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John A. MacDonald, Railquip Enterprises Ltd. (Appelants)
c.
Vapor Canada Limited (Intimée)
et
Le procureur général du Canada, le procureur général de la province de Québec (Intervenants)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Thurlow et le juge suppléant Choquette—Mon- tréal, les 19, 20, 21 et 22 septembre 1972.
Droit constitutionnel—Trafic et commerce—Compéten- ce—Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10—Cette législation est-elle intro vires—Méthode con- traire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux—Loi sur les marques de commerce, art. 7—Existe-t-il une cause d'action—Compétence de la Cour fédérale.
Lorsqu'il est entré au service de la Vapor Canada Ltd., M a souscrit un engagement de ne pas divulguer de renseigne- ments acquis du fait de son emploi. Au service de la compagnie pendant près de dix ans, il en est devenu le vice-président. Au cours des derniers mois il a été employé par l'intimée, il a participé à la préparation d'une soumission présentée par cette dernière pour la fourniture de 500 installations de chauffage de wagons de chemin de fer au CN. En mai 1971, deux semaines après qu'il eut quitté son emploi chez l'intimée, il a présenté une soumis- sion, par l'entremise de la compagnie appelante, qu'il avait fait constituer et qu'il contrôlait, pour la fourniture d'instal- lations de chauffage de wagons de chemin de fer au CN, ce qui lui a valu une commande de 150 de ces installations. Pour préparer ladite soumission, M s'est servi des connais- sances qu'il avait acquises à titre d'employé de l'intimée et des chiffres sur lesquels se fondait la soumission de celle-ci. Il a en outre employé d'autres renseignements confidentiels acquis pendant qu'il était à l'emploi de l'intimée. De plus, il s'est emparé d'un certain nombre de documents relatifs à cette affaire que l'intimée avait en sa possession et qui lui appartenaient. La Vapor Canada Ltd. a intenté une action elle réclamait des dommages-intérêts ainsi que la déli- vrance d'une injonction; elle a obtenu une injonction inter- locutoire jusqu'à ce que l'affaire soit tranchée au fond.
Arrêt: Il y a lieu de rejeter l'appel de M et de la compa- gnie appelante.
1. Les appelants ont contrevenu aux dispositions de l'ar- ticle 7e) de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, qui interdit tout acte ou méthode d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada: la compagnie appelante, en se servant de renseignements de nature commerciale obtenus d'un ancien employé d'un concurrent, abusant ainsi de la relation de confiance existant entre ledit employé et ce concurrent, et M, lorsqu'à titre de dirigeant de la compagnie appelante, il a amené cette dernière à contrevenir à l'article 7e). Arrêts mentionnés: Breeze Corp. c. Hamilton Clamp & Stampings Ltd. (1962) 37 C.P.R. 1953; Clairol International
Corp. c. Thomas Supply and Equipment Co. [1968] 2 R.C.E. 552. En vertu de l'article 55 de la Loi sur les marques de commerce, la Division de première instance a compétence pour connaître d'une action en violation de l'article 7.
2. La Loi sur les marques de commerce, qui est une loi d'application générale réglementant les normes de la con- duite des affaires ail Canada, relève de la compétence du Parlement du Canada en vertu de l'article 91(2) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui donne au Parlement le pouvoir de légiférer en matière de trafic et de commerce; La Compagnie d'assurance des citoyens c. Parsons (1881) 7 App. Cas. 96; La Commission fédérale du commerce et de l'industrie [1937] A.C. 405; Reference re Alberta Statutes [1938] R.C.S. 100; Renvoi sur la Commission de Commerce [1922] 1 A.C. 191; Renvoi sur la Loi sur l'organisation du marché des produits naturels, 1934 [1936] R.C.S. 398.
APPEL d'un jugement non publié du juge Walsh accordant une injonction interlocutoire.
J. Nelson Landry et Malcolm E. McLeod pour les appelants.
Redmond Quain, c.r., et H. C. Salman pour l'intimée.
G. W. Ainslie, c.r., et A. P. Gauthier pour le procureur général du Canada.
A. Geoffrion, c.r., pour le procureur général de la province de Québec.
LE JUGE EN CHEF JACKETT—Le présent appel est interjeté d'un jugement' de la Division de première instance en date du 19 avril 1972 qui interdisait notamment aux appelants .. .
(2) [d']utiliser pour leur bénéfice personnel ou [de] divulguer à toute personne non autorisée tout renseigne- ment confidentiel ou toute connaissance acquis par eux du fait que [l'appelant] MacDonald était au service de [l'intimée], ou [de] présenter toute soumission pour la fabrication ou la vente de produits à l'égard desquels ces renseignements confidentiels acquis par MacDonald sont utilisés ou utiles;
(3) [d']utiliser tous plans, mémoires descriptifs, expo- sés, lettres ou autres documents appartenant à [l'intimée] pour leurs propres fins ou s'assurer la complicité de tout employé de [l'intimée] pour obtenir ces plans, mémoires descriptifs, lettres ou autres documents; ...
et qui leur ordonnait de remettre immédiate- ment à l'intimée tous plans, mémoires descrip- tifs, exposés, lettres ou autres documents appartenant à celle-ci, y compris toutes copies ou reproductions de ces documents appartenant à l'intimée, qui pouvaient être en leur possession.
Les appelants ont interjeté appel et, pour que la Cour rende une ordonnance les dispensant de reproduire la preuve sur laquelle se fondait le jugement porté en appel, ils ont donné l'assu- rance à cette Cour qu'ils ne fonderaient leur appel que sur les moyens suivants:
[TRADUCTION] 1. qu'il faut partiellement ou totalement infirmer le jugement porté en appel au motif qu'il n'existe aucune loi qui donne ou qui ait pour effet de donner à la Cour fédérale du Canada compétence pour rendre ce jugement; et
2. en ce qui concerne l'ensemble du jugement porté en appel ou partie de ce dernier, s'il existe une loi qui donne ou qui prétend donner à la Cour fédérale du Canada compétence pour rendre ce jugement, les dispositions de cette loi outrepassent, à cet égard, la compétence du Parlement du Canada;
Dans leur exposé des faits et du droit, les appelants attaquent la partie susmentionnée du jugement porté en appel en invoquant les moyens suivants:
1) qu'il y a lieu d'infirmer lesdites parties du jugement porté en appel au motif qu'il n'existe aucune loi qui donne ou qui prétend donner à la Cour fédérale du Canada compétence pour rendre ce jugement; et
2) qu'en ce qui concerne lesdites parties du jugement porté en appel, s'il existe une loi qui donne ou qui prétend donner à la Cour fédérale du Canada compétence pour rendre ce jugement, les dispositions de cette loi outrepas- sent, à cet égard, la compétence du Parlement du Canada.
L'exposé des faits, tels qu'on doit les accep- ter aux fins du présent appel, ne pose aucune difficulté?
L'intimée fait depuis plusieurs années le com merce de matériel de chauffage; l'appelant Mac- Donald a été au service de l'intimée et d'une compagnie remplacée par cette dernière pen dant presque 10 ans et il est arrivé jusqu'au poste de vice-président. Lorsqu'il est entré au service de la compagnie remplacée par l'inti- mée, MacDonald a souscrit un engagement dont le préambule est rédigé en partie de la façon suivante:
[TRADUCTION] ... me rendant compte que, grâce à mon dit emploi, je serai en mesure d'acquérir, par mes observations et par des communications qui me seront faites, des rensei- gnements confidentiels et d'importance capitale relatifs aux méthodes de construction et aux principes utilisés dans les appareils et dispositifs fabriqués, vendus, mis au point ou utilisés par la présente compagnie (et aux difficultés que provoque leur production) dans le cours de ses affaires, durant toute la période je serai au service de la compagnie;
La clause cinq dudit engagement est libellée de la façon suivante:
[TRADUCTION] Je ne divulguerai à aucune personne non autorisée quelque renseignement obtenu ou quelque con- naissance acquise du fait de mon emploi par la compagnie.
Alors qu'il était encore employé par l'intimée, MacDonald s'est occupé de la constitution en corporation de l'appelante, la Railquip Enter prises Ltd., dont il a toujours été l'actionnaire majoritaire.
Au cours des derniers mois il a été employé par l'intimée, MacDonald a participé à la préparation d'une soumission présentée par cette dernière pour la fourniture de 500 installa tions de chauffage de wagons de chemin de fer au Canadien National. MacDonald a quitté son emploi chez l'intimée le 15 avril 1971 et, le 1 er mai 1971, il a présenté une soumission, proba- blement au nom de la Railquip, pour la fourni- ture d'installations de chauffage de wagons de chemin de fer au Canadien National. Suite à cette soumission, la Railquip a obtenu une corn- mande de 150 installations de chauffage. Pour préparer ladite soumission, MacDonald s'est servi des connaissances qu'il avait acquises, à titre d'employé de l'intimée, et des chiffres sur lesquels se fondait la soumission de l'intimée. La détermination de ces montants avait exigé un travail considérable de la part des employés de l'intimée. Pour permettre à la compagnie dont il était l'actionnaire majoritaire de préparer cette soumission, MacDonald a aussi employé et dévoilé d'autres renseignements confidentiels acquis pendant qu'il était employé par l'intimée. En outre, il s'est emparé d'un certain nombre de documents relatifs à cette affaire que l'intimée avait en sa possession et qui lui appartenaient.
Se fondant sur les faits susmentionnés, qui ne sont pas contestés au présent appel, le juge de première instance a conclu que les appelants avaient violé l'article 7e) de la Loi sur les mar- ques de commerce, qui est rédigé de la façon suivante:
7. Nul ne doit
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.
Le juge de première instance a décidé qu'il s'agissait d'un cas prévu à l'article 53 de la Loi sur les marques de commerce, donnant ouver- ture au redressement accordé par le jugement porté en appel résumé plus haut. L'article susdit est rédigé de la façon suivante:
53. Lorsqu'il est démontré à une cour compétente, qu'un acte a été accompli contrairement à la présente loi, la cour peut rendre l'ordonnance que les circonstances exigent, y compris une stipulation portant un redressement par voie d'injonction et le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et peut donner des instructions quant à la disposi tion des marchandises, colis, étiquettes et matériel publici- taire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard.
C'est en vertu de l'article 55 de la Loi sur les marques de commerce, modifié par l'article 64(2) de la Loi sur la Cour fédérale, lu en corrélation avec l'article 26(1) de cette dernière, que la Division de première instance a compé- tence pour connaître d'une action fondée sur la violation de l'article 7. Voici le texte des articles 55 et 26(1) susdits:
55. Toute action ou procédure en vue de l'application d'une disposition de la présente loi ou d'un droit ou recours conféré ou défini de la sorte est recevable par la Cour fédérale du Canada.
26. (1) La Division de première instance a compétence en première instance sur toute question pour laquelle une loi du Parlement du Canada a donné compétence à la Cour fédérale, désignée sous son nouveau ou sous son ancien nom, à l'exception des questions expressément réservées à la Cour d'appel.
Voici, à mon avis, la position des appelants au présent appel: la Division de première ins tance n'avait pas compétence pour rendre le jugement porté en appel aux motifs que
a) l'article 7e) ne s'applique pas aux faits établis par la Division de première instance, et
b) subsidiairement, si l'article 7e) s'applique à ces faits, il est ultra vires du Parlement du Canada. 3
Je vais d'abord examiner, d'après les faits établis par la Division de première instance, si les appelants ont enfreint les dispositions de l'article 7e). 3 A
L'article 7 se trouve dans une loi dont le titre complet est le suivant: Loi concernant les mar- ques de commerce et la concurrence déloyale; il est placé dans la partie de la loi intitulée Con-
currence déloyale et marques interdites. A cet égard, ledit article 7, après avoir énuméré cer- taines catégories d'actes interdits, de toute évi- dence, au titre de la «concurrence déloyale», interdit de faire «un autre acte ... contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada». Les parties au présent appel ont convenu que, tant au Québec que dans les provinces de common law et indépen- damment de toute disposition législative, un homme d'affaires est passible de dommages- intérêts et s'expose à la délivrance d'une injonc- tion à son égard s'il se met à se servir aux fins de son entreprise de renseignements qu'il a obtenus d'un employé d'un concurrent, en con travention au contrat de travail conclu par cet employé avec ce concurrent . 4 Puisqu'il en est ainsi, j'estime qu'en l'absence de preuve du contraire, il doit être «contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada» de se servir de cette façon de renseignements ainsi obtenus et que, par consé- quent, cet acte constitue une contravention à l'article 7e) de la Loi sur les marques de commerce . 5
Ce n'est pas une façon nouvelle d'interpré- ter l'article 7e). Déjà le juge Donnelly, dans l'affaire Breeze Corp. c. Hamilton Clamp & Stampings Ltd. (1962) 37 C.P.R. 153, avait décidé que l'usage de renseignements de nature confidentielle et technique à des fins autres que celles pour lesquelles ces renseignements avaient été révélés constitue un acte contraire aux honnêtes usages industriels ou commer- ciaux ayant cours au Canada, au sens de ces mots à l'article 7e). Pour sa part, mon collègue le juge Thurlow, en étudiant la portée de l'arti- cle 7e) dans l'affaire Clairol International Corp. c. Thomas Supply and Equipment Co. [1968] 2 R.C.E. 552, a déclaré: [TRADUCTION] «On peut considérer à bon droit que des actes ou une conduite frisant l'abus de confiance tombent dans le champ d'application de cet article». En outre, dans la troisième édition (1972) de l'ou- vrage de Fox The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, à la page 652, on trouve l'affirmation suivante, après la cita tion de l'article 7e):
[TRADUCTION] Cette prohibition vise évidemment la com munication irrégulière de renseignements confidentiels et de secrets commerciaux ...
En l'absence d'une argumentation convain- cante ou de jurisprudence à l'effet contraire qui fasse autorité, je suis d'avis que la compagnie appelante a contrevenu aux dispositions de l'ar- ticle 7e) lorsqu'elle s'est servie, aux fins de son entreprise, de renseignements que lui avait four- nis un ancien employé d'un concurrent, abusant ainsi de la relation de confiance existant entre ledit employé et ce concurrent 6' Je suis en outre d'avis que l'appelant MacDonald a contrevenu aux dispositions de l'article 7e) lorsque, à titre de dirigeant de la compagnie appelante, il a amené cette dernière à contrevenir audit article :7
Relativement à cet aspect de l'affaire, il reste à traiter de la question des documents. A mon avis, l'article 7e) s'applique à l'obtention et à l'usage de documents dérobés à un concurrent exactement de la même façon qu'il s'applique à l'obtention et à l'usage de renseignements confi- dentiels. Le texte et l'esprit de l'article 7e) s'ap- pliquent également aux deux cas.
C'est pourquoi je conclus que la Division de première instance était fondée à décider que les appelants avaient violé les dispositions de l'arti- cle 7 e) tant en ce qui concerne les renseigne- ments confidentiels que les documents.
J'en viens maintenant à la question de savoir si le Parlement est compétent pour promulguer l'article 7e).
La première question à se poser est celle de savoir si l'ensemble de la Loi sur les marques de commerce relève de la compétence du Parle- ment du Canada. Si la réponse à cette question est négative, la question suivante à se poser est celle de savoir si l'article 7, ou son alinéa e), est susceptible d'être séparé du reste de la loi et, pris séparément, d'être considéré comme rele vant de la compétence du Parlement du Canada.
Bien que d'autres questions aient été soule- vées, je suis d'avis que la véritable question à trancher en l'espèce est celle de savoir si la Loi sur les marques de commerce est une «loi» relative à une «matière» tombant dans la caté- gorie de sujets figurant à l'article 91(2) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, «La réglementation du trafic et du commerce», auquel cas cette loi relève de la compétence du
Parlement, ou s'il s'agit d'une «loi» relative à une «matière» qui ne tombe pas dans cette catégorie de sujets, auquel cas il s'agit d'une loi relative à une «matière» tombant dans la caté- gorie de sujets figurant à l'article 92(13) de l'Acte «La propriété et les droits civils dans la province», ou d'une loi relative à une matière tombant dans la catégorie de sujets figurant à l'article 92(16) «... les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province». Voici le texte des dispositions susdites portant sur la question à l'étude:
91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par le présent acte exclusivement assi gnés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par le présent déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans le présent acte) l'autorité législative exclusive du parle- ment du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:
2. La réglementation du trafic et du commerce.
Et aucune des matières énoncées dans les catégories de sujets énumérés dans le présent article ne sera réputée tomber dans la catégorie des matières d'une nature locale ou privée comprises dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par le présent acte aux légis- latures des provinces.
92. Dans chaque province la législature pourra exclusive- ment faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, -avoir:
13. La propriété et les droits civils dans la province;
16. Généralement toutes les matières d'une nature pure- ment locale ou privée dans la province.
Conformément aux principes bien établis d'interprétation des articles 91 et 92, même si la Loi sur les marques de commerce est, à d'autres égards, une «loi» relative à une «matière» tom- bant dans le champ d'application de l'article 92(1'3) ou de l'article 92(16), si c'est une «loi» relative à une «matière» tombant dans le champ d'application de l'article 91(2), il faut considérer que cette «matière» ne tombe ni dans le champ d'application de l'article 92(13) ni dans celui de
l'article 92(16). (Voir Reference re Alberta Sta tutes [1938] R.C.S. 100, par le juge en chef du Canada Duff, à la page 115.)
Pour décider si, de par son «essence et sub stance», la «matière» d'une «loi» est une matière tombant dans le champ d'application de l'article 91(2), il faut faire une étude chronologique des arrêts les plus importants dans ce domaine, même si, en fin de compte, seuls quelques-uns d'entre eux seront utiles lorsqu'il s'agira de trancher la question. J'ai donc préparé une pareille étude: elle m'a servi de guide pour examiner la question de savoir si la Loi sur les marques de commerce est une loi relative à une «matière» tombant dans le champ d'application de l'article 91(2). Je me propose de joindre un exemplaire de cette étude aux présents motifs en les déposant au greffe, pour qu'elle puisse servir, le cas échéant, à une meilleure compré- hension de mon raisonnement sur cet aspect de l'appel.
Avant d'examiner la Loi sur les marques de commerce en vue d'établir son «essence et substance», il est important, selon moi, de rete- nir qu'en common law, la réglementation des marques de commerce tire son origine du délit de concurrence déloyale, qui existait avant d'être mentionné dans un texte de loi. La règle de base consistait à interdire à toute personne d'offrir en vente ses marchandises en les faisant passer pour les marchandises d'un concurrent. Se servir des marques de commerce que ledit concurrent utilisait pour distinguer ses mar- chandises de celles des autres commerçants aux yeux des consommateurs était une façon de commettre le délit de concurrence déloyale. Peu à peu, par le biais de la protection accordée à l'utilisateur d'une marque de commerce par la répression de ce délit, on est venu à reconnaître un droit de propriété dans la marque de com merce au commerçant qui s'en servait de façon telle que, dans l'esprit des consommateurs, elle différenciât les marchandises auxquelles elle était apposée des autres. (The Leather Cloth Co. c. American Leather Cloth Co. (1863) 4 DeG.J. & S. 136, par le Lord chancelier Westbury, et (1865) 11 H.L.C. 523 (H.L.); Singer Manufac turing Co. c. Loog (1882) 8 App. Cas. 15, par le Lord Blackburn, aux pages 29 et suiv.; Somer- ville c. Schembri (1887) 12 App. Cas. 453.) La
règle générale interdisant la «concurrence déloyale» a causé certaines difficultés; pour y pallier, on a promulgué des lois créant des sys- tèmes d'enregistrement et apportant des modifi cations aux droits réels découlant de ladite règle.
Si nous examinons la Loi sur les marques de commerce à la lumière de ce qui précède, nous pouvons voir que, les dispositions portant sur l'«Interprétation» (articles 1 à 6) mises à part, elle consiste en
a) certaines règles générales intitulées «Con- currence déloyale et marques interdites» (articles 7 à 11);
b) un système d'enregistrement des marques de commerce (articles 12 à 46) et un système connexe d'usagers inscrits (article 49);
c) certaines modifications au droit commun relatif aux marques de commerce (articles 47, 48, 50 et 51);
d) des dispositions accessoires (procédures judiciaires, etc.).
Il s'agit donc d'une loi dont «l'essence et la substance» est de créer
a) un ensemble de règles générales applica- bles à tout le trafic et à tout le commerce au Canada, y compris une version statutaire de la règle de common. law interdisant la concur rence déloyale, et
b) un système d'enregistrement des marques de commerce.
Les autres dispositions de la loi sont toutes accessoires aux parties principales susmention- nées.
La question à trancher dans la présente partie de l'appel est de savoir si le Parlement pouvait édicter ces règles générales visant à réglementer le trafic et le commerce au Canada. Lesdites règles se trouvent dans la partie suivante de la loi:
CONCURRENCE DÉLOYALE ET MARQUES INTERDITES
7. Nul de doit
a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada,
lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;
c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;
d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde
(i) les caractéristiques, la qualité, la quantité ou la composition,
(ii) l'origine géographique, ou
(iii) le mode de fabrication, de production ou
d'exécution
de ces marchandises ou services; ni
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.
8. Quiconque, dans la pratique du commerce, transfère la propriété ou la possession de marchandises portant une marque de commerce ou un nom commercial, ou dans des colis portant une telle marque ou un nom de ce genre, est censé, à moins d'avoir, par écrit, expressément déclaré le contraire avant le transfert, garantir à la personne à qui la propriété ou la possession est transférée que cette marque de fabrique ou de commerce ou ce nom commercial a été et peut être licitement employé à l'égard de ces marchandises.
9. (1) Nul ne doit adopter à l'égard d'une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit:
a) les armoiries, l'écusson ou le drapeau de Sa Majesté;
b) les armoiries ou l'écusson d'un membre de la famille royale;
c) le drapeau, les armoiries ou l'écusson de Son Excel lence le gouverneur général;
d) un mot ou symbole susceptible de porter à croire que les marchandises ou services en liaison avec lesquels il est employé ont reçu l'approbation royale, vice-royale ou gouvernementale, ou sont produits, vendus ou exécutés sous le patronage ou sur l'autorité royale, vice-royale ou gouvernementale;
e) les armoiries, l'écusson ou le drapeau adoptés et employés à quelque époque par le Canada ou par une province ou corporation municipale au Canada, à l'égard desquels le registraire, sur la demande du gouvernement du Canada ou de la province ou corporation municipale intéressée, a notifié au public leur adoption et leur emploi;
f) l'emblème héraldique de la Croix-Rouge sur fond blanc, formé en transposant les couleurs fédérales de la Suisse et retenu par la Convention de Genève pour la protection des victimes de guerre de 1949, comme emblème et signe distinctif du service médical des forces armées et utilisé par la Société de la Croix-Rouge Cana- dienne; ou l'expression «Croix-Rouge» ou «Croix de Genève»;
g) l'emblème héraldique du Croissant rouge sur fond blanc, adopté aux mêmes fins que celles dont l'alinéa j) fait mention, par un certain nombre de pays musulmans;
h) le signe équivalent des Lion et Soleil rouges employés par l'Iran pour le même objet que celui dont l'alinéa j) fait mention;
i) les drapeaux, armoiries, écussons ou emblèmes natio- naux, territoriaux ou civiques, ou tout signe ou timbre de contrôle et garantie officiels, dont l'emploi comme devise commerciale a été l'objet d'un avis d'opposition reçu en conformité des stipulations de la Convention et publique- ment donné par le registraire;
j) une devise ou un mot scandaleux, obscène ou immoral;
k) toute matière qui peut faussement suggérer un rapport avec un particulier vivant;
t) le portrait ou la signature d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;
m) les mots «Nations Unies» (United Nations), ou le sceau ou emblème officiel des Nations Unies;
n) tout insigne, écusson, marque ou emblème
(i) adopté ou employé par l'une quelconque des forces de Sa Majesté telles que les définit la Loi sur la défense nationale,
(ii) d'une université, ou
(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandi- ses ou services,
à l'égard desquels le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l'université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d'adoption et emploi; ou
o) le nom «Gendarmerie royale du Canada» (Royal Canadian Mounted Police) ou «R.C.M.P.», ou toute autre combinaison de lettres se rattachant à la Gendarmerie royale du Canada, ou toute représentation illustrée d'un membre de ce corps en uniforme.
(2) Rien au présent article n'empêche l'emploi, comme marque de commerce ou autrement, quant à une entreprise, de quelque marque décrite au paragraphe (1) avec le con- sentement de Sa Majesté ou de telle autre personne, société, autorité ou organisation que le présent article est censé avoir voulu protéger.
10. Si une marque, en raison d'une pratique commerciale ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destina tion, la valeur, le lieu d'origine ou la date de production de marchandises ou services, nul ne doit l'adopter comme marque de commerce en liaison avec ces marchandises ou services ou autres de la même catégorie générale, ou l'em- ployer d'une manière susceptible d'induire en erreur, et nul ne doit ainsi adopter ou employer une marque dont la ressemblance avec la marque en question est telle qu'on pourrait vraisemblablement les confondre.
11. Aucune personne ne doit employer relativement à une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque quelconque adoptée contrairement à l'article 9 ou 10 de la présente loi ou contrairement à l'article 13 ou 14 de la Loi sur la concurrence déloyale, chapitre 274 des Statuts revisés du Canada de 1952.
La partie précitée de la Loi sur les marques de commerce est certainement une loi qui régle- mente le commerce et c'est donc une loi relative
à une matière tombant dans le champ d'applica- tion des dispositions de l'article 91(2) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, soit «La réglementation du trafic et du commerce», si l'on donne à ces mots un sens large indépen- damment du contexte et des autres parties de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. (Voir La Compagnie d'assurance des citoyens c. Par sons (1881) 7 App. Cas. 96, par Sir Montague Smith, à la page 112.) Il a toutefois été établi que les mots «réglementation du trafic et du commerce» n'ont pas été employés dans un sens aussi large parce que, a-t-on dit,
a) le fait que l'article 91(2) fasse partie d'une énumération de catégories de sujets d'intérêt national et général est une indication qu'il vise à établir une réglementation relative au trafic et au commerce en général, et
b) si l'on avait voulu donner à ces mots leur pleine portée, la mention expresse des sujets tels que les banques, les poids et mesures, les lettres de change et les billets à ordre, l'inté- rêt de l'argent, la faillite et l'insolvabilité aurait été inutile.
Cette interprétation a été formulée dans l'arrêt La Compagnie d'assurance des citoyens du Canada c. Parsons (1881) 7 App. Cas. 96, aux pages 112 et suiv., et elle a toujours été suivie depuis. On n'a jamais mis en doute que l'article 91(2) comprend la réglementation du commerce international et interprovincial. (Voir Murphy c. C.P.R. [1958] R.C.S. 626, Caloil Inc. c. Le procureur général du Canada [1971] R.C.S. 543 et Le procureur général du Manitoba c. Manito- ba Egg and Poultry Association [1971] R.C.S. 689.) D'autre part, il a été établi que l'article 91(2) ne vise pas la réglementation des contrats d'un commerce donné dans une province, ni la réglementation, par un système de permis ou autrement, de l'exercice d'un commerce donné dans une province, ni la réglementation des relations entre employeurs et employés. (Voir l'étude des arrêts faite par le juge en chef du Canada Duff dans Reference re Alberta Stat utes [1938] R.C.S. 100, aux pages 118 et 119, et le Renvoi sur la validité de l'article 5a) de la Loi de l'industrie laitière [1949] R.C.S. 1; [1951] A.C. 179.) En outre, on peut dire que, chaque fois que la portée de l'article 91(2) a été étudiée dans son ensemble, il a été admis que cet article autorisait, le cas échéant, le Parle-
ment à légiférer relativement à la réglementa- tion générale du commerce à l'échelle nationale . 8
C'est ce dernier aspect de l'article 91(2) qu'il faut étudier en ce qui a trait à la Loi sur les marques de commerce. La question soulevée par le présent appel ne peut être tranchée sans que l'on essaie de déterminer l'étendue des pou- voirs du Parlement de légiférer relativement à la réglementation générale du commerce à l'é- chelle nationale.
En premier lieu, les décisions rendues dans le passé nous éclairent peu sur la question. 9 L'é- tendue du pouvoir accordé au Parlement par l'article 91(2) de légiférer relativement à la réglementation générale du commerce à l'é- chelle nationale n'a pas, à ma connaissance, fait l'objet de décisions sauf: la décision du Conseil privé dans le Renvoi sur la Commission fédérale du commerce et de l'industrie (Attorney -General for Ontario v. Attorney -General for Canada) [1937] A.C. 405, il a été jugé que le Parle- ment avait compétence en vertu de l'article 91(2) pour créer une marque de commerce d'État connue sous le nom de «Canada Stan dard», et la décision de la Cour suprême du Canada, à l'occasion du même avis consultatif ([1936] R.C.S. 379), l'on a rapproché la compétence du Parlement du Canada en matière d'échanges et de commerce et sa compétence en matière de droit criminel pour juger qu'il pouvait promulguer des dispositions législatives relatives aux enquêtes portant sur les normes auxquelles doivent se conformer les produits. D'autre part, autant que je sache, il n'existe aucune décision portant qu'il est exorbitant de la compétence du Parlement de légiférer relati- vement au trafic et au commerce, sauf lorsque les lois en cause prétendaient réglementer le commerce local à l'intérieur d'une province ou les relations entre employeurs et employés.
En examinant les arrêts, je n'ai trouvé aucune décision de principes susceptible de s'appliquer au problème soulevé en l'espèce. On trouve toutefois dans la jurisprudence deux opinions très importantes sur la question. La première se trouve dans l'arrêt Reference re Alberta Statutes [1938] R.C.S. 100, le juge en chef du Canada Duff et le juge Davis ont déclaré qu'une loi créant un nouveau système de «crédit» destiné
à servir de moyen d'échange à la place du crédit bancaire est une loi relative au trafic et au commerce. La seconde opinion à laquelle je me réfère est le Renvoi sur la Commission fédérale du commerce et de l'industrie [1937] A.C. 405, le Lord Atkin, parlant au nom du Conseil privé, a déclaré que l'article 91(2) permet mani- festement au Parlement de promulguer la Loi des marques de commerce et dessins de fabri- que, S.R.C. 1927, chapitre 201. Vu l'importance de cette opinion aux fins des présentes, nous en citerons le passage suivant:
[TRADUCTION] Il existe au Canada un code bien établi relatif aux marques de commerce créé par les lois fédérales. On le retrouve maintenant dans la Loi des marques de commerce et dessins de fabrique, S.R.C. 1927, c. 201, modifiée par S.C. 1928, c. 10. Ces dispositions donnent au propriétaire d'une marque de commerce déposée le droit exclusif de se servir de cette marque de commerce pour désigner les articles qu'il fabrique ou qu'il vend. Ces dispo sitions créent donc une forme de propriété dans chaque province avec tous les droits qui en découlent. Personne n'a contesté la compétence du Dominion à cet égard. En cas de contestation de cette dernière, on invoquerait sans doute, à l'appui de la compétence du Parlement, la catégorie de sujets énumérée à l'article 91(2) et mentionnée par le juge en chef, savoir la réglementation du trafic et du commerce. Il pourrait difficilement y avoir une forme plus appropriée d'exercice de cette compétence que la création et l'applica- tion d'une loi uniforme sur les marques de commerce. [Page 417]
De plus, dans l'arrêt La Commission de com merce ([1922] 1 A.C. 191, aux pages 200 et 201), la Cour a laissé entendre que le Parlement peut légiférer relativement à la compilation de données statistiques.
En outre, je trouve dans le jugement du juge en chef du Canada Duff sur le Renvoi sur la Loi sur l'organisation du marché des produits natu- rels, 1934, [1936] R.C.S. 398, un appui de caractère plus général. Après avoir déclaré que les dispositions législatives en cause dans cette affaire n'étaient pas valides parce qu'elles visaient [TRADUCTION] «la réglementation du commerce purement local et de l'activité des commerçants et des producteurs exerçant un commerce purement local», il a poursuivi à la page 412 en ces termes:
[TRADUCTION] Il y a aussi lieu de noter que ces disposi tions visent à réglementer des opérations relatives à des produits ou à des catégories de produits donnés. La régle- mentation envisagée n'est pas une réglementation générale de l'ensemble du commerce ni une réglementation du trafic
et du commerce au niveau national au sens donné à ces expressions dans l'arrêt Parsons.
Pour résumer mon analyse de cette jurispru dence, on peut dire que sont exclues, prima facie, du domaine de la «Réglementation du trafic et du commerce» accordé au Parlement par l'article 91(2)
a) la réglementation du commerce local de produits ou de catégories de produits donnés à l'intérieur d'une province,
b) la réglementation des contrats d'un com merce local dans une province, et
c) la réglementation des relations employeur- employé dans le cadre du commerce local à l'intérieur d'une province
Il semblerait d'autre part que la compétence laissée au Parlement en matière de réglementa- tion du commerce (outre le commerce interna tional et interprovincial), à titre de réglementa- tion générale de l'ensemble du commerce ou de réglementation du trafic et du commerce au niveau national, comprend
a) la création d'une marque nationale à utili- ser en matière commerciale pour indiquer les normes, ainsi que le contrôle et l'utilisation de cette marque,
b) un système de marques de commerce,
c) un système de crédit à utiliser au lieu du crédit bancaire,
d) les normes auxquelles doivent se confor- mer les produits, et
e) les données statistiques.
A la lumière de cette jurisprudence, je con- clus qu'une loi établissant un ensemble de règles générales visant la conduite des hommes d'affaires au Canada dans le cadre d'activités concurrentielles est une loi promulguant [TRA- DUCTION] «des réglementations de l'ensemble du commerce ou des réglementations du trafic et du commerce au niveau national au sens donné à ces expressions dans l'arrêt Parsons». A cet égard, il n'y a, à mon avis, aucune diffé- rence entre la réglementation des normes aux- quelles doivent se conformer les produits et une loi réglementant les normes à respecter dans la conduite des affaires; selon moi, s'il existe une notion telle que la réglementation générale de l'ensemble du commerce, elle doit inclure une
loi d'application générale qui réglemente soit les normes des produits soit les normes de la con- duite des affaires.
A mon avis, la Loi sur les marques de com merce, dans son ensemble, est une loi d'applica- tion générale réglementant les normes de la conduite des affaires au Canada; elle relève donc de la compétence conférée au Parlement par l'article 910) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. Il ne m'est donc pas nécessaire d'examiner les autres moyens invo- qués à l'appui de la validité de l'article 7e).
C'est pourquoi je suis d'avis que la Division de première instance avait compétence pour accorder le redressement qu'elle avait l'inten- tion d'accorder, tel qu'il ressort à la lecture des motifs du jugement prononcé par le juge Walsh. Toutefois, compte tenu de la lumière nouvelle jetée sur la portée de l'article 7e) à la suite de la contestation quelque peu tardive de sa validité, je suis d'avis qu'il y a lieu d'apporter certaines modifications au texte du jugement porté en appel pour s'assurer que ce dernier n'est pas exorbitant de l'article 7e). A mon avis, il y a donc lieu d'accueillir l'appel et de modifier le jugement
(1) en supprimant le paragraphe 2 dudit juge- ment et en y substituant le paragraphe suivant:
2. utiliser aux fins de l'entreprise de la Railquip Enter prises Ltd., ou de toute autre entreprise à laquelle l'un ou l'autre des défendeurs peut être d'une façon ou d'une autre associé ou intéressé, soit par communication à des tiers ou autrement, tout renseignement ou connaissance de nature confidentielle acquis par eux du fait que le défendeur MacDonald était au service de la demande- resse, ou présenter toute soumission pour la fabrication ou la vente de produits à l'égard desquels ces renseigne- ments confidentiels acquis par MacDonald sont utilisés ou utiles;
(2) en supprimant le paragraphe 3 dudit juge- ment et en y substituant le paragraphe suivant:
3. utiliser aux fins de l'entreprise de la Railquip Enter prises Ltd., ou de toute autre entreprise à laquelle l'un ou l'autre des défendeurs peut être d'une façon ou d'une autre associé ou intéressé, tous plans, mémoires descrip- tifs, exposés, lettres ou autres documents appartenant à la demanderesse acquis par eux du fait que le défendeur MacDonald était au service de la demanderesse ou s'assu- rer la complicité de tout employé de la demanderesse
pour obtenir ces plans, mémoires descriptifs, lettres ou autres documents;
et
(3) en supprimant le paragraphe non numé- roté qui suit immédiatement le paragraphe 4 et en y substituant le paragraphe suivant:
Il est par les présentes ordonné aux défendeurs John A. MacDonald et la Railquip Enterprises Ltd. de remettre immédiatement à la demanderesse tous plans, mémoires descriptifs, exposés, lettres ou autres documents lui appartenant, y compris toutes copies ou reproductions de ces documents, qui sont en leur possession et qui ont été acquis pour être utilisés aux fins de l'entreprise de la Railquip Enterprises Ltd. du fait que le défendeur Mac- Donald était au service de la demanderesse.
Compte tenu de toutes les circonstances, je suis d'avis que les dépens du présent appel doivent suivre l'action.
* * *
LE JUGE THURLOW—Je souscris à l'avis.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT CHOQUETTE—Je sous- cris à l'avis.
I Le jugement en cause était intitulé «ordonnance» mais, en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, il est plus exact d'employer le mot «jugement». Voir, par exemple, l'article 27 de ladite loi.
2' Ce n'est qu'aux fins du présent appel que j'énonce les faits de manière catégorique. A ce stade de la procédure, personne n'a attaqué les conclusions de fait de la Division de première instance. A l'audience, le cas échéant, il y aura détermination des faits fondée sur la preuve qui sera alors présentée.
3 Dans le présent appel, on n'a pas soulevé la question de savoir si, une fois admise la compétence de la Cour en la matière, l'article 53 autorise le redressement accordé. Je n'exprime aucune opinion à ce sujet.
3 A A mon avis, il n'est pas nécessaire en l'espèce de faire appel à la règle voulant qu'une loi ambiguë s'interprète comme relevant de la compétence du Parlement, si le texte de cette loi est susceptible d'une telle interprétation.
4 Voir la jurisprudence citée au chapitre XIII de l'ouvrage de Fox intitulé The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e édition, aux pages 652 et suiv.
5 Bien que je sois convaincu que l'article 7e) s'applique en l'espèce, je trouve son texte difficile à analyser. Ce qui suit dans la présente référence est une opinion que je formule à titre provisoire et que j'expose en me rendant très bien compte qu'une conclusion différente s'imposera peut-être à la suite d'une étude plus approfondie de la question.
Voici ce qui ressort de la lecture du texte de la prohibition contenue à l'article 7e):
Nul ne doit . .. faire un ... acte ou adopter une ... méthode d'affaires contraire aux honnêtes usages indus- triels ou commerciaux ayant cours au Canada.
Examinons d'abord la dernière partie du texte précité. Il semblerait que les mots «honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada» doivent désigner ce que les honnêtes hommes d'affaires canadiens font ordinai- rement dans l'exercice de leur activité industrielle ou com- merciale. Si telle est l'interprétation correcte à donner à cette partie du texte précité, il en découle que l'ensemble de l'alinéa signifie que nul ne doit faire un acte ou adopter une méthode d'affaires dans l'exercice de son activité indus- trielle ou commerciale qui soit «contraire à» la conduite ordinaire des honnêtes hommes d'affaires canadiens. En d'autres termes, un acte ou une méthode adopté dans l'exer- cice d'une activité industrielle ou commerciale est interdit s'il semble inacceptable aux yeux d'un honnête homme d'affaires canadien. Selon cette interprétation, l'article 7e) interdit, sauf dans des cas tout à fait spéciaux, tout acte ou toute méthode d'affaires, dans l'exercice d'une activité industrielle ou commerciale, qui constitue une violation du droit civil ou pénal, puisque tout acte ou toute méthode d'affaires de ce genre serait, me semble-t-il, inacceptable aux yeux d'un honnête homme d'affaires canadien. (La conduite que l'on reproche aux appelants en l'espèce tombe dans cette catégorie d'actes ou de méthodes d'affaires.) Selon cette interprétation, le champ d'application de l'article 7e) s'étendrait aussi aux actes ou aux méthodes d'affaires qui autrement ne seraient pas entachés d'illégalité dès lors qu'ils seraient inacceptables aux yeux des honnêtes hommes d'affaires canadiens. (Un exemple de cela est la conduite malhonnête en cause dans l'affaire Therapeutic Research c. Life Aid (1969) 56 C.P.R. 149, tranchée par le juge Noël, maintenant juge en chef adjoint.)
Si nous examinons l'article 7 à la lumière de la règle ejusdem generis, il me semble que le Parlement a rédigé son alinéa e) de façon à définir explicitement la catégorie géné- rale dans laquelle tombent tous les alinéas de l'article 7. Tous les actes et toutes les méthodes d'affaires qu'interdit l'article 7 sont des actes ou des méthodes d'affaires qui sont «contraires aux honnêtes usages industriels ou commer- ciaux ayant cours au Canada». Étant donné la mention expresse de cette catégorie générale, il ne me semble pas que l'on puisse donner à l'article 7 une interprétation qui ait pour effet de créer une nouvelle catégorie d'une nature plus restreinte pour limiter ainsi la portée de son alinéa e). De plus, je ne crois pas que ce point de vue diffère en sub stance de celui adopté par le juge d'appel Schroeder dans l'affaire Eldon Industries c. Reliable Toy Co. (1967) 48 C.P.R. 109. Quoi qu'il en soit, il me semble que, dans cette affaire, le résultat aurait été le même, car, en l'absence de preuve d'un «usage» contraire, il ne semble rien y avoir qui défende à un honnête homme d'affaires de tirer profit d'une invention ou d'un dessin connu du public lorsque, compte tenu des conditions prescrites par le Parlement en matière de droits de monopole, ce dessin ou cette invention fait partie du domaine public. Autant que je sache, notre droit favorise encore la concurrence.
Il a été décidé dans l'affaire S. & S. Industries Inc. c. Rowell [1966] R.C.S. 419, que l'article 7 ne se limitait pas à interdire de faire des choses qui sont par ailleurs illégales.
Il me semble que le sens véritable du mot «usage» (usages) figurant à l'article 7e) est son sens premier dans le Shorter Oxford English Dictionary: [TRADUCTION] «Usage habituel, pratique établie, manière habituelle d'agir d'un certain nombre de personnes».
6 L'expérience permettra probablement de délimiter la prohibition contenue à l'article 7e). Par exemple, cette pro hibition sera probablement interprétée comme une régle- mentation des «affaires» en tant qu'«affaires» et non comme une «réglementation des contrats». (Comparer avec l'opinion du juge en chef du Canada Kerwin dans l'arrêt Reference re Ontario Farm Products Marketing Act [1957] R.C.S. 198, aux pages 204 et 205.)
7 II importe de faire ici une distinction entre cette règle relative à la concurrence déloyale, qui vise les actes de l'homme d'affaires dans l'exercice de son activité commer- ciale, et la relation contractuelle qui existe entre le concur rent et l'employé déloyal. A mon avis, l'article 7e) s'appli- que à la concurrence déloyale et vise aussi bien la compagnie qui la pratique dans l'exercice de son activité que la personne (le dirigeant ou l'actionnaire) qui est l'insti- gateur de l'acte interdit commis par la compagnie. Mais, selon moi, l'article 7e) ne s'applique pas à la conduite de l'employé déloyal en tant que tel. C'est ainsi que si un employé divulguait des renseignements confidentiels à un concurrent de son employeur mais ne prenait en aucune façon part à l'activité commerciale dudit concurrent, l'em- ployeur ne pourrait pas, selon moi, invoquer l'article 7e) contre cet employé. La portée de l'alinéa e), tout comme celle des autres alinéas dudit article 7, est restreinte aux actes constituant de la concurrence déloyale; il ne régit pas les relations employeur-employé.
$ Il y a lieu de restreindre cette affirmation en rappelant les décisions qui ont mis en doute le principe voulant que l'article 91(2) autorise, de par son seul effet, l'adoption de lois qui pourraient autrement relever du domaine de l'article 92(13) ou 92(16). Les décisions subséquentes semblent avoir dissipé ce doute. Voir Proprietary Articles Trade Association c. Le procureur général du Canada [1931] A.C. 310, par le Lord Atkin, à la page 326; Reference re Alberta Statutes [1938] R.C.S. 100, par le juge en chef du Canada Duff, aux pages 120 et 121; et Reference re Ontario Farm Products Marketing Act [1957] R.C.S. 198, par le juge en chef du Canada Kerwin, aux pages 204 et 205.
9 J'emploie le mot «décisions» en incluant sous ce vocable les avis consultatifs donnés par un tribunal à la suite de questions à lui soumises en vertu d'une loi.
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