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Norman Danard (Pétitionnaire)
c.
La Reine (Intimée)
Division de première instance, le juge Dumou- lin—Vancouver, le 10 mai; Ottawa, le 13 juillet, 1971.
Couronne—Responsabilité délictuelle—Blessures corpo- relles du détenu—Tâche dangereuse exécutée sous les ordres d'un gardien—Responsabilité de la Couronne.
Un détenu au pénitencier de la Colombie-Britannique a subi des blessures corporelles quand il est tombé sur un talus herbeux en pente, rendu glissant par la pluie, et a été frappé par la tondeuse à moteur avec laquelle il tondait le gazon sur l'ordre d'un gardien.
Arrêt: La Couronne doit répondre de l'action blâmable du gardien qui avait demandé au détenu d'effectuer une tâche visiblement dangereuse. Si le détenu avait refusé d'obéir au gardien, il aurait été passible d'une punition.
ACTION en dommages-intérêts.
C. C. Sturrock pour le pétitionnaire.
G. C. C. Carruthers et G. O. Eggertson pour l'intimée.
LE JUGE DUMOULIN—Au paragraphe 1 de sa pétition de droit, le pétitionnaire déclare «qu'il est actuellement sans emploi» et qu'il demeure à Vancouver. Il ajoute au paragraphe 2:
[TRADUCTION] 2. A toutes les époques relatives à la pré- sente action, le pétitionnaire était détenu au pénitencier de la Colombie-Britannique, une institution administrée par les préposés, mandataires ou employés de Sa Majesté la Reine dans le cadre du système pénitentiaire canadien.
Les paragraphes 3, 4, 5, 6 et 7 contiennent les allégations suivantes:
[TRADUCTION] 3. Le 24 septembre 1969 au matin, ou vers cette date, le pétitionnaire et certains autres détenus ont été désignés pour effectuer des travaux à un endroit situé à l'extérieur des murs principaux de la prison par des prépo- sés, mandataires ou employés dudit pénitencier de la Colombie-Britannique qui agissaient, à toutes les époques qui nous intéressent, dans l'exécution ou dans le cadre des fonctions de leur emploi.
4. Un certain garde de prison du nom de James Johnston, agissant à toutes les époques qui nous intéressent dans l'exécution ou dans le cadre des fonctions de son emploi, a accompagné le pétitionnaire et certains autres détenus à l'endroit en question situé à l'extérieur desdits murs de la prison.
5. Le même James Johnston a ordonné aux détenus d'ef- fectuer certains travaux, et, plus particulièrement, il a ordonné au pétitionnaire de tondre la pelouse recouvrant le
talus adjacent au mur de la prison au moyen d'une tondeuse motorisée fournie à cette fin.
6. En exécutant ledit travail, le pétitionnaire est tombé du haut du talus et par suite, ladite tondeuse motorisée l'a heurté, lui causant des blessures corporelles graves.
L'intimée admet, au paragraphe 1 de sa défense, les allégations de fait que nous venons de citer, mais nie celles qui sont rapportées au paragraphe 7 de la pétition, dans lequel on reproche à James Johnston d'avoir imprudem- ment ordonné à Danard:
[TRADUCTION] 7.
a) ... de tondre la pelouse alors qu'il savait ou aurait savoir qu'un tel travail comportait des dangers graves;
b) en ordonnant au pétitionnaire de tondre la pelouse alors qu'elle était extrêmement glissante, en raison de l'escarpement du talus et du fait qu'il pleuvait;
c) en ne fournissant pas au pétitionnaire des chaussures de sécurité appropriées, de façon que ce dernier puisse exécuter le travail ordonné d'une manière sûre, en bon ouvrier;
d) en ordonnant au pétitionnaire de travailler dans un endroit dangereux, lequel endroit était sous la responsabi- lité de Sa Majesté la Reine;
Tels sont les éléments essentiels des repro- ches; ils ont tous été niés par l'intimée, mais néanmoins, ils sont la cause réelle des souffran- ces du pétitionnaire, ou, selon les termes du paragraphe 8, «des blessures graves et autres pertes et dommages, notamment ...»:
8. . .
a) Une blessure à la cuisse gauche;
b) Une blessure au genou gauche;
c) Une cicatrice à la cuisse gauche;
d) Une commotion;
lesquelles dites blessures ont causé et causent toujours au pétitionnaire des douleurs, des souffrances, une infirmité physique, une perte de jouissance de la vie, un manque à gagner passé et futur.
La défense nie toute responsabilité en ce qui concerne les blessures corporelles, les douleurs, les souffrances, l'infirmité physique, la perte de jouissance de la vie, le manque à gagner passé et futur et elle nie également:
[TRADUCTION] ... que ces blessures ou dommages subis par le pétitionnaire résultent d'une négligence ou d'un manque- ment à son devoir dudit James Johnston ou d'un employé, préposé ou mandataire de Sa Majesté la Reine, dans l'exé- cution des fonctions de leur emploi.
Il est allégué au paragraphe 5, comme réponse complémentaire à la pétition de droit:
[TRADUCTION] ... que ledit incident était seulement à la négligence du pétitionnaire, savoir:
a) qu'il a changé la tondeuse motorisée de direction en passant en-dessous plutôt qu'au-dessus;
b) qu'il n'a pas suivi les directions qu'il avait reçues concernant la sécurité d'utilisation de la tondeuse motorisée;
c) qu'il n'a pas accordé l'attention voulue au travail qui lui avait été assigné;
d) qu'il n'a pas pris de précautions raisonnables pour sa sécurité personnelle en tondant la pelouse.
[Sa Seigneurie a examiné les dépositions de 11 témoins et a poursuivi:]
Dans les cas d'espèce, chaque affaire doit être examinée et tranchée selon les faits qui lui sont propres.
Ce principe élémentaire de conduite est bien expliqué dans Clerk and Lindsell on Torts, 13 e éd., par. 854, duquel j'ai extrait le passage suivant:
[TRADUCTION] Un préjudice peut être décrit comme le fait d'infliger un dommage causé par le manquement du défen- deur d'accorder au demandeur tous les soins qu'il lui doit. Ce principe comporte six éléments de responsabilité. [L'au- teur n'en donne que quatre] (1) L'existence du devoir d'ac- corder un soin, c'est-à-dire que la loi reconnaît que le fait pour un défendeur donné d'avoir causé par manque de soins à un demandeur donné le dommage qui fait l'objet de la poursuite est susceptible de poursuite. (2) Il devait être prévisible que la conduite du défendeur pouvait causer au demandeur le dommage qui fait l'objet de la poursuite (ce principe est contenu de façon implicite dans le fait que devoir d'accorder des soins est «dû, au demandeur). (3) Le défaut de soins du défendeur doit être prouvé, c'est-à-dire que celui-ci doit avoir omis d'atteindre les normes et l'am- pleur des soins fixés par la loi: manquement à un devoir. (4) Il doit exister un lien de causalité entre le défaut de soins du défendeur et le dommage subi par le demandeur. Dès que ces conditions sont remplies, le défendeur est susceptible d'être poursuivi en responsabilité pour négligence.
La lecture attentive des nombreux événe- ments qui ont composé ce malheureux accident, et l'étude de tous les facteurs qui y ont contri- bué: le fort escarpement du talus recouvert de pelouse, l'abondance de la pluie, prouvée par le document officiel produit comme pièce P-4, le relevé mensuel du ministère des Transports; l'écoulement d'une période d'au plus 24 heures entre le moment ou la pluie a cessé de tomber, à 6 heures du matin, et le moment ou le travail fatal a commencé, vers 8.30 heures du matin;
l'humidité du sol et de la pelouse, de l'aveu de James Johnston; le poids de la tondeuse, au moins 55 livres, dont les effets étaient aggravés par la poussée vers le bas qui s'exerce à la surface d'un talus trop escarpé, m'ont permis de constater l'existence des conditions requises pour donner naissance à une responsabilité, comme nous l'avons vu dans l'extrait du traité que nous avons cité.
Danard a reçu de quelqu'un qui était investi de l'autorité l'ordre d'effectuer un travail mani- festement hasardeux; un refus d'obtempérer aurait été interprété comme l'équivalent d'une désobéissance aux ordres, et l'aurait rendu pas- sible d'un châtiment. Par conséquent, je suis d'avis que l'intimée, à travers le geste répréhen- sible de son mandataire, est responsable des dommages qui ont été causés.
La pétition de droit est muette en ce qui concerne le montant exact des dommages; à l'audience, le savant procureur du pétitionnaire a proposé la somme de $21,000. Il est évident que cette évaluation est parfaitement subjec tive; la somme de $5,000, plus $350 pour dom- mages spéciaux, serait une indemnité objective et plus réaliste, ainsi qu'en ont convenu les procureurs, au cas la Cour concluerait à l'existence d'une responsabilité.
La Cour ne fonde pas beaucoup d'espoir sur la capacité future du pétitionnaire de gagner sa vie, car son avenir pourrait bien s'avérer aussi désœuvré que son passé, mais il n'en reste pas moins que le pétitionnaire a droit à une indem- nité pour les dommages et les blessures qui lui ont été illégalement causés.
En conséquence, et en raison des longues et douloureuses souffrances qu'il a endurées, en raison d'une infirmité partielle et permanente constituée par le fait que «la flexion du genou gauche est diminuée de 30°» et enfin, même si c'est plus discutable, en raison du manque à gagner, la pétition de droit doit être accueillie et nous recommandons respectueusement à l'inti- mée de verser au pétitionnaire, Norman Danard, une indemnité d'un montant total de $5,350, et tous les frais taxables.
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