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Mark G. Smerchanski (Appelant)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime')
Division de première instance, le juge Collier— Winnipeg, les 17, 18, 19, 20, 24, 25, 26, 27, 31 janvier et les 1, 2, 3, 9, 10, 16, 17, 18, 21, 22, 23, 24, 25, 28 février; Ottawa, le 13 mars 1972.
Impôt sur le revenu—Renonciation au droit d'appel de la cotisation—Non contraire à l'ordre public.
Le 8 juillet 1964, l'impôt sur le revenu de l'appelant ainsi que l'intérêt et les pénalités, pour les années 1945 à 1959, ont été cotisés approximativement à $951,000. Le 10 juillet 1964, sur les conseils de son avocat et pour éviter une poursuite pour fraude, il signa volontairement une recon naissance écrite de ses obligations et une renonciation à son droit d'appel de la cotisation. Le 5 octobre 1964, il déposa un avis d'opposition à la cotisation et le 22 février 1965, un avis d'appel.
Arrêt: rejet de son appel; le fait que le contribuable ait renoncé à son droit d'appel des cotisations l'engageait, sans être contraire à l'ordre public.
Arrêts suivis: Griffiths c. Dudley (1882) 9 Q.B.D. 357; Toronto c. Russell [1908] A.C. 493; Crédit Foncier Franco-Canadien c. Edmonton Airport Hotel Co. (1964) 43 D.L.R. (2e) 174.
IMPÔT sur le revenu.
A. J. Irving pour l'appelant.
W. B. Williston, c.r. et G. J. Kroft pour l'intimé.
LE JUGE CoLLIER—Le présent appel, ainsi qu'un autre interjeté par la Eco Exploration Company Limited (ci-après dénommée la «Eco»), ont été en partie entendus à compter du 17 janvier 1972. II a été convenu que la preuve apportée dans cette espèce particulière (Smer- chanski) vaudrait, dans la mesure de son appli- cabilité, pour l'appel de la Eco. La preuve pré- sentée à l'audience s'est avérée longue et parfois compliquée et, après que l'intimé ait apporté sa preuve prima facie, les parties et la Cour ont convenu que les contribuables présen- teraient leurs preuves sur deux points qui seraient débattus; après quoi je rendrais un jugement préliminaire sur ces deux points, avec droit d'appel; la preuve et les plaidoiries portant sur les questions pendantes seraient différées en attendant l'issue d'éventuels appels. Cet accord était justifié par le fait qu'il devenait évident que la preuve et les plaidoiries portant
sur ce que j'ai appelé des questions pendantes allaient prendre beaucoup de temps (beaucoup plus que les 23 jours qu'il a déjà fallu pour ces appels) et que si l'issue du jugement portant sur l'un des deux points était défavorable au contri- buable, les questions pendantes ne seraient pas examinées.
Ces appels sont, du moins formellement, diri- gés contre de nouvelles cotisations, établies par le Ministre en date du 8 juillet 1964, qui visent l'impôt sur le revenu de l'appelant (ci-après dénommé «le contribuable») pour les années 1945 à 1959 incluses et la Eco pour les années 1946, 1947 et 1951 à 1957 incluses. Le supplément d'impôt, les intérêts et les pénalités réclamés s'élevaient à $951,610.81 pour le con- tribuable et $117,177.89 pour la Eco. Le Minis- tre a calculé ces sommes de la façon suivante:
Le contribuable:
Dissimulation de matière imposable
[sic] $354,041.00
Redressement de cotisation 174,905.85
Intérêts 272,663.96
Pénalités (art. 56(1)) 150,000.00
La Eco:
Dissimulation de matière imposable
[sic] 70,056.27
Intérêts 32,031.40
Pénalités (art. 56(1)) 15,090.22
Il s'agit tout d'abord de juger si les appels interjetés, par le contribuable et la Eco, des nouvelles cotisations se heurtent à une fin de non-recevoir.
L'intimé se fonde sur deux documents signés par le contribuable et la Eco, tous deux en date du 10 juillet 1964. Je les cite in extenso:
[TRADUCTION] Je soussigné Mark Gerald Smerchanski, de Winnipeg (Manitoba), ingénieur minier, accuse par les pré- sentes réception des avis nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu (c. 97 des Statuts révisés du Canada de 1927), de la Loi de l'impôt sur le revenu (c. 52 des Statuts du Canada de 1948) et de la Loi de l'impôt sur le revenu (c. 148 des Statuts révisés du Canada de 1952), les montants de ces nouvelles cotisations, relatives à mon impôt sur le revenu pour les années d'impo- sition 1945 à 1959 incluses, étant les suivants:
1945 $124,453.47
1946 173,413.76
1947 47,303.19
1948 2,292.65
1949 4,562.24
1950 3,751.45
1951 6,046.75
1952 16,125.99
1953 10,304.69
1954 12,567.53
1955 94,231.07
1956 288,994.87
1957 96,739.51
1958 54,858.82
1959 15,964.82
$951,610.81
J'accepte et j'approuve par les présentes chacune des sommes contenues dans chacune des nouvelles cotisations, étant entendu qu'elles englobent les impôts, les intérêts et les pénalités relatifs à chacune desdites années. Je me reconnais par les présentes débiteur desdites sommes et je renonce à tout droit qui m'appartient ou viendrait à m'ap- partenir de faire appel de l'une quelconque desdites nouvel- les cotisations.
En outre, je prends acte par les présentes du fait que lesdites nouvelles cotisations relatives aux années 1955 à 1958 incluses se substituent aux nouvelles cotisations provi- soires établies pour ces années, datées du 14 mars 1960, du ler mai 1961, du 16 avril 1962 et du 28 juin 1963 et je retire par les présentes les avis d'opposition que j'ai signifiés contre lesdites nouvelles cotisations provisoires datées du 10 juin 1960, du 8 juin 1961, du 5 juin 1962 et du 23 septembre 1963.
Il est entendu et convenu que le présent document lie mes héritiers, exécuteurs testamentaires et administrateurs judiciaires.
EN FOI DE QUOI, J'ai apposé ma signature et mon sceau sur les présentes, à Winnipeg (Manitoba), en ce dixième jour de juillet 1964.
«Harry Walsh. «M. G. Smerchanski» (Sceau)
Témoin Mark Gerald Smerchanski
L'accusé de réception, l'assentiment et la renonciation ci-dessus ont été volontairement signés devant moi par ledit Mark Gerald Smerchanski, de son plein gré. Ledit Mark Gerald Smerchanski m'a en outre certifié qu'il comprend la nature et l'effet du document et en est pleinement conscient.
FAIT à Winnipeg (Manitoba), en ce dixième jour de juillet 1964.
«Harry Walsh.
Avocat inscrit au Barreau de la province du Manitoba.
La Eco Exploration Company Limited accuse par les présentes réception des avis nouvelles cotisations établis en vertu de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu (c. 97 des Statuts révisés du Canada de 1927), de la Loi de l'impôt sur le revenu (c. 52 des Statuts du Canada de 1948) et de la Loi de l'impôt sur le revenu (c. 148 des Statuts révisés du Canada de 1952), les montants de ces nouvelles cotisations,
relatives à son impôt sur le revenu pour les années 1946, 1947 et 1951 à 1957 incluses, étant les suivantes:
1946 $14,546.26
1947 1,038.46
1951 7,116.31
1952 244.18
1953 26,717.40
1954 3,124.85
1955 19,652.48
1956 24,274.45
1957 20,463.50
$117,177.89
La Eco Exploration Company Limited accepte et approuve par les présentes chacune des sommes contenues dans chacune des nouvelles cotisations, étant entendu qu'el- les englobent les impôts, les intérêts et les pénalités relatifs à chacune desdites années. La Eco Exploration Company Limited se reconnaît par les présentes débitrice desdites sommes et renonce à tout droit qui lui appartient ou vien- drait à lui appartenir de faire appel de l'une quelconque desdites nouvelles cotisations.
Il ' est entendu et convenu que le présent document lie les successeurs et ayants droit de la Eco Exploration Company Limited.
EN FOI DE QUOI LA ECO EXPLORATION COMPA NY LIMITED a apposé sur les présentes son sceau dûment authentifié par la signature de ses représentants compétents en ce dixième jour de juillet 1964.
Pour la
ECO EXPLORATION COMPANY LIMITED
(sans responsabilité personnelle):
«P. N. Smerchanski»
Président
«Phillip Smerchanski»
Secrétaire.
Ces documents découlaient d'un document antérieur, daté du 2 juillet 1964, que je men- tionnerai plus tard.
Le 10 juillet 1964, un chèque certifié d'un montant de $868,788.70 et l'autorisation d'im- puter une somme de $200,000 payée au début de l'année par le contribuable au Receveur général du Canada, ont été remis à un agent des services juridiques du ministère de la Justice.
L'intimé prétend en outre qu'en raison de leur conduite, le contribuable et la Eco se sont eux- mêmes interdit de faire valoir leurs droits d'ap- pel ou de poursuivre les présents appels.
Dans sa plaidoirie, le contribuable soutient que les documents du 10 juillet 1964 sont con- traires à l'ordre public et aux bonnes moeurs, et «sans effet juridique en raison de l'illégalité de la contrepartie, d'une part, des pressions et de la contrainte, d'autre part.» En ce qui a trait aux documents, il a également plaidé la violence.
Le principal moyen invoqué par l'avocat du contribuable au cours des débats était que la Loi de l'impôt sur le revenu ne conférait nulle- ment au Ministre le pouvoir de stipuler (ainsi qu'il l'aurait fait) la renonciation au droit d'in- terjeter appel des nouvelles cotisations. Le moyen selon lequel les consentements ont été obtenus par pressions ou contrainte n'a pas été abandonné, mais il n'a pas été invoqué avec beaucoup de vigueur.
Je suis arrivé à la conclusion que les docu ments datés du 10 juillet 1964 constituent des consentements valides, qu'ils lient le contribua- ble et l'Eco et qu'ils ne sont pas contraires à l'ordre public et aux bonnes moeurs, ainsi qu'on l'a prétendu.
A mon avis, ma conclusion est essentielle- ment fondée sur les faits et il est par consé- quent nécessaire d'examiner la preuve en détail.
Le contribuable a obtenu ses titres de géolo- gue spécialiste des mines en 1937. Les débuts de sa carrière se sont déroulés principalement dans le domaine minier, mais il apparaît mani- festement qu'il est également devenu par la suite, non sans succès, un «homme d'affaires». Il a été membre de l'Assemblée législative du Manitoba et il est actuellement membre du Par- lement. Dans la période qui nous occupe, il contrôlait la Eco.
A l'automne 1959, un répartiteur d'impôts du ministère du Revenu national, M. E. T. Elliott, a entrepris une vérification sur place des comptes des contribuables. J'admets la déclaration de M. Elliott selon laquelle il a, dès l'abord, demandé tous les livres et registres comptables. La preuve a établi que M. Elliott n'a pas reçu tous les registres pertinents, et je pense en particu- lier à certains comptes détaillés que conservait la femme du contribuable à leur domicile. Ces registres ont été intitulés [TRADUCTION] «Comp- tes de Pat» et [TRADUCTION] «Écritures bancai- res de Pat» (Voir pièces A 170 et A 67à 71). M.
Elliott a insister pour obtenir les dossiers qu'on lui a finalement communiqués.
On lui a donné un compte de situation nette (pièce 339), préparé par le vérificateur du con- tribuable, qui couvrait la période du l ei janvier 1948 au 31 décembre 1958. Il était inexact, fallacieux, et ne faisait pas mention de certains actifs importants. La femme du contribuable a préparé un relevé d'une part importante (envi- ron $93,000) des actifs non mentionnés, mais le comptable ne les a pas inclus dans le compte de situation nette. Malheureusement, le vérifica- teur est mort, ainsi que plusieurs autres person- nes qui, j'en suis certain, auraient pu fournir des preuves importantes sur plusieurs questions examinées au cours de cette audience. Quoi qu'il en soit, le contribuable a reconnu avoir reçu une copie de la pièce 339, presque en même temps que le répartiteur d'impôts. Il n'a rien dit, ni à ce moment-là ni plus tard, pour s'assurer que les omissions avaient été portées à l'attention du Ministère.
Au vu des registres qui lui ont été cômmuni- qués, M. Elliott en est venu à penser, au cours de son enquête, que des sommes non négligea- bles pourraient être imposables. Il estimait éga- lement que, dans certains cas, des sommes qui constituaient à proprement parler un revenu n'avaient pas été déclarées par le contribuable. Le dossier a alors été transmis à la section des Enquêtes spéciales. Une autorisation approuvée par la Cour de l'Échiquier a été délivrée aux enquêteurs afin de leur permettre de perquisi- tionner dans les locaux professionnels du con- tribuable et à son domicile et d'y saisir tous documents et registres relatifs aux violations présumées de la Loi de l'impôt sur le revenu; la perquisition et la saisie ont été exécutées le 21 février 1961. Un nombre important de docu ments ont été saisis.
Le bureau de Winnipeg du Ministère a alors entrepris une enquête détaillée et minutieuse. Cette dernière, qui a duré longtemps, était ache- vée pour l'essentiel en juin 1964. La durée de l'enquête est compréhensible: le détail des con clusions de l'intimé, pour la seule affaire du contribuable, couvre 170 pages; la liste des références des preuves fournies à l'appui des conclusions compte 262 pages (et elle ne com- porte pas de copies des pièces elles-mêmes); on
a produit à l'audience environ 380 pièces, dont la plupart étaient des volumes reliés, plus ou moins épais (on ne trouve, bien sûr, au nombre de ces pièces que les documents qui ont paru pertinents aux agents du Ministère et non tous ceux qu'ils ont examinés). J'ai mentionné ce qui précède, car le contribuable s'est plaint au cours de l'instruction du temps pendant lequel le Ministère a conservé ses registres.
Au cours de l'enquête, les agents du Minis- tère ont fait des photocopies d'un grand nombre des documents et registres saisis, mais non de tous. Le fait est important et j'y reviendrai.
Au mois de mai 1963, M. F. Reynolds, aujourd'hui décédé, qui était alors le chef de la section des Enquêtes spéciales de Winnipeg, a rédigé un rapport d'enquête préliminaire. A cette date, seules les années 1949 1959 inclu- ses avaient fait l'objet de l'enquête. Bien que cette dernière ne fût pas achevée, M. Reynolds estimait que le revenu non déclaré s'élevait à $633,000 environ. Il semble qu'à son avis, la non-déclaration de cette somme impliquait une présentation erronée ou une fraude, et il recom- manda, dans un rapport au sous-ministre du Revenu national en date du 3 juin 1963, de poursuivre le contribuable par voie de mise en accusation.'
Le dossier de la section des Enquêtes spécia- les, y compris le rapport susmentionné, a été transmis à M. J. L. Gourlay, qui était alors le premier conseiller juridique du ministère du Revenu national, chargé des poursuites judiciai- res. Il a estimé que la preuve était suffisante pour justifier que l'on demande à un avocat de revoir l'ensemble de l'affaire dans une optique contentieuse, et c'est ce qu'il a indiqué au sous- ministre, M. J. G. McEntyre.
Vers cette époque, ou peu après, le contribua- ble a tenté d'obtenir une entrevue avec le minis- tre du Revenu national. On a aménagé une rencontre avec le sous-ministre qui a eu lieu le 28 août 1963 Ottawa. Y assistaient le sous- ministre, M. Gourlay, M. E. C. Hauch du Minis- tère, le contribuable et M. Archie Micay, avocat chevronné du Manitoba qui avait défendu les intérêts du contribuable pendant un certain temps. Personne ne conteste ce qui s'est dit au
cours de cette rencontre. Le contribuable a assisté à la majeure partie de la réunion, mais M. Micay a pris des notes très complètes et, par la suite les lui a montrées et lui en a donné une copie. Je me suis servi de ces notes (pièce 332, 1) pour résumer cette réunion.
Le sous-ministre a présenté une feuille regroupant, sous neuf rubriques, une somme de $633,538.37 représentant le revenu qui aurait été dissimulé. M. Micay a été autorisé à prendre note des rubriques et des montants. J'indique ici que la rubrique 6, intérêts d'hypothèques et de prêts, pour une somme de $23,278.53, appa- raît dans les notes de M. Micay avec les autres rubriques, y compris la rubrique 9, $251,- 465.80 qui constitueraient un bénéfice imposa- ble provenant du lancement et de la garantie des émissions de la New Manitoba Mines Limited. D'autres documents, y compris des éléments de la preuve, ont été exhibés par le sous-ministre.
Le sous-ministre n'était pas disposé à donner des précisions sur les faits et les documents que détenait le Ministère. Il estimait que l'affaire devait être confiée au ministère de la Justice afin qu'elle puisse être tranchée par les tribu- naux. M. McEntyre a encore déclaré que M. Gourlay devait se rendre à Winnipeg afin d'étu- dier lui-même la preuve et lui faire rapport. Après quoi on déciderait s'il y avait lieu de recommander des poursuites.
Il ressort clairement de la preuve relative à cette rencontre qu'aucune menace n'a été exer- cée par l'intimé ou en son nom, qu'aucune pro- messe n'a été faite, implicitement ou explicite- ment, que toute dette fiscale pourrait éventuellement faire l'objet d'une transaction sans que l'on ait recours à des poursuites judi- ciaires. Il est également clair que le sous-minis- tre et ses conseillers estimaient qu'il y avait matière à poursuites, et c'est ce qu'ils ont déclaré à M. Micay. On a également indiqué à ce dernier qu'il serait possible d'organiser une nouvelle rencontre avec le sous-ministre.
La date de cette première réunion avec le sous-ministre (28 août 1963) est importante car, dans la suite de son action, le Ministère a posé en principe que toute plainte contre le contri- buable devrait être déposée avant le 28 août 1964. 2 Il n'est pas contesté que les opinions
divergeaient au sein du ministère quant à l'inter- prétation de la proposition ... «le jour une preuve suffisante, de l'avis du Ministre, pour justifier une poursuite relative à l'infraction, est venue à sa connaissance». Toutefois, M. Gour - lay avait la haute main sur l'enquête en cours et il a soutenu l'opinion que le «jour» en question était le 28 août 1963. M. Micay a eu connais- sance du point de vue de M. Gourlay à cet égard au cours d'une réunion ultérieure tenue le 20 décembre 1963 et il ressort des déclarations de M. Micay que ce dernier a instruit le contri- buable de ce qui précède ainsi que d'autres détails de cette rencontre de décembre.
M. Gourlay s'est rendu à Winnipeg en sep- tembre 1963 et a procédé avec l'équipe qui se trouvait là-bas à un nouvel examen de la preuve. Il en est revenu convaincu qu'une fraude, au sens criminel, pouvait être prouvée dans la limite de $277,000 environ (regroupés sous diverses rubriques). En outre, d'autres sommes importantes pouvaient, à son sens, être imposées comme revenu, mais il aurait pu s'a- vérer difficile de prouver la fraude à leur égard, s'il en était tenu compte dans la plainte qui devait être déposée. Certains faits nouveaux étant apparus, il a demandé aux fonctionnaires du Ministère, au cours de la même visite, d'en- quêter sur les années 1945 à 1949 qui, jusqu'à cette date, n'avaient pas encore fait l'objet d'un examen.
Le 2 octobre 1963, une longue réunion s'est tenue au bureau de Winnipeg du Ministère. La preuve évoque cette rencontre comme la «der- nière entrevue».
Cette réunion, qui a commencé au début de l'après-midi, avait été organisée pour présenter au contribuable l'essentiel du grief du Ministère, pour lui donner des exemples significatifs des grandes rubriques à propos desquelles on invo- quait la dissimulation de matière imposable ou une dette fiscale, et pour lui permettre de s'ex- pliquer à sa guise. M. Micay, son associé M. Harry Walsh (un avocat renommé et de grande expérience) et M. B. W. Nitikman, comptable agréé, assistaient le contribuable. M. Reynolds présidait la réunion. Étaient également présents M. James Mackay et M. R. Pinilo du Ministère. Il est inutile d'entrer dans les détails de la preuve relative à cette rencontre. Cette fois
encore M. Micay, de même que certaines autres personnes présentes, a pris des notes détaillées. Qu'il suffise de dire que l'on a présenté un bon nombre d'exemples de la dissimulation de matière imposable, de la non-déclaration ou de la fraude que l'on invoquait. On pouvait trouver dans la pièce les documents sur lesquels se fondait le Ministère, y compris des photocopies de quelques pages tirées de journaux personnels ou d'agendas tenus par le contribuable. Je reviendrai sur ce point plus tard.
M. Reynolds a donné tous ses exemples, puis la séance a été ajournée pour permettre au contribuable de consulter ses conseillers. La réunion a ensuite repris et certaines explications ont été apportées par l'intermédiaire de M. Micay. J'admets, comme il l'affirme, que le contribuable n'était pas en mesure à ce moment-là de s'expliquer sur toutes les ques tions qui avaient été soulevées, car beaucoup avaient leur origine plusieurs années auparavant et il ne disposait pas de ses dossiers. Par contre, je dois dire que les explications qu'il a données sur certains chapitres étaient pour le moins ine- xactes, et, sur deux points particuliers, fausses. Premièrement, s'agissant d'une lettre de lui (pièce A 330, p. 17), il a déclaré qu'il fallait voir une méthode consistant à adresser un paie- ment au destinataire de telle façon qu'il ne lui semble pas qu'on lui faisait la charité. Cette explication est insoutenable. Deuxièmement, M. Reynolds a invoqué la dissimulation d'une somme de $23,276.53 représentant des intérêts hypothécaires reçus au cours de ces années et il a donné pour exemple ce que l'on a appelé l'hypothèque Cobb et l'hypothèque Broadway Florist. Le contribuable a nié avoir jamais reçu d'intérêts de M. Cobb (en fait les dossiers per- sonnels de sa femme en font mention) et pour ce qui est de l'autre intérêt hypothécaire, il a déclaré qu'il s'agissait en réalité d'hypothèques détenues par d'autres membres de sa famille, mais à son nom, et que c'était en fait ces autres membres de sa famille qui recevaient ces sommes. Le contribuable a reconnu devant le tribunal que cette explication n'était pas exacte. Je vais plus loin et je dis qu'elle était fausse. Une explication analogue a été fournie par écrit au nom du contribuable lorsqu'une requête a été présentée au sous-ministre à Ottawa en avril 1964.
Il n'est pas contesté qu'aucune menace n'a été proférée au cours de cette réunion du 2 octobre 1963, et que l'on n'y a pas non plus discuté de la possibilité de transiger sans inten- ter de poursuites. Il m'apparaît manifeste que le contribuable et ses conseillers savaient à l'issue de cette réunion que les représentants du Minis- tère à Winnipeg poursuivaient sans aucun doute leur action dans la perspective de poursuites judiciaires et qu'ils pensaient recouvrer éven- tuellement d'importants montants d'impôt sur le revenu.
Le rapport du bureau de Winnipeg qui porte sur cette ultime rencontre est daté du 4 octobre 1963. Le 10 octobre 1963, M. Micay a télé- phoné au sous-ministre à Ottawa pour lui faire savoir qu'il était disposé à transiger au nom de son client. La preuve n'indique pas clairement si M. McEntyre avait déjà lu à ce moment-là le rapport du 4 octobre, mais il savait que la réunion avait eu lieu. M. Micay n'a reçu aucun engagement, sinon l'assurance qu'il serait avisé de la décision finale du Ministère.
Peu après cette communication téléphonique, le sous-ministre a procédé à un nouvel examen du dossier et du rapport portant sur la dernière entrevue, et a fixé un rendez-vous à M. Micay pour le 20 décembre 1963. M. Gourlay et M. Potvin (un haut fonctionnaire du Ministère) étaient également présents à ce rendez-vous. Une fois de plus M. Micay a pris des notes très détaillées qui ont été versées à la pièce B 332. Ce qui s'est dit au cours de cette réunion n'est pas non plus réellement contesté. M. McEntyre a indiqué que le montant de la dette fiscale établi par le Ministère avait augmenté depuis la dernière rencontre à Ottawa. A mon avis, M. Micay au cours de cette réunion cherchait sur- tout à savoir si une transaction hors cour pour- rait être obtenue. M. Micay a avancé un chiffre de $400,000, mais M. McEntyre ne s'est engagé en aucune façon. Le sous-ministre a déclaré qu'il estimait qu'une plainte devait être déposée afin qu'un tribunal ait à prononcer une peine. Il a dit qu'il n'était disposé à aucun marchandage dans cette affaire.
Peu après le Ministère a achevé pour l'essen- tiel son enquête sur les années 1945 à 1949 et le Bureau de district a soumis ses chiffres à
Ottawa. Le 6 janvier 1964, M. Micay a eu un entretien avec le contribuable et le comptable, M. Nitikman, au cours duquel on a discuté des intérêts du contribuable dans la New Manitoba Mines Limited (pièce 334).
Une nouvelle réunion entre le sous-ministre et M. Micay a eu lieu à Ottawa le 16 janvier. Cette fois encore M. Gourlay y assistait ainsi que M. Bradshaw, également du Ministère. Le sous-ministre a fait savoir à M. Micay que le total de la réclamation d'impôt dirigée contre l'Eco s'élevait à $156,307 et à $686,000 contre le contribuable, plus $344,000 d'intérêts. Ces chiffres ne comprenaient aucune pénalité. Les chiffres communiqués par le sous-ministre à cette époque englobaient les années 1944 à 1959.
M. Micay a reçu un certain nombre de détails sur l'attitude du Ministère à l'égard de ces chif- fres nettement plus élevés. Il a essayé à nou- veau de discuter une transaction, mais le sous- ministre n'y a pas prêté attention même lorsque. M. Micay a avancé des chiffres qui appro- chaient $600,000. Le sous-ministre et M. Gour - lay ont exprimé l'opinion qu'il appartenait aux tribunaux de trancher cette sorte d'affaire, à savoir, ainsi que je l'entends, la juridiction cri- minelle pour ce qui est de la fraude alléguée et la juridiction civile pour les simples différends relatifs au calcul de l'impôt.
Au cours de cette réunion, comme à toutes les réunions précédentes auxquelles a participé M. Micay, aucune menace n'a été prononcée ni aucune promesse de règlement.
Le 26 février 1964, M. Micay a tenu une nouvelle réunion avec le contribuable et les représentants de son bureau de comptables. M. Walsh y assistait également. On y a discuté à nouveau avec lui la position du contribuable vis-à-vis de la New Manitoba Mines Limited. On se souviendra que le ministère du Revenu national invoquait et avait invoqué une dette fiscale de $250,000 fondée sur les transactions du contribuable avec cette compagnie.
En mars 1964, le ministère du Revenu natio nal a transmis le dossier au ministère de la Justice en lui demandant de le confier à un avocat. Par une lettre du 31 mars 1964, M. C. G. Dilts de Winnipeg a été chargé de procéder à
l'étude du dossier en vue de poursuites judiciai- res, de présenter un rapport et des recomman- dations au ministère de la Justice. Le contribua- ble a été avisé par une lettre du ler avril 1964 de la communication du dossier à l'avocat. M. Dilts a commencé à travailler sur les documents à la fin du mois de mars 1964 et, dès ce moment, a consacré beaucoup de temps à cette affaire.
Le 8 avril 1964, il a communiqué au ministère de la Justice un rapport provisoire indiquant qu'il avait passé un certain temps à étudier les documents du Ministère. Il a exprimé alors l'o- pinion que la preuve qu'il avait examinée justi- fiait pleinement que l'on dépose une plainte contre le contribuable, la Eco et éventuellement la femme du contribuable. Le 22 avril 1964, il a présenté au ministère de la Justice un nouveau rapport qui commentait des démarches effec- tuées le 7 avril 1964 au nom du contribuable, auprès du sous-ministre, par un bureau d'avo- cats de Toronto.
Dès le 22 juin 1964, M. Dilts avait examiné en détail 90% des éléments de preuve que pos- sédait le Ministère et avait décidé de recom- mander qu'une plainte soit déposée en vertu de l'article 132(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu: dissimulation volontaire de matière imposable. Vers la même date, il a rencontré à Winnipeg M. Gourlay et M. J. M. Bentley de la Section du droit criminel du ministère de la Justice afin de tâcher de distinguer parmi les diverses rubriques, celles qui devaient faire l'objet de poursuites et celles qui feraient seule- ment l'objet d'une nouvelle cotisation. M. Dilts savait que le délai expirait en août et M. Gour - lay voulait qu'on lui remette la plainte envisagée avant le l er août 1964.
Jusqu'à ce moment-là, M. Dilts n'avait jamais rencontré le contribuable ou ses représentants, bien qu'il ait été en rapport avec MM. Micay et Dubin, un avocat de Toronto dont les services, semble-t-il, avaient été retenus par le contribua- ble par l'intermédiaire de M. Micay en avril 1964. M. Dilts s'était refusé à discuter l'affaire car il n'en avait pas terminé l'examen.
Le 24 juin 1964, M. Walsh s'est rendu au bureau de M. Dilts. Ni l'un ni l'autre n'ont pris de note de ce qui s'est dit au cours de leur première rencontre. Tous deux se sont montrés
d'excellents témoins et ils font preuve l'un pour l'autre de la plus haute considération. M. Walsh ne se rappelle pas exactement pourquoi il a décidé de rencontrer M. Dilts. Il se peut qu'il ait rencontré M. Gourlay qui était à Winnipeg vers cette époque ou qu'il ait entendu dire que M. Dilts travaillait sur les aspects contentieux de cette affaire. Quoi qu'il en soit, M. Dilts lui a dit qu'il était en train de rédiger des plaintes contre le contribuable et la Eco.
M. Walsh s'est montré préoccupé de la publi- cité qui résulterait de la simple déposition de plaintes, et qui signifierait probablement la fin de la carrière politique du contribuable, sans compter le tort qu'elle causerait à sa famille. M. Walsh lui a demandé si la question pouvait faire l'objet d'une transaction et M. Dilts, bien qu'il n'entretînt que peu d'espoir, lui a répondu qu'il lui fallait demander des instructions à Ottawa.
A mon avis, M. Dilts a retiré l'impression de son entretien avec M. Walsh que le contribuable pouvait être disposé à reconnaître l'intégralité de sa dette fiscale.
Le lendemain, le 25 juin 1964, M. Dilts a téléphoné à MM. Bentley et Gourlay à Ottawa. Il a instruit M. Gourlay de la rencontre qu'il avait eue avec M. Walsh. M. Gourlay lui a répondu qu'il lui faudrait en parler au sous- ministre et lui a indiqué qu'à son avis une transaction pouvait être envisagée à certaines conditions. Les conditions suggérées étaient les suivantes: le contribuable et la Eco accepte- raient les chiffres du Ministère, aucun détail ne leur serait communiqué et ils devraient renon- cer à leur droit d'interjeter appel des nouvelles cotisations. M. Gourlay estimait également qu'un engagement par écrit serait nécessaire avant qu'il ne puisse discuter l'affaire avec le sous-ministre.
M. Dilts a téléphoné à M. Walsh et l'a briève- ment informé de la conversation qu'il avait eue avec M. Gourlay. Il a également indiqué à M. Walsh que le chiffre global en cause serait de l'ordre de $1,200,000. Le 26 juin 1964, M. Walsh a rencontré M. Dilts. Ce dernier lui a indiqué qu'aucune décision n'avait été prise, mais que l'on était prêt à prendre une offre en considération et qu'il désirait que le contribua-
ble et M. Walsh lui remettent un engagement écrit.
M. Walsh a rédigé un projet d'engagement écrit qui, ainsi qu'il ressort de la preuve, a été quelque peu révisé par M. Dilts avant d'être revu à nouveau par M. Walsh. Le texte définitif a été dactylographié dans le bureau de M. Walsh. On avait fixé comme date limite le 2 juillet 1964 et c'est à cette date que l'engage- ment par écrit a été signé. En voici le texte:
[TRADUCTION] M. C. Gordon Dilts, Avocat,
503 Electric Railway Chambers, WINNIPEG (Manitoba).
Monsieur Dilts,
Objet: Affaire Mark Gerald Smerchanski et
Eco Exploration Company Limited
(sans responsabilité personnelle)
Nous, Mark Gerald Smerchanski et Harry Walsh, nous engageons inconditionnellement, conjointement et solidaire- ment par les présentes, à payer en espèces la totalité de la dette d'impôt sur le revenu de M. Mark Gerald Smerchanski et de la Eco Exploration Company Limited (sans responsa- bilité personnelle), y compris les intérêts et pénalités, rela tive aux années 1945 à 1959 incluses, telle qu'elle sera fixée par le ministère du Revenu national; le paiement sera effec- tué dès que le Ministère nous aura fait connaître le montant de cette dette. Il est entendu et convenu que nous accepte- rons et approuverons le montant total de cette dette sans aucune réserve et sans en demander le détail au ministère du Revenu national. Il est également entendu et convenu que M. Mark Gerald Smerchanski supportera personnelle- ment le paiement de la totalité de la dette mise à la charge de la Eco Exploration Company Limited (sans responsabi- lité personnelle).
Nous, Mark Gerald Smerchanski et la Eco Exploration Company Limited (sans responsabilité personnelle) renon- çons en outre inconditionnellement à tout droit d'interjeter appel des cotisations ou nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu dès à présent établies ou sur le point d'être établies par le ministère du Revenu national pour lesdites années.
La présente lettre vaut également confirmation du fait que tous les avocats et comptables dont les services ont été retenus pour M. Mark Gerald Smerchanski et la Eco Exploration Company Limited (sans responsabilité person- nelle) ou en leur nom, ont pris connaissance du contenu de la présente lettre, lui ont donné leur approbation et sont disposés à s'estimer liés par elle dans la limite de son applicabilité.
Il est en outre entendu et convenu que les engagements contenus dans cette lettre lient les héritiers, exécuteurs testamentaires et administrateurs judiciaires de M. Mark Gerald Smerchanski et les successeurs et ayants droit de la
Eco Exploration Company Limited (sans responsabilité personnelle).
FAIT à Winnipeg (Manitoba), en ce deuxième jour de juillet 1964.
«M. G. Smerchanski.
«Harry Walsh»
Pour la ECO EXPLORATION COMPANY
LIMITED
(SANS RESPONSABILITÉ PERSONNELLE)
«P. N. Smerchanski.
Président
«Phillip Smerchanski.
Secrétaire.
M. Walsh a déclaré en toute franchise dans sa déposition qu'on ne leur avait nullement promis que des poursuites ne seraient pas engagées, bien que tous les intéressés pensassent manifes- tement que si les termes de l'engagement étaient respectés les poursuites n'auraient probable- ment pas lieu.
Il n'est pas douteux que le contribuable a été instruit par M. Walsh des discussions que ce dernier avait entamées avec M. Dilts le 24 juin 1964. M. Micay a également été tenu au courant.
Les documents du 10 juillet 1964, dont nous avons déjà fait état dans ces motifs, ont été signés ce jour-là en présence de M. Walsh.
Au début des discussions entre M. Dilts et M. Walsh, la question des détails a été soulevée et M. Walsh a déclaré que son interlocuteur lui avait fait savoir que selon les instructions qu'il avait reçues, aucun détail ne devait être fourni. M. Walsh en a informé le contribuable et je rejette l'insinuation de ce dernier selon laquelle il n'en aurait pas été ainsi.
M. Walsh se souvient fort bien que le contri- buable et lui-même ont convaincu une banque d'ouvrir ses portes le jour de la fête du l er juillet 1964, afin que M. Smerchanski puisse prendre les dispositions nécessaires pour réunir la somme de $1,200,000, soit le chiffre maximum indiqué par M. Dilts. Les montants qui figurent pour chaque année dans le document du 10 juillet 1964 ont été finalement arrêtés par M. Dilts après discussion avec les représentants de Winnipeg afin de déterminer quelles rubriques faisaient intervenir une présentation erronée motivant l'imposition d'une pénalité et quelles
autres rubriques étaient seulement l'affaire d'une nouvelle cotisation.
Dans une lettre du 8 juillet 1964, M. Dilts adressait à M. Walsh les avis de nouvelles coti-
sations pour les années 1945 1959 incluses, les documents qui ont finalement été signés le 10 juillet 1964 et un projet d'autorisation relatif aux $200,000 payés antérieurement au Rece- veur général.
Je reviens maintenant à l'affirmation du con- tribuable selon laquelle la signature de l'engage- ment écrit et des documents du 10 juillet 1964 a été obtenue de lui par pressions ou contrainte, ce qui rendrait ces documents annulables. Le contribuable déclare qu'il a rencontré M. Walsh à la fin du mois de juin 1964 et que ce dernier lui a appris que M. Dilts se disposait à le pour- suivre par voie de mise en accusation. Le con- tribuable a déclaré avoir été «surpris et aba- sourdi». Je ne puis pas accepter cette déclaration. Je suis sûr qu'il redoutait que ce qui s'était dessiné dans le lointain depuis si long- temps fût alors sur le point d'arriver. A mon avis, le contribuable savait, dès la réunion d'août 1963 avec le sous-ministre à Ottawa, que le ministère entendait poursuivre et rien n'a été dit, au cours des rencontres ultérieures à Ottawa que j'ai mentionnées, qui ait pu lui faire croire qu'il n'y aurait pas de poursuites. J'ac- cepte son témoignage selon lequel ses nom- breux conseillers, y compris M. Micay, l'assu- raient de temps en temps qu'ils avaient en vue la possibilité d'une transaction.
Le 25 juin 1964, le contribuable a rencontré M. Walsh. Ce dernier lui a fait savoir qu'une transaction était possible, moyennant une somme d'environ $1,200,000, sans quoi il serait poursuivi par voie de mise en accusation. Il décrit l'avis que lui ont donné ses conseillers juridiques comme un ultimatum: [TRADUCTION] «signez ou allez en prison.» Si «ultimatum» il y a eu, il ne venait pas du Ministre ni de l'un de ses représentants. Le contribuable était entouré de conseillers juridiques compétents qui voyaient manifestement qu'il avait de sérieux ennuis.
Le contribuable a reconnu avoir signé l'enga- gement écrit daté du 2 juillet 1964, avoir conclu un arrangement avec la banque le ler juillet,
anniversaire de la Confédération, et avoir signé les documents du 10 juillet 1964.
Il déclare qu'il s'estimait injustement traité et qu'il aurait recevoir quelque explication ou une ventilation de la cotisation établie par le Ministre.
D'un autre côté, les dépositions de MM. Micay et Walsh sont claires à cet égard. M. Micay savait à l'issue de ses rencontres avec le sous-ministre quels étaient le montant de la dette fiscale réclamée par le Ministère et les grandes rubriques qui la composaient. M. Micay a eu plusieurs entretiens avec son client avant les événements de la fin juin et de juillet. J'ai déjà mentionné deux de ces réunions au cours desquelles on a parlé de la New Manitoba Mines Limited et je présume que la situation générale du contribuable au regard du fisc a été débattue à ces occasions. M. Micay déclare que tant M. Walsh que lui-même ont conseillé le contribuable sur les accords de juillet 1964. De l'avis de M. Micay, et selon ses déclarations telle était également l'opinion de M. Walsh, si le contribuable avait été poursuivi, il aurait été reconnu coupable de fraude et serait allé en prison. Je reproduis sa déposition:
[TRADUCTION] Q. Vous avez déclaré que vous pensiez que M. Smerchanski serait reconnu coupable sur la base de la preuve de la Couronne, sont-ce vos propres termes?
R. Non, j'ai dit, ou je pensais, que si la poursuite par voie de mise en accusation était maintenue, il serait reconnu coupable et irait en prison, oui.
Q. Était-ce motivé par votre examen de la preuve?
R. Je me fondais sur tout ce que nous savions de l'affaire à ce moment-là.
Q. Ce dont je cherche à m'assurer, c'est si vous aviez examiné certains documents avec le Ministère?
R. J'ai entendu les prétentions du Ministère. J'ai entendu ce qu'il avait à dire à leurs propos et cela concordait avec notre opinion unanime. C'est pour cela que nous étions là-bas.
Q. Par conséquent ce que vous dites, si je peux le présen- ter ainsi, c'est que, à supposer que ces allégations fussent exactes, telle serait votre conclusion?
R. Je vous dis, Monsieur, que ..
SA SEIGNEURIE: Vous n'êtes pas loin de faire le con- tre-interrogatoire de votre client. Je pense que j'ai compris sa réponse. Pour moi, il est tout à fait clair qu'il a entendu les prétentions du Ministère et si l'on se fonde sur ses déclarations, ce n'est pas ce qu'a dit M. Smerchanski.
LE TÉMOIN: Je voudrais vous faire sentir que M. Walsh était l'homme-clé sur cet aspect de l'affaire et, de fait, sur ce point, son opinion avait plus de poids que la mienne. Il se trouve qu'elles coïncidaient, mais vous aurez l'occasion d'approfondir cette question avec lui.
M. IRVING: Q. J'essaie de comprendre ce qui fondait
cette opinion?
R. Tout ce que nous savions de l'affaire.
Q. C'est-à-dire?
R. La plupart de ce que vous avez entendu ici aujour- d'hui. Les explications qui nous ont été données, dont toutes n'ont pas été lues, les rencontres que nous avons eues ...
SA SEIGNEURIE: Les explications de qui?
LE TÉMOIN: De notre client. C'est-à-dire, les préten- tions qui ont été émises en présence de ses experts comptables et la mesure dans laquelle elles sont res- tées sans réponse, ou les réponses qui ont été appor- tées. Il n'y avait pas de doute dans mon esprit, pas plus que dans celui de M. Walsh, et nous avons tous deux déclaré à M. Smerchanski qu'à notre avis il serait reconnu coupable et irait en prison si l'affaire suivait son cours.
M. IRVING: Q. Avez-vous étudié les documents sur les- quels se fondaient ces prétentions?
R. Non, je vous ai donné une réponse complète sur ce point, M. Irving. Nous avons étudié tout ce que nous savions de l'affaire et ils ne nous communiquaient que certaines choses, ce dont nous nous plaignions, mais nous en avions entendu assez pour nous convaincre de ce que serait l'issue, à notre avis, et c'est ce que nous avons déclaré à notre client.
M. IRVING: C'est très bien, merci.
Le témoignage de M. Walsh est le suivant:
[TRADUCTION] SA SEIGNEURIE: Et nous parlions ici d'une somme d'argent très, très importante. Dans une de ses réponses, M. Micay a déclaré qu'en se fondant sur ce qu'il avait entendu des prétentions du Ministère et sur les déclarations de M. Smerchanski, il estimait que le risque était grand que des poursuites aient pour résultat la déclaration de culpabilité de votre client, et il a ajouté que M. Walsh était du même avis.
LE TÉMOIN: Je l'étais et je le suis toujours, Milord.
SA SEIGNEURIE: Si je vous comprends bien, vous saviez, sinon en détail, du moins les principales pré- tentions du Ministère et vous aviez également pu, ainsi que M. Micay, profiter des discussions que vous avez eues sur ces points avec votre client?
LE TÉMOIN: Ce que je savais de ce grand risque, je ne le tenais pas tant de M. Smerchanski que de la réunion qui a eu lieu en octobre 1963 et qui a duré 6 heures au cours desquelles j'ai écouté les prétentions que l'on présentait.
SA SEIGNEURIE: C'est donc pour partie ce qui vous a conduit à conclure que votre client courait un grand risque?
LE TÉMOIN: Oui, le risque était grand, non seulement du point de vue de la publicité défavorable à M. Smerchanski et du coup terrible que devait lui porter le procès, même s'il était acquitté, mais il courait également le risque d'être condamné, ce qui signifie, sur mise en accusation, deux mois d'emprisonnement au minimum.
SA SEIGNEURIE: Et c'est sur cette base, après avoir considéré toutes ces questions, que vous lui avez recommandé de signer ces documents?
LE TÉMOIN: Oui, Milord.
Je fais remarquer ici qu'au cours de l'au- dience, le privilège de client à procureur a été abandonné.
Il nie semble qu'en ce qui concerne les événe- ments qui sont intervenus au début de juillet 1964, le principal grief du contribuable était qu'on ne lui avait pas fourni le détail des chif- fres avancés par le Ministère. A mon avis, M. Walsh l'avait averti qu'il ne recevrait pas de détails et, tout en le sachant, il a néanmoins signé l'engagement écrit et les documents du 10 juillet 1964.
Il n'y a, à mon sens, aucune preuve pour étayer le moyen selon lequel le Ministère ou l'un quelconque des représentants qui ont eu affaire à ce que j'appellerai le dossier Smer- chanski auraient exercé pressions ou contrainte. Au cours du contre-interrogatoire, le contribua- ble a reconnu qu'il ne pouvait désigner per- sonne. Il a vaguement mentionné les représen- tants du Ministère à qui sont imputables les stipulations des documents qu'il a signés. Le contribuable n'était, pas plus qu'il ne l'est aujourd'hui, ni naïf, ni ignorant. Il savait que des accusations graves étaient portées contre lui et il savait manifestement que certains points, pour le moins, ne pouvaient être expliqués. Je cite une fois de plus l'exemple du défaut de déclaration des intérêts hypothécaires.
A mon avis, il a reçu des avis juridiques éclairés, les a acceptés, et a agi en conséquence.
Je passe maintenant à ce que l'avocat du contribuable a décrit comme le point fort de sa thèse: l'affirmation que les documents ou con- sentements du 10 juillet 1964 sont contraires à
l'ordre public et aux bonnes moeurs, en ce sens que le Ministre n'avait aucun pouvoir pour sti- puler de telles conditions, en particulier la renonciation au droit d'appel.
Les consentements du 10 juillet 1964 pré- voyaient en substance que:
(1) le contribuable approuvait les montants de chaque nouvelle cotisation et reconnaissait qu'ils englobaient impôt, intérêts et pénalités;
(2) le contribuable admettait expressément être débiteur de ces montants;
(3) le contribuable renonçait expressément à tout droit d'appel.
Dans l'engagement par écrit, il a expressé- ment accepté de ne demander le détail d'aucune des nouvelles cotisations. C'est aujourd'hui l'un des motifs qu'il invoque pour tenter de faire appel des nouvelles cotisations. Cette préten- tion me semble non-fondée. Aucune disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu n'oblige le Ministre à donner le détail d'une cotisation ou d'une nouvelle cotisation.
Il me semble que la situation était la suivante: le Ministre, dans l'affaire Smerchanski, avait plusieurs possibilités. Il pouvait engager des poursuites en vertu de l'article 132(1)d) de la Loi par voie de mise en accusation ou de décla- ration sommaire de culpabilité. Les poursuites envisagées ne devaient pas embrasser l'ensem- ble du revenu que le Ministère jugeait imposa- ble, mais seulement la partie du revenu à l'égard de laquelle on estimait que la dissimulation volontaire de matière imposable ou la tentative de dissimulation de matière imposable pouvait être établie avec certitude. Une autre voie était ouverte au Ministre; il pouvait établir une nou- velle cotisation en vertu de l'article 46 de la Loi et fixer des pénalités en vertu de l'article 56(1) de la Loi sur la part de l'impôt à l'égard de laquelle on estimait qu'il y avait eu dissimula tion volontaire de matière imposable.
Dans cette espèce, le contribuable, par l'inter- médiaire de M. Walsh, agissant à ce que l'on pourrait appeler la onzième heure, alors que les poursuites étaient sur le point de commencer, a entrepris la soi-disant transaction. Il l'a fait sans y être invité par quiconque lié de près ou de loin au ministère du Revenu national ou au ministère de la Justice. Ainsi que l'a déclaré M. Gourlay,
cela constituait, du point de vue du Ministère, le premier indice d'un changement dans l'attitude du contribuable. Étant donné le nombre des conseillers, comptables et juristes, agissant pour le contribuable, en particulier au printemps et au début de l'été 1964, et la série de démarches et de requêtes visant à obtenir l'accès à tous les registres, il m'apparaît que le Ministère n'était pas disposé à envisager des poursuites dans le cadre des articles 46 et 56, moins que l'affaire pût être complètement et définitivement réglée.
A mon avis, le Ministre, par ses représen- tants, a tout simplement communiqué au contri- buable (par l'intermédiaire de M. Walsh) un certain nombre de conditions essentielles qui seraient prises en considération si elles rece- vaient son accord. Les conditions essentielles étaient la reconnaissance de dette et la renon- ciation au droit d'appel. Je répète que le témoi- gnage de M. Walsh était sans équivoque: aucune promesse n'a été faite au nom du Minis- tre en vertu de laquelle il n'y aurait pas de poursuites si les conditions étaient remplies.
En fait, le Ministre, après avoir étudié l'enga- gement signé par le contribuable et M. Walsh, a décidé de régler l'ensemble de l'affaire en recourant aux articles 46 et 56: nouvelle cotisa- tion englobant l'impôt, les intérêts et les pénalités.
Le contribuable a accepté de renoncer à ses droits de faire appel de toutes nouvelles cotisa- tions et, ainsi que le montre l'historique de l'affaire, en pleine connaissance de cause et avant toute décision du Ministre. Il a signé l'engagement écrit le 2 juillet 1964. Entre cette date et le 10 juillet 1964, le Ministre, considé- rant que cette promesse et les autres seraient respectées, a pris la décision que j'ai exposée ci-dessus. Le contribuable a alors renoncé expressément à ses droits d'appel par les con- sentements du 10 juillet.
A mon avis, le droit du contribuable de faire appel des nouvelles cotisations n'est pas un droit d'ordre public, les dispositions relatives à l'appel contenues dans la Loi n'étant pas des dispositions d'ordre public. Je suis également d'avis qu'un contribuable peut renoncer à ce droit, et tel fut le cas dans cette espèce. Dans l'arrêt Griffiths c. The Earl of Dudley (1882) 9
Q.B.D. 357, la Cour a jugé qu'un contrat par lequel un ouvrier acceptait expressément de ne pas réclamer d'indemnité pour préjudice per sonnel dans le cadre de la Employees Liability Act de 1880, n'était pas contraire à l'ordre public. Dans l'arrêt Toronto c. Russell [1908] A.C. 493, le Conseil privé a décidé que le contribuable pouvait renoncer à une disposition d'un règlement fiscal municipal prescrivant l'en- voi d'un avis de vente de biens en cas d'arriérés d'impôt. Je cite ci-dessous un passage du som- maire de l'arrêt Crédit Foncier Franco-Cana- dien c. Edmonton Airport Hotel Co. (1964) 43 D.L.R. (2 e ), p. 174:
[TRADUCTION] Bien que l'article 34 (17) et (18) du Judica ture Act, R.S.A. 1955, c. 164, interdit au créancier d'une hypothèque foncière de poursuivre l'exécution d'un engage ment personnel de payer et limite ses droits sur le terrain, le garant de la dette peut renoncer au bénéfice de cette dispo sition, car le législateur n'avait pas en vue l'intérêt public ou une disposition d'ordre public, mais l'intérêt privé de ceux que la Loi cherche à protéger.
Bien que dans ces affaires, les faits soient différents de ceux de la présente espèce, je pense que les principes débattus dans celles-là sont applicables dans celle-ci.
Au début de l'instance, l'avocat du contribua- ble a déclaré qu'il abandonnerait tous moyens fondés sur le fait que les consentements du 10 juillet étaient nuls puisqu'ils impliquaient que l'on étouffe l'affaire. M. Irving a très franche- ment exprimé l'opinion qu'il n'y avait pas de preuve à l'appui d'une telle affirmation. Tel est également mon avis.
On a prétendu à un certain moment au cours de l'audience que les avis de nouvelles cotisa- tions relatifs aux années en question n'avaient pas été adressés ou délivrés au contribuable en personne et que, par conséquent, le Ministre ne s'était pas strictement conformé à la Loi. Cette prétention n'a pas été reprise dans la plaidoirie finale. Quoi qu'il en soit, il ressort clairement de la preuve que les cotisations ont été remises le 8 juillet 1964 à M. Walsh, l'avocat du contribua- ble, et que ce dernier en a expressément accusé réception dans les documents du 10 juillet 1964. Je rejette cette objection.
Comme je l'ai déjà indiqué dans ces motifs, j'ai conclu au rejet de ces appels.
Cependant, on a avancé un argument supplé- mentaire au nom de l'intimé à l'appui de sa thèse selon laquelle le contribuable n'a aucun droit à maintenir les présents appels. On invo- que que le contribuable, du fait de sa propre conduite, s'est fermé ce recours. Pour pouvoir juger de cette affirmation, il convient de souli- gner certains autres faits. Après avoir signé les documents du 10 juillet 1964, le contribuable a demandé qu'on lui restitue tous ses registres. Il lui ont été remis le 20 juillet 1964. Le 28 août 1964 est passé sans qu'aucune plainte ne soit déposée contre le contribuable. Des avis d'op- position ont été signifiés dans le délai de 90 jours prévu par l'article 58(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ils sont datés du 5 octobre 1964. Des avis d'appels à la Cour de l'Échiquier ont été déposés le 22 février 1965.
Afin de préparer ces appels, les parties ont convenu en novembre 1966 que tous les regis- tres pertinents du contribuable seraient dépo- sés, sous la surveillance conjointe des appelants et de l'intimé, dans une pièce du Mall Building à Winnipeg. Au cours de la préparation des appels, on s'est aperçu qu'un bon nombre de documents manquaient, dont certains, du point de vue de l'intimé, étaient très révélateurs. Quelques uns ont été finalement retrouvés, mais ce n'est pas le cas de la plupart d'entre eux. J'ai déjà dit qu'au cours de leur enquête, les agents du Ministère avaient photocopié un nombre important de documents et de registres. Ces photocopies avaient été conservées.
L'intimé rend le contribuable responsable de l'absence de ces documents. Je ne conclus pas sur ce point.
Dix-sept journaux personnels tenus par le contribuable étaient au nombre des documents et registres initialement saisis. Il s'agissait de journaux ou d'agendas du type de ceux que l'on trouve sur de nombreux bureaux d'hommes d'affaires et qui comportent une page pour chaque jour de l'année et des pages supplémen- taires. Dans l'espèce, ces journaux personnels étaient relatifs aux années qui font l'objet de notre examen. Ils contiennent de nombreuses inscriptions et annotations qui, d'une manière générale, sans l'être toujours, sont rédigées au présent et semblent avoir été écrites sur le
moment. Quelque temps après que les registres aient été placés sous surveillance, on a décou- vert, en les comparant avec des photocopies antérieures, qu'un nombre important d'ajouts figuraient sur ces journaux, que certaines notes dactylographiées qui y avaient été collées à l'origine manquaient, de même que certaines pages. Le contribuable nie avoir retiré notes ou pages, mais il admet avoir fait les ajouts. Deux importants volumes contenant des photocopies de nombreuses pages originales d'agendas et les pages surchargées ont été produits comme pièces (A 342 et A 351). Cette dernière pièce a été constituée après le début de l'audience.
Le contribuable déclare avoir fait ces ajouts en 1965 et 1966 après consultation d'autres personnes (principalement son frère Phillip, aujourd'hui décédé) qui ont rafraîchi sa mémoire ou possédaient des documents concer- nant des questions traitées dans les pages origi- nales, ou qui n'y figuraient pas. Il a déclaré que les additions constituaient en fait la constatation fidèle de faits réels et il ne pensait pas en inscrivant ces ajouts faire quoi que ce soit qui puisse être interprété comme fautif. S'il l'a fait, dit-il, c'est pour tenter de rétablir la chronologie des événements et il n'entendait pas induire en erreur ou donner l'impression d'avoir inscrit ces notes sur le coup.
Le Ministre prétend avoir été induit en erreur par ces additions en raison de la façon dont elles ont été faites. Il affirme en outre, et ceci est vrai, que la femme et le comptable du con- tribuable ont, au cours de l'examen préalable, apporté, au nom de ce dernier, certains élé- ments de preuve étayés par des annotations, figurant sur des pages d'agendas, qui se sont avérées être des inscriptions ajoutées plusieurs années plus tard par le contribuable. Le contri- buable a déclaré qu'il n'avait pas, avant l'exa- men préalable, dit à sa femme ou à son compta- ble qu'il avait fait des ajouts sur ces agendas. Il est hors de doute que le comptable du contri- buable n'en savait rien.
Je ne me propose pas d'examiner l'ensemble de la preuve relative à la façon dont ces addi tions ont été faites, ou aux explications du contribuable. Au cours de l'examen préalable et à l'audience, on a demandé au contribuable comment il avait obtenu les renseignements jus-
tifiant ces ajouts, au bénéfice de qui il les destinait et quel était son but; les explications qu'il a données sont, à mon sens, contradictoi- res et insatisfaisantes. La plupart des additions et insertions sont écrites au présent et, dans de nombreux cas également, sont insérées sur la page à un endroit ou elles modifient le sens de ce qui y figurait originairement, ou conduisent à une conclusion différente de celle que l'on aurait formulée à la lecture de la page originale. Je ne mentionnerai qu'un exemple général. De nombreuses annotations, dans leur forme origi- nale, pouvaient conduire à la conclusion que le contribuable avait pris une part active au lance- ment des actions de la New Manitoba Mines Limited. En 1963 et 1964, le contribuable a appris que, selon le Ministre, il était débiteur d'un impôt très important à propos des affaires de la New Manitoba. Le contribuable a pré- tendu le contraire. Je n'ai pas entendu toute la preuve relative aux prétentions concernant la New Manitoba et il se peut par conséquent que la thèse exacte soit celle du contribuable. Mais, à mon avis, les notes qui ont été ajoutées, ont été insérées pour donner l'impression qu'elles avaient été inscrites à l'époque et afin de laisser à penser au lecteur des pages concernées, telles qu'elles apparaissent aujourd'hui, que le contri- buable ne pouvait pas être qualifié de promoteur.
J'en conclus que, quelles que puissent avoir été les autres raisons de ces ajouts, l'un des buts de leur inscription dans les agendas était de donner l'impression qu'ils avaient été faits sur le moment et, partant, d'étayer ou d'appuyer les moyens de défense relatifs à certaine matière que le Ministre prétendait imposable.
La position de l'intimé sur la question de cette fin de non-recevoir doit être exposée de la façon suivante:
1. en donnant son accord le 10 juillet, le contribuable a conduit le Ministre à penser qu'il n'y aurait pas d'appel dirigé contre les nouvelles cotisations;
2. se reposant sur cette promesse et sur le comportement du contribuable manifesté par le paiement des cotisations d'impôt, le Minis- tre n'a pas intenté de poursuites et a restitué tous les dossiers;
3. selon le Ministre, le délai prévu pour les poursuites était expiré avant que la procédure d'appel ne soit entamée;
4. par les ajouts portés sur les agendas, le contribuable a essayé de créer un état de fait fallacieux ou faux dans le cadre des présents appels.
Il ne me semble pas nécessaire de déterminer si les allégations qui précèdent constituent en droit une fin de non-recevoir motivée par la conduite du contribuable. J'ai déjà exposé d'au- tres motifs qui m'ont conduit à penser que ces appels doivent être rejetés. Cependant, étant donné que ce jugement peut fort bien faire l'objet d'un appel, et en raison de l'importance de la preuve, tant écrite qu'orale, qui porte sur ces agendas, il m'est apparu nécessaire d'expo- ser mon opinion et mes conclusions à cet égard.
Il convient maintenant de se prononcer sur un second point important. Étant donné ce que j'ai déjà écrit, il n'est pas nécessaire, au sens strict, de se prononcer à cet égard, mais, au cas la conclusion que j'ai exprimée ci-dessus serait erronée, il me faut en traiter, afin qu'il puisse être également examiné en appel si cela s'avère nécessaire.
Afin de justifier les nouvelles cotisations pour les années en question (c'est-à-dire, pour remonter au-delà du délai de quatre ans prévu par l'article 46(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu), le Ministre devait prouver à l'audience une présentation erronée pour chacune de ces années. L'avocat a reconnu que la présentation erronée prétendue de bonne foi, même si elle n'excédait pas $1 dans une année, suffisait à rouvrir le dossier de cette année, et que les nouvelles cotisations établies en conséquence pouvaient s'étendre non seulement aux sommes dont on estimait qu'elles avaient fait l'objet d'une présentation erronée par le contribuable, mais également à d'autres sommes pour lesquel- les il pouvait n'y avoir eu aucune présentation erronée, ainsi de la distinction entre gain en capital et revenu.
A l'audience, le Ministre a donné des exem- ples de présentation erronée pour chaque année divers titres) et il a fourni des preuves à l'appui de ses affirmations. A l'issue de l'exposé du Ministre relatif à la validité du consentement
et à la question de la réouverture du dossier de chaque année d'imposition, l'avocat des appe- lants a admis qu'une présentation erronée (au sens défini ci-dessus) avait été prouvée à l'égard du contribuable et a déclaré que son client lui avait demandé de ne pas contester la réouver- ture des dossiers relatifs aux années qui ont fait l'objet de nouvelles cotisations dirigées contre la Eco. Il a par contre nié au Ministre le droit d'établir à l'égard du contribuable de nouvelles cotisations, pour les années 1945 à 1951. Sa réponse fut succincte. Les originaux des décla- rations fiscales adressées au Ministère pour les années en question ont été détruits, conformé- ment à la pratique du Ministère en matière d'élimination des dossiers. Pour se conformer à l'article 46(4)a)(1), le Ministre doit démontrer que «... le contribuable ... a fait ... une présentation erronée ... en produisant la décla- ration ...» Il doit par conséquent, à mon avis, présenter la déclaration qui a été effectivement produite, ou prouver sa production et la présen- tation erronée qu'elle comportait.
Dans l'espèce, il y avait, au nombre des docu ments saisis chez le contribuable, des copies de ce qui s'est révélé être les déclarations effecti- vement produites pour les années 1945 1951. Selon la preuve apportée au nom du Ministre, les représentants du Ministère ont examiné ce que j'appellerai les copies (qui contenaient des avis de cotisation et parfois même des avis de nouvelle cotisation et des reçus) et ont recoupé tous les chiffres qui figuraient sur ces docu ments avec les fiches que conserve le Ministère. Ces fiches faisaient défaut à l'instruction, mais selon leurs déclarations, les représentants du Ministère étaient convaincus après recoupe- ment que les copies trouvées en la possession du contribuable étaient selon toute probabilité des copies conformes des déclarations origina- les. Au cours de l'interrogatoire principal, le contribuable a donné des éclaircissements sur les copies des déclarations en question. Sa signature figurait sur toutes les copies à l'excep- tion de celle relative à l'année 1951. Il a déclaré en toute franchise que ces documents étaient très probablement des copies au carbone ou des copies conformes des déclarations adressées au Ministère, mais qu'il ne pouvait jurer de leur exactitude. Il ressort, de la preuve apportée par les représentants du Ministère qui ont effectué
la vérification, et des déclarations du contribua- ble, que le Ministre a fourni la preuve, selon toute probabilité, du contenu des déclarations relatives aux années en question.
J'en ai maintenant fini avec les deux ques tions préliminaires. Les parties ont convenu, avec mon approbation, que l'une et l'autre auraient le droit, si elles le désirent, d'interjeter appel de ce jugement (nonobstant le fait que tous les moyens n'ont pas été entendus) à la Division d'appel et à la Cour suprême du Canada. Il a été en outre convenu, avec mon approbation, que si le résultat définitif d'un éventuel appel était favorable aux contribua- bles, je serais saisi de l'affaire et je reprendrais l'audience pour me prononcer sur l'exactitude des nouvelles cotisations.
Au cours de la présente audience, le contri- buable (selon ce qui avait été convenu) n'a pas présenté de preuve dirigée contre les différentes rubriques qui constituent les cotisations. L'in- terrogatoire principal auquel lui-même et d'au- tres témoins parlant en son nom ont été soumis, n'a porté que sur les deux questions que j'ai tranchées.
J'ajoute encore quelques mots à un jugement déjà trop long. J'ai présenté quelques conclu sions particulières quant à la crédibilité des dires du contribuable. Celle-ci a fait l'objet, au cours de l'audience, d'une attaque virulente de la part de l'intimé, mais, étant donné que je n'ai entendu qu'une partie de la preuve et qu'il peut se faire que j'aie à entendre et à me prononcer sur le reste à l'avenir, j'ai essayé de ne pas exprimer de conclusions définitives, de ne pas trancher la question générale de la crédibilité dès maintenant. Je dois souligner, pour rendre justice au contribuable dont la parole et les mobiles ont été, comme je l'ai dit, vivement mis en cause, qu'il a renoncé à exiger du Ministre la preuve formelle et technique d'un grand nombre de documents, qu'il a renoncé au privilège de client à procureur vis-à-vis de MM. Walsh et Micay et que, cette procédure s'étant déroulée devant moi à huis clos à la requête du contri- buable, il a consenti à ce que ces motifs soient rendus publics.
Les présents motifs s'appliquent à l'appel de la Eco. Les appels sont par conséquent rejetés. Les frais sont à la charge de l'appelant.
I L'article pertinent de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoyait alors (en 1964) qu'un contrevenant déclaré coupa- ble après mise en accusation était passible d'une peine minimum de deux mois d'emprisonnement, sans préjudice de toute autre peine ou amende.
2 L'article 136(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu dispose:
Une dénonciation ou une plainte en vertu des dispositions du Code criminel relative aux déclarations sommaires de culpabilité à l'égard d'une infraction à la présente loi peut être déposée ou faite à ou avant une date survenant cinq ans après que le sujet qui a donné lieu à la dénonciation ou à la plainte a pris naissance, ou dans l'année qui suit le jour une preuve suffisante, de l'avis du Ministre, pour justifier une poursuite relative à l'infraction, est venue à sa connaissance... .
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