Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

La Reine (Demanderesse) c.
Joseph Edgar Skelton, Dorothy Marie Skelton et la Dain City Auto Wreckers Limited (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Heald — Welland, les 14, 15, 16, 17 et 18 février; Ottawa, le 10 mars 1972.
Expropriation—La parcelle expropriée était utilisée pour la démolition de voitures—Quelle en est la valeur—Principes applicables—L'utilisation la meilleure et la plus profitable— Préjudice commercial.
Le 6 décembre 1965, la Couronne expropria un terrain situé dans le comté de Welland (Ontario) et appartenant à la compagnie défenderesse, conformément à la Loi sur l'Ad- ministration de la voie maritime du Saint-Laurent, S.R.C. 1970, c. S-1. La compagnie défenderesse exploitait une entreprise de démolition de voitures sur ce terrain.
Arrêt: 1. Le terrain doit être évalué en se fondant sur l'utilisation la meilleure et la plus profitable ce qui, d'après la preuve, était l'utilisation comme terrain de démolition de voitures. On doit aussi tenir compte du potentiel de la propriété au moment de l'expropriation.
Arrêts mentionnés: Woods Manufacturing Co. c. Le Roi [1951] R.C.S. 504; Duthoit c. Manitoba (1965) 54 D.L.R. (2.) 259, [1967] R.C.S. 128; C.C.N. c. Marcus [1969] 1 R.C.É. 327, [1970] R.C.S. 39; C.C.N. c. Hobbs [1970] R.C.S. 337; Saint John Harbour Bridge Authority c. J. M. Driscoll Ltd. [1968] R.C.S. 633.
2. D'après la preuve, la valeur du terrain, à $400 l'acre, s'élève à $5,233.20; celle d'un bâtiment à $17,252; celle des chaussées, du revêtement d'asphalte et des clôtures à $2,- 715.27; celle des voitures et des camions à $35,000; le remblai de 7 acres de terrain à $2,000. L'indemnité appro- priée pour préjudice commercial est fixée à $15,000, cou- vrant la location, les frais de nouvelle installation, les pertes commerciales dues à un emplacement moins favorable, les frais légaux supplémentaires, etc.
ACTION en expropriation.
Derrick Aylen, c.r. et Barry Collins pour la demanderesse.
Duncan McFarlane pour les défendeurs.
LE JUGE HEALD—La présente information a pour but de déterminer l'indemnité d'expropria- tion payable pour certains biens situés dans le canton d'Humberstone, comté de Welland (Ontario), expropriés le 6 décembre 1965—avec l'approbation préalable du gouverneur en con- seil donnée dans le décret en conseil C.P. 1965- 2174 du 2 décembre 1965, en vertu de l'article 18 de la Loi sur l'Administration de la voie
maritime du Saint-Laurent, S.R.C. 1952, c. 242—actuellement S.R.C. 1970, c. S-1, art. 19, et aux fins de ladite Loi, soit, en l'espèce, la modification du tracé du canal de Welland entre Port Robinson et Port Colborne —par le dépôt, le 6 décembre 1965, de ses plan et description au bureau d'enregistrement de la Division d'en- registrerilent du comté de Welland.
Le terrain exproprié est décrit au paragraphe 4 de l'exposé conjoint des faits de la façon suivante:
LA TOTALITÉ ET CHACUNE DES PARTIES de cer- taine parcelle ou étendue de terrain avec ses dépendances, située dans le canton d'Humberstone, comté de Welland, et composée d'une partie du lot 20, concession 5, canton d'Humberstone, comté de Welland, d'une superficie de 13.083 acres approximativement, plus particulièrement décrite comme suit:
ÉTANT ENTENDU que tous les relevés sont astronomi- ques et se rapportent au méridien de longitude 81° 00' ouest:
COMMENÇANT à un point situé à la limite ouest du lot 20 à une distance de 1112.94 pieds de l'angle sud-ouest dudit lot par 19' nord-ouest le long de ladite limite ouest;
DE LÀ, par 19' sud-est, 1012.94 pieds le long de ladite limite ouest;
DE LÀ, par 88° 12' nord-est, 100 pieds;
DE LÀ, par 19' nord-ouest, 12 pieds jusqu'à un point;
DE LÀ, par 88° 12' nord-est, 132 pieds;
DE LÀ, par 19' sud-est, 112 pieds jusqu'à un point situé à la limite sud du lot 20;
DE LÀ, par 88° 12' nord-est, 338.53 pieds le long de la limite sud dudit lot 20 jusqu'à un angle situé sur cette limite;
DE LÀ, par 88° 30' nord-est, 583.95 pieds en continuant le long de ladite limite sud;
DE LÀ, par 19' nord-ouest, 330.0 pieds;
DE LÀ, par 88° 30' 30" sud-ouest, 769.61 pieds;
DE LÀ, par 17° 12' nord-ouest, 805.49 pieds approxima- tivement jusqu'à la limite sud des terrains du Canadien National qui coupent lesdits lots;
DE LÀ, le long d'une courbe incurvée vers la gauche, d'un rayon de 11,393.20 pieds, un arc d'une longueur de 164.44 pieds, la corde correspondante mesurant 164.44 pieds par 89° 56' 16" nord-ouest, jusqu'au point de départ.
C'est en 1949 que le défendeur, M. Joseph Edgar Skelton, a acheté le bien en cause, qui à cette époque n'était pas aménagé. M. Skelton avait déjà exploité une entreprise de démolition de voitures à un demi mille environ de la pro- priété en cause et il a déclaré à l'instruction
qu'il se livre à ce genre d'activité depuis environ trente ans.
Après''avoir acheté le bien en cause, M. Skel- ton y a fait certains aménagements; il lui a fallu un certain temps pour remblayer le terrain et y construire, en 1950, un bâtiment à usage profes- sionnel. En outre, des fourrés ont été arrachés à l'arrière du bâtiment, un système de drainage a été mis en place, les chemins qui traversaient la propriété ont été empierrés et une aire a été asphaltée à l'avant du bâtiment.
En 1957, le défendeur, M. Skelton, a vendu le bien en cause et son entreprise de démolition automobile à la corporation défenderesse, une compagnie qu'il avait constituée. Selon les déclarations qu'il a faites à l'instruction, M. Skelton possédait 98% du capital de cette com- pagnie, soit la totalité moins deux actions ordi- naires dont l'une appartenait à son frère et l'autre à un de ses amis. L'avocat des défen- deurs a précisé à l'instruction que les personnes physiques défenderesses n'avaient ni l'une ni l'autre de droit sur le bien en cause ou ladite entreprise, à la date de l'expropriation, et il a reconnu que toute indemnité accordée par la Cour était payable à la corporation défende- resse.
En 1963, on a entrepris d'agrandir le bâti- ment, mais les travaux n'étaient pas terminés lorsque le bien a été exproprié en 1965. Le plancher n'était pas posé et l'on n'avait pas commencé l'installation du chauffage et de l'é- lectricité. Les deux parties du bâtiment étaient construites en parpaings. Une partie du bâti- ment était réservée à la réparation des automo biles et des camions. L'autre partie servait à l'entreposage des pièces prélevées sur des auto mobiles endommagées qui avaient été amenées jusque sur le terrain. D'autres pièces étaient conservées dans des épaves de camionnettes, d'autobus et de camions stationnés sur le terrain.
La méthode de M. Skelton consistait à ache- ter des épaves de voitures à des compagnies d'assurances, des garages ou des marchands de voitures usagées, etc. Certaines pièces de valeur comme les radios, les radiateurs, les pneus, les batteries, les essieux, les boîtes de vitesses, etc. étaient démontées et entreposées dans les
locaux. D'autres pièces étaient laissées sur les carcasses de voitures dans la cour.
L'avocat des défendeurs prétend que ces der- niers ont droit à une indemnité de $170,000 répartie de la façon suivante:
A. Indemnité pour le terrain et les aména-
gements—remblai excepté $ 44,000
B. Indemnité pour le stock d'épaves de
voitures et de camions du défendeur 42,500
C. Indemnité pour les travaux de remblai
effectués sur le bien en cause 13,000
D. Indemnité pour préjudice commercial, y compris les frais de nouvelle installa tion, les pertes commerciales dues à un emplacement moins favorable; frais lé-
gaux supplémentaires, etc. 70,500
Total $ 170,000
Il m'apparaît pratique d'étudier cette réclama- tion sous les divers titres mentionnés ci-dessus.
A. INDEMNITÉ POUR LE TERRAIN ET LES AMÉ- NAGEMENTS, REMBLAI EXCEPTÉ.
Le bien en cause est une parcelle en forme de «L» située sur le bord septentrional du chemin Forkes dans le lot 20, concession 5, comté de Humberstone, à un demi mille environ à l'est du croisement de la route de comté 12A et du chemin Forkes, soit à six milles environ au nord de la cité de Port Colborne et trois milles envi- ron au sud de la cité de Welland; sa superficie est de 13.083 acres.
Vers l'ouest, le long du tracé actuel du canal de Welland, on trouve une zone bâtie qui com- prend des terrains à usage commercial, indus- triel et résidentiel. Les terrains situés à l'est et au sud du bien en cause forment une zone essentiellement rurale. La partie supérieure du bien en cause est coupée par une voie principale du Canadien National et de la Wabash Railroad, tandis qu'un embranchement reliant Welland à Port Colborne traverse le lot qui jouxte le bien en cause à l'ouest. Les terrains adjacents sont plats et assez mal asséchés; ils sont recouverts par endroits de marais et de broussailles. Le bien en cause était à l'origine un terrain maréca- geux en dépression; il a été comblé en quelques années et rendu utilisable comme chantier de démolition de voitures. La plus grande partie de la superficie utile du bien en cause formait une
île entre deux ruisseaux, l'un coulant vers le nord-ouest, à la limite est du bien en cause, et l'autre coupant ce dernier presqu'en son centre.
M. Skelton a reconnu que ces deux ruisseaux débordaient généralement au printemps et qu'en conséquence, de nombreuses épaves du défen- deur gisaient dans l'eau pendant un temps con- sidérable. Le bien en cause est desservi par un réseau de chemins sommaire qui permet au propriétaire de circuler entre l'atelier et diverses parties du chantier. Bien qu'en assez piètre état, d'une façon générale, les chemins étaient car- rossables, même pendant les saisons humides. Devant le bâtiment, une esplanade avait été asphaltée. Une barrière de bois blanche clôture le terrain de stationnement et une haute palis- sade de planches ferme le chantier le long du chemin Forkes. Les équipements collectifs que l'on trouve dans le voisinage comprennent les services de l'eau (qui ne va vers l'est, le long du chemin Forkes, que jusqu'au bien en cause, mais qui n'a pas été amenée sur ledit bien), de l'électricité et du gaz naturel. Le chemin Forkes est une voie de communication est-ouest fré- quentée, le long de laquelle on trouve quelques bandes de terrains sur lesquels sont bâtis des résidences et des commerces, à l'ouest du bien en cause, aux abords immédiats de la cité de Dain.
La réclamation de $44,000 présentée par le défendeur à ce titre, est ventilée de la façon suivante:
a) Valeur du bâtiment $ 17,750
b) Valeur du terrain à $1,200 l'acre 15,800
c) Valeur des chaussées, du revêtement d'asphalte devant le bâtiment et des
clôtures 10,686
Total $ 44,236
Le total a été arrondi à $44,000.
Au début de l'instruction, les avocats des deux parties m'ont indiqué qu'ils s'étaient mis d'accord pour évaluer le bâtiment érigé sur le bien en cause à $17,750.
J'accepte cette évaluation qui me paraît rai- sonnable et j'inclurai ce chiffre dans le calcul de l'indemnité.
Je passe maintenant à l'évaluation du terrain en cause. Le défendeur a cité deux estimateurs, M. W. A. Collings de Welland et M. J. C. Brodrick de St. Catharines, qui ont apporté leurs témoignages d'experts sur la valeur du terrain. L'un et l'autre ont estimé le terrain en cause à $1,200 l'acre.
Je propose d'étudier tout d'abord le témoi- gnage de M. Collings. C'était la première fois qu'il témoignait comme estimateur expert devant un tribunal. Il a apporté, à l'appui de son chiffre de $1,200 l'acre, la preuve de dix ventes comparables. La première de ces ventes portait sur 3.4 acres qui se sont vendues $5,000, soit $1,470 l'acre. Cependant, ce qu'il n'a pas dit à la Cour à propos de ce premier exemple, c'est qu'il ne s'agissait pas d'une opération commer- ciale à distance, mais d'une vente réalisée en août 1965 entre Mme Rose D'Amico, vendeur, et une compagnie de camionnage appartenant à sa propre famille, acheteur; il n'a pas dit non plus que, moins d'un mois plus tôt, Mme D'Amico avait acheté cette même superficie pour $1,000 au cours d'une opération à distance. Ces faits ont été révélés au cours du contre-interrogatoire et les copies certifiées des actes pertinents ont été acceptées comme preuves. Que M. Collings ait eu en sa possession les informations relati ves à la première vente, ou que la minutie ait fait défaut à son enquête, son manque de préci- sion et d'exactitude en ce qui concerne cet élément de comparaison, jette un doute sur la valeur d'ensemble de son évaluation. Il faisait également erreur en fixant la superficie de l'élé- ment de comparaison 1 à 3.4 acres. Une lecture attentive des actes lui aurait appris que la superficie est en réalité de 2.7 acres.
Les comparaisons de M. Collings comportent bon nombre de défauts. Premièrement, la plu- part de ses éléments de comparaison ont une superficie qui varie entre une et cinq acres, soit considérablement moins que la parcelle en cause. Il ressort de la preuve apportée par d'au- tres témoins que plus la superficie totale est faible, plus le prix à l'acre tend à être élevé. Deuxièmement, la plupart de ses éléments de comparaison sont distants de deux à six milles du terrain en cause et, dans plusieurs cas, ils étaient situés dans la zone industrielle de la cité de Welland ou de la cité de Port Colborne.
Quelque effort d'imagination que l'on fasse, on ne peut pas dire que ces terrains soient compa- rables au bien en cause. Dans un cas, la compa- raison ne portait même pas sur une vente, mais plutôt sur une offre à $1,200 l'acre d'un terrain situé dans sa nouvelle zone industrielle par la cité de Welland. Certains de ses éléments de comparaison étaient des terrains bâtis, ce qui fait intervenir une évaluation arbitraire des constructions par M. Collings pour en déduire la valeur du terrain. Ces évaluations ne me parais- sent ni très précises ni fiables.
Son seul élément de comparaison qui se rap- prochait tant soit peu du bien en cause était son exemple 7 (un quart de mille à l'ouest), mais la superficie du 7 n'était que de 4.67 acres et il se trouvait vers l'ouest, de l'autre côté de l'actuel canal de Welland. On a déclaré, et ceci n'a pas été contesté, que le terrain coûtait plus cher à l'ouest du canal qu'à l'est. L'autre pro- blème soulevé par l'élément de comparaison 7 était que la vente avait eu lieu en octobre 1967, près de deux ans après la date d'expro- priation. La preuve selon laquelle les prix ont considérablement augmenté dans la zone d'ex- propriation au cours des mois qui ont suivi l'expropriation de décembre 1965, n'a pas été contestée.
Pour tous ces motifs, j'ai conclu que je ne pouvais accepter l'évaluation de M. Collings.
J'en viens maintenant au témoignage de M. Brodrick, l'autre estimateur cité par le défen- deur, qui a également évalué le bien en cause à $1,200 l'acre. M. Brodrick s'est lui aussi fondé sur dix éléments de comparaison. Il est signifi- catif que la moitié d'entre eux (5), étaient les mêmes que ceux de M. Collings. Huit de ces dix éléments de comparaison avaient une superficie qui variait de 0.81 à 5.07 acres. Six sur dix étaient situés à l'ouest de l'actuel canal. Seul l'élément de comparaison 5 avait une taille comparable, mais il se trouve à l'ouest du canal, dans la zone industrielle de la cité de Welland et à quelque trois milles du bien en cause.
A mon avis, M. Brodrick s'est fondé sur la présomption fausse que le défendeur ne pouvait obtenir un permis pour établir un chantier de démolition de voitures dans le voisinage immé- diat du bien en cause, sauf s'il se réinstallait
dans la zone industrielle de la cité de Welland. La preuve n'a pas du tout établi qu'il ne pouvait pas s'installer dans le voisinage immédiat s'il acceptait de le faire à l'est du canal (le bien en cause est situé à l'est du canal). En fait, il a bien obtenu un permis pour exploiter un chantier de démolition de voitures à un mille et demi ou deux milles à l'est de son ancien établissement, et c'est qu'il a réinstallé son entreprise.
M. Brodrick présumait à tort, comme l'ont prouvé les événements ultérieurs, qu'il ne pou- vait obtenir de permis en dehors de la zone industrielle de Welland, et, pour ce qui est des prix, il comparait à tort le bien en cause à la zone industrielle de Welland. C'était vraiment comparer des «pommes» et des «oranges». La preuve m'a convaincu que chacun des exemples «comparables» de M. Brodrick n'est pas en réalité «comparable» du tout.
La demanderesse a également cité deux esti- mateurs experts en évaluation foncière, MM. Ford et Mackenzie. Le témoignage de M. Mac- kenzie m'a fait forte impression. Ses qualifica tions professionnelles sont irréprochables. Il est membre de diverses chambres d'immeubles et associations d'estimateurs immobiliers cana- diennes et américaines. Il a suivi de nombreux cours d'agents immobiliers et d'estimateurs, tant au Canada qu'aux États-Unis. Il était chargé de cours de principes d'évaluation au collège Niagara et au collège Mohawk. Il est estimateur immobilier, courtier et expert conseil depuis 1958, et il a eu de nombreuses occasions de témoigner comme expert devant les tribu- naux. Il a également fait de la vente immobilière et il est vice-président d'une agence immobilière à Niagara Falls (Ontario).
Il est parvenu à une valeur de $350 l'acre pour le terrain du bien en cause. Il utilise dans son rapport d'expertise douze éléments de comparaison.
M. Mackenzie a beaucoup insisté dans sa déposition sur le fait que la taille d'une parcelle joue un grand rôle dans le prix unitaire. Il a également beaucoup insisté sur le fait qu'une parcelle de deux ou trois acres à l'ouest du canal n'était absolument pas comparable au bien en cause—que le prix à l'acre serait large-
ment plus élevé pour une telle parcelle que pour le bien en cause.
Il m'est apparu que sa démarche était préféra- ble à celle des trois autres estimateurs. Selon ses déclarations, il a essayé de trouver des ventes portant sur des terrains très proches du bien en cause et qui avaient eu lieu à des dates aussi voisines que possible du 6 décembre 1965, date de l'expropriation en cause. Il a utilisé comme éléments de comparaison treize ventes réalisées dans neuf lots de trois conces sions du canton de Humberstone. La plupart de ses éléments de comparaison étaient à moins d'un mille du bien en cause.
Je cite un passage de la page 17 de son rapport d'expertise:
[TRADUCTION] Les ventes 4, 5, 6 & 7 constituent de bons indices pour estimer la valeur du terrain en cause, car il s'agit d'opérations immobilières récentes réalisées dans une zone proche du bien en cause ... Les ventes 4, 5 et 6 portent sur des terrains de superficie comparable à celle du bien en cause et révèlent un prix maximum de $285 l'acre (vente 6) pour un terrain de ce type dans cette zone. Cependant, leur situation à l'intérieur des terres et leur éloignement des routes principales (c.-à-d. le chemin Forkes) indiqueraient une valeur supérieure pour le bien en cause.
M. Mackenzie s'est ensuite référé à la vente d'un terrain situé à l'ouest du canal, au prix de $500 l'acre (vente 12) et il a observé que les prix des terrains semblent supérieurs à l'ouest du canal de Welland le long du chemin Forkes. Voici sa conclusion:
[TRADUCTION] En dernière analyse, la valeur du terrain en cause semble se situer entre la valeur que révèle la vente 6 ($285 l'acre) pour des terrains ruraux et une valeur infé- rieure à celle qui ressort de la vente 12 ($500 l'acre).
Par conséquent, je suis d'avis que la juste valeur mar- chande du bien en cause est de 350 dollars l'acre.
Le second estimateur expert cité par la demanderesse était M. H. Wilfrid Ford, d'Ha- milton. M. Ford fait des évaluations depuis vingt-sept ans. Il a témoigné à plusieurs reprises comme estimateur expert devant les tribunaux. Il est membre de diverses organisations immo- bilières et d'instituts d'estimateurs. Pour cerner la valeur marchande du bien en cause, il a utilisé huit ventes comparables. Cependant, à une exception près (exemple 7-12.2 acres), la superficie de ses éléments de comparaison variait entre un minimum de 50 acres et un
maximum de 115 acres. En outre, beaucoup des éléments de comparaison étaient situés à plu- sieurs milles du bien en cause, et même huit milles pour l'un d'eux.
Le seul de ses éléments de comparaison auquel je puisse vraiment me fier est son exem- ple 7, l'exemple 6 de M. Mackenzie (ci- dessus). Il s'agissait d'une parcelle de 12.2 acres vendue en novembre 1965 au prix de $285 l'acre.
A la page 14 de son rapport d'expertise, M. Ford a résumé son opinion de la façon suivante:
[TRADUCTION] Il faut garder présent à l'esprit, en comparant le bien en cause aux ventes susmentionnées, que l'emplace- ment en cause est presqu'une île, du fait des deux ruis- seaux. Les possibilités d'usage de l'emplacement s'en trou- vent réduites, à moins d'apporter un volume considérable de remblai afin d'élever le niveau du sol. Il faut reconnaître cependant à son actif que l'emplacement en cause est proche d'un point d'eau filtrée dont les réserves sont toute- fois (ainsi que l'explique la «description de l'emplacement») très limitées.
Par conséquent, après avoir envisagé toutes les variables pertinentes, et tenant compte des avantages que peut pré- senter pour l'emplacement en cause la proximité immédiate du hameau de Welland junction, je suis d'avis que la valeur marchande du terrain en cause était, à la date du 6 décem- bre 1965, de $300 l'acre.
La jurisprudence émanant de nos tribunaux est exhaustive s'agissant des règles qu'il con- vient d'appliquer pour fixer l'indemnité dans des affaires de cette sorte.
Rendant le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Woods Manufacturing Co. c. Le Roi [1951] R.C.S. 504, le juge en chef Rinfret déclarait aux pages 506 à 508:
[TRADUCTION] Bien que les principes qui entrent en jeu lorsqu'il s'agit de déterminer l'indemnité payable au proprié- taire à la suite d'une expropriation par la Couronne en vertu des dispositions de la Loi des expropriations, 1927 S.R.C., c. 64 et de diverses autres lois canadiennes conférant des pouvoirs d'expropriation, aient été depuis longtemps établis, d'une manière qui nous semble claire, par des décisions du Comité judiciaire et par cette Cour, il peut être bon de les formuler de nouveau. Dans Cedars Rapids Manufacturing and Power Co. c. Lacoste ([1914] A.C. 569), des procédures d'expropriation avaient été engagées en vertu des disposi tions de la Loi des chemins de fer de 1903; or le Comité judiciaire a décidé qu'au Canada les principes juridiques en vertu desquels les indemnités d'expropriation de bien-fonds devaient être accordées étaient les mêmes que ceux qui existaient alors en Angleterre; et Lord Dunedin a expressé- ment approuvé l'énoncé de ces principes par les juges Vaughan-William et Fletcher -Moulton dans Re Lucas and
Chesterfield Gas and Water Board ([1909] 1 K.B. 16). Dans l'affaire Cedars Rapids, l'objet de l'expropriation se compo-
sait de deux îles et de certains droits réservés sur un
bien-fond situé dans le fleuve St-Laurent, dont la valeur principale ne résidait pas dans le terrain lui-même, mais
dans l'emplacement des îles qui les rendait indispensables à la construction d'une installation hydro-électrique sur le fleuve. C'est dans cette affaire que l'on a exprimé pour la première fois le principe selon lequel, lorsque l'élément qui confère au bien un prix supérieur à la simple valeur du terrain lui-même consiste en sa faculté de s'adapter à cer- taine entreprise, la valeur pour le propriétaire doit être entendue comme le prix que d'éventuels entrepreneurs seraient disposés à payer, et ce prix doit être comparé à ceux du marché idéal dans lequel se serait déroulée la transaction si le terrain avait été offert en vente avant qu'aucun entrepreneur ne se soit assuré les moyens ou n'ait acquis les autres objets qui ont permis de matérialiser l'éventualité que constituait l'ensemble de l'entreprise. Cette décision a été suivie, la même année, par un second juge- ment du Comité judiciaire dans l'affaire Pastoral Finance Association c. Le Ministre ([1914] A.C. 1083), dans laquelle Lord Moulton, examinant une demande d'indemnisation pour les biens expropriés par le gouvernement de la Nou- velle-Galle du sud en vertu du Public Works Act de 1900 de cet état, déclarait que les propriétaires avaient droit à rece- voir à titre d'indemnité le prix que représentait pour eux le terrain et que la façon la plus pratique de poser le problème consistait probablement à dire qu'ils avaient droit au prix qu'un homme avisé, dans leur situation, aurait été disposé à payer plutôt que de se voir refuser le terrain.
Ces principes juridiques ont été uniformément suivis par les jugements de cette Cour. Dans l'affaire Lake Erie and Northern Railway c. Brantford Golf and Country Club ((1917) 32 D.L.R. 219, à la page 229), qui faisait intervenir la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1906, c. 37, le juge Duff, qui est devenu par la suite juge en chef, discutant l'expression «le prix que représentait pour eux le terrain», déclarait notamment, après avoir affirmé que la proposition ne signifie pas que l'on doit accorder une indemnité pour des éléments de valeur reposant sur des considérations ou des motifs qui ne peuvent être mesurés par référence à des normes économiques:
Il ne s'ensuit pas, bien sûr, que le propriétaire contraint de céder son terrain n'a droit qu'à l'indemnité qui peut être mesurée par référence au prix de vente du terrain sur le marché. Il y a droit de toute façon, mais, en sa possession, le terrain peut être propre à l'exercice de quelque entreprise lucrative qu'il y exploite ou désire y exploiter et, dans ces circonstances, il se peut fort bien que le prix de vente du terrain sur le marché ne constitue pas pour lui une indemnisation satisfaisante de la perte de la possibilité qu'il avait d'y exploiter cette entreprise. Dans une espèce similaire, Pastoral Finance Association c. Le Ministre ([1914] A.C. 1083, à la page 1088), Lord Moulton a proposé ce qu'il appelait une formule pratique, selon laquelle le propriétaire a droit au prix qu'un homme avisé, dans sa situation, serait disposé à payer plutôt que de se voir refuser le terrain.
La même année, dans l'arrêt Lake Erie and Northern Railway c. Schooley ((1916) 53 R.C.S. Can. 416, à la page
421), le juge Davies citait le passage susmentionné du jugement de Lord Moulton et y souscrivait, estimant qu'il énonçait le juste principe; le juge Anglin se déclarait du même avis. Dans l'arrêt Montreal Island Power Co. c. La ville de Laval ([1935] R.C.S. 304, à la page 307), le juge en chef Duff mentionnait une fois de plus la formule de Lord Moulton comme exprimant avec justesse le principe appli cable lorsque le propriétaire a été contraint de céder son terrain en vertu d'une loi d'expropriation, et dans les arrêts Jalbert c. Le Roi ([1937] R.C.S. 51, à la page 71), Le Roi c. Northumberland Ferries ([1945] R.C.S. 458) et Diggon-Hib- ben Ltd. c. Le Roi ([1949] R.C.S. 712), le principe ainsi énoncé a été retenu et appliqué. La bonne façon d'appliquer ce principe si clairement énoncé ne peut, à notre avis, être décrite avec plus de justesse que dans le dernier arrêt mentionné, rendu par le juge Rand qui déclarait à la page 715:
. le propriétaire, au moment de l'expropriation, doit être réputé sans titre juridique, toutes choses égales d'ail- leurs, et la question est de savoir ce qu'il aurait, en homme avisé, payé pour la propriété plutôt que d'en être évincé.
Ces règles ont encore été justement expri- mées par le juge d'appel Guy, qui déclarait dans l'arrêt Duthoit c. La province du Manitoba (1965) 54 D.L.R. (2e) 259, à la p. 266:
[TRADUCTION] Il suffit de dire, sans entrer dans les détails, qu'il faut appliquer les règles suivantes:
1. La valeur que l'on attache à un terrain est fixée d'après la valeur particulière pour le propriétaire et non pour le preneur;
2. La valeur doit être fondée sur l'utilisation la plus complète et la mieux adaptée de la propriété acquise;
3. La valeur est déterminée à la date de l'expropriation;
4. L'expert doit tenir compte du potentiel de la propriété au moment de l'acquisition.
Ces règles ont été approuvées en appel par un jugement de la Cour suprême du Canada [1967] R.C.S. 128, à la page 131, dans lequel le juge Cartwright, qui est devenu par la suite juge en chef, déclarait:
[TRADUCTION] Le juge d'appel Guy, après avoir énoncé avec concision et justesse les règles qu'il convient d'obser- ver dans la fixation de l'indemnité d'expropriation, ...
Le président Jackett de la Cour de l'Échiquier (maintenant juge en chef de cette Cour) com- mentait, dans l'arrêt Commission de la capitale nationale c. Marcus [1969] 1 R.C.É. 327, con firmé par la Cour suprême du Canada [1970] R.C.S. 39, les règles d'évaluation et déclarait aux pages 349 et 350:
[TRADUCTION] Ce que je dois faire, comme je le com- prends, c'est me mettre à la place d'un individu qui aurait possédé le terrain exproprié juste avant l'expropriation, qui aurait été prêt à vendre, mais qui n'était pas obligé de le
faire, qui aurait été en mesure de juger tous les facteurs qu'une personne raisonnablement prudente et expérimentée considérerait dans un tel cas, et me demander quel prix aurait exigé ce propriétaire pour s'en départir. Je dois aussi me mettre à la place d'un acheteur éventuel d'une propriété pareille au terrain exproprié juste avant l'expropriation, qui n'était pas forcé de l'acquérir, et qui serait en mesure de juger tous les facteurs qu'une personne raisonnablement prudente et expérimentée considérerait dans un tel cas, et me demander quel prix maximum un tel acheteur aurait été prêt à payer pour acheter une telle propriété.
En rendant le jugement de la Cour suprême dans l'affaire Saint John Harbour Bridge Authority c. J. M. Driscoll Limited [1968] R.C.S. 633, le juge Spence déclarait à la page 638:
[TRADUCTION] ... Comme on l'a souvent répété, le principe d'évaluation de l'indemnité d'expropriation de terrains, a été énoncé dans une formule concise par le juge Rand, dans l'arrêt Diggon-Hibben Ltd. c. Le Roi ([1949] R.C.S. 712), à la page 715:
... le propriétaire, au moment de l'expropriation, doit être réputé sans titre juridique, toutes choses égales d'ail- leurs, et la question est de savoir ce qu'il aurait, en homme avisé, payé pour la propriété plutôt que d'en être évincé.
La tâche de l'arbitre consiste à déterminer le montant qu'il convient de fixer en application de ce principe. L'arbitre doit, bien sûr, se fonder sur la valeur du terrain lorsqu'il est utilisé de la façon la plus complète et la mieux adaptée. Si cette utilisation la plus complète et la mieux adaptée n'est pas celle que l'on faisait des terrains au moment de l'expro- priation, l'éventualité d'une telle utilisation complète et adaptée dans l'avenir confère leur valeur aux terrains et la valeur actuelle de ce potentiel doit être prise en compte.
La décision la plus récente en cette matière est probablement l'arrêt de la Cour suprême Commission de la capitale nationale c. Hobbs [1970] R.C.S. 337, dans lequel le juge Abbott déclarait aux pages 339 et 340:
Les principes à suivre dans le calcul de l'indemnité en des affaires de ce genre ont retenu l'attention de cette Cour dans plusieurs décisions antérieures, notamment: Diggon- Hibben, Limited c. Le Roi ([1949] R.C.S. 712, [1949] 4 D.L.R. 785, 64 C.R.T.C. 295); Woods Manufacturing Com pany Limited c. Le Roi ([1951] R.C.S. 504, 67 C.R.T.C. 87, [1951] 2 D.L.R. 465); Gagetown Lumber Co. Ltd. c. Le Roi ([1957] R.C.S. 44, 6 D.L.R. (2°) 657). Il serait inutile de les reprendre en détail. En règle générale, un propriétaire a droit à la valeur que son bien a pour lui, en prenant comme base de calcul l'utilisation la meilleure et la plus profitable. Cela peut être la valeur marchande, mais cela peut être davantage dans les cas où, pour une raison quelconque, le terrain a pour celui qui le possède une valeur qu'il n'aurait pour aucun autre qui en ferait le même usage.
S'il est allégué qu'un bien a pour son propriétaire une valeur supérieure à sa valeur marchande, c'est ce dernier qui doit prouver les faits démontrant cette valeur, laquelle doit être appréciable en argent. II ne suffit pas que le réclamant déclare qu'il serait prêt à payer une certaine somme plutôt que de se départir de son bien. Il lui faut prouver que certaines caractéristiques du terrain exproprié lui confèrent, pour son propriétaire, une valeur particulière du point de vue économique; aucune valeur ne peut être attribuée à l'attachement sentimental du propriétaire à son bien.
Le seul fait sur lequel s'accordaient les quatre estimateurs experts était que la propriété en cause faisait l'objet de l'utilisation la meilleure et la plus profitable au moment de l'expropria- tion (c.-à-d., un chantier de démolition automobile).
Cet accord s'exprime au paragraphe 25 de l'exposé conjoint des faits, les parties con- viennent également que l'utilisation à la date de l'expropriation était la meilleure et la plus profitable.
J'ai déjà dit que le témoignage de l'estima- teur, M. Mackenzie, m'avait fait très forte impression. Selon ses conclusions, la valeur maximum dans la zone en question serait, si l'on se fonde sur des ventes très voisines de l'opération en cause, de $285 l'acre. Il a ensuite relevé son prix jusqu'à $350 l'acre pour tenir compte du fait que le bien en cause se trouvait sur un chemin quelque peu meilleur et que, par sa situation, il se prêtait mieux à l'exploitation d'une entreprise du type de celle du défendeur.
La seule critique que je formule à l'encontre de son évaluation est qu'il n'a pas, à mon avis, suffisamment compensé les avantages que pré- sente la propriété en cause par rapport à celles qui s'en rapprochent le plus.
Le bien en cause donnait sur le chemin Forkes, une route pavée toutes saisons; les élé- ments de comparaison les plus proches don- naient sur le chemin Snider, une route de gra- vier toutes saisons. On a établi à l'audience que pendant deux mois au moins chaque printemps, le passage sur les routes de gravier était res- treint par une limite de demi-charge. Le fait était important pour l'entreprise du défendeur, car, ainsi qu'il a été établi, les charges et le matériel lourds ne sont pas rares dans ce type d'activités. Je suis par conséquent d'avis que le terrain du défendeur doit être évalué à $400
l'acre à la date de l'expropriation. Je suis arrivé à cette conclusion en me fondant sur la preuve qui a été apportée et en appliquant les principes dégagés par la jurisprudence susmentionnée aux faits de cette espèce. A mon avis, la somme de $400 l'acre représente la valeur du bien en cause pour le propriétaire, à la date de l'expro- priation, en prenant comme base de calcul l'uti- lisation la meilleure et la plus profitable. J'ai également tenu compte du potentiel de la pro- priété au moment de l'expropriation.
Cette valeur est inférieure à celle des terrains situés à l'ouest de l'actuel canal ($500), car il ressort clairement de la preuve que ces terrains ont sans aucun doute une valeur supérieure à ceux qui sont situés à l'est du canal.
Il me semble intéressant de remarquer que le défendeur s'est réinstallé à un mille et demi ou deux milles à l'est du bien en cause, toujours le long du chemin Forkes, sur un terrain qu'il a acheté en avril 1970 à $390 l'acre.
J'admets que le prix de remplacement ne doit pas être pris comme mesure de la valeur du bien exproprié, mais il peut indiquer que la valeur que je me propose d'attribuer au bien en cause est juste et raisonnable à tous points de vue. On a allégué que postérieurement à l'expropriation de 1965, les prix du marché ont peu à peu augmenté dans cette zone. Même après plu- sieurs années d'augmentation des prix sur le marché, le défendeur a pu obtenir un permis pour établir son nouveau chantier de démolition automobile sur un terrain situé à environ un mille et demi plus loin, qui lui a coûté légère- ment moins de $400 l'acre.
Au total, la valeur du terrain en cause est la suivante:
13.083 acres à $400 l'acre: $5,233.20.
Les autres rubriques de la réclamation A sont: la valeur des chaussées, le revêtement d'asphalte à l'avant du bâtiment et les clôtures.
Je traiterai tout d'abord des chaussées de la propriété en cause. Un témoin, M. Cohoon, ingénieur civil, a déclaré dans sa déposition qu'il y avait 4,497 pieds linéaires de chaussées empierrées d'une largeur moyenne de dix pieds. Il a également indiqué les dimensions du revête-
ment d'asphalte, à savoir 110 pieds de long sur 75 de large, soit une surface de 8,250 pieds carrés. Un autre témoin, M. Whitman, estima- teur pour une entreprise de construction, a indi- qué que le coût de remplacement à la date du 2 novembre 1968 était de $5,693 pour les chaus- sées et de $2,740 pour le revêtement d'asphalte.
Par contre, M. Ateo Isippon, un cadre de la Dominion Construction Co. (Niagara) Ltd., entrepreneurs généraux, qui a évalué le coût en juin 1966, a déclaré que sa compagnie aurait remplacé les chaussées à cette époque pour la somme de $1,210. M. Isippon n'a indiqué aucun chiffre pour le revêtement d'asphalte. Il a déclaré que lorsqu'il a visité le bien en cause, au mois de juin 1966, il n'a vu aucun revêtement d'asphalte et qu'à l'avant de la maison, les che- mins avaient le même aspect qu'ailleurs. Plu- sieurs autres témoins qui ont inspecté la pro- priété à une date ultérieure ont également déclaré qu'ils n'avaient vu aucun revêtement d'asphalte.
Je pense qu'un revêtement d'asphalte a bien été posé, mais la preuve qui a été apportée quant à sa confection, aux matériaux utilisés, à l'épaisseur, etc., est loin d'être satisfaisante. La preuve indique qu'il a été posé trois ou quatre ans avant la date d'expropriation. Les photogra- phies montrent qu'il s'était beaucoup abîmé, au point que les visiteurs de la propriété ne pou- vaient plus véritablement le distinguer des chaussées.
En conséquence, j'estime que l'évaluation du défendeur qui avance le chiffre de $8,433 pour les chaussées et le revêtement d'asphalte, est beaucoup trop élevée. Par contre, l'évaluation de la demanderesse, soit $1,210, est peut-être trop faible et ne tient pas compte du revêtement d'asphalte. Selon le témoignage de M. Cohoon, il y avait environ une acre de chaussée sur le bien en cause. Un autre témoin, M. Louis D'A- mico, qui est directeur d'une carrière et vend des pierres, a déclaré qu'une acre de chaussée empierrée aurait coûté $1,627 en 1965, pour une épaisseur de 7 pouces, et qu'il aurait fallu compter $225 pour répandre les pierres, soit un total d'environ $1,850. Il me semble que des travaux de cet ordre auraient conservé au défendeur une surface légèrement meilleure que celle qui lui restait à la date de l'expropriation.
En tenant compte de l'ensemble de la preuve apportée sur ce point, j'estime que la somme de $2,000 constitue une juste évaluation des chaussées et du revêtement d'asphalte du défendeur.
J'en viens maintenant aux clôtures. Selon le témoignage de M. Cohoon, il y avait 636 pieds de palissade de planches haute de 8 pieds et 242 pieds de barrière de bois haute de 3 pieds.
Ici encore, les évaluations du coût de rempla- cement sont très divergentes.
Le témoin du défendeur, M. Whitman, indi- que $2,253 dans son évaluation du 22 novem- bre 1968. Le témoin de la demanderesse, M. Isippon, déclare que sa compagnie aurait cons- truit les deux clôtures, à la date du 15 juin 1966, pour un prix ferme de $1,155. J'accepte le chiffre de M. Isippon; il s'agissait d'un prix ferme applicable au milieu de l'année 1966, quelques mois seulement après l'expropriation.
La valeur des deux clôtures doit être considé- rablement diminuée. Selon le témoignage de M. Skelton, la première clôture a été érigée en 1949. Il n'a pu fournir aucune date pour l'érec- tion du reste. Le témoin, M. Ford, qui précise qu'il a inspecté les deux clôtures, déclare qu'il leur aurait fait subir un abattement de 40% à 50% de leur prix. Les photographies versées au dossier montrent l'aspect sinueux du faîte de la palissade de planches et indiquent que certains des montants devaient être pourris. Les photo- graphies de la barrière de bois montrent qu'elle était dans un état sensiblement meilleur bien qu'elle fût également sinueuse, mais à un moin- dre degré.
Au vu de l'ensemble de la preuve qui a été apportée sur ce point, j'ai conclu que la barrière de bois devait subir une dépréciation de 30% de sa valeur et la palissade de planches une dépré- ciation de 40%.
Je me propose par conséquent d'accorder pour les clôtures une indemnité calculée de la façon suivante:
a) Barrière de bois—Coût de remplace-
ment $ 222.64
moins dépréciation de 30% 66.79
Valeur à la date d'expropriation $ 155.85
b) Palissade de planches—Coût de rem-
placement $ 932.36
moins dépréciation de 40% 372.94
Valeur à la date d'expropriation $ 559.42
Valeur totale des clôtures à la date d'expropriation—
$715.27
J'en ai maintenant fini avec les rubriques qui composent la réclamation A des défendeurs et je récapitule les indemnités que j'ai accordées à ce titre:
A. INDEMNITÉ POUR LE TERRAIN ET LES AMÉNAGEMENTS, REMBLAI EXCEPTÉ
a) Valeur du bâtiment $ 17,750.00
b) Valeur du terrain à $400 l'acre 5,233.20
c) Valeur des chaussées, du revêtement d'asphalte devant le bâtiment et des
clôtures 2,715.27
Total $ 25,698.47
B. INDEMNITÉ POUR LE STOCK D'ÉPAVES
DE VOITURES ET DE CAMIONS
DU DÉFENDEUR
A ce titre, le défendeur réclame la somme de $42,500; le calcul est basé sur son inventaire de fin d'exercice du 31 décembre 1968, ainsi qu'il ressort de l'état financier (non vérifié) du défen- deur pour cette année.
La preuve apportée sur ce point est loin d'être satisfaisante. Dans sa déposition, M. Skelton a déclaré que pour évaluer son stock à la fin de l'année, il [TRADUCTION] «traversait le chantier à pied» et évaluait son stock d'épaves en se fondant sur les «pièces» qu'il était possi ble de revendre; le reste était estimé en fonction de sa valeur à la ferraille, au prix courant. Selon ses déclarations, le cours de la ferraille fluctuait entre $5 et $19 la tonne sur le chantier.
M. Skelton a déclaré que, les premières années, il a maintenu la valeur du stock assez bas, mais qu'après une vérification du fisc en 1964, [TRADUCTION] «il se peut qu'il l'ait quel- que peu relevée». Les états financiers non véri- fiés du défendeur pour les années 1961 et sui- vantes ont été accueillis comme preuves. En 1961, l'inventaire de fin d'exercice était de $11,000; $13,000 en 1962; $15,000 en 1963 et $17,000 en 1964. En d'autres termes, il a aug menté de $2,000 par an. Il s'agit, de toute
évidence, d'une évaluation très grossière et arbitraire. Puis, en 1965, il a tout aussi arbitrai- rement été augmenté pour atteindre $27,500; $35,550 en 1966; $40,250 en 1967 et $42,500 en 1968. M. Skelton n'a pu expliquer comment son stock était passé de $17,000 à $27,500. Il a reconnu que ces chiffres n'étaient [TRADUC- TION] «pas du tout un chiffre exact». Il a égale- ment reconnu que ces chiffres d'inventaire de fin d'exercice [TRADUCTION] «pouvaient assez facilement comporter une erreur de $10,000».
L'évaluation de ce stock se heurtait à un autre obstacle; en effet, la valeur des carcasses de voitures tient plus aux pièces détachées qu'à la ferraille. Après l'expropriation, la demande- resse les a vendues à la ferraille pour un prix total de $27,500. Ceci constitue probablement la valeur minimum du stock. Dans ce type d'en- treprise, la pratique consiste à vendre toutes les pièces vendables récupérées sur les épaves avant de vendre le reste à la ferraille. L'expro- priation a contrecarré le cours normal des affai- res du défendeur et il doit en être dédommagé.
Selon la preuve apportée par M. Walter Quinn, agent de biens de l'Administration de la voie maritime du St-Laurent, certaines des plus vieilles épaves (modèles 1924 à 1930) étaient [TRADUCTION] «dans un assez triste état». Il a déclaré que de nombreuses pièces manquaient dans [TRADUCTION] «90% au bas mot des voitures».
Compte tenu de l'ensemble de la preuve, de son caractère imprécis et insatisfaisant, j'arrive à la conclusion que la somme de $35,000 cons- tituerait une juste indemnité pour le stock dont le défendeur a se départir. Ce prix, sensible- ment supérieur au prix minimum à la ferraille, fait droit en partie à l'affirmation du défendeur selon laquelle, s'il avait pu poursuivre l'exploi- tation de son entreprise, il aurait obtenu plus que la valeur de la ferraille en vendant les pièces récupérables. Ce faisant, je n'ai pas accepté l'évaluation totalement arbitraire que le défendeur a faite de son stock, M. Skelton ayant admis que son erreur pouvait atteindre $10,000 et qu'il avait évalué son stock de façon très superficielle.
C. INDEMNITÉ POUR LES TRAVAUX DE REM- BLAI EFFECTUÉS SUR LE BIEN EN CAUSE
Cette fois encore, la preuve apportée pour aider la Cour à fixer son indemnité était pour le moins insatisfaisante. Dans son témoignage, M. Skelton a déclaré que l'on avait remblayé envi- ron sept acres de la propriété en cause. Ceci s'était avéré nécessaire car son stock d'épaves s'était accru au point d'occuper sept acres envi- ron. Le terrain était en dépression et, pour enlever les épaves, on utilisait de lourdes grues. Pour que ces grues puissent accéder aux épaves tout au long de l'année, une base ferme était nécessaire. Selon son témoignage, le remblai était constitué pour partie de mâchefer qui pro- venait d'une vieille voie ferrée du Canadien National, pour l'essentiel de terre provenant des travaux de terrassement effectués à proximité lors de la construction de l'édifice de la John Deere, et enfin de pierres achetées à différentes dates et à différentes personnes. Le coût n'a pu être chiffré.
La réclamation de $13,000 que présente le défendeur à ce titre, s'appuie sur la preuve apportée par M. Louis D'Amico, à qui l'on a demandé combien il en coûterait de remblayer sept acres, sur la base des prix pratiqués par sa carrière en décembre 1965. Il a estimé le volume de pierres nécessaire à 1,050 tonnes par acre soit, au prix de $1.55 la tonne, frais de livraison inclus, $1,627.50 par acre pour la pierre; le coût de la pierre s'élèverait donc à $11,392.50 pour sept acres; à cette somme le témoin a ajouté $1,575 pour les frais de bulldo zer, ce qui donne un total de $12,967.50 qui a été arrondi à $13,000.
Tout d'abord, rien dans la preuve ne me permet de conclure que le remblai du défendeur était de quelque manière comparable à cette sorte d'assise de pierres homogène que M. D'A- mico avait en vue en fixant son prix. Selon les déclarations de M. Skelton lui-même, le remblai était composé pour partie de mâchefer, de déblais et de pierres pour le reste. De à une solide assise de pierres, il y a loin.
De son côté, l'avocat de la demanderesse me presse de n'accorder aucune indemnité pour le remblai, car dit-il, les travaux de terrassement ne visaient qu'à rehausser le bien en cause jusqu'au niveau des bonnes terres fermes qui nous ont servi de point de comparaison.
Je suis d'avis que la somme de $2,000 consti- tuerait un juste dédommagement pour le rem- blai que le défendeur a déversé sur le bien en cause au cours des années. Je dois tenir compte de sa valeur du point de vue du propriétaire, or ce remblai avait quelque valeur pour lui. Il lui permettait d'exploiter son chantier de démoli- tion de voitures sur ce terrain marécageux en dépression, de déplacer son stock à l'aide de lourdes grues et, par conséquent, il avait sans nul doute une valeur pour le propriétaire à la date de l'expropriation.
D. INDEMNITÉ POUR PRÉJUDICE COMMERCIAL, Y COMPRIS LES FRAIS DE NOUVELLE INSTALLA TION, LES PERTES COMMERCIALES DUES À UN EMPLACEMENT MOINS FAVORABLE; FRAIS LÉGAUX SUPPLÉMENTAIRES, ETC.
C'est là, sans nul doute, la rubrique la plus difficile de toutes.
La réclamation de $70,500 que le défendeur a présentée à ce titre est étayée par la preuve et les rapports de MM. Ronald Hawkins et John Funk (pièce D-42). MM. Funk et Hawkins sont respectivement président et représentant com mercial d'une compagnie de St. Catharines (Ontario) dont la raison sociale est Canadian Corporation Brokers Co., Ltd.
Cette société a été constituée sous le régime de la Real Estate and Business Brokers Act de l'Ontario et elle se livre depuis quinze ans à la vente d'entreprises et de biens immobiliers. Au cours de cette période, plus de soixante-dix ventes ou fusions de corporations ont été réali- sées et d'innombrables compagnies ont été étu- diées en vue de déterminer leur valeur d'aliénation.
A la demande du défendeur, la Canadian Cor poration Brokers a procédé, au cours de l'été 1971, à l'évaluation de la corporation défende- resse. Avant cela, la compagnie ne connaissait pas personnellement le défendeur et elle a prin- cipalement fondé ses extrapolations et ses con clusions sur les états financiers non vérifiés du défendeur pour les années 1961 à 1970 incluses.
A partir des chiffres de ventes et de bénéfices avant impôts ou de pertes de la corporation défenderesse, pour la période 1961 à 1970
incluses, MM. Hawkins et Funk concluent ce qui suit (pièce D-42, p. 11):
[TRADUCTION] Il ressort de la partie II que les ventes ont suivi, de 1961 à 1968, une légère tendance à la hausse, et que des bénéfices apparaissaient chaque année. On pouvait raisonnablement s'attendre à ce que l'expansion des ventes se poursuive et se traduise par des bénéfices égaux ou supérieurs à ceux qui avaient été atteints dans le passé. Tel ne fut pas le cas.
Les témoins ont ensuite pris les bénéfices avant impôt pour les cinq dernières années (1964 à 1968 incluses) et leur ont appliqué un coefficient de pondération, après quoi ils ont établi à $7,184 le bénéfice moyen pondéré avant impôt pour les années 1964 à 1968 incluses.
Selon leur raisonnement, tel aurait été le bénéfice auquel la corporation défenderesse pouvait logiquement s'attendre en 1969, 1970 et les années suivantes, si l'expropriation n'avait pas eu lieu. Puis ils ont extrapolé les chiffres de vente et les bénéfices pour les années à venir jusqu'en 1976, ce qui donne le tableau suivant (pièce D-42, p. 14):
[TRADUCTION]
(Perte) subie ou Bénéfice
Année bénéfice réalisé extrapolé Indemnité
1969 $ ( 6,971.00) $ 7,184.00 $ 14,155.00
1970 (10,227.00) 7,184.00 17,411.00
1971 ( 8,000.00) 7,184.00 15,184.00
1972 ( 4,000.00) 7,184.00 11,184.00
1973 - 7,184.00 7,184.00
1974 3,000.00 7,184.00 4,184.00
1975 5,500.00 7,184.00 1,684.00
1976 8,000.00 7,184.00
$ 70,986.00
Aux fins de la réclamation du défendeur, le total est arrondi à $70,500.
Il me paraît nécessaire de faire un certain nombre de commentaires sur cette évaluation et sur la réclamation correspondante du défen- deur:
1. Le rapport est entièrement fondé sur des états financiers non vérifiés. De lui-même, ce fait réduit considérablement la valeur pro- bante de cette évaluation. Deux des estima- teurs fonciers, M. Brodrick, cité par le défen- deur et M. Ford, cité par la demanderesse,
ont refusé de prendre le revenu comme base de calcul pour évaluer le terrain du défendeur car ils ne disposaient d'aucun chiffre vérifié et ils se sont refusés à utiliser le revenu comme base de calcul en se fondant sur des états financiers non vérifiés. J'ai déjà com menté la façon dont les inventaires de fin d'exercice ont été établis pour dresser les états financiers non vérifiés du défendeur. M. Skelton a simplement [TRADUCTION] «tra- versé le chantier à pied» et il en a fait une évaluation très grossière et arbitraire. Il a reconnu que ces chiffres n'étaient pas exacts du tout et [TRADUCTION] «pouvaient assez facilement comporter une erreur de $10,000». En outre, la demanderesse a cité comme témoin M. Paul Erickson, comptable agréé de Burlington (Ontario) qui a commenté les extrapolations et les prévisions de MM. Hawkins et Funk. M. Erickson est membre d'un important bureau de vérificateurs à Hamilton et il a une très grande expérience de la vérification des livres comptables d'entre- prises de démolition. Il a suivi l'ensemble de l'instruction et entendu toute la preuve appor- tée au nom du défendeur. Selon lui, il hésite- rait à faire aucune prévision sur la base de ces états financiers non vérifiés; compte tenu des contradictions et des inexactitudes recon- nues par M. Skelton, on ne pouvait être sûr de rien. Selon ses propres termes: [TRADUC- TION] «Faire des prévisions dans un tel cas était un exercice dangereux».
2. Le rapport en cause emploie les chiffres du bénéfice avant impôt pour les années en question. Les chiffres auraient été notable- ment inférieurs si l'on avait tenu compte de l'impôt sur le revenu payable pour les années en question. A mon avis, la Cour devrait examiner les bénéfices après impôt plutôt que les bénéfices avant impôt. Mon collègue le juge Gibson s'est prononcé dans ce sens dans l'arrêt Florence Realty c. La Reine [1967] 1 R.C.É. 226, à la p. 241, de même que le juge Thurlow dans un jugement non publié de la Cour de l'Échiquier rendu dans l'affaire Thorne's Hardware c. La Reine (jugement en date du 22 février 1961—voir page 25 du jugement).
3. Le rapport en cause emploie à tort 'une moyenne pondérée qui ne se justifie pas dans
les circonstances de l'espèce. Selon le témoi- gnage de M. Erickson, une moyenne pondé- rée ne se justifie que lorsque les bénéfices des années récentes révèlent une tendance manifeste à la hausse et que celui qui établit les prévisions a de fortes raisons de croire que cette tendance va s'accélérer. Dans de telles circonstances, une moyenne pondérée peut se justifier. Cependant, M. Erickson fait remarquer qu'une tendance de ce type n'était pas manifeste dans le cas de la corporation défenderesse.
La pièce P-27 indique les bénéfices après impôt de la corporation défenderesse d'après ses propres états financiers non vérifiés:
[TRADUCTION]
Année Bénéfices après impôt Ventes
1961 $ 433.52 38,868.72
1962 4,416.68 67,404.13
1963 1,473.29 79,718.65
1964 1,010.11 76,911.95
1965 9,505.17 77,966.27
1966 6,191.99 58,611.84
1967 5,691.38 77,603.82
1968 4,296.21 71,599.47
Il ressort de ce qui précède qu'il n'y avait en réalité aucune tendance à la hausse, ni dans les bénéfices ni dans les ventes. La meilleure année pour les bénéfices a été 1965, puis ils ont baissé chaque année. La meilleure année pour les ventes a été 1963, puis elles ont légèrement diminué chaque année.
4. Les hypothèses que l'on trouve à la page 14 du rapport et qui concernent les pertes et les bénéfices réduits pour les années 1969 à 1975 incluses sont purement théoriques et ne reposent sur aucune preuve solide sur laquelle leurs auteurs pourraient à bon droit se fonder. Les pertes indiquées à la page 14 pour 1969, 1970 et 1971 ne sont pas corrobo- rées par les registres de la compagnie elle- même. Par conséquent, les extrapolations portant sur les pertes sont, à mon avis, de pures conjectures avec en réalité fort peu de base solide, à supposer qu'elles en aient.
5. Le rapport prétend établir le prix de vente du stock, qui, dans des conditions normales, engloberait le bénéfice du défendeur. Puis il vise à calculer la perte ou le bénéfice qui, conclut-il, s'établit à $70,986. Ces deux cal-
culs aboutissent par conséquent à un double emploi. Le défendeur ne peut recevoir la tota- lité de l'indemnité pour perte de bénéfice si l'on a déjà tenu compte du bénéfice réalisé sur la vente de son stock dans l'évaluation du stock. En accordant la somme de $35,000 représentant la valeur du stock du défendeur, j'ai estimé le stock sur la base de son prix de vente, qui tient compte du bénéfice du défendeur.
En bref, je suis arrivé à la conclusion qu'il est impossible d'accorder aucun crédit au rapport d'expertise de MM. Hawkins et Funk pour esti- mer quelle somme il convient d'accorder au défendeur à ce titre.
Je ne doute pas que le défendeur ait subi un grave préjudice commercial dès le moment il a été dépossédé de son bien, au milieu de l'an- née 1969. Il ne s'est réinstallé qu'au milieu de 1970, il a donc perdu dès le départ une année entière.
Il ressort clairement de la preuve qu'il faut de nombreuses années pour constituer un stock d'épaves de voitures tel que celui que possédait le défendeur au milieu de l'année 1969. A la fin de 1970, il n'avait pu acquérir sur son nouvel emplacement qu'un stock d'environ 100 voitu- res. A la fin de 1971, il avait pu accroître son stock jusqu'à 250 à 300 voitures environ.
Au cours de ses cinq dernières années de pleine activité (1964 à 1968), le chiffre moyen de ses ventes s'établissait à $73,000 environ par année. Durant cette période de cinq ans, les bénéfices moyens étaient de l'ordre de $5,300 par an, après déduction de l'impôt sur le revenu.
En me basant sur ces chiffres, j'estime que le défendeur a droit pour l'année 1969 à une indemnité couvrant environ 75% du bénéfice annuel moyen, car il a été évincé de son entre- prise en avril 1969. Il n'a pu reprendre ses activités sur son nouvel emplacement avant le milieu de l'année 1970. En outre, la marche de ses affaires a été très lente au cours de la deuxième partie de 1970 et ce, pour deux rai- sons: premièrement, l'accès de son nouvel emplacement était rendu très difficile du fait des travaux de construction et de réaménage- ment routier, etc.; et, deuxièmement, il ne pos- sédait aucun stock, il n'avait rien à vendre, ce
qui a causé un tort considérable à son entre- prise. Je suis par conséquent d'avis qu'il a droit, pour 1970, à une indemnité de l'ordre de 75% du bénéfice annuel moyen. En 1971, il se heur- tait aux deux mêmes problèmes, mais à un moindre degré, ainsi que le montre l'augmenta- tion de ses ventes en 1971 ($45,000 contre $20,000 en 1970). Je lui accorderais donc, pour l'année 1971, une indemnité de l'ordre de la moitié du bénéfice annuel moyen.
Je pense qu'il continuera à subir le contre- coup de l'expropriation en 1972 et 1973, mais à un bien moindre degré. Après cela, il aura nor- malement reconstitué et même augmenté son stock. Les routes reliant Welland, Port Col- borne et les zones commerciales avoisinantes seront achevées, le tunnel sera percé sous le nouveau canal, permettant une circulation beau- coup plus fluide que par le passé, car le vieux canal, qui n'était traversé que par des ponts levants, constituait un obstacle pour la circula tion. A mon avis, tant du point de vue de l'emplacement que de son entreprise, la situa tion du défendeur sera redevenue, dès avant 1974, aussi bonne qu'elle l'était au moment son entreprise a été désorganisée par l'acquisi- tion de son bien par l'autorité expropriante.
Compte tenu de tout ce qui précède, j'accor- derais à ce titre une somme de $15,000 repré- sentant cet élément de valeur, pour le défen- deur, du bien exproprié.
Pour récapituler, les défendeurs ont droit à l'indemnité suivante:
A. Indemnité pour le terrain et les aména-
gements—remblai excepté $ 25,698.47
B. Indemnité pour le stock d'épaves de
voitures et de camions du défendeur 35,000.00
C. Indemnité pour les travaux de remblai
effectués sur le bien en cause 2,000.00
D. Indemnité pour préjudice commercial, y compris les frais de nouvelle installa tion, les pertes commerciales dues à un emplacement moins favorable; frais lé-
gaux supplémentaires, etc. 15,000.00
Total $ 77,698.47
A mon avis, cette somme de $77,698.47 constituera pour les défendeurs une juste indemnisation de tous les éléments de valeur du
bien exproprié, conformément aux principes juridiques qui ont été mentionnés.
L'Administration de la voie maritime du St- Laurent est entrée en possession des terrains expropriés le 8 avril 1969 et, ce même jour, elle a remis aux défendeurs la somme de $63,800.80 à titre d'acompte sur l'indemnité d'expropria- tion.
Étant donné que j'ai fixé le montant de l'in- demnité payable aux défendeurs à $77,698.47, la demanderesse versera aux défendeurs la somme de $13,897.67 portant intérêt au taux annuel de 5% à compter du 8 avril 1969 jusqu'à la date du présent jugement; elle paiera en outre aux défendeurs leurs frais d'action taxés.
Ainsi qu'il a été dit plus haut, l'avocat des défendeurs a précisé que les personnes physi ques défenderesses n'avaient, ni l'une ni l'autre, de droit sur le bien en cause ou l'entreprise à la date de l'expropriation et il a reconnu que toute indemnité accordée par la Cour était payable à la corporation défenderesse.
Par conséquent, la demanderesse adressera toutes les sommes dues en vertu du présent jugement à la défenderesse, la Dain City Auto Wreckers Limited.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.