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T-545-97

Les Inuit du Nunavik, représentés par la Société Makivik (demanderesse)

c.

Le ministre du Patrimoine canadien et le procureur général du Canada (défendeurs)

et

Sa Majesté la Reine du chef de Terre-Neuve et l'Association des Inuit du Labrador (intervenantes)

Répertorié: Société Makivikc. Canada (Ministre du Patrimoine canadien)(1re inst.)

Section de première instance, juge en chef adjoint Richard"Ottawa, 6, 7, 8 janvier et 4 août 1998.

Peuples autochtones Terres " Négociation des revendications territoriales des autochtones dans le contexte du processus de négociation de traités " Le ministre du Patrimoine canadien désirait créer un parc national dans la région des monts Torngat, dans le nord du Labrador " Négociations y afférentes entre le ministre, le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador et l'Association des Inuit du Labrador " Les Inuit du Nunavik, représentés par la Société Makivik, avec qui la Couronne fédérale avait engagé des négociations au sujet de revendications territoriales globales, avaient été exclus du processus parce que le gouvernement provincial ne les reconnaissait pas " Obligation de consulter et de négocier de bonne foi " Entente de principe entre le gouvernement fédéral et la demanderesse constituant une reconnaissance que le parc ne peut pas être créé tant que les négociations ne sont pas terminées.

Droit constitutionnel Droits ancestraux ou issus de traités Négociation des revendications territoriales des autochtones dans le contexte du processus de négociation des traitésLe ministre du Patrimoine canadien désirait créer un parc national dans la région des monts Torngat, dans le nord du LabradorNégociations y afférentes entre le ministre du Patrimoine canadien, le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador et l'Association des Inuit du LabradorLes Inuit du Nunavik, avec qui la Couronne fédérale avait engagé des négociations au sujet de revendications territoriales globales, avaient été exclus du processus parce que le gouvernement provincial ne les reconnaissait pasObligation de consulter et de négocier de bonne foiEntente de principe entre le gouvernement fédéral et la demanderesse constituant une reconnaissance que le parc ne peut pas être créé tant que les négociations ne sont pas terminées.

Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Le ministre du Patrimoine canadien désirait créer un parc national dans la région des monts Torngat, dans le nord du Labrador " Négociations y afférentes entre le ministre, le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador et l'Association des Inuit du Labrador " Les Inuit du Nunavik, représentés par la Société Makivik, avec qui la Couronne fédérale avait engagé des négociations au sujet des revendications territoriales globales, avaient été exclus du processus parce que le gouvernement provincial ne les reconnaissait pas " La province de Terre-Neuve remettait en question la compétence de la Cour d'accorder une réparation influant directement ou indirectement sur le pouvoir constitutionnel conféré à la province, à l'égard des terres et ressources.

Les Inuit du Nunavik, par l'entremise de Makivik, participaient à des négociations relatives à un traité avec la Couronne du chef du Canada. Des revendications globales avaient été soumises conformément à la Politique des revendications territoriales globales de 1987 du gouvernement fédéral. En vertu de la Politique du gouvernement fédéral en vue du règlement des revendications autochtones de 1993, le gouvernement accepte une revendication globale aux fins de la négociation uniquement après que le demandeur autochtone a satisfait aux critères permettant d'établir les droits ancestraux ou le titre aborigène conformément aux exigences des tribunaux. Un accord cadre a été signé. En 1993, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a confirmé que les revendications des Inuit du Nunavik concernant les droits ancestraux que ceux-ci possèdent sur certaines parties du Labrador avaient été acceptées aux fins de la négociation et a fait savoir que le gouvernement du Canada voulait entamer les négociations au fond.

Le parc national des monts Torngat envisagé par le Canada devait être situé dans la région faisant l'objet des négociations conformément au processus de négociation dans lequel la demanderesse et le gouvernement du Canada s'étaient engagés. En novembre 1992, le ministre fédéral de l'Environnement, le ministre du Tourisme et de la Culture de Terre-Neuve et du Labrador et le président de l'Association des Inuit du Labrador (l'AIL) ont annoncé qu'une étude serait effectuée en vue de déterminer s'il était possible de créer un nouveau parc national dans la région des monts Torngat. Parcs Canada a refusé de permettre à Makivik de participer aux travaux du groupe de travail et du comité directeur après que le gouvernement provincial eut fait savoir qu'il n'appuyait pas la demande de Makivik. La région que le groupe de travail devait étudier ainsi que la région située en-deçà des limites de l'éventuel parc forment 80 p. 100 du territoire visé par la revendication des Inuit du Nunavik que le gouvernement du Canada a acceptée aux fins de la négociation. En novembre 1997, le Canada, le gouvernement provincial et l'AIL ont annoncé qu'ils avaient ratifié une entente concernant le règlement de la revendication territoriale globale de l'AIL. L'entente prévoyait entre autres l'inclusion de l'éventuel parc national dans une région d'établissement des Inuit du Labrador où l'AIL et ses membres doivent notamment jouir de droits prioritaires d'exploitation à des fins de subsistance et du droit de collaborer avec les gouvernements à la gestion de la faune et de la flore ainsi qu'à l'évaluation environnementale.

Il s'agissait de savoir si, étant donné qu'elles s'étaient engagées dans un processus de négociation dans le contexte constitutionnel et politique qui existe à l'heure actuelle au Canada, les parties ont des obligations légalement exécutoires envers leurs partenaires dans le cadre du processus de négociation et sont assujetties à des restrictions ayant force obligatoire en vertu de la loi en ce qui concerne les questions et intérêts qui font l'objet des négociations relatives aux traités. Dans l'affirmative, la Couronne du chef du Canada a-t-elle violé les obligations légalement exécutoires qu'elle avait envers Makivik et les Inuit du Nunavik, dans le cadre du processus de négociation, en agissant comme elle l'a fait? La demanderesse sollicitait un jugement déclaratoire portant que la Couronne est tenue de négocier, qu'elle a une obligation de fiduciaire envers les demandeurs, qu'elle a une obligation en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et qu'elle ne peut pas procéder à la création du parc tant qu'elle n'aura pas signé un traité avec les Inuit du Nunavik. La province de Terre-Neuve soutient que la revendication territoriale des demandeurs n'est pas fondée et elle conteste la compétence que possède la Cour d'accorder une réparation influant sur le pouvoir constitutionnel conféré à la province à l'égard des terres et ressources.

Jugement: Les défendeurs ont l'obligation de consulter la demanderesse avant de créer une réserve de parc dans le nord du Labrador, et notamment l'obligation d'informer la demanderesse et de l'écouter. Les défendeurs ont l'obligation de consulter la demanderesse et de négocier de bonne foi avec elle au sujet des droits ancestraux revendiqués sur certaines parties du Labrador avant qu'un parc national soit créé dans le nord du Labrador. Si une entente entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador en vue de la création de pareil parc national est conclue avant que la revendication territoriale soit réglée d'une façon définitive, les terres doivent être mises de côté à titre de réserve de parc national pendant la durée des négociations y afférentes.

La jurisprudence des trois dernières décennies permet d'établir les principes suivants: (1) Il incombe au tribunal d'aider et d'encourager le processus de négociation. Lorsque le gouvernement fédéral convient de négocier les revendications, le public s'attend à ce que celles-ci fassent l'objet de négociations et d'un règlement; (2) Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît les droits ancestraux dans le cadre du processus de négociation et l'obligation qui incombe au gouvernement dans le cadre de ce processus; il constitue un fondement constitutionnel précis à partir duquel des négociations peuvent être entreprises et exige un règlement équitable en faveur des peuples autochtones; (3) Le processus de négociation est entrepris au profit tant de la Couronne que des peuples autochtones; il devrait être solennellement respecté; (4) Le rapport qui existe entre la Couronne et les peuples autochtones ainsi que les ententes conclues entre les parties devraient être interprétés d'une façon généreuse en faveur des peuples autochtones; (5) L'honneur de la Couronne est en jeu lorsqu'elle traite avec les peuples autochtones; (6) Des considérations additionnelles s'appliquent aux affaires dans lesquelles les droits ancestraux sont en cause. L'obligation de fiduciaire est exécutoire et comprend la protection contre les effets injustifiés sur les droits autochtones; (7) La responsabilité qui incombe au gouvernement de protéger les droits des peuples autochtones s'applique également aux droits qui se rapportent aux terres et aux intérêts autochtones y afférents; (8) La compétence et les responsabilités fédérales prévues au paragraphe 91(24) sont également rattachées à l'article 35. Le processus de négociation englobe les droits ancestraux ainsi que le titre aborigène.

Il est possible de respecter le rapport de fiduciaire qui existe entre la Couronne et les peuples autochtones en faisant participer les peuples autochtones aux décisions qui sont prises à l'égard de leurs terres. Il y a toujours obligation de consultation. La question de savoir si le groupe autochtone a été consulté est pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer si la violation des droits ancestraux est justifiée. La nature et l'étendue de l'obligation dépendent des circonstances. Même lorsque la norme minimale acceptable est la consultation, cette consultation doit être menée de bonne foi, dans l'intention de réellement tenir compte des préoccupations des peuples autochtones dont les droits et terres sont en jeu. Toute négociation devrait également comprendre les autres nations autochtones qui ont un intérêt sur le territoire revendiqué. La Couronne a l'obligation morale, sinon légale, d'entamer et de mener ces négociations de bonne foi.

L'avocat des défendeurs dit que ce n'est pas de sa faute si Terre-Neuve ne veut pas leur parler (les Inuit de Nunavik), et la province de Terre-Neuve possède un plein pouvoir constitutionnel à l'égard du territoire ici en cause, mais les réserves de parc national sont gérées en vertu de la Loi sur les parcs nationaux, sous réserve des revendications territoriales non réglées. Les activités traditionnelles de chasse, de pêche et de piégeage des peuples autochtones se poursuivent. Des clauses normales de réversion des terres sont en place de façon que les terres puissent être soustraites à la création du parc au besoin aux fins du règlement des revendications territoriales. Les droits ancestraux qui sont reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) s'étalent le long d'un spectre, en fonction de leur degré de rattachement avec le territoire visé. À une extrémité du spectre, il y a les coutumes, pratiques et traditions faisant partie intégrante de la culture autochtone distinctive. À l'autre extrémité, il y a un titre aborigène, c'est-à-dire le droit au territoire lui-même. La possibilité d'un titre conjoint a été reconnue par les tribunaux américains. Il est possible que deux nations autochtones aient vécu sur un territoire particulier et que chacune ait reconnu les droits de l'autre sur ce territoire, mais non ceux de tiers. L'entente de principe conclue entre le gouvernement fédéral et la demanderesse reconnaît qu'un parc ne peut pas être créé tant que les négociations ne sont pas terminées.

lois et règlements

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(24).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35 (mod. par TR/84-102, art. 2).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) "office fédéral" (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem , art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 18.4 (édicté, idem).

Loi sur les parcs nationaux, L.R.C. (1985), ch. N-14.

jurisprudence

décisions appliquées:

Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010; (1997), 153 D.L.R. (4th) 193; 99 B.C.A.C. 161; [1998] 1 C.N.L.R. 14; 220 N.R. 161; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241; R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; (1996), 137 D.L.R. (4th) 289; [1996] 9 W.W.R. 1; 80 B.C.A.C. 81; 23 B.C.L.R. (3d) 1; 109 C.C.C. (3d) 1; [1996] 4 C.N.L.R. 177; 50 C.R. (4th) 1; 200 N.R. 1; 130 W.A.C. 81; Bande indienne de Montana c. Canada, [1991] 2 C.F. 30; [1991] 2 C.N.L.R. 88; (1991), 120 N.R. 200 (C.A.); MacMillan Bloedel Ltd. v. Mullin; Martin v. R. in Right of B.C., [1985] 3 W.W.R. 577; (1985), 61 B.C.L.R. 145; [1985] 2 C.N.L.R. 58 (C.A.); Simon c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 387; (1985), 71 N.S.R. (2d) 15; 24 D.L.R. (4th) 390; 171 A.P.R. 15; 23 C.C.C. (3d) 238; [1986] 1 C.N.L.R. 153; 62 N.R. 366; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025; (1990), 70 D.L.R. (4th) 427; 56 C.C.C. (3d) 225; [1990] 3 C.N.L.R. 127; 109 N.R. 22; 30 Q.A.C. 280; Union of Nova Scotia Indians v. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 325; (1996), 22 C.E.L.R. (N.S.) 293; [1997] 4 C.N.L.R. 280; 122 F.T.R. 81 (1re inst.).

décisions mentionnées:

Calder et autres c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313; (1973), 34 D.L.R. (3d) 145; [1973] 4 W.W.R. 1; conf. (1970), 13 D.L.R. (3d) 64 (C.A.C.-B.); Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1; United States v. Santa Fe Pacific R. Co., 314 U.S. 339 (1941).

doctrine

Affaires indiennes et du Nord Canada. La Politique des revendications territoriales globales. Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1987.

Affaires indiennes et du Nord Canada. Politique du gouvernement fédéral en vue du règlement des revendications autochtones. Ottawa: Ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada, 1993.

Canada. Commission royale sur les peuples autochtones. Rapport de la Commission sur les peuples autochtones, vol. 2 "Une relation à redéfinir". Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services du Canada, 1996.

Canada. Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. La politique indienne du gouvernement du Canada, 1969. Ottawa, 1969.

Parcs Canada. Principes directeurs et politiques de gestion de Parcs Canada. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1994.

ont comparu:

Peter W. Hutchins et David Schulze pour la demanderesse.

Alain A. C. Lafontaine pour les défendeurs.

Donald H. Burrage pour l'intervenante, Sa Majesté la Reine du chef de Terre-Neuve.

Barbara A. McIsaac, c.r. et Veryan N. G. Haysom pour l'intervenante, l'Association des Inuit du Labrador.

avocats inscrits au dossier:

Hutchins, Soroka et Dionne, Montréal, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ministère de la Justice, section civile, St. John's (Terre-Neuve) pour l'intervenante, Sa Majesté la Reine du chef de Terre-Neuve.

McCarthy Tétrault, Ottawa, pour l'intervenante, l'Association des Inuit du Labrador.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge en chef adjoint Richard:

I.  Nature de l'instance

La présente procédure, qui a été engagée le 26 mars 1997 au moyen d'un avis de requête introductive d'instance, soulève des questions sérieuses au sujet de la négociation des revendications territoriales des autochtones dans le contexte du processus de négociation de traités. Il y est question du partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ainsi que de l'applicabilité et de la portée de l'article 35 [mod. par TR/84-102, art. 2] de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. À ce stade, il n'est pas question de déterminer des droits fondamentaux. Comme l'avocat de la demanderesse l'a dit, il s'agit ici d'une question de processus. L'avocat de la demanderesse avance la thèse selon laquelle l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 non seulement reconnaît et confirme les droits ancestraux et les droits issus de traités, mais enchâsse aussi dans la Constitution le processus de négociation lui-même. Selon l'avocat, le processus de négociation et les obligations y afférentes qui incombent aux parties sont constitutionnellement protégés par l'article 35. Cette procédure soulève également la question du rôle qui incombe aux tribunaux lorsqu'il s'agit de veiller à ce que les négociations découlant du processus de négociation respectent les devoirs et obligations des parties.

La demanderesse définit comme suit la décision, ou plus précisément l'omission d'agir, qui a donné lieu à la présente demande:

[traduction] Le 19 février 1997, le président de la Société Makivik, Zebedee Nungak, a écrit au ministre du Patrimoine canadien pour lui demander de confirmer dans un délai de deux semaines que le Canada ne procéderait à la création du parc national des monts Torngat qu'avec le consentement des Inuit du Nunavik et dans le cadre du processus de négociation dans lequel le Canada et les représentants des Inuit du Nunavik se sont engagés, comme le montre la pièce 8 de l'affidavit de Sam Silverstone.

Le ministre du Patrimoine canadien a omis de prendre envers les demandeurs l'engagement que ceux-ci demandaient dans la lettre du 19 février 1997.

La demanderesse a formulé les questions comme suit:

[traduction]

i) Étant donné qu'elles se sont engagées dans un processus de négociation dans le contexte constitutionnel et politique qui existe à l'heure actuelle au Canada, les parties ont-elles des obligations légalement exécutoires envers leurs partenaires dans le cadre du processus de négociation et sont-elles assujetties à des restrictions ayant force obligatoire en vertu de la loi à l'égard de leur conduite en ce qui concerne les questions et intérêts qui font l'objet des négociations relatives aux traités?

ii) S'il est répondu à la question formulée en i) par l'affirmative, la Couronne du chef du Canada a-t-elle violé les obligations légalement exécutoires qu'elle avait envers Makivik et les Inuit du Nunavik, dans le cadre du processus de négociation:

a) en s'acharnant à créer le parc national des monts Torngat, dans le nord du Labrador, malgré le processus de négociation dans lequel elle s'est engagée avec les Inuit du Nunavik,

b) en faisant systématiquement en sorte que les Inuit du Nunavik soient exclus du processus fondamental menant à la création du parc, et

c) en refusant en même temps de discuter de la création du parc dans le contexte des négociations relatives au traité avec les Inuit du Nunavik?

La demanderesse sollicite la réparation suivante:

[traduction] Un jugement déclaratoire portant que la Couronne du chef du Canada est tenue de négocier de bonne foi les traités avec les peuples autochtones et que le ministre du Patrimoine canadien, en sa qualité de ministre de la Couronne, est lié par cette obligation.

Un jugement déclaratoire portant qu'en acceptant de négocier les droits que les Inuit du Nunavik déclarent avoir sur le Labrador et les revendications en résultant, en informant les Inuit du Nunavik que le gouvernement du Canada voulait entreprendre des négociations au fond et en entamant des négociations conformément à une entente-cadre avec Makivik, la Couronne du chef du Canada a reconnu les droits que les Inuit du Nunavik déclarent avoir et la revendication en résultant et a engagé sa responsabilité en vue de négocier un traité de bonne foi avec les Inuit du Nunavik et de faire des efforts raisonnables pour conclure et signer un traité avec les Inuit du Nunavik.

Un jugement déclaratoire portant que la Couronne du chef du Canada a reconnu l'existence du droit ancestral des Inuit du Nunavik sur les terres en question en acceptant de négocier les droits que les Inuit du Nunavik déclarent avoir sur le Labrador et les revendications en résultant, en informant les Inuit du Nunavik que le gouvernement du Canada voulait entreprendre des négociations au fond, et en entreprenant des négociations conformément à une entente-cadre conclue avec Makivik.

Un jugement déclaratoire portant que le ministre du Patrimoine canadien viole l'obligation de fiduciaire que la Couronne a envers les demandeurs en refusant de confirmer que, sur le territoire visé par le processus de négociation entrepris avec le gouvernement du Canada un parc national ne sera créé que conformément au processus de négociation qui leur est applicable.

Un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 imposent à la Couronne l'obligation de traiter avec les Inuit du Nunavik avant de créer un parc sur le territoire à l'égard duquel les parties se sont engagées dans un processus de négociation relativement aux droits ancestraux des Inuit du Nunavik.

Un jugement déclaratoire portant que la création d'un parc national dans la région des monts Torngat sans le consentement des Inuit du Nunavik constituerait une violation du processus de négociation et viole donc la règle voulant qu'il n'y ait pas mauvaise foi et que la création dudit parc est inconstitutionnelle.

Un jugement déclaratoire portant que le fait pour les défendeurs de permettre la désignation, à toute fin liée à la création d'un parc national, des terres visées par les négociations dans le cadre du processus de négociation dans lequel les demandeurs se sont engagés est contraire à l'obligation qui incombe à la Couronne de négocier de bonne foi, met en danger l'intégrité du processus et porterait fortement atteinte à son objectif.

Un jugement déclaratoire portant que la Couronne du chef du Canada ne peut pas procéder à la création du parc national des monts Torngat projeté tant qu'elle n'aura pas signé un traité avec les Inuit du Nunavik à l'égard des droits que ceux-ci déclarent avoir sur le Labrador et de la revendication en résultant, que le Canada a accepté de négocier, ou tant que d'autres dispositions qui conviennent aux Inuit de Nunavik n'auront pas été prises.

II.  Les faits

Les événements qui ont donné lieu à la présente procédure peuvent être résumés comme suit:

a)  Négociations relatives au traité

Les Inuit du Nunavik, par l'entremise de Makivik, participent à l'heure actuelle à des négociations relatives à un traité avec la Couronne du chef du Canada.

En 1987, les Inuit du Nunavik, par l'entremise de Makivik, ont soumis leur revendication globale conformément à La Politique des revendications territoriales globales de 1987 du gouvernement fédéral.

Dans la Politique du gouvernement fédéral en vue du règlement des revendications autochtones du mois de mars 1993, la Couronne du chef du Canada a déterminé le but des négociations relatives au traité comme suit [aux pages 7 et 8]:

Les règlements des revendications territoriales sont négociés afin d'apporter des éclaircissements sur les droits des groupes autochtones aux terres et aux ressources d'une façon qui favorisera leur croissance économique et contribuera à la création de l'autonomie gouvernementale autochtone. Les règlements visent à assurer que les droits des groupes autochtones à la gestion des ressources et à la protection environnementale sont reconnus et que les requérants bénéficient des avantages de la mise en valeur.

La décision du gouvernement fédéral d'accepter une revendication globale aux fins de la négociation n'est pas prise à la légère, mais uniquement après que le demandeur autochtone a satisfait aux critères permettant d'établir les droits ancestraux ou le titre aborigène conformément aux exigences des tribunaux. Cela est expressément reconnu dans la Politique du gouvernement fédéral en vue du règlement des revendications autochtones du mois de mars 1993.

Pour que le gouvernement fédéral accepte une demande de revendication globale en vertu de la Politique du gouvernement fédéral en vue du règlement des revendications autochtones du mois de mars 1993, un groupe autochtone doit démontrer ce qui suit [aux pages 5 et 6]:

1. Le groupe autochtone est, et a été, une société organisée.

2. La société organisée a occupé le territoire particulier auquel elle prétend avoir un droit ancestral depuis des temps immémoriaux. L'utilisation et l'occupation traditionnelles du territoire doivent avoir été suffisantes pour qu'elles soient un fait établi au moment où les nations européennes ont prétendu à la souveraineté.

3. L'occupation du territoire par le groupe autochtone exclut en grande partie d'autres sociétés organisées.

4. Le groupe autochtone peut démontrer qu'il a toujours continué d'utiliser et d'occuper de façon ininterrompue les terres à des fins traditionnelles.

5. Les titres ancestraux du groupe et les droits à l'utilisation des ressources n'ont pas fait l'objet d'un traité.

6. Les titres ancestraux n'ont pas été abolis par d'autres moyens juridiques.

La procédure prévue par La Politique des revendications territoriales globales de 1987 du gouvernement fédéral comporte les étapes suivantes:

1. Énoncé de la revendication

2. Acceptation de la revendication

3. Négociations préliminaires

4. Entente-cadre

5. Entente de principe

6. Entente finale

La Politique des revendications territoriales globales de 1987 dit ceci, en ce qui concerne les "ententes-cadres" [à la page 24]:

On entreprendra des négociations en vue de l'élaboration d'une entente-cadre lorsque le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien jugera que les chances de succès des négociations sont fortes, [. . .]

On négociera une entente-cadre qui servira à déterminer le processus et la portée des négociations, les sujets à traiter et les paramètres à respecter. Les moyens à employer pour obtenir la certitude concernant les terres et les ressources en question, ainsi que le calendrier des négociations, seront aussi prévus dans l'entente-cadre.

L'entente-cadre, de même que toute modification importante qu'on entend y apporter, seront présentées au gouvernement fédéral pour étude et approbation.

En ce qui concerne les Inuit du Nunavik, des négociations préliminaires ont été engagées et ont abouti à la signature d'une entente-cadre.

Les mesures prises dans le cadre de ce processus peuvent être résumées comme suit:

1)  Un avis formel des droits que possèdent les Inuit du Nunavik sur le Labrador et la zone marine tels qu'ils ont été reconnus et confirmés à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 a été donné au gouvernement du Canada le 1er avril 1985.

2)  Le 18 juin 1987, Makivik a déposé pour le compte des Inuit du Nunavik devant le Bureau des revendications globales, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, un énoncé initial à l'égard de l'utilisation et de l'occupation des terres des Inuit dans le nord québécois, au Labrador, ainsi que de la zone située au large des côtes du Labrador.

3)  Par une lettre datée du 7 novembre 1990, l'honorable Tom Siddon, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, a informé le sénateur Charlie Watt, président de Makivik, que le Ministère avait terminé son examen de l'énoncé des Inuit du Nunavik et des documents présentés à l'appui et qu'il avait conclu avec le ministère de la Justice que les documents soumis [traduction] "ne satisfaisaient pas aux critères du ministère en ce qui concerne l'acceptation d'une revendication globale aux fins de la négociation".

4)  Le Bureau des revendications globales a avisé Makivik que des renseignements additionnels devraient être fournis et a indiqué six (6) catégories additionnelles de renseignements qui devraient être fournis avant que l'énoncé de Makivik concernant les droits ancestraux existant au Labrador soit examiné aux fins de l'acceptation en vertu de la politique relative aux revendications. Les six (6) catégories de renseignements en question sont ci-après énoncées:

" une preuve archéologique et une preuve concernant l'occupation préhistorique de la région désignée dans la revendication globale;

" l'utilisation du Labrador par les Inuit du Nunavik pendant les temps historiques, tels qu'ils ont été définis par le Bureau des revendications globales, à savoir la période allant des premiers contacts avec les Européens jusqu'à l'année 1930;

" les antécédents familiaux et les liens généalogiques qui établissent les relations existant entre les Inuit du Nunavik contemporains d'une part et les terres et la zone située au large de la côte du Labrador d'autre part;

" l'évolution historique de la région de Port Burwell-Killiniq par rapport à l'établissement initial et aux déplacements;

" les descriptions et analyses des tendances relatives à l'utilisation et à l'occupation des terres, au Labrador, par les Inuit du Nunavik;

" une carte indiquant clairement la région visée par la revendication.

5)  Des renseignements supplémentaires intégrés à l'énoncé initial ont été fournis au gouvernement le 27 octobre 1992, dans l'énoncé intégré.

6)  L'énoncé intégré de 1992 soumis par Makivik comprend des cartes détaillées des terres des Inuit du Nunavik et traite de l'utilisation des ressources et de l'occupation desdites terres au Labrador; il indique une utilisation et une occupation étendues et intensives dans toute la région du parc national projeté.

7)  Le 23 juin 1993, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a confirmé que les revendications des Inuit du Nunavik concernant les droits ancestraux que ceux-ci possèdent sur certaines parties du Labrador avaient été acceptées aux fins de la négociation et a fait savoir que le gouvernement du Canada voulait entamer les négociations au fond.

8)  Le 19 août 1993, le gouvernement du Canada et Makivik ont signé une entente-cadre, dont le but était de "favoriser des négociations efficaces, expéditives et ordonnées en vue de la conclusion d'une entente de principe" (paragraphe 1.1) et dans laquelle étaient indiqués les paramètres du processus de négociation, la portée des négociations, le programme, le financement et le calendrier des négociations (paragraphe 1.2); dans le préambule, il était entre autres déclaré que les parties entreprenaient les négociations de bonne foi.

Le gouvernement du Canada a récemment confirmé que la revendication globale de Makivik avait été acceptée à l'égard du nord du Labrador et que le Canada et les Inuit du Nunavik s'étaient engagés dans un processus de négociation comme le montrent plus pleinement les lettres du ministre Ronald Irwin du 3 octobre et du 26 octobre 19961.

[traduction] Le gouvernement du Canada veut confirmer que la revendication globale de Makivik a été acceptée à l'égard du nord du Labrador comme il en est fait mention dans la lettre du 23 juin 1993 que l'honorable Pierre Vincent, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l'époque, a envoyée au sénateur Charlie Watt, qui était alors président de Makivik. Une copie de cette lettre est jointe aux présentes pour votre gouverne.

b) Le processus relatif au parc national des monts Torngat

La région des monts Torngat du Labrador a d'abord été proposée par Parcs Canada comme parc national éventuel au milieu des années 1970, mais l'examen plus approfondi de la question a été reporté tant que les revendications territoriales des autochtones dans les régions en cause n'auraient pas été examinées.

Le parc national des monts Torngat projeté serait situé dans la région qui fait l'objet des négociations conformément au processus de négociation dans lequel la demanderesse et le gouvernement du Canada se sont engagés.

Les monts Torngat comprennent les terres situées dans le nord de la Péninsule d'Ungava-Labrador; la frontière du Québec passe par cet endroit; les monts Torngat s'étendent également à l'est jusqu'à la mer du Labrador.

La politique du gouvernement fédéral concernant la création de parcs nationaux vise à s'appliquer de façon à protéger les droits des autochtones tels que le prescrivent les tribunaux et la Constitution.

Les principes directeurs énoncés dans le document intitulé: Principes directeurs et politiques de gestion de Parcs Canada de 1994 et la politique de gestion de Parcs Canada, lorsque de nouveaux parcs nationaux sont sélectionnés et évalués, sont ci-après énoncés [aux pages 26 et 27]:

1.2.2

La sélection de ces parcs tient compte d'une vaste gamme de facteurs:

[. . .]

xi) les implications des répercussions [sic] des droits des autochtones, des revendications territoriales globales et des traités; et

[. . .]

1.2.3

La sélection des éventuels parcs nationaux se fait en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, les autres organismes publics, les peuples autochtones concernés et le public.

[. . .]

1.3.1

En collaboration avec les gouvernements provinciaux ou territoriaux, Parcs Canada évalue les projets de création d'un nouveau parc. Il le fait dans le cadre d'autres processus comme la planification régionale de l'utilisation du territoire, les stratégies provinciales des aires protégées ou les négociations territoriales globales des autochtones.

Le 23 novembre 1992, le ministre de l'Environnement fédéral, le ministre du Tourisme et de la Culture de Terre-Neuve et du Labrador et le président de l'Association des Inuit du Labrador ont annoncé qu'une étude serait effectuée en vue de déterminer s'il était possible de créer un nouveau parc national dans la région des monts Torngat.

La première réunion du groupe de travail chargé d'évaluer le projet de création d'un parc national dans la région des monts Torngat a eu lieu le 16 février 1993.

De 1995 à 1997, Makivik a tenté, par des moyens formels et informels, d'obtenir des garanties que le parc ne serait pas créé sans le consentement des Inuit du Nunavik.

De la fin de l'année 1993 jusqu'au début de l'année 1996, Makivik a tenté d'en arriver, avec l'Association des Inuit du Labrador, à une entente parallèle qui aurait entre autres traité du processus de planification du parc.

Le 28 septembre 1995, Makivik a envoyé une lettre aux trois membres du comité directeur chargé d'évaluer le projet de création d'un parc national dans la région des monts Torngat pour les informer que les Inuit du Labrador n'étaient pas le seul groupe autochtone ayant des droits et des intérêts reconnus dans la région et pour demander que Makivik soit invitée à participer à titre de membre aux travaux du comité directeur et du groupe de travail.

Parcs Canada a refusé de permettre à Makivik de participer aux travaux du groupe de travail et du comité directeur après que le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador eut fait savoir qu'il n'appuyait pas la demande que cette dernière avait présentée.

La région que le groupe de travail devait étudier ainsi que la région située en-deçà des limites de l'éventuel parc national des monts Torngat forment 80 p. 100 du territoire visé par la revendication des Inuit du Nunavik que le gouvernement du Canada a acceptée aux fins de la négociation.

Le 5 novembre 1997, le Canada, le gouvernement de Terre-Neuve et l'Association des Inuit du Labrador ont annoncé qu'ils avaient ratifié une entente concernant le règlement de la revendication territoriale globale de l'Association des Inuit du Labrador. L'entente prévoit entre autres l'inclusion de l'éventuel parc national des monts Torngat dans une région d'établissement des Inuit du Labrador où l'Association des Inuit du Labrador et ses membres doivent notamment jouir de droits prioritaires d'exploitation à des fins de subsistance et du droit de collaborer avec les gouvernements à la gestion de la faune et de la flore ainsi qu'à l'évaluation environnementale.

Dans un communiqué de presse daté du 5 novembre 1997 du gouvernement de Terre-Neuve portant sur l'entente relative à la revendication territoriale de l'Association des Inuit du Labrador et dans les documents d'information concernant les négociations relatives aux revendications territoriales au Labrador qui y étaient joints figure la déclaration suivante:

[traduction] Les hauts fonctionnaires des gouvernements fédéral et provincial et l'AIL en sont arrivés à une entente au sujet des principales questions qui se posent, cette entente étant destinée à faciliter la conclusion d'une entente de principe. Les négociateurs ont convenu de tenir compte des éléments suivants:

1)  Régime territorial

L'entente crée deux catégories de terres, d'une superficie totale de 28 000 milles carrés, dans le nord du Labrador:

a) Les terres des Inuit du Labrador (TIL)"Les Inuit du Labrador obtiendront un titre de surface sur une aire de 6 100 milles carrés où ils jouiront d'un ensemble important de droits et d'avantages, y compris des droits d'exploitation exclusifs et le contrôle des nouveaux projets.

b) Région d'établissement des Inuit du Labrador (REIL)"Cette région, d'une superficie totale de 21 900 milles carrés, comprendra le parc national des monts Torngat projeté, d'une superficie d'environ 3 000 milles carrés. Dans la REIL, les Inuit du Labrador jouiront notamment de droits prioritaires d'exploitation à des fins de subsistance et auront le droit de participer, avec les gouvernements, à la gestion de la faune et de la flore ainsi qu'à l'évaluation environnementale2 .

Selon le Premier ministre Brian Tobin, de Terre-Neuve, l'entente servira de fondement à une entente de principe qui doit être conclue d'ici quelques mois3.

La demanderesse allègue qu'en plus du refus du Canada d'inclure les Inuit du Nunavik dans le processus de création du parc, le Canada a refusé de discuter de la création du parc des monts Torngat lorsqu'il s'est agi de négocier le traité avec les Inuit du Nunavik.

La demanderesse allègue que la province de Terre-Neuve et l'Association des Inuit du Labrador ont toutes les deux pu invoquer leur position au sein du comité directeur et du groupe de travail de façon à s'assurer que certaines terres jugées cruciales à leurs intérêts ne feraient pas partie du parc projeté. La demanderesse allègue plus précisément ce qui suit:

[traduction]

1) En ce qui concerne l'industrie minière, le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador a décidé que les terres du groupe de Ramah et les terres adjacentes, à l'est, devaient continuer à être accessibles aux fins des travaux d'exploration et d'exploitation minières, de sorte que le groupe de travail les a exclues du parc projeté.

2) En ce qui concerne l'Association des Inuit du Labrador, les terres situées entre les fjords Saglek et Hebron ont également été exclues du parc parce que l'Association des Inuit du Labrador estimait que toute cette région devait continuer à être disponible en vue d'une utilisation par les Inuit du Labrador, sans qu'un parc national s'y trouve.

3) Les fjords qui forment la côte près des monts Torngat sont également demeurés en dehors des limites finales projetées du parc parce que l'Association des Inuit du Labrador voulait continuer à avoir le choix de se livrer à la pêche commerciale dans ces fjords.

4) La partie la plus éloignée au nord du parc projeté, d'une superficie de 806 kilomètres carrés, qui fait clairement partie du territoire utilisé et occupé par les Inuit du Nunavik, comme l'a reconnu le gouvernement du Canada, a été ajoutée au parc projeté vers la fin du processus de planification, après que les terres situées au sud eurent été exclues afin de protéger les intérêts miniers de Terre-Neuve et les aspirations de l'AIL en ce qui concerne la pêche commerciale.

III.  Position de la demanderesse

La demanderesse affirme ce qui suit:

1) La présente procédure n'influe pas sur les droits de la province.

2) Aux fins de la présente procédure, les demandeurs n'ont pas demandé de détermination au sujet des droits ancestraux qu'ils ont sur les terres et sur les eaux, au Labrador, au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

3) La présente procédure se rapporte aux obligations qui incombent à la Couronne du chef du Canada par suite de l'entente qu'elle a conclue en vue de négocier avec les demandeurs un traité visant à régler la revendication territoriale globale conformément à l'Entente-cadre du 19 août 1993 ainsi qu'à la Politique des revendications [territoriales] globales du gouvernement fédéral de 1987 et à la Politique du gouvernement fédéral en vue du règlement des revendications autochtones du mois de mars 1993.

La demanderesse soutient que dans le jugement que la Cour suprême du Canada vient de rendre dans l'affaire Delgamuukw c. Colombie-Britannique4, il a été souligné qu'il était important que les négociations avec les nations autochtones qui ont des droits sur le territoire revendiqué soient menées de bonne foi:

En outre, la Couronne a l'obligation morale, sinon légale, d'entamer et de mener ces négociations de bonne foi. En fin de compte, c'est au moyen de règlements négociés"toutes les parties négociant de bonne foi et faisant les compromis qui s'imposent"processus renforcé par les arrêts de notre Cour, que nous pourrons réaliser ce que, dans Van der Peet , précité, au par. 31, j'ai déclaré être l'objet fondamental du par. 35(1), c'est-à-dire "concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté". Il faut se rendre à l'évidence, nous sommes tous ici pour y rester.

En outre, il incombe aux défendeurs de faire preuve de bonne foi lorsqu'ils s'acquittent des obligations contractuelles qui leur incombent en vertu de l'Entente-cadre du 19 août 1993.

La demanderesse soutient que le fait qu'on a accepté le rejet par la province des droits visés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 tels qu'ils sont revendiqués par les peuples autochtones, n'est pas déterminant en ce qui concerne l'existence de ces droits.

Il serait également abusif d'invoquer le fait que l'intervenante a refusé de reconnaître les droits que la demanderesse possède à Terre-Neuve pour refuser la réparation sollicitée, soit un jugement déclaratoire portant que la demanderesse a le droit de s'engager dans un processus de négociation sans que le territoire en question ait été désigné au préalable, ce processus visant à protéger les droits de la demanderesse et à assurer une plus grande certitude pour tous les intéressés.

La demanderesse cite le passage suivant d'un document relatif à la politique fédérale:

On entend souvent dire que le gouvernement fédéral cherche à abolir ou à éteindre tous les droits ancestraux en concluant des ententes de règlement des revendications. Cela n'est pas le cas. L'objectif du gouvernement est de négocier des ententes qui établiront une certitude quant aux droits aux terres et aux ressources dans les régions où les droits ancestraux n'ont pas été réglés par traité ni par un autre moyen juridique. Ce faisant, les droits spéciaux des groupes autochtones sur lesquels on vient à s'entendre sont énoncés dans les ententes ou les traités reconnus dans la Constitution5.

Aux fins qui nous occupent, la demanderesse invoque la revendication relative aux droits ancestraux qu'elle possède sur le Labrador et sur la zone marine uniquement dans la mesure où ces droits ont été reconnus par le Canada aux fins de la négociation.

Le gouvernement fédéral, au moyen de La Politique des revendications territoriales globales, les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, et la Commission royale sur les peuples autochtones, ont tous reconnu que la détermination judiciaire n'est pas l'unique façon de reconnaître et de confirmer les droits ancestraux et les droits issus de traités; de fait, ce n'est peut-être même pas la meilleure façon de le faire.

C'est ce que le juge en chef a dit dans l'arrêt Delgamuukw. Une remarque similaire a été faite par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt MacMillan Bloedel.

[traduction] Je crois qu'il est juste de dire qu'en fin de compte le public s'attend à ce que les revendications fassent l'objet de négociations et d'un règlement. Cette procédure judiciaire ne constitue qu'une petite partie de l'ensemble d'un processus entre les gouvernements et les nations indiennes6.

Dans l'arrêt Delgamuukw [à la page 1135], M. le juge La Forest a cité en les approuvant les remarques que la Commission royale sur les peuples autochtones [Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones] avait faites à l'égard du bien-fondé relatif de la reconnaissance négociée des droits ancestraux et du titre aborigène par rapport aux solutions imposées par les tribunaux. Dans le passage que M. le juge La Forest a cité, la Commission royale dit ceci [vol. 2 "Une relation à redéfinir" à la page 625]:

Ces conditions font que le droit n'est qu'une partie d'un plus vaste processus politique de négociation et de réconciliation. Comme l'a fait remarquer récemment un groupe de travail de l'Association du Barreau canadien, "[d]e toute évidence, l'action judiciaire ne permettra pas de résoudre toutes les difficultés relatives aux réclamations des autochtones, bien que les tribunaux soient utiles pour régler certaines questions en ce sens, ou pour inciter les parties à régler leurs différends par d'autres voies".

[. . .]

Les négociations sont nettement préférables aux solutions imposées par les tribunaux. L'examen des revendications par les tribunaux est coûteux et long, tandis que la négociation permet à chacune des parties de prendre en considération les besoins réels de l'autre et de procéder à des compromis complexes et mutuellement acceptables. Un accord négocié a plus de chances d'être jugé légitime qu'une solution judiciaire, ne serait-ce qu'en raison de la participation plus directe et constructive des parties au processus. Par ailleurs, la négociation est le reflet du rapport de nation à nation qui sert de pierre angulaire au titre ancestral et de cadre aux relations entre les nations autochtones et la Couronne.

La demanderesse cite l'arrêt R. c. Sparrow7, dans lequel le juge en chef Dickson a dit ceci:

Il est donc clair que le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 représente l'aboutissement d'une bataille longue et difficile à la fois dans l'arène politique et devant les tribunaux pour la reconnaissance de droits ancestraux. La forte représentation des associations autochtones et d'autres groupes soucieux du bien-être des peuples autochtones du Canada a rendu possible l'adoption du par. 35(1) et il est important de souligner que cette disposition s'applique aux Indiens, aux Inuit et aux Métis. Le paragraphe 35(1) procure, tout au moins, un fondement constitutionnel solide à partir duquel des négociations ultérieures peuvent être entreprises. Il accorde également aux autochtones une protection constitutionnelle contre la compétence législative provinciale. Nous sommes évidemment conscients que cela découlerait de toute façon de l'arrêt Guerin, précité, mais pour bien comprendre la situation, il est essentiel de se rappeler que l'arrêt Guerin a été rendu après l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982. En outre, en plus de son effet sur les droits ancestraux, le par. 35(1) a clarifié d'autres points concernant l'application des droits issus de traités (voir Sanders, "Pre-existing Rights: The Aboriginal Peoples of Canada," dans Beaudoin et Ratushny (éd.), The Canadian Charter of Rights and Freedoms , 2e éd., particulièrement à la p. 730).

À notre avis, l'importance du par. 35(1) va au-delà de ces effets fondamentaux. Dans "An Essay on Constitutional Interpretation" (1988), 26 Osgoode Hall L.J. 95, à la p. 100, le professeur Lyon dit ceci au sujet du par. 35(1):

[traduction] [. . .] le contexte de l'année 1982 nous fournit assurément une indication suffisante qu'il ne s'agit pas d'une simple codification de la jurisprudence portant sur les droits ancestraux qui existait en 1982. L'article 35 exige un règlement équitable en faveur des peuples autochtones. Il écarte les anciennes règles du jeu en vertu desquelles Sa Majesté établissait des cours de justice auxquelles elle refusait le pouvoir de mettre en doute Ses revendications souveraines.

La demanderesse cite également l'arrêt R. c. Van der Peet8, dans lequel le juge en chef Lamer a parlé des principes généraux qui s'appliquent aux litiges entre les peuples autochtones et la Couronne.

Toutefois, avant d'analyser le par. 35(1) en fonction de son objet, il convient de signaler qu'une telle analyse doit être faite à la lumière des principes généraux applicables aux rapports juridiques entre l'État et les peuples autochtones. Dans l'arrêt Sparrow, précité, notre Cour a statué, à la p. 1106, que le par. 35(1) doit recevoir une interprétation généreuse et libérale en faveur des autochtones:

Si on considère les objectifs de la confirmation des droits ancestraux, il est évident qu'une interprétation généreuse et libérale du texte de cette disposition constitutionnelle s'impose. [Je souligne.]

Ce principe d'interprétation, qui a d'abord été énoncé dans le contexte des droits issus de traités";Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, à la p. 402; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 36; R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901, à la p. 907; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, à la p. 1066"découle de la nature des rapports entre l'État et les peuples autochtones. L'État a, envers les peuples autochtones, une obligation de fiduciaire qui a pour conséquence de mettre son honneur en jeu lorsqu'il traite avec eux. En raison de cette obligation de fiduciaire et de l'incidence de cette obligation sur l'honneur de l'État, les traités, le par. 35(1) et les autres dispositions législatives et constitutionnelles protégeant les droits des peuples autochtones doivent recevoir une interprétation généreuse et libérale: R. c. George , [1966] R.C.S. 267, à la p. 279. Ce principe général doit guider la Cour dans l'analyse des objets qui sous-tendent le par. 35(1), ainsi que dans l'analyse de la définition et de la portée de cette disposition.

L'existence des rapports de fiduciaire qui existent entre l'État et les peuples autochtones emporte en outre que les doutes ou ambiguïtés concernant la portée et la définition des droits visés par le par. 35(1) doivent être résolus en faveur des peuples autochtones. Dans R. c. Sutherland, [1980] 2 R.C.S. 451, à la p. 464, le juge Dickson a affirmé, relativement à la clause 13 de la Convention entre le Manitoba et le Canada, un document constitutionnel, qu'il "faut l'interpréter de façon à résoudre tout doute en faveur des Indiens, les bénéficiaires des droits ainsi garantis". Ce principe d'interprétation s'applique également au par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et, je le répète, il devrait guider la Cour dans son analyse de l'objet de cette disposition.

La demanderesse se fonde également sur la décision que la Cour suprême du Canada vient de rendre dans l'affaire Delgamuukw. Le juge en chef Lamer a parlé de la compétence du gouvernement fédéral9:

Je termine par deux remarques. Premièrement, même si ce point n'avait pas été tranché, je serais parvenu à la même conclusion. Les juges de la juridiction inférieure ont souligné que le fait de dissocier la compétence du gouvernement fédéral à l'égard des Indiens et sa compétence à l'égard des terres indiennes produirait un résultat très regrettable: en effet, comme le gouvernement fédéral est investi par la Constitution de la responsabilité principale de garantir le bien-être des peuples autochtones du Canada, il se verrait dans l'impossibilité de protéger l'un des droits les plus fondamentaux des autochtones"savoir leur droit à leurs terres. Deuxièmement, même si les observations des parties et mon analyse étaient axés sur la question de la compétence à l'égard du titre aborigène, je suis d'avis que le même raisonnement s'applique à la compétence à l'égard de tout droit ancestral se rapportant à des terres. Comme je l'ai expliqué précédemment, l'arrêt Adams a clairement établi que des droits ancestraux peuvent être rattachés à un territoire sans constituer un titre. Cependant, ces divers rapports avec un territoire peuvent être tout aussi fondamentaux pour les peuples autochtones et, pour la même raison il doit être investi de la compétence à l'égard du titre aborigène [sic], le gouvernement fédéral doit être investi du pouvoir de légiférer sur les autres droits ancestraux se rapportant au territoire.

[. . .]

Notre Cour ne s'est pas prononcée définitivement sur l'étendue de la compétence du gouvernement fédéral à l'égard des Indiens. Elle n'a pas eu besoin de le faire parce que la validité des dispositions fédérales concernant les Indiens, dans le contexte du partage des pouvoirs, n'a jamais été en cause. Les affaires qui ont été soumises à la Cour relativement au par. 91(24) ont plutôt soulevé la question de la compétence à l'égard des Indiens du point de vue opposé: c'est-à-dire en posant la question de savoir si des lois provinciales qui, à première vue, s'appliquent aux Indiens, empiètent sur la compétence du gouvernement fédéral, et si ces lois sont inapplicables aux Indiens dans la mesure de cet empiètement. Comme je l'explique plus loin, la Cour a statué que, par le principe de l'exclusivité des compétences, le par. 91(24) protège l'"essentiel" de la quiddité indienne, ou indianité, contre les empiètements provinciaux.

Il s'ensuit, à tout le moins, que l'essentiel de l'indianité relève de la compétence du fédéral sur les Indiens. Pour des raisons que je vais exposer, l'essentiel de l'indianité englobe les droits ancestraux, y compris les droits reconnus et confirmés par le par. 35(1). Les lois censées éteindre ces droits portent donc atteinte à l'essentiel de l'indianité qui est au cœur du par. 91(24), et elles outrepassent la compétence législative des provinces. L'essentiel de l'indianité englobe toute la gamme des droits ancestraux protégés par le par. 35(1). Ces droits comprennent les droits se rapportant à un territoire; cette partie de l'essentiel de l'indianité découle de la référence aux "terres réservées aux Indiens" au par. 91(24). Cependant, ces droits comprennent également les coutumes, pratiques et traditions qui ne se rattachent pas à un territoire; cette partie de l'essentiel de l'indianité découle de la compétence du fédéral à l'égard des "Indiens". Il est interdit aux gouvernements provinciaux de faire des lois portant sur ces deux types de droits ancestraux.

L'avocat de la demanderesse a affirmé qu'il incombe à la Cour d'aider et d'encourager le processus de négociation. L'avocat s'est fondé sur l'arrêt MacMillan Bloedel10, dans lequel les remarques suivantes sont faites:

[traduction] Le fait qu'il existe un litige entre les Indiens et la province au sujet des revendications autochtones ne devrait surprendre personne. Les Indiens font ces revendications depuis de nombreuses années. Elles ont été avancées dans l'affaire Calder, et la moitié de la Cour croyait qu'elles étaient dans une certaine mesure fondées. La Loi constitutionnelle de 1982 a reconnu et confirmé "les droits existants"ancestraux ou issus de traités"des peuples autochtones du Canada". Le gouvernement fédéral a accepté de négocier certaines revendications. D'autres revendications viennent d'être faites. Une autre action a été intentée par d'autres bandes indiennes à l'égard de terres situées dans le nord-ouest de la province. Il est important de noter qu'aucune injonction n'a été sollicitée dans cette action-là. Je crois qu'il est juste de dire qu'en fin de compte le public s'attend à ce que les revendications fassent l'objet de négociations et d'un règlement. Cette procédure judiciaire ne constitue qu'une petite partie de l'ensemble d'un processus, qui trouvera finalement sa solution dans un échange raisonnable entre les gouvernements et les nations indiennes. Considéré dans ce contexte, je ne crois pas qu'il soit raisonnablement possible de dire que l'octroi d'une injonction interlocutoire ne visant que l'île Meares jettera de la confusion et de l'incertitude dans l'esprit du public.

L'avocat de la demanderesse a également cité le passage suivant de la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Bande indienne de Montana c. Canada11:

La Cour est également d'avis que l'objet du litige, dans la mesure où il comporte la constitutionnalité de la mesure législative accessoire à la Loi de 1870 sur le Manitoba, peut être réglé devant les tribunaux judiciaires et qu'un jugement déclaratoire peut être accordé à la discrétion de la Cour à l'appui de revendications extrajudiciaires dans un cas qui se prête à cela.

L'affaire en l'espèce n'est pas sans ressemblance avec celle-là. Comme l'a noté le juge en chef adjoint, les appelants s'appuient sur des séries d'instruments constitutionnels complexes pour justifier les jugements déclaratoires réclamés.

Il s'agit aussi d'une affaire où l'avocat des appelants a établi clairement que, si les jugements déclaratoires réclamés étaient obtenus, ils pourraient bien être utilisés à l'appui de "revendications extrajudiciaires". Dans un tel cas, il pourrait ne jamais y avoir une deuxième étape au processus, comme l'a décrit le juge en chef adjoint. Le règlement négocié des demandes autochtones constitue une autre possibilité dans le contexte contemporain.

L'avocat a attiré l'attention de la Cour sur les passages suivants du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones12:

Ces conditions font que le droit n'est qu'une partie d'un plus vaste processus politique de négociation et de réconciliation. Comme l'a fait remarquer récemment un groupe de travail de l'Association du Barreau canadien, "[d]e toute évidence, l'action judiciaire ne permettra pas de résoudre toutes les difficultés relatives aux réclamations des autochtones, bien que les tribunaux soient utiles pour régler certaines questions en ce sens, ou pour inciter les parties à régler leurs différends par d'autres voies". À nos audiences, le Sommet des Premières nations de Colombie-Britannique par la voix du chef Edward John, abondait dans le même sens:

[traduction] Les tribunaux n'ont jamais eu pour rôle de définir les conditions détaillées des ententes entre la Couronne et les Premières nations. Nous nous sommes adressés aux tribunaux pour défendre nos intérêts. Nous estimons que les tribunaux sont des sortes de guides pour le gouvernement en ce qui concerne les droits des peuples autochtones et les obligations qui en découlent.

    Le chef Edward John

    Sommet des Premières nations de Colombie-Britannique

    Prince George (Colombie-Britannique)

    1er juin 1993

[. . .]

Le recours aux mesures de redressement provisoire est étroitement lié au processus plus vaste de la négociation de nation à nation. Les mesures de redressement provisoire contre les activités de la Couronne et de tiers sur un territoire en litige ne peuvent manquer d'inciter la Couronne à chercher une entente sur les terres et les ressources. Étant donné que la négociation est préférable à la contestation devant les tribunaux pour résoudre les litiges opposant la Couronne et les nations autochtones, [traduction] "les tribunaux devraient formuler leurs mesures de redressement de manière à faciliter les négociations entre les Premières nations, les gouvernements et les autres parties concernées". Quant aux peuples autochtones, ils ne tireront des gains importants des négociations que si les tribunaux ordonnent des mesures accordant aux parties autochtones un pouvoir de négociation beaucoup plus grand que celui que leur confère actuellement le droit canadien.

Compte tenu de ces ouvrages et arrêts, l'avocat de la demanderesse invite la Cour à tirer la conclusion suivante:

[traduction] Le gouvernement fédéral, au moyen de La Politique des revendications territoriales globales, les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, et la Commission royale sur les peuples autochtones, ont tous reconnu que la détermination judiciaire n'est pas l'unique façon de reconnaître et de confirmer les droits ancestraux et les droits issus de traités; de fait, ce n'est peut-être même pas la meilleure façon de le faire.

Les tribunaux ont dit que les questions fondamentales complexes peuvent souvent être mieux réglées au moyen de négociations plutôt qu'au moyen d'un litige, mais ils ont également clairement dit que les tribunaux ont un rôle utile lorsqu'il s'agit de faciliter le processus de négociation.

La Commission royale sur les peuples autochtones a demandé avec instance aux tribunaux de "formuler leurs mesures de redressement de manière à faciliter les négociations".

La Commission royale sur les peuples autochtones affirme que la participation du gouvernement et celle des autochtones, dans le cadre de négociations de nation à nation, "est essentielle à la reconnaissance et à la confirmation constitutionnelles des droits ancestraux" en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 .

Le processus de négociation relève principalement du gouvernement fédéral et c'est le gouvernement du Canada qui est en fin de compte responsable, en vertu de la Constitution, de la conduite des négociations.

De toute évidence, s'il existe un doute au sujet de la question de savoir si le processus de négociation lui-même est visé par le paragraphe 35(1), ce doute ou cette ambiguïté doivent être résolus en faveur des Inuit du Nunavik.

La demanderesse soutient qu'il est maintenant bien établi qu'il existe un rapport de fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones, lequel donne lieu à des obligations de fiduciaire. À l'appui de cet argument, elle se fonde sur la décision Sparrow, à la page 1108:

Dans l'affaire Guerin, précitée, la bande indienne Musqueam avait cédé des terres réservées à Sa Majesté pour que celle-ci les loue à un club de golf. Les conditions du bail consenti par Sa Majesté étaient beaucoup moins favorables que celles approuvées par la bande à l'assemblée de la cession. Notre Cour a statué que Sa Majesté a envers les Indiens une obligation de fiduciaire en ce qui concerne leurs terres. La nature sui generis du titre indien de même que les pouvoirs et la responsabilité historiques de Sa Majesté constituent la source de cette obligation de fiduciaire. À notre avis, l'arrêt Guerin, conjugué avec l'arrêt R. v. Taylor and Williams (1981), 34 O.R. (2d) 360, justifie un principe directeur général d'interprétation du par. 35(1), savoir, le gouvernement a la responsabilité d'agir en qualité de fiduciaire à l'égard des peuples autochtones. Les rapports entre le gouvernement et les autochtones sont de nature fiduciaire plutôt que contradictoire et la reconnaissance et la confirmation contemporaines des droits ancestraux doivent être définies en fonction de ces rapports historiques.

Il est bien établi que les genres de rapports qui donnent lieu à des obligations de fiduciaire ne sont pas limités et que le contenu de l'obligation de fiduciaire dépend du genre de rapport en cause. En l'espèce, la demanderesse demande à cette Cour de confirmer que l'obligation découle du rapport établi au moyen du processus de négociation.

La demanderesse soutient que des restrictions sont imposées à l'égard de la façon dont la Couronne agit envers les peuples autochtones. Ces restrictions s'appliquent non seulement aux actes commis par la Couronne, mais aussi à l'omission d'agir. Comme la Cour suprême l'a dit dans l'arrêt Sparrow13:

Notre histoire démontre, trop bien malheureusement, que les peuples autochtones du Canada ont raison de s'inquiéter au sujet d'objectifs gouvernementaux qui, bien que neutres en apparence, menacent en réalité l'existence de certains de leurs droits et intérêts. En accordant aux droits ancestraux le statut et la priorité propres aux droits constitutionnels, le Parlement et les provinces ont sanctionné les contestations d'objectifs de principe socio-économiques énoncés dans des textes législatifs, dans la mesure où ceux-ci portent atteinte à des droits ancestraux.

En outre, le gouvernement du Canada et Makivik ont conclu une entente-cadre dans laquelle ils s'engageaient mutuellement à entreprendre des négociations de bonne foi en vue de conclure une entente à l'égard des revendications territoriales globales, et ce, en temps opportun et d'une façon expéditive. Cette Cour a le droit de déterminer si les défendeurs ont satisfait à cette obligation.

En l'espèce, toute prétention du Canada ou de Terre-Neuve selon laquelle la promesse que la Couronne a faite de s'engager dans un processus de négociation n'inclut pas les obligations exécutoires qu'elle a envers les Inuit du Nunavik; en ce qui concerne les obligations de fiduciaire qui incombent à la Couronne, il faut tenir compte de l'évolution du droit en déterminant les droits ancestraux.

Les Inuit du Nunavik soutiennent que tout doute ou toute ambiguïté au sujet des responsabilités qui incombent à la Couronne dans le cadre du processus de négociation doit être résolu de façon à satisfaire à l'obligation de fiduciaire que la Couronne a envers la demanderesse, cette obligation comprenant l'obligation de protéger les intérêts de cette dernière et étant exécutoire par voie judiciaire.

En s'entendant avec le gouvernement de Terre-Neuve pour négocier la création du parc projeté dans la région des monts Torngat en l'absence des Inuit du Nunavik, le défendeur a accordé la préférence aux vœux exprimés par Terre-Neuve et à ses propres buts, soit la création d'un parc, au lieu de chercher à mener à bonne fin le processus de négociation dans lequel il s'est engagé avec la demanderesse, et ce, en violation de ses obligations de fiduciaire.

Il est tout à fait approprié pour cette Cour d'intervenir de façon à empêcher la Couronne d'agir d'une façon contraire à son obligation de fiduciaire.

La demanderesse conclut qu'étant donné que l'offre qu'elle a faite en vue de la négociation d'un traité a été acceptée et que des négociations ont été entamées à cette fin, le gouvernement du Canada est tenu de faire preuve de bonne foi dans ses négociations de façon à tenter de régler les questions liées aux droits revendiqués.

IV.  Position du défendeur

Dans l'affidavit du 26 mai 1997 de Michael W. Porter, directeur général intérimaire, Direction générale des Parcs nationaux, le gouvernement du Canada a fourni les renseignements suivants au sujet du processus de création du parc:

[traduction] En attendant tout transfert de l'administration et du contrôle des terres à la Couronne du chef du Canada aux fins d'un parc national, le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador a compétence sur les terres et ressources dans la région du parc national projeté. Par conséquent, depuis que le gouvernement provincial a fait savoir, en octobre 1995, qu'il ne ferait pas droit à la demande de Makivik, qui voulait être invitée à participer à titre de membre aux travaux du comité directeur et du groupe de travail, mon personnel et moi-même avons tenté de trouver une solution de rechange qui permettrait à Makivik et aux Inuit du Nunavik d'avoir un rôle véritable dans le processus de création du parc, tout en respectant les restrictions auxquelles donnait lieu la position de Terre-Neuve.

Par conséquent, dans la lettre que j'ai envoyée à M. Silverstone le 23 février 1996, j'ai également fait savoir que Parcs Canada était prêt à rencontrer les représentants de Makivik dans le cadre d'un processus parallèle, ainsi que les représentants de l'AIL si elle le voulait, en vue d'examiner les questions relevant de la compétence fédérale, dans la mesure où elles touchent à la conclusion d'une entente relative au parc prévu dans la région des monts Torngat, sous réserve des revendications territoriales des autochtones, comme le montre la pièce 6 jointe au présent affidavit.

Le président de Makivik, M. Zebedee Nungak, a écrit à l'honorable Sheila Copps, ministre du Patrimoine canadien, le 18 septembre 1996. Il a notamment fait savoir que Makivik et les Inuit de Nunavik avaient conclu que le processus de consultation parallèle que j'avais proposé dans la lettre envoyée à M. Silverstone le 23 février 1996 ne leur convenait pas. La lettre du 18 septembre 1996 de M. Nungak est jointe au présent affidavit sous la cote 10.

L'offre que Parcs Canada avait faite en vue de discuter de la possibilité d'un processus parallèle permettant l'examen des préoccupations de Makivik et des intérêts que Makivik avait dans le parc national projeté n'a pas été révoquée. Toutefois, le refus de Makivik de tenir compte de l'offre a empêché toute discussion réelle au sujet de la forme que le processus pourrait prendre. Parcs Canada est encore prêt à collaborer avec Makivik en vue de trouver une façon pour cette dernière d'avoir un rôle véritable dans le processus de création du parc.

Parcs Canada a accepté l'invitation de Makivik de rencontrer la population des deux collectivités du nord du Québec les plus proches du nord du Labrador, en vue de leur fournir des renseignements au sujet de l'étude. Au cours de ces réunions, les représentants de Parcs Canada ont affirmé avec insistance qu'ils étaient prêts à retourner consulter les collectivités, sur demande. Lorsque la demande que Makivik a faite en vue de participer formellement aux travaux du comité directeur et du groupe de travail s'est avérée irréalisable à cause de la position du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador, Parcs Canada a élaboré et proposé un processus parallèle destiné à faciliter la consultation directe avec Makivik et les Inuit du Nunavik aux fins de l'étude de faisabilité. Makivik a refusé de discuter plus à fond avec Parcs Canada de sa participation possible à pareil processus de consultation parallèle. Le président de Makivik n'a pas répondu à l'invitation que lui avait faite le ministre Copps de la rencontrer personnellement en vue de discuter des préoccupations de Makivik.

Dans un autre affidavit de Gregory Gauld, directeur général, Revendications globales, du 2 décembre 1997, il est en outre déclaré ceci:

[traduction] En 1977, les Inuit du Labrador, représentés par l'Association des Inuit du Labrador (l'AIL), ont présenté au gouvernement du Canada une revendication globale à l'égard des terres situées dans le nord du Labrador, à Terre-neuve.

La revendication susmentionnée au paragraphe 12 a été acceptée aux fins de la négociation par le gouvernement du Canada ainsi que par le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador.

À ma connaissance, des négociations prolongées destinées à permettre la conclusion d'une entente à l'égard de la revendication globale mentionnée ci-dessus au paragraphe 2 ont eu lieu entre l'AIL, le gouvernement du Canada et le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador et sont encore en cours.

À ma connaissance, les négociations mentionnées ci-dessus au paragraphe 4 ont permis entre autres choses de traiter des principes généraux concernant la création projetée d'un parc national dans le nord de la région revendiquée par les Inuit du Labrador.

Les Inuit du Nunavik, représentés par Makivik, ont présenté au gouvernement du Canada une revendication globale à l'égard de la zone située au large des côtes du nord du Québec et du nord du Labrador et à l'égard des terres situées dans le nord du Labrador, à Terre-Neuve.

La revendication mentionnée ci-dessus au paragraphe 6 a été acceptée aux fins de la négociation par le gouvernement du Canada, mais le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador a rejeté la revendication en ce qui concerne les régions situées à Terre-Neuve.

À ma connaissance, des négociations prolongées destinées à permettre la conclusion d'une entente à l'égard de la partie de la revendication mentionnée ci-dessus au paragraphe 6 se rapportant à la zone située au large des côtes du nord du Québec ont eu lieu entre le gouvernement du Canada et Makivik et sont encore en cours. À ma connaissance, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest est également représenté dans ces négociations.

Le parc projeté mentionné ci-dessus au paragraphe 5 serait situé sur des terres revendiquées tant par les Inuit du Nunavik que par les Inuit du Labrador.

La position du gouvernement du Canada est que toute entente relative à la revendication globale devrait prévoir qu'aucune disposition de l'entente ne doit être interprétée de façon à porter atteinte aux droits prévus à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ou à reconnaître ou prévoir pareils droits, en ce qui concerne les peuples autochtones autres que ceux qui sont parties à l'entente.

Dans un autre affidavit de Douglas B. Yurick, chef, Propositions relatives aux nouveaux parcs (sud du Canada), à Parcs Canada, daté du 26 mai 1997, le gouvernement du Canada a donné d'autres explications au sujet du processus de création d'un parc national.

[traduction] La création d'un parc national comporte un processus à cinq étapes auquel s'appliquent les Principes directeurs et politiques de gestion de Parcs Canada approuvés par le Cabinet, dont les passages pertinents sont joints au présent affidavit sous la cote 1:

La première étape consiste à repérer des aires naturelles représentatives qui montrent la diversité d'une "région naturelle" (soit l'une de 39 régions du Canada) et qui sont dans un état naturel;

La deuxième étape consiste à choisir un parc parmi les aires naturelles représentatives, compte tenu d'un certain nombre de facteurs concernant le patrimoine naturel et d'autres facteurs;

La troisième étape visant à la création d'un parc consiste à effectuer une étude de faisabilité approfondie. La consultation publique de tous les intéressés, dans la région où sera situé l'éventuel parc national, est une partie importante de l'étude de faisabilité. Lorsque des revendications globales ont été acceptées aux fins de la négociation ou lorsqu'il existe des droits ancestraux ou des droits issus de traités, Parcs Canada a l'habitude de demander aux personnes qui revendiquent pareils droits et aux groupes dont la revendication est négociée de participer à l'étude de faisabilité. Dans le sud du Canada, où les terres et les ressources continuent à relever de la compétence provinciale en attendant la conclusion d'une entente relative au transfert de leur administration et de leur contrôle à la Couronne du chef du Canada en vue de la création d'un parc national, comme c'est le cas pour les monts Torngat, les politiques provinciales peuvent nuire à pareille participation.

Si l'étude de faisabilité démontre qu'il est possible de créer un parc national et que le public y est favorable, on empêche souvent provisoirement toute nouvelle utilisation commerciale des ressources sur les terres devant faire partie du parc projeté. Lorsque les terres et les ressources relèvent de la compétence provinciale, le gouvernement provincial, à l'aide d'instruments juridiques provinciaux, prend des mesures en ce sens.

La quatrième étape comporte, si les terres visées relèvent de la compétence provinciale, la négociation d'une entente fédérale-provinciale en vue de la création du parc. Les deux gouvernements doivent obtenir l'approbation de leurs cabinets respectifs avant de signer pareille entente. Pareilles ententes renferment habituellement une disposition en vue du transfert subséquent par décret de l'administration et du contrôle des terres qui doivent faire partie du parc de la Couronne du chef de la province à la Couronne du chef du Canada aux fins de la création et de la gestion d'un parc national. Ce n'est qu'après le transfert que le gouvernement fédéral assume l'administration et le contrôle des terres en question, et que celles-ci peuvent être ajoutées, par une loi fédérale, à l'annexe de la Loi sur les parcs nationaux.

Aux paragraphes 30 à 36 du présent affidavit sont énoncées les distinctions qui existent entre les parcs nationaux et les réserves de parc national, ces dernières étant provisoirement constituées dans les cas où il existe des revendications non réglées au moment de la conclusion de l'entente fédérale-provinciale relative au parc.

Lorsque le règlement d'une revendication globale prévoit la conclusion d'une entente portant sur les effets et les avantages à la suite de la création d'un parc national, cette entente est négociée avant la dernière étape de création du parc, décrite ci-dessous.

La cinquième étape, qui peut se dérouler plusieurs années après qu'une entente a été signée à l'égard d'un parc, comporte l'ajout des terres faisant partie du parc national à l'annexe de la Loi sur les parcs nationaux. À l'heure actuelle, cette mesure exige une modification de la Loi par le législateur fédéral.

Dans la région naturelle des montagnes du nord du Labrador, les première et deuxième étapes ont été complétées au milieu des années 1970, et la région des monts Torngat a été désignée comme emplacement en vue de la création d'un parc national. La troisième étape, au cours de laquelle l'étude de faisabilité est effectuée, a commencé à la fin des années 1970, mais les travaux ont été suspendus en 1979.

L'étude de faisabilité prévue à la troisième étape a repris officiellement le 23 novembre 1992, lorsque le ministre de l'Environnement du Canada, le ministre du Tourisme et de la Culture de Terre-Neuve et du Labrador et le président de l'Association des Inuit du Labrador (ci-après appelée l'AIL) ont annoncé conjointement qu'une étude serait effectuée en vue de déterminer s'il était possible de créer un parc national dans la région des monts Torngat du nord du Labrador, comme le montre un communiqué de presse qu'ils ont publié le même jour, dont une copie est jointe au présent affidavit sous la cote 2.

À l'heure actuelle, la troisième étape est également terminée.

L'auteur de l'affidavit expliquait également la distinction entre la création d'un parc national et la création d'une réserve de parc national et leurs effets sur les revendications territoriales des autochtones.

[traduction] Les parcs nationaux sont des terres publiques mises de côté par le législateur fédéral en vertu de la Loi sur les parcs nationaux, ils sont créés à l'intention du peuple canadien afin que celui-ci puisse les utiliser pour son plaisir et l'enrichissement de ses connaissances dans le cadre de la Loi et de ses règlements; ils doivent être entretenus et utilisés de façon à rester intacts pour les générations futures.

À partir de la page 10 du premier bulletin d'information public concernant l'étude de faisabilité d'un parc national dans la région des monts Torngat, lequel était daté du mois d'avril 1994, Parcs Canada dit que l'étude de faisabilité avait été entreprise sous réserve des négociations relatives aux revendications territoriales et que, si une entente en vue de la création d'un parc national était conclue avant le règlement final de la revendication territoriale, les terres seraient mises de côté à titre de réserve de parc national en attendant qu'une loi soit édictée au sujet du règlement de la revendication.

Lorsque, avant la création d'un parc, les terres visées relèvent de la compétence d'une province, une entente fédérale-provinciale est négociée à l'égard de la création du parc, cette entente prévoyant le transfert de l'administration et du contrôle des terres à la Couronne du chef du Canada aux fins du parc national. Par conséquent, le gouvernement fédéral n'a pas compétence à l'égard des terres et ressources en question tant qu'une entente fédérale-provinciale n'a pas été signée à l'égard du transfert des terres à la Couronne du chef du Canada. (Selon une clause de réversion figurant dans pareille entente, l'administration et le contrôle des terres sont de nouveau transférés à la Couronne du chef de la province si le législateur fédéral détermine que les terres ne sont plus nécessaires aux fins d'un parc national.)

Depuis 1974, dans plusieurs cas où des terres jugées appropriées aux fins de la création d'un parc national faisaient également l'objet d'une revendication territoriale non réglée, le législateur fédéral a mis les terres de côté à titre de réserve de parc national en attendant que la revendication soit réglée. C'est entre autres le cas de la réserve Kluane au Yukon, des réserves Nahanni et Auyuittuq ainsi que de la réserve de l'Île-d'Ellesmere, dans les Territoires du Nord-Ouest, et de la réserve située dans l'archipel Gwaii Haanas, en Colombie-Britannique.

Ces "réserves" sont gérées en vertu de la Loi sur les parcs nationaux , sous réserve des revendications territoriales non réglées. Les activités traditionnelles de chasse, de pêche et de piégeage des peuples autochtones se poursuivent. Les clauses normales de réversion des terres sont en place de façon que les terres puissent être soustraites à la création du parc au besoin aux fins du règlement des revendications territoriales. D'autres mesures provisoires peuvent comprendre la participation des peuples autochtones à la gestion des réserves de parc.

Par la suite, des questions telles que les avantages dont bénéficieront les peuples autochtones en raison de la création du parc (soit en général les possibilités d'embauchage et de prestation de services prioritaires), le rôle des autochtones dans la gestion conjointe du parc ainsi que l'étendue des droits d'exploitation des ressources fauniques et la gestion y afférente, sont traitées, ou leur règlement futur est prévu, au moyen d'une loi fédérale dans laquelle le règlement négocié de la revendication territoriale est confirmé. Lorsque ces questions sont réglées après le règlement négocié de la revendication territoriale, elles sont généralement incorporées dans une entente négociée portant sur les effets et avantages, ou dans un document similaire, signé par tous les intéressés.

Il n'est arrivé qu'une fois que des terres initialement mises de côté à titre de réserve soient par la suite devenues un parc national: il s'agit de la partie centrale de la réserve Kluane, qui est régie par la Loi sur le règlement des revendications territoriales des premières nations du Yukon, édictée par le législateur fédéral en 1994. (L'étendue finale de la réserve ne pourra être confirmée qu'après le règlement final des revendications relatives aux terres adjacentes). Les limites finales des réserves du parc national de l'Île d'Ellesmere et du parc national Auyuittuq ont été confirmées par la Loi concernant l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut de 1993. Les ententes concernant les effets et avantages nécessaires par suite de ce dernier règlement sont en train d'être négociées, la création des deux parcs devant finalement être confirmée au moyen de la modification de la Loi sur les parcs nationaux dans l'année qui suivra la conclusion des ententes portant sur les effets et avantages.

V.  Position de la province de Terre-Neuve

La province de Terre-Neuve s'est vu conférer le statut d'intervenante; son intervention à l'audition se limitait aux questions de fait que les parties avaient soulevées dans leurs dossiers individuels respectifs.

La province de Terre-Neuve ne prend pas de position à l'égard de la conduite des négociations relatives aux revendications territoriales entre la demanderesse et les défendeurs. Elle a soulevé deux questions particulièrement importantes dans la présente instance, à savoir:

[traduction]

a) La présomption implicite, dans les plaidoiries des demandeurs, selon laquelle ces derniers ont des droits ancestraux dans la province, alors que l'existence de ces droits n'a pas été déterminée et qu'elle a en fait été rejetée par la province;

b) la compétence que possède la Cour d'accorder une réparation influant directement ou indirectement sur le pouvoir constitutionnel conféré à la province à l'égard de terres et ressources.

La province reconnaît que la demanderesse revendique des droits ancestraux sur des terres et ressources situées au Labrador. Toutefois, la question de savoir si la demanderesse possède en fait des droits ancestraux au Labrador au sens de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 n'a pas été tranchée par les tribunaux.

La province soutient que la "revendication" de droits ancestraux n'est pas en soi un "droit ancestral" au sens du paragraphe 35(1). En effet, le paragraphe 35(1) prévoit une protection constitutionnelle à l'égard des "droits existants"ancestraux ou issus de traités".

Lorsque des groupes autochtones et les gouvernements arrivent à conclure une entente à l'égard de revendications territoriales, cette entente, une fois qu'elle a été dûment ratifiée, constitue un "traité" au sens de l'article 35. Le paragraphe 35(3) reconnaît clairement que les gouvernements et les peuples autochtones peuvent entreprendre des négociations en vue d'en arriver à une entente au sujet des revendications territoriales. C'est l'entente sur les revendications territoriales qui a été conclue, c'est-à-dire le traité, qui est protégée, en vertu de l'article 35, et non le processus.

La décision que le gouvernement du Canada a prise d'accepter la demande de revendication territoriale de la demanderesse aux fins de la négociation, conformément à la Politique fédérale des revendications territoriales, ne peut pas en soi créer ou garantir des droits ancestraux ou des droits issus de traités au sens du paragraphe 35(1).

Le gouvernement du Canada a accepté la demande de revendication territoriale de la demanderesse aux fins de la négociation, mais la province l'a rejetée. Le 16 octobre 1995, Mike Buist, sous-ministre adjoint, Parcs et Loisirs, a confirmé la position de la province dans une lettre qu'il a envoyée à la demanderesse, laquelle était libellée comme suit:

[traduction] En 1994, par suite de l'évaluation provinciale de l'énoncé des Inuit du Nunavik concernant le Labrador, il a été conclu que la documentation relative à l'utilisation et à l'occupation des terres fournie par Makivik ne suffisait pas pour justifier la revendication par les Inuit du Nunavik du territoire situé au large des côtes du Labrador.

La province allègue qu'à ce jour, la demanderesse ne lui a pas fourni de renseignements qui l'amèneraient à modifier sa position à l'égard de la revendication relative aux terres et ressources situées au Labrador.

Les limites de la compétence de la Cour fédérale empêchent la demanderesse de soulever des questions qui touchent la province.

La Politique des revendications territoriales globales de 1987 et la Politique du gouvernement fédéral en vue du règlement des revendications autochtones de 1993 reconnaissent toutes les deux clairement que le gouvernement du Canada n'est pas en mesure de négocier des questions relevant de la compétence constitutionnelle exclusive de la province. La politique de 1987 dit ceci [à la page 19]:

Le gouvernement fédéral a compétence dans les affaires relatives aux Indiens et aux terres indiennes. La plupart des autres terres et des ressources, situées ailleurs que dans les territoires, relèvent de la compétence des provinces. Pour cette raison, on encouragera fortement la participation des gouvernements provinciaux dans les négociations des revendications relevant de leur compétence, et leur participation sera essentielle lorsque les négociations de règlements toucheront des terres de compétence provinciale ou lorsque des terres et des ressources provinciales feront partie des négociations.

Dans le Sommaire de la politique de 1993 figure la déclaration similaire suivante [à la page ii]:

Dans les provinces, la plupart des terres et des ressources qui font l'objet de négociations dans le cadre des revendications globales sont de compétence provinciale.

La demanderesse était au courant de la chose lorsqu'elle a entrepris les négociations avec les défendeurs et, au moyen de l'entente-cadre, elle a convenu que la question des terres et des ressources ne pouvait pas être soulevée sans la participation de la province.

L'article 4.4 de l'entente-cadre prévoit ceci:

Les négociations portant sur des questions relevant de la compétence de Terre-Neuve n'auront pas lieu sans le consentement et la participation de cette province, conformément à un protocole d'entente que le Canada doit conclure avec Terre-Neuve.

Les terres et ressources naturelles situées dans le parc national projeté appartiennent à la province et cette dernière a une compétence constitutionnelle exclusive sur ces terres et ressources.

VI.  Position de l'Association des Inuit du Labrador

L'avocate de l'Association des Inuit du Labrador a soutenu que la Cour doit tenir compte des réalités suivantes:

1) le contexte constitutionnel, à savoir le partage des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux;

2) les revendications des autochtones ne coïncident pas avec les frontières provinciales actuelles;

3) au Canada, les revendications des différents groupes autochtones se chevauchent bien souvent.

Plus particulièrement, l'Association des Inuit du Labrador a soutenu que toute ordonnance de cette Cour doit être rendue dans le contexte de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)] et que cette Cour ne devrait pas accorder une réparation de nature générale telle que celle que la demanderesse sollicite. En outre, la Cour ne devrait pas rendre une ordonnance qui puisse nuire à la constitution d'une réserve de parc national sur le territoire visé.

VII. Obligation relative à la consultation et à la négociation

L'évolution de la jurisprudence au cours des trois dernières décennies a permis de définir plus clairement le rôle qui incombe à la Couronne lorsqu'il s'agit de protéger les droits des peuples autochtones et des directives ont été données aux tribunaux à ce sujet.

À cet égard, j'aimerais faire remarquer que la "Couronne" s'entend tant de Sa Majesté la Reine du chef du Canada que de Sa Majesté la Reine du chef des provinces.

L'une des principales caractéristiques des droits ancestraux et du titre aborigène, c'est qu'ils existaient avant tout contact avec les Européens. Pour la première fois, dans l'arrêt R. c. Sparrow14, le juge en chef et M. le juge La Forest ont examiné la protection fournie et les réparations prévues par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 198215, ainsi que l'effet de cette disposition en tant que promesse faite aux peuples autochtones du Canada. Ils ont donné des directives au sujet des obligations, des droits et de la protection que comporte le processus de négociation.

Le paragraphe 35(1) a un effet important lorsque les gouvernements ou les tribunaux reconnaissent que les peuples autochtones ont des droits. Il constitue un fondement constitutionnel précis à partir duquel des négociations peuvent être entreprises et il exige un règlement équitable en faveur des peuples autochtones.

L'attitude des gouvernements avant l'entrée en vigueur du paragraphe 35(1) était toujours la suivante:

Dans la Politique indienne du gouvernement du Canada, 196916 figurait la déclaration suivante:

Ceux-ci [les droits aborigènes] sont tellement généraux qu'il n'est pas réaliste de les considérer comme des droits précis, susceptibles d'être réglés excepté par un ensemble de politiques et de mesures qui mettront fin aux injustices dont les Indiens ont souffert comme membres de la société canadienne.

Un certain nombre de jugements de la Cour suprême du Canada ont entraîné une nouvelle évaluation de la position prise par le gouvernement17; la Cour demandait avec instance au gouvernement de reconnaître les droits ancestraux. L'honorable Jean Chrétien, qui était alors ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, a fait une déclaration (le 8 août 1973) au sujet des revendications des peuples indiens et inuit, dans laquelle il affirmait que le gouvernement était prêt à négocier les revendications relatives au titre aborigène. La politique est ainsi libellée:

[traduction] Le gouvernement est maintenant prêt à négocier avec les représentants autorisés de ces peuples autochtones en se fondant sur le fait que si leurs droits ancestraux sur les terres en cause peuvent être établis, une forme convenue d'indemnité leur sera accordée en échange de leur droit.

La déclaration constituait un énoncé de politique plutôt qu'une reconnaissance juridique18. Le gouvernement fédéral a pris la position selon laquelle toute obligation fédérale était de nature politique19.

Dans l'arrêt MacMillan Bloedel20, la Cour d'appel a conclu qu'il incombe aux tribunaux d'aider et d'encourager le processus de négociation. Lorsque le gouvernement fédéral convient de négocier des revendications, le public s'attend à ce qu'il y ait négociation ou règlement.

Le juge en chef et M. le juge La Forest ont exprimé l'avis selon lequel le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît les droits ancestraux dans le cadre du processus de négociation et les obligations du gouvernement dans le cadre de ce processus. Cette disposition constitue le fondement constitutionnel à partir duquel des négociations peuvent être entreprises. L'article 35 exige donc un règlement équitable en faveur des peuples autochtones. Il protège en outre les peuples autochtones contre le pouvoir législatif provincial.

Depuis 1985, la Cour suprême du Canada a déterminé les effets que l'article 35 a, que ce soit selon son libellé ou selon l'esprit de la garantie constitutionnelle qui est fournie. Elle a promis une nouvelle évaluation de la position prise par le gouvernement à l'égard des peuples autochtones.

Dans l'arrêt Simon c. La Reine et autres21, le juge en chef Dickson a conclu qu'un processus de négociation avait été entrepris dans l'intérêt de la Couronne et des peuples autochtones et que ce processus devrait donc être solennellement respecté. Il faut reconnaître les traités à titre de source de la protection fournie à l'égard des droits ancestraux existants.

Dans l'arrêt R. c. Sioui22, M. le juge Lamer [tel était alors son titre] a conclu que ce qui caractérise un traité, c'est l'intention des parties de créer des obligations solennelles mutuellement exécutoires.

Dans l'arrêt Bande indienne de Montana c. Canada23, la Cour d'appel a exprimé l'avis selon lequel le règlement négocié des revendications autochtones constitue une autre possibilité dans le contexte contemporain.

Dans l'arrêt R. c. Van der Peet24, le juge en chef a conclu que le rapport qui existait entre la Couronne et les peuples autochtones, et les ententes conclues entre les parties, devraient être interprétés d'une façon généreuse en faveur des peuples autochtones. Étant donné la nature du rapport, la Couronne a une obligation de fiduciaire envers les peuples autochtones et son honneur est en jeu. C'est à cause de ce rapport et des conséquences qui en découlent que le paragraphe 35(1) et les autres dispositions législatives et constitutionnelles protégeant les intérêts autochtones doivent être interprétés d'une façon généreuse et libérale.

Dans l'arrêt R. c. Badger25, M. le juge Cory a exprimé l'avis selon lequel l'honneur de la Couronne est en jeu lorsqu'elle traite avec les peuples autochtones, qu'il faut toujours présumer que cette dernière entend respecter ses promesses et qu'aucune apparence de "manœuvres malhonnêtes" ne doit être tolérée.

La Commission royale sur les peuples autochtones26 a conclu que la tâche du gouvernement est de déterminer, de définir, de reconnaître et de confirmer les droits ancestraux existants.

Le fait que les "rapports entre le gouvernement et les autochtones soient de nature fiduciaire plutôt que contradictoire" a des incidences importantes sur le rôle du gouvernement relativement aux terres et aux ressources des autochtones. Il exige des aménagements institutionnels pour protéger les terres et les ressources autochtones. Le gouvernement ne peut simplement invoquer "l'intérêt public" pour justifier une restriction apportée à l'exercice des droits ancestraux relativement aux terres et aux ressources. Par ailleurs, il est tenu d'agir dans l'intérêt des peuples autochtones lorsqu'il négocie des ententes concernant les terres et les ressources des autochtones.

La Commission a demandé avec instance aux tribunaux d'accorder des réparations de manière à faciliter les négociations27. Elle déclare en outre que la participation du gouvernement et celle des autochtones, dans le cadre de négociations de nation à nation, sont essentielles à la reconnaissance et à la confirmation constitutionnelles des droits ancestraux en vertu de l'article 35. Il faut donc que les réparations qui sont accordées aident les parties lorsque les négociations n'avancent pas.

De l'avis de la Commission, bien que les tribunaux puissent être utiles pour régler certaines questions concernant les autochtones ou pour inciter les parties à régler leurs différends par d'autres voies, il semble que l'action judiciaire ne permettra pas de résoudre toutes les difficultés relatives aux revendications des autochtones28.

Dans la décision Union of Nova Scotia Indians c. Canada (Procureur général)29, M. le juge MacKay a conclu que des considérations additionnelles s'appliquent aux affaires dans lesquelles les droits ancestraux sont en cause. L'obligation de fiduciaire est exécutoire et comprend la protection contre les effets injustifiés sur les droits autochtones.

Dans l'arrêt Delgamuukw, le juge en chef a exprimé l'avis selon lequel la responsabilité qui incombe au gouvernement de protéger les droits des peuples autochtones s'applique également aux droits que ces derniers ont à l'égard de leurs terres. Le gouvernement a intérêt à assurer la sécurité et le bien-être des peuples autochtones du Canada. Or, l'un des droits les plus fondamentaux des autochtones est celui qu'ils ont sur leurs terres.

Le juge en chef a en outre conclu que l'étendue de la compétence et des responsabilités fédérales, conformément au paragraphe 91(24) [de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], est également rattachée à l'article 35 [de la Loi constitutionnelle de 1982]. Le processus de négociation englobe les droits ancestraux ainsi que le titre aborigène. Ces droits comprennent les droits se rapportant à un territoire ainsi que les coutumes, pratiques et traditions qui ne se rattachent pas à un territoire.

a)  Principes généraux

La jurisprudence permet d'établir les principes suivants:

a) Il incombe au tribunal d'aider et d'encourager le processus de négociation. Lorsque le gouvernement fédéral convient de négocier les revendications, le public s'attend à ce que celles-ci fassent l'objet de négociations et d'un règlement;

b) Le paragraphe 35(1) reconnaît les droits ancestraux dans le cadre du processus de négociation et l'obligation qui incombe au gouvernement dans le cadre de ce processus; il constitue un fondement constitutionnel précis à partir duquel des négociations peuvent être entreprises et exige un règlement équitable en faveur des peuples autochtones;

c) Le processus de négociation est entrepris au profit tant de la Couronne que des peuples autochtones; il devrait être solennellement respecté;

d) Le rapport qui existe entre la Couronne et les peuples autochtones ainsi que les ententes conclues entre les parties devraient être interprétés d'une façon généreuse en faveur des peuples autochtones;

e) L'honneur de la Couronne est en jeu lorsqu'elle traite avec les peuples autochtones;

f) Des considérations additionnelles s'appliquent aux affaires dans lesquelles les droits ancestraux sont en cause. L'obligation de fiduciaire est exécutoire et comprend la protection contre les effets injustifiés sur les droits autochtones;

g) La responsabilité qui incombe au gouvernement de protéger les droits des peuples autochtones s'applique également aux droits qui se rapportent aux terres et aux intérêts autochtones y afférents;

h) La compétence et les responsabilités fédérales prévues au paragraphe 91(24) sont également rattachées à l'article 35. Le processus de négociation englobe les droits ancestraux ainsi que le titre aborigène.

La Commission royale sur les peuples autochtones a conclu ce qui suit:

a) La tâche du gouvernement est de déterminer, de définir, de reconnaître et de confirmer les droits ancestraux existants;

b) Les tribunaux devraient accorder des réparations de manière à faciliter les négociations.

b)  Analyse

Il est possible de respecter le rapport de fiduciaire qui existe entre la Couronne et les peuples autochtones en faisant participer les peuples autochtones aux décisions qui sont prises à l'égard de leurs terres.

Il y a toujours obligation de consultation. La question de savoir si le groupe autochtone a été consulté est pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer si la violation des droits ancestraux est justifiée.

La nature et l'étendue de l'obligation dépendent des circonstances. Même lorsque la norme minimale acceptable est la consultation, cette consultation doit être menée de bonne foi, dans l'intention de réellement tenir compte des préoccupations des peuples autochtones dont les droits et terres sont en jeu.

Toute négociation devrait également comprendre les autres nations autochtones qui ont un intérêt sur le territoire revendiqué. La Couronne a l'obligation morale, sinon légale, d'entamer et de mener ces négociations de bonne foi.

En l'espèce, la demanderesse a signé une entente de principe avec les défendeurs. Les défendeurs affirment être prêts à négocier et à s'acquitter de l'obligation qui leur incombe de mener les négociations de bonne foi. Toutefois, à cause du partage des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux et puisque jusqu'à ce jour le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador a refusé de consulter la demanderesse et de négocier avec elle, les défendeurs affirment qu'ils ne sont pas en mesure de remédier à la situation. Voici ce que l'avocat des défendeurs a déclaré dans ses plaidoiries orales:

Regardez, Votre Seigneurie. Parce que Terre-Neuve refuse la présence de Makivik, nous, nous avons l'obligation de nous retirer. On a des obligations qui découlent du refus d'un autre. C'est ça, Votre Seigneurie, qui n'a pas de bon sens dans notre dossier.

Nous, nous voulons que Makivik soit là.

Nous, nous avons accepté la revendication territoriale de Makivik. On a commencé à négocier. On négocie encore et on va négocier encore cette revendication. Sauf que quand vient le temps de parler de juridiction provinciale, on ne peut pas le faire parce que Terre-Neuve n'est pas à la table. Ce n'est pas de notre faute si Terre-Neuve n'est pas à la table.

Maintenant, vous me demandez: Pourquoi vous n'invitez pas Makivik à la table quand vous parlez avec le LIA et Terre-Neuve de la création d'un parc? On les invite, Votre Seigneurie, on veut qu'ils soient là. Nous, nous les avons reconnues, leurs revendications. On aimerait bien qu'ils soient là et qu'ils disent: Nous aussi, nous en voulons un parc, nous voulons une réserve de parc. On voudrait qu'il soient partie prenante complètement.

Sauf que si on fait ça, on part ensemble; je vais chercher mon confrère maître Hutchins; on se rend à Terre-Neuve; mon confrère maître Hutchins entre dans la salle, il s'assoit. J'ai les négociateurs de Terre-Neuve qui se lèvent et qui s'en vont. Ils disent: Nous, on ne parle plus.

Qu'est-ce que je peux faire là-dedans, Votre Seigneurie? Je ne peux pas contraindre les autorités terre-neuviennes de rester assis à la table avec Makivik. Je ne suis pas capable de faire ça, Votre Seigneurie.

Soit dit bien respectueusement, Votre Seigneurie, je pense même qu'un tribunal ne serait pas capable de faire cela.

On ne peut pas forcer une partie à négocier si elle ne veut pas négocier. Ce sera à elle, éventuellement, à assumer les conséquences. Quand on refuse de négocier, on assume des risques.

L'avocat des défendeurs a ajouté ceci:

Ce n'est pas de ma faute si Terre-Neuve ne veut pas leur parler. Je n'ai pas de pouvoir sur eux. Si ça dépendait juste de moi, je leur dirais: Asseyez-vous à la table, on va parler. Je n'ai pas ce pouvoir-là. Le ministre des Affaires indiennes n'a pas ce pouvoir-là. Votre Seigneurie, et je pense même que la Cour n'a pas ce pouvoir-là. Si Terre-Neuve ne veut pas négocier, elle ne veut pas négocier!

[. . .]

[D]u seul fait qu'on ait accepté, il faudrait se retirer de la table où ils ne peuvent participer. C'est ça le "treaty process". Si eux ne peuvent pas participer, il faudrait que nous nous retirions. Ce n'est pas de notre faute30 .

La province de Terre-Neuve possède un plein pouvoir constitutionnel à l'égard du territoire ici en cause. L'avocat du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador a affirmé ceci dans ses plaidoiries orales:

[traduction] Il y a des questions que le gouvernement fédéral ne peut tout simplement pas négocier constitutionnellement. Bien sûr, en vertu des articles 109 et 92 de la Constitution, les provinces, y compris Terre-Neuve, ont une compétence constitutionnelle exclusive sur les terres et les ressources.

Même si cela est évident, il faut le dire.

Il est facile d'oublier de tenir compte du fait qu'à moins que la province de Terre-Neuve n'en transfère l'administration et le contrôle au gouvernement fédéral, les terres qui figurent sur la carte que notre ami a présentée sont situées au Labrador, qui appartient à la province de Terre-Neuve. Ces terres et ces ressources appartiennent à la province, et ce, tant que l'administration et le contrôle des terres n'est pas transmis au gouvernement fédéral31.

Les parcs nationaux sont des terres publiques mises de côté par le législateur fédéral en vertu de la Loi sur les parcs nationaux [L.R.C. (1985), ch. N-14]; ils sont créés à l'intention du peuple canadien afin que celui-ci puisse les utiliser pour son plaisir et l'enrichissement de ses connaissances dans le cadre de la Loi et de ses règlements. Ils doivent être entretenus et utilisés de façon à rester intacts pour les générations futures.

Les réserves de parc national sont gérées en vertu de la Loi sur les parcs nationaux, sous réserve des revendications territoriales non réglées. Les activités traditionnelles de chasse, de pêche et de piégeage des peuples autochtones se poursuivent. Des clauses normales de réversion des terres sont en place de façon que les terres puissent être soustraites à la création du parc au besoin aux fins du règlement des revendications territoriales. D'autres mesures provisoires peuvent comprendre la participation des peuples autochtones à la gestion des réserves de parc. Par la suite, des questions telles que les avantages dont bénéficient les peuples autochtones en raison de la création du parc sont traitées, ou leur règlement futur est prévu, au moyen d'une loi fédérale dans laquelle le règlement négocié de la revendication territoriale est confirmé.

Le titre aborigène est un droit au territoire et, partant, il ne s'agit pas simplement du droit de se livrer à des activités précises qui peuvent en tant que telles se rapporter à des droits ancestraux. Le titre aborigène confère le droit d'utiliser le territoire pour diverses activités, qui n'ont pas toutes à être des éléments de coutumes, de pratiques et de traditions faisant partie intégrante de la culture distinctive des sociétés autochtones.

Conformément au paragraphe 35(1), les droits ancestraux qui existaient et étaient reconnus en vertu de la common law sont également reconnus par la Constitution. L'existence d'un droit ancestral en common law est suffisante, mais elle n'est pas nécessaire aux fins de la reconnaissance et de la confirmation de ce droit en vertu du paragraphe 35(1).

Les droits ancestraux qui sont reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) s'étalent le long d'un spectre, en fonction de leur degré de rattachement avec le territoire visé. À une extrémité du spectre, il y a les coutumes, pratiques et traditions faisant partie intégrante de la culture autochtone distinctive. Ces activités ne suffisent pas pour étayer la revendication du titre sur ce territoire, mais elles seraient protégées par la Constitution. Au milieu du spectre, il y a les activités nécessaires qui sont habituellement étroitement liées à une parcelle de terrain particulière. À l'autre extrémité du spectre, il y a un titre aborigène, c'est-à-dire le droit au territoire lui-même.

Étant donné que le paragraphe 35(1) vise à concilier la présence antérieure des peuples autochtones en Amérique du Nord et l'affirmation de la souveraineté de la Couronne, il est clair qu'il doit reconnaître et confirmer cette présence antérieure sous ses deux aspects"à savoir, l'occupation du territoire d'une part, et l'organisation sociale antérieure et les cultures distinctives des peuples autochtones habitant ce territoire d'autre part.

La possibilité d'un titre conjoint a été reconnue par les tribunaux américains32. Il est possible que deux nations autochtones aient vécu sur un territoire particulier et que chacune ait reconnu les droits de l'autre sur ce territoire, mais non ceux de tiers.

La constitution d'une réserve de parc national a un certain effet sur les droits rattachés au territoire visé et sur l'utilisation des terres. Toutefois, à mon avis, les intéressés doivent être consultés en pareil cas. Toute consultation doit être réelle.

La création d'un parc national aura un effet sur le titre et les droits relatifs au territoire visé ainsi que sur l'utilisation des terres. En pareil cas, les intéressés doivent donc être consultés et il faut faire preuve de bonne foi en négociant avec eux.

L'entente de principe conclue entre le gouvernement fédéral et la demanderesse reconnaît qu'un parc ne peut pas être créé tant que les négociations ne sont pas terminées.

VIII.  Loi sur la Cour fédérale

Une question s'est posée au sujet de l'étendue des réparations qui peuvent être accordées dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire et, en particulier, on s'est demandé s'il est possible d'accorder une réparation de la nature d'un jugement déclaratoire.

En vertu du paragraphe 18(3) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] de la Loi sur la Cour fédérale, les recours prévus aux paragraphe 18(1) [mod., idem] ou (2) [mod., idem] sont exercés par présentation d'une demande de contrôle judiciaire. L'article 18.1 énonce les exigences relatives à la qualité pour agir, les motifs de révision et les pouvoirs que possède la Cour lorsque le contrôle judiciaire est demandé. Il s'agit avant tout de savoir si le contrôle est demandé contre un "office fédéral" telle que cette expression est définie au paragraphe 2(1) [mod., idem , art. 1] de la Loi. Avant 1992, la personne concernée pouvait à son gré demander le contrôle judiciaire en première instance en déposant une déclaration dans le cadre d'une action ou en déposant un avis de requête introductive d'instance. Toutefois, un jugement déclaratoire ne pouvait être demandé qu'au moyen d'une action. Le paragraphe 18.4(2) [édicté, idem, art. 5] autorise la Section de première instance à ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action. Or, en l'espèce, aucune ordonnance de ce genre n'a été demandée.

L'article 18 de la Loi vise à conférer à la Cour fédérale une compétence exclusive en matière de contrôle judiciaire des décisions des offices fédéraux. Toutefois, cette disposition ne peut pas priver les cours supérieures provinciales de la compétence qu'elles ont de déterminer la constitutionnalité et l'applicabilité d'un texte législatif.

Le paragraphe 18.1(3) traite des réparations que la Cour peut accorder dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, ce qui comprend les réparations qui pourraient être accordées en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, notamment un jugement déclaratoire. La nature discrétionnaire du contrôle judiciaire est également préservée.

IX.  Dispositif

La création d'un parc national est envisagée dans la région des monts Torngat, cette région étant visée par le processus de négociation dans lequel la demanderesse et le gouvernement du Canada se sont engagés. La politique du gouvernement fédéral relative à la création des parcs nationaux est réputée s'appliquer de façon à protéger les droits des autochtones, comme le prescrivent les tribunaux et la Constitution. Pour les motifs susmentionnés, j'accorde la réparation suivante sous la forme d'un jugement déclaratoire:

1. Les défendeurs ont l'obligation de consulter la demanderesse avant de créer une réserve de parc national dans le nord du Labrador, et notamment l'obligation d'informer la demanderesse et de l'écouter.

2. Les défendeurs ont l'obligation de consulter la demanderesse et de négocier de bonne foi avec elle au sujet des droits ancestraux revendiqués sur certaines parties du Labrador avant qu'un parc national soit créé dans le nord du Labrador.

3. Si une entente entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador en vue de la création de pareil parc national est conclue avant que la revendication territoriale soit réglée d'une façon définitive, les terres doivent être mises de côté à titre de réserve de parc national pendant la durée des négociations y afférentes.

1 Pièce 9 de l'affidavit de Lorraine Brooke, dossier de la demande, à la p. 224.

2 Pièce 2 de l'affidavit de Sam Silverstone, déposé dans la requête en vue d'accélérer l'audition de la demande.

3 Déclaration du Premier ministre de Terre-Neuve, Brian Tobin, concernant l'acceptation du fondement d'une entente de principe dans le cadre des négociations relatives à la revendication territoriale des Inuit du Labrador, pièce 3 de l'affidavit de Sam Silverstone, déposé dans la requête en vue d'accélérer l'audition de la demande.

4 [1997] 3 R.C.S. 1010, aux p. 1123 et 1124, juge en chef Lamer.

5 Politique du gouvernement fédéral en vue du règlement des revendications autochtones, 1993 [à la p. 9].

6 MacMillan Bloedel Ltd. v. Mullin; Martin v. R. In Right of B.C., [1985] 3 W.W.R. 577 (C.A.C.-B), à la p. 607; voir également Delgamuukw, supra, note 4.

7 [1990] 1 R.C.S. 1075, aux p. 1105 et 1106.

8 [1996] 2 R.C.S. 507, aux p. 536 et 537.

9 Supra, note 4, aux p. 1118 et 1119.

10 Supra, note 6, à la p. 607.

11 [1991] 2 C.F. 30 (C.A.), aux p. 38 et 39.

12 Canada. Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. (Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services du Canada, 1996), vol. 2 "Une relation à redéfinir", partie 2, aux p. 625, 628.

13 Supra, note 7, à la p. 1110.

14 Supra, note 7.

15 Annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

16 Canada (Ottawa: Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, 1969) [à la p. 12].

17 Calder et al. v. Attorney-General of British Columbia (1970), 13 D.L.R. (3d) 64 (C.A.C.-B.); conf. par [1973] R.C.S. 313.

18 Sparrow, supra, note 7, à la p. 1105.

19 ;Guérin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335.

20 Supra, note 6, à la p. 607.

21 [1985] 2 R.C.S. 387, aux p. 401 et 402 ainsi que 410.

22 [1990] 1 R.C.S. 1025, à la p. 1044.

23 Supra, note 11, aux p. 38-39.

24 Supra, note 8, à la p. 536.

25 [1996] 1 R.C.S. 771, à la p. 794.

26 Supra, note 12, à la p. 630.

27 Ibid., à la p. 627.

28 Supra, note 12, à la p. 625.

29 [1997] 1 C.F. 325 (1re inst.).

30 Transcription, 7 janvier 1998, à la p. 25.

31 Transcription, 7 janvier 1998, à la p. 76.

32 United States v. Santa Fe Pacific R. Co., 314 U.S. 339 (1941).

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