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Le ministre du Revenu national (Appelant)
c.
Hélène Lemieux -Fournier (Intimée)
Division de première instance. J.C.A. Noël, Québec, le 18 mai; Ottawa, le 11 juin 1971.
Impôt successoral—Usufruit légué à l'épouse et pouvoir de disposer de la nue-propriété—Donation à la fille si le pouvoir n'est pas exercé—La fille, légataire universelle de la succession de sa mère—Les biens du père font-ils partie de la succession de la mère—Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, art. 3(1)a), 3(2)a), 58(1)i).
Un testateur, décédé en 1941, donna par testament trois- quarts de ses biens en usufruit à sa femme et un quart à sa fille; quant à la nue-propriété des biens, il entendait «qu'il en soit disposé par mon épouse dans son testament. A défaut de ce faire, cette nue-propriété retournera à [la fille].» L'épouse, qui mourut en 1964, ne disposa pas des biens de son époux dans son testament qui instituait sa fille légataire universelle et exécutrice testamentaire. Le Minis- tre engloba la valeur des biens de l'époux dans la valeur globale nette de la succession de l'épouse aux fins de l'impôt successoral. La fille interjeta un appel.
Arrêt: (en appel de la décision de la Commission d'appel de l'impôt), comme la faculté d'élection accordée à l'épouse n'était pas limitée, il s'agissait d'un «pouvoir général» selon l'acception des art. 3(2)a) et 58(1)i) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès. Par conséquent l'épouse était habilitée à disposer des biens de son mari qui doivent donc être inclus dans la valeur nette de sa succession aux termes de l'art. 3(1)a).
Distinction faite entre la présente et l'affaire Montreal Trust Co. c. M.R.N. (Succession Hickson) [1964] R.C.S. 667. Renvoi à l'arrêt Royal Trust Co. c. M.R.N. [1965] R.C.E. 414, confirmé par (1968) R.C.S. 505.
APPEL de la décision de la Commission d'ap- pel de l'impôt.
Alban Garon c.r., et Gerald Rip pour l'appelant.
Eugène Rivard c.r., pour l'intimée.
LE JUGE EN CHEF ADJOINT NOËL—Il s'agit de l'appel d'une décision de la Commis sion d'appel de l'impôt admettant en partie l'ap- pel de l'intimée d'une cotisation faite par le Ministre sous l'empire de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, par laquelle il prélevait un impôt au montant de $5,688.64 à l'égard de la succession de dame Rose-Anna Tardif -Lemieux, mère de l'intimée, dame Hélène Lemieux -Fournier.
En vertu du testament de son père, qui mourut en 1941, l'intimée, sa fille, reçut un
quart de l'usufruit de ses biens et sa mère les trois-quarts. Ce testament déclarait aussi que «quant à la nue-propriété de ces dits biens je veux et entends qu'il en soit disposé par mon épouse dans son testament, et à ce propos je désire rappeler mon grand attachement et amour pour Hélène. A défaut de ce faire, cette nue-propriété retournera à Hélène.»
C'est à cause de cette stipulation, que le Ministre considéra que la mère de l'intimée était compétente à disposer de la nue-propriété des biens selon les termes des art. 3(1)a), 3(2)a) et 58(1)i) de la Loi de l'impôt sur les biens trans- mis par décès. C'est ainsi que lorsque la mère de l'intimée mourut en 1964, instituant l'intimée sa légataire universelle en pleine propriété et sa seule exécutrice testamentaire, tous les biens furent imposés comme provenant de la succes sion de la mère. L'intimée, au contraire, sou- tient que les biens provenant de la succession de son père lui furent dévolus de son père et non pas de sa mère.
Le Ministre, par conséquent, établit à $105,351.25 la valeur nette de la succession de la mère de l'intimée alors que, selon cette der- nière, le maximum que l'avis de cotisation devait démontrer comme valeur nette est de $21,480.83.
L'appel de la cotisation devant la Commis sion d'appel de l'impôt fut maintenu en partie par M. Boisvert. Le savant commissaire décida en effet que comme le père n'avait pas disposé en 1941 de la nue-propriété de ses biens, les deux tiers de ses biens furent dévolus à l'inti- mée et un tiers à la mère comme héritières ab intestat du père. Il déduisit donc de la valeur totale nette de la succession de la mère les deux tiers de la valeur des biens provenant de la succession du père et déféra le tout au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.
Le Ministre, par le présent appel, attaque la décision de la Commission d'appel de l'impôt se fondant sur les allégués suivants:
a) la mère de l'intimée, dame Rose-Anna Tar- dif -Lemieux, était, immédiatement avant son décès, habile à disposer des biens qui sont l'objet de la clause du testament de son père
b) elle possédait un intérêt ou un droit ou un pouvoir général à l'égard des biens objet de cette clause qui la rendait habile à en disposer;
c) elle possédait la faculté ou l'autorisation qui lui permettait de disposer par testament selon qu'elle le jugeait opportun des biens objet de cette clause;
d) les biens, objet de cette clause, ont été transmis au décès de la mère de l'intimée.
L'appelant, comme nous l'avons vu, s'appuie sur les art. 3(1), 3(1)a), 3(2)a) et 58(1)i) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès)
L'appelant soutient que par la clause du testa ment dont il s'agit, Henri Lemieux, le père de l'intimée, créa une substitution à l'égard des biens objet de cette clause et conféra à la grevée, Rose-Anna Tardif -Lemieux, la mère de l'intimée, une faculté d'élire ou un droit d'élec- tion devant s'exercer par testament, qui ne com- portait aucune restriction ou limitation quant au choix de l'appelé. L'appelant soumet que dans le calcul de la valeur globale nette des biens transmis au décès de Rose-Anna Tardif - Lemieux, il était tenu d'inclure la valeur des biens objet de la clause, conformément aux dispositions de l'art. 3(1)a) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, puisque la défunte était immédiatement avant son décès habile à en disposer au sens de l'art. 3(1)a), et possédait un intérêt ou un droit ou un pouvoir général à l'égard de ces biens au sens de l'art. 3(2)a). De plus, selon l'appelant, elle possédait immédiatement avant son décès, la faculté ou l'autorisation de disposer par testament selon qu'elle le jugeait opportun des biens qui sont l'objet de la clause au sens de l'art. 58(1)i) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès et, par conséquent, elle était habile à disposer de ces biens au sens des art. 3(1)a) et 3(2)a) de cette même loi. Enfin, toujours selon l'appelant, les biens, objet de la clause du testament, ont été transmis au décès de la mère de l'intimée au sens de la partie introductive du par. (1) de l'art. 3 de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès.
L'intimée soumet, d'autre part, que l'avis de cotisation, émis le 8 février 1965, est illégal, irrégulier et mal fondé en fait et en droit. Elle
admet que sa mère, Rose-Anna Tardif -Lemieux, l'a constituée sa seule exécutrice testamentaire et légataire des seuls biens que ladite testatrice possédait en propre mais nie que le père de l'intimée ait voulu, dans son testament, créer une substitution ajoutant, cependant, que même si ce testament en avait créé une en faveur de l'intimée, la cotisation émise et l'avis d'appel amendé seraient quand même irréguliers et mal fondés. Elle nie l'allégué de l'appelant à l'effet qu'il était tenu d'inclure dans le calcul de la valeur globale nette des biens transmis au décès de la mère de l'intimée la valeur des biens objet de la clause du testament de son père, comme mal fondé même si le testament du père avait créé une substitution conditionnelle aux termes de laquelle Rose-Anna Tardif -Lemieux aurait été grevée de substitution. Elle ajoute que si une substitution conditionnelle avait été créée par le testateur, père de l'intimée, elle aurait été réalisée et aurait eu son effet rétroactivement au 18 janvier 1941.
L'intimée déclare qu'elle tient directement de son père, Henri Lemieux, et de nul autre, les biens transmis par Henri Lemieux, avec la con- séquence que la valeur des biens effectivement et légalement transmis par Rose-Anna Tardif - Lemieux, était exempte d'impôt sur biens trans- mis par décès vu qu'elle ne s'élevait qu'à $21,- 480.83. Elle prétend que ni le testament d'Henri Lemieux, ni les biens légués et transmis par ce dernier, ne sont visés par les art. 3(1)a), 3(2)a) et 58(1)i). Elle soutient en particulier que l'ap- pelant, en établissant la valeur imposable glo- bale de la succession en cause, aurait, sans droit et illégalement, ignoré que Henri Lemieux a légué l'usufruit viager de 25 p. 100 de son avoir à sa fille, l'intimée, et que, par conséquent, l'appelant devait tenir compte de l'expectative de vie de l'intimée, née le 15 juillet 1915, et distraire la valeur actuelle de l'intérêt viager de l'intimée, de l'avoir qu'arbitrairement et sans droit il entendait imposer. Elle déclare que Rose-Anna Tardif -Lemieux n'a disposé que de son patrimoine, son testament ne contenant aucune référence au testament ou à la succes sion de son mari, Henri Lemieux, que le patri- moine d'Henri Lemieux n'est régi que par le testament de ce dernier, la condition résolutoire par lui imposée s'étant réalisée en fait et en droit à compter du 18 janvier 1941 et remontant
de fait au décès d'Henri Lemieux. Elle ajoute que Rose-Anna Tardif -Lemieux n'a jamais eu la saisine (vesting) personnelle ou fiduciaire du capital de l'avoir d'Henri Lemieux non plus que le pouvoir d'en disposer, ni n'a-t-elle eu sur les biens de son mari aucun droit d'appropriation ou de disposition. Ce n'est, de dire l'intimée, qu'à titre d'exécutrice testamentaire que Rose- Anna Tardif -Lemieux a eu la possession des biens de son mari.
Le procureur de l'intimée à l'audition de cet appel déclara que le Ministre avait erré en fait et en droit en ajoutant à la valeur des biens de la succession Rose-Anna Tardif -Lemieux la valeur de ceux provenant de la succession du père pour le motif que la disposition testamen- taire de ce dernier ne l'autorisait pas à agir ainsi. Même en supposant, dit-il, que la clause du testament d'Henri Lemieux comporte un pouvoir de disposition, soit un legs avec faculté d'élire, il prétend que cette clause ne ramène pas les biens détenus et transmis par Lemieux dans le cadre de la loi fédérale. Il signale que la clause en question comporte une charge ou obligation conditionnelle de la part de l'épouse, Rose-Anna Tardif -Lemieux, de disposer de la nue-propriété des biens du testateur dans son testament et si elle ne le fait pas, ces biens appartiendront à sa fille Hélène. L'intimée voit là, en effet, une charge ou obligation soumise à la fois à une condition suspensive et résolutoire. La mère, n'ayant pas disposé des biens par testament, la clause résolutoire s'applique et la fille en a la nue-propriété qui, selon l'intimée, remonte alors à la date de la mort du père.
Le savant procureur de l'intimée soumet de plus que Henri Lemieux, par son testament, n'ayant pas légué ses biens à son épouse, il n'y eut pas saisine (vesting) par elle de ces biens ce qui, selon lui, était une obligation préalable pour qu'elle puisse en disposer. Si la mère avait eu la pleine saisine (vesting) des biens du père, elle aurait pu en disposer mais, dans la conjoncture actuelle, dit-il, le pouvoir était inefficace, illu- soire et impossible d'exécution. Elle n'avait donc pas le droit de disposer des biens du père. Le procureur de l'intimée se réclame d'un pas sage de Halsbury Laws of England, vol. 30, 3 e éd., p. 215, 380 il est dit que:
[TRADUCTION] La création d'un pouvoir sur un bien ne fait pas en sorte que ce bien soit dévolu au donataire bien que l'exercice de ce pouvoir puisse effectuer une telle dévolu- tion; et il est souvent difficile de découvrir si l'intention était de donner la propriété même de ce bien ou simplement un pouvoir sur ce bien.
Selon le procureur de l'intimée, il aurait fallu que la mère ait un pouvoir général de disposi tion, que le père lui ait dit, par exemple, qu'elle pouvait disposer des biens sans restriction et sans limite et, dit-il, il ne l'a pas fait. D'autre part, la mère ne s'est pas conformée à cette clause, puisqu'elle n'en a pas disposé par testa ment, et cette disposition testamentaire est donc demeurée lettre morte. Si, enfin, ajoute-t-il, l'on voulait voir dans cette disposition un pouvoir permettant au donataire, ou autre détenteur de biens, de les distribuer, ou approprier, ou d'en disposer, cela voudrait dire que Henri Lemieux obligeait son épouse à disposer de la chose d'autrui, ce qui est formellement défendu par l'Art. 756 C.C.' Cette clause, selon lui, serait, par conséquent, sans effet.
La clause prévoit, cependant, que si la mère ne disposait pas des biens du père par testa ment, l'intimée recevrait la nue-propriété de ces biens et il conclut qu'à toute fin pratique, la dévolution des biens d'Henri Lemieux au décès de son épouse appartenait à l'intimée par les dispositions testamentaires de son père.
La mère, selon l'intimée, n'a, par conséquent, jamais eu la propriété des biens laissés par Henri Lemieux, n'ayant reçu tout au plus qu'un pouvoir limité et qualifié d'en disposer. Elle n'a reçu, en effet, que les trois-quarts de l'usufruit, un quart allant à l'intimée. Elle ne peut s'appro- prier ces biens pour elle-même, et elle n'a droit d'en disposer que par testament devant, en l'oc- currence, tel que recommandé par son mari, se rappeler son grand attachement et amour pour Hélène.
L'intimée conclut que sa mère n'a jamais, par conséquent, eu le pouvoir de disposer des biens reçus du père selon qu'elle «le juge opportun», tel que l'exige l'art. 58(1)i). Elle n'avait pas, dit-elle, la propriété pure et simple des biens ni ne l'avait-elle comme grevée de substitution. Le plus que l'on puisse dire, selon son procureur, c'est que la mère tombait dans l'exception prévue à l'art. 58(1)i) de la Loi de l'impôt sur les
biens transmis par décès et que le seul pouvoir qu'elle ait exercé serait à titre de fiduciaire.
Le procureur de l'appelant, d'autre part, soumet que par la clause du testament, le père de l'intimée a créé une véritable substitution fidéicommissaire et a conféré à sa femme le pouvoir de disposer des biens ainsi que la faculté d'élection. Il soutient que ce droit de disposer des biens par testament, avec faculté d'élire, la rendait habile à disposer des biens en vertu de l'art. 3(1)a) et l'art. 3(2)a) au sens de l'art. 58(1)i) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès et que, par conséquent, même s'il n'y avait pas de substitution, la mère aurait, par les termes mêmes de cette clause, un pouvoir non limité de disposer des biens et ces biens seraient alors réputés faire partie de la succession de la mère. Si, d'autre part, dit-il, on avait ici qu'un simple legs de la propriété à la mère avec charge d'usufruit de un quart à sa fille, la valeur de ces biens devrait quand même être incluse en vertu de l'art. 2 de la loi puis- qu'elle en aurait la pleine propriété.
Il m'est d'abord impossible d'accepter la déci- sion de la Commission d'appel de l'impôt à l'effet que la nue-propriété appartient depuis la mort du père pour un tiers à la mère et les deux tiers à l'intimée, comme héritières ab intestat de Henri Lemieux à cause de l'Article 712 C.C.' On ne peut, en effet, se réclamer à la fois de la succession testamentaire et de la succession ab intestat. Le principe qu'une personne ne peut cumuler les qualités de légataire et d'héritier (ab intestat) du défunt à un caractère absolu et s'applique aussi bien au légataire universel qu'au légataire particulier.
Il me paraît à l'examen de la clause dont il s'agit que Henri Lemieux a voulu conférer un bénéfice à sa femme durant son vivant ainsi qu'à sa fille Hélène et donner aussi à son épouse le pouvoir d'indiquer qui serait bénéfi- ciaire de ses biens après la mort de son épouse. De plus, les termes employés indiquent qu'on est en présence soit d'un usufruit, soit d'une substitution fidéicommissaire et l'on doit se demander laquelle de ces deux possibilités reflète le mieux l'intention apparente du testa- teur. Si l'on opte pour la possibilité d'usufruit, la question se pose de savoir qui en était le propriétaire pendant les 23 ans qui se sont
écoulés entre la mort du père en 1941 et la mort de la mère en 1964 puisque la propriété d'un bien ne doit pas demeurer en suspens. Cette situation ne soulève pas, cependant, un problè- me trop sérieux puisqu'il y avait des exécuteurs testamentaires avec pouvoir d'administration qui pouvaient fort bien s'occuper de ces biens.
S'il s'agissait, cependant, d'un usufruit, la mère serait à la fois usufruitière et propriétaire ce qui entraîne une impossibilité. Le nu-proprié- taire, d'autre part, ne pourrait être la fille, puis- que la clause prévoit que cette nue-propriété pourra lui retourner, mais au décès de sa mère seulement et seulement si la mère décidait de n'en pas disposer autrement.
En présence d'une clause comme celle-ci, et avant d'accepter une solution qui nous conduit à y voir soit un usufruit qui comporte, comme nous l'avons vu, des éléments irréconciliables, soit une disposition qui ne règle pas le problème de la nue-propriété des biens ou de la saisine et qui fait intervenir une succession ab intestat, ou qui pourrait comporter une délégation illégale à l'épouse de tester pour son mari, il faut, je crois, se demander si, malgré les termes utilisés, l'on ne peut déceler dans cette clause une dispo sition qui ait quelque sens. Envisagé sous cet aspect, on peut, je crois, y découvrir une dispo sition valide. Il ne faut pas, d'ailleurs, se laisser tromper par les mots. Il est vrai que le testateur a employé le mot «usufruit» mais le législateur lui-même nous avertit à l'Art. 928 C.C. 4 qu'il arrive souvent que l'on désigne le droit de grevé par le terme d'usufruit. Il est, en effet, plus important de se demander ce que le testateur avait en vue en inscrivant cette clause dans son testament. Je crois que l'on peut trouver ici les trois éléments essentiels d'une substitution soit a) deux libéralités (l'une à son épouse et l'autre à sa fille, si sa mère la désigne ou si la mère n'en dispose pas en faveur de toute autre per- sonne qu'elle pourra désigner), b) un ordre suc- cessif (deux catégories de personnes qui héri- tent successivement des biens qui sont l'objet de la succession) et c) un trait de temps (une libéralité prenant effet au décès du père et l'autre au décès de la mère) que les romains appelaient le tractus temporis.
En voyant dans cette clause une substitution, on ne fait violence à aucun de ses éléments et le
testament, en déterminant à qui ira la propriété des biens après le décès, règle le problème de la nue-propriété. Il donne, en effet, à son épouse un simple conseil si elle veut en disposer par testament et, en l'occurrence, on aurait une première substitution. Il déclare ensuite que si elle n'en dispose pas par testament, ces biens iront à Hélène et nous avons ici une autre substitution dans laquelle l'appelée est Hélène Fournier.
Il y a assurément, selon la décision de la Cour suprême dans le M.N.R. v. Smith [1960] R.C.S. 477 la p. 482, tous les éléments d'une substitution et il n'existe plus de problème à concilier tous les éléments. La mère grevée est, en vertu de l'Art. 944 C.C.,' propriétaire des biens puisque l'Article dit bien que le grevé possède pour lui-même. L'obligation de rendre les biens, autre élément de la substitution, existe aussi et cette obligation me paraît être implicite même si le père dans son testament donne à son épouse le pouvoir d'en disposer.
De plus, le fait que le testament confère à l'épouse le pouvoir de disposer des biens et, par conséquent, celui d'élire ou de choisir les béné- ficiaires, est un droit qui se greffe ordinaire- ment aux droits d'un grevé et il ne me paraît pas que ce soit un droit que l'on voit ordinairement attaché à celui d'un usufruitier. Le droit d'élire, en effet, se situe dans le cadre d'une substitu tion plutôt que dans celui d'un usufruitier.
En présence d'une telle institution, il n'est plus nécessaire de se demander qui est le nu- propriétaire de ces biens ou à qui ces biens ont été conférés. En effet, avant que la substitution ne s'ouvre, le grevé en est propriétaire et lors- qu'elle s'ouvre, l'appelé est réputé recevoir ces biens du donateur et non pas du grevé. C'est ici, cependant, que le procureur de l'intimée pré- tend que la substitution conditionnelle s'est réa- lisée et que la clause résolutoire intervenant, l'intimée reçoit les biens de son père rétroacti- vement au 18 janvier 1941. Se réclamant, en effet, de la décision de Montreal Trust Co. y M.N.R. [1964] R.C.S. 647, le procureur de l'in- timée prétend que celle-ci a reçu les biens non pas à cause d'un pouvoir donné à sa mère mais parce que son père l'avait désignée comme
appelée à défaut par sa mère d'en disposer autrement.
Il est vrai que les faits de la présente cause se rapprochent sensiblement de ceux que l'on retrouve dans la cause précitée, mais il y a, cependant, une différence importante. Dans la cause du Montreal Trust la donatrice, Lady Hickson, avait prévu la possibilité que son fils décèderait sans laisser de progéniture et, en l'occurrence, elle nomma comme appelés les héritiers légaux ou testamentaires de son fils. Cette clause eut pour effet, tel que le déclare le juge Cartwright, à la page 652, d'enlever au grevé toute possibilité de disposer du fonds puisque la donatrice avait prévu et limité les appelés qui devaient le recevoir et, par consé- quent, ces argents ne pouvaient faire partie des biens compris dans la succession du grevé.
Il faut, en effet, comprendre que lorsque Lady Hickson nomma comme appelés les héri- tiers légaux ou testamentaires de son fils, elle ne laissa subsister aucun doute sur la classe d'héritiers qu'elle favorisait. En effet, une subs titution de biens en faveur des héritiers d'un grevé qui a testé s'ouvre à sa mort en faveur de son héritier testamentaire. Par définition, l'héri- tier est la personne à qui est transmis, soit en vertu de la loi ou par la volonté de l'homme, la propriété et les droits et obligations transmissi- bles d'une personne décédée et, dans une suc cession testamentaire, c'est le légataire univer- sel du testateur. Il s'en suit que lorsqu'il y a une substitution en faveur de l'héritier testamentaire du grevé, c'est toujours son légataire universel qui en est l'appelé.
Si dans la cause précitée, le testament de Lady Hickson avait déclaré que son fils, s'il mourait sans laisser d'enfants, aurait le droit ou le pouvoir de nommer la personne, ou les per- sonnes, qu'il pourrait choisir pour recevoir ses biens, il aurait pu, en effet, nommer n'importe qui pour recevoir ses biens et en même temps léguer ses propres biens à son épouse. A cause des termes mêmes du testament de Lady Hick- son, il ne pouvait le faire. En effet, s'il nommait une tierce personne pour recevoir les biens pro- venant de sa mère, il fallait qu'en même temps il la nomme son légataire universel sans quoi la disposition aurait été inefficace. Encore une fois, l'héritier est la personne à qui la loi, ou un
testament, transmet les droits et obligations d'un de cujus (cf. Art. 596 et 597 C.C.). Dans une succession testamentaire, ce n'est pas le légataire particulier (d'un montant de $100 ou d'un meuble, par exemple) qui est l'héritier du testateur, mais la personne à qui l'on transmet ses droits et obligations (cf. Art. 735, 738, 873 et 880 C.C.). Dans une cause de Allan v. Evans (1900) 30 R.C.S. 416, l'on trouve une discus sion intéressante sur le légateur universel héri- tier d'un testateur. L'on voit donc que le fils de Lady Hickson était limité dans la nomination qu'il pouvait faire de l'appelé ou des appelés aux biens de sa mère et c'est à bon droit qu'on a décidé dans cette cause qu'il ne pouvait dispo- ser librement de ces biens. Comme, d'autre part, la Cour en vint à la conclusion ici qu'il s'agissait bien d'une substitution et que, dans un tel cas, les substitués reçoivent les biens du donateur et non du grevé, c'est donc à bon droit qu'on a conclu que ces biens ne formaient pas partie des biens du fils et ne pouvaient, par conséquent, être assujettis à des droits successoraux.
Il n'est pas sans intérêt d'indiquer ici qu'il existe en effet une distinction importante entre le détenteur d'un pouvoir général d'élection (appointment) en vertu du common law et le grevé qui possède un pouvoir général d'élection. La personne qui donne un tel pouvoir en vertu du common law, ne se départit pas de la pro- priété des biens mais donne au donataire du pouvoir le droit d'en disposer pour lui et l'exer- cice de ce pouvoir est par conséquent une dis position de ces biens et la personne qui la détient est, par conséquent, habile à en dispo- ser. D'autre part, dans le cas de la faculté d'élire prévue par le Code civil, le créateur de cette faculté a déjà disposé de la propriété et le détenteur n'en dispose pas. Il y a, en effet, aucune disposition dans le Code civil qui permet à une personne de disposer de la pro- priété d'un autre. Cette différence crée parfois certains problèmes lorsqu'il s'agit d'appliquer une loi, par exemple, comme celle de l'Impôt sur les biens transmis par décès. Par le jeu, cependant, de l'art. 3(2)a) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès «une personne est réputée avoir été habile à disposer des biens, si elle possédait un intérêt ou un droit dans ceux-ci ou tel pouvoir général qui, si elle avait
été sui juris, l'aurait rendue habile à en dispo- ser». C'est par cette fiction de la loi, en effet, que l'on réussit à faire entrer dans le cadre de la loi fédérale des biens sur lesquels, en vertu du Code civil, le détenteur n'en dispose pas.
Dans le présent cas, cependant, il en va autre- ment. En effet, il n'y a aucune limite au pouvoir d'élire et de disposer de la mère donné par le père dans son testament. On lui permet, en effet, d'en disposer par testament, ce qui n'est pas la même chose que de l'astreindre à nommer comme appelés ses héritiers légaux ou testamentaires. La mère ici aurait pu, en effet, immédiatement avant sa mort, nommer comme appelée une tierce personne et nommer sa fille Hélène sa légataire universelle. Le droit d'élire (power of appointment) conféré ici par le testa- teur à son épouse et dont il est question aux art. 3(2)a) et 58(1)0 de la loi constitue, à mon avis, un pouvoir général à disposer au sens de cette loi.
Ce pouvoir est considéré comme général si aucune limite n'est fixée pour la personne qui l'exerce. Il est général, cependant, même si son titulaire ne peut disposer que par testament, comme ici. Cf. Jameson on Canadian Estate Tax à la p. 119:
[TRADUCTION] Un donateur, en créant un pouvoir, peut déclarer que ce pouvoir peut être exercé par testament ou par acte entre vifs, mais l'exercice d'un pouvoir par testa ment n'est pas moins général à cause de cette limitation, car bien que le donataire ne puisse ramener le bien en sa possession de son vivant, il a quand même le pouvoir entier d'en disposer à sa mort. Dans Prov. Sec.-Treas. of N.B. v. Schoefield un testateur légua des biens à sa soeur pour sa vie durant et après sa mort à telle personne ou personnes qu'elle pourrait nommer par testament. Il fut décidé que la soeur possédait un droit général d'élire car les objets de ce droit tiraient leurs avantages de la soeur et non du testateur et, par conséquent, ils étaient imposables dans la succession de la soeur.
Il y a, comme nous l'avons vu, dans le pré- sent cas, aucune limite d'imposer à l'épouse, quant aux choix de l'appelé, ou des appelés; il ne lui fait, tout au plus, qu'une simple recom- mandation au sujet de leur fille, la laissant entièrement libre de disposer des biens à qui elle l'entend.
Ce droit d'élection étant, par conséquent, un pouvoir général au regard des art. 3(2)a) et 58(1)i) de la loi, l'épouse est réputée avoir été
habilitée à disposer de ses biens au regard de l'article 3(1)a) et tous les biens dont elle était habile à disposer doivent être inclus dans sa succession.
Une personne, en effet, ayant un tel pouvoir général sur des biens, n'est pas nécessairement le propriétaire de ces biens mais pour les fins de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, cette dernière déclare que ces biens sont réputés sa propriété et ils font partie de sa succession même si dans une substitution les biens sont censés avoir été reçus du donateur et non pas du grevé (Article 962 C.C.). 6
Peu importe, par conséquent, que nous ayons ici une substitution ou non, les termes de la clause me paraissent clairs et donnent à la mère un droit de disposer, non limité, de ces biens, droit, il est vrai, qu'elle n'a pas exercé, mais droit quand même qu'elle pouvait exercer, ce qui a pour effet de les amener dans le cadre des dispositions de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès. Dans Royal Trust Co. v. M.R.N., [1967] R.C.É. 414, le juge Dumoulin décida dans une situation qui se rapproche de la nôtre, qu'il y avait pouvoir général de disposer, bien qu'il déclara, toutefois, qu'il n'y avait pas, dans cette cause de substitution. Cette décision fut, d'ailleurs, confirmée par la Cour suprême, [1968] R.C.S. 505.
Si, d'autre part, il fallait conclure qu'il n'y a pas de substitution ici, et qu'il s'agit tout au plus d'un legs de la propriété à la mère avec charge. d'usufruit à sa fille pour un quart, la valeur de ces biens devrait quand même être incluse dans sa succession puisqu'elle en aurait eu, en l'oc- currence, la pleine propriété.
Le présent appel est, par conséquent, main- tenu avec les dépens mais la cotisation sera renvoyée au Ministre pour distraire la valeur capitale actuelle de l'intérêt viager de l'intimée de la valeur des biens compris, ou réputés com- pris, dans la succession de sa mère.
' 3. (1) Dans le calcul de la valeur globale nette des biens transmis au décès d'une personne, on doit inclure la valeur de tous les biens, quelle qu'en soit la situation, transmis au décès de cette personne, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède,
a) tous les biens dont le de cujus, immédiatement avant son décès, était habile à disposer;
(2) aux fins du présent article,
a) une personne est réputée avoir été habile à disposer de biens, si elle possédait un intérêt ou un droit dans ceux-ci, ou tel pouvoir général qui, si elle avait été sui juris, l'aurait rendue habile à disposer;
58. (1) Dans la présente loi
(i) «pouvoir général» comprend toute faculté ou autorisa- tion permettant au donataire ou autre détenteur de biens de les distribuer ou approprier ou d'en disposer selon qu'il le juge opportun, qu'elle puisse s'exercer par un acte entre vifs ou par testament ou les deux, mais ne com- prend pas un pouvoir susceptible d'être exercé à titre fiduciaire en vertu d'une disposition qu'il n'a pas faite lui-même, ou susceptible d'être exercé par une personne en qualité de créancier hypothécaire;
2 756. Le testament est un acte de donation à cause de mort, au moyen duquel le testateur dispose par libéralité, sans l'intervention de la personne avantagée, du tout ou de partie de ses biens, pour n'avoir effet qu'après son décès; lequel acte il peut toujours révoquer. L'acceptation qu'on en prétendrait faire de son vivant est sans effet.
3 712. Tout héritier, même bénéficiaire, venant à une suc cession, doit rapporter à la masse tout ce qu'il a reçu du défunt par donation entre vifs, directement ou indirecte- ment; il ne peut retenir les dons, ni réclamer les legs à lui faire par le défunt, à moins que les dons et legs ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part, ou avec dispense de rapport.
4 928. Une substitution peut exister quoique le terme d'u- sufruit ait été employé pour exprimer le droit du grevé. En général c'est d'après l'ensemble de l'acte et l'intention qui s'y trouve suffisamment manifestée, plutôt que d'après l'ac- ceptation ordinaire de certaines expressions, qu'il est décidé s'il y a ou non substitution.
944. Le grevé possède pour lui-même à titre de proprié- taire, à la charge de rendre et sans préjudice aux droits de l'appelé.
6 962. L'appelé reçoit les biens directement du substituant et non du grevé.
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