Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     A-338-98

Dynamex Canada Inc. (demanderesse)

c.

Syndicat des postiers du Canada (SPC) (défendeur)

et

Conseil canadien des relations du travail (intervenant)

     A-339-98

Dynamex Canada Inc. (demanderesse)

c.

Syndicat des postiers du Canada (SPC) (défendeur)

et

Conseil canadien des relations du travail (intervenant)

Répertorié: Dynamex Canada Inc.c. Syndicat des postiers du Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Stone, Létourneau et Sexton, J.C.A."Toronto, 18 décembre 1998; Ottawa, 19 mars 1999.

Relations du travail  AccréditationRéintroduction de demandes d'accréditationL'art. 31(3) du Règlement du Conseil des relations du travail investit celui-ci du pouvoir d'abréger le délai qui doit s'écouler avant le dépôt d'une nouvelle demande d'accréditationLe Conseil n'a pas excédé sa compétence en adoptant l'art. 31(3) du Règlement et a correctement interprété le pouvoir qu'il tient de l'art. 15e) du Code.

Le Conseil canadien des relations du travail a décidé d'abréger, en application du paragraphe 31(3) du Règlement de 1992 du Conseil canadien des relations du travail, le délai de six mois prévu au paragraphe 31(1) du Règlement pour l'introduction par le SCP d'une nouvelle demande d'accréditation à l'égard d'une unité d'employés de la demanderesse à Winnipeg. La première demande avait été rejetée trois mois plus tôt parce que le défendeur sous-estimait le nombre d'employés faisant partie de l'unité. La décision d'abréger le délai d'attente a permis au Conseil d'instruire la demande d'accréditation, pour accorder au défendeur l'accréditation à titre d'agent négociateur de l'unité d'employés en question à la suite d'un scrutin de représentation.

Le paragraphe 31(1) prévoit qu'une nouvelle demande d'accréditation ne sera pas entendue dans les six mois du rejet de la première. Le paragraphe 31(3) investit le Conseil du pouvoir discrétionnaire d'abréger ce délai.

Dans ces recours en contrôle judiciaire contre les deux décisions, la demanderesse soutient que le paragraphe 31(3) n'a pas été validement promulgué en application de l'alinéa 15e) du Code canadien du travail (qui habilite le Conseil à prendre des règlements concernant le délai susmentionné). Et que le paragraphe 31(3) investit le Conseil du pouvoir discrétionnaire d'abréger ce délai, ce qui signifie que le Conseil s'est subdélégué à lui-même, sous une forme différente de celle autorisée par le Code, un pouvoir que le législateur lui a conféré. Il échet encore d'examiner si le Conseil était habilité à abréger, en application de l'alinéa 16m) du Code (qui l'investit du pouvoir général d'abréger ou de proroger les délais applicables dans le cadre de toute affaire dont il connaît), le délai imposé par le paragraphe 31(1).

Arrêt (le juge Létourneau, J.C.A., dissident): les deux recours doivent être rejetés.

Le juge Sexton, J.C.A.: Le législateur a entendu assurer au Conseil la souplesse nécessaire dans la fixation du délai d'attente. À cet égard, la décision du Conseil d'abréger ce délai en l'espèce représente l'exercice valide du pouvoir conféré par le législateur et peut se justifier au regard du paragraphe 31(3) du Règlement comme de l'alinéa 16m) du Code.

Le paragraphe 31(3) du Règlement a été validement promulgué en application de l'alinéa 15e) du Code. Celui-ci doit être interprété sous l'angle téléologique. Le Code a pour but premier d'encourager le règlement positif des conflits de travail et la liberté de négociation collective. Le Conseil a pour attributions d'administrer avec efficacité les relations du travail afin de promouvoir un haut degré de paix sociale. Il faut qu'il jouisse de la souplesse nécessaire pour appliquer le système de la façon la plus propre à lui permettre d'accomplir sa tâche. En ce qui concerne la réintroduction des demandes d'accréditation, il est censé exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par le Code (alinéa 15e)) en promulguant une règle générale (paragraphe 31(1)), laquelle comprend la souplesse nécessaire pour lui permettre d'abréger le délai (paragraphe 31(3)), le cas échéant. Le législateur a entendu laisser au Conseil le soin de se fonder sur son expertise et son expérience pour décider dans quels cas le raccourcissement du délai d'attente serait plus conforme à l'harmonie des relations du travail. Il est permis de douter qu'il ait entendu fixer des paramètres stricts, à observer par le Conseil pour se prononcer sur le délai qui doit s'écouler avant le dépôt d'une nouvelle demande d'accréditation. À supposer, comme le soutient la demanderesse, qu'il soit interdit au Conseil d'abréger un délai une fois qu'il l'a expressément défini, cela aurait effectivement modifié l'alinéa 16m) qui l'a investi de ce pouvoir.

Il n'y a pas eu en l'espèce subdélégation du même pouvoir de réglementation à soi-même et sous une autre forme, ni subdélégation irrégulière à un autre organisme de la responsabilité et de l'obligation d'exercer un pouvoir prévu par la loi.

Le fait que le Conseil s'est réservé la souplesse nécessaire est conforme au régime légal institué par le législateur.

Conclure que le paragraphe 31(3) est illégal reviendrait à dire que le législateur entendait prévoir que là où il n'y a aucun agent négociateur accrédité en place et où il n'y a aucune raison de ne pas en autoriser un, le Conseil ne doit pas avoir le pouvoir d'abréger le délai qu'il a institué. Cela reviendrait à faire de l'article 31 une disposition punitive contraire aux objectifs du Code.

La décision du Conseil d'abréger le délai d'attente était autorisée par l'alinéa 16m) du Code. Il est indubitable que le législateur a voulu assurer au Conseil la souplesse nécessaire pour fixer les délais dans les affaires soumises à sa juridiction, y compris les demandes d'accréditation. L'application de délais stricts et immuables ferait échec à l'un des objectifs manifestes du Code, qui est de promouvoir la paix sociale par de saines relations du travail. La disposition prévoyant que le Conseil peut abréger les délais prévus à l'article 24 du Code n'est pas redondante; il s'ensuit que le pouvoir de changer ces délais ne peut être invoqué à l'appui de l'argument que l'alinéa 16m) ne confère pas le pouvoir de déroger aux délais fixés par règlement. Rien ne permet de dire que l'alinéa 16m) n'est pas applicable puisque le point litigieux ne s'est pas fait jour "dans le cadre de toute affaire dont [le Conseil] connaît". La demande d'accréditation était quelque chose dont le Conseil connaissait, par application de l'article 24. Tout simplement, il avait compétence pour examiner si elle avait été soumise conformément au régime institué par la loi.

Le juge Stone, J.C.A. (motifs concordants): Il faut rejeter ces recours.

Puisqu'il s'agit d'une question de compétence, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte. Les termes de l'alinéa 15e) doivent être envisagés non seulement dans leur contexte immédiat, mais aussi dans le contexte du Code tout entier.

Il y a lieu de noter que l'alinéa 15e) ne fait pas au Conseil obligation de "spécifier" un délai. En habilitant ce dernier à prendre des règlements d'application générale "concernant" le délai, le législateur a entendu lui accorder une plus grande latitude. Cette conclusion est confortée par la présence du terme "concernant" à l'alinéa 15e ). Qui plus est, une telle interprétation est dans le droit fil des objectifs du Code ainsi que du rôle spécialisé du Conseil. Elle est conforme à l'approche pragmatique et fonctionnelle qui est maintenant bien ancrée dans la jurisprudence de la Cour suprême.

Le Conseil n'a pas excédé sa compétence en adoptant le paragraphe 31(3) du Règlement, et il a correctement interprété le pouvoir qu'il tient de l'alinéa 15e). En conséquence, il n'y a pas lieu de toucher à sa décision d'abréger le délai en question.

Le juge Létourneau, J.C.A. (motifs dissidents): Il faut faire droit aux recours. Ni le paragraphe 31(3) du Règlement ni l'alinéa 16m) du Code n'habilite le Conseil à abréger le délai d'attente de six mois prévu au paragraphe 31(1) du Règlement.

Le paragraphe 31(3) du Règlement est illégal parce qu'il n'opère rien moins qu'attribution par le Conseil à lui-même d'un pouvoir discrétionnaire par voie de règlement. Il s'agit là indubitablement d'une délégation illégale de pouvoirs au regard des principes établis de droit administratif. Cette disposition ne peut être justifiée par une conception ou interprétation téléologique de l'article 31 du Règlement ou de l'alinéa 15e) du Code. En effet, une conception téléologique n'est pas en elle-même une source de pouvoir si le texte de la disposition en jeu ne confère pas ce pouvoir ou le dénie, que ce soit expressément ou implicitement. Un principe fondamental de droit administratif pose qu'un organisme habilité par la loi à prendre des règlements ne peut se fonder sur ce pouvoir de réglementation pour s'attribuer le pouvoir discrétionnaire de décider au gré des cas d'espèce. Le législateur a, par l'alinéa 15e) du Code, investi le Conseil du pouvoir d'instituer des normes d'application générale concernant le délai qui doit s'écouler avant la réintroduction d'une demande d'accréditation; il n'entendait donc pas l'autoriser à fixer ce délai au gré des cas d'espèce. Le fait que le Conseil ait fixé un délai de six mois au paragraphe 31(1) n'a aucun sens ni effet s'il peut déroger à loisir à cette norme. Ce n'est pas une solution que de dire qu'il l'a exercé jusqu'ici de façon responsable. Il est clair que selon la volonté du législateur, le pouvoir discrétionnaire dont le Conseil est investi en matière de demandes d'accréditation doit être confiné dans les limites prévues par la loi. Cette volonté se retrouve aux paragraphes 24(2) et (3) du Code.

L'alinéa 16m) du Code est une disposition générale d'application plus large que l'article 24 qui porte expressément sur une procédure, savoir la demande faite par un syndicat d'accréditation comme agent négociateur d'une unité. Le paragraphe 24(1) indique clairement que pareille demande est soumise à tout règlement pris par le Conseil pour l'application de l'alinéa 15e). Puisque le délai d'attente applicable à la réintroduction des demandes d'accréditation est expressément régi par l'article 24 et l'alinéa 15e) du Code et par le paragraphe 31(1) du Règlement, on ne peut invoquer la disposition générale de l'alinéa 16m) pour tourner la volonté du législateur telle qu'elle s'exprime par ces dispositions.

La Cour n'a pas pour tâche d'interpréter les dispositions en jeu de façon à en dégager les pouvoirs que le Conseil veut avoir, pense avoir ou aimerait avoir. Elle a pour responsabilité de les interpréter pour découvrir les pouvoirs dont il est effectivement investi et que le législateur dit lui avoir conférés.

Qui plus est, l'alinéa 16m) confère au Conseil le pouvoir qui y est prévu, "dans le cadre de toute affaire dont il connaît". Or, en l'espèce, il n'y avait aucune procédure engagée devant le Conseil. D'une part, la demande initiale d'accréditation avait été rejetée; cette affaire était donc terminée. D'autre part, le paragraphe 31(1) non seulement interdit l'ouverture d'une nouvelle procédure avant l'expiration du délai prescrit, mais encore prive le Conseil de sa compétence pour s'en saisir.

    lois et règlements

        Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. préambule, 15e), 16m), 24 (mod. par L.C. 1993, ch. 42, art. 1), 27, 28, 29(2).

        Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1, art. 118a) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 27, art. 40), 121 (mod. par S.C. 1972, ch. 18, art. 1).

        Code de procédure civile, L.R.Q. 1977, ch. C-25, art. 33.

        Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 3a), 221(1)d), 231(3).

        Loi des cités et villes, S.R.Q. 1941, ch. 233, art. 426, 526 (mod. par S.Q. 1956-57, ch. 91, art. 4).

        Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence, L.C. 1998, ch. 26, art. 5(4).

        Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8).

        Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, ch. R-2, art. 328(1).

        Loi sur l'immigration, S.R.C. 1952, ch. 325, art. 61.

        Milk Act, 1965 (The), S.O. 1965, ch. 72, art. 8(1),(6).

        Planning Act (The), R.S.O. 1970, ch. 349, art. 35a(2) (édicté par S.O. 1973, ch. 168, art. 10).

        Règl. de l'Ont. 294/65, art. 6.

        Règl. de l'Ont. 52/68, art. 4(2).

        Règlement de 1992 du Conseil canadien des relations du travail, DORS/91-622, art. 31(1),(3).

        Règlement du Conseil canadien des relations du travail, DORS/73-205, art. 31.

        Règlement sur l'immigration, C.P. 1954-1351, art. 20(4).

    jurisprudence

        décisions examinées:

        U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; (1988), 35 Admin. L.R. 153; 95 N.R. 161; Syndicat international des débardeurs et magasiniers, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Prince Rupert Grain Ltd., [1996] 2 R.C.S. 432; (1996), 135 D.L.R. (4th) 385; 40 Admin. L.R. (2d) 1; 96 CLLC 210-037; 198 N.R. 99; Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157; (1995), 121 D.L.R. (4th) 385; 27 Admin. L.R. (2d) 1; 95 CLLC 210-009; 177 N.R. 1; Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412; (1984), 14 D.L.R. (4th) 457; 55 N.R. 321; 14 Admin. L.R. 72; 84 CLLC 14,069; Clarke c. Clarke, [1990] 2 R.C.S. 795; (1990), 101 N.S.R. (2d) 1; 73 D.L.R. (4th) 1; 275 A.P.R. 1; 113 N.R. 321; 28 R.F.L. (3d) 113; Upper Lakes Shipping Ltd. c. Sheehan et autre, [1979] 1 R.C.S. 902; (1979), 95 D.L.R. (3d) 25; 79 CLLC 14,192; 25 N.R. 149; Attorney General of Canada v. Brent, [1956] R.C.S. 318; (1956), 2 D.L.R. (2d) 503; 114 C.C.C. 296; Brant Dairy Co. Ltd. et autre c. Milk Commission of Ontario et autre, [1973] R.C.S. 131; (1972), 30 D.L.R. (3d) 559; Institut canadien des compagnies immobilières publiques et autres c. Corporation de la ville de Toronto, [1979] 2 R.C.S. 2; (1979), 7 M.P.L.R. 39; 8 O.M.B.R. 385; 25 N.R. 108; Air Canada c. Cité de Dorval, [1985] 1 R.C.S. 861; (1985), 19 D.L.R. (4th) 401; 13 Admin. L.R. 42; 59 N.R. 177; Verdun, City of v. Sun Oil Co., [1952] 1 R.C.S. 222; [1952] 1 D.L.R. 529; Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Comm. canadienne des transports) (1988), 31 Admin. L.R. 138; 86 N.R. 360 (C.A.F.).

        décisions citées:

        Bell Canada, Montréal, Québec et Syndicat des travailleurs en communications du Canada et Syndicat des communications du Canada, [1979] 2 Can LRBR 429; (1979), 30 di 104; Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724; (1993), 108 D.L.R. (4th) 1; 17 Admin. L.R. (2d) 141; 93 CLLC 14,062; 160 N.R. 321; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; 97 D.L.R. (3d) 417; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC 14,209; 26 N.R. 341; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614; (1991), 80 D.L.R. (4th) 520; 48 Admin. L.R. 161; 91 CLLC 14,017; 123 N.R. 161; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41; James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national et autres, [1984] 1 R.C.S. 614; (1984), 9 D.L.R. (4th) 1; [1984] 4 W.W.R. 577; 7 Admin. L.R. 302; [1984] CTC 345; 84 DTC 6325; 54 N.R. 241; Colombie-Britannique (Milk Board) c. Grisnich, [1995] 2 R.C.S. 895; (1995), 126 D.L.R. (4th) 191; 7 B.C.L.R. (3d) 1; 30 Admin. L.R. (2d) 54; 183 N.R. 39; 100 W.A.C. 81; Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254; (1996), 113 D.L.R. (4th) 289; 17 C.C.E.L. (2d) 141; 10 C.C.P.B. 213; [1996] 1 C.T.C. 303; 96 DTC 6103; 193 N.R. 241; Danjou v. Marquis (1879), 3 R.C.S. 251.

    doctrine

        Black's Law Dictionary, 5th ed. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1979. "specify".

        Canadian Oxford Dictionary. Toronto: Oxford University Press, 1998. "respecting".

        Clarke, Graham J. Canada Labour Relations Board: An Annotated Guide. Aurora (Ont.): Canada Law Book, 1998.

        Dussault, R. et L. Borgeat. Traité de droit administratif, t. 1, 2e éd. Ste-Foy (Qué): Presses de l'Université Laval, 1984.

        Edgar, S. G. G. Craies on Statute Law, 7th ed. London: Sweet & Maxwell, 1971.

        Garant, Patrice. Droit administratif, vol. 1, Cowansville (Qué.): Éditions Yvon Blais, 1996.

        Pigeon, Louis-Philippe. Rédaction et interprétation des lois. Québec: Éditeur officiel, 1978.

        Shorter Oxford English Dictionary, Vol. II, 3rd ed., Oxford: Clarendon Press, 1969. "specify".

        Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

DEMANDES de contrôle judiciaire de deux décisions par lesquelles le Conseil canadien des relations du travail a abrégé le délai de six mois qui devait s'écouler avant l'introduction d'une nouvelle demande d'accréditation à l'égard d'une unité d'employés de la demanderesse, puis a accrédité le défendeur comme agent négociateur. Demandes rejetées.

    ont comparu:

    Guy Dussault pour la demanderesse.

    Mel Myers, c.r., pour le défendeur.

    Johane Tremblay pour l'intervenant.

    avocats inscrits au dossier:

    Flynn, Rivard, Québec, pour la demanderesse.

    Myers Weinberg Kussin Weinstein Bryk, Winnipeg, pour le défendeur.

    Conseil canadien des relations du travail, pour l'intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Stone, J.C.A. (motifs concordants): J'ai eu l'avantage de lire, sous forme de projet, les motifs de jugement de mes deux collègues dans cette affaire.

[2]La Cour est saisie en l'espèce de deux demandes de contrôle judiciaire, portant sur deux décisions distinctes du Conseil canadien des relations du travail (le Conseil). Le 27 avril 1998, celui-ci a décidé d'abréger le délai de six mois prévu au paragraphe 31(1) du Règlement de 1992 du Conseil canadien des relations du travail1 (le Règlement) pour l'introduction par le défendeur d'une nouvelle demande d'accréditation à l'égard d'une unité d'employés de la demanderesse à Winnipeg (Manitoba). Cette décision permettait au Conseil d'examiner la demande d'accréditation, ce qu'elle a fait le 7 mai 1998, pour accorder au défendeur l'accréditation à titre d'agent négociateur de l'unité d'employés visée à la suite d'un scrutin de représentation.

[3]La première demande d'accréditation du défendeur, en date du 24 mars 1997, avait été rejetée le 30 juillet 1997. La nouvelle demande a été déposée le 7 novembre 1997, un peu plus de trois mois après le rejet de la première. La question centrale que la Cour doit examiner est de savoir si le Conseil avait en vertu du Code canadien du travail2 (le Code) et du Règlement le pouvoir d'abréger le délai en question pour le dépôt de la nouvelle demande. Dans l'affirmative, la décision d'accréditation est inattaquable; sinon, elle ne peut être maintenue.

[4]La demanderesse a soutenu devant le Conseil que, puisqu'il avait rejeté la demande d'accréditation du défendeur à l'égard de la même unité d'employés à quelques détails près, il fallait rejeter la seconde demande qui représentait un abus des procédures du Conseil. Le défendeur a répliqué que l'unité d'employés étant essentiellement la même que celle visée dans la demande qui avait été rejetée, le Conseil devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 31(3) du Règlement pour abréger le délai de six mois prévu au paragraphe 31(1) du même texte.

[5]En décidant d'abréger le délai d'attente, le Conseil a fait observer que celui-ci "n'est pas une sanction" et qu'il vise3 :

[. . .] à promouvoir la paix sociale en réduisant au minimum les causes externes qui puissent perturber les relations existantes de négociation collective.

[6]Le Conseil a aussi noté qu'il n'y avait aucun agent négociateur accrédité en place, que la demande d'accréditation du défendeur ne tendait pas à remplacer un agent négociateur accrédité, qui de ce fait eût été privé de la possibilité raisonnable de négocier collectivement avec l'employeur. Il a ajouté que la première demande d'accréditation avait été rejetée parce que le défendeur "sous-estimait le nombre d'employés faisant partie de l'unité". Il a conclu que, depuis lors, celui-ci avait "pris la peine d'entreprendre une autre campagne d'organisation pour s'assurer le soutien du nombre requis d'employés qui lui donnerait droit à la tenue d'un scrutin". Il a fait observer ce qui suit4 :

Le Conseil ne peut ignorer l'énergie, le temps et les efforts qu'a consacrés le syndicat à l'entreprise, et lui dénier sans justification, en raison d'une simple erreur de procédure, la possibilité de représenter les employés en question.

[7]Et de conclure5:

En l'espèce, le Conseil pense aussi que subordonner le délai de recevabilité de la demande d'accréditation du syndicat à l'exactitude de son estimation du nombre d'employés dans l'unité de négociation ferait échec à l'objectif du Code. Par ces motifs, le Conseil, exerçant le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 31(3) de son règlement, abrège par les présentes le délai de six mois prévu au paragraphe 31(1) du même règlement, et autorise le SPC à déposer sa demande d'accréditation datée du 7 novembre 1997.

[8]Le Conseil a ensuite jugé que l'unité d'employés en question était habile à négocier collectivement, et ordonné la tenue d'un scrutin de représentation pour "s'assurer que les employés relevant de l'unité de négociation tiennent vraiment" à se faire représenter par le défendeur.

[9]Pour parvenir à cette décision, le Conseil s'est guidé sur sa propre jurisprudence, en particulier sur les principes dégagés dans la décision Bell Canada Montréal, Québec et Syndicat des travailleurs en communication du Canada et Syndicat des communications du Canada6, laquelle s'inspirait elle-même de certaines décisions des commissions des relations du travail de l'Ontario et de la Colombie-Britannique.

[10]L'argument que le paragraphe 31(3) du Règlement est ultra vires a été soulevé pour la première fois devant la Cour. La demanderesse soutient que, par application des termes de l'alinéa 15e) du Code, le Conseil ne peut faire plus que fixer par règlement le délai qui doit s'écouler avant le dépôt d'une nouvelle demande d'accréditation. Voici ce que prévoit cet alinéa:

15. Le Conseil peut prendre des règlements d'application générale concernant:

    [. . .]

    e) le délai qui doit s'écouler avant qu'il puisse recevoir une nouvelle demande d'accréditation de la part d'un syndicat à qui il a déjà refusé l'accréditation pour la même unité ou une unité essentiellement similaire;

[11]Il n'est pas contesté que le Conseil a fixé un délai au paragraphe 31(1) du Règlement, lequel porte ce qui suit:

31. (1) Lorsque le Conseil a rejeté la demande d'accréditation d'un syndicat ou d'un regroupement de syndicats, il ne peut prendre en considération aucune nouvelle demande d'accréditation de ceux-ci à l'égard de la même unité de négociation, ou de ce que le Conseil considère être sensiblement la même unité de négociation, avant l'expiration d'un délai de six mois suivant la date du rejet.

[12]Ce que la demanderesse reproche au Conseil, c'est d'avoir excédé le pouvoir de réglementation qu'il tient de l'alinéa 15e) en adoptant le paragraphe 31(3) du Règlement, que voici:

31. [. . .]

(3) Par dérogation aux paragraphes (1) et (2), le Conseil peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un syndicat, d'un regroupement de syndicats ou d'un employé, abréger le délai prévu à ces paragraphes.

Le paragraphe 31(2) n'est pas en jeu en l'espèce.

[13]Le Conseil a été autorisé à intervenir dans l'instance. Il soutient que le pouvoir d'abréger le délai d'attente conféré par le paragraphe 31(3) est valide et figure dans son règlement depuis des années. Par l'article 31 du Règlement, tel qu'il a été adopté en 1973 en application de la disposition remplacée depuis par l'alinéa 15e)7, un délai de six mois a été institué "à moins qu'il [le Conseil] ne consente à recevoir la nouvelle demande avant l'expiration de ladite période".

[14]La demanderesse soutient que l'alinéa 15e) du Code investit le Conseil d'un pouvoir limité, savoir celui de fixer par règlement d'application générale, un délai déterminé. C'est, dit-elle, exactement ce qu'il a fait au paragraphe 31(1), après quoi il ne détenait, en vertu de cet alinéa, aucun pouvoir résiduel pour aller plus loin et adopter le paragraphe 31(3). Celui-ci n'a pas pour objet de spécifier quelque délai, mais de réserver au Conseil le pouvoir discrétionnaire d'abréger le délai prévu au paragraphe 31(1), et ce en fonction des circonstances du cas d'espèce.

[15]La norme de contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal administratif varie selon que cette décision touche à la question de sa compétence ou porte sur une matière relevant de sa compétence. Dans le premier cas, l'autorité administrative est tenue à la norme de la "décision correcte". Si, par contre, la matière relève de sa compétence, elle est soumise à la norme moins rigoureuse de la décision "manifestement déraisonnable". La tâche difficile de décider quelle est la norme applicable est facilitée par la méthodologie instituée par la Cour suprême du Canada ces vingt dernières années.

[16]Pour examiner si la décision touche à la question de la compétence ou porte sur une matière relevant de la compétence de l'organisme administratif, il faut adopter l'approche pragmatique et fonctionnelle définie par le juge Beetz dans U.E.S., Local 298 c. Bibeault8. Cette approche vise à découvrir la volonté du législateur et, à cette fin, le juge Beetz engage les cours de justice à examiner9:

[. . .] non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l'objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d'être de ce tribunal, le domaine d'expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal. L'analyse pragmatique ou fonctionnelle, à cette première étape, convient tout aussi bien pour le cas où l'on allègue une erreur dans l'interprétation d'une disposition qui circonscrit la compétence du tribunal administratif: dans le cas où l'on allègue une erreur manifestement déraisonnable sur une question qui relève de la compétence du tribunal comme dans le cas où l'on allègue une simple erreur sur une disposition qui circonscrit cette compétence, la première étape consiste à déterminer la compétence du tribunal.

[17]L'analyse pragmatique et fonctionnelle a eu un effet profond dans ce domaine du droit. En l'adoptant, la Cour suprême du Canada "a écarté une approche formaliste"10. En effet, la nouvelle approche a été située "aux antipodes d'une approche qui se voudrait textuelle et formaliste"11.

[18]Il est maintenant établi que la cour de justice ne doit pas faire preuve d'excès de subtilité pour voir une question de compétence là où il n'y en a pas12. Tel a été le thème constant de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, comme en témoignent les passages suivants du jugement rendu par le juge Cory dans Syndicat international des débardeurs et magasiniers, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Prince Rupert Grain Ltd.13:

Au départ, il y a lieu de répéter qu'il serait beaucoup trop facile pour les cours de justice de conclure que les dispositions habilitantes des lois qui créent des tribunaux administratifs sont, par nature, attributives de compétence, ce qui a pour effet d'augmenter les chances que la compétence de ces tribunaux soit limitée inutilement. L'adoption d'un tel point de vue ferait en sorte que de très nombreuses décisions de ces tribunaux devraient être correctes aux yeux des cours de justice. Des avertissements très salutaires ont été lancés contre l'adoption d'un tel point de vue par les cours de justice. Dans l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963, c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227 ("SCFP"), à la p. 233, le juge Dickson, plus tard Juge en chef, formule l'avertissement en ces termes non équivoques:

    Il est souvent très difficile de déterminer ce qui constitue une question de compétence. À mon avis, les tribunaux devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l'assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu'il existe un doute à cet égard.

De même, dans l'arrêt Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, à la p. 181, le juge Iacobucci fait remarquer que:

    [. . .] dans le cas d'un tribunal aussi spécialisé que le Conseil canadien des relations du travail, dont le bon fonctionnement requiert un règlement rapide et final des différends, les cours de justice devraient hésiter à qualifier une disposition d'attributive de compétence, à moins que cette qualification ne s'impose clairement [. . .]

Dans le même sens, le juge en chef Laskin affirme, dans l'arrêt Syndicat des camionneurs c. Massicotte, [1982] 1 R.C.S. 710, à la p. 724:

    [. . .] un simple doute quant à l'exactitude d'une interprétation donnée par un conseil des relations du travail au sujet des pouvoirs que la loi lui attribue ne constitue pas un motif suffisant pour conclure à une erreur de compétence, spécialement si ce conseil exerce les pouvoirs qui lui sont conférés, en termes généraux, de résoudre des prétentions contradictoires.

Si l'on ne tient pas compte de ces avertissements, c'est le fonctionnement et même tout le concept des tribunaux administratifs qui pourront être en péril. Ces tribunaux sont souvent créés pour œuvrer dans des domaines où des connaissances techniques, une expérience et une attention précises sont indispensables pour résoudre les problèmes particuliers qui se posent. Les tribunaux administratifs sont conçus pour fonctionner rapidement, à peu de frais et moins cérémonieusement que les cours de justice. Il y a peu de doute que ces tribunaux sont nécessaires ou qu'ils jouent un rôle fort important dans la société canadienne.

C'est tout à fait à bon droit qu'on a souvent reconnu qu'une commission des relations du travail est l'exemple même du tribunal administratif hautement spécialisé. Ses membres sont des experts dans l'application des lois du travail détaillées qui régissent le domaine difficile et souvent explosif des relations du travail. Par leur travail constant dans ce domaine délicat, les commissions des relations du travail acquièrent une expérience, des compétences et une compréhension spéciales nécessaires pour résoudre les problèmes complexes des relations du travail. Il y a d'excellentes raisons de créer des commissions des relations du travail et de protéger leurs décisions au moyen de clauses privatives générales. Le Parlement et les législatures provinciales ont clairement indiqué que les décisions de ces tribunaux administratifs sur des questions relevant de leur compétence devraient être finales et lier les parties. Les cours de justice pourraient beaucoup trop facilement usurper le rôle de ces tribunaux en considérant que leur loi habilitante limite leur compétence et exige que leurs décisions soient jugées correctes par les cours de justice. Les cours devraient tout simplement faire preuve de retenue dans leur appréciation de la compétence des commissions des relations du travail et ne pas conclure trop vite à l'absence ou à l'excès de compétence.

[19]Les termes de l'alinéa 15e) doivent être envisagés non seulement dans leur contexte immédiat, mais aussi dans le contexte du Code tout entier. Les objectifs sociaux du Code sont évoqués dans sa première partie: ils comprennent la reconnaissance et le soutien de "la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives". C'est au Conseil que ses articles 24 [mod. par L.C. 1993, ch. 42, art. 1], 27 et 28 confient la responsabilité d'accréditer un syndicat comme agent négociateur d'une unité d'employés donnée, habile à négocier collectivement. C'est de cette façon que sont reconnus et promus les principes de liberté syndicale et de libre négociation collective. L'expertise qu'appliquent les membres du Conseil dans les fonctions qu'ils exercent en application du Code et la présence d'une disposition privative explicite sont les deux facteurs que la Cour suprême a pris en compte pour examiner si une décision touche à la question de la compétence ou porte sur une matière relevant de la compétence du tribunal administratif concerné. C'est ainsi que le juge Iacobucci a fait observer ce qui suit dans Société Radio-Canada14 :

Le tribunal des relations du travail, qu'on trouve aux niveaux fédéral et provincial, est un exemple classique d'organisme administratif qui est à la fois hautement spécialisé et, dans une très grande mesure, à l'abri de tout contrôle. Les décisions de l'organisme fédéral jouissent de la protection de la clause privative générale que renferme l'art. 22 du Code. Le Conseil canadien des relations du travail doit concevoir un régime cohérent et pratique pour l'application des nombreuses dispositions législatives qui régissent les relations du travail des employeurs et employés dont les activités sont du ressort fédéral. Pour que les différends entre ces travailleurs et leurs employeurs puissent se régler rapidement et d'une manière conciliable avec leurs autres droits et obligations aux termes du Code canadien du travail, les décisions du Conseil ne doivent pas pouvoir être systématiquement annulées par les cours de justice chaque fois que ces dernières désapprouvent la façon dont le Conseil a tranché une question donnée. Ainsi, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable à moins que le Conseil n'ait commis une erreur de compétence.

De même le juge Cory dans Prince Rupert Grain15:

Cette conclusion est nettement confirmée par la clause privative générale et explicite contenue à l'art. 22 du Code canadien du travail. On a statué à maintes reprises qu'une telle clause envoie aux cours de justice un message très clair que les décisions d'un tribunal administratif jouissant de la protection de ce type de clause privative doivent échapper à un examen judiciaire strict.

[20]C'est à la lumière de ces principes que j'examinerai maintenant si le Conseil a commis une erreur telle qu'elle justifie l'intervention de la Cour. Il y a lieu de noter à ce stade de l'analyse que, le pouvoir d'abréger le délai prévu au paragraphe 31(1) étant subordonné à la question de savoir si le Conseil tient de l'alinéa 15e) du Code le pouvoir d'adopter le paragraphe 31(3) du Règlement, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte. Tel est le principe qui ressort de la conclusion suivante du juge Beetz dans Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail16:

[L'erreur de compétence] porte généralement sur une disposition attributive de compétence, c'est-à-dire sur une disposition qui décrit, énumère et limite les pouvoirs d'un tribunal administratif ou qui est "destiné(e) à circonscrire le champ d'activité" de ce tribunal comme le dit le juge Pigeon dans Komo Construction Inc. c. Commission des relations de travail du Québec , [1968] R.C.S. 172 à la p. 175. L'erreur juridictionnelle entraîne le plus souvent un excès de compétence ou un refus d'exercer une compétence, soit dans l'ouverture d'une enquête, soit en cours d'enquête, soit encore dans ses conclusions ou son dispositif. Une telle erreur, même commise de la meilleure foi du monde, entraîne néanmoins l'annulation de la décision qui en est entachée car elle est également visée par l'al. 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale.

[21]Il va de soi que si les termes de l'alinéa 15e) avaient expressément limité le pouvoir de réglementation qu'il confère au Conseil, au fait de "spécifier" ("specify" en anglais) le délai qui doit s'écouler avant qu'une demande subséquente d'accréditation ne soit recevable, l'affaire en serait d'autant résolue17 . Une telle conclusion découlerait forcément des définitions du dictionnaire du terme anglais "specify": [traduction ] "Mentionner de façon précise; imposer de façon catégorique"18 ou [traduction] "Mentionner de façon précise; indiquer en termes explicites; souligner; dire ou prescrire de façon précise ou détaillée; particulariser ou distinguer verbalement une chose d'une autre"19.

[22]Il y a cependant lieu de noter que l'alinéa 15e) n'exige pas du Conseil de "spécifier" un délai. Le contexte paraît un peu plus général. Par cet alinéa, le Conseil est habilité à prendre des règlements "d'application générale concernant [. . .] le délai". Si son pouvoir avait été limité par cette disposition à celui de "spécifier" le délai, on pourrait soutenir qu'il ne pourrait, par règlement, faire davantage que de spécifier ce délai. Il se trouve cependant que le législateur n'a pas limité dans ce sens le pouvoir dont il investit le Conseil par cet alinéa. Il appert au contraire qu'en habilitant ce dernier à prendre des règlements d'application générale "concernant" le délai, le législateur a entendu lui accorder une plus grande latitude. Cette conclusion est appuyée par la présence du terme "concernant" à l'alinéa 15e ). À l'instar de la locution "quant à"20, le terme "concernant" ("respecting" en anglais) a une portée générale21 . Qui plus est, l'interprétation qui précède favorise les objectifs du Code ainsi que le rôle spécialisé du Conseil. Elle est conforme à l'approche pragmatique et fonctionnelle qui est maintenant bien ancrée dans la jurisprudence récente de la Cour suprême.

[23]Je suis donc convaincu que le Conseil n'a pas excédé sa compétence en adoptant le paragraphe 31(3) du Règlement, et qu'il a correctement interprété le pouvoir qu'il tient de l'alinéa 15e). En conséquence, le paragraphe 31(3) n'est pas ultra vires, et il n'y a pas lieu de modifier la décision prise par le Conseil le 27 avril 1998 d'abréger le délai en question. Il s'ensuit évidemment qu'il n'y a pas lieu non plus de modifier sa décision du 7 mai 1998.

[24]Étant donné les conclusions qui précèdent, il n'est pas nécessaire de juger si le Conseil est également habilité par l'alinéa 16m) du Code à abréger le délai d'attente.

[25]Je suis d'avis de rejeter ces demandes fondés sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8)] et d'adjuger les dépens au défendeur.

    * * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[26]Le juge Létourneau, J.C.A. (dissident): J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement de mes deux collègues. Je ne peux malheureusement partager leur conclusion que le Conseil canadien des relations du travail (le Conseil) avait compétence, soit en vertu du paragraphe 31(3) du Règlement de 1992 du Conseil canadien des relations du travail (le Règlement) soit en vertu de l'alinéa 16m) du Code canadien du travail (le Code), pour abréger le délai d'attente de six mois prévu au paragraphe 31(1) dudit Règlement.

Le paragraphe 31(3) du Règlement est-il ultra vires?

[27]Le paragraphe 31(1) du Règlement prévoit le délai qui doit s'écouler avant que le Conseil n'ait de nouveau compétence pour examiner une nouvelle demande soumise par un syndicat pour se faire accréditer à titre d'agent négociateur pour une unité d'employés. Le paragraphe 31(3) investit le Conseil du pouvoir discrétionnaire d'abréger ce délai ou d'en dispenser le demandeur. Voici ces deux dispositions:

31. (1) Lorsque le Conseil a rejeté la demande d'accréditation d'un syndicat ou d'un regroupement de syndicats, il ne peut prendre en considération aucune nouvelle demande d'accréditation de ceux-ci à l'égard de la même unité de négociation, ou de ce que le Conseil considère être sensiblement la même unité de négociation, avant l'expiration d'un délai de six mois suivant la date du rejet.

    [. . .]

(3) Par dérogation aux paragraphes (1) et (2), le Conseil peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un syndicat, d'un regroupement de syndicats ou d'un employé, abréger le délai prévu à ces paragraphes.

[28]À mon avis, le paragraphe 31(3) du Règlement est ultra vires du Conseil et ne peut être justifié par une conception ou interprétation fondée sur l'objet de l'article 31 du Règlement ou de l'alinéa 15e) du Code. En effet, une conception fondée sur l'objet n'est pas en elle-même une source de pouvoir si le texte de la disposition en jeu ne confère pas ce pouvoir ou le dénie, que ce soit expressément ou implicitement. En d'autres termes, le juge ne peut légiférer sous couvert d'interprétation fondée sur l'objet du texte.

[29]Le paragraphe 31(3) du Règlement est ultra vires parce qu'il n'opère rien moins qu'attribution par le Conseil à lui-même d'un pouvoir discrétionnaire par voie de règlement. Il s'agit là indubitablement d'une délégation illégale de pouvoirs au regard des principes bien établis de droit administratif.

[30]De fait, suivant un principe fondamental de droit administratif, un organisme habilité par la loi à prendre des règlements ne peut se fonder sur ce pouvoir de réglementation pour s'attribuer le pouvoir discrétionnaire de décider au gré des cas d'espèce. Ce principe a son origine dans la nature même du pouvoir de réglementation et dans la différence, sur le plan juridique, entre pouvoir discrétionnaire et pouvoir de réglementation. Le règlement est, de par sa nature, normatif et d'application générale, alors que le pouvoir discrétionnaire permet à l'autorité qui en est titulaire de l'exercer au gré des cas d'espèce. Un règlement a pour but de fixer une norme, et non de décider d'un cas particulier. Dans leur ouvrage bien connu Traité de droit administratif22, R. Dussault et L. Borgeat conçoivent le règlement en ces termes:

Il s'agit essentiellement d'une norme de conduite générale autorisée par la loi et applicable aux citoyens ou à certaines catégories d'entre eux [. . .] Étant donné sa nature normative et sa portée générale, le règlement se distingue d'une décision administrative individuelle.

[31]Se fondant sur leur analyse de la jurisprudence en la matière, ils énoncent la règle qui interdit la subdélégation de pouvoirs discrétionnaires par voie de règlement, comme suit23:

Alors qu'on attend d'elle, sur certaines questions de détail non prévues par la loi, l'édiction de normes objectives de comportement uniformes pour tous les administrés, l'autorité réglementante s'accorde quelquefois, en décidant de rédiger les règlements en termes discrétionnaires, le pouvoir de rendre une décision particulière dans chaque cas. C'est le cas par exemple d'une régie qui, autorisée à réglementer les conditions d'obtention d'un permis, décide d'adopter un règlement lui accordant toute discrétion concernant l'émission de chacun des permis réclamés. L'illégalité d'un tel procédé, s'il n'est pas autorisé expressément par le Parlement, ne fait aucun doute; l'exercice d'un pouvoir réglementaire doit avoir pour objet l'adoption de normes générales et non l'établissement d'une discrétion administrative.

[32]Le professeur Garant, spécialiste lui aussi du droit administratif, est du même avis24:

    Un règlement ne peut être attributif

    de purs pouvoirs discrétionnaires.

Cette règle a une double portée. Elle signifie d'une part que le titulaire d'un pouvoir de réglementation ne peut s'attribuer à lui-même, par règlement, un pouvoir discrétionnaire quand le législateur a prévu qu'il établirait des normes. Ainsi que le disait Pigeon:

    "[. . .] il ne faut pas oublier que celui qui a un pouvoir de réglementation ne peut pas le transformer en discrétion administrative. [. . .] Encore une fois, en vertu d'un pouvoir de réglementation, ce que l'on peut faire, c'est deux choses:"1o  établir des normes,"2o  prendre des mesures pour en assurer l'observance."

[33]La nature normative d'un règlement fait que, s'il se présente une situation qu'il a envisagée, elle sera traitée conformément aux termes mêmes du règlement applicable et l'autorité chargée de son application n'a aucun pouvoir discrétionnaire de décision en la matière. En l'espèce, le législateur a, par l'alinéa 15e) du Code, investi le Conseil du pouvoir d'établir des normes d'application générale concernant le délai qui doit s'écouler avant la réintroduction d'une demande d'accréditation; il n'entendait donc pas l'autoriser à fixer ce délai au gré des cas d'espèce.

[34]Il ressort clairement d'une lecture attentive des paragraphes 31(1) et (3) que le Règlement n'institue pas vraiment une règle d'application générale comme il est censé le faire, mais qu'il confère au Conseil le pouvoir discrétionnaire de décider au cas par cas, par la dispense de l'application de la norme générale prévue au paragraphe 31(1). On aurait beau forcer l'interprétation des principes juridiques applicables, il est impossible de dire que l'article 31 du Règlement représente une norme. Le fait que le Conseil ait fixé un délai de six mois au paragraphe 31(1) n'a aucun sens ni effet s'il peut déroger à loisir à cette norme.

[35]Au surplus, on voit mal comment on pourrait dire que le Conseil donne des indications sur la marche à suivre en cas de réintroduction de la demande d'accréditation, en établissant la règle du délai de six mois au paragraphe 31(1). Rien ne sert non plus de dire qu'en adoptant le paragraphe 31(1), il a fixé un point de repère. C'est là justement le point litigieux en l'espèce. Le délai prévu au paragraphe 31(1) n'est pas et ne saurait être considéré comme une simple directive ou point de repère. Il constitue vraiment la norme à respecter par tout un chacun. Il représente l'exercice même du pouvoir de réglementation. Ce que fait le paragraphe 31(3), cependant, c'est d'investir irrégulièrement le Conseil du pouvoir discrétionnaire de ne pas respecter cette norme. En fait, il l'anéantit et l'élimine.

[36]Qui plus est, l'étendue du pouvoir discrétionnaire que s'est attribué le Conseil par le paragraphe 31(3) demeure entier et inchangé. Ce n'est pas une solution que de dire qu'il l'a exercé jusqu'ici de façon responsable. Je n'en doute pas. La question qui se pose au sujet du pouvoir conféré par le paragraphe 31(3) ne porte pas sur la validité de l'exercice de ce pouvoir, mais sur la validité de son existence même.

[37]Il est clair à mes yeux que selon la volonté du législateur, le pouvoir discrétionnaire dont le Conseil est investi en matière de demandes d'accréditation doit être confiné dans les limites prévues par la loi. Cette volonté se retrouve aux paragraphes 24(2) et (3) du Code25. J'y reviendrai dans l'examen de l'applicabilité en l'espèce de l'alinéa 16m) du Code. Qu'il suffise de dire pour l'instant que, ou bien le législateur a, par les alinéas 24(2)c) et d), dénié au Conseil tout pouvoir discrétionnaire pour abréger le délai d'attente, ou bien il l'en a expressément investi pour les cas visés à l'alinéa 24(2)b) et au paragraphe 24(3), c'est-à-dire le cas où il n'y a aucune convention collective applicable à l'unité en question mais où un syndicat a été accrédité comme agent négociateur, et le cas où la demande d'accréditation est faite durant les six premiers mois d'une grève ou d'un lock-out.

[38]Ce que révèle le paragraphe 24(2), c'est la volonté du législateur de contrôler le processus en définissant des délais applicables aux demandes d'accréditation afin, ainsi que l'ont fait observer mes collègues, de "promouvoir la paix sociale en réduisant au minimum les causes externes qui puissent perturber les relations existantes de négociation collective". Il révèle aussi sa volonté d'investir le Conseil, dans un petit nombre de cas déterminés, du pouvoir discrétionnaire d'abréger ces délais. À mon avis, il ne révèle aucune volonté de conférer au Conseil un pouvoir absolu, tel celui qu'il s'est attribué sur les nouvelles demandes d'accréditation par l'exercice illégal d'un pouvoir de réglementation.

L'alinéa 16m) du Code autorise-t-il le Conseil à abréger le délai d'attente?

[39]À l'époque, l'alinéa 16m) habilitait le Conseil, "dans le cadre de toute affaire dont il connaît", à:

16. [. . .]

    m) abréger ou proroger les délais applicables à l'introduction de la procédure, à l'accomplissement d'un acte, au dépôt d'un document ou à la présentation de preuves;

Ce pouvoir a été maintenant abrogé26.

[40]Il est évident que l'article 16, par sa teneur et ses termes, est une disposition générale d'application plus large que l'article 24 qui porte expressément sur une procédure, savoir la demande faite par un syndicat d'accréditation comme agent négociateur d'une unité. Le paragraphe 24(1) indique clairement que pareille demande est soumise à tout règlement pris par le Conseil pour l'application de l'alinéa 15e):

24. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article et des règlements d'application de l'alinéa 15e), un syndicat peut solliciter l'accréditation à titre d'agent négociateur d'une unité qu'il juge habile à négocier collectivement. [Soulignement ajouté.]

[41]L'alinéa 15e) habilite le Conseil à prendre des règlements d'application générale concernant le délai qui doit s'écouler avant qu'une nouvelle demande d'accréditation ne puisse être présentée à la suite du rejet de la première.

[42]Il est important de noter que le paragraphe 24(1) fait expressément référence à l'alinéa 15e) du Code. À l'évidence, le législateur a entendu soumettre le dépôt d'une nouvelle demande au délai expressément fixé par règlement. Il est aussi significatif que le pouvoir de réglementation que le Conseil tient de cet alinéa 15e) est celui de spécifier le délai qui doit s'écouler avant qu'il ne puisse recevoir une nouvelle demande d'accréditation. La version française de l'alinéa 15e) ne laisse aucun doute que le législateur entend imposer un délai d'attente:

15. [. . .]

    e) le délai qui doit s'écouler avant qu'il puisse recevoir une nouvelle demande d'accréditation de la part d'un syndicat à qui il a déjà refusé l'accréditation pour la même unité ou une unité essentiellement similaire; [Non souligné dans l'original.]

[43]Il y a conflit direct entre l'alinéa 16m) et l'alinéa 15e) puisque le premier habilite le Conseil à éliminer dans les faits le délai fixé par règlement et à s'attribuer une compétence qu'il ne devrait pas avoir avant l'expiration du délai d'attente. L'exercice par le Conseil des pouvoirs prévus à l'alinéa 16m), en matière de réintroduction de demande d'accréditation à titre d'agent négociateur, enfreint et anéantit la volonté du législateur telle qu'elle s'exprime clairement au paragraphe 24(1) du Code.

[44]À mon avis, la mention expresse de l'alinéa 15e) au paragraphe 24(1) du Code exclut toute application possible de l'alinéa 16m) ainsi que les pouvoirs généraux et étendus qu'il confère au Conseil. Si le législateur avait entendu prévoir ces larges pouvoirs, il n'aurait pas mentionné expressément, dans le paragraphe 24(1), l'alinéa 15e) et le délai d'attente établi par règlement en application de ce dernier. Une règle élémentaire d'interprétation des lois pose ce qui suit:

[traduction] [. . .] lorsque la même loi comporte une disposition applicable à certains cas particuliers et une disposition générale, et que cette dernière, prise dans son sens le plus large, l'emporterait sur la première, la disposition expresse doit produire ses effets, et il faut présumer que la disposition générale n'affecte que les autres parties de la loi auxquelles elle est proprement applicable27.

[45]Ce principe fondamental a été adopté par la Cour suprême du Canada pour l'interprétation de l'article 121 [S.R.C. 1970, ch. L-1 (mod. par S.C. 1972, ch. 18, art. 1), maintenant l'article 21] du Code. Dans Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes28, elle a refusé d'interpréter les dispositions générales de cet article de façon à reconnaître au Conseil le pouvoir de forcer la production de documents en dehors du contexte d'une audience formelle, parce que l'alinéa 118a) [mod. par S.C. 1977-78, ch. 27, art. 40] (l'actuel alinéa 16a)) en régissait expressément l'octroi et l'exercice. Ce principe a été aussi appliqué dans James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national et autres29 et dans Schwartz c. Canada30.

[46]Dans l'affaire James Richardson & Sons, le ministre du Revenu national se fondait sur le paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] pour demander à l'appelante certains renseignements concernant ses clients qui faisaient des opérations à terme, et ce afin de vérifier s'ils se conformaient à la même loi. La Cour suprême du Canada estimait que les termes du paragraphe 231(3) étaient indubitablement larges et couvriraient les renseignements en question. Il se trouve cependant que l'alinéa 221(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu habilite le gouverneur en conseil à prendre des règlements "enjoignant à toute catégorie de personnes de faire des déclarations renfermant des renseignements en ce qui concerne tout genre de renseignements requis relativement aux cotisations sous le régime de la présente loi". La Cour a jugé que le ministre pouvait demander la promulgation d'un règlement en application de cette disposition pour obliger tous ceux qui font des opérations à terme à en faire la déclaration. En conclusion, elle a refusé d'autoriser de façon générale en vertu du paragraphe 231(3) ce qui pouvait être spécifiquement obtenu en vertu de l'alinéa 221(1)d ).

[47]Dans l'affaire Schwartz, le ministre du Revenu national soutenait que le dédommagement reçu par M. Schwartz pour rupture de contrat de travail était imposable à titre de revenu provenant d'une source non énumérée, et ce en application de la disposition générale de l'alinéa 3a) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63]. La Cour suprême du Canada a refusé d'appliquer cette disposition générale parce que cette loi comportait une disposition portant expressément sur le traitement à réserver aux dommages-intérêts de ce genre. Le juge La Forest s'est prononcé en ces termes:

[. . .] faire droit à l'argument de l'État reviendrait à accorder la préséance à une disposition générale par rapport aux dispositions détaillées adoptées par le législateur pour régir les paiements semblables à celui touché par M. Schwartz dans le cadre du règlement.

Procéder autrement irait à l'encontre de l'intention du législateur du fait que l'on entérinerait une méthode d'analyse incompatible avec des principes d'interprétation fondamentaux.31

[48]Puisque le délai d'attente applicable à la réintroduction des demandes d'accréditation est expressément régi par l'article 24 et l'alinéa 15e) du Code et par le paragraphe 31(1) du Règlement, on ne peut invoquer la disposition générale de l'alinéa 16m) pour contourner la volonté du législateur telle qu'elle s'exprime par ces dispositions. Et ce d'autant plus que faire droit à l'argument du défendeur que le Conseil peut se fonder sur l'alinéa 16m) pour abréger les délais prévus à l'article 24 reviendrait aussi, dans les faits, à faire échec à la volonté du législateur telle qu'elle s'exprime par les paragraphes 24(2) et (3) du Code.

24. [. . .]

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la demande d'accréditation d'un syndicat à titre d'agent négociateur d'une unité peut être présentée:

    a) à tout moment, si l'unité n'est ni régie par une convention collective en vigueur ni représentée par un syndicat accrédité à titre d'agent négociateur aux termes de la présente partie;

    b) si l'unité est représentée par un syndicat sans être régie par une convention collective, après l'expiration des douze mois qui suivent la date d'accréditation ou dans le délai plus court autorisé par le Conseil;

    c) si l'unité est régie par une convention collective d'une durée maximale de trois ans, uniquement après le début des trois derniers mois d'application de la convention;

    d) si la durée de la convention collective régissant l'unité est de plus de trois ans, uniquement au cours des trois derniers mois de la troisième année d'application de la convention et, par la suite, uniquement:

        (i) au cours des trois derniers mois de chacune des années d'application suivantes,

        (ii) après le début des trois derniers mois d'application.

(3) La demande d'accréditation ne peut, sans le consentement du Conseil, être présentée au cours des six premiers mois d'une grève ou d'un lock-out non interdits par la présente partie et touchant des employés faisant partie de l'unité en cause. [Non souligné dans l'original.]

Là encore, aux alinéas 24(2)b), c) et d) par exemple, le législateur a imposé des délais très stricts avant l'expiration desquels une demande d'accréditation n'est pas recevable du tout ou, dans certains cas, n'est recevable qu'avec le consentement du Conseil. Si celui-ci peut se fonder sur l'alinéa 16m) pour abréger ces délais, en dépit de la prescription au paragraphe 24(1) que la demande d'accréditation se fait "[s]ous réserve des autres dispositions du présent article", alors les prescriptions impératives des alinéas 24(2)c ) et d) deviennent vides de sens. En outre, le législateur n'aurait pas jugé nécessaire de prévoir expressément à l'alinéa 24(2)b) et au paragraphe 24(3) que le Conseil pourrait consentir à l'introduction avant terme d'une demande, si celui-ci pouvait toujours le faire en vertu de l'alinéa 16m).

[49]Il se peut qu'il y ait des considérations d'orientation sociale valides qui justifient de ne pas observer un délai d'attente rigide et de donner au Conseil une certaine latitude pour décider, selon le cas d'espèce, du moment qui convient pour réintroduire une demande sous le régime du paragraphe 24(1). Il est hors de doute que le Conseil tient à jouir de cette latitude. Cependant, nous n'avons pas pour tâche d'interpréter les dispositions en question de façon à en dégager les pouvoirs que le Conseil veut avoir, pense avoir ou aimerait avoir. Nous avons pour responsabilité de les interpréter pour découvrir les pouvoirs dont il est effectivement investi et que le législateur dit lui avoir conférés. À mon avis, le paragraphe 24(1), qui fait référence à l'alinéa 15e) du Code, et l'article 31 du Règlement ne lui donnent pas cette latitude. Ainsi que l'a fait observer la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Lignes aériennes Canadien Pacifique32, au sujet de l'interprétation des pouvoirs que le Conseil tenait de l'article 121 du Code [S.R.C. 1970, ch. L-1] en vigueur à l'époque:

Il existe une règle fondamentale d'interprétation selon laquelle les dispositions d'application générale du Code ne peuvent être interprétées de manière à conférer au Conseil des pouvoirs plus étendus que ceux qui sont expressément prévus ailleurs.

[50]Je pense qu'il y a une autre raison pour laquelle l'alinéa 16m) ne s'applique pas en l'espèce. Cette disposition énumère tous les pouvoirs dont est investi le Conseil, y compris le pouvoir qui y est prévu, "dans le cadre de toute affaire dont il connaît". Un examen de ces pouvoirs ainsi que de leur nature confirme qu'il ne peut les exercer que dans le cadre d'une affaire dont il connaît, c'est-à-dire dans le cadre d'une procédure engagée33 .

[51]Or, en l'espèce, il n'y avait aucune procédure engagée devant le Conseil. D'une part, la demande initiale d'accréditation avait été rejetée; cette affaire était donc terminée. D'autre part, le paragraphe 31(1) non seulement interdit l'ouverture d'une nouvelle procédure avant l'expiration du délai prescrit, mais encore prive le Conseil de sa compétence pour s'en saisir. En effet, le pouvoir que le Conseil prétend tenir de l'alinéa 16m) du Code aurait consisté précisément à autoriser une procédure alors qu'il n'y en avait aucune et que cette procédure n'aurait pu exister en droit.

[52]Pour ces motifs, j'aurais accueilli la demande en contrôle judiciaire avec dépens, annulé la décision du Conseil rendue le 27 avril 1998, et rejeté la demande d'accréditation déposée par le défendeur le 7 novembre 1997.

    * * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[53]Le juge Sexton, J.C.A.: Par ces deux recours en contrôle judiciaire, la demanderesse Dynamex Canada conteste le pouvoir du Conseil canadien des relations du travail (le Conseil) d'abréger le délai que doit respecter un agent de négociation pour demander de nouveau l'accréditation après que sa première demande a été rejetée. Le paragraphe 31(1) du Règlement de 1992 du Conseil canadien des relations du travail (le Règlement) fixe cet intervalle à six mois, et le Conseil l'a abrégé en l'espèce. Dans le cours de l'instance, deux sources de pouvoir ont été invoquées à l'appui de ce raccourcissement. La première est le paragraphe 31(3) qui habilite le Conseil à abréger le délai de six mois imposé par le paragraphe 31(1) du Règlement. La seconde est l'alinéa 16m) du Code canadien du travail (le Code ) qui investit le Conseil du pouvoir général d'abréger ou de proroger les délais dans les affaires dont il est saisi. À mon avis, le législateur a voulu assurer au Conseil la souplesse nécessaire dans la fixation du délai d'attente. J'en conclus que la décision du Conseil d'abréger le délai d'attente en l'espèce représente l'exercice valide du pouvoir conféré par le législateur et peut se justifier au regard des deux sources.

Les faits

[54]Le 27 mars 1997, le défendeur Syndicat des postiers du Canada a déposé auprès du Conseil une demande d'accréditation à titre d'agent négociateur pour un groupe d'employés de la demanderesse Dynamex Canada. Il a également déposé une demande modifiée d'accréditation pour représenter un autre groupe bien moins important d'employés.

[55]Le 30 juillet 1997, le Conseil a rejeté la demande initiale et la demande modifiée. La seconde pour le motif que l'unité de négociation visée n'était pas habile à négocier collectivement puisqu'il s'agissait d'un élément scindé d'une autre unité, et la première parce que le syndicat avait sous-estimé le nombre d'employés dans l'unité de négociation. Le 7 novembre 1997, le syndicat a déposé une seconde demande d'accréditation plus conforme à la réalité de l'unité de négociation embrassant un groupe plus important d'employés. La demanderesse s'y est opposée pour plusieurs motifs, dont celui que la nouvelle demande était prématurée. Elle a soutenu que celle-ci, visant essentiellement la même unité de négociation que la demande précédente, allait à l'encontre du paragraphe 31(1), selon lequel la demande renouvelée d'accréditation ne sera pas entendue avant l'expiration de la période de six mois suivant le rejet de la première.

[56]Le 27 avril 1998, le Conseil a rendu sa décision, concluant que cette demande visait essentiellement la même unité de négociation que la demande précédente en date du 27 mars 1997. Il a cependant exercé le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 31(3) du Règlement pour écourter la période d'attente de six mois fixée au paragraphe 31(1) et instruire la demande au fond. Il a subséquemment conclu que l'unité de négociation visée était habile à négocier collectivement, et ordonné la tenue d'un scrutin de représentation conformément au paragraphe 29(2) du Code pour que les employés puissent exprimer leurs vœux en la matière. La demanderesse demande le contrôle judiciaire de cette décision en date du 27 avril 1998, dans le dossier no A-339-98.

[57]À la suite du scrutin de représentation, le Conseil a, le 7 mai 1998, accrédité le défendeur à titre d'agent négociateur pour les employés en question. Cette décision fait l'objet de la demande de contrôle judiciaire dans le dossier no A-338-98. Dans la présente demande comme dans le dossier no A-339-98, se pose la question de savoir si les décisions du Conseil doivent être annulées pour le motif qu'il n'est pas habilité à abréger le délai d'attente.

Les textes applicables

[58]L'alinéa 15e) confère le pouvoir de prescrire le délai qui doit s'écouler avant le dépôt d'une nouvelle demande d'accréditation:

15. Le Conseil peut prendre des règlements d'application générale concernant:

    [. . .]

    e) le délai qui doit s'écouler avant qu'il puisse recevoir une nouvelle demande d'accréditation de la part d'un syndicat à qui il a déjà refusé l'accréditation pour la même unité ou une unité essentiellement similaire;

[59]Dans l'exercice de ce pouvoir, le Conseil a pris les dispositions suivantes dans son règlement:

31. (1) Lorsque le Conseil a rejeté la demande d'accréditation d'un syndicat ou d'un regroupement de syndicats, il ne peut prendre en considération aucune nouvelle demande d'accréditation de ceux-ci à l'égard de la même unité de négociation, ou de ce que le Conseil considère être sensiblement la même unité de négociation, avant l'expiration d'un délai de six mois suivant la date du rejet.

    [. . .]

(3) Par dérogation aux paragraphes (1) et (2), le Conseil peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un syndicat d'un regroupement de syndicats ou d'un employé, abréger le délai prévu à ces paragraphes.

[60]Est également en jeu l'alinéa 16m) du Code qui investit le Conseil du pouvoir général de déroger aux délais:

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît:

    [. . .]

    m) abréger ou proroger les délais applicables à l'introduction de la procédure, à l'accomplissement d'un acte, au dépôt d'un document ou à la présentation d'éléments de preuve;

Les points litigieux

[61]I. Le paragraphe 31(3) du Règlement a-t-il été validement promulgué en application de l'alinéa 15e) du Code?

II. Le Conseil était-il habilité à abréger, en application de l'alinéa 16m) du Code, le délai imposé par le paragraphe 31(1) du Règlement?

Aperçu général

[62]À mon avis, le Conseil est investi du pouvoir d'abréger le délai qui doit s'écouler avant qu'une nouvelle demande d'accréditation ne soit recevable. Ce pouvoir découle de deux sources. La première est le paragraphe 31(3) du Règlement qui le prévoit expressément. Cette disposition a été validement promulguée en application de l'alinéa 15e) du Code. Par ailleurs, à supposer que le paragraphe 31(3) soit ultra vires, le Conseil était quand même habilité à faire ce qu'il a fait, en vertu de l'alinéa 16m) du Code. J'examinerai en premier lieu la validité du paragraphe 31(3) du Règlement.

I.  Le paragraphe 31(3) du Règlement a-t-il été validement promulgué en application de l'alinéa 15e) du Code?

[63]Il y a lieu de noter en tout premier lieu que le législateur a investi le Conseil d'un pouvoir discrétionnaire extrêmement étendu pour ce qui est du délai qui doit s'écouler avant qu'une seconde demande d'accréditation ne soit recevable, à la suite du rejet de la première. L'alinéa 15e) l'habilite à prendre des règlements à ce sujet; donc, s'il le souhaite, il peut s'abstenir d'imposer quelque délai que ce soit.

[64]Faisant valoir une stricte interprétation littérale du texte, la demanderesse soutient que l'alinéa 15e) n'habilite le Conseil à fixer le délai que par règlement "d'application générale". Ainsi donc, le paragraphe 31(1) qui spécifie un délai d'attente de six mois représente l'exercice à bon droit du pouvoir prévu à l'alinéa 15e ), car il peut s'appliquer de façon générale dans tous les cas. Cependant, le paragraphe 31(3) investit le Conseil du pouvoir d'abréger le délai prévu au paragraphe 31(1). La demanderesse soutient qu'en retenant le pouvoir discrétionnaire d'abréger le délai, le Conseil s'est subdélégué à lui-même ce pouvoir sous une forme différente que celle autorisée par le Code, ce qui fait que le paragraphe 31(3) est ultra vires.

[65]À mon avis, il faut rejeter pareille interprétation étroite de cette disposition. Afin d'examiner si le paragraphe 31(3) est ultra vires, il est nécessaire d'entreprendre une analyse fondée sur l'objet de l'alinéa 15e) du Code. La compréhension de la nature et du but des délais que le législateur a autorisé le Conseil à imposer est essentielle pour le jugement de la question de savoir si le paragraphe 31(3) est ultra vires. Le traité qui fait autorité en la matière, de R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd., Toronto: Butterworths, 1994), voit dans l'analyse fondée sur l'objet la "méthode courante d'interprétation des lois" en Cour suprême du Canada, ainsi qu'en témoigne le passage suivant de l'arrêt Clarke c. Clarke34 :

Pour interpréter les dispositions de la Loi, il faut tenir compte de son objet et lui donner l'interprétation large et libérale qui donnera effet à son objet35.

Ainsi donc, la disposition en question doit être saisie dans le contexte de la loi tout entière, et l'interprétation de l'alinéa 15e) doit prendre en considération l'objet et le but du Code. C'est dans cet esprit que j'examine maintenant l'objectif général du Code.

L'objectif du Code

[66]Le Code a pour but premier d'encourager le règlement positif des conflits de travail et la liberté de négociation collective. C'est ce qui ressort du préambule de sa partie I, comme suit:

Attendu: qu'il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que la législation et la politique du travail soient conçues de façon à favoriser le bien-être de tous par l'encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends;

    [. . .]

que le Parlement du Canada désire continuer et accentuer son appui aux efforts conjugués des travailleurs et du patronat pour établir de bonnes relations et des méthodes de règlement positif des différends, et qu'il estime que l'établissement de bonnes relations du travail sert l'intérêt véritable du Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès,

Sa Majesté, sur l'avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte:

[67]Le Conseil est chargé d'administrer un système très compliqué de relations du travail, fait d'une multitude de compromis entre les employeurs et les syndicats. Il a pour but d'administrer avec efficacité ces relations du travail afin de promouvoir un haut degré de paix sociale. Il faut qu'il jouisse de la souplesse nécessaire pour appliquer le système de la façon la plus propre à lui permettre d'accomplir sa tâche.

[68]Au lieu d'imposer un délai absolu, il a, par l'article 31 du Règlement, mis en place un régime général en définissant une période d'attente au paragraphe 31(1) et en se réservant, au paragraphe 31(3), la souplesse nécessaire pour abréger cette période. Il entendait ainsi exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par le Code en promulguant une règle générale, laquelle comprend la souplesse nécessaire pour lui permettre d'abréger le délai, le cas échéant.

[69]L'alinéa 15e) du Code l'habilite indubitablement à fixer une période d'attente en cas de nouvelle demande d'accréditation pour la même unité de négociation. Il s'agit de savoir dans quelle mesure il peut introduire un élément de souplesse dans la définition de ce délai d'attente.

De quelle façon le Conseil a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire?

[70]Dans Canada Labour Relations Board: An Annotated Guide36, Graham J. Clarke donne un aperçu des principes appliqués par le Conseil pour décider s'il y a lieu d'abréger le délai qui doit s'écouler avant l'introduction d'une nouvelle demande d'accréditation à la suite du rejet de la première. Les voici:

[traduction] [. . .] (1) la seconde demande n'est pas recevable avant que les parties à la convention collective n'aient eu raisonnablement la possibilité d'en négocier collectivement la reconduction; (2) la période d'attente de six mois n'est pas une punition; (3) le délai peut ne pas s'appliquer si le syndicat a sous-estimé le nombre d'employés dans l'unité; (4) en cas de maraudage, il ne faudrait pas appliquer le délai s'il était probable que la demande initiale eût été couronnée de succès; (5) il ne faut pas appliquer le délai à moins que le syndicat demandeur ne produise dans sa seconde demande les mêmes preuves sur les membres de l'unité de négociation visée.

[71]Dans ses motifs de décision, le Conseil donne un aperçu assez détaillé des facteurs qu'il a pris en considération pour examiner s'il y avait lieu d'abréger le délai, comme suit:

[traduction] Le délai d'attente prévu au paragraphe 31(1) du Règlement n'est pas une sanction. Il vise à promouvoir la paix sociale en réduisant au minimum les causes externes qui puissent perturber les relations existantes de négociation collective. Pareil risque n'est pas présent en l'espèce puisqu'il n'y a pas d'agent négociateur en place et qu'il n'y a aucune relation de négociation collective en ce qui concerne les employés à l'égard desquels le syndicat demande l'accréditation. À l'opposé de ce qui se passait dans Bell Canada (1979), 30 di 104; et [1979] 2 Can LRBR 429 (CCLRB no 191), il n'y a pas en l'espèce de demande qui tend à remplacer un agent négociateur en place, et qu'il faudrait rejeter pour le motif que l'agent négociateur doit se voir accorder la possibilité raisonnable de négocier collectivement avec l'employeur la reconduction de la convention collective, avant qu'un autre syndicat, dont la demande d'accréditation a été rejetée faute de soutien, ne puisse s'y essayer de nouveau.

En l'espèce, la première demande a été rejetée parce que le syndicat a sous-estimé le nombre d'employés faisant partie de l'unité. Il se trouve cependant qu'à la suite de la décision du Conseil, le SPC s'est préparé comme il faut et a pris la peine d'entreprendre une autre campagne d'organisation pour s'assurer le soutien du nombre requis d'employés qui lui donnerait droit à la tenue d'un scrutin. Le Conseil ne peut ignorer l'énergie, le temps et les efforts qu'a consacrés le syndicat à l'entreprise, et lui dénier sans justification, en raison d'une simple erreur de procédure, la possibilité de représenter les employés en question. À cet égard, nous faisons nôtres les motifs exposés par la Commission des relations de travail de l'Ontario dans Hydro Electric Commission of Hamilton (1958), 58 CLLC 18, 120, et dans General Freezer, 63 CLLC 16, 294, et reproduits dans Bell Canada, susmentionné, comme suit:

    Dans Hydro Electric Commission of Hamilton, 58 CLLC 18, 120, la Commission ontarienne faisait également savoir, en ces termes, que le délai de six mois n'était pas une mesure punitive:

    La Commission n'a jamais considéré comme étant de nature répressive le pouvoir qu'elle tient de l'alinéa 67(2)(h) de la Loi, ce qui eût été le cas si elle se rangeait en l'espèce à l'avis de l'avocat de l'intimée.

    Dans General Freezer, 63 CLLC 16, 294, elle a refusé d'appliquer le délai d'attente de six mois à la nouvelle demande d'accréditation du syndicat qui avait précédemment sous-estimé le nombre d'employés faisant partie de l'unité, lequel délai aurait eu pour effet de lui dénier le droit à la tenue d'un scrutin puisqu'il n'avait pas joint à sa première demande la preuve suffisante sur le nombre d'employés. À cette occasion, la Commission s'est prononcée en ces termes:

    En outre, lorsqu'il n'y a pas d'agent négociateur en place, la Commission n'a pas pour pratique d'imposer une période d'attente à un demandeur malheureux qui ne produit pas à l'audition les preuves suffisantes sur le nombre des employés concernés pour avoir droit à la tenue d'un scrutin ou qui, avant l'audience, a été rejeté par un scrutin de représentation avant le scrutin ordonné. En l'espèce, l'intimée a prié la Commission de changer de politique. Que la Commission accède à la demande de l'intimée, cela signifierait que l'alinéa 77(2)(i) de la Loi s'appliquerait de façon punitive, ce qui irait à l'encontre de la conclusion tirée dans la cause Hydro Electric Commission of Hamilton, op. cit. Toute autre conclusion reviendrait à faire obstacle à l'objectif de la Loi, qui peut se résumer brièvement comme suit: s'assurer que les employés relevant de l'unité de négociation appropriée tiennent vraiment à faire reconnaître le syndicat qu'ils ont choisi pour être leur agent négociateur, puis promouvoir et préserver des relations de négociation positives et actives entre l'agent négociateur et l'employeur, de façon conforme à cette volonté [. . .] Qu'une demande d'accréditation soit considérée comme déposée dans les délais ou non ne doit pas dépendre uniquement des l'estimation approximative par le demandeur du nombre d'employés dans l'unité de négociation.""

    (page 107)

En l'espèce, le Conseil pense aussi que subordonner le délai de recevabilité de la demande d'accréditation du syndicat à l'exactitude de son estimation du nombre d'employés dans l'unité de négociation ferait échec à l'objectif du Code. Pour ces motifs, le Conseil, exerçant le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 31(3) de son règlement, abrège par les présentes le délai de six mois prévu au paragraphe 31(1) du même règlement, et autorise le SPC à déposer sa demande d'accréditation datée du 7 novembre 199737.

[72]Il ressort de ce qui précède que le délai d'attente n'a été surtout imposé que dans le cas où la première demande rejetée tendait à remplacer un agent négociateur accrédité en place. C'est dans ce cas qu'il faut donner à ce dernier la possibilité de négocier avec l'employeur la reconduction de sa convention collective avant d'être dérangé par un autre syndicat dont la demande d'accréditation initiale a été déjà rejetée. Dans le cas où aucun syndicat n'est en place, le délai d'attente de six mois perd d'autant de sa raison d'être.

Une interprétation fondée sur l'objet de l'alinéa 15e)

[73]Il est indubitable que le délai d'attente vise un objectif important dans certains cas. Dans d'autres contextes cependant, son application ne se justifie pas et peut retarder l'accréditation, ce qui peut compromettre les relations entre employeur et employés. On ne saurait concevoir que le législateur ait entendu limiter le pouvoir de réglementation du Conseil à l'adoption d'un seul délai d'attente applicable dans tous les cas. Pareille contrainte pourrait empêcher celui-ci de poursuivre l'objectif primordial du Code qui est de maintenir l'harmonie dans les relations industrielles. À mon avis, le législateur a voulu laisser au Conseil le soin de se fonder sur son expertise et son expérience pour décider dans quels cas le raccourcissement du délai d'attente serait plus conforme à cette harmonie.

[74]L'argument proposé par la demanderesse que le paragraphe 31(3) est ultra vires est tributaire d'une interprétation selon laquelle l'alinéa 15e) du Code confère uniquement le pouvoir de fixer un délai d'attente d'application obligatoire dans tous les cas. À mon avis, si on interprète cette dernière disposition dans le contexte du Code pris dans son ensemble, il est visible que le législateur n'aurait pu entendre imposer une contrainte aussi rigide au Conseil dans la définition des délais pour les matières relevant de sa compétence. Une interprétation fondée sur l'objet, qui prend en compte le but du délai d'attente ainsi que les objectifs généraux du Code, force à conclure que le régime souple mis en place par le Conseil relève bien des pouvoirs que celui-ci tient de la loi.

[75]La conclusion que le législateur a voulu donner au Conseil la souplesse nécessaire dans la définition du délai d'attente est conforme au principe reconnu que celui-ci doit être maître de sa propre procédure. À titre d'organisme expert, il a les connaissances spécialisées et l'expertise nécessaires pour décider de la meilleure procédure à suivre pour atteindre ses objectifs. Il faut présumer que le législateur avait conscience de l'avantage qu'il y a à lui permettre de façonner sa procédure de façon à répondre le mieux à ses besoins. Dans cet ordre d'idées, il est permis de douter qu'il ait voulu fixer des paramètres stricts, à observer par le Conseil pour se prononcer sur le délai qui doit s'écouler avant le dépôt d'une nouvelle demande d'accréditation.

[76]Il est évident que, saisi à la lumière des autres dispositions du Code, l'alinéa 15e) n'aurait pu avoir le sens strict que lui prête la demanderesse. En particulier, l'alinéa 16m) habilite le Conseil, "dans le cadre de toute affaire dont il connaît", à "abréger ou proroger les délais applicables à l'introduction de la procédure, à l'accomplissement d'un acte". Il est de droit constant que, dans la mesure du possible, les dispositions d'un texte de loi doivent faire l'objet d'une interprétation telle qu'elles sont compatibles les unes avec les autres. L'interprétation donnée par la demanderesse de l'alinéa 15e ) aurait pour effet d'autoriser un règlement portant fixation d'un délai d'attente immuable, échappant au pouvoir de dérogation que confère une autre disposition. À mon avis, l'interprétation que donne la demanderesse de l'alinéa 15e) et qui permet la prise d'un règlement qui ferait échec au pouvoir conféré par l'alinéa 16m), ne saurait représenter la volonté du législateur.

[77]Selon l'interprétation que la demanderesse donne à l'alinéa 15e), le Conseil ne peut prendre qu'un règlement qui impose un délai d'attente immuable, après quoi il n'a nullement le pouvoir d'y déroger. Ce qui revient à lui enlever le pouvoir que lui confère expressément l'alinéa 16m). En d'autres termes, le Conseil, par sa propre action, s'est privé lui-même du pouvoir dont le législateur l'a expressément investi. Il s'agit là du genre d'action jugé interdit par la Cour suprême du Canada dans Upper Lakes Shipping Ltd. c. Sheehan et autre38, affaire dans laquelle le Conseil a décidé de proroger un délai légal. Le juge en chef Laskin s'est prononcé en ces termes:

[. . .] je suis d'avis qu'il y a une autre raison fondamentale de ne pas appliquer le par. 118m) [l'actuel alinéa 16m)]: ce paragraphe ne permet pas au Conseil de modifier une disposition de la loi qui fixe le délai pour le dépôt des plaintes39.

Par l'arrêt Sheehan donc, la Cour suprême du Canada a établi que le Conseil ne pouvait pas "modifier une disposition" de sa loi d'habilitation.

[78]À supposer, comme le soutient la demanderesse, qu'il soit interdit au Conseil d'abréger un délai une fois qu'il l'a expressément défini, celui-ci aurait effectivement modifié l'alinéa 16m) qui l'a investi de ce pouvoir. Voilà un autre argument qui justifie de rejeter l'interprétation qu'elle donne de l'alinéa 15e).

[79]Bien que l'analyse qui précède suffise pour rejeter l'argumentation de la demanderesse, il reste un point à trancher. Elle a encore fondé son argument que le paragraphe 31(3) est ultra vires sur plusieurs précédents. Vu la conclusion déjà tirée, ces précédents ne lui sont d'aucun secours. Mais même en l'absence d'une telle conclusion, je ne pense pas qu'ils lui soient de quelque utilité en raison de la différence fondamentale entre l'affaire en instance et chacune des causes citées. Celles-ci ne portent pas sur les relations du travail et aucune d'elles ne met en cause le Conseil canadien des relations du travail, qui est un organisme hautement spécialisé. J'examinerai maintenant chacune des causes citées.

1.  Attorney General of Canada v. Brent40

[80]Dans Brent, se posait la question de savoir si le gouverneur en conseil était habilité à subdéléguer à des enquêteurs spéciaux les pouvoirs que lui-même tenait de la Loi sur l'immigration41, dont voici la disposition applicable:

61. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements pour la réalisation des fins et l'application des dispositions de la présente loi et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, il peut établir des règlements concernant

    [. . .]

    g)    l'interdiction d'accorder, ou les restrictions selon lesquelles peut être accordée, l'admission de personnes en raison

            (i)        de la nationalité, citoyenneté, groupe ethnique, occupation, classe ou région géographique d'origine,

            (ii)        des coutumes, habitudes, modes de vie ou méthodes particuliers de détention de biens,

            (iii)    d'inaptitude eu égard aux conditions ou exigences climatiques, économiques, sociales, industrielles, éducatives, ouvrières, sanitaires ou autres existant temporairement ou autrement au Canada ou dans la région ou le pays d'où, ou par lequel ces personnes viennent au Canada, ou

            (iv)        de leur inaptitude probable à devenir facilement assimilées ou à assumer les devoirs et responsabilités de citoyens canadiens dans un délai raisonnable après leur admission.

[81]Le paragraphe (4) de l'article 20 du règlement [Règlement sur l'immigration, C.P. 1954-1351] pris pour l'application de cette disposition subdéléguait à l'enquêteur spécial le pouvoir que le gouverneur en conseil tenait de la Loi:

20. [. . .]

(4) Sous réserve des dispositions de la Loi et des présents règlements, l'admission au Canada de toute personne est interdite si, de l'avis de l'enquêteur spécial, une telle personne ne peut être admise en raison

    a)    des coutumes, habitudes, modes de vie ou méthodes particuliers de détention de biens [. . .],

    b)    de son inaptitude eu égard aux conditions ou exigences climatiques, économiques, sociales, industrielles, éducatives, ouvrières, sanitaires ou autres existant temporairement ou autrement au Canada ou dans la région ou le pays d'où, ou par lequel ces personnes viennent au Canada, ou

    c)    de son inaptitude probable à devenir facilement assimilée ou à assumer les devoirs et responsabilités de citoyen canadien dans un délai raisonnable après son admission.

[82]On peut voir que les alinéas 20(4)a) à c) du Règlement ne faisaient que reprendre textuellement les alinéas 61g)(ii) à (iv) de la loi d'habilitation. La Cour suprême a jugé la subdélégation illégale puisque le législateur a voulu que ce soit le gouverneur en conseil qui définisse par règlement des critères spécifiques pour limiter l'admission de gens au Canada. Le pouvoir d'admission ne pouvait donc être laissé à la discrétion des enquêteurs spéciaux. Puisque le gouverneur en conseil n'a pas défini de critères spécifiques mais s'est contenté d'indiquer les facteurs généraux à prendre en considération par les enquêteurs spéciaux, les décisions seraient subordonnées à une norme "en constante fluctuation en fonction de la conception personnelles des agents d'immigration et des enquêteurs spéciaux".

[83]Cette cause est différente de l'affaire en instance en ce qu'elle portait sur la subdélégation d'un pouvoir légal, subdélégation qui consistait en la reprise textuelle des termes de la loi d'habilitation. En l'espèce, le Conseil a exercé son pouvoir de définir les délais en fixant une période d'attente de six mois, tout en conservant la souplesse nécessaire en la matière. On peut donc distinguer l'affaire en instance de la cause Brent.

2.  Brant Dairy Co. Ltd. et autre c. Milk Commission of Ontario et autre42

[84]La cause Brant Dairy posait la question de savoir si l'Office ontarien de commercialisation du lait pouvait se déléguer à son tour les pouvoirs dont la Commission du lait l'avait investi par règlement pris pour l'application de The Milk Act, 196543.

[85]Le paragraphe 8(6) de cette Loi habilitait la Commission à subdéléguer ses pouvoirs de réglementation à un office de commercialisation, comme suit:

[traduction]

8. [. . .]

(6) La Commission peut déléguer à un office de mise en marché les pouvoirs à elle conférés au paragraphe (1) qu'elle juge nécessaires et peut en tout temps mettre fin à pareille délégation.

[86]En application de ce paragraphe 8(6), la Commission a pris le Règlement 294/65, dont l'article 6 déléguait à l'Office de commercialisation une bonne part de ses pouvoirs, y compris celui qu'elle tenait de l'alinéa 11 du paragraphe 8(1), lequel prévoyait ce qui suit:

[traduction]

8."(1) La Commission peut faire des règlements relativement aux produits réglementés en général ou relativement à tout produit réglementé, et sans limiter la généralité de ce qui précède, elle peut faire des règlements,

    [. . .]

11. prévoyant,

    i.        la mise en marché d'un produit réglementé sur une base de quotas,

    ii.    la fixation et l'attribution de quotas à des personnes à l'égard de la mise en marché d'un produit réglementé, sur la base que la Commission juge appropriée,

[87]Après que la Commission eut subdélégué ce large pouvoir de réglementation à l'Office de commercialisation (par le Règlement 294/65 susmentionné), celui-ci a pris le Règlement 52/68 dans l'exercice de ce pouvoir délégué. Il n'a cependant fixé aucune norme conformément au Règlement de la Commission, mais n'a fait que reproduire les termes de la loi d'habilitation. Une illustration de cet octroi identique de pouvoir discrétionnaire se trouve au paragraphe 4(2) du Règlement 52/68 qui reproduit l'alinéa 11(ii) du paragraphe 8(1) de la loi The Milk Act, 1965, comme suit:

[traduction]

4. [. . .]

(2) L'Office de mise en marché peut fixer des quotas et les attribuer à des personnes à l'égard de la mise en marché du lait, sur la base que l'Office juge appropriée.

[88]La Cour suprême du Canada a conclu que l'Office de commercialisation avait exercé le pouvoir de fixer les quotas et de les attribuer par la reprise des termes mêmes dans lesquels il s'était vu conférer ce pouvoir. Il n'a donc pas mis en place un système comme il y était habilité mais s'est contenté de répéter la formule de la loi, ne définissant aucune norme et laissant le tout à sa propre discrétion. Le juge Laskin (plus tard juge en chef) a fait à ce sujet l'observation suivante:

Les organismes créés par statut qui ont le pouvoir de faire quelque chose par règlement n'agissent pas dans les limites de leurs attributions en se contentant de reprendre, dans un règlement, les termes par lesquels ce pouvoir a été conféré. C'est là se soustraire à l'exercice de ce pouvoir et, de fait, c'est là faire d'un pouvoir législatif un pouvoir administratif. Cela équivaut à une nouvelle délégation que l'Office se fait à lui-même dans une forme différente de celle qui a initialement été autorisée; il est évident que cela est illégal, d'après le jugement que cette Cour a rendu dans l'affaire Procureur général du Canada c. Brent44.

[89]Transposée à la présente affaire, la question se pose alors de savoir si le Conseil "n'a fait que réitérer le pouvoir" dont la loi l'a investi. Comme déjà noté, il a exercé le pouvoir prévu à l'alinéa 15e ) du Code en définissant un délai d'attente de six mois à titre de règle générale, tout en se réservant la souplesse nécessaire pour y déroger au besoin. En définissant une règle générale qui doit s'appliquer normalement, le Conseil a fait davantage que de réitérer le pouvoir qu'il tient de la loi.

[90]Il faut interpréter le paragraphe 31(3) comme autorisant le Conseil à déroger au délai normal de six mois dans les cas où le défaut de le faire reviendrait à faire échec à l'objectif du Code. Le Règlement a été pris de façon à prévoir une période de six mois à titre de délai d'attente normal. Ce cas est tout à fait différent du cas hypothétique où le Conseil prendrait un règlement pour s'octroyer le pouvoir de fixer administrativement et à son gré, un délai d'attente selon le cas d'espèce.

[91]L'observation suivante, faite par le juge Laskin dans Brant Dairy, conforte la conclusion qu'en définissant expressément un délai de référence de six mois, le Conseil a légitimement exercé son pouvoir discrétionnaire en la matière:

L'Office était tenu de légiférer par règlement, mais il a plutôt tenté de se conférer le pouvoir arbitraire d'administrer comme il le jugeait bon sans préciser ses normes par règlement45.

[92]En l'espèce, le Conseil a fixé un délai de référence de six mois. Le juge Laskin a encore fait observer ce qui suit:

Ce à quoi l'on peut s'occuper, selon mon interprétation du droit, ce n'est pas à l'étendue de la délégation ou de la sous-délégation, mais au défaut [. . .] de fournir ne serait-ce qu'un minimum de directives et de précisions46 [. . .]

[93]Là encore, la présente affaire est différente en ce que le Conseil a fixé la voie à suivre en posant pour règle le délai d'attente de six mois. Il ne s'est pas réservé un pouvoir discrétionnaire illimité, sans spécifier un critère à respecter.

[94]Je suis d'accord avec le défendeur qui distingue la présente affaire de la cause Brant Dairy sur le fondement que celle-ci portait sur un règlement qui ne faisait que répéter les critères généraux fixés par la loi d'habilitation.

3.  Institut canadien des compagnies immobilières publiques et autres c. Corporation de la ville de Toronto47

[95]Dans Institut canadien des compagnies immobilières publiques, la Cour suprême était appelée à se prononcer sur la validité d'un règlement par lequel la ville de Toronto fixait les conditions de mise en valeur immobilière, exactement dans les mêmes termes que le texte de loi d'habilitation, savoir le paragraphe 35a(2) de The Planning Act48.

[96]Le règlement 419-74 définissait les conditions de mise en valeur immobilière comme suit [aux pages 4 et 5]:

[traduction] (3)(i) Préalablement à la mise en valeur ou au réaménagement de tout terrain ou bâtiment compris dans une zone ci-après désignée, le conseil exige l'aménagement et l'entretien des installations et objets suivants:

 1. L'élargissement des voies publiques contiguës au terrain mis en valeur ou réaménagé.

 2. Sous réserve de The Public Transportation and Highway Improvement Act, l'aménagement des accès à ce terrain, par exemple les rampes d'accès et les bordures de trottoirs, y compris le nombre, le lieu, les dimensions de ces installations et le sens de la circulation.

 3. Les aires de stationnement et de chargement hors rue et les voies d'accès, y compris le revêtement de ces aires et voies.

 4. Les trottoirs et autres voies d'accès pour piétons.

 5. L'enlèvement de la neige des rampes d'accès, des entrées, des aires de stationnement et des trottoirs.

 6. Le nivellement ou la modification de l'élévation ou du profil du terrain, l'écoulement des eaux de pluie, des eaux de surface et des eaux usées du terrain et de tout bâtiment ou structure.

 7. La cession à la municipalité, sans frais, des servitudes nécessaires à la construction, à l'entretien ou à l'amélioration des cours d'eau, des fossés, des ouvrages de drainage et du réseau d'égout sanitaire existants ou devenus nécessaires.

 8. L'éclairage par projecteurs du terrain ou de tout bâtiment ou structure.

 9. Les murs, clôtures, haies, arbres, arbustes et toute autre plantation qui assure un aménagement adéquat du terrain ou la protection des terrains contigus.

10. Les remises souterraines, les espaces pour l'entreposage et le ramassage central des ordures et toute autre installation et clôtures requises pour l'entreposage des ordures et des rebus.

11. Les plans montrant l'emplacement de tous les bâtiments et structures et celui de toute autre installation exigée par le règlement.

12. Les dessins en perspective et les plans montrant l'élévation des bâtiments et les vues en coupe des immeubles industriels et commerciaux et des immeubles résidentiels comprenant vingt-cinq unités de logement ou plus.

[97]Ce règlement était la reproduction textuelle des critères définis au paragraphe 35a(2) de The Planning Act, que voici:

[traduction]

35a. [. . .]

(2) Lorsqu'un plan officiel est en vigueur dans une municipalité, le conseil municipal peut, par règlement adopté en vertu de l'article 35, préalablement à la mise en valeur ou au réaménagement des terrains ou des bâtiments situés dans la municipalité ou dans toute zone prévue au règlement, interdire ou exiger l'aménagement, l'entretien et l'utilisation des installations ou objets suivants, ou de l'un d'entre eux, et peut réglementer leur entretien ou leur utilisation:

 1.    L'élargissement des voies publiques contiguës au terrain mis en valeur ou réaménagé.

 2.    Sous réserve de The Public Transportation and Highway Improvement Act, l'aménagement des accès à ce terrain, par exemple les rampes d'accès et les bordures de trottoirs, y compris le nombre, le lieu, les dimensions de ces installations et le sens de la circulation.

 3.    Les aires de stationnement et de chargement hors rue et les voies d'accès, y compris le revêtement de ces aires et voies.

 4.    Les trottoirs et autres voies d'accès pour piétons.

 5.    L'enlèvement de la neige des rampes d'accès, des entrées, des aires de stationnement et des trottoirs.

 6.    Le nivellement ou la modification de l'élévation ou du profil du terrain, l'écoulement des eaux de pluie, des eaux de surface et des eaux usées du terrain et de tout bâtiment ou structure.

 7.    La cession à la municipalité, sans frais, des servitudes nécessaires à la construction, à l'entretien ou à l'amélioration des cours d'eau, des fossés, des ouvrages de drainage et du réseau d'égout sanitaire existants ou devenus nécessaires.

 8.    L'éclairage par projecteurs du terrain ou de tout bâtiment ou structure.

 9.    Les murs, clôtures, haies, arbres, arbustes et toute autre plantation qui assure un aménagement adéquat du terrain ou la protection des terrains contigus.

10.    Les remises souterraines, les espaces pour l'entreposage et le ramassage central des ordures et toute autre installation et clôtures requises pour l'entreposage des ordures et des rébus.

11.    Les plans montrant l'emplacement de tous les bâtiments et structures et celui de toute autre installation exigée par le règlement.

12.    Les dessins en perspective et les plans montrant l'élévation des bâtiments et les vues en coupe des immeubles industriels et commerciaux et des immeubles résidentiels comprenant vingt-cinq unités de logement ou plus.

[98]Puisque le règlement ne faisait que répéter les termes de la loi d'habilitation, la Cour l'a jugé illégal par les mêmes motifs que dans l'arrêt Brant Dairy. Elle n'a pu conclure à la validité de l'action de la municipalité puisqu'il y avait "répétition pure et simple de l'énoncé des pouvoirs et non leur exercice par l'adoption d'un règlement aux dispositions explicites". Institut canadien des compagnies immobilières publiques est une autre illustration du cas où la loi d'habilitation autorisait la prise de règlements et où l'organisme de réglementation a voulu exercer le pouvoir délégué par la reprise des termes mêmes par lesquels ce pouvoir avait été conféré. Comme déjà noté, la présente affaire n'est pas un cas de réitération pure et simple de la loi d'habilitation; elle est donc manifestement différente de la cause citée.

4.  Air Canada c. Cité de Dorval49

[99]Dans Air Canada, la Cour suprême était appelée à juger si la cité de Dorval, qui était habilitée à fixer un taux de taxe par règlement, avait compétence pour adopter un règlement pour se donner à elle-même le pouvoir de fixer le taux de taxe par voie de résolution. La disposition applicable, savoir l'article 526 de la Loi des cités et villes50, prévoyait ce qui suit:

526. Le conseil peut imposer par règlement et percevoir certains droits ou taxes annuels sur tous ou sur certains commerces, manufactures, établissements financiers ou commerciaux, occupations, arts, professions, métiers ou moyens de profit ou d'existence, exercés ou exploités dans la cité. Ces droits ou taxes peuvent consister en une somme fixe ou être basés sur la valeur locative annuelle estimée des lieux occupés à cette fin; ils peuvent être imposés sous les deux formes à la fois et être différents ou plus élevés lorsqu'ils sont percevables de personnes qui ne résident pas dans la cité, ou qui y résident depuis moins de douze mois; toutefois dans aucun cas, la somme fixe ne doit excéder deux cents dollars et celle basée sur la valeur locative annuelle, dix pour cent de cette valeur. [Non souligné dans l'original.]

[100]Le règlement 577 a été pris en application de cet article, et son article 2 prévoyait ce qui suit [à la page 864]:

[traduction]

À l'exception de celles mentionnées expressément aux articles 3, 4 et 5 du présent règlement, toutes les entreprises exploitées dans la cité sont assujetties à une taxe annuelle, percevable sur les exploitants de ces entreprises, dont le taux, qui ne doit cependant pas dépasser dix pour cent (10 %) de la valeur locative annuelle estimée des lieux occupés à des fins commerciales, est fixé annuellement par résolution du conseil municipal. La taxe ne sera pas inférieure à vingt-cinq dollars (25 $) par an pour chacun des lieux occupés auxdites fins. [Non souligné dans l'original.]

[101]L'intimée a reconnu qu'il était contraire à l'article 526 de la Loi des cités et villes de fixer le taux annuel de la taxe, non pas par voie de règlement mais par voie de résolution. Ce qui était en cause c'était l'effet de cette irrégularité. L'intimée soutenait qu'il ne s'agissait que d'un vice de forme et que, le règlement n'ayant pas été annulé dans les trois mois qui avaient suivi sa promulgation, l'appelante n'avait aucun recours. De son côté, celle-ci soutenait que la nullité du règlement 577 était absolue puisque celui-ci ne fixait pas le taux de la taxe, mais en laissait le soin à la résolution à prendre par le conseil municipal.

[102]La Cour suprême a conclu qu'il y avait abus de compétence par le conseil municipal qui se déléguait à lui-même le pouvoir de fixer le taux de la taxe par résolution, alors qu'il n'était habilité à le faire que par voie de règlement. Il y avait plus qu'un vice de forme et l'appelante avait un recours en vertu de l'article 33 du Code de procédure civile [L.R.Q. 1977, ch. C-25].

[103]Dressant le parallèle avec les deux causes Brant Dairy et Institut canadien des compagnies immobilières publiques susmentionnées, la Cour suprême s'est prononcée en ces termes:

En l'espèce, le conseil de la cité de Dorval n'a pas simplement reproduit les dispositions de l'art. 526 de la Loi des cités et villes dans le Règlement 577. Il a édicté des dispositions conformes à la loi en faisant certains des choix qui lui étaient offerts. Mais en ce qui concerne le taux, il n'a pas exercé son pouvoir. Pour emprunter l'expression du juge Laskin dans Brant Dairy Co., le conseil, investi du pouvoir de fixer le taux par règlement, s'est fait une nouvelle délégation à lui-même du pouvoir de le fixer par résolution. Le conseil n'avait pas le pouvoir de se faire ainsi une nouvelle délégation à lui-même51.

[104]En l'espèce, il est reproché au Conseil de s'être subdélégué à lui-même le pouvoir de définir le délai d'attente. Je pense cependant que ce qu'il a fait, c'était de spécifier une règle ainsi que le prescrit l'alinéa 15e) et d'instituer une exception à cette règle pour garder la souplesse nécessaire à la poursuite des objectifs du Code. À mon avis, pareille mesure ne va pas à l'encontre de la règle définie dans Brant Dairy et appliquée dans Air Canada.

[105]On peut distinguer Air Canada de la présente affaire en ce que dans la première, le conseil municipal n'exerçait pas du tout le pouvoir dont il était investi pour fixer le taux de la taxe. Il n'a fait que réitérer les dispositions de la loi en établissant un taux de taxe maximum de 10 p. 100. Le fait qu'en l'espèce, le Conseil a exercé son pouvoir en fixant un délai de six mois à titre de règle générale, la distingue de la cause Air Canada où le conseil municipal s'est contenté de s'octroyer un pouvoir discrétionnaire total sans prescrire aucune norme pour l'exercice de son pouvoir. La définition expresse d'une règle générale en l'espèce représente la différence entre l'exercice valide et l'exercice illégal du pouvoir conféré.

5.  City of Verdun v. Sun Oil Co.52

[106]Dans cette affaire, la cité de Verdun s'est subdélégué à elle-même son pouvoir de réglementation en matière d'emplacement des établissements industriels. Le conseil municipal a adopté un règlement portant obligation pour les demandeurs de s'adresser à un inspecteur des bâtisses. Ce règlement spécifiait qu'une recommandation favorable de ce dernier pouvait être adoptée ou rejetée par le conseil municipal à sa discrétion. Il s'agissait donc de savoir si celui-ci avait agi conformément à la loi en se réservant le pouvoir ultime de décider discrétionnairement.

[107]La disposition applicable du règlement 128 était son article 76, lequel prévoyait ce qui suit [aux pages 225 et 226]:

[traduction]

a)    Toute personne qui désirera ériger ou utiliser un bâtiment ou un local quelconque, ou occuper un terrain [. . .] dans lequel se trouvent des [. . .] stations de gazoline, [. . .] devra demander par écrit à la Cité la permission de ce faire.

    [. . .]

b)    Toute personne qui désirera obtenir telle permission devra en faire la demande à l'Inspecteur des bâtisses qui transmettra copie de telle demande au Greffier de la Cité [. . .]

c)    Lorsque l'Inspecteur des bâtisses aura reçu une demande de ce genre, il examinera le terrain, le bâtiment ou le local ou les plans des bâtiments ou du local que l'on désire utiliser pour n'importe laquelle des fins mentionnées dans l'article 76 du présent règlement et s'il croit que tel bâtiment local ou terrain remplit les conditions exigées par le présent règlement et que la permission demandée peut être accordée sans qu'il en résulte aucun danger pour la vie ou la propriété, il devra transmettre à cet effet un certificat au Conseil de la Cité qui, selon qu'il le jugera à propos, accordera ou refusera la permission demandée.

d)    En même temps qu'une demande de ce genre est faite à l'Inspecteur des bâtisses, le pétitionnaire doit faire au Bureau du Trésorier de la Cité un dépôt de dix dollars ($10.00) qui doit servir à couvrir les frais d'annonces et autres dépenses de la Cité en rapport avec telle demande. [Non souligné dans l'original.]

[108]Il s'agissait de savoir si l'article 426 de la Loi des cités et villes53 habilitait la cité de Verdun à adopter l'article 76. Voici ce que prévoyait cet article 426:

426. Le conseil peut faire des règlements:

    [. . .]

    1. Pour réglementer la hauteur de toutes constructions et les matériaux à y employer; interdire tous ouvrages n'ayant pas la résistance exigée et prévoir leur démolition; prescrire les conditions de salubrité et la profondeur à donner aux caves et sous-sols; régler les endroits où devront se trouver, dans la municipalité, les établissements industriels et commerciaux et les autres immeubles destinés à des fins spéciales, diviser la municipalité en arrondissements ou zones dont le nombre, la forme et la superficie paraîtront convenables aux fins de cette réglementation, et quant à chacun de ces districts ou zones; prescrire l'architecture, les dimensions, la symétrie, l'alignement et la destination des constructions à être érigées, la superficie des lots, la proportion qui pourra être occupée par les constructions et l'espace qui devra être laissé entre elles; obliger le propriétaire à soumettre les plans de bâtiments projetés à un officier désigné et à obtenir un certificat d'approbation; empêcher ou suspendre l'érection de constructions non conformes à ces règlements et ordonner, au besoin, la démolition de toute construction érigée en contravention à ces règlements, après leur entrée en vigueur.

[109]La Cour suprême a conclu que l'article 426 n'était pas une source de pouvoir suffisante pour justifier le règlement susmentionné. Prononçant le jugement unanime de la Cour, le juge Fauteux a conclu en ces termes:

[traduction] [. . .] la cité n'a rien fait d'autre que de laisser à la discrétion ultime et exclusive des membres du conseil municipal [. . .] ce que la loi provinciale, par l'article 426, l'habilitait effectivement à réglementer par voie de règlement. L'article 76 a donc pour effet de transformer le pouvoir de réglementation en un simple pouvoir administratif discrétionnaire de supprimer par résolution un droit qui, s'il n'était entravé par aucun règlement, ne pouvait faire l'objet que d'un règlement conforme. Ce n'est pas ce qu'autorise l'article 42654.

[110]Cet arrêt s'apparente à l'arrêt Air Canada en ce qu'il pose qu'un organisme public ne peut se subdéléguer à lui-même un pouvoir dont le législateur l'a investi sous une autre forme. Il pose également qu'une subdélégation à soi-même de pouvoirs aboutissant à un pouvoir discrétionnaire illimité sera déclarée illégale.

[111]La présente affaire est différente de la cause Verdun, qui porte sur la transformation d'un pouvoir de réglementation en le pouvoir discrétionnaire d'opposer un veto à la recommandation circonstanciée d'un inspecteur des bâtiments. Il est clair que la loi d'habilitation ne conférait pas ce droit de veto discrétionnaire. Par contre, en l'espèce, la loi habilitait le Conseil à définir un délai d'attente pour la réintroduction des demandes d'accréditation. Comme déjà noté, il ressort d'une interprétation fondée sur l'objet de l'alinéa 15e) que celui-ci donne au Conseil une certaine latitude dans le choix des modalités d'application. L'affaire Verdun est différente en ce que, quelle que soit l'interprétation qu'on donne de la disposition applicable de la loi d'habilitation, elle n'investissait pas le conseil municipal du droit de veto discrétionnaire.

[112]Qui plus est, dans Verdun, le paragraphe 2 de l'article 426 de la loi d'habilitation prévoyait expressément qu'un règlement pris sous le régime du paragraphe 1 ne pouvait être modifié ou abrogé que par un autre règlement. Cette disposition est une autre indication que, dans cette affaire, le pouvoir délégué de réglementation devait être maintenu au niveau de la législation, et ne devait pas être rabaissé au niveau du pouvoir administratif discrétionnaire. Aucune disposition légale de ce genre n'est en jeu en l'espèce.

6.  Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Comm. canadienne des transports)55

[113]Dans Canadien Pacifique, le paragraphe 328(1) de la Loi sur les chemins de fer56, reproduit ci-dessous, prescrivait à la Commission canadienne des transports de traiter sur le même pied la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique:

328. (1) La Commission doit prescrire pour la compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et la compagnie de chemin de fer canadien du Pacifique une classification et un système uniformes de comptes et de relevés concernant l'actif, le passif, les recettes et les frais d'exploitation relatifs aux opérations ferroviaires.

[114]L'appelante soutenait que l'ordonnance no R-38529 du Comité des transports par chemin de fer, qui est un comité de la Commission canadienne des transports, était ultra vires en ce qu'elle contenait une prescription applicable uniquement aux dépenses de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique. La majorité de la Cour a fait droit à l'argument de l'appelante et a conclu:

Ce paragraphe ne confère pas à la Commission un pouvoir discrétionnaire à exercer cas par cas. La Commission n'est donc pas autorisée en vertu de ce paragraphe à prescrire des règles comptables applicables à une seule des deux principales compagnies ferroviaires canadiennes; elle n'a pas non plus le pouvoir de prescrire sous quel poste sera classée une dépense particulière d'une compagnie ferroviaire57 [. . .]

[115]Vu le paragraphe 328(1), il n'est pas étonnant que la Cour ait jugé que la Commission ne pouvait créer des règles ayant des effets sur une seule des deux compagnies. À mon avis cependant, l'application égale de la loi aux deux principales compagnies de chemin de fer du Canada dans Canadien Pacifique est quelque chose de tout à fait différent de ce qui s'est passé en l'espèce, où il s'agit de savoir dans quelle mesure il peut y avoir souplesse pour ce qui est de définir un délai d'attente dans le contexte des relations du travail. Ainsi donc, Canadien Pacifique se distingue parfaitement de la présente affaire.

Conclusion sur la jurisprudence citée

[116]En l'espèce, la question capitale est de savoir si la décision du Conseil de retenir, par le paragraphe 31(3), une certaine souplesse dans la définition du délai d'attente en question est une subdélégation irrégulière du pouvoir qu'il tient de l'alinéa 15e) du Code. Je pense que l'affaire en instance est différente des causes citées par la demanderesse. Il n'y a pas eu en l'espèce subdélégation à soi-même du même pouvoir de réglementation, mais sous une autre forme, ni subdélégation irrégulière à un autre organisme de la responsabilité et de l'obligation d'exercer un pouvoir prévu par la loi.

[117]Étant donné que le Conseil a institué une règle générale pour servir de norme, la présente affaire peut se distinguer des causes citées par la demanderesse, dans lesquelles la subdélégation a transformé un pouvoir de réglementation en un pouvoir administratif échappant aux contraintes réglementaires. En l'espèce, le Conseil a exercé le pouvoir dont il est investi en adoptant une règle générale. Le fait qu'il s'est réservé la souplesse nécessaire est conforme au régime légal institué par le législateur. Enfin, le paragraphe 31(3) du Règlement est expressément fondé par l'alinéa 16m) qui investit le Conseil du pouvoir général de changer les délais. Ce fondement légal du pouvoir discrétionnaire était absent des causes citées par la demanderesse.

Conclusion sur la validité du paragraphe 31(3)

[118]En l'espèce, la première demande a échoué parce que le syndicat a sous-estimé le nombre d'employés formant l'unité de négociation. Conclure que le paragraphe 31(3) est ultra vires reviendrait à dire que le législateur entendait prévoir que là où il n'y a aucun agent négociateur accrédité en place et où il n'y a aucune raison de ne pas en autoriser un, le Conseil ne doit pas avoir le pouvoir d'abréger le délai qu'il a institué. À mon avis, cela reviendrait à faire de l'article 31 une disposition punitive contraire aux objectifs du Code.

[119]Je suis persuadé que le législateur a prévu que le Conseil pourrait avoir besoin de souplesse pour abréger le délai d'attente dans les cas comme celui qui nous occupe. Sans ce paragraphe 31(3), le Conseil serait obligé d'appliquer le délai de six mois dans des situations où il ne servirait à rien. Il faut présumer que le législateur savait que l'application d'un délai immuable à chaque cas de réintroduction de demande d'accréditation était inutile et compromettrait l'harmonie des relations industrielles plutôt que de la promouvoir.

[120]Faire droit à l'argument de la demanderesse reviendrait à accepter une interprétation littérale de l'alinéa 15e), qui serait déplacée dans le contexte du Code. L'alinéa 15e), sous l'éclairage d'une interprétation fondée sur l'objet, investit le Conseil d'un pouvoir plus étendu que le simple pouvoir de fixer un délai immuable dans tous les cas. Le paragraphe 31(3) du Règlement relève donc bien de la compétence du Conseil et a été validement adopté en vertu du pouvoir que celui-ci tient de l'alinéa 15e) du Code.

II.  Le Conseil tient-il de l'alinéa 16m) du Code le pouvoir d'abréger le délai prévu au paragraphe 31(1) du Règlement?

[121]Un autre argument invoqué à l'appui de la décision du Conseil d'abréger le délai d'attente est qu'il l'a fait en application de l'alinéa 16m) du Code, lequel alinéa l'habilite expressément, "dans le cadre de toute affaire dont il connaît", à "abréger [. . .] les délais applicables à l'introduction de la procédure". C'est exactement ce qu'il a fait en l'espèce.

[122]Il est indubitable que le législateur a voulu assurer au Conseil la souplesse nécessaire pour fixer les délais dans les affaires soumises à sa juridiction, y compris les demandes d'accréditation. L'application de délais stricts et immuables ferait échec à l'un des objectifs manifestes du Code, qui est de promouvoir la paix sociale par de saines relations du travail. Les motifs exposés par le Conseil montrent bien que c'était l'objectif qu'il visait. Le fait qu'il a choisi de se fonder sur le paragraphe 31(3) du Règlement et non sur l'alinéa 16m) du Code ne présente aucune importance particulière. À ce sujet, il suffit de se rappeler l'arrêt Colombie-Britannique (Milk Board) c. Grisnich58, où la Cour suprême fait observer qu'il s'agit de savoir si l'organisme administratif a agi dans les limites de sa compétence, et non s'il a correctement indiqué la source de son pouvoir.

[123]L'avocat de la demanderesse s'appuie sur l'arrêt Sheehan, précité, pour soutenir que l'alinéa 16m) ne peut être invoqué pour contourner le pouvoir expressément prévu par l'alinéa 15e) de fixer un délai spécifique. Il cite en particulier le passage suivant:

[. . .] je suis d'avis qu'il y a une autre raison fondamentale de ne pas appliquer le par. 118m) [l'actuel alinéa 16m)]: ce paragraphe ne permet pas au Conseil de modifier une disposition de la loi qui fixe le délai pour le dépôt des plaintes.

L'article 118(m) prévoit:

118. Le Conseil a, relativement à toute procédure engagée devant lui, pouvoir

    [. . .]

    m) d'abréger ou d'étendre le délai pour engager la procédure ou pour accomplir un acte, déposer un document ou présenter une preuve dans le cadre de la procédure;

Selon moi, cette disposition autorise le Conseil à abréger ou à étendre le délai pour agir dans une procédure qui lui est à bon droit soumise, comme par exemple, une procédure d'accréditation. Toutefois, s'il s'agit de décider si une procédure est intentée dans les délais, aux termes de la Loi régissant le Conseil, c'est-à-dire si le Conseil peut légalement connaître de la procédure aux termes du par. 187(2) [l'actuel paragraphe 97(2)], je ne crois pas que le par. 118m) lui permette d'accorder une latitude au plaignant qui d'après la Loi est hors délai59.

[124]Ce passage n'est d'aucun secours pour la demanderesse. Je conviens avec le défendeur que l'arrêt Sheehan signifie seulement que l'alinéa 16m) n'habilite pas le Conseil à changer les délais fixés dans la loi même. Cependant, le texte applicable en l'espèce ne spécifie aucun délai. Puisqu'il est question d'un délai fixé par règlement, l'arrêt Sheehan ne s'applique pas pour anéantir le pouvoir conféré par l'alinéa 16m) du Code.

[125]La demanderesse soutient que diverses dispositions de l'article 24 du Code investissent le Conseil du pouvoir d'abréger certains délais et qu'au cas où le défendeur aurait raison de dire que l'alinéa 16m) confère à ce dernier un pouvoir étendu pour abréger les délais, alors le pouvoir prévu à l'article 24 serait redondant. Cet argument passe sous silence la conclusion tirée dans Sheehan que la disposition subséquemment remplacée par l'alinéa 16m) n'habilitait pas le Conseil a abréger les délais expressément institués par la loi. Il est clair que le législateur a voulu conférer ce pouvoir au Conseil. Il faut présumer qu'il savait que l'alinéa 16m) n'atteindrait pas cet objectif. C'est pourquoi il était nécessaire d'investir expressément le Conseil du pouvoir d'abréger les délais dans le cadre de l'article 24 lui-même. De fait, le pouvoir d'abréger les délais que prévoit l'article 24 confirme que le législateur n'entendait pas confiner le Conseil dans des limites immuables et des contraintes de temps prédéterminées.

[126]La disposition prévoyant que le Conseil peut abréger les délais prévus à l'article 24 n'est pas redondante; il s'ensuit que le pouvoir de changer ces délais ne peut être invoqué à l'appui de l'argument que l'alinéa 16m) ne confère pas le pouvoir de déroger aux délais fixés par règlement. Qui plus est, le législateur a indiqué par l'article 24 qu'il n'y a aucun délai fixe qui convienne à tous les cas de demande d'accréditation. Les délais sont prescrits en fonction des circonstances et le pouvoir de dérogation est prévu dans certains cas. Il s'ensuit qu'il serait illogique de faire valoir qu'en cas de réintroduction de demande d'accréditation, le législateur entendait prévoir un seul délai immuable.

[127]La demanderesse soutient encore que l'alinéa 16m) n'est pas applicable en l'espèce puisque le point litigieux ne se présente pas "dans le cadre de toute affaire dont [le Conseil] connaît". Cet argument doit être rejeté puisque la demande d'accréditation était quelque chose dont le Conseil connaissait, par application de l'article 24. Il était tenu de se prononcer sur la demande dont il avait été saisi. Il pouvait ensuite la rejeter en application du paragraphe 31(1) du Règlement ou l'accueillir en vertu de son pouvoir discrétionnaire d'abréger le délai d'attente. Tout simplement, il avait compétence pour examiner si la demande avait été soumise conformément au régime institué par la loi.

Conclusion

[128]Pour ces motifs, il y a lieu de rejeter les deux demandes de contrôle judiciaire. Les dépens sont adjugés au défendeur.

1 DORS/91-622, 6 novembre 1991.

2 L.R.C. (1985), ch. L-2.

3 Dossier de la demanderesse (A-339-98), à la p. 29.

4 Id., à la p. 30.

5 Id., à la p. 31.

6 [1979] 2 Can LRBR 429.

7 Règlement du Conseil canadien des relations du travail, DORS/73-205, 10 avril 1973.

8 [1988] 2 R.C.S. 1048.

9 Id., aux p. 1088 et 1089.

10 ;Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, motifs prononcés par le juge Iacobucci, à la p. 179.

11 ;Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée. c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aérienne, [1993] 3 R.C.S. 725, motifs dissidents prononcés par Mme le juge L'Heureux-Dubé, à la p. 757.

12 ;Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963, c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, motifs prononcés par le juge Dickson [tel était alors son titre], à la p. 233.

13 [1996] 2 R.C.S. 432, aux p. 445 à 447.

14 Note 10, supra, aux p. 179 et 180.

15 Note 13, supra, à la p. 454.

16 [1984] 2 R.C.S. 412, aux p. 420 et 421.

17 Cf. Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614; Lignes aériennes Canadien Pacifique, note 11, supra.

18 Shorter Oxford Dictionary, 3e éd., tome 11 (Oxford: Clarendon Press, 1973), à la p. 2067.

19 Black's Law Dictionary, 5e éd. (St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1979), à la p. 1255.

20 Dans Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 39, le juge Dickson [tel était alors son titre] conclut que ces mots ont "la portée la plus large possible".

21 Canadian Oxford Dictionary (Toronto: Oxford University Press, 1998), à la p. 1228, définit "respecting" (traduction: comme signifiant: "with reference or regard to: concerning" [traduction ] "en ce qui concerne, quant à: touchant".

22 Traité de droit administratif, tome 1, 2e éd., Ste-Foy (Qué.): Presses de l'université Laval, 1984, aux p. 21 et 22.

23 Id., à la p. 533.

24 Garant, P., Droit administratif, vol. 1, 4e éd., Cowansville (Qué.): Éditions Yvon Blais, 1996, à la p. 441, citant L.-P. Pigeon, Rédaction et interprétation des lois, Québec: Éditeur officiel, 1978, à la p. 33.

25 Voir, infra, le texte de ces deux paragraphes.

26 Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence, L.C. 1998, ch. 26, art. 5(4). Dans sa version actuelle, le même article autorise le Conseil à abréger ou proroger les délais applicables à l'accomplissement d'un acte, au dépôt d'un document ou à la présentation d'éléments de preuve.

27 Edgar, S. G. G. Craies on Statute Law, 7e éd., Londres: Sweet & Maxwell, 1971, à la p. 222. Voir aussi Danjou v. Marquis (1879), 3 R.C.S. 251, à la p. 267.

28 [1993] 3 R.C.S. 724.

29 [1984] 1 R.C.S. 614.

30 [1996] 1 R.C.S. 254.

31 Id., aux p. 293 et 294.

32 [1993] 3 R.C.S. 724, à la p. 741.

33 Ibid.

34 [1990] 2 R.C.S. 795, à la p. 807.

35 Sullivan, à la p. 38.

36 Aurora (Ont.): Canada Law Book, 1998, à la p. R/21.

37 Décision du Conseil, aux p. 30 et 31.

38 [1979] 1 R.C.S. 902.

39 Id., aux p. 914 et 915.

40 [1956] R.C.S. 318.

41 S.R.C. 1952, ch. 325.

42 [1973] R.C.S. 131.

43 S.O. 1965, ch. 72.

44 Brant Dairy, note 42, supra, aux p. 146 et 147.

45 Id., à la p. 147.

46 Id., aux p. 150 et 151.

47 [1979] 2 R.C.S. 2.

48 R.S.O. 1970, ch. 349 (édicté par S.O. 1973, ch. 168, art. 10).

49 [1985] 1 R.C.S. 861.

50 S.R.Q. 1941, ch. 233 [mod. par S.Q. 1956-57, ch. 91, art. 4].

51 Air Canada, note 49, supra, à la p. 871.

52 [1952] 1 R.C.S. 222.

53 S.R.Q. 1941, ch. 233.

54 Verdun, note 52, supra, à la p. 229.

55 (1988), 31 Admin. L.R. 138 (C.A.F.).

56 S.R.C. 1970, ch. R-2.

57 Canadien Pacifique, note 55, supra, à la p. 147.

58 [1995] 2 R.C.S. 895.

59 Sheehan, note 38, supra, aux p. 914 et 915.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.