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     T-18-98

John Frederick William Weatherill (demandeur)

c.

Procureur général du Canada et Nicole Jauvin (défendeurs)

Répertorié: Weatherill c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Sharlow"Toronto, 25 mai; Ottawa, 28 mai 1999.

Juges et tribunaux " Président du Conseil canadien des relations du travail nommé à titre inamovible pour 10 ans " Le gouverneur en conseil a décrété sa révocation avant l'expiration de son mandat à la lumière de la conclusion du vérificateur général que ses dépenses de voyage et d'hébergement n'étaient pas raisonnables comparativement à celles de titulaires de postes semblables " L'art. 69 oblige le Conseil canadien de la magistrature, sur demande du ministre, à enquêter sur les cas de révocation de titulaires de postes nommés à titre inamovible aux termes d'une loi fédérale (à l'exception des juges des juridictions supérieures ou de la C.C.I.) pour certains motifs, dont le manquement à l'honneur et à la dignité " La formulation de l'art. 69 est identique à celle de l'art. 63(1), qui s'applique aux juges de juridiction supérieure " La réponse à la question de savoir si l'enquête prévue par l'art. 69 de la Loi sur les juges constitue une condition préalable essentielle à la révocation des titulaires de postes nommés à titre inamovible en vertu d'une loi fédérale est la même pour les juges de juridiction supérieure que pour les personnes assujetties à l'application de l'art. 69 " Les membres du CCRT doivent-ils avoir le même degré d'inamovibilité que les juges de juridiction supérieure pour que leurs décisions soient valides sur le plan constitutionnel? " Le Conseil n'est pas une cour, même s'il est un organisme quasi-judiciaire qui rend des décisions très importantes " L'art. 11d) de la Charte ne s'applique pas aux affaires dont est saisi le CCRT " Si on tient pour acquis que les membres du CCRT doivent jouir d'une certaine inamovibilité, cette exigence a été remplie par la combinaison de trois éléments: l'exigence légale de l'existence d'une "cause" comme motif de révocation (art. 10(2) du Code canadien du travail); l'obligation du gouverneur en conseil d'appliquer les principes de la justice naturelle lorsqu'il prend une décision en matière de révocation; la possibilité de la tenue d'une enquête indépendante en vertu de l'art. 69 (sur demande du ministre) " Si l'art. 69 n'avait jamais été édicté, les deux premiers éléments suffiraient " Les principes de la justice naturelle lient le gouverneur en conseil, dans le cadre de l'exercice du pouvoir de révocation que lui confère une loi, de la même façon que toute exigence procédurale prévue par une loi " Les membres d'un tribunal ne sont pas privés de l'inamovibilité uniquement parce que la loi n'accorde aucune protection procédurale en matière de révocation " La révocation du titulaire d'un poste occupé à titre inamovible ne peut avoir lieu sans qu'une protection procédurale ne lui soit accordée, mais une audience complète, comportant l'interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins ainsi que la divulgation totale des documents, n'est pas essentielle.

Droit administratif " Contrôle judiciaire " Président du CCRT nommé à titre inamovible pour 10 ans " Le gouverneur en conseil a décrété sa révocation avant l'expiration de son mandat à la lumière de la conclusion du vérificateur général que ses dépenses de voyage et d'hébergement n'étaient pas raisonnables comparativement à celles de titulaires de postes semblables " Il n'y a pas eu négation de la justice fondamentale dans le cadre du processus qui a mené au décret de révocation " Les articles de journaux indiquant que les députés et le Premier ministre avaient applaudi lorsque le ministre du Travail avait annoncé son intention d'entamer le processus de révocation n'ont pas établi l'existence d'une crainte raisonnable de partialité " Le demandeur n'a pas été privé de la possibilité de répondre aux allégations, et il n'a pas été traité inéquitablement " La décision de ne pas faire d'observations au greffier adjoint et au gouverneur en conseil n'était pas due à un manque de temps et de renseignements " Le demandeur connaissait, de façon générale, le fondement factuel du rapport du vérificateur général " Il savait que le vérificateur général avait examiné les lignes directrices, en matière de dépenses, qui s'appliquaient aux autres fonctionnaires, même s'il n'avait pas accès à leurs demandes de dépenses " Il connaissait l'essentiel des allégations qui étaient examinées relativement à la révocation " Il a eu la possibilité de discuter du rapport avec les vérificateurs " Il a obtenu vers la mi-décembre les lignes directrices, en matière de dépenses, qui s'appliquent aux organismes qui avaient été estimés comparables au CCRT " Le gouverneur en conseil n'a pas agi de façon inéquitable en refusant d'accorder un délai supplémentaire après le rejet de la demande d'injonction provisoire.

Relations du travail " Président du CCRT nommé à titre inamovible pour 10 ans " Le gouverneur en conseil a décrété sa révocation avant l'expiration de son mandat à la lumière de la conclusion du vérificateur général que ses dépenses de voyage et d'hébergement n'étaient pas raisonnables comparativement à celles de titulaires de postes semblables " L'enquête prévue par l'art. 69 de la Loi sur les juges ne constitue pas une condition préalable essentielle à la révocation des titulaires de postes nommés à titre inamovible en vertu d'une loi fédérale " Il n'y a pas eu négation de la justice fondamentale dans le cadre du processus qui a mené au décret de révocation.

Pratique " Affidavits " Les affidavits de l'avocat qui agissait pour le demandeur, mais pas en l'instance, étaient les seuls éléments de preuve produits par ce dernier " La règle 82 des Règles de la Cour fédérale (1998) (qui interdit à un avocat d'être l'auteur d'un affidavit et de présenter des arguments à la Cour) ne s'appliquait pas, car le déclarant n'était pas l'avocat du demandeur en l'espèce " La règle 81 exige que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle " Même si la Cour avait le pouvoir de radier les déclarations fondées sur les renseignements provenant du demandeur ou de son adjoint exécutif, il était plus opportun de les laisser dans le dossier et d'examiner la question des conclusions défavorables (règle 81(2) au moment de l'étude des questions sur lesquelles ces déclarations portaient " Il n'y avait aucun motif pour écarter les déclarations fondées sur des renseignements et des croyances et pour lesquelles la source d'information était une personne employée par le BCP ou par le Bureau du vérificateur général pour l'unique raison qu'il s'agissait de ouï-dire " Les défendeurs sont présumés connaître la véracité des déclarations " En l'absence de preuve contraire, l'auteur de l'affidavit était susceptible d'être contre-interrogé de la même façon que tout autre déclarant " Rien ne permettait de déterminer si les affidavits contenaient des éléments pouvant porter atteinte au secret professionnel de l'avocat du demandeur et si le demandeur était prêt à renoncer au privilège " Le fait que l'auteur de l'affidavit ait représenté le demandeur ne rendait pas injuste pour les défendeurs que la Cour permette que les affidavits demeurent au dossier.

Il s'agissait d'une demande de déclaration d'invalidité du décret révoquant le demandeur à titre de président de l'ancien Conseil canadien des relations de travail. Le demandeur avait été nommé à titre inamovible pour un mandat de 10 ans. Le paragraphe 10(2) du Code canadien du travail permet au gouverneur en conseil de révoquer pour cause un membre du Conseil. L'alinéa 12b) prévoit que les membres du Conseil ont droit aux frais de déplacement et autres entraînés par l'accomplissement de leurs fonctions hors de leur lieu ordinaire de résidence. En 1997, le ministre du Travail a demandé au Bureau du vérificateur général d'examiner les dépenses de voyage du président, qui avaient fait l'objet d'articles dans les journaux et de questions au Parlement. Le vérificateur général a examiné les dépenses de voyage et d'hébergement, et il a conclu qu'elles n'étaient pas raisonnables. Avant le dépôt des conclusions du vérificateur général, le demandeur a prétendu qu'elles n'étaient pas fondées sur des comparaisons pertinentes. Le jour du dépôt du rapport du vérificateur général devant le Parlement, le Bureau du vérificateur général a fourni au demandeur les documents de travail liés à ses dépenses, mais pas les documents liés aux demandes de dépenses de tierces personnes ni les documents concernant tout autre organisme que le Conseil canadien des relations du travail. Ils ont refusé de mentionner la nature des documents non divulgués. Par la suite, le greffier adjoint du Conseil privé a fourni au demandeur des copies des exposés de principe en matière de dépenses de voyage et d'hébergement d'organismes que le vérificateur général considérait comme étant comparables au Conseil canadien des relations de travail. Le demandeur a refusé de présenter des observations au greffier adjoint du Conseil privé avant le dépôt du rapport de ce dernier au motif que le processus était contraire à l'article 69 de la Loi sur les juges. L'article 69 oblige le Conseil canadien de la magistrature, sur demande du ministre, à enquêter sur les cas de révocation des titulaires de postes nommés à titre inamovible aux termes d'une loi fédérale (à l'exception des juges des juridictions supérieures ou de la Cour de l'impôt) pour les motifs énoncés à l'article 65, dont le manquement à l'honneur et à la dignité. Le rapport du greffier adjoint indiquait que le demandeur n'avait pas répondu parce qu'il ne croyait pas avoir suffisamment de renseignements. Le demandeur n'a fait part d'aucune observation au gouverneur en conseil en réaction au rapport du greffier adjoint, et il a institué la présente demande de contrôle judiciaire. Une demande d'injonction provisoire visant à empêcher le gouverneur en conseil d'examiner la question de la révocation avant la fin de l'instance en contrôle judiciaire a été rejetée. Le décret de révocation a été prononcé avant l'audition de l'appel.

Les seuls éléments de preuve produits par le demandeur étaient les affidavits de M. Hefferon, un avocat qui agit au nom du demandeur, mais qui ne l'a pas représenté dans le cadre de la présente instance. Les défendeurs ont cherché à faire écarter les affidavits en vertu de la règle 82 des Règles de la Cour fédérale (1998), qui interdit à un avocat d'être l'auteur d'un affidavit et de présenter des arguments à la Cour. Les défendeurs ont également invoqué la règle 81, qui exige que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui. Les défendeurs n'ont pas tenté de contre-interroger M. Hefferon parce que cela aurait pu pousser le demandeur à invoquer le secret professionnel de l'avocat.

Les questions en litige étaient: 1) si les affidavits de M. Hefferon devaient être écartés; 2) si une personne nommée en vertu d'une loi fédérale à un poste à titre inamovible pouvait faire l'objet de révocation avant la tenue de l'enquête prévue par l'article 69 de la Loi sur les juges; 3) s'il y avait eu négation de la justice fondamentale dans le cadre du processus qui a mené au décret de révocation.

Jugement: la demande doit être rejetée.

1) La règle 82 des Règles ne s'appliquait pas. M. Hefferon n'était pas l'avocat du demandeur en l'instance.

Même si la Cour avait le pouvoir de radier les déclarations fondées sur les renseignements provenant du demandeur ou de son adjoint exécutif, il semblait plus opportun de les laisser dans le dossier et d'examiner la question des conclusions défavorables mentionnées au paragraphe 81(2) des Règles au moment de l'étude des questions sur lesquelles ces déclarations portaient.

Il n'y avait aucun motif pour écarter les déclarations fondées sur des renseignements et des croyances et pour lesquelles la source d'information était une personne employée par le Bureau du Conseil privé ou par le Bureau du vérificateur général pour l'unique raison qu'il s'agissait de ouï-dire. Les défendeurs doivent être présumés connaître la véracité de ces déclarations.

En l'absence d'éléments de preuve contraires, M. Hefferon était susceptible d'être contre-interrogé comme tout autre déclarant. Rien ne permettait de déterminer si les affidavits contenaient des éléments pouvant porter atteinte au secret professionnel de l'avocat du demandeur et si le demandeur était prêt à renoncer au privilège. Le fait que M. Hefferon ait représenté le demandeur ne rendait pas injuste pour les défendeurs que la Cour permette que les affidavits demeurent au dossier.

2) La formulation du paragraphe 69(1) est identique à celle du paragraphe 63(1), qui s'applique aux juges de juridiction supérieure. La réponse à la question de savoir si l'enquête du Conseil canadien de la magistrature constitue une condition préalable essentielle à la révocation doit être la même pour les juges de juridiction supérieure que pour les personnes assujetties à l'application de l'article 69. Dans le cas des juges, l'inamovibilité constitue une condition essentielle de l'indépendance judiciaire. L'essence de l'inamovibilité pour les fins de l'alinéa 11d) de la Charte (droit à un procès devant un tribunal indépendant) est que la charge soit à l'abri de toute intervention dicrétionnaire ou arbitraire. Il existe plus d'une manière d'assurer l'inamovibilité. Dans le cas d'un juge d'une juridiction supérieure, l'inamovibilité est protégée par le mécanisme de révocation, soit la procédure publique et lourde de l'adresse conjointe au Sénat et à la Chambre des communes. Dans le cas d'un juge qui peut être révoqué par décret, l'inamovibilité est assurée par l'exigence légale de motif et par la garantie juridique du droit à une audience complète devant un organisme indépendant. Il n'était pas facile de déterminer si les membres du Conseil canadien sur les relations du travail devaient avoir le même degré d'inamovibilité pour que leurs décisions soient valides sur le plan constitutionnel. Même si le Conseil se voit confier la tâche de prendre des décisions très importantes qui ne font pas l'objet d'examen judiciaire, sauf dans les cas les plus restreints, il n'est pas une cour. L'alinéa 11d) de la Charte ne peut pas s'appliquer aux affaires entendues par le Conseil canadien sur les relations du travail.

Si on tient pour acquis que les membres du CCRT doivent jouir d'une certaine inamovibilité, cette exigence a été remplie par la combinaison de trois éléments: l'exigence légale de l'existence d'une "cause" comme motif de révocation; l'obligation du gouverneur en conseil d'appliquer les principes de la justice naturelle lorsqu'il prend une décision en matière de révocation; la possibilité de la tenue d'une enquête indépendante en vertu de l'article 69 de la Loi sur les juges , même si cet article ne s'applique que si le ministre de la Justice décide d'y recourir. L'enquête prévue par l'article 69 de la Loi sur les juges n'était qu'une simple possibilité tandis que l'application des principes de la justice naturelle était obligatoire. Cela mène à la conclusion que si l'article 69 n'avait jamais été édicté, les deux premiers éléments seraient suffisants. Les principes de la justice naturelle lient le gouverneur en conseil, lorsqu'il examine la possibilité d'exercer le pouvoir que lui confère une loi de révoquer le titulaire d'une charge auprès d'un tribunal, de la même façon que toute exigence procédurale prévue par une loi, même si les exigences particulières de justice naturelle varient selon l'affaire en cause. On ne peut dire que les membres d'un tribunal sont privés de l'inamovibilité uniquement parce que la loi n'accorde aucune protection procédurale en cas de proposition de révocation de mandat.

Le paragraphe 69(1) ne s'applique que si le ministre de la Justice y a recours. Il s'agit de la seule interprétation qui donne un sens à l'expression "que lui confie le ministre" dans une loi qui oblige le Conseil à agir sur demande de ce dernier mais qui ne contraint pas le ministre à faire la demande. Il s'agit également de la seule interprétation qui soit compatible avec l'article 71 de la Loi sur les juges , qui prévoit que les articles 63 à 70 n'ont pas pour effet de porter atteinte aux attributions de la Chambre des communes, du Sénat ou du gouverneur en conseil en matière de révocation de tout titulaire de poste susceptible de faire l'objet des enquêtes qui y sont prévues. Même si on ne peut pas prendre la décision de révoquer un juge d'une juridiction supérieure sans se conformer aux principes de justice fondamentale, une enquête faite par le Conseil en vertu de la Loi sur les juges n'est pas le seul moyen possible d'atteindre cet objectif. De la même façon, la révocation du titulaire d'un poste occupé à titre inamovible ne peut avoir lieu sans qu'une protection procédurale ne lui soit accordée. Une audience complète, comportant l'interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins ainsi que la divulgation totale des documents, n'est toutefois pas essentielle pour l'exercice équitable du pouvoir de révocation.

3) Les articles de journaux indiquant que les députés, dont le Premier ministre, avaient applaudi lorsque le ministre du Travail avait annoncé son intention d'entamer le processus de révocation du demandeur n'étaient pas suffisants pour établir l'existence d'une crainte raisonnable de partialité. Le demandeur n'a pas non plus été privé d'une possibilité raisonnable de répondre aux allégations faites contre lui, et il n'a pas été traité de façon inéquitable. Il connaissait, de façon générale, le fondement factuel du rapport du vérificateur général. Il savait que le vérificateur général avait examiné les lignes directrices, en matière de dépenses, qui s'appliquaient aux autres fonctionnaires, même s'il n'avait pas accès à leurs demandes de dépenses. Il connaissait l'essentiel des allégations relatives à la révocation. La décision du demandeur de ne faire aucune observation au greffier adjoint ou au gouverneur en conseil n'était pas due à un manque de temps ou de renseignements. Il a eu la possibilité de discuter du rapport du vérificateur général avec les vérificateurs, et il a obtenu les lignes directrices, en matière de dépenses, qui s'appliquent aux organismes comparables. Le demandeur n'a pas profité du délai pendant lequel sa demande initiale d'injonction provisoire était en cours. Le gouverneur en conseil n'a pas agi de façon inéquitable en refusant d'accorder un délai supplémentaire après le rejet de la demande d'injonction interlocutoire.

    lois et règlements

        Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 11d).

        Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 9, 10, 12.

        Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence, L.C. 1998, ch. 26.

        Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

        Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19).

        Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 2 "ministère" (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 69).

        Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19.

        Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1, art. 63(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 51, art. 27), (2) (mod., idem), (3),(4),(5),(6), 64, 65 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 27, art. 5), 66(2), 69 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144; ch. 51, art. 28; 1993, ch. 34, art. 89), 70, 71.

        Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 81, 82.

    jurisprudence

        décisions appliquées:

        Wedge c. Canada (Procureur général) (1997), 4 Admin. L.R. (3d) 153; 133 F.T.R. 277 (C.F. 1re inst.); Canada (Procureur général) c. Alex Couture inc., [1991] R.J.Q. 2534; (1991), 83 D.L.R. (4th) 577 (C.A.).

        distinction faite d'avec:

        Lex Tex Canada Ltd. c. Duratex Inc., [1979] 2 C.F. 722; (1979), 13 C.P.C. 153; 42 C.P.R. 185 (1re inst.).

        décisions examinées:

        Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; (1985), 52 O.R. (2d) 779; 24 D.L.R. (4th) 161; 23 C.C.C. (3d) 193; 49 C.R. (3d) 97; 19 C.R.R. 354; 37 M.V.R. 9; 64 N.R. 1; 14 O.A.C. 79; Gratton c. Conseil canadien de la magistrature, [1994] 2 C.F. 769; (1994), 115 D.L.R. (4th) 81; 26 Admin. L.R. (2d) 120; 78 F.T.R. 214 (1re inst.).

        décisions citées:

        Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659; (1993), 151 N.R. 374 (C.A.); Weatherill c. Canada (Procureur général) (1998), 6 Admin. L.R. (3d) 137 (C.F. 1re inst.); Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 363; (1988), 55 D.L.R. (4th) 321; 91 N.R. 121 (C.A.).

    doctrine

        Canada. Bureau du vérificateur général. Rapport du vérificateur général du Canada à la Chambre des communes, chapitre 26, Conseil canadien des relations du travail. Ottawa: Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada, décembre 1997.

DEMANDE de déclaration d'invalidité d'un décret révoquant le demandeur à titre de président de l'ancien Conseil canadien des relations du travail au motif que l'enquête prévue par l'article 69 de la Loi sur les juges n'avait pas eu lieu et que le processus ayant mené au décret de révocation constituait une négation de la justice fondamentale. Demande rejetée.

    ont comparu:

    Bernard Chernos, Toronto, pour le demandeur.

    Edward Sojonky, Ottawa, pour les défendeurs.

    avocats inscrits au dossier:

    Goodman and Carr, Toronto, pour le demandeur.

    Le sous-procureur général du Canada, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Sharlow: Le 29 janvier 1998, le gouverneur en conseil a décrété la révocation du demandeur à titre de président de l'ancien Conseil canadien des relations du travail. Le demandeur veut que le décret de révocation soit déclaré invalide et inopérant.

Le contexte

Par décret édicté le 9 mars 1989, le gouverneur en conseil a nommé le demandeur président du Conseil canadien des relations du travail à titre inamovible pour un mandat de dix ans commençant le 1er mai 1989. La nomination était permise en vertu de l'article 10 du Code canadien du travail [L.R.C. (1985), ch. L-2].

Le 1er janvier 1999, les modifications faites au Code canadien du travail en vertu des L.C. 1998, ch. 26, sont entrées en vigueur. Ces modifications ont apporté de nombreux changements, mais, pour les fins des présentes, je ne mentionne que le fait qu'elles ont remplacé le Conseil canadien des relations du travail par le Conseil canadien des relations industrielles et qu'elles ont aboli le poste auparavant occupé par le demandeur.

En vertu de ces modifications, le mandat du demandeur aurait pris fin le 31 décembre 1998, n'eût été le décret de révocation. Il apparaît donc que, si le décret de révocation est invalide, le demandeur a été injustement privé de son poste pour une période d'environ 11 mois, soit du 29 janvier 1998 au 31 décembre 1998.

Lorsqu'il existait, le Conseil canadien des relations du travail était un secteur de l'administration publique fédérale créé par le Code canadien du travail. Il était visé par la définition de "ministère" figurant dans la Loi sur la gestion des finances publiques [L.R.C. (1985), ch. F-11 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 69)], au même titre que plusieurs autres offices et organismes fédéraux. Il avait comme fonction d'enquêter et de rendre des décisions sur les sujets visés par le Code canadien du travail.

Les travailleurs auxquels s'applique le Code canadien du travail sont les employés de chemin de fer, de sociétés de la Couronne fédérale, de compagnies aériennes, de banques à charte et ceux qui œuvrent dans les domaines du camionnage interprovincial, des télécommunications, du transport maritime et de la radiodiffusion.

En vertu de l'article 9 du Code canadien du travail, le Conseil canadien des relations du travail était composé d'un président, de un à quatre vice-présidents, de quatre à huit autres membres à temps plein et d'un nombre indéterminé de membres à temps partiel. Le président était le premier dirigeant.

L'article 10 du Code canadien du travail prévoyait la nomination et la révocation des membres du Conseil canadien des relations du travail. À l'époque pertinente, il prévoyait:

10. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), les membres du Conseil sont nommés par le gouverneur en conseil à titre inamovible pour un mandat maximal de:

    a) dix ans, dans le cas du président et des vice-présidents;

    b) cinq ans, dans le cas des membres à temps plein;

    c) trois ans, dans le cas des membres à temps partiel.

(2) Un membre du Conseil peut faire l'objet d'une révocation motivée de la part du gouverneur en conseil.

L'article 12 du Code canadien du travail prévoyait la rémunération des membres du Conseil canadien des relations du travail. Les parties pertinentes prévoyaient:

12. Les membres du Conseil [. . .]

    a) reçoivent le traitement fixé par le gouverneur en conseil;

    b) ont droit aux frais de déplacement et autres entraînés par l'accomplissement, hors de leur lieu ordinaire de résidence, des fonctions qui leur sont confiées en application de la présente partie.

Le décret de révocation faisant l'objet de la présente instance a été édicté après que le gouverneur en conseil eut reçu un rapport préparé par Mme Nicole Jauvin, agissant à titre de sous-greffier du Conseil privé et d'avocate. Mme Jauvin est désignée comme défenderesse.

Argument préliminaire relativement aux affidavits de M. Hefferon

À l'audition de la présente demande, l'avocat des défendeurs a soulevé un argument préliminaire visant l'exclusion du dossier de deux affidavits faits par M. Dennis Hefferon. Ces affidavits constituent les seuls éléments de preuve produits par le demandeur. M. Hefferon est un avocat qui agit au nom du demandeur, mais qui ne le représente pas dans le cadre de la présente instance. Je n'ai pas écarté les affidavits.

Au soutien de son argument que les affidavits devaient être écartés, l'avocat des défendeurs a invoqué la règle 82 [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106], qui prévoit:

82. Sauf avec l'autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l'auteur d'un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit.

La règle 82 ne s'applique pas. M. Hefferon n'est pas l'avocat du demandeur dans le cadre de la présente instance. Il n'appartient même pas au même bureau que l'avocat du demandeur.

L'avocat des défendeurs a également invoqué la règle 81, qui prévoit:

81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui.

(2) Lorsqu'un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

Les affidavits comportent des déclarations qui relèvent de la connaissance directe de M. Hefferon. Par exemple, il y a des déclarations qui identifient M. Hefferon, qui décrivent sa fonction d'avocat du demandeur aux moments pertinents, et qui portent sur les communications qui ont eu lieu dans le cadre du processus ayant mené au décret de révocation ainsi que sur les procédures entamées dans la présente instance. Certaines de ces déclarations sont pertinentes parce qu'elles établissent le fondement de l'argument du demandeur, selon lequel le processus ayant mené au décret de révocation ne satisfaisait pas à la norme d'équité requise. D'autres portent sur des faits qui sont si peu susceptibles de donner lieu à contestation qu'il n'existe aucune raison valable de s'opposer à ces déclarations. L'avocat des défendeurs a indiqué qu'il ne s'opposait pas au dépôt de la plupart des documents annexés aux affidavits.

Il y a également des déclarations qui ne relèvent pas de la connaissance de M. Hefferon et qui sont fondées sur des renseignements et sur des croyances. Dans certains cas, la source d'information est le demandeur ou son adjoint exécutif. Les déclarations appartenant à cette catégorie se trouvent au paragraphe 7, au paragraphe 10, à l'exception des trois premières phrases, au paragraphe 11, dans les troisième et quatrième phrases du paragraphe 12, dans la deuxième phrase du paragraphe 14 et au paragraphe 24 de l'affidavit daté du 6 janvier 1998.

On n'explique pas pourquoi ces éléments de preuve n'ont pas fait l'objet d'un affidavit de la part du demandeur ou de son adjoint exécutif. J'estime que j'ai le pouvoir de radier ces déclarations du dossier. Toutefois, vu les circonstances de la présente affaire, il m'a semblé plus opportun de laisser ces déclarations dans le dossier et d'examiner la question des conclusions défavorables mentionnée au paragraphe 81(2) des Règles au moment de l'étude des questions sur lesquelles ces déclarations portent.

M. Hefferon a fait d'autres déclarations qui étaient fondées sur des renseignements et sur des croyances et pour lesquelles la source d'information était une personne employée par le Bureau du Conseil privé ou par le Bureau du vérificateur général. Il n'est pas justifié d'écarter ces éléments de preuve pour l'unique raison qu'il s'agit de ouï-dire: Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659 (C.A.). Les défendeurs doivent être présumés connaître la véracité de ces déclarations.

Les affidavits contiennent d'autres déclarations, qui portent sur la couverture médiatique de différents événements ayant mené à la révocation et d'événements survenus par la suite. Elles ont été ajoutées pour donner une idée du climat politique qui prévalait au moment de la publication. Elles n'ont été examinées qu'à cette fin.

Les affidavits contiennent également des déclarations qui consistent en l'opinion de M. Hefferon sur des questions de droit. Ces déclarations ne sont pertinentes qu'en tant que faits contextuels aidant à comprendre la nature des communications intervenues entre le demandeur et Mme Jauvin.

L'avocat des défendeurs a invoqué l'argument qu'il n'avait pas tenté de contre-interroger M. Hefferon relativement aux deux affidavits parce que cela aurait pu pousser le demandeur à invoquer le secret professionnel de l'avocat. Il a cité la décision Lex Tex Canada Ltd. c. Duratex Inc., [1979] 2 C.F. 722 (1re inst.). Dans Lex Tex, le seul affidavit déposé au soutien d'une requête visant la radiation de certains paragraphes d'une déclaration était l'affidavit de l'avocat de la demanderesse. Le contre-interrogatoire sur l'affidavit a effectivement été empêché par l'assertion du secret professionnel de l'avocat, et il a été admis que l'on avait choisi l'avocat plutôt que la demanderesse à titre de déclarant dans le but de mettre cette dernière à l'abri d'un contre-interrogatoire. L'affidavit a été radié, laissant la requête dénuée de preuve à l'appui.

Je n'interprète pas la décision Lex Tex comme fondant la proposition que je dois radier l'affidavit de M. Hefferon uniquement en raison de son statut d'avocat du demandeur. En l'absence d'éléments de preuve dans le sens contraire, je dois tenir pour acquis que M. Hefferon était susceptible d'être contre-interrogé comme tout autre déclarant. Rien ne me permet de déterminer si les affidavits de M. Hefferon contiennent des éléments pouvant porter atteinte au secret professionnel de l'avocat du demandeur. Rien ne me permet non plus de déterminer si le demandeur était prêt à renoncer au privilège, comme il aurait eu le droit de le faire. À mon avis, le fait que M. Hefferon ait représenté le demandeur ne rend pas injuste pour les défendeurs le fait que la Cour permette que les affidavits de M. Hefferon demeurent au dossier.

Les faits

En avril 1997, le ministre du Travail a demandé au Bureau du vérificateur général d'examiner les dépenses de voyage, les allocations et les avantages payés au demandeur et à d'autres membres du Conseil canadien des relations du travail.

Cette demande a été faite après que les relevés de dépenses de voyage et d'hébergement du président eurent été rendus public en vertu de la Loi sur l'accès à l'information [L.R.C. (1985), ch. A-1] et qu'ils eurent fait l'objet d'articles dans les journaux et de questions au Parlement.

Le résultat de l'examen mené par le vérificateur général relativement à ces dépenses se trouve au chapitre 26 du rapport du vérificateur général pour l'année 1997 [Rapport du vérificateur général du Canada à la Chambre des communes], qui a été déposé au Parlement le 2 décembre 1997. Un exemplaire avait été fourni au demandeur le 7 novembre 1997.

Sur les 21 pages de texte contenues dans le chapitre 26, environ deux pages et demie portaient sur les dépenses de voyage et d'hébergement du président entre mai 1989 et mars 1997. À ce sujet, le rapport du vérificateur général contient la critique suivante, au paragraphe 26.97:

26.97 Comme nous l'avons indiqué, le président demande le remboursement de ses dépenses réelles de voyage et d'accueil. Nous avons constaté que le profil de ces dépenses n'est pas raisonnable.

Le rapport fournit ensuite le fondement factuel de cette conclusion.

Le Bureau du vérificateur général avait fourni au demandeur un projet du chapitre pertinent avec une lettre d'accompagnement datée du 6 octobre 1997. Le demandeur a été informé que les vérificateurs faisaient face à des délais stricts, et il a été prié de leur faire part de toute inexactitude et de leur fournir une réponse écrite au plus tard le 17 octobre 1997. La lettre indiquait également que les vérificateurs étaient prêts à rencontrer le demandeur dans le but précis de discuter des parties liées à ses dépenses de voyage et d'hébergement.

Au moyen d'une lettre datée du 9 octobre 1997, le demandeur a requis un délai supplémentaire pour répondre. Sa lettre indique qu'en raison de ses engagements existants en matière de voyages, de réunions et d'audiences, le délai du 17 octobre ne lui laissait que deux jours ouvrables pour préparer sa réponse. Le délai a été prolongé au 20 octobre 1997.

Le demandeur a fourni une réponse écrite [aux pages 26-27 et 26-28], qui a été publiée dans le rapport. La partie de la réponse qui traite des dépenses de voyage et d'hébergement indique (non souligné dans l'original):

Dans le chapitre, [. . .] la "conclusion" indique que "le profil des dépenses de voyage et d'accueil du président n'est pas raisonnable". Je n'accepte pas que ces dépenses ne soient pas jugées raisonnables.

Je conviens que la norme à appliquer est le "caractère raisonnable". Il est certain qu'un administrateur général jouit d'une grande latitude. La loi et tous les règlements applicables l'indiquent clairement. Le chapitre reconnaît le statut particulier du poste d'administrateur général. Le caractère déraisonnable doit être déterminé en fonction des responsabilités et des fonctions du président du Conseil canadien des relations du travail.

Le travail du président comprend trois principaux aspects. Premièrement, il a la responsabilité de l'ensemble de la fonction décisionnelle du Conseil (dont l'étendue a suscité énormément de conflits), ainsi que la responsabilité des audiences et des décisions relatives à certaines affaires portées devant le Conseil. Les audiences des affaires ont exigé énormément de voyages, parfois longs, vu le champ d'intervention du Conseil qui couvre l'ensemble du Canada. Au Conseil, je suis un de ceux qui participent le plus aux audiences des affaires et aux décisions qui s'y rapportent. À certaines occasions (voir, par exemple, le paragraphe 26.106), des dépenses d'accueil peuvent être nécessaires.

Deuxièmement, en qualité de premier dirigeant et d'administrateur du Conseil, le président assume les fonctions administratives d'un ministère qui a des bureaux à Ottawa et cinq bureaux ailleurs au Canada. Ces responsabilités supposent également de nombreux déplacements et, dans une certaine mesure, des fonctions d'accueil.

Troisièmement, le président doit assurer plus généralement le leadership dans le milieu des relations de travail, tant au Canada qu'à l'étranger. Le président est, de façon officieuse, un ambassadeur du Canada et représente le Canada à des congrès internationaux. Mes dépenses correspondaient à celles des autres participants qui assistaient à ces congrès.

Des congrès internationaux réciproques se sont tenus au Canada et ont beaucoup apporté sur le plan intellectuel et économique au Canada. Il y a eu notamment l'Hemispherical Conference de la Société internationale de droit du travail et de la sécurité sociale à Montréal, en 1995, et deux congrès de la National Academy of Arbitrators (à Ottawa en 1990 et à Toronto en 1996"quand je présidais l'Academy). La tenue de ces deux congrès au Canada est attribuable essentiellement aux efforts que j'ai déployés dans cet aspect de mon travail.

Il est erroné d'affirmer, comme le fait le chapitre, que les dépenses engagées dans l'exécution de mes fonctions de président du Conseil sont déraisonnables parce qu'elles dépassent de beaucoup les dépenses prévues dans les règlements du Conseil du Trésor qui régissent les dépenses de fonctionnaires (règlements qui ne s'appliquent certainement pas aux administrateurs généraux). La norme de comparaison appropriée n'est pas celle régissant les fonctionnaires en général, mais la norme retenue pour les hauts fonctionnaires qui ont le même statut et exécutent ou des fonctions identiques ou semblables à celles du président du Conseil. Les comparaisons utilisées dans le chapitre ne constituent pas une référence appropriée pour évaluer mes dépenses qui, à mon avis, étaient appropriées dans les circonstances.

La partie soulignée résume l'argument du demandeur selon lequel les conclusions tirées par le vérificateur général relativement à ses dépenses de voyage et d'hébergement n'étaient pas fondées sur des comparaisons pertinentes.

Les paragraphes 13 à 19 de l'affidavit du 6 janvier 1998 de M. Hefferon mentionnent des arguments à l'encontre des principes apparemment utilisés par le vérificateur général. Je ne me suis pas penchée sur la validité de ces arguments, et l'avocat du demandeur n'a pas non plus prétendu que je devais le faire. Si je comprends bien, ces questions ont été soulevées dans le seul but de démontrer que le demandeur aurait eu des arguments à faire valoir contre la révocation motivée si on lui avait permis d'avoir le genre d'audience à laquelle il prétend qu'il aurait eu droit.

Le 2 décembre 1997, soit le jour du dépôt du rapport du vérificateur général devant le Parlement, Mme Jauvin a écrit au demandeur pour l'informer que le gouverneur en conseil déterminerait, à la lumière de ce rapport, s'il existait des motifs justifiant sa révocation aux termes du paragraphe 10(2) du Code canadien du travail.

La lettre explique que le greffier du Conseil privé avait demandé à Mme Jauvin d'examiner ces questions et de soumettre un rapport. La lettre mentionne les énoncés précis du rapport du vérificateur général qui posaient problème. La lettre se termine par une invitation au demandeur de fournir tout renseignement qu'il considère pertinent et de faire part de toute observation sur la précision du rapport du vérificateur général. Mme Jauvin a également offert au demandeur de le rencontrer au cours de la semaine.

Le 5 décembre 1997, M. Hefferon a rencontré Mme Jauvin. Le demandeur n'a pas assisté à cette réunion. M. Hefferon prétend avoir informé Mme Jauvin que, contrairement à ce qu'elle paraissait croire, le demandeur n'avait pas eu un délai suffisant pour répondre au projet de rapport du vérificateur général. M. Hefferon a également dit à Mme Jauvin qu'il ne pouvait pas répondre adéquatement à sa lettre du 2 décembre 1997 sans avoir accès aux documents de travail et aux renseignements recueillis ou compilés par le vérificateur général dans le cadre de la préparation de son rapport et sans jouir d'un délai suffisant pour les analyser.

Mme Jauvin a informé M. Hefferon que les demandes de dépenses présentées par le demandeur avaient été renvoyées au Conseil canadien des relations du travail et que le demandeur devrait pouvoir y avoir accès auprès de cet organisme. Elle a organisé une rencontre le même jour avec des représentants du Bureau du vérificateur général. Lors de cette rencontre, on a donné à M. Hefferon certains renseignements de façon verbale, mais les représentants désiraient examiner sa demande d'obtention de documents. Au moyen d'une lettre datée du 9 décembre 1997 et envoyée au Bureau du vérificateur général, le demandeur a requis les documents de façon formelle. Par lettre datée du 10 décembre 1997, le Bureau du vérificateur général a fourni au demandeur les documents de travail liés à ses dépenses. Par contre, les représentants du Bureau ont refusé de lui donner accès aux documents liés aux demandes de dépenses de tierces personnes et aux documents concernant tout autre organisme que le Conseil canadien des relations du travail, et ils ont également refusé de mentionner la nature des documents non divulgués. Ils ont indiqué que certains des documents concernant les autres organismes publics pouvaient peut-être être obtenus auprès de ces derniers en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Ayant été mise au fait de la situation, Mme Jauvin a écrit à M. Hefferon le 11 décembre 1997 et a reconnu qu'il aurait besoin de plus de temps pour se préparer. Elle a suggéré la tenue d'une rencontre le 17 ou le 18 décembre, et elle a mentionné qu'elle tenterait d'obtenir certains des documents requis en s'adressant directement aux autres organismes publics en cause. Elle a également mentionné que le demandeur aurait l'occasion de répondre par écrit à son rapport et qu'on lui avait demandé de terminer ce rapport avant Noël.

Mme Jauvin a fourni à M. Hefferon des copies des exposés de principe en matière de dépenses de voyage et d'hébergement de la Commission de contrôle de l'énergie atomique, de l'Office national du film, de la Commission nationale des libérations conditionnelles, du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et du Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Cela a apparemment été fait vers la mi-décembre 1997. Il ressort du rapport de Mme Jauvin (mentionné plus loin) que ces organismes étaient ceux que le vérificateur général considérait comme étant comparables au Conseil canadien des relations du travail. M. Hefferon dit que Mme Jauvin ne lui a pas fait part de ce fait lorsque les documents ont été fournis.

M. Hefferon dit qu'à l'occasion de la rencontre qu'il a eue avec son client les 13 et 14 décembre 1997, il a tiré la conclusion que le processus entrepris était contraire à l'article 69 de la Loi sur les juges [L.R.C. (1985), ch. J-1 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144; ch. 51, art. 28; 1993, ch. 34, art. 89)] et qu'il ne donnerait pas lieu à une audition équitable et impartiale. Le 14 décembre 1997, il a écrit à Mme Jauvin pour l'informer de sa position sur cette question. Par la même occasion, il a signalé qu'il n'avait toujours pas reçu les renseignements demandés relativement aux comparaisons ayant servi de fondement au rapport du vérificateur général.

Le 16 décembre 1997, Mme Jauvin a répondu à M. Hefferon, lui indiquant qu'elle ne partageait pas l'interprétation de ce dernier quant à l'article 69 de la Loi sur les juges. Elle a réitéré sa proposition de tenir une rencontre le 17 ou le 18 décembre 1997.

Le même jour, M. Hefferon a écrit de nouveau à Mme Jauvin. Il a indiqué qu'il n'avait toujours pas les renseignements demandés et qu'étant donné qu'il n'était pas en mesure de répondre de façon adéquate, il ne la rencontrerait pas. Il a réaffirmé sa position quant à la procédure appropriée. Par suite d'une conférence téléphonique en soirée, Mme Jauvin a convenu de consulter un avocat au sujet de la question de la procédure.

Des conférences téléphoniques ont été tenues entre les avocats entre le 17 et le 19 décembre 1997, à la fin desquelles il existait toujours une mésentente relativement à l'application de l'article 69 de la Loi sur les juges.

Le demandeur n'a apparemment pas reçu de renseignements supplémentaires, et il n'y a eu aucune rencontre ultérieure entre Mme Jauvin et M. Hefferon ni entre cette dernière et le demandeur.

Mme Jauvin a achevé son rapport, et un exemplaire en a été transmis au demandeur le 24 décembre 1997 avec une lettre d'accompagnement de M. Michel Garneau, greffier adjoint du Conseil privé. Sa lettre indiquait que le rapport allait être soumis au gouverneur en conseil. Le demandeur a été informé que toute réponse écrite de sa part serait également soumise au gouverneur en conseil, dans la mesure où elle était reçue au plus tard le 16 janvier 1998.

Le rapport lui-même est, en majeure partie, de nature factuelle. Il contient des renseignements au sujet des rencontres tenues et de la correspondance échangée entre Mme Jauvin et M. Hefferon. Le rapport expose clairement que M. Hefferon avait informé Mme Jauvin du fait qu'il ne croyait pas avoir suffisamment de renseignements pour répondre de façon adéquate et que cela expliquait l'absence d'observations faites au nom du demandeur.

Outre les faits, le rapport aborde certains principes de droit, dont la signification de "inamovible" et les exigences procédurales en matière d'exercice du pouvoir de mettre fin à un mandat, à la lumière de la décision Wedge c. Canada (Procureur général) (1997), 4 Admin. L.R. (3d) 153 (C.F. 1re inst.).

Le rapport répète les conclusions tirées par le vérificateur général quant au caractère raisonnable des dépenses du demandeur, mais il n'indique aucune opinion de la part de Mme Jauvin sur cette question. Le rapport n'exprime aucune opinion ni recommandation à l'égard de la question de savoir s'il existait des motifs de révocation du demandeur à titre de président du Conseil canadien sur les relations du travail, mais il indique qu'il s'agit d'une question qui doit être tranchée par le gouverneur en conseil.

Le demandeur n'a fait part d'aucune observation au gouverneur en conseil en réaction au rapport de Mme Jauvin.

Le 7 janvier 1998, le demandeur a institué la présente procédure de contrôle judiciaire, cherchant à obtenir une ordonnance empêchant le gouverneur en conseil d'examiner la question de la révocation avant la tenue d'une enquête faite en vertu de l'article 69 de la Loi sur les juges. Au même moment, il a déposé une demande d'injonction provisoire visant à empêcher le gouverneur en conseil d'examiner la question de la révocation avant la fin de l'instance en contrôle judiciaire.

La demande d'injonction provisoire a été entendue et rejetée par le juge Joyal le vendredi 23 janvier 1998 [(1998), 6 Admin. L.R. (3d) 137 (C.F. 1re inst.)].

Le demandeur a interjeté appel le lundi suivant, soit le 26 janvier 1998, et a sollicité la fixation d'une date d'audition accélérée.

Entre-temps, soit le lundi 26 janvier 1998, M. Garneau, du Bureau du Conseil privé, a écrit au demandeur pour lui rappeler que le délai initial pour la réception de ses observations en réponse au rapport de Mme Jauvin était le 16 janvier 1998. Il a indiqué que le processus avait été suspendu dans l'attente de l'issue de l'audition de la demande d'injonction provisoire, mais que, vu le rejet de cette demande, il allait être repris. M. Garneau a requis du demandeur qu'il lui fasse parvenir ses observations écrites au plus tard à 17 h, le mercredi suivant, soit le 28 janvier 1998.

L'audition de l'appel a été fixée pour le lundi 2 février 1998. Le mardi 27 janvier 1998, M. Hefferon a écrit à M. Garneau, au Bureau du Conseil privé, pour lui demander d'arrêter le processus dans l'attente de l'audition de l'appel et pour lui rappeler qu'on n'avait toujours pas donné au demandeur l'ensemble des documents requis pour répondre au rapport. Aucun renseignement supplémentaire n'a été fourni au demandeur.

Le même jour, soit le mardi 27 janvier 1998, le demandeur s'est adressé à la Cour d'appel fédérale pour obtenir une injonction provisoire valide jusqu'à l'audition de l'appel le lundi suivant. Cette demande a été entendue et rejetée par le juge Pratte le mercredi 28 janvier 1998.

Le jeudi 29 janvier 1998, l'avocat des défendeurs a écrit à celui du demandeur, en réponse à la lettre du 27 janvier 1998 de M. Hefferon, pour l'aviser que le processus se poursuivait. Le même jour, le gouverneur en conseil a prononcé le décret de révocation.

L'appel de l'ordonnance rendue par le juge Joyal relativement à l'injonction provisoire est donc devenu caduc et n'a jamais été entendu. Le demandeur a cependant continué de solliciter le contrôle judiciaire.

Analyse

Le demandeur prétend, premièrement, qu'une personne nommée en vertu d'une loi fédérale à un poste à titre inamovible ne peut faire l'objet de révocation avant la tenue de l'enquête prévue par l'article 69 de la Loi sur les juges, et que, deuxièmement, il y a eu en l'espèce négation de la justice fondamentale dans le cadre du processus qui a mené au décret de révocation.

La présente demande ne soulève pas la question de savoir s'il existait des motifs justifiant la révocation du demandeur ni la question de savoir si ses dépenses de voyage et d'hébergement étaient raisonnables au sens de l'article 12 du Code canadien du travail. On ne me demande que d'examiner le processus suivi par le gouverneur en conseil pour rendre sa décision, et non pas d'évaluer le bien-fondé de la décision ellemême.

L'article 69 de la Loi sur les juges

La partie pertinente du paragraphe 69(1) de la Loi sur les juges prévoit:

69. (1) Sur demande du ministre [de la Justice], le Conseil [le Conseil canadien de la magistrature] enquête aussi sur les cas de révocation"pour les motifs énoncés au paragraphe 65(2)"des titulaires de poste nommés à titre inamovible aux termes d'une loi fédérale, à l'exception des:

    a) juges des juridictions supérieures ou de la Cour canadienne de l'impôt;

    b) personnes visées par l'article 48 de la Loi sur le Parlement du Canada.

Les motifs énoncés aux alinéas 65(2)a) à d) sont:

65. (1) [. . .]

(2) [. . .]

    a) âge ou invalidité;

    b) manquement à l'honneur et à la dignité;,

    c) manquement aux devoirs de sa charge;

    d) situation d'incompatibilité, qu'elle soit imputable au juge ou à toute autre cause.

Le paragraphe 69(2) intègre par renvoi certaines dispositions de la Loi sur les juges qui portent sur les enquêtes relatives aux juges, compte tenu des adaptations nécessaires. Il s'agit des paragraphes 63(3) à (6), des articles 64 et 65 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 27, art. 5], et du paragraphe 66(2).

En vertu du paragraphe 63(4), le Conseil, lorsqu'il mène une enquête, est réputé constituer une juridiction supérieure qui a le pouvoir de citer des témoins, de les obliger à déposer sous la foi du serment ou de l'affirmation solennelle et de les contraindre à comparaître et à produire des documents. En vertu de l'article 64, la personne faisant l'objet de l'enquête a le droit d'être informée suffisamment à l'avance de l'objet de l'enquête ainsi que de la date, de l'heure et du lieu de toute audition, et elle a le droit de contre-interroger les témoins et de présenter tout élément de preuve personnellement ou par l'entremise d'un procureur. Toute enquête aboutit à un rapport présenté au ministre de la Justice en vertu du paragraphe 65(1). Le paragraphe 65(2) prévoit que le rapport peut recommander la révocation de la personne.

Le paragraphe 69(3) prévoit que lorsqu'un rapport a été présenté au ministre de la Justice en vertu du paragraphe 65(1) concernant une personne mentionnée au paragraphe 69(1), le gouverneur en conseil peut, sur recommandation du ministre, révoquer par décret la personne en cause. Il ressort que, lorsqu'il examine la question de la révocation d'une personne qui a fait l'objet d'une enquête en vertu du paragraphe 69(1), le gouverneur en conseil peut prononcer un décret de révocation, que le rapport du Conseil contienne ou non une recommandation en ce sens.

L'article 70 prévoit que s'il y a révocation de mandat en vertu du paragraphe 69(3), le décret ainsi que tous les rapports et éléments de preuve à l'appui doivent être déposés devant le Parlement dans un délai prescrit.

Il n'est pas contesté que le poste de président du Conseil canadien sur les relations du travail constitue un poste occupé "à titre inamovible". C'est ce que font ressortir les prescriptions de l'article 10 du Code canadien du travail , qui impose un mandat maximal et qui permet la révocation "motivée".

Il n'est pas non plus contesté qu'aucune enquête n'a été tenue en vertu de l'article 69 de la Loi sur les juges en l'espèce. Le demandeur prétend qu'il s'agit là d'un vice de procédure irrémédiable. La position des défendeurs est que la procédure prévue par l'article 69 est optionnelle, et non pas obligatoire.

Il est important de souligner que la formulation du paragraphe 69(1) est identique à celle du paragraphe 63(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 51, art. 27], qui s'applique aux juges d'une juridiction supérieure. Je cite ces dispositions pour des fins de comparaison [paragraphe 63(2) (mod., idem)]:

63. (1) Le Conseil mène les enquêtes que lui confie le ministre ou le procureur général d'une province sur les cas de révocation au sein d'une juridiction supérieure ou de la Cour canadienne de l'impôt, pour tout motif énoncé aux alinéas 65(2)a) à d).

(2) Le Conseil peut en outre enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge d'une juridiction supérieure ou de la Cour canadienne de l'impôt.

    [. . .]

69. (1) Sur demande du ministre, le Conseil enquête aussi sur les cas de révocation"pour les motifs énoncés au paragraphe 65(2)"des titulaires de poste nommés à titre inamovible aux termes d'une loi fédérale, à l'exception des:

    a) des juges des juridictions supérieures ou de la Cour canadienne de l'impôt;

    b) personnes visées par l'article 48 de la Loi sur le Parlement du Canada.

La protection procédurale que contient l'article 64 est conférée à toute personne qui fait l'objet d'une enquête en vertu de ces dispositions. Le paragraphe 65(1) prévoit que toute enquête aboutit à un rapport au ministre. En vertu du paragraphe 65(2), ce rapport peut contenir une recommandation de révocation, de sorte qu'il est susceptible de mener à la révocation.

Dans le cas d'un juge d'une juridiction supérieure, la révocation nécessite une adresse conjointe de la Chambre des communes et du Sénat. Dans le cas d'une personne assujettie à l'application de l'article 69, la révocation nécessite un décret du gouverneur en conseil.

La question est toutefois de savoir si l'enquête du Conseil canadien de la magistrature constitue une condition préalable essentielle à la révocation. Il me semble que, du point de vue de l'interprétation des lois, la réponse doit être la même tant pour les juges d'une juridiction supérieure que pour les personnes assujetties à l'application de l'article 69. Si le processus d'enquête prévu par l'article 69 de la Loi sur les juges est optionnel, et non pas obligatoire, il en est alors de même pour l'enquête prévue par l'article 63. Si tel est le cas, il faut donc conclure, par déduction nécessaire, que la loi permet qu'un juge d'une juridiction supérieure soit révoqué sur adresse conjointe de la Chambre des communes et du Sénat sans que le Conseil canadien de la magistrature n'ait fait d'enquête.

Compte tenu du lien nécessaire entre les articles 63 et 69, l'avocat du demandeur prétend qu'il existe un impératif d'ordre constitutionnel qui justifie que l'on interprète ces deux dispositions comme prescrivant les conditions préalables obligatoires à la révocation. Je résume ses argument de la façon suivante. L'exigence de l'inamovibilité de toute personne occupant un poste de nature judiciaire ou quasi-judiciaire constitue un principe constitutionnel essentiel. Cette inamovibilité ne peut pas être garantie en l'absence d'une loi qui empêche la révocation sans la tenue d'une audition et sans l'existence des droits mentionnés à l'article 64 de la Loi sur les juges. Étant donné que les articles 63 et 69 de la Loi sur les juges sont les seules dispositions qui prévoient une procédure appropriée, ces dispositions doivent être interprétées comme étant obligatoires.

L'avocat des défendeurs prétend que les procédures prévues par les paragraphes 63(1) et 69(1) ne sont pas obligatoires, mais plutôt optionnelles. Il dit qu'elles ne peuvent être entamées que si le ministre de la Justice en décide ainsi. Il affirme que le texte de la loi ne peut pas raisonnablement soutenir l'interprétation avancée par le demandeur et que l'adoption de l'argument de ce dernier nécessiterait que la Loi sur les juges soit interprétée comme si elle contenait une disposition prévoyant que le ministre de la Justice est tenu de faire la demande prévue à l'article 69 s'il désire se prononcer en matière de révocation.

L'importance de l'inamovibilité des juges ne fait aucun doute. Cette question a fait l'objet d'analyses exhaustives dans les affaires portant sur le droit de la personne accusée d'une infraction d'avoir un procès public et équitable devant un tribunal indépendant et impartial, conformément à l'alinéa 11d) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

L'arrêt Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673, portait sur une affaire de cette nature. La question en litige était de savoir si un juge d'une cour provinciale de l'Ontario constituait un tribunal qui satisfaisait à la norme d'indépendance établie dans l'alinéa 11d). Le juge Le Dain, s'exprimant au nom de la Cour, a dit (à la page 694):

L'inamovibilité, de par l'importance qui y a été attachée traditionnellement, doit être considérée comme la première des conditions essentielles de l'indépendance judiciaire pour les fins de l'al. 11d) de la Charte.

La loi provinciale prévoyait que le juge pouvait être révoqué par le lieutenant-gouverneur en conseil, mais uniquement en cas de mauvaise conduite ou d'incapacité d'exercer ses fonctions de façon utile, et seulement après la tenue d'une enquête de la part d'un juge d'une cour supérieure, à l'occasion de laquelle le juge de la cour provinciale a eu l'entière possibilité de se faire entendre. Le rapport d'enquête devait être déposé devant l'assemblée législative, mais le lieutenant-gouverneur en conseil n'était pas lié par ses conclusions ni par ses recommandations. La conclusion tirée par la Cour est énoncée à la page 698:

En somme, je suis d'avis que si la disposition concernant l'inamovibilité [. . .] ne fournit une inamovibilité ni idéale ni parfaite, elle fait néanmoins ressortir ce qu'on peut raisonnablement percevoir comme les conditions essentielles de l'inamovibilité pour les fins de l'al. 11d) de la Charte: que le juge ne puisse être révoqué que pour un motif déterminé, et que ce motif fasse l'objet d'un examen indépendant et d'une décision selon une procédure qui offre au juge visé toute possibilité de se faire entendre. L'essence de l'inamovibilité pour les fins de l'al. 11d), que ce soit jusqu'à l'âge de la retraite, pour une durée fixe, ou pour une charge ad hoc, est que la charge soit à l'abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l'exécutif ou de l'autorité responsable des nominations.

Relativement au poste de juge d'une cour supérieure, il a dit ceci à la page 695:

Il existe bien entendu diverses façons de prévoir les conditions essentielles de l'inamovibilité par une disposition constitutionnelle ou législative. Comme je l'ai indiqué, les juges de cour supérieure au Canada jouissent de ce qui est généralement considéré comme le plus haut degré d'inamovibilité qu'offre la garantie constitutionnelle de l'art. 99 de la Loi constitutionnelle de 1867: ils occupent leur charge à titre inamovible jusqu'à l'âge de soixante-quinze ans à moins d'être révoqués par le gouverneur général sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes. En vertu des lois qui les régissent respectivement, les juges de cette Cour, ceux de la Cour fédérale du Canada et ceux de la Cour canadienne de l'impôt occupent également leur charge à titre inamovible jusqu'à un âge précis de mise à la retraite, à moins seulement d'être révoqués sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes.

Il existe donc plus d'une manière d'assurer l'inamovibilité requise par l'alinéa 11d) de la Charte. Dans le cas d'un juge de juridiction supérieure, l'inamovibilité est protégée par le mécanisme de révocation, soit la procédure publique et lourde de l'adresse conjointe. Dans le cas d'un juge qui peut être révoqué par voie de décret, l'inamovibilité est assurée par l'exigence légale de motif et par la garantie juridique du droit à une audience complète devant un organisme indépendant. Dans l'arrêt Valente, on ne laisse pas entendre qu'il s'agit des seuls moyens permis pour conférer l'inamovibilité.

Il ne m'est pas facile de déterminer si les membres du Conseil canadien sur les relations du travail doivent avoir le même degré d'inamovibilité pour que leurs décisions soient valides sur le plan constitutionnel. L'avocat du demandeur soutient que le Conseil canadien sur les relations du travail est un organisme quasi-judiciaire dont le champ de compétence est étendu. Il se voit confier la tâche de prendre des décisions très importantes qui ne font pas l'objet d'examen judiciaire, sauf dans les cas les plus restreints. Je partage cette opinion. Néanmoins, l'avocat des défendeurs prétend avec raison que le Conseil canadien sur les relations du travail n'est pas une cour. L'alinéa 11d) de la Charte ne peut pas s'appliquer aux affaires entendues par le Conseil canadien sur les relations du travail.

Si on tient pour acquis que les membres du Conseil canadien sur les relations du travail doivent jouir d'une certaine inamovibilité, quelle est la norme à appliquer? S'agit-il de la même norme que pour les juges des cours provinciales ou si une norme moins exigeante est suffisante?

Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Alex Couture inc., [1991] R.J.Q. 2534, une question analogue a été examinée par la Cour d'appel du Québec dans le contexte du Tribunal de la concurrence créé en vertu de la Loi sur le Tribunal de la concurrence [L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19]. Certains membres de ce tribunal sont des juges de la Section de première instance de la Cour fédérale tandis que d'autres sont des membres non juges nommés par le gouverneur en conseil sur recommandation d'un ministre, qui est tenu de demander l'avis d'un conseil consultatif. La validité sur le plan constitutionnel de la Loi sur la concurrence [L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19)] et du Tribunal de la concurrence a été contestée pour de nombreux motifs, notamment l'absence d'indépendance du tribunal en raison du fait que les membres non juges ne bénéficient pas de l'inamovibilité. Sur cette question, le juge d'appel Rousseau-Houle, s'exprimant au nom de la Cour, a dit, aux pages 2598 et 2599 (R.J.Q.):

Les membres non juges peuvent être révoqués avant la fin de leur mandat par le gouverneur en conseil. Une telle révocation doit être motivée [. . .] La loi ne prévoit pas les motifs spécifiques de révocation, mais une telle exigence n'est pas requise comme condition essentielle d'indépendance judiciaire pour les fins de l'article 11 d) de la charte. La charge des membres non juges étant déclarée inamovible, ce ne sera que pour des motifs se rattachant à l'exercice de la fonction de la personne en cause que le gouverneur en conseil pourra prononcer la révocation. À cet égard, le mode de révocation apparaît suffisant. Comme l'a exprimé le juge Le Dain dans l'arrêt Valente [. . .]:

    Il se peut que la nécessité d'une adresse au corps législatif rende la révocation d'un juge plus difficile en pratique à cause de la solennité, de la lourdeur et de la visibilité de la procédure, mais qu'un motif soit nécessaire, comme le définit la loi, et qu'une enquête judiciaire soit prévue au cours de laquelle le juge visé a pleinement l'occasion de se faire entendre, constituent à mon avis, une restriction suffisante du pouvoir de révocation pour les fins de l'al. 11 d).

La Loi sur le Tribunal de la concurrence ne prévoit pas expressément la tenue d'une audition préalable selon une procédure offrant à la personne visée la possibilité de se faire entendre. Les règles de la justice naturelle et l'article 69 de la Loi sur les juges [. . .] suppléent de façon satisfaisante à cette absence de disposition législative précise. Dans l'hypothèse où le gouverneur en conseil serait appelé à exercer son pouvoir de révocation d'un membre non juge, il serait tenu d'adopter une procédure équitable prévoyant la possibilité pour l'intéressé de se faire entendre [. . .] Par ailleurs, l'article 69 de la Loi sur les juges prévoit que, sur une demande à cet effet de la part du ministre de la Justice du Canada, le Conseil canadien de la magistrature se doit de tenir une enquête [. . .]

Dans le cas où il peut être appelé à tenir une telle enquête concernant un membre non juge du Tribunal de la concurrence, le Conseil est tenu, aux termes de l'article 64 de la Loi sur les juges, de fournir à l'intéressé la possibilité de se faire entendre et de soumettre les éléments de preuve qu'il estime pertinents. Le rapport d'enquête est ensuite présenté au ministre de la Justice, qui peut révoquer le titulaire en cause sur la base de ce rapport d'enquête. Le fait que ce processus d'enquête ne puisse être déclenché qu'à la discrétion du ministre de la Justice ne permet pas, à mon avis, de conclure que le standard minimum que commande l'arrêt Valente n'est pas respecté.

L'ensemble de ces dispositions et les règles de justice naturelle concernant l'inamovibilité font suffisamment ressortir, à mon avis, que la charge des membres non juges du Tribunal est à l'abri de toute révocation discrétionnaire ou arbitraire de la part du gouverneur en conseil responsable des nominations. [Non souligné dans l'original.]

À la lumière de ces observations, il m'apparaît que l'exigence d'inamovibilité a été remplie en l'espèce au moyen de la combinaison de trois éléments. Le premier était l'exigence légale de l'existence d'une "cause" comme motif de révocation. Le deuxième était l'obligation faite au gouverneur en conseil d'appliquer les principes de la justice naturelle lorsqu'il prend une décision en matière de révocation. Le troisième était la possibilité de la tenue d'une enquête indépendante en vertu de l'article 69 de la Loi sur les juges , même si cet article ne s'applique que si le ministre de la Justice ne décide d'y recourir.

Si je comprends bien cette affaire, il a été reconnu que l'enquête prévue par l'article 69 de la Loi sur les juges n'était qu'une simple possibilité tandis que l'application des principes de la justice naturelle était obligatoire. J'estime que cela mène à la conclusion que si l'article 69 n'avait jamais été édicté, les deux premiers éléments seraient suffisants. Les principes de la justice naturelle lient le gouverneur en conseil, lorsqu'il examine la possibilité d'exercer le pouvoir que lui confère une loi de révoquer le titulaire d'une charge auprès d'un tribunal, de la même façon que toute exigence procédurale prévue par une loi. Il en est ainsi, même si les exigences particulières de justice naturelle varient nécessairement selon l'affaire en cause. On ne peut donc pas dire que les membres d'un tribunal ne jouissent pas de l'inamovibilité uniquement parce que la loi n'accorde aucune protection procédurale en cas de proposition de révocation de mandat.

Comme je l'ai mentionné précédemment, le demandeur invoque l'argument que l'inamovibilité ne peut être garantie que si l'article 69 de la Loi sur les juges est interprété comme étant une exigence obligatoire, de sorte que cet article devrait être considéré comme étant obligatoire. Je conclus que l'article 69 n'est pas nécessaire pour les fins de l'inamovibilité. L'argument du demandeur à l'égard de l'interprétation de l'article 69 est donc insoutenable parce qu'il n'est fondé sur aucune prémisse.

J'interprète le paragraphe 69(1) comme ne s'appliquant que si le ministre de la Justice y a recours.

J'estime que cette interprétation est la seule qui soit compatible avec le texte de la loi. Il s'agit de la seule interprétation qui donne un sens à l'expression "que lui confie le ministre" dans une loi qui oblige le Conseil à agir sur demande de ce dernier mais qui ne contraint pas le ministre à faire la demande. Il s'agit également de la seule interprétation qui soit compatible avec l'article 71 de la Loi sur les juges , qui prévoit:

71. Les articles 63 à 70 n'ont pas pour effet de porter atteinte aux attributions de la Chambre des communes, du Sénat ou du gouverneur en conseil en matière de révocation des juges ou des autres titulaires de poste susceptibles de faire l'objet des enquêtes qui y sont prévues.

À cet égard, je renvoie aux observations faites par le juge Strayer dans Gratton c. Conseil canadien de la magistrature, [1994] 2 C.F. 769 (1re inst.), à la page 803:

Il appartient au Conseil canadien de la magistrature de recommander la révocation, mais c'est au Parlement, finalement, de décider s'il y a lieu de recourir au seul mécanisme de révocation que prévoit la Constitution, à savoir l'adresse des Chambres du Parlement. Rien dans la Loi sur les juges n'empêche le Parlement d'envisager la révocation d'un juge sans recommandation émanant du Conseil. De fait, l'article 71 de la Loi sur les juges conserve explicitement le pouvoir du Parlement dans ce domaine.

Cela ne signifie pas qu'on peut prendre la décision de révoquer un juge d'une juridiction supérieure sans se conformer aux principes de la justice fondamentale. Mais je ne peux voir aucune justification au soutien de la conclusion qu'une enquête faite par le Conseil en vertu de la Loi sur les juges est le seul moyen possible d'atteindre cet objectif.

De la même façon, la révocation du titulaire d'un poste occupé à titre inamovible ne peut avoir lieu sans qu'une protection procédurale ne lui soit accordée. Je suis toutefois d'avis qu'une audition complète, comportant l'interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins ainsi que la divulgation totale des documents, n'est pas essentielle pour l'exercice équitable du pouvoir de révocation.

À cet égard, je suis d'accord avec les commentaires émis par le juge MacKay dans l'affaire Wedge (précitée), à la page 161:

[. . .] les exigences de l'équité procédurale ont été remplies en l'espèce, en ce sens que le requérant a été mis au courant du fond des allégations formulées contre lui, ainsi que du rapport d'enquête et du rapport final concernant ces allégations, et il a eu une occasion équitable d'y répondre de vive voix, une fois [. . .] et deux fois par la suite par écrit.

La question en litige se résume alors à la question de savoir si la procédure adoptée par le gouverneur en conseil dans la présente affaire a satisfait à ces exigences.

L'équité procédurale

Le demandeur prétend qu'on n'a pas fait preuve d'équité procédurale à son endroit. Il soutient qu'il existait une crainte raisonnable de partialité, comme le démontrent les articles de journaux indiquant que les députés, dont le Premier ministre, avaient applaudi lorsque le ministre du Travail avait annoncé son intention d'entamer le processus de révocation du demandeur. Il soutient également qu'on aurait dû lui donner un meilleur accès aux documents utilisés par le vérificateur général et plus de temps pour répondre au rapport de Mme Jauvin.

Je ne suis pas convaincue que les articles de journaux soient suffisants pour établir l'existence d'une crainte raisonnable de partialité. Premièrement, rien dans la preuve dont je suis saisie n'indique que les faits racontés soient vrais. Deuxièmement, s'ils sont vrais, je ne vois aucune raison de distinguer la présente affaire de l'affaire Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 363 (C.A.). Je suis également d'avis que le demandeur n'a pas été privé d'une possibilité raisonnable de répondre aux allégations faites contre lui et qu'il n'a pas été traité de façon inéquitable. J'accepte l'argument de l'avocat des défendeurs selon lequel le demandeur en l'espèce a bénéficié, essentiellement, des mêmes renseignements et de la même possibilité de se faire entendre que le demandeur dans l'affaire Wedge.

On a d'abord requis du demandeur qu'il fournisse des observations écrites à Mme Jauvin et qu'il la rencontre le 17 ou le 18 décembre 1997. Il ne l'a pas fait pour des raisons qui ont été bien exposées dans le rapport préparé par Mme Jauvin à l'attention du gouverneur en conseil.

Lorsqu'on lui a fourni une copie du rapport de Mme Jauvin le 24 décembre 1997, on lui a demandé de faire parvenir une réponse écrite au gouverneur en conseil au plus tard le 16 janvier 1998, délai qui a par la suite été prolongé au 28 janvier 1998. Il ne l'a pas fait.

Je suis d'avis que sa décision de ne faire aucune observation à Mme Jauvin et au gouverneur en conseil n'était pas due à un manque de temps ou de renseignements. Dès octobre 1997, il connaissait, de façon générale, le fondement factuel du rapport du vérificateur général. Il savait que le vérificateur général avait examiné les lignes directrices, en matière de dépenses, qui s'appliquaient aux autres fonctionnaires, même s'il n'avait pas accès à leurs demandes de dépenses. Il connaissait, dès le 2 décembre 1997, l'essentiel des allégations qui étaient examinées dans le cadre de la prise de décision de le révoquer ou non.

Au début de décembre, il a eu la possibilité de discuter du rapport du vérificateur général avec les vérificateurs qui ont travaillé à sa préparation. Malgré certaines difficultés, il a obtenu vers la mi-décembre 1997 les lignes directrices, en matière de dépenses, qui s'appliquent aux organismes qui avaient été estimés comparables au Conseil canadien sur les relations du travail. Le rapport de Mme Jauvin, qu'il avait en sa possession le 24 décembre 1997, indique qu'il s'agissait des mêmes organismes qui avaient été examinés par le vérificateur général.

Le gouverneur en conseil a retardé sa décision pendant que la demande initiale d'injonction provisoire était en cours. Le demandeur n'a même pas profité de ce délai pour préparer une réponse écrite à l'endroit du gouverneur en conseil, dans l'éventualité où l'injonction provisoire n'était pas accordée. J'estime que le gouverneur en conseil n'a pas agi de façon inéquitable en refusant d'accorder un délai supplémentaire à la suite de la décision rendue par le juge Joyal.

Conclusion

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

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