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National Indian Brotherhood, Indian-Eskimo Association, Union of Ontario Indians et Canadian-Indian Centre of Toronto (Requérants)
c.
Pierre Juneau, H. J. Boyle, Dame P. Pearce, Hal Dornan, R. Therrien, et le conseil de la Radio- télévision canadienne (Intimés)
2
Cour d'appel, le juge en chef Jackett—Toronto, le 21 juin 1971.
Compétence—Requête en annulation d'une décision du CRTC refusant l'audition publique d'une plainte contre une télédiffusion—Décision rendue avant la proclamation de la Loi sur la Cour fédérale—La Cour d'appel a-t-elle compé- tence?—Loi sur la Cour fédérale, art. 28 et 52a)—Règle 1100 de la Cour fédérale—Loi sur la radiodiffusion, 1967-68 (Can), c. 25, art. 19 (2)c).
Le 28 mai 1971, le comité de direction du CRTC, n'étant pas convaincu qu'il serait dans l'intérêt public de ce faire, décidait de ne pas tenir d'audition publique sur une plainte portée par quatre organismes contre la télédiffusion d'un film que l'on prétend être diffamatoire à l'égard des Indiens. Le 7 juin, les quatre organismes demandaient à la Division de première instance, en vertu de l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, l'émission de brefs de mandamus et de certiorari imposant la tenue d'une audition publique sur leur plainte en vertu de l'art. 19 (2)c) de la Loi sur la radiodiffu- sion, 1967-68, c. 25. Le même jour, les requérants s'adres- saient également à la Cour d'appel en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale pour faire annuler l'ordonnance rendue le 28 mai par le CRTC aux motifs qu'elle n'observait pas les principes de la justice naturelle, etc.
Les requérants demandaient des directives en vertu de la Règle 1403 de la Cour fédérale en ce qui concernait leur requête à la Cour fédérale en annulation de l'ordonnance rendue le 28 mai par le CRTC. La demande était entendue par le juge en chef.
Arrêt: La demande de directives doit être ajournée jus- qu'à ce que la Cour d'appel fédérale déclare si elle est compétente en cette matière en raison des termes de l'art. 61(1) de la Loi sur la Cour fédérale, suivant lesquels la compétence qu'a la Cour d'annuler des décisions est limitée aux décisions rendues après l'entrée en vigueur de la Loi, c'est-à-dire le 1" juin 1971.
[Discussion de l'art. 52a) de la Loi sur la Cour fédérale et de la Règle 1100.]
DEMANDE de directives.
J. D. Karswick, pour les requérants.
Aucun procureur pour les intimés.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—La présente demande de directives a trait à une
procédure instituée devant cette Cour par voie d'«avis de requête» déposé le 7 juin 1971.
Cet «avis de requête» est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] PRENEZ AVIS de la requête présentée à la Cour d'appel pour examen et annulation de la décision ou ordonnance du comité de direction rendue par le Conseil de la Radio-Télévision canadienne le 28 mai 1971, aux motifs que le comité de direction et ses membres pris individuellement:
a) n'ont pas observé les principes de la justice naturelle en refusant aux requérants le droit à une audition loyale et à la protection de la loi;
b) ont fait une erreur de droit en n'accordant pas aux requérants le droit à une audition, à la protection de la loi, et en faisant une interprétation et une application erro- nées des dispositions de la Loi sur la radiodiffusion;
c) ont fondé leur décision sur une conclusion de fait erronée en déclarant que le réseau de télévision CTV consentait à une rencontre pour discuter de l'émission «The Taming of the Canadian West».
ET SACHEZ que les requérants demanderont à la Cour de se prononcer sur cette question en se basant sur tous autres motifs qui pourront être admis.
La décision mentionnée dans cette requête est une décision du comité de direction du Con- seil de la Radio-Télévision canadienne qui appa- raît dans un message «telex» en date du 28 mai 1971, adressé par Pierre Juneau, président de ce comité, à James D. Karswick, procureur des requérants. Ce message est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] SUIVANT UNE PRATIQUE ET UNE COUTUME BIEN ÉTABLIES DANS LA RADIODIF- FUSION CANADIENNE, LE TITULAIRE D'UNE LICENCE D'ENTREPRISE DE RADIODIFFUSION EST RESPONSABLE DES ÉMISSIONS QU'IL DIF FUSE. CETTE POLITIQUE EST RÉPÉTÉE À L'ARTI- CLE 2 DE LA LOI SUR LA RADIODIFFUSION DE 1968.
LE CONSEIL CROIT FERMEMENT QUE CETTE POLITIQUE EST D'IMPORTANCE VITALE POUR LE MAINTIEN DU DROIT À LA LIBERTÉ D'EX- PRESSION DANS LE SYSTÈME DE RADIODIFFU- SION CANADIENNE. UNE DÉCISION DE SUSPEN- DRE LA DIFFUSION D'UNE ÉMISSION OU DE MENER UNE ENQUÊTE SUR UNE SEULE ÉMIS- SION COMME «THE TAMING OF THE CANADIAN WEST» EST UNE DÉCISION DES PLUS SÉRIEU- SES.
VOTRE LETTRE DU 21 MAI 1971 EST LE PREMIER AVIS AU CRTC DE VOTRE DÉSIR DE VOIR LES PLAINTES DE VOS CLIENTS EXAMINÉES EN AUDITION PUBLIQUE EN VERTU DE L'ARTICLE 19 DE LA LOI SUR LA RADIODIFFUSION. À LA
LUMIÈRE DES ÉLÉMENTS PRÉCITÉS ET DU DÉSIR EXPRIMÉ PAR LE RÉSEAU CTV DE PARTI- CIPER À UNE RÉUNION POUR DISCUTER DE L'É- MISSION, LE COMITÉ DE DIRECTION N'EST PAS CONVAINCU QU'IL SERAIT DE L'INTÉRÊT PUBLIC DE TENIR UNE AUDITION PUBLIQUE SUR LA PLAINTE DE VOS CLIENTS. LE CONSEIL ESPÈRE QUE VOS CLIENTS ET LE RÉSEAU CTV DONNERONT SUITE À CETTE AFFAIRE ET QUE VOS CLIENTS SAISIRONT L'OCCASION QUI LEUR EST OFFERTE DE FAIRE CORRIGER TOUTE INE- XACTITUDE QUE POURRAIT COMPORTER CETTE ÉMISSION OU DE RECHERCHER D'AUTRES SOLUTIONS POUVANT RÉGLER CE DIFFÉREND. COPIE DU PRÉSENT TELEX EST EXPÉDIÉE AU RÉSEAU CTV.
Ainsi, il semble que, par lettre du 21 mai 1971, M. Karswick ait demandé que les plaintes des requérants contre une émission intitulée «The Taming of the Canadian West» soient examinées en audition publique par le Conseil de la Radio-Télévision canadienne en vertu de l'art. 19(2) de la Loi sur la radiodiffusion, 1967-68 (Can.), c. 25, dont voici un extrait:
19. (2) Le Conseil doit tenir une audition publique si le comité de direction est convaincu qu'il serait dans l'intérêt public de tenir une telle audition, au sujet
* * *
c) de la plainte d'une personne relativement à toute ques tion relevant des pouvoirs du Conseil.
Il ressort également du message «telex» du 28 mai 1971 que le comité de direction n'était pas, au moment de son expédition, «convaincu qu'il serait dans l'intérêt public de tenir une audi tion» sur les plaintes des requérants.
Cette conclusion du comité de direction selon laquelle il n'était pas convaincu qu'il serait dans l'intérêt public de tenir une audition sur les plaintes des requérants est précisément ce que l'«avis de requête» déposé le 7 juin dernier demande à la Cour d'examiner et d'annuler. Cette requête est fondée sur l'art. 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale qui est ainsi rédigé:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un
office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédures devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la com mission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu sion de fait erronnée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Bien que l'affaire qui m'est soumise aujour- d'hui soit une demande de directives faite en vertu de la Règle 1403, ayant pour effet d'éta- blir un programme de la procédure prévue par l'art. 28, étant donné qu'il y a un doute évident et sérieux quant à la compétence de la Cour en cette matière, je crois devoir suspendre l'étude de la demande de directives jusqu'à ce que la question de compétence ait été tranchée.
Indépendamment de toute autre question relative à l'application de l'art. 28(1) aux cir- constances de l'espèce, la requête est à pre- mière vue une requête en annulation d'une «décision ou ordonnance» rendue le 28 mai 1971, tandis que l'art. 61(1) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit entre autres que «lorsque la présente loi crée ... le droit de demander à la Cour d'appel, en vertu de l'art. 28, d'examiner et rejeter une décision ou ordonnance, ce droit- ... s'applique à ... une décision ou ordon- nance rendue ou établie après l'entrée en vigueur de la présente loi ...», et que la Loi sur la Cour fédérale est entrée en vigueur par pro clamation le ler juin 1971. A mon avis, il en résulte que l'art. 28(1) n'accorde aucun droit de demander l'examen et l'annulation d'une «déci- sion ou ordonnance» rendue le 28 mai 1971 et, partant, que cette Cour n'a pas compétence en l'espèce.
Pour ce motif et à la lumière des circonstan- ces actuelles, je crois que la Cour devrait mettre fin à cette procédure en vertu de l'art. 52a) de la Loi sur la Cour fédérale que voici:
52. La Cour d'appel peut
a) mettre fin aux procédures dans les causes intentées devant elle, lorsqu'elle n'a pas compétence ou que ces procédures ne sont pas engagées de bonne foi ..
Cependant, avant de rendre un jugement met- tant fin à une procédure de ce genre, il faut tenir compte de la Règle 1100. Elle est ainsi rédigée:
RÈGLE 1100. (1) Une demande prévue par l'article 52a) de la Loi visant à mettre fin à des procédures peut être faite à tout moment, mais l'omission de présenter la requête promptement peut, à la discrétion de la Cour, donner lieu à une ordonnance spéciale quant aux dépens afférents à la requête et aux procédures.
(2) La Cour d'appel pourra, de sa propre initiative, rendre en vertu de l'article 52a) une ordonnance mettant fin aux procédures, après avoir donné à l'appelant et à toute autre partie intéressée la possibilité de se faire entendre.
En l'espèce, il semble opportun de différer cette demande de directives en attendant une réponse à la question de compétence. J'ose espérer que, à moins que la requête ne soit retirée, les inti- més ou le sous-procureur général du Canada présenteront une requête en vertu de la Règle 1100(1) pour mettre fin aux procédures, de façon à soulever la question de compétence. Si cette requête n'est pas présentée dans un délai de 10 jours et si la requête présentée en vertu de l'art. 28 n'est pas retirée, je prévois que la Cour, en raison de l'art. 28(5) qui lui impose le devoir d'entendre et de juger sans délai les demandes présentées en vertu de l'art. 28, émettra une directive en vertu de la Règle 1100(2) donnant aux parties la possibilité de se faire entendre sur la question de compétence. Je m'attends également à ce que la Cour soit com posée de trois juges pour toute audition tenue en vertu de la Règle 1100.
Cela suffit à expliquer pourquoi j'ai conclu que je dois différer cette demande de directives, quitte à ce que les requérants la présentent à nouveau dès que la Cour aura déclaré, si tel est le cas, qu'elle a compétence en ce qui concerne les procédures prévues à l'art. 28. Je ne vou- drais toutefois pas terminer sans signaler qu'il existe à mon avis, relativement à l'application de l'art. 28(1), des questions beaucoup plus difficiles que celle, relativement simple, de la date de la «décision ou ordonnance».
La question la plus importante à trancher relativement à l'application de l'art. 28(1) est probablement celle de la signification des
termes «décision ou ordonnance». Ces termes s'appliquent clairement à la décision ou ordon- nance émanant d'un tribunal en réponse à une requête lui demandant d'exercer ses pouvoirs après avoir adopté la procédure qu'il décide d'adopter pour conclure sur ce qu'il doit faire en réponse à la demande. Je suis enclin à croire, cependant, qu'il est douteux que ces termes— i.e., décision ou ordonnance—s'appliquent aux innombrables décisions ou ordonnances que le tribunal doit rendre au cours des procédures qui aboutissent au prononcé du jugement. J'ai à l'esprit des décisions telles que
a) des décisions relatives aux dates d'au- dition,
b) des décisions sur des requêtes en ajour- nement,
c) des décisions concernant l'ordre d'audition des parties,
d) des décisions ayant trait à l'admissibilité de la preuve,
e) des décisions sur des objections à des questions posées aux témoins, et
f) des décisions sur l'autorisation de présenter une argumentation écrite ou orale.
Chacune de ces décisions peut fort bien faire partie du tableau lors d'un pourvoi à l'encontre de la décision ultime du tribunal au motif qu'il n'y a pas eu une audition loyale. Cependant, si une partie intéressée a le droit de s'adresser à cette Cour en vertu de l'art. 28 chaque fois qu'une décision de ce genre est rendue, il semble qu'on ait mis entre les mains de parties peu disposées à ce qu'un tribunal exerce sa compétence un moyen dilatoire et frustratoire incompatible avec l'esprit de l'art. 28(5). Une question semblable se soulève lorsqu'un tribu nal procède par étapes pour arriver à trancher le problème ultime qu'il doit trancher (comparer Smith Kline & French Inter -American Corp. c. Micro Chemicals Ltd. [1968] 1 R.C.É. 326, aux pages 326 à 330), et je doute que l'art. 28(1) autorise une demande en ce sens avant qu'on ne soit arrivé à la décision ultime. Je doute égale- ment que le refus d'un tribunal de connaître d'une requête ou sa décision de procéder à une enquête entrent dans le cadre de l'art. 28(1). A ce sujet, il se peut fort bien que la ligne de partage se situe entre des décisions d'un tribu-
nal avant qu'il n'entreprenne et n'achève l'ins- truction d'une affaire une partie doit procé- der par la voie des anciennes procédures de la Couronne et instituer une action la Cour peut décider s'il a droit à réparation, et des décisions fondées sur une action déjà présentée au tribunal la Cour d'appel peut fonder sa décision sur ce qui a été fait ou ne l'a pas été devant ce tribunal.
Je ne prétends pas avoir formulé d'opinion quant au sens des termes «décision ou ordon- nance» dans le contexte de l'art. 28(1), mais il me semble que l'on veut dire qu'il s'agit d'une décision ou ordonnance ultime prise ou rendue par le tribunal en vertu de sa constitution et non pas la myriade d'ordonnances ou de décisions accessoires qui doivent être rendues avant de trancher définitivement l'affaire.
Une autre question qui doit parfois être tran- chée, et il me semble qu'elle pourrait être soule- vée à l'occasion de cette requête, est de savoir Si une décision ou ordonnance particulière n'en- tre pas dans le cadre de l'art. 28(1) du seul fait qu'il s'agit d'une «décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judi- ciaire». Un exemple typique serait une décision ou ordonnance rendue par un ministre dans l'exercice de ses fonctions légales de dirigeant de son ministère. J'ai à l'esprit une question relative au libellé de l'art. 19 de la Loi sur la radiodiffusion: cet article ne fait-il pas de la question de savoir si une plainte particulière doit être traitée en «audition publique» ou d'une autre façon conforme aux principes fondamen- taux, une question laissée à la discrétion abso- lue du comité de direction?
L'on doit bien comprendre que je n'émets pas d'opinion sur ces questions; je ne fais que les soulever, de sorte que les avocats soient bien préparés à aider la Cour à les résoudre quand elles se présenteront.
Il serait peut-être opportun de dire qu'on a attiré mon attention sur une décision du juge Walsh [National Indian Brotherhood et al. v. Juneau et al., précédant immédiatement cette procédure] concernant une requête relative à cette même affaire, présentée en vertu de l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, et qu'à mon
avis, un juge de la Division de première ins tance ne doit pas se sentir embarrassé pour trancher une question relative à la compétence de la Cour d'appel lorsque cette question est accessoire à la détermination de la compétence de la Division de première instance. Il a tout autant le droit de trancher une telle question lorsqu'elle se présente à lui que l'a la Cour d'appel lorsqu'elle lui est présentée.
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