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     IMM-3549-98

Waldeab Tewelde (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Teweldec. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson"Winnipeg, 27 mai; Ottawa, 15 juillet 1999.

Interprétation des lois L'art. 46.01(1)d) de la Loi sur l'immigration prévoit que la revendication du statut de réfugié n'est pas recevable si l'intéressé s'est déjà vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention sous le régime de la présente loi ou des règlementsRecours en contrôle judiciaire contre la décision de l'agent d'immigration supérieur qu'en application de l'art. 46.01(1)d), la revendication par le demandeur du statut de réfugié n'était pas recevable par la section du statutLe demandeur était citoyen de l'Éthiopie en 1981Reconnu en 1984 réfugié au sens de la Convention vis-à-vis de l'Éthiopie, qui comprenait aussi ce qui est maintenant l'ÉrythréeDroit d'établissement acquis en 1986Il est maintenant citoyen de l'Érythrée, et n'a pas le droit de retourner en ÉthiopieOrdonnance d'expulsion conditionnelle prise en 1998Le demandeur revendique maintenant le statut de réfugié vis-à-vis de l'ÉrythréeRecours rejetéL'art. 12 de la Loi d'interprétation prescrit que tout texte doit s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet; l'art. 44f) prévoit qu'en cas d'abrogation et de remplacement, et sauf dans la mesure où les deux textes diffèrent au fond, le nouveau texte n'est pas réputé de droit nouveau, sa teneur étant censée constituer une refonte et une clarification des règles de droit du texte antérieurUne interprétation restrictive de l'expressionla présente loide façon à permettre au demandeur de revendiquer à nouveau le statut de réfugié serait conforme avec l'objectif de la politique canadienne d'immigration (art. 3g)) de la Loi sur l'immigration); elle n'est cependant compatible ni avec l'interprétation téléologique de la loi, ni avec les art. 12 et 44f) de la Loi d'interprétationLa Loi en vigueur en 1984 est la même que celle qui est en vigueur de nos jours, malgré les modifications en profondeurL'expressionla présente loirenvoie à la Loi dans laquelle elle figure, non pas à la version de cette loi au moment où elle y fut insérée ni après ce moment, mais à la même loi telle qu'elle se lisait avant son insertion, telle qu'elle se lit depuis et telle qu'elle se lira jusqu'à ce que ces motsla présente loisoient changés ou que la Loi soit abrogée et rétablieQuestion certifiée: L'expressionla présente loifigurant à l'art. 46.01(1)d) renvoie-t-elle à la Loi sur l'immigration telle qu'elle se lit depuis la date d'entrée en vigueur de l'actuel art. 46.01(1)d), ou à la même Loi dans tous ses avatars depuis 1983?

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Réfugiés au sens de la Convention Recours en contrôle judiciaire contre la décision de l'agent d'immigration supérieur qu'en application de l'art. 46.01(1)d) de la Loi sur l'immigration, la revendication par le demandeur du statut de réfugié n'était pas recevable par la section du statutL'art. 46.01(1)d) prévoit que la revendication du statut de réfugié n'est pas recevable si l'intéressé s'est déjà vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention sous le régime de la présente loi ou des règlementsLe demandeur était citoyen de l'Éthiopie en 1981Reconnu en 1984 réfugié au sens de la Convention vis-à-vis de l'Éthiopie, qui comprenait aussi ce qui est maintenant l'ÉrythréeIl est maintenant citoyen de l'Érythrée, et n'a pas le droit de retourner en ÉthiopieDroit d'établissement acquis en 1986Ordonnance d'expulsion conditionnelle prise en 1998Il revendique maintenant le statut de réfugié vis-à-vis de l'ÉrythréeRecours rejetéPar application de la méthode d'interprétation téléologique des lois, l'expressionla présente loirenvoie à la Loi dans laquelle elle figure, non pas à la version de cette loi au moment où elle y fut insérée ni après ce moment, mais à la même loi telle qu'elle se lisait avant son insertion, telle qu'elle se lit depuis et telle qu'elle se lira jusqu'à ce que ces motsla présente loisoient changés ou que la Loi soit abrogée et rétablieLe demandeur est irrecevable à revendiquer le statut de réfugié contre un pays qui n'existait pas à la date de la décision initiale et dans lequel il doit être renvoyéPareil résultat va cependant à l'encontre de la politique d'immigration énoncée à l'art. 3g) de la Loi, et est difficile à justifier à la lumière de l'histoire contemporaine, où l'éclatement de pays est un phénomène courant.

Recours en contrôle judiciaire contre la décision d'un agent d'immigration supérieur, selon laquelle la revendication faite par le demandeur du statut de réfugié au sens de la Convention n'était pas recevable par la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, parce que "le statut de réfugié au sens de la Convention [lui] a été reconnu sous le régime de la [même ] loi ou du règlement pris pour son application". Le demandeur, citoyen d'Éthiopie arrivé au Canada en 1981, s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en 1984, à l'époque où l'Éthiopie comprenait encore ce qui est aujourd'hui l'Érythrée. Il est maintenant citoyen de ce dernier pays, et n'a pas le droit de retourner en Éthiopie, telle qu'elle est constituée à cette date. Il a acquis le droit d'établissement au Canada en 1986. Après avoir été jugé coupable de vol qualifié, de proxénétisme et de possession de cocaïne aux fins de trafic, il a été déclaré danger pour le public au Canada en 1998 et a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion conditionnelle. Le même jour, il annonce son intention de revendiquer à nouveau le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada, ce qui a donné lieu à la décision entreprise. Il craint d'être persécuté par les agents du gouvernement en Érythrée car, bien qu'il eût combattu pour l'indépendance de ce pays, il combattait dans les rangs des rebelles qui ne sont pas en faveur auprès de ce gouvernement.

L'alinéa 46.01(1)d) de la Loi sur l'immigration prévoit que la revendication du statut de réfugié n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention sous le régime de la présente loi ou des règlements. Depuis 1984, l'alinéa 3g) précise que la politique canadienne d'immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en œuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité de remplir, envers les réfugiés, les obligations imposées au Canada par le droit international et de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays à l'endroit des personnes déplacées ou persécutées. La définition de "réfugié au sens de la Convention" figurant dans la Loi sur l'immigration de 1976 a été modifiée à compter du 1er janvier 1989 (le chapitre 35) de façon à exclure les personnes privées du bénéfice de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, ensemble le Protocole, par l'effet des dispositions d'exclusion des sections E et F de l'article premier de cette Convention. L'article 46.01 a été ajouté par le chapitre 35. L'alinéa 46.01(1)d) revêt sa forme actuelle, y compris l'adoption de l'expression "la présente loi", depuis le 1er février 1993, date à laquelle la majorité des autres modifications apportées à la Loi sur l'immigration par les Lois du Canada, 1992, est entrée en vigueur. Selon l'article 12 de la Loi d'interprétation, tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. L'alinéa 44f) prévoit qu'en cas d'abrogation et de remplacement, et sauf dans la mesure où les deux textes diffèrent au fond, le nouveau texte n'est pas réputé de droit nouveau, sa teneur étant censée constituer une refonte et une clarification des règles de droit du texte antérieur.

Il échet d'examiner si la décision de novembre 1984 reconnaissant au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention était une décision rendue sous le régime de la "présente loi".

Jugement: le demandeur doit être débouté de son recours.

Ce n'est que si l'on donnait au groupe nominal "la présente loi" un sens ordinaire restrictif, savoir "la présente loi" telle qu'elle se lit depuis l'entrée en vigueur de l'alinéa 46.01(1)d ) dans sa forme actuelle, que les gens qui sont dans le même cas que le demandeur pourraient revendiquer à nouveau le statut de réfugié au sens de la Convention, lequel leur avait été reconnu sous le régime de "l'ancienne loi": une telle interprétation serait conforme à la politique canadienne d'immigration, et serait aussi logique au regard des faits de la cause; elle va cependant à l'encontre de l'interprétation téléologique de la loi. Elle n'est pas compatible non plus avec l'article 12 et l'alinéa 44f ) de la Loi d'interprétation. Durant toute la période qui nous intéresse en l'espèce, la Loi sur l'immigration n'a été abrogée ni remplacée sauf dans le processus d'adoption des Lois révisées du Canada (1985). À la lumière de l'article 4 de la Loi sur les Lois révisées (1985), l'abrogation et le rétablissement subséquent ne sont pas des facteurs à prendre en considération. La Loi qui était en vigueur au moment où le demandeur s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en 1984 est donc la même que celle qui est en vigueur de nos jours, malgré les modifications en profondeur. La politique canadienne d'immigration, pour ce qui est des obligations internationales du pays en matière de réfugiés et de sa tradition humanitaire vis-à-vis des personnes déplacées et persécutées, n'a pas changé, sauf ce qui est expressément prévu à l'article 2.1, qui s'applique uniquement aux modifications apportées par le chapitre 36 des Lois du Canada, 1988. Le changement du titre de la loi qui, de Loi sur l'immigration de 1976, est devenue Loi sur l'immigration, n'a aucune signification particulière. Opéré dans le cours de la révision des lois, il représente juste un toilettage de forme.

Le groupe nominal "la présente loi" figurant à l'alinéa 46.01(1)d ) renvoie à la Loi dans laquelle il figure, non pas à la version de cette loi au moment où il y fut inséré ni après ce moment, mais à la même Loi telle qu'elle se lisait avant son insertion, telle qu'elle se lit depuis et telle qu'elle se lira jusqu'à ce que ces mots soient changés ou que la Loi soit abrogée et rétablie, autrement que dans un processus de pur toilettage, sous la même forme ou sous une forme différente. Cette conclusion est compatible avec l'histoire législative, depuis 1984, de la Loi sur l'immigration, et en harmonie avec une interprétation raisonnable d'autres dispositions de la même Loi, où figure cette même expression.

Le résultat, savoir que les personnes, qui se sont vu reconnaître le statut de réfugié vis-à-vis d'un pays où elles ne peuvent retourner, sont irrecevables à revendiquer le même statut contre un pays qui n'existait pas à la date de la décision initiale et dans lequel elles doivent être renvoyées, est difficile à justifier à la lumière de l'histoire contemporaine, où l'éclatement de nations en entités plus petites est un phénomène courant, et au regard de l'alinéa 3g) de la Loi sur l'immigration.

La question suivante est certifiée: "L'expression "la présente loi" figurant à l'alinéa 46.01(1)d ) de la Loi sur l'immigration renvoie-t-elle à la Loi sur l'immigration telle qu'elle se lit depuis la date d'entrée en vigueur de l'actuel alinéa 46.01(1)d), ou à la même Loi dans tous ses avatars depuis 1983, quelqu'en ait été le titre?"

    lois et règlements

        Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6.

        Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12, 44f).

        Loi modifiant la Loi sur l'immigration de 1976 et apportant des modifications corrélatives au Code criminel, L.C. 1988, ch. 36.

        Loi modifiant la Loi sur l'immigration de 1976 et d'autres lois en conséquence, L.C. 1988, ch. 35, art. 37(1).

        Loi modifiant la Loi sur l'immigration et apportant des modifications corrélatives au Code criminel, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29.

        Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28.

        Loi sur la révision des lois, L.R.C. (1985), ch. S-20, art. 6.

        Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 40, art. 4, 5.

        Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 1, 2.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), 46.01(1) (édicté, idem, ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36), 53(1)d) (mod., idem, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12), 70(5) (mod., idem, art. 13).

        Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 2 "réfugié au sens de la Convention" (mod. par L.C. 1988, ch. 35, art. 1), 2.1 (édicté par L.C. 1988, ch. 36, art. 1), 3g ), ann. (mod. par L.C. 1988, ch. 35, art. 34).

        Protocole des Nations Unies relatif au statut des réfugiés, 31 janvier 1967, [1969] R.T. Can. no 29.

    jurisprudence

        décisions appliquées:

        Liyanagamage c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.).

        distinction faite d'avec:

        Ardon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 131; 113 N.R. 10 (C.A.F.).

    doctrine

        Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

DEMANDE de contrôle judiciaire contre la décision par laquelle un agent d'immigration supérieur a conclu que par application de l'alinéa 46.01(1)d) de la Loi d'immigration, la revendication par le demandeur du statut de réfugié vis-à-vis de l'Érythrée n'était pas recevable par la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié parce qu'il s'était déjà vu reconnaître ce statut vis-à-vis de l'Éthiopie "sous le régime de la même loi ou des règlements". Demande rejetée.

    ont comparu:

    David Matas pour le demandeur.

    Joel I. Katz pour le défendeur.

    avocats inscrits au dossier:

    David Matas, Winnipeg, pour le demandeur.

    Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Gibson:

LES FAITS DE LA CAUSE

[]Les présents motifs se rapportent au recours en contrôle judiciaire contre la décision rendue par un agent d'immigration supérieur en ces termes:

[traduction] Par décision rendue en application de l'alinéa 45(1)a) de la Loi sur l'immigration, il a été jugé que, sous le régime du paragraphe 46.01(1), votre revendication du statut de réfugié au sens de la Convention n'est pas recevable par la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Cette décision est fondée sur le motif suivant:

Le statut de réfugié au sens de la Convention vous a été reconnu sous le régime de la même Loi ou des règlements pris pour son application.

La décision attaquée est datée du 26 juin 1998.

[]Le demandeur, né en Éthiopie en 1959, est arrivé en 1981 en qualité d'étudiant au Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié. Sous le régime de la loi en vigueur à l'époque, il s'est vu reconnaître ce statut en novembre 1984 et, subséquemment, a acquis le droit d'établissement en 1986. À compter du 24 mai 1993, la partie de l'Éthiopie où il était né et pour l'indépendance de laquelle il avait combattu est devenue l'Érythrée.

[]En mars 1990, le demandeur a été jugé coupable de vol qualifié et de deux chefs de proxénétisme. En juillet 1997, il a été jugé coupable de possession de cocaïne aux fins de trafic. Le 8 avril 1998, le défendeur l'a déclaré danger pour le public au Canada, en application de l'alinéa 53(1)d) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12] et du paragraphe 70(5) [mod., idem, art. 13] de la Loi sur l'immigration1. Le 10 juin 1998, une ordonnance d'expulsion conditionnelle est prise contre le demandeur. Le même jour, il annonce son intention de revendiquer à nouveau le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada, ce qui a donné lieu à la décision entreprise.

[]Voici ce que prévoient les dispositions applicables du paragraphe 46.01(1) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36] de la Loi sur l'immigration:

46.01 (1) La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes:

    [. . .]

    d) le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements; [Non souligné dans l'original.]

En bref, il échet d'examiner si la décision de novembre 1984 reconnaissant au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention du fait qu'il craignait avec raison d'être persécuté s'il devait retourner en Éthiopie, était une décision rendue en application de la "présente loi".

L'HISTORIQUE DE LA LÉGISLATION APPLICABLE

[]La décision reconnaissant au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention en novembre 1984 a été rendue sous le régime de la Loi sur l'immigration de 19762. À l'époque, voici ce que portaient l'article 3 de cette Loi et son alinéa g), qui figuraient dans la "PARTIE I", "POLITIQUE CANADIENNE D'IMMIGRATION", sous le titre "Les objectifs":

3. Il est, par les présentes, déclaré que la politique d'immigration du Canada, ainsi que les règles et règlements établis en vertu de la présente loi, sont conçus et mis en œuvre, en vue de promouvoir ses intérêts sur le plan interne et international, reconnaissent la nécessité:

    [. . .]

    g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations légales du Canada sur le plan international et de maintenir sa traditionnelle attitude humanitaire à l'égard des personnes déplacées ou persécutées;

Ces dispositions sont restées les mêmes dans le texte en vigueur à l'heure actuelle*.

[]Par le chapitre 35 des Lois du Canada, 19883, sanctionné le 21 juillet 1988 et entré en vigueur le 1er janvier 1989 (le chapitre 35), la définition de "réfugié au sens de la Convention" figurant dans la Loi sur l'immigration de 1976 [article 2] a été considérablement modifiée de façon à exclure les personnes privées du bénéfice de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [[1969] R.T. Can. no 6], signée à Genève le 28 juillet 1951, ensemble le Protocole [Protocole des Nations Unies relatif au statut des réfugiés, [1969] R.T. Can no 29] signé à New York le 31 janvier 1967 (la Convention), par l'effet des "dispositions d'exclusion" des sections E et F de l'article premier de cette Convention, lesquelles ont été incorporées en même temps dans la même loi sous forme d'annexe.

[]Parmi les dispositions transitoires du chapitre 35, les passages suivants du paragraphe 37(1) présentent un intérêt pour l'affaire en instance:

37. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et aux articles 38 à 50.

    [. . .]

"ancienne loi" La Loi sur l'immigration de 1976 , dans sa version antérieure à la date de référence.

* Note de l'arrêtiste: Des changements ont été effectués quant au style par la révision de 1985.

"date de référence" La date d'entrée en vigueur de la présente loi.

Ainsi donc, au regard des modifications profondes apportées par le chapitre 35 à la Loi sur l'immigration de 1976 et entrées en vigueur le 1er janvier 1989, la version de la même Loi qui était en vigueur au moment où le demandeur se vit reconnaître le statut de réfugié vis-à-vis de l'Éthiopie, était "l'ancienne Loi".

[]La Loi sur l'immigration de 1976 est aussi modifiée par le chapitre 36 des Lois du Canada, 19884, également sanctionné le 21 juillet 1988 et entré en vigueur le 1er janvier 1989 (le chapitre 36). L'article premier du chapitre 36 ajoute à la Loi sur l'immigration de 1976 l'intertitre et l'article suivants:

    Objet des modifications

2.1 Les modifications prévues dans la Loi modifiant la Loi sur l'immigration de 1976 et apportant des modifications corrélatives au Code criminel, adoptée pendant la deuxième session de la trente-troisième législature, ont pour objet:

    a) de préserver pour les personnes qui ont véritablement besoin de protection l'accès à la procédure de détermination des revendications du statut de réfugié;

    b) de contrôler les fréquents abus de la procédure de détermination des revendications du statut de réfugié en raison notamment d'incidents délibérés impliquant l'introduction à grande échelle au Canada de personnes cherchant à se prévaloir de cette procédure;

    c) de décourager ceux qui aident à l'introduction illégale de personnes au Canada afin de minimiser l'exploitation des personnes désireuses d'entrer au Canada et les risques qu'elles courent;

    d) de répondre aux préoccupations en matière de sécurité et, notamment, de remplir les obligations du Canada à l'égard des personnes jouissant de la protection internationale.

Le chapitre 36 était intitulé Loi modifiant la Loi sur l'immigration de 1976 et apportant des modifications corrélatives au Code criminel. Par contraste, le chapitre 35 avait pour titre Loi modifiant la Loi sur l'immigration de 1976 et d'autres lois en conséquence. Ainsi, l'"objet des modifications" qu'exprime l'article 2.1 ajouté à la Loi sur l'immigration de 1976 est celui des modifications apportées par le chapitre 36, et non celui des modifications par le chapitre 35. Cette distinction s'attache toujours à l'article 2.1 du texte actuellement en vigueur.

[]Les Lois révisées du Canada (1985) sont entrées en vigueur le 12 décembre 1988, moins d'un mois avant l'entrée en vigueur des chapitres 35 et 36. Dans les Lois révisées, le chapitre I-2 a pour titre abrégé Loi sur l'immigration. L'article premier de cette Loi, qui en présente le titre abrégé, n'a pas été modifié à part le fait que durant le processus de révision des lois, la référence à 1976 a été supprimée. C'est quelque chose qui s'est fait tout naturellement.

[]Les Lois révisées du Canada (1985) ont été compilées par la Commission de révision des lois, en application de la Loi sur la révision des lois5. Dans l'exercice des pouvoirs que la Commission tient de l'article 6 de cette Loi, elle peut exclure les textes périmés, abrogés ou suspendus, exclure les textes qui sont d'application limitée, inclure les parties d'application générale de lois d'intérêt privé, modifier la numérotation et l'économie des textes, apporter à la forme des lois les changements nécessaires à l'uniformité de l'ensemble, sans en modifier le fond, opérer les modifications de forme mineures pour harmoniser la formulation dans les deux langues officielles, sans toucher au fond, apporter les changements nécessaires à la concordance de textes apparemment incompatibles, et enfin, corriger les erreurs de forme, de grammaire et de typographie. En bref, elle n'était pas habilitée à opérer des modifications de fond.

[]Le travail de la Commission de révision des lois, représenté par les Lois révisées du Canada (1985), a été adopté par le Parlement au moyen de la Loi sur les Lois révisées du Canada (1985)6, dont les articles 4 et 5 portent:

4. Les lois révisées ne sont pas censées être de droit nouveau; dans leur interprétation et leur application, elles constituent une refonte du droit contenu dans les lois abrogées par l'article 3 et auxquelles elles se substituent.

5. Dans les lois, règlements ou autre textes ou documents, la mention d'une loi ou partie de loi abrogée par l'article 3, ou d'un terme de celle-ci, équivaut, à propos de faits ultérieurs à l'entrée en vigueur des lois révisées, à la mention des dispositions ou du terme correspondants du texte révisé de la loi ou partie abrogée.

[]L'article 46.01 a été ajouté à la Loi sur l'immigration par le chapitre 357. L'alinéa d) de son paragraphe (1) revêt sa forme actuelle, y compris l'adoption de l'expression "la présente loi", depuis le 1er février 1993, date à laquelle la majorité des autres modifications apportées à la même loi par le chapitre 49 des Lois du Canada, 1992, est entrée en vigueur. À la même date, la portée de la définition de "réfugié au sens de la Convention" avait été, comme noté, supra , considérablement réduite par rapport à la définition qui était en vigueur au moment où le demandeur s'est vu reconnaître ce statut.

L'ARGUMENTATION DES PARTIES

[]Les avocats de l'une et l'autre parties invoquent la jurisprudence Ardon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)8 ainsi que les décisions de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui y faisaient suite. Il est vrai que les faits de la cause Ardon sont, du moins superficiellement, fort semblables aux faits de l'espèce, mais cette décision portait sur l'interprétation de la version de l'alinéa 46.01(1)d) de la Loi sur l'immigration qui précède la version actuelle et n'avait rien à voir avec le groupe nominal "la présente loi". Elle ne m'est donc pas d'un grand secours pour le jugement de l'affaire en instance. Le seul élément que j'aie pu en tirer est la constatation que les modifications par les chapitres 35 et 36 étaient "importantes" et que la Loi en vigueur en 1986 était, au moment de la décision Ardon [à la page 132], "souvent appelée "l'ancienne" Loi sur l'immigration". De même, les décisions de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ne servent à rien pour ce qui est du jugement de l'affaire en instance, puisqu'elles font suite à la décision Ardon bien qu'elles y aient considérablement ajouté.

[]Les deux dispositions suivantes de la Loi d'interprétation9 ont été invoquées durant les débats:

12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

    [. . .]

44. En cas d'abrogation et de remplacement, les règles suivantes s'appliquent:

    [. . .]

    f) sauf dans la mesure où les deux textes diffèrent au fond, le nouveau texte n'est pas réputé de droit nouveau, sa teneur étant censée constituer une refonte et une clarification des règles de droit du texte antérieur;

[]A été également invoqué l'ouvrage Driedger on the Construction of Statutes10 où on peut lire ce qui suit sous l'intertitre [traduction] "Principes d'analyse téléologique", à la page 35:

[traduction] La méthode d'interprétation téléologique des lois peut se résumer par les principes suivants:

    (1) Toute loi est présumée viser un but. Le juge peut, par l'interprétation, découvrir ou dégager judicieusement ce but.

    (2) Le but de la loi doit être pris en considération dans tous les cas et à tous les stades de l'interprétation, y compris la détermination du sens courant des termes et locutions.

    (3) Toutes choses étant égales, il faut privilégier l'interprétation qui est compatible avec le but de la loi ou qui en favorise la réalisation, et éviter celle qui fait échec à ce but ou en compromet la réalisation.

    (4) Le sens ordinaire d'une disposition peut être rejetée en faveur d'une interprétation plus compatible avec le but, si cette dernière n'est pas en conflit avec les termes de la loi.

Les avocats en présence insistent en particulier sur le quatrième principe, mais je me guiderai dans mon analyse sur l'ensemble des quatre principes et sur l'article 12 et l'alinéa 44f) de la Loi d'interprétation, cités, supra.

[]Enfin, l'avocat du défendeur, évoquant certaines autres dispositions de la Loi sur l'immigration où figure l'expression "la présente loi", soutient qu'il ne faut pas en donner, dans le contexte de l'alinéa 46.01(1)d ), une interprétation qui irait à l'encontre du sens "ordinaire et évident" de la même expression telle qu'elle figure dans ces autres dispositions.

ANALYSE

[]L'intégration par référence des clauses d'exclusion de la Convention dans la définition en question a aligné, bien plus que ce n'était le cas auparavant, la définition de "réfugié au sens de la Convention" de la loi canadienne sur les instruments internationaux en la matière. Par exemple, les personnes coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité n'auraient pas été exclues du statut de réfugié au sens de la Convention, au moment où le demandeur se vit reconnaître ce statut. Par contre, depuis 1989 et sur la foi de preuves concluantes, une personne se trouvant dans ce cas aurait été exclue. Une interprétation de l'alinéa 46.01(1)d ) de façon à permettre à une personne comme le demandeur de revendiquer à nouveau le statut de réfugié est, j'en suis convaincu, conforme à l'objectif de la politique canadienne d'immigration, qu'exprime l'alinéa 3g) de la Loi sur l'immigration, encore qu'elle se heurte à certains principes d'interprétation invoqués, supra, et sur lesquels je reviendrai plus loin. Si on donne aux gens qui sont dans le même cas que le demandeur la possibilité de revendiquer à nouveau le statut de réfugié au sens de la Convention, lequel leur avait été reconnu sous le régime de ce qui est appelé, dans la décision Ardon "l'ancienne loi", leur nouvelle revendication pourra être instruite au regard des dispositions d'exclusion de la Convention. Pareil résultat ne serait possible que si l'on donnait au groupe nominal "la présente loi" un sens ordinaire restrictif, savoir "la présente loi" telle qu'elle se lit depuis l'entrée en vigueur de l'alinéa 46.01(1)d ).

[]Une telle interprétation est aussi éminemment logique vu les faits de la cause. Le demandeur s'est vu reconnaître, il y a plusieurs années, le statut de réfugié au sens de la Convention vis-à-vis de l'Éthiopie, à l'époque où ce pays comprenait encore ce qui est à l'heure actuelle l'Érythrée. Il est maintenant citoyen de l'Érythrée, et n'a pas le droit de retourner en Éthiopie, telle qu'elle est constituée à cette date. Il prétend que sa crainte de persécution ne concerne pas l'Éthiopie, ce qui n'a de toute façon aucun rapport avec la cause puisqu'il n'a pas le droit d'y revenir, mais qu'il craint d'être persécuté en Érythrée car, bien qu'il eût combattu pour l'indépendance de ce pays et, de ce fait, obtenu le statut de réfugié vis-à-vis de l'Éthiopie, il combattait dans les rangs des rebelles qui ne sont pas en faveur auprès du gouvernement érythréen, c'est pourquoi il craint d'être persécuté par ses agents.

[]L'avocat du demandeur soutient que dans ces conditions, il ne serait pas logique d'interpréter la Loi sur l'immigration, et en particulier l'expression "la présente loi", de façon à dénier à ce dernier la possibilité d'une nouvelle instruction de sa revendication du statut de réfugié, fondée sur sa crainte actuelle de persécution à la lumière des réalités géographiques et politiques de l'heure. Son avocat souligne que le phénomène qui confronte le demandeur, savoir l'éclatement de son pays d'origine, n'est pas quelque chose de rare dans le monde d'aujourd'hui. De fait, dit-il, l'éclatement de nations en entités plus petites est un phénomène courant dans le monde depuis ces dix dernières années.

[]C'est avec une certaine hésitation que je dois conclure qu'une telle interprétation de l'alinéa 46.01(1)d), et en particulier de l'expression "la présente loi" qui y figure, va à l'encontre de la méthode d'interprétation téléologique des lois. Elle n'est pas compatible non plus avec l'article 12 et l'alinéa 44f ) de la Loi d'interprétation.

[]Durant toute la période qui nous intéresse en l'espèce, la Loi sur l'immigration, quelqu'en fût le titre, n'a pas été abrogée ni remplacée sauf dans le processus d'adoption des Lois révisées du Canada (1985). À la lumière de l'article 4 de la Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), cité supra, l'abrogation et le rétablissement subséquent ne sont pas des facteurs à prendre en considération. Il s'ensuit que la Loi qui était en vigueur au moment où le demandeur s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en 1984 est la même que celle qui est en vigueur de nos jours, malgré les modifications en profondeur. Aucun objectif spécial n'a été énoncé pour les modifications opérées par le chapitre 35, au contraire des modifications par le chapitre 36. Si le législateur avait eu en vue des objectifs spéciaux comme le prétend le demandeur, il les aurait énoncés. Il ne l'a pas fait. À cet égard, le contraste est frappant entre le chapitre 35 et le chapitre 36. La politique canadienne d'immigration, pour ce qui est des obligations internationales du pays en matière de réfugiés et de la tradition humanitaire du Canada vis-à-vis des personnes déplacées et persécutées, n'a pas changé, sauf ce qui est expressément prévu par le chapitre 36.

[]Le changement du titre de la loi qui, de Loi sur l'immigration de 1976, est devenue Loi sur l'immigration, n'a aucune signification particulière. Opéré dans le cours de la révision des lois, il représente juste un toilettage de forme.

[]De même, je ne vois rien de significatif dans le fait que dans les dispositions transitoires du paragraphe 35, la Loi, dans sa version antérieure, se disait "l'ancienne loi". La constatation faite dans Ardon11 que la Loi telle qu'était en vigueur avant les modifications par le chapitre 35 était "l'ancienne" Loi sur l'immigration , n'est d'aucun secours non plus pour le demandeur. La terminologie de convenance adoptée par ceux qui ont à invoquer régulièrement la Loi sur l'immigration n'est pas en soi un outil d'interprétation.

[]Le groupe nominal "la présente loi" figurant à l'alinéa 46.01(1)d ) a un sens très simple. Il renvoie à la Loi dans laquelle il figure, non pas à la version de cette Loi au moment où il y fut inséré ni après ce moment, mais à la même loi telle qu'elle se lisait avant son insertion, telle qu'elle se lit depuis et telle qu'elle se lira jusqu'à ce que ces mots "la présente loi" soient changés ou que la Loi soit abrogée et rétablie, autrement que dans un processus de pur toilettage, sous la même forme ou sous une forme différente. À mon avis, cette conclusion est la seule possible, la seule qui soit compatible avec l'histoire législative, depuis 1984, de la Loi sur l'immigration . On peut tirer un certain réconfort du fait que cette conclusion, du moins dans l'argumentation de l'avocat du défendeur, est en harmonie avec une interprétation raisonnable d'autres dispositions de la Loi sur l'immigration, où figure cette même expression.

[]Cela dit, je suis déçu qu'en fin de compte, les personnes comme le demandeur, qui se sont vu reconnaître le statut de réfugié vis-à-vis d'un pays où elles ne peuvent retourner, soient irrecevables à revendiquer le même statut contre un pays qui n'existait pas à la date de la décision initiale et dans lequel elles doivent être renvoyées. Pareil résultat est difficile à justifier à la lumière de l'histoire contemporaine et au regard de l'alinéa 3g) de la Loi sur l'immigration.

CONCLUSION

[]Par suite de mon interprétation de l'historique du texte de loi applicable et de l'analyse ci-dessus, le demandeur sera débouté de son recours en contrôle judiciaire.

CERTIFICATION DE QUESTION

[]À la clôture de l'audience, j'ai fait savoir aux avocats en présence que j'étais enclin à faire droit à ce recours en contrôle judiciaire. Qu'ils aient été influencés ou non par cette opinion, ils ont convenu de demander que la question suivante soit certifiée:

[traduction] La phrase "le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été reconnu aux termes de la présente Loi ou des règlements" figurant à l'alinéa 46.01(1)d) de la Loi sur l'immigration , L.R.C. (1985), ch. I-2, renvoie-t-elle seulement à la Loi sur l'immigration dans sa forme actuelle, ou à la fois à la Loi sur l'immigration de 1976 et à l'actuelle Loi sur l'immigration?

Ainsi qu'il ressort des motifs, supra, je suis parvenu à une autre conclusion quant à la suite à donner à l'affaire. J'estime cependant qu'il y a lieu de certifier une question comme celle qui a été proposée. Je conclus qu'il s'agit là d'une question grave de portée générale. À la lumière de mon analyse supra, j'ai décidé de la reformuler comme suit:

    L'expression "la présente loi" figurant à l'alinéa 46.01(1)d ) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, renvoie-t-elle à la Loi sur l'immigration telle qu'elle se lit depuis la date d'entrée en vigueur de l'actuel alinéa 46.01(1)d), ou à la même loi dans tous ses avatars depuis 1983, quelqu'en ait été le titre?

[]L'avocat du défendeur a eu par la suite des doutes quant à la question soumise par les deux parties à la certification et a écrit à la Cour pour demander à revoir le projet de motifs du jugement en vue de nouvelles conclusions à ce sujet. Même sans cette demande, j'aurais communiqué le projet aux parties pour examen plus poussé de la question à certifier, vu la suite que j'ai réservée à l'affaire. Le projet de motifs du jugement a donc été communiqué aux parties.

[]L'avocat du demandeur a demandé que la question que je me proposais de certifier soit modifiée de façon à faire référence à 1976 ou à 1978, année où la Loi sur l'immigration de 1976 est entrée en vigueur, par ce motif que dans un contexte plus général, l'année 1983 mentionnée dans la question envisagée n'avait "aucune portée juridique générale".

[]La "portée juridique générale" n'est pas un facteur à prendre en considération dans la certification d'une question aux fins d'appel. Dans Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)12 , le juge Décary a conclu en ces termes en page 5:

Lorsqu'il certifie une question sous le régime du par. 83(1), le juge des requêtes doit être d'avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu'elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [. . .] et qu'elle est aussi déterminante quant à l'issue de l'appel. Le processus de certification qui est visé à l'art. 83 de la Loi sur l'immigration ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l'art. 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale ni être utilisé comme un moyen d'obtenir, de la Cour d'appel, des jugements déclaratoires à l'égard de questions subtiles qu'il n'est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.

La modification proposée par l'avocat du demandeur pour la question à certifier en ferait une qui déborderait du cadre d'une question déterminante en appel et, plus encore, un sujet de renvoi ou d'action en jugement déclaratoire. Par ce motif et attendu que l'avocat du défendeur trouve "acceptable" la question envisagée, je ne la modifierai pas. Il va sans dire, mais je le dis tout de même, qu'elle "transcende les intérêts des parties au litige, qu'elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale".

[]L'avocat du demandeur a soumis à la certification une seconde question comme suit:

[traduction] Une personne qui s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention à titre de personne qui "se trouve hors du pays dont elle a la nationalité" [voir la Loi sur l'immigration , paragraphe 2(1), définition de "réfugié au sens de la Convention", a)(i)] est-elle assimilable à la personne à laquelle "le statut de réfugié au sens de la Convention [. . .] a été reconnu aux termes de la présente loi et des règlements" dans le cas où, par la suite, le pays dont elle avait la nationalité a éclaté et où le pays dont elle a maintenant la nationalité est un nouveau pays qui n'existait pas au moment de la décision sur son statut de réfugié?

Cette question a été aussi proposée sous une autre forme. L'avocat du demandeur soutient qu'il y a lieu de la certifier puisqu'elle porte expressément sur la question de "l'éclatement d'un pays".

[]Je conclus que cette seconde question, telle qu'elle est proposée, est comprise dans la question à certifier, encore qu'en termes qui ne s'attachent pas aux faits de la cause. Je conclus qu'il ne sert à rien de certifier une seconde question. Comme l'a fait observer Mme le juge L'Heureux-Dubé, qui prononçait le jugement de la majorité dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)13:

La Cour d'appel a conclu, conformément à son arrêt Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.), que le par. 83(1), en exigeant qu'une "question grave de portée générale" soit certifiée pour qu'un appel puisse être autorisé, limite l'appel aux questions soulevées par la question certifiée. Toutefois, dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1998] 1 R.C.S. 982, 160 D.L.R. (4th) 193, par. 25, notre Cour a conclu que le par. 83(1) n'exige pas que la Cour d'appel traite uniquement de la question énoncée et des points qui s'y rapportent:

    Sans la certification d'une "question grave de portée générale", l'appel ne serait pas justifié. L'objet de l'appel est bien le jugement lui-même, et non simplement la question certifiée.

Le juge Rothstein dit, dans le jugement Ramoutar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 370 (1re inst.), que lorsqu'une question a été certifiée, la Cour d'appel peut examiner tous les aspects de l'appel qui relèvent de sa compétence. Je suis d'accord. Le libellé du par. 83(1) indique, et l'arrêt Pushpanathan le confirme, que la certification d'une "question grave de portée générale" permet un appel du jugement de première instance qui, normalement, ne serait pas autorisé, mais ne limite pas la Cour d'appel ni notre Cour à la question énoncée ou aux points qui s'y rapportent directement. Par conséquent, nous pouvons examiner tous les points soulevés dans le pourvoi.

[]Par application de cette jurisprudence, je conclus qu'ils serait tout à fait redondant de certifier une seconde question. Une fois une question certifiée, "nous [la juridiction d'appel] pouvons examiner tous les points soulevés dans [l'appel]".

1 L.R.C. (1985), ch. I-2, mod.

2 S.C. 1976-77, ch. 52.

3 Ou L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28.

4 Ou L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29.

5 L.R.C. (1985), ch. S-20.

6 L.R.C. (1985), (3e suppl.), ch. 40.

7 L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14.

8 (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 131 (C.A.F.).

9 L.R.C. (1985), ch. I-21, mod.

10 Troisième édition par Ruth Sullivan (Toronto: Butterworths Canada Ltd., 1994).

11 Supra, note 8.

12 (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.).

13 (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.), à la p. 207.

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