplacées (et en cas d'une telle modification, réadoption ou remplacement, toute clause s'y référant dans les présentes sera interprétée comme se référant aux dispositions modifiées, réadoptées ou remplacées), pour chaque action de la classe B devant être achetée, d'un montant équivalant au montant souscrit, avec l'ensemble des dividendes déclarés et dividendes non versés d'une telle action de la catégorie B. Le montant souscrit est fixé à 1 $ par action de la classe B."

10. Le vendeur et l'acheteuse conviennent que l'émission de 477 386 actions de classe B de la société acheteuse aura pour effet d'ajouter, en vertu du paragraphe 26(3) de la Loi sur les corporations du Manitoba, au capital déclaré correspondant aux actions de la classe B la somme de 26 344 $.

11. Le présent contrat sera exécuté dans l'intérêt des parties, ainsi que de leurs successeurs et ayant-droits, qu'il liera également.

12. Le présent contrat est régi par les lois de la province du Manitoba et par les lois du Canada qui lui sont applicables et sera interprété conformément à ces mêmes lois.

EN FOI DE QUOI le présent contrat a été signé au jour initialement inscrit.

"signature" "Roger Barnabe"  (sceau)

TÉMOINROGER BARNABE

EN SA QUALITÉ

D'EXÉCUTEUR

TESTAMENTAIRE DE

LOUIS D. BARNABE

"signature" "Richard Barnabe"  (sceau)

TÉMOINRICHARD BARNABE

EN SA QUALITÉ

D'EXÉCUTEUR

TESTAMENTAIRE DE

LOUIS D. BARNABE

2674859 MANITOBA LTD.

"signature"

Annexe A

        TOTAL DES

    PRIX    MONTANTS

BIENS    D'ACHAT    CHOISIS

BIENS DE LA CLASSE 8        76 874 $

Andaineuse:

Andaineuse 30N John Deere

  modèle 1986    7 000 $

Pousse-andain FEL    500

    7 500 $

Machines à sarcler:

Cultivatrice 8 H 10 IHC

  modèle 1979    4 000 

Charrue défonceuse 37N

  IHC modèle 1977     6 000 

Charrue défonceuse 35N

  IHC modèle

  1977 et système à engrais    6 000 

Cultivatrice 38N "

  modèle 1979    6 000

Cultivatrice 37N "

  modèle 1977    6 000 

Double charrue pour labour 27N

  Sunflower modèle 1978    10 000

Herse 80N Power matic

  modèle 1978    4 000 

Herse 60N Melro modèle

  1976 et système chimique    5 000 

Niveleuse tractée    1 000 

6 charrues à position basse    1 000 

    49 000 $

Ensemencement:    

Planteuse 7 000 John

  Deere modèle 1979    8 000

Vis à grain Haul-all

  modèle 1988    2 500

Vis à grain Haul-all

  modèle 1985    2 000

Semoir à roue plombeuse

  9459 John Deere

  modèle 1988 40N    30 000

    42 500 $    

Réservoir:

Réservoirs à ammoniac,

  2 H 1500 gal., année 1980    8 000

Réservoirs à produits

  chimiques, 2 réservoirs     4 000

Citernes à eau, 2 000 gal.    2 000

3 réservoirs à carburant

  avec pompes    1 000

Citerne à propane,1000 gal.    1 000

Citerne à essence avec pompe,

  2000 gal.    1 000

    17 000 $

        TOTAL DES

    PRIX    MONTANTS

BIENS    D'ACHAT    CHOISIS

Divers:

3 tarières Westfield,

  70 H 36; 70 H 31, larg. 80    3 000

Souffleuse Massey Ferguson

  modèle 1980    500

2 racleurs Leon modèle 1979,

  8 " verges.    10 000

Nettoyeur Hutchison    1 500

Doseur d'humidité et échelle    500

3 déchaumeuses légères IHC

  modèle 1979    8 000

Tarière Farm King modèle 1985,

  10 H 70    5 000

Tarière Feterl 66 H 10    1 500

Aspirateur à grain Walinga

  614 modèle 1991    11 000

Porte-andaineuse    4 000

Ventilateur à séchage 15 h.p.

  Shivvers    1 500

    46 500 $

Séchoir à grain:

Vertec no Vt6600 modèle 1980    25 000

Outillage     20 000

TOTAL DES ÉQUIPEMENTS

  DE LA CLASSE 8    207 500 $

BIENS DE LA CLASSE 10            155 655 $

Tracteurs:

Versatile 976 modèle 1988    85 000 $

Versatile 800 modèle 1976    20 000

John Deere 4430 modèle 1976    16 000

John Deere 8630 modèle 1978    30 000

John Deere 4440 modèle 1981    26 000

John Deere 3020 modèle 1968    6 500

Super H de marque I.H.C.

  modèle 1959    500

    184 000 $

Camions:

Ford " tonne modèle 1991    15 000

GMC Sierra " tonne modèle 1983    1 500

GMC Brigadier modèle 1979    20 000

GMC modèle 1978    15 000

IHC modèle 1978    12 000

Dodge 700 modèle 1965    3 000

Tracteur Mack modèle 1965    4 500

    71 000 $

Moissonneuses-batteuses:

John Deere 8820 modèle 1983    60 000

John Deere 8820 modèle 1984    60 000

Bec cueilleur multirécolte

  John Deere modèle 1980    16 000

Bec cueilleur à sorgho M.F.     2 500

    138 500 $

        TOTAL DES

    PRIX    MONTANTS

BIENS    D'ACHAT    CHOISIS

Andaineuse:

Andaineuse 885 M.F., avec

  système de ramassage    25 000

Divers:

1 faucheuse John Deere

  modèle 1980    1 300

TOTAL DES ÉQUIPEMENTS    

   DE LA CLASSE 10    419 500 $

BÂTIMENTS        13 927 $

Hangar à machines - Zipperlock    35 000

Casiers en fer 7 H 5,000

  boisseaux    25 000

Casiers en fer 2 H 2,600

  boisseaux    5 000

Trémies Friesens

  - 3500 boisseaux    5 000

    70 500 $

Annexe B

    PASSIF

PASSIF        MONTANT

Prêt de John Deere        36 000 $

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