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John Kenneth Eaton (Requérant)
c.
La Reine (Intimée)
Division de première instance. Le juge Kerr— Ottawa, le 15 novembre 1971 et le 21 février 1972.
Fonction publique—Convention collective—Non-paiement d'un salaire rétroactif dans le délai prévu par la Loi—Droit d'obtenir des dommages-intérêts—Inexistence du droit de recouvrer les intérêts relatifs à l'argent emprunté par suite du retard—Droit de recouvrer le supplément d'impôt sur le revenu versé en raison du retard—Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 56—Loi sur la Cour fédérale, art. 35.
Le 17 juillet 1969, le conseil du Trésor a signé avec l'agent négociateur d'un groupe de fonctionnaires une con vention collective aux termes de laquelle le requérant, membre de ce groupe, a eu droit à un salaire rétroactif de $1,671.76 pour la période allant du 3 juin 1968 au 30 juin 1969. En vertu de l'art. 56 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, la Couronne était tenue d'exécuter la convention dans les 90 jours; toutefois, le requérant n'a rien reçu avant le 24 décembre 1969, date à laquelle on lui a versé $1,350 sur son salaire rétroactif. Le solde lui a été remis le 14 janvier 1970.
Arrêt: le requérant a droit aux dommages-intérêts suivants:
1. La Couronne est tenue d'indemniser le requérant pour le supplément d'impôt sur le revenu qu'il a verser en raison d'un retard dans le paiement d'une partie de son salaire rétroactif, qui a été reporté jusqu'à l'année d'imposi- tion suivante, ce qui a naturellement entraîné ce supplément d'impôt sur le revenu. Arrêts cités: Hadley c. Baxendale (1854) 9 Ex. 341 et C. Czarnikow Ltd. c. Koufos [1969] A.C. 350.
2. Toutefois, en vertu de l'art. 35 de la Loi sur la Cour fédérale, aucune disposition relative au paiement d'intérêts n'existant dans la convention collective ou dans aucune loi pertinente, la Couronne n'est pas tenue d'indemniser le requérant pour les intérêts versés sur des sommes qu'il a été obligé d'emprunter en raison du retard dans le paiement de son salaire rétroactif. Arrêts cités: Le Roi c. Roger Miller & Sons Ltd. [1930] R.C.S. 293; Hochelaga Shipping & Towing Co. c. Le Roi [1944] R.C.S. 138; Le Roi c. Racette [1948] R.C:S. 28; Le .Roi c. Carroll [1948] R.C.S. 126; John Ber- tram and Sons Co. c. La Reine [1968] 2 R.C.É. 590 et Nord-Deutsche c. La Reine [1969] 1 R.C.É. 117.
ACTION en dommages-intérêts.
J. C. Hanson et J. R. M. Gautreau pour le requérant.
J. E. Smith pour l'intimée.
LE JUGE KERR—Il s'agit d'une pétition de droit dans laquelle le requérant réclame des dommages-intérêts pour retards dans le paie- ment du salaire rétroactif que lui devait Sa Majesté aux termes d'une convention collective signée par le conseil du Trésor et l'Institut pro- fessionnel du Service public du Canada.
L'affaire a été plaidée sur l'«exposé conjoint des faits» suivant:
[TRADUCTION] 1. Le requérant qui réside à Wakefield (Québec) est, depuis le 3 juin 1968, fonctionnaire de Sa Majesté, en qualité d'économiste, au ministère de la Main-d'oeuvre.
2. Le 17 juillet 1969, le conseil du Trésor a signé, au nom de Sa Majesté, une convention collective avec l'Institut professionnel du Service public du Canada. Ce dernier représente l'ensemble des employés de Sa Majesté, mem- bres du Groupe économique, sociologie et statistique de la Catégorie scientifique et professionnelle de la Fonction publique du Canada; il a été dûment accrédité comme agent négociateur dudit groupe d'employés, aux termes des dispo sitions de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, Statuts du Canada 1967, c. 72. Un exemplaire de ladite convention collective est joint aux- présentes en annexe A.
3. Le requérant est, et était à chacun des moments perti- nents, membre dudit Groupe économique, sociologie et sta- tistique qui est régi par ladite convention collective.
4. Le 12 décembre 1968, ou vers cette date, le conseil du Trésor, conformément à l'article 7 de la Loi sur l'adminis- tration financière a pris une ordonnance intitulée «Ordon- nance de mise en application (générale) de la convention collective de la Fonction publique» dont copie est jointe aux présentes en annexe B.
5. Le 17 juillet 1969, ou vers cette date, le conseil du Trésor a adressé une circulaire au directeur du personnel du ministère de la Main-d'oeuvre l'informant, entre autres, qu'il pouvait procéder immédiatement à l'application des disposi tions de la convention collective. Une copie de ladite circu- laire est jointe aux présentes en annexe C.
6. A la date de la signature de la convention collective, soit le 17 juillet 1969, le requérant recevait un salaire brut de $11,562 par an. Aux termes de la convention collective, il avait droit à un salaire rétroactif qui, d'après les taux de traitement énoncés à l'annexe A de ladite convention, s'éle- vait à $1,671.76 pour la période écoulée du 3 juin 1968 au 30 juin 1969.
7. Le requérant a reçu du gouvernement du Canada, le 24 décembre 1969, un chèque de $1,350 à titre de paiement partiel du salaire rétroactif qui lui était et, le 14 janvier 1970, un autre chèque au montant net de $261.04 représen-
tant le solde du salaire rétroactif en vertu des disposi tions de ladite convention collective.
8. Au mois de septembre 1969, le requérant a demandé à un entrepreneur, M. James More, de lui faire certains tra- vaux afin d'équiper pour l'hiver son chalet situé à Wakefield et ces travaux se chiffraient à $3,000 environ; le chalet avait été acheté au mois de juillet de cette année-là. Les parties n'avaient pas passé de contrat écrit, mais le requé- rant a versé près de $2,000 au mois de septembre et s'est engagé à payer le solde au début du mois de décembre 1969.
9. Au début du mois de décembre, le requérant, n'ayant pas suffisamment d'argent, a emprunter $1,000 à la Banque Royale du Canada avec intérêt au taux annuel de 94%, afin de payer le solde qu'il devait à l'entrepreneur. Quand le requérant a contracté cet emprunt, l'entrepreneur ne lui avait fait aucune demande de paiement et celui-ci ne lui a pas demandé d'intérêts sur le solde lorsqu'il le lui a remboursé.
10. Lorsqu'il a acheté son chalet et qu'il l'a fait équiper pour l'hiver, le requérant a tenu compte du salaire de rétroactivité et de l'augmentation de salaire qu'il s'attendait à recevoir en vertu des dispositions de ladite convention collective pour calculer ses possibilités financières et hono- rer ses engagements.
11. Au cas il serait jugé que l'intimée est tenue de verser des dommages-intérêts au requérant, il est convenu qu'un montant raisonnable pour non-disponibilité de fonds serait fixé à $50. Au cas il serait jugé que le requérant a droit à un dédommagement pour avoir payé des impôts supplémentaires sur le revenu levés sur le traitement rétroactif perçu en 1970 plutôt qu'en 1969, il est convenu que la dépense supplémentaire imputable à l'impôt sur le revenu serait de $50.
12. Aucune procédure de grief ou d'arbitrage n'a été introduite par le requérant ou en son nom par l'agent négociateur en vertu des dispositions des articles 20 ou 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
13. Cet exposé des faits vise à réduire la durée de l'ins- truction de l'action et les parties se sont entendues sur ces faits aux seules fins de cette action. Aucune preuve étran- gère à cet exposé ne peut être présentée mais toute preuve s'y rapportant pourra l'être, sous réserve des règles habi- tuelles, lors de l'instruction.
Plusieurs articles de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, 1966-67, c. 72, sont tout particulièrement pertinents. L'arti- cle 54 prévoit que le conseil du Trésor peut conclure des conventions collectives. En voici le texte:
54. Il est loisible au conseil du Trésor, de la manière qui peut être prévue par les règles ou les procédures qu'il
détermine conformément à l'article 3 de la Loi sur l'admi- nistration financière, de conclure avec l'agent négociateur d'une unité de négociation, autre qu'une unité de négocia- tion composée d'employés d'un employeur distinct, une convention collective applicable aux employés de cette unité de négociation.
Voici comment l'article 2h) définit la «con- vention collective»:
h) «convention collective» désigne une convention écrite, conclue en vertu de la présente loi entre l'employeur, d'une part, et un agent négociateur, d'autre part, qui renferme des dispositions concernant des conditions d'emploi et d'autres questions connexes;
L'article 58 précise qu'une convention collec tive lie la Couronne, l'agent négociateur et les employés de l'unité de négociation. Il précise:
58. Sous réserve et aux fins de la présente loi, une convention collective lie l'employeur et l'agent négociateur qui est partie à celle-ci de même que ses éléments constitu- tifs, ainsi que les employés de l'unité de négociation pour laquelle l'agent négociateur a été accrédité, à compter du jour elle entre en vigueur conformément au paragraphe (1) de l'article 57.
L'article 57 déclare qu'une convention collec tive prend effet, lorsqu'une date d'entrée en vigueur est précisée, à compter de cette date. La convention collective qui nous préoccupe a été signée le 17 juillet 1969; il y est stipulé:
La présente convention collective est conclue pour une durée allant du jour de sa signature au 30 juin 1970.
L'article 56 prévoit que les dispositions d'une convention collective doivent être mises en oeuvre dans le délai qu'elle prévoit ou, si aucun délai n'est ainsi prévu, dans les 90 jours de la date de sa signature. En l'espèce, on ne spéci- fiait aucun délai de mise en oeuvre des disposi tions sur le paiement des salaires rétroactifs. La période de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la signature de la convention expirait le 15 octobre 1969. Comme on l'a précisé dans l'exposé conjoint des faits, le requérant a reçu, le 24 décembre 1969, la somme de $1,350 à titre de paiement partiel du salaire rétroactif qui lui était et, le 14 janvier 1970, la somme de $261.04, représentant le solde du salaire rétroactif qui lui revenait aux termes des dispo sitions de la convention, déduction faite de l'im- pôt sur le revenu et des cotisations au régime de pension de retraite ainsi qu'au régime de pen-
sions du Canada. La pétition de droit a été déposée le 8 janvier 1970.
Il est clair que la convention collective en question lie la Couronne et les employés con cernés. La Couronne avait le devoir, envers l'employé, de mettre en oeuvre les dispositions sur le paiement du salaire rétroactif. L'employé avait droit à la mise en oeuvre de ces disposi tions par la Couronne. L'employé est fondé à recevoir de droit son salaire. La clause 20.02 de la convention collective précise que:
Tout employé a droit pour services rendus à a) la rémunération qui est indiquée à l'appendice eA�... .
Le droit des employés de la Fonction publique à leur traitement est également reconnu par la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c. F-10, article 7(1)d) qui précise que le conseil du Trésor peut:
d) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employées dans la Fonction publique en retour des services rendus ...
A l'instruction, l'avocat de la Couronne n'a pas contesté que le requérant avait le droit de poursuivre la Couronne pour recouvrer, son salaire et tous dommages-intérêts qu'il était juri- diquement en droit de ,recouvrer puisque la Couronne n'avait pas respecté les dispositions concernant le paiement du salaire rétroactif. Voir à ce sujet les arrêts et textes qui ont été cités: Young c. C.N.R. [1931] A.C. 83 (CP); Hume and Rumble Ltd. c. International Broth erhood of Electrical Workers [1954] 3 D.L.R. 805 (BCSC); Nelson Laundries Ltd. c. Manning (1965) 51 D.L.R. (2 e ) 537 (BCSC); Re Prince Rupert Fisherman's Cooperative Association (1968) 68 CLLC Para 14, 079 (BCSC); Adelle, The Legal Status of Collective Agreements 1970, pp. 203 220; Le Syndicat catholique des employés de magasins de Québec Inc. c. La Compagnie Paquet Ltée. (1959) 18 D.L.R. (2 e ) 346; Crossman c. City of Peterborough (1966) 58 D.L.R. (2 e ) 218; Crown Proceedings de M.
Glanville L. Williams, pp. 69 72; A Civil Servant and His Pay de M.D.W. Logan (1945) 61 L.Q.R. 240; Reilly c. Le Roi [1934] A.C. 176, aux pp. 179 et 180. Toutefois, l'avocat de la Couronne a soutenu que le préjudice invoqué
en l'espèce ne pouvait être indemnisé; j'étudie- rai par la suite ce qu'il entendait par là.
L'avocat de la Couronne a également admis qu'un employé n'est pas tenu d'utiliser ou d'é- puiser la procédure interne de grief prévue par la convention collective ou la Loi sur les rela tions de travail dans la Fonction publique avant qu'un tribunal ne connaisse de son action en exécution du paiement des arriérés de salaire. On a cité à ce sujet la jurisprudence et la doctrine suivantes: Re Grottoli c. Lock & Son Ltd. (1963) 39 D.L.R. (2e) 128; The Hamilton Street Railway Company c. D. Northcott [1967] R.C.S. 3; Salmond on Torts, 12e édition, pp. 467 à 469.
Abordons maintenant l'objet de la présente réclamation et demandons-nous s'il est possible d'y faire droit. Voici les paragraphes 12, 13, 14, 15, 16, 17 et 19 de la pétition de droit:
[TRADUCTION] 12. L'intimée a omis, refusé et négligé de verser au requérant les augmentations rétroactives de traite- ment, à l'exception de la somme de $1,350 qu'elle lui a versée le 23 décembre 1969, ou vers cette date, à titre de paiement partiel desdites augmentations rétroactives de trai- tement, et elle continue à omettre, refuser et négliger de payer le solde dudit paiement rétroactif. Sa Majesté a, par conséquent, violé ladite convention ainsi que l'ordonnance de mise en application. Lesdits refus, omission et négligence précités ont causé au requérant les préjudices, dommages, pertes et dépenses ci-après exposés.
13. Le Pr décembre 1969, ou vers cette date, le requé- rant a emprunter $1,000 à la Banque Royale du Canada, au taux d'intérêt annuel de 91%, afin de régler une dette contractée pour équiper sa résidence contre le froid; ces travaux ont été achevés le 30 septembre 1969, ou vers cette date.
14. Ladite intimée a agi par négligence en refusant de verser au requérant la somme à laquelle il avait pleinement droit à compter de la signature de ladite convention, soit le 17 juillet 1969, dans la mesure elle savait, ou aurait savoir, que l'obligation et le droit correspondant avaient pris naissance à compter de cette date.
15. Le requérant déclare qu'il a été à tort ou injustement l'objet d'une injustice causée par l'omission, la négligence ou le refus de la Couronne et qu'il a été à tort ou injuste- ment privé de la jouissance de son bien, au mépris de l'application régulière de la loi, donc en violation des dispo sitions de la Partie I de la DÉCLARATION CANA- DIENNE DES DROITS, chapitre 44, Statuts du Canada de 1960.
16. Détails des pertes et dommages
a) Différence de salaire entre le 3 juin 1968
et le 30 juin 1968 .................................... $ 59.76
b) Différence de salaire entre le 1" juillet
1968 et le 30 juin 1969 .. 1,612.00
c) Différence de salaire entre le 1 juillet 1969 et le 31 décembre 1969 (et jusqu'à la
date du paiement) 1,201.50
d) Intérêts au taux annuel de 9a'% sur l'emprunt de $1,000 auprès de la Banque Royale du Canada, du le" au 31 décembre
1969 (et jusqu'à la date du paiement) ...... 7.71
e) Perte pour non-disponibilité de la somme de $2,873.26, calculée au taux annuel de
8%, du 17 juillet au 23 décembre 1969 ... 101.66
f) Perte pour non-disponibilité de la somme de $1,523.26, calculée au taux de 8% à compter du 23 décembre (et jusqu'à la date
du paiement) 2.34
2,984.97
Moins somme versée par l'intimée 1,350.00
$1,634.97
17. Le requérant déclare que l'augmentation de l'impôt sur le revenu imputable à l'accumulation desdits paiements rétroactifs d'une année sur l'autre lui occasionnera d'autres dépenses et d'autres pertes. Le requérant ne connaît pas actuellement le montant exact de cette perte.
19. Bien que le requérant se soit constamment efforcé d'obtenir une juste réparation des pertes et dommages en question, il n'a pu parvenir à aucun règlement avec les représentants de Sa Majesté et, à l'exception de la somme énoncée au paragraphe 12, il n'a reçu aucun dédommagement.
En conséquence, le requérant demande humblement que lui soient accordés et versés la somme de $1,634.97 ainsi que ses dépens.
En ce qui concerne les détails des pertes et dommages énoncés au paragraphe 16a), b) et c), le salaire rétroactif a depuis été entièrement payé, comme l'indiquent les paragraphes 6 et 7 de l'exposé conjoint des faits; par conséquent, on ne demande pas le recouvrement de ce salaire.
En ce qui concerne les détails énoncés aux alinéas d), e) et f) du paragraphe 16, c'est-à-dire l'intérêt sur l'emprunt bancaire et la perte pour non-disponibilité de fonds, l'exposé de défense soutient que le requérant n'a pas droit aux sommes réclamées à cet effet, car aucun contrat passé entre le requérant et Sa Majesté ou
aucune loi n'en prévoit ou n'en autorise le paie- ment; il invoque également l'article 47 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier, alors en vigueur lorsque l'action a été intentée et correspondant à l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale aujourd'hui en vigueur, dont voici les extraits les plus importants:
LOI SUR LA COUR DE L'ÉCHIQUIER
47. En statuant sur une réclamation qui résulte d'un con- trat écrit, la Cour rend sa décision conformément aux stipulations de ce contrat et elle n'accorde
b) aucun intérêt sur une somme qu'elle croit être due à ce réclamant, s'il n'existe pas un contrat écrit stipulant le paiement de cet intérêt, ou s'il n'existe pas une loi prescri- vant, en pareil cas, le paiement de l'intérêt par la Couronne.
LOI SUR LA COUR FÉDÉRALE
35. Lorsqu'elle statue sur une demande contre la Cou- ronne, la Cour n'accorde d'intérêt sur aucune somme qu'elle estime être due au demandeur, à moins qu'il n'existe un contrat stipulant le paiement d'un tel intérêt ou une loi prévoyant, en pareil cas, le paiement d'intérêt par la Couronne.
Il n'existe, ni dans la convention collective ni dans une loi pertinente, de dispositions pré- voyant le paiement d'un intérêt.
A mon avis, ce qu'à l'instruction, on contes- tait au nom de la Couronne, ce n'était pas que le retard dans le paiement du salaire rétroactif ne constituait pas une violation de l'obligation de la Couronne d'appliquer la convention collective et de payer ledit traitement, mais c'était plutôt que la réparation réclamée portait sur les inté- rêts et sur les dépenses d'augmentation de l'im- pôt sur le revenu; la Couronne déclare: a) en l'absence de contrat ou de loi prévoyant le paiement d'intérêts par la Couronne, l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale interdit à la Cour d'accorder les intérêts réclamés et b) les dépen- ses dues à l'augmentation de l'impôt sur le revenu sont trop indirectes pour être indemnisées.
Tout d'abord, examinons la question des intérêts.
Dans l'affaire Le Roi c. Roger Miller & Sons Ltd. [1930] R.C.S. 293, la requérante (intimée) avait passé un marché avec la Couronne pour la construction de certains ouvrages publics à Toronto. La Cour de l'Échiquier a accordé une
certaine somme à titre d'intérêts sur des sommes dont le paiement avait été effectué en retard, la réclamation en intérêts étant fondée sur le fait que la requérante, en raison du retard des paiements, avait emprunter de l'argent avec intérêt. A la suite de l'appel devant la Cour suprême, celle-ci a rejeté la réclamation en inté- rêts, en déclarant aux pages 298 et 299 de son jugement:
[TRADUCTION] La seule autre somme en question en l'es- pèce est celle de $10,937.71 qu'a accordée le savant juge de première instance aux intimés à titre d'intérêts sur les sommes qui ne leur avaient pas été versées aux dates stipulées au contrat. La somme totale que réclamaient les intimés, à titre d'intérêts, s'élevait à $28,700.16 dont $17,- 762.45 ont été accordés et payés par l'appelant qui prétend l'avoir fait de sa propre initiative.
On a soutenu que les intérêts réclamés devaient être considérés comme faisant partie du coût de l'ouvrage et qu'ils étaient, par conséquent, payables en vertu du contrat; toutefois, cet argument n'est pas très convaincant. Il s'agit tout simplement de sommes qui sont dues aux intimés à certaines dates et qui n'ont pas été remises aux dates d'échéance; dans ce cas, la Couronne n'est pas responsable du versement d'intérêts pendant la période du défaut de paiement, à l'exception de cas biens précis il existe une disposition légale ou une obligation contractuelle.
Dans l'affaire Hochelaga Shipping & Towing Co. Ltd. c. Le Roi [1944] R.C.S. 138, un navire avait été endommagé au cours d'une collision avec un encoffrement sous-marin que le minis- tère des Travaux publics avait laissé sans aucune bouée de signalisation ou autre avertis- sement pour en indiquer la présence; la Cou- ronne a été tenue responsable des dommages. Le juge de première instance a fait droit aux dommages sans accorder. d'intérêts. A la suite de l'appel devant la Cour suprême, celle-ci a déclaré à la page 142 de son jugement:
[TRADUCTION] Nous souscrivons également à la décision du juge de première instance selon laquelle on ne doit pas accorder d'intérêts sur la somme octroyée au requérant. La Couronne n'est pas tenue de payer des intérêts, sauf stipula tion de la loi ou du contrat; or ce n'est pas le cas en l'espèce.
Dans l'affaire Le Roi c. Racette [1948] R.C.S. 28, certaines obligations du Canada enregistrées au nom du requérant avaient été cédées sans l'assentiment de celle-ci; le juge Kerwin a déclaré à la page 30 qu'en ce qui concerne les intérêts réclamés à compter de la date de la cession, [TRADUCTION] «on ne pouvait condam-
ner la Couronne à payer des intérêts sauf stipu lations expresses d'une loi ou d'un contrat».
Dans l'arrêt Le Roi c. Carroll [1948] R.C.S. 126, au sujet d'une somme d'argent non remise par la Couronne, et des intérêts y afférant, alors que feu le juge Carroll était lieutenant-gouver- neur de la province de Québec, la Cour suprême a jugé qu'il existe une jurisprudence bien établie selon laquelle on ne peut condamner la Cou- ronne à payer des intérêts, sauf stipulations expresses d'une loi ou d'un contrat.
Dans l'arrêt The John Bertram and Sons Co. Ltd. c. La Reine [1968] 2 R.C.E. 590, le juge Cattanach a accordé le remboursement de sommes payées sous forme de taxes de vente, mais a refusé d'ordonner le paiement d'intérêts, aucune disposition légale n'existant à cet effet.
Le chapitre 14 de Wayne & McGregor on Damages, 12 e édition, traite de l'historique ainsi que de l'état actuel du droit anglais en ce qui concerne l'octroi d'intérêts; on y déclare que le droit jurisprudentiel sur le recouvrement des intérêts est plein de contradictions et que finale- ment, en 1934, le Parlement a adopté, à l'article 3 du Law Reform (Miscellaneous Provisions) Act, une disposition globale très générale qui laisse au tribunal le soin d'accorder, dans tous les cas, de façon discrétionnaire, un intérêt sur les dommages. Nous n'avons à l'heure actuelle aucune disposition légale à cet effet.
Dans Halsbury's Laws of England, 3 e édition, volume 11, paragraphe 415, on déclare qu'en cas d'inexécution d'une obligation de paiement, la somme recouvrable est ordinairement limitée au montant de la dette plus les intérêts calculés à compter de la date d'échéance du paiement qui sont payables conformément aux stipula tions du contrat ou de la loi ou de la façon que pourra déterminer la Cour (en vertu du Law Reform (Miscellaneous Provisions) Act (précité) de 1934); cette somme représentera le montant du dédommagement, quels qu'aient été les inconvénients subis par le demandeur en raison du défaut de paiement à compter de la date d'échéance; la raison de cette règle semble être que tout autre dommage n'est qu'une consé- quence indirecte du non-paiement que les par ties n'ont pas prévue; toutefois, lorsque les cir- constances sont telles qu'une perte spéciale est
prévisible lors de la passation du contrat comme conséquence du non-paiement ou d'un paiement en retard, des dommages-intérêts peuvent être recouvrés pour cette perte.
Dans le Dictionary of English Law de M. Earl Jowitt (1959), on déclare à la page 993 que les intérêts sont de deux sortes, à savoir, ceux que l'on convient de payer sur un emprunt et ceux qui sont payables à titre de réparation pour le non-paiement d'une dette ou de toute autre somme d'argent le jour convenu. Le terme «intérêt», employé à l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale, n'est pas défini dans cette loi; toutefois, à mon avis, il ne se limite pas à l'argent que l'on convient de payer pour un emprunt, mais est utilisé au sens plus large de dédommagement pour le non-paiement d'une dette et au sens on l'a utilisé dans les arrêts Le Roi c. Roger Miller & Sons Ltd., Hochelaga Shipping & Towing Co. Ltd. c. Le Roi, Le Roi c. Ra cette et Le Roi c. Carroll (précités).
L'affaire Nord-Deutsche c. la Reine [1969] 1 R.C.E. 117, jugée récemment, portait sur un litige dans la province de Québec à la suite d'un abordage entre navires sur le fleuve Saint- Laurent. Le juge Noël, tel était alors son titre, a cité un certain nombre d'arrêts étudiant la ques tion des intérêts dont plusieurs ont été mention- nés plus haut et certaines affaires dont la cause d'action avait pris naissance dans la province de Québec et dans lesquelles les tribunaux ont condamné la Couronne à payer des intérêts à compter de la date du dépôt de la pétition de droit; il a également étudié l'article 1056 du Code civil et la Loi sur la responsabilité de la Couronne. A la page 238 il déclarait:
[TRADUCTION] Après avoir passé en revue le droit juris- prudentiel, il semblerait qu'à l'exception des articles 47 et 53 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier et de l'article 18 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, la Couronne ne bénéficie pas de dispositions spéciales en matière d'intérêts et se trouve dans la même situation qu'un défendeur de droit commun; elle devrait par conséquent, en l'espèce, être dans la situation d'un défendeur dans la province de Québec. J'irai cependant un peu plus loin et dirai que, même si d'après la loi on peut condamner la Couronne à payer des intérêts dans le seul cas ils sont prévus par une loi ou un contrat, l'article 2d) ainsi que l'article 3(1)a) et b) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne répondent à mon avis aux exigences légales. Si tel est le cas, les demandes nées au Québec, fondées sur un délit et régies par la Loi sur la responsabilité de la Couronne, peuvent très bien être trai- tées d'une manière différente de celle dont on traite les
demandes nées dans une autre province. La question est intéressante et importante vu le montant des sommes impli- quées en l'espèce. Si l'on étudie l'article 3(1)a) et b) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, on s'aperçoit que la responsabilité de la Couronne en matière de dommages résultant de délits (ce qui au Québec comprend, en vertu de l'article 2d), les délits et les quasi-délits) est celle d'un particulier majeur et capable.
A la suite de l'appel devant la Cour suprême du Canada [1971] R.C.S. 849, le juge Ritchie, ren- dant le jugement majoritaire de la Cour, décla- rait à la page 864:
Le montant des dommages devrait porter intérêt au taux de 5 pour cent à compter du jour du dépôt de la pétition de droit en conformité des art. 1056c C.C., 3(1)(a) et 2(d) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, 1952-1953 (Can.), c. 30, et de l'art. 3 de la Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1952, c. 156. A cet égard, je souscris au raisonnement soigneux du savant juge de première instance, pp. 232 à 240 de ses motifs.
Dans ses motifs, le juge Pigeon, dissident sur certains points, s'est référé à l'article 1056 du Code civil et a déclaré à la page 881:
La seule question est celle de savoir si cette disposition s'applique à une réclamation contre l'administration fédé- rale en vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. Je ne crois pas nécessaire de passer en revue les nombreux ouvrages et arrêts qu'on nous a cités; à mon avis, le principe fondamental a été établi comme suit, par l'arrêt de cette Cour, Le Roi c. Carroll [ 1948] R.C.S. 126 à 132:
[TRADUCTION] Il est bien réglé par la jurisprudence qu'on ne peut accorder de l'intérêt contre le trésor public, à moins qu'une loi ou un contrat ne le prévoie; ..
Par conséquent, compte tenu de l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale et de la jurispru dence mentionnée, les réclamations contenues au paragraphe 16d), e) et f) de la pétition de droit portant sur les intérêts et la perte concer- nant la non-disponibilité du salaire ne sont pas recevables.
Quant à la réclamation du paragraphe 17 de la pétition de droit concernant les dépenses impu- tables à l'augmentation de l'impôt sur le revenu, l'intimée soutient que toute perte ou dommage de cette nature est trop indirect pour être indemnisé, que la Couronne ne l'avait pas prévu ou qu'il n'était pas raisonnablement prévisible lors de la conclusion de la convention et qu'il n'est pas à l'inexécution des clauses de cette
dernière. A cet égard, l'avocat de la Couronne a déclaré que la convention collective concernait de nombreux employés dont chacun pouvait
invoquer des circonstances particulières ou des facteurs variables modifiant son assujettisse- ment à l'impôt, que le retard dans le paiement du salaire n'entraînerait pas nécessairement un nouvel impôt, qu'il se pourrait même qu'il n'y ait pas d'impôt du tout pour certains employés et qu'on ne pouvait dire que la Couronne avait envisagé, en signant la convention, la question d'un gain ou d'une perte fiscal pour chacun des employés.
L'argumentation sur ce point renvoyait à l'ar- rêt de principe Hadley c. Baxendale (1854) 9 Exch. 341, et il est bon, à cette occasion, de l'étudier une fois de plus. Il s'agissait, dans cette affaire, comme dans plusieurs autres sem- blables, du recouvrement de dommages-intérêts pour rupture de contrat; la Cour-d'appel les a étudiées dans l'arrêt Victoria Laundry (Wind- sor) Ltd. c. Newman Industries Ltd. [1949] 2 K.B. 528, le juge, Lord Asquith, rendant le jugement de la Cour, a déclaré:
[TRADUCTION] Trois des arrêts cités requièrent un examen plus approfondi. Voyons tout d'abord l'arrêt Hadley c. Baxendale lui-même. Bien qu'il nous soit familier, nous devrions tout d'abord rappeler la phrase mémorable conte- nant les principes fondamentaux énoncés en l'espèce: «Lorsque deux parties ont passé un contrat que l'une d'elle a rompu, la réparation que l'autre partie doit recevoir pour cette rupture doit être celle qu'on peut considérer justement et raisonnablement soit comme celle qui découle naturelle- ment, c'est-à-dire selon le cours normal des choses, de cette rupture du contrat, soit comme celle que les deux parties pouvaient raisonnablement et probablement envisager, lors de la passation du contrat, comme conséquence probable de sa rupture.» Le membre de phrase commençant par le premier «soit» contient ce qu'on appelle la «première» règle, celui commençant par le second «soit» ce qu'on appelle «seconde» règle. (Page 537.)
De l'ensemble de cette jurisprudence, y compris les arrêts analysés précédemment, quels sont les principes applicables à la présente espèce? Voici à notre avis ceux qu'on peut retenir:
(1) Il est bien établi que les dommages-intérêts ont pour objet principal de placer, dans la mesure l'argent peut le faire, la partie dont les droits ont été violés dans la situation qui aurait existé si ses droits avaient été respectés: (Sally Wertheim c. Chicoutimi Pulp Company [1911] A.C. 301). Cet objet, s'il est poursuivi jusqu'au bout, lui permettra d'être totalement indemnisée de toute perte résultant de facto d'une violation particulière, même improbable ou imprévisible. En matière de contrat, tout au moins, cette règle est considérée comme trop stricte. D'où,
(2) En cas de rupture d'un contrat, la partie lésée n'a droit à une indemnité que pour la perte qui en découle effectivement et qui était, à la date du contrat, susceptible
d'en découler, d'après ce qu'on pouvait raisonnablement prévoir.
(3) On apprécie les faits raisonnablement prévisibles à cette date en fonction des renseignements que possédaient alors les parties, ou du moins la partie qui rompt par la suite le contrat.
(4) A cet effet, les renseignements qu'on possède sont de deux sortes: les uns sont présumés, les autres réels. Chacun, en tant qu'être raisonnable, est censé connaître le «cours normal des choses» et, par conséquent, la perte susceptible de découler d'une rupture de contrat selon ce cours normal. Tel est l'objet de la «première règle» de l'arrêt Hadley c. Baxendale. Toutefois, à ces renseignements que la personne qui rompt le contrat est censée posséder, qu'elle les possède véritablement ou non, doivent peut-être s'ajouter, dans un cas particulier, des renseignements qu'elle possède vérita- blement sur des circonstances particulières et extérieures au «cours normal des choses» et qui sont d'une nature telle qu'une rupture, dans ces circonstances, pourrait entraîner une plus grande perte. Ce second cas appelle l'application de la »seconde règle» afin de permettre le recouvrement d'une perte supplémentaire.
(5) Pour que la personne qui rompt le contrat soit respon- sable en vertu de l'une ou de l'autre règle, il n'est pas nécessaire qu'elle se soit véritablement demandé quelle perte était susceptible de découler d'une rupture. Comme on l'a souvent souligné, les parties lors de la passation d'un contrat n'envisagent pas la rupture de ce contrat mais son exécution. Il suffit que, si elle avait envisagé la question, elle ait, agissant en homme raisonnable, conclu que la perte en question pouvait en découler (voir certaines observations de Lord du Parcq dans l'affaire récente AlB Karlshamns Oljefabriker c. Monarch Steamship Co. [1949] A.C. 196).
(6) Enfin, pour qu'une perte particulière puisse être indemnisée, il n'est pas non plus nécessaire de prouver que, d'après certains renseignements donnés, le défendeur pou- vait, agissant en homme raisonnable, prévoir qu'une rupture entraînerait nécessairement cette perte. Il suffit qu'il puisse prévoir qu'elle pouvait vraisemblablement en découler. Il suffit en fait, pour emprunter les termes de Lord du Parcq dans la même affaire, à la page 158, que la perte (ou quelque facteur l'ayant provoquée) constitue une »possibi- lité sérieuse» ou «un danger réel». Pour être bref, nous avons utilisé le terme »susceptible» d'en découler. Il se peut que l'expression «il y a des chances» indique une nuance assez proche du concept visé. (Pages 539-540.)
Dans un arrêt récent, C. Czarnikow Ltd. c. Koufos [1969] 1 A.C. 350 (que l'avocat n'a pas cité dans son plaidoyer), la Chambre des lords a de nouveau étudié la règle énoncée dans l'arrêt Hadley c. Baxendale à la lumière des principes énumérés par Lord Asquith dans l'arrêt Victo- ria Laundry (précité). Dans cette affaire, un navire s'était écarté de son itinéraire et le retard qui en est résulté a provoqué la rupture du contrat ainsi qu'une perte. Il faudrait lire les
discours de leurs Seigneuries en entier pour avoir une vue d'ensemble des différentes opi nions exprimées, mais les extraits suivants m'ont paru tout particulièrement pertinents pour l'étude de l'arrêt soumis à cette Cour.
Lord Reid:
[TRADUCTION] Dans des arrêts tels que Hadley c. Baxen- dale ou en la présente espèce, il ne suffit pas en fait que la perte du demandeur provienne directement de la rupture du contrat par le défendeur. Il est clair que tel a été le cas dans ces deux affaires. La question capitale est celle de savoir, d'après les renseignements dont disposait le défendeur lors de la passation du contrat, s'il aurait se rendre compte ou si tout homme raisonnable se serait, à sa place, rendu compte qu'il était assez probable qu'une telle perte résulte- rait de la rupture du contrat afin de pouvoir décider que la perte découlait naturellement de la rupture ou qu'il aurait prévoir une perte de la sorte. (Page 385.)
Toutefois, on a alors déclaré que l'arrêt Victoria Laundry (Windsor) Ltd. c. Newman Industries Ltd. ([1949] 2 K.B. 528) avait par la suite accru la responsabilité des défen- deurs. (Page 388.)
Toutefois, on considère comme un «jalon important» l'énoncé de principes de Lord Asquith ([1949] 2 K.B. 528, 539, 540). Dans une certaine mesure, cet énoncé va au-delà de l'ancienne jurisprudence et, à cet égard, je n'y souscris pas. Au paragraphe (2), on dit (ibid. 539) que la demande- resse a droit à une indemnité pour «la perte qui en découle effectivement, et qui était, à la date du contrat, susceptible d'en découler, d'après ce qu'on pouvait raisonnablement prévoir». Parler ici de «prévisibilité raisonnable», c'est, me semble-t-il, confondre l'évaluation des dommages-intérêts en matière contractuelle avec celle des dommages-intérêts en matière délictuelle. Un grand nombre de conséquences extrêmement invraisemblables sont raisonnablement prévi- sibles: il est vrai que Lord Asquith a pu vouloir parler, en employant le terme prévisible, de quelque chose qui pour- rait vraisemblablement arriver et si c'est tout ce qu'il avait à l'esprit, je n'y vois pas d'inconvénient sauf que, selon moi, cette expression peut créer des malentendus. Je ferai le même reproche à l'expression (ibid. 540) «suscepti- ble d'en découler» du paragraphe (5). Le terme susceptible est très vague, toutefois j'estime qu'on peut dire que, lors- qu'une personne prévoit un résultat très improbable, elle prévoit qu'il est susceptible d'arriver.
Je souscris à la première partie du paragraphe (6). Pen dant presque un siècle, on n'a pas exigé du défendeur qu'il ait pu prévoir qu'une rupture du contrat devait nécessaire- ment aboutir à la perte qu'elle a causée. Cependant je ne peux souscrire à la seconde partie de ce paragraphe. On n'a jamais jugé qu'il était suffisant, en matière de contrat, que la perte soit prévisible en tant que «possibilité sérieuse» ou «danger réel» ou comme une chose qui a des «chances» de se produire. Il y a des chances qu'on puisse gagner 100,000 livres ou plus pour une mise de quelques pence—plusieurs personnes l'ont déjà fait. Quiconque parie à cent contre un, considère le fait de gagner comme une sérieuse possibilité, beaucoup de gens ont gagné en jouant de la sorte. On n'aurait pas pu trancher l'affaire Wagon Mound (N» 2)
([1967] 1 A.C. 617) dans le sens on l'a fait, sauf si on avait dit que l'officier du navire aurait considérer comme un danger réel un incendie qui était très imprévisible. Il me semble que dans le langage courant, il y a tout un monde entre le fait de dire que quelque chose n'est pas invraisem- blable ou pourra très vraisemblablement se produire et celui de dire simplement qu'il existe une sérieuse possibilité, un danger réel ou des chances. A supposer que quelqu'un prenne un paquet de cartes bien battues, il est très vraisem- blable tout comme il peut ne pas être invraisemblable que la carte du dessus soit un carreau: les chances ne sont qu'à 3 contre 1. Cependant la plupart des gens ne diront pas qu'il est très vraisemblable que ce soit le neuf de carreau, car les chances sont alors de 51 contre 1. D'autre part, je pense que la plupart des gens diraient qu'il existe une sérieuse possibilité ou un danger réel qu'elle soit retournée la pre- mière, et naturellement il y a des chances. Si les critères du «danger réel» ou de la «sérieuse possibilité» doivent à l'avenir faire jurisprudence, l'arrêt Victoria Laundry consti- tue alors un tournant décisif, car il signifie que l'arrêt Hadley c. Baxendale serait aujourd'hui tranché différem- ment. Je ne comprendrais absolument pas un tribunal qui déciderait que, d'après les renseignements dont disposait le voiturier en l'espèce, l'arrêt du moulin ne constituait ni une sérieuse possibilité ni un danger réel. Si ces critères doivent faire jurisprudence à l'avenir, cessons de rendre hommage aux principes énoncés dans l'arrêt Hadley c. Baxendale. Toutefois, à mon avis, l'adoption de ces critères étend la responsabilité pour rupture de contrat au-delà de ce qui est raisonnable ou souhaitable. (Pages 389-390.)
Lord Morris de Borth -Y-Gest:
En général, lorsque des parties passent un contrat, elles ne cherchent pas, à ce moment-là, à envisager ou à établir les conséquences précises d'une rupture de leur contrat. D'après les faits de l'espèce présente, il est cependant intéressant de se demander quelle aurait été la réponse sensée et naturelle de l'appelante si elle s'était interrogée sur les conséquences qu'aurait eu pour les intimés le fait qu'elle (l'appelante) rompe le contrat et que, par consé- quent, elle fasse arriver, de manière non justifiée, son navire à Basrah quelque neuf ou dix jours après la date il aurait pu et arriver. (Page 396.)
L'appelante aurait pu, ou tout au moins dû, imaginer que, si son navire avait neuf jours de retard sur la date à laquelle il aurait pu et arriver, il aurait pu en résulter quelques pertes financières pour les intimés ou pour le bénéficiaire du connaissement. J'utilise les termes «tout au moins» et les termes «aurait pu» à ce stade de mon exposé pour souligner le problème soulevé en l'espèce. C'est à partir de mainte- nant que les mots et les expressions commencent à s'accu- muler et à se faire concurrence. La perte subie par les intimés doit-elle être telle que l'appelante pouvait la prévoir de façon certaine? Suffisait-il que la perte soit probable, qu'elle se produisît vraisemblablement ou qu'elle fût sus ceptible de se produire? Que signifient ces mots dans notre contexte? S'il faut faire un choix, lequel faut-il employer pour exprimer le sens qu'on veut donner?
A mon avis, il est clair que la perte n'a pas besoin d'être telle que la personne qui a rompu le contrat pouvait la prévoir de façon certaine. La question qui se pose est celle du degré de prévision dont elle aurait équitablement et raisonnablement faire preuve.
Milords, en appliquant les règles de l'arrêt Hadley c. Baxendale, j'espère qu'on ne mettra pas trop l'accent sur un mot ou sur une expression. Si une partie à un contrat a subi quelque perte spéciale et particulière relativement à certai- nes mesures particulières que l'autre partie ne connaît pas, qui ne lui ont pas été communiquées et que les parties ne pouvaient par conséquent pas prévoir lors de la passation du contrat, il serait alors injuste et déraisonnable d'accuser la personne qui a rompu le contrat d'avoir provoqué cette perte spéciale et particulière. Cependant, s'il n'existe pas de «circonstances spéciales et extraordinaires que les parties ne peuvent raisonnablement prévoir» (voir le discours de Lord Wright dans l'arrêt Monarch Steamship Co. Ltd. c. Karlshamns Oljefabriker (AIBI [19491 A.C. 196, 221) cela devient alors principalement une question de fait, soit celle de savoir si, dans un cas particulier, une perte peut «de façon juste et raisonnable» être considérée comme surve- nant dans le cours normal des choses. Bien qu'à l'heure actuelle, les affaires commerciales ne soient pas jugées par un jury, Lord du Parcq soulignait dans son discours pro- noncé dans l'arrêt Monarch Steamship (ibid. 232), que finalement la décision portait sur une question de fait et que par conséquent, il s'agissait d'une question à faire trancher par un jury, il ajoutait:
Même si les règles générales sont établies avec beau- coup de soin, comme les circonstances peuvent varier à l'infini, elles doivent être interprétées avec souplesse et ne pas être appliquées de façon trop rigide. Il était..néces- saire d'énoncer des principes de peur que les jurés ne soient amenés à causer une injustice en imposant au défendeur une obligation trop lourde ou peut-être trop légère. La cour doit cependant veiller à ce que les princi- pes énoncés ne soient jamais interprétés de façon si stricte qu'un jury, ou un juge du fond, en soit empêché de rendre justice aux parties. En ce cas, en faire usage serait en faire un mauvais usage.
Si l'on suit cette voie, je doute alors qu'il soit nécessaire d'exprimer une préférence, ou toute préférence particulière, entre les mots et les expressions qui ont été soumis à votre examen. Dans chaque cas, il n'est pas nécessaire que le résultat dépende de l'importance donnée à l'une quelconque de ces expressions telles que «susceptible d'en découler» ou «vraisemblablement arriver» ou «ne pas arriver vraisembla- blement». Chacune de ces expressions peut être d'un cer tain secours, mais il en existe beaucoup d'autres qui peu- vent l'être également. (Pages 396-397.)
Milords, les mots, expressions et extraits mentionnés sont des indications utiles pour appliquer la règle énoncée dans l'arrêt Hadley c. Baxendale. Toutefois, ils n'ajoutent rien à la règle ni ne la modifient. Je considère l'éminente décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Victoria Laundry (Windsor) Ltd. c. Newman Industries Ltd. ([1949] 2 K.B. 528) comme l'une des analyses les plus précieuses de la règle. On y a souligné que, pour rendre la personne qui rompt le contrat responsable aux termes de la «première règle» de l'arrêt Hadley c. Baxendale, il n'est pas nécessaire
que la personne en question se soit réellement demandé quelle perte pouvait résulter d'une rupture du contrat, mais qu'il suffit qu'agissant en homme raisonnable qui a étudié la question, elle ait conclu que la perte en question était susceptible d'en découler. De même, il n'est pas nécessaire de prouver, pour se faire indemniser d'une perte particu- lière, qu'en vertu de renseignements donnés, elle pouvait, agissant en homme raisonnable, prévoir qu'une rupture du contrat devait nécessairement entraîner cette perte. Certai- nes expressions ont été utilisées à titre d'exemples en l'es- pèce. Elles ont leur valeur expressive, mais, pour ma part, je doute que l'expression «il y a des chances» ait une signification suffisamment claire ou comporte une nuance de sens digne de comparaison qui lui permette de figurer parmi les autres expressions qui illustrent la règle. (Page 399.)
Lord Hodson:
Dans l'arrêt Victoria Laundry (Windsor) Ltd. c. Newman Industries Ltd., la Cour d'appel a fait une étude poussée de la règle. La Cour, composée des lords juges Tucker, Asquith et Singleton, a rendu un jugement prononcé par Lord Asquith qui, renvoyant à l'arrêt Monarch Steamship, a déclaré que l'expression «susceptible d'en découler» conve- nait pour décrire le degré de probabilité requis. Il s'agit peut-être d'une expression banale, mais je ne pense pas qu'il soit possible de trouver mieux. Le terme «vraisem- blance», si on l'utilise, peut laisser croire que les chances sont toutes en faveur de la chose qui survient et c'est une idée que je rejette.
L'utilisation de l'expression «dans un grand nombre de cas» qu'on trouve à plusieurs reprises dans le jugement de l'affaire Hadley c. Baxendale, me sert de ligne directrice. Elle indique que les dommages indemnisables en cas de rupture d'un contrat sont ceux qui découlent naturellement dans la plupart des cas de la rupture, que celle-ci se soit produite dans des circonstances normales ou extraordinai- res selon les renseignements qui étaient en la possession des défendeurs ou qui leur ont été communiqués. Cette expres sion apporte quelques éclaircissements à la question des dommages-intérêts pour rupture de contrat et permet d'a- border le problème d'une manière différente de celle qu'on adopte en matière délictuelle. (Pages 410-411.)
Lord Pearce:
Selon la règle fondamentale de droit commun, «lors- qu'une partie subit une perte par suite d'une rupture de contrat, il faut, dans la mesure l'argent peut le faire, la placer en ce qui concerne les dommages-intérêts dans la situation elle aurait été si le contrat avait été exécuté» (le baron Parke dans l'affaire Robinson c. Harman (1848) 1 Exch. 850, 855). Toutefois, puisqu'un principe aussi large peut être trop rigoureux pour la personne qui rompt le contrat, en la rendant responsable d'une série imprévisible et fortuite de circonstances, le droit a limité sa responsabi- lité de différentes façons, ce qui a abouti à la règle énoncée dans l'arrêt Hadley c. Baxendale. Cette dernière avait été conçue à l'intention des jurés mais est devenue partie inté- grante du droit.
Puisqu'un nuage olympien voilait tous doutes, toutes dif- ficultés et tous obstacles qui pouvaient s'élever dans une
salle de jury et que le jury pouvait faire preuve de la largeur de vues inhérente au bon sens en appliquant cette règle aux faits, la règle constituait une admirable ligne directrice pour trancher les faits. Cependant, lorsque les savants travaux des juges, qui doivent motiver leurs décisions, suppléaient aux déficiences des jurés, certaines questions devaient être éclaircies. C'est ce qu'a fait le jugement de la Cour d'appel dans l'arrêt Victoria Laundry (Windsor) Ltd. c. Newman Industries Ltd. Je ne pense pas qu'il ait énoncé quelque chose d'extraordinaire ou de nouveau à ce sujet. A mon avis, il reprenait (en termes bien tournés) cette opinion vague exprimée dans l'arrêt Hadley c. Baxendale qu'ont adoptée de nombreux juges en rendant des décisions dans des cas courants de rupture de contrat. (Page 414.)
Par conséquent, à mon avis, les expressions utilisées dans l'arrêt Victoria Laundry étaient justes. Cependant je n'ac- cepte pas l'expression «il y a des chances» comme critère utile, car je ne sais pas quel sens précis elle a dans mon propre vocabulaire ou dans celui d'autrui. Je pense qu'elle doit son attrait, comme de nombreuses autres expressions, au fait qu'on peut l'utiliser sans devoir vraiment penser avec exactitude à ce qu'on entend en l'utilisant ou ce que d'autres comprennent en l'entendant, il s'agit d'un faux attrait, ce qui rend en général l'expression indéfinissable, bien qu'elle soit très souvent utile pour résumer toute une série d'idées définissables. C'est dans ce dernier sens que le jugement utilise les termes ambigus de «susceptible d'en découler». On n'avait pas l'intention d'en faire un critère supplémen- taire ou différent de ceux de «sérieuse possibilité» ou de «danger réel». (Page 415.)
Le jugement rendu dans l'affaire Victoria Laundry consti- tue une bonne tentative de clarification des principes que l'arrêt Hadley c. Baxendale voulait énoncer. Même s'il va au-delà, à mon avis, c'est à bon droit. (Page 417.)
Lord Upjohn:
La règle énoncée dans l'arrêt Hadley c. Baxendale a été approuvée en termes exprès par la Chambre des lords dans les arrêts Banco de Portugal c. Waterlow & Sons Ltd. ([1932] A.C. 452) et Monarch Steamship Co. Ltd. c. Karl- shamns Oljefabriker (A/B) ([1949] A.C. 196); elle a été, depuis son adoption, reprise dans une foule d'arrêts. J'es- time qu'en dehors de quelques critiques au départ, il serait juste de dire qu'elle est restée incontestée jusqu'à l'arrêt Victoria Laundry (Windsor) Ltd. c. Newman Industries Ltd. Lord Asquith, en rendant le jugement de la Cour, lui a donné une interprétation très pittoresque.
Milords, à mon avis, cet appel nous oblige à trancher les questions suivantes:
(1) L'arrêt Victoria Laundry avait-il pour but de modifier le droit et d'établir une règle quelque peu différente de celle énoncée dans l'arrêt Hadley c. Baxendale pour la détermination des dommages-intérêts en matière de contrat?
(2) Quel est, sur le plan pratique, le critère applicable pour déterminer si les conséquences particulières d'une rupture de contrat doivent conduire à indemniser les dommages qui en découlent naturellement ou ceux que les parties avaient pu prévoir, vu les circonstances spécia- les de l'espèce? (Page 423.)
(1) Pour répondre au premier point, j'estime qu'il est clair, à la lecture des jugements majoritaires de la Cour d'appel, qu'elle' considérait que l'arrêt Victoria Laundry modifiait le droit. Cet arrêt correspondait tout à fait à la seconde règle, toutefois, les observations de Lord Asquith étaient suffi- samment générales pour répondre aux deux règles. Pour ma part, je ne pense pas que le savant juge ait voulu modifier le droit. Il l'a expliqué et énoncé sous une forme plus moderne; j'y reviendrai au prochain paragraphe. S'il enten- dait faire plus, je ne suis plus de son avis. Pour ma part, je préfère énoncer ces principes de la façon suivante: qu'a- vaient pu prévoir les parties, agissant en personnes raison- nables, à la lumière des faits généraux ou particuliers (selon le cas) qu'elles connaissaient, quant aux dommages-intérêts pouvant découler d'une rupture du contrat? (Pages 423-424.)
(2) Au sujet du second point, celui de savoir ce que, sur le plan pratique, les parties ont envisagé comme résultat d'une rupture. Tout d'abord l'expression «conséquence probable» nous vient à l'esprit; ces termes ont été utilisés dans l'é- noncé de la seconde règle elle-même, repris par Lord Esher, M.R., dans l'arrêt Hammond c. Bussey (20 Q.B.D. 79, 88) et adoptés par le vicomte Dunedin dans l'affaire Hall c. Pim (33 Com. Cas. 324, 330); ce dernier a cependant pris la précaution d'ajouter que le terme «probable» n'avait pas à son avis d'autre signification que celle d'un risque ordinaire. Lord Shaw de Dunfermline a interprété, en l'espèce, le terme probable comme signifiant un résultat non invraisem- blable. Dans l'arrêt The Monarch ([1949] A.C. 196), leurs Seigneuries ont utilisé un choix d'expressions différentes. Je les énumérerai brièvement: vraisemblance, possibilité que les deux parties ont envisager, fait dont il faut tenir compte en matière commerciale, sérieuse possibilité ou danger réel, risque grave.
Lord Asquith, dans l'arrêt Victoria Laundry (page 540), a utilisé les termes «susceptible d'en découler» comme syno- nymes des expressions sérieuse possibilité ou danger réel. Il a continué en faisant un parallèle avec l'expression «il y a des chances», mais, comme vos Seigneuries, j'écarte l'utili- sation de cette expression qui est beaucoup trop imprécise et qui, à mon avis, peut qualifier un événement des plus improbables et des plus invraisemblables tel que gagner à la loterie.
Cependant, à mon avis, Lord Asquith s'est attaché sim- plement à expliquer la règle à la lumière des observations faites par la Chambre des lords dans l'arrêt The Monarch. Il est curieux que l'arrêt Hall c. Pim n'ait, semble-t-il, pas été cité dans aucun des arrêts qui l'ont suivi, jusqu'à l'affaire qui vous est aujourd'hui soumise en appel.
Il est clair, d'une part, que le critère de la prévisibilité, tel qu'il est énoncé en matière délictuelle n'est pas le même qu'en matière contractuelle, et que d'autre part, la personne qui subit le préjudice n'a pas à établir que la perte était presque certaine ou qu'elle constituait une probabilité prévi- sible. Je consens à adopter le critère du «danger réel» ou de «la sérieuse possibilité». Il peut y avoir une nuance entre ces deux expressions, mais l'évaluation des dommages-inté- rêts n'est pas une science exacte et ce qui semble à tel juge ou à tel jury constituer un danger réel peut sembler à tel autre juge ou à tel autre jury constituer une sérieuse possi- bilité. Je ne pense pas que l'application de ce critère aurait
conduit à un résultat différent dans l'arrêt Hadley c. Baxen- dale. (Pages 424-425.)
Il ne faut pas oublier que dans les arrêts comme Hadley c. Baxendale, les tribunaux trai- taient de contrats commerciaux passés entre deux personnes privées, alors qu'en l'espèce nous traitons d'une convention collective por- tant sur des salaires et des conditions de travail négociés entre le conseil du Trésor et un agent négociateur représentant les employés, conven tion à laquelle s'appliquent certaines disposi tions législatives et certains décrets du conseil du Trésor. Cependant, des problèmes communs se posent pour les deux sortes de contrats, à savoir si le préjudice subi est d'une rupture du contrat et si la perte est une conséquence trop indirecte de la rupture pour pouvoir être indemnisée.
L'assujettissement du requérant à l'impôt découle de l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. Toutefois, la Loi s'applique au revenu imposable du requérant sur lequel pourront avoir une influence le montant du salaire rétroactif ainsi que les dates auxquelles il a été payé.
Le paiement du salaire rétroactif dépendait de la Couronne. On n'a invoqué aucune raison ou présenté aucune excuse pour le retard mis à effectuer le paiement complet, soit du 17 juillet 1969 au 14 janvier 1970. Qu'on tienne compte du délai de 90 jours spécifié à l'article 56 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique pour la mise en oeuvre de la conven tion collective comme délai de paiement ou que l'on considère que seul était exigé le paiement dans un délai qu'on pourrait qualifier de raison- nable, vu les circonstances, le retard de six mois, soit du 17 juillet au 14 janvier, était, en l'absence d'explications satisfaisantes, trop long et constituait un manquement à l'obligation de la Couronne de payer ledit salaire rétroactif, telle est ma conclusion. Je conclus également que ledit retard a fait directement augmenter pour le requérant' son impôt sur le revenu et que cette augmentation de dépenses fiscales découlait naturellement du retard et de l'inexé- cution de la convention. Je me permets de reprendre ici la partie pertinente du paragraphe 11 de l'exposé conjoint des faits que voici:
[TRADUCTION] Au cas il serait jugé que l'intimée est tenue de verser des dommages-intérêts au requérant, il est con- venu qu'un montant raisonnable pour non-disponibilité de fonds serait fixé à $50. Au cas il serait jugé que le requérant a droit à un dédommagement pour avoir payé des impôts supplémentaires sur le revenu levés sur le traitement rétroactif perçu en 1970 plutôt qu'en 1969, il est convenu que la dépense supplémentaire imputable à l'impôt sur le revenu serait de $50.
Je pense que ni l'agent négociateur ni le con- seil du Trésor n'avaient à l'esprit, lors des négo- ciations et lors de la signature de la convention, que le salaire rétroactif ne pourrait être payé dans un délai raisonnable et qu'ils n'envisa- geaient pas non plus les conséquences fiscales d'une inexécution de la convention. Ce qu'on envisageait, c'était l'application de la conven tion et non son inexécution. Cependant, les parties savaient certainement que la Loi de l'im- pôt sur le revenu s'appliquerait au montant du salaire rétroactif et j'estime que si l'agent négo- ciateur et le conseil du Trésor avaient évalué la perte ou la dépense pouvant résulter du retard dans ce paiement, soit du 17 juillet au 14 jan- vier, ils auraient conclu qu'une possibilité réelle de pertes ou de dépenses supplémentaires d'im- pôt sur le revenu pouvait en être, au moins pour quelques employés, l'un des résultats. Cela aurait être l'une des premières choses à laquelle ils auraient penser, car l'incidence de l'impôt sur le revenu et le montant net du paiement après déduction de l'impôt sont des facteurs importants lorsqu'on négocie avec le conseil du Trésor au nom des employés de la Fonction publique une convention collective portant sur les salaires et les conditions de travail.
C'est la Couronne qui était responsable du retard dans le paiement du salaire rétroactif, non le requérant. De plus, par suite de ce retard, le requérant a faire face à des dépenses, à savoir une augmentation de l'impôt sur le revenu. A mon avis, cette dépense n'est pas une conséquence trop indirecte du retard et peut donner lieu à des dommages-intérêts; la Cour ne devrait pas permettre que le requérant ne soit pas dédommagé de ces dépenses.
Par conséquent, je conclus que le requérant a droit au recouvrement des dommages-intérêts réclamés dans sa demande relativement à son impôt sur le revenu supplémentaire; Sa Majesté
lui versera la somme de $50 pour le redresse- ment partiel recherché dans sa pétition de droit et les dépens taxables.
I A l'instruction, on n'a pas fait la preuve d'une augmenta tion d'impôt sur le revenu, car, à mon avis, l'existence d'une telle dépense n'a pas été contestée, bien que l'ait été la responsabilité de la Couronne à l'égard du préjudice entraîné par cette dépense.
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