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Jean Maurice Koenig (Appelant)
c.
Le ministre des Transports (Intime)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Thurlow et le juge suppléant Perrier—Montréal, les 14, 15, 16, 17 juin 1971.
Pilotage—Suspension de brevet—Faute ou prévarica- tion—Pilote faisant une manœuvre erronée dans l'affole- ment—Cour d'investigation—Forme des questions soumi- ses—Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1952, c. 29, art. 568(1).
Une cour, constituée conformément à l'art. 568(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada pour enquêter sur un abordage entre deux navires sur le fleuve St-Laurent, suspendit le brevet de K, le pilote du navire allant vers l'amont. Les deux navires se dirigeaient l'un vers l'autre dans un chenal étroit et auraient se rencontrer bâbord à bâbord conformément à la Règle 25 des Règlements sur les abordages. Cependant, le navire allant vers l'aval, en pre- nant une courbe du chenal, franchit le milieu du chenal vers le nord. K réagit en changeant la route de son navire vers le sud, avec l'intention de longer sur tribord et ne signala pas sa manoeuvre par un coup de sifflet comme l'exige la Règle 28 des Règlements sur les abordages. L'autre navire chan- gea alors sa route vers le sud et l'abordage s'ensuivit. La cour d'investigation estima que K aurait se rendre compte que le navire descendant reprendrait sa propre route, que sa manoeuvre irrégulière et incorrecte, fruit de l'affolement, fut la véritable cause de l'abordage, et aussi qu'il viola les Règles 25 et 28 des Règlements sur les abordages. K interjeta appel.
Arrêt: (1) Les conclusions de la cour d'investigation sont fondées et l'appel doit être rejeté.
(2) L'ordonnance de suspension du brevet de K n'était pas viciée car l'une des questions posées à la cour d'investi- gation conformément aux Règles sur les sinistres maritimes, lui demandait son avis sur le point de savoir si l'abordage était imputable à «l'incompétence» ou à «l'inconduite» ainsi qu'à la «faute» ou la «prévarication», qui sont les seuls motifs de suspension de brevet aux termes de l'art. 568(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada.
Renvoi à: Belisle c. Le ministre des Transports [1967] 2 R.C.É. 141.
APPEL d'une décision de la cour constituée pour enquêter sur un sinistre maritime confor- mément à la Partie VIII de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1952, c. 29.
Jean-Paul Dufour, Bruno Desjardins et Blake Knox pour l'appelant.
Bernard Deschênes et Guy Major pour l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT—Il s'agit en l'es- pèce d'un appel d'une décision d'un tribunal qui tint une investigation formelle sur un sinistre maritime en vertu de la Partie VIII de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1952, c. 29. L'appel interjeté porte sur une décision rendue conformément à l'art. 568(1) de la loi suspendant le brevet de pilote de l'appelant.'
Le 10 octobre 1969, vers 5h18 (H.N.E.) une collision se produisit aux environs de Lauzon (Québec) entre le navire à moteur canadien Maplebranch et le navire à moteur danois Atlantic Skou. Conformément à la Partie VIII de la Loi sur la marine marchande du Canada, l'honorable juge Chevalier de la Cour supé- rieure de Québec tint une investigation formelle au sujet dudit abordage et, le 8 mai 1970, fit un rapport qui contenait, entre autres, une ordon- nance concernant l'appelant rédigée ainsi:
[TRADUCTION] Dans ces circonstances, la Cour ordonne que son brevet de pilote soit suspendu pour une période de trois (3) mois à compter du prononcé du présent jugement ...
La cour d'investigation était assistée par trois assesseurs qui participèrent tous à la rédaction de son rapport.
En l'espèce il est interjeté appel de l'ordon- nance susmentionnée.
Je pense qu'il est exact de résumer aussi la position de l'appelant dans cet appel: il accepte les faits de base établis par la cour d'investiga- tion savoir, il accepte les conclusions de la cour d'investigation sur ce qui s'est en fait produit, mais il n'accepte pas la qualification de ces faits par la Cour ni les conclusions de la Cour sur l'application des dispositions législatives appli- cables à ces faits. L'intimé accepte et appuie le rapport de la cour d'investigation, en ce qui concerne les faits, sans aucune réserve.
Je propose donc de commencer ces motifs par un résumé des faits de base établis par la cour d'investigation dans mes propres termes et sans plus de détail qu'il n'est nécessaire à mon avis, afin d'apprécier les conclusions de la cour d'investigation en ce qui concerne ces faits et l'attaque de ces conclusions par l'appelant.
Le Maplebranch, pétrolier d'environ 376 pieds de long, d'un bau de 52 pieds et d'un creux de 27.5 pieds, remontait vers la ville de Québec sur lest avec l'appelant pour pilote et l'Atlantic Skou, cargo d'acier de 613 pieds de long, 73 pieds de bau et 46.7 pieds de creux descendait le fleuve après avoir quitté la station de pilotage du port de Québec, piloté par M. J. M. W. Keating avec une cargaison de céréales en vrac. Les deux navires auraient se ren- contrer dans une partie du chenal maritime en courbe ce qui demandait au Maplebranch de changer sa route vers bâbord sa gauche) et à l'Atlantic Skou de changer la sienne vers tribord sa droite). A tous les endroits importants, le chenal avait au moins 500 encablures de large (3,000 pieds) ou plus.
Ce chenal maritime étant un «chenal étroit» selon l'acception de la Règle 25a) des Règle- ments pour prévenir les abordages en mer de la Loi sur la marine marchande du Canada, règle qui est rédigée ainsi:
a) Tout navire à propulsion mécanique faisant route dans un chenal étroit doit, quand la prescription est d'une exécu- tion possible et sans danger, prendre la droite du chenal ou du milieu du passage.
Si les deux vaisseaux s'étaient conformés à cette règle, ils auraient pu se rencontrer en toute sécurité. (Pour plus de commodité, on se réfèrera au côté du chenal dans lequel le Maple- branch aurait rester comme étant le côté nord et le côté du chenal dans lequel l'Atlantic Skou aurait rester comme étant le côté sud.)
En effet, les faits sont les suivants:
a) l'Atlantic Skou franchit le «milieu du chenal» en passant du côté sud du chenal vers le côté nord du chenal;
b) quand l'appelant vit l'Atlantic Skou passer vers le côté nord du chenal, il fit virer le Maplebranch à bâbord;
c) l'Atlantic Skou amorça un retour vers le côté sud du chenal;
d) il en résulta alors qu'un abordage était imminent et l'appelant fit virer le Maple- branch à bâbord toute tandis que le pilote Keating faisait virer l'Atlantic Skou à tribord toute de sorte que les deux navires s'abordè- rent en plein milieu du côté sud du chenal.
Lors de la collision la nuit était sombre et claire, la visibilité excellente. Juste avant que l'abor- dage ne devienne imminent, le Maplebranch avançait à une vitesse de 11 noeuds en surface et l'Atlantic Skou avançait à une vitesse de 14 noeuds en surface.
L'étendue établie de l'empiétement de l'At- lantic Skou sur le côté nord du chenal ressort d'une conclusion de fait précisant qu'à un moment donné, sa timonerie était à trois-dixiè- mes d'encablure (180') et son avant à quatre- dixièmes d'encâblure (240') au nord de la ligne médiane du chenal.
A partir de ces constatations de faits (beau- coup plus détaillées que je ne les ai résumées), la cour d'investigation a dégagé les conclusions suivantes:
[TEXTE] (1) La circonstance (non la cause) qui a été à l'origine du malentendu est l'empiétement momentané et sommes toutes, léger de l'Atlantic Skou au nord du centre géographique du chenal;
(2) Cet empiétement est survenu à un moment les deux navires étaient relativement rapprochés l'un de l'autre, mais l'état d'urgence ne semblait pas encore exister;
(3) Cet empiétement a été fait durant un très court espace de temps et le navire a normalement et graduellement fait la manoeuvre désirable pour revenir sur son côté;
(4) Cet empiétement obligeait nécessairement le pilote du Maplebranch à surveiller les lieux et à adopter une manoeu vre adéquate pour y faire face;
(5) Au lieu d'aller plus vers le nord, donc de commander à tribord pour rencontrer rouge à rouge le navire descen dant, le pilote Koenig a opté pour une manoeuvre fautive en décidant de rencontrer à tribord, malgré la position de retour vers le sud de l'Atlantic Skou qu'il connaissait ou qu'il devait, à ce moment, réaliser parfaitement;
(6) Cette fausse et erratique manoeuvre, fruit d'un état - d'esprit de panique qui y a présidé, est la cause réelle de l'abordage;
(7) Le fait que le pilote Koenig n'a pas réduit sa vitesse et n'a pas averti, par l'utilisation de son sifflet le pilote Keating de sa manoeuvre entre également en ligne de compte comme des éléments contributoires du sinistre et établit un lien de causalité avec ce sinistre;
(8) La vitesse des deux navires, préalablement au moment la collision est devenue une éventualité prévisi- ble, était contraire aux règlements établis pour la partie du fleuve se faisait cette navigation, mais, dans l'opinion de la Cour, elle ne peut être, à proprement parler, considérée comme un élément décisif ou une cause déterminante de l'abordage lui-même.
La cour d'investigation jugea le pilote Kea- ting coupable de deux «violations», à la fois «vitesse illégale» et «empiétement momen- tané». Elle les envisagea de la manière suivante:
[TRADUCTION] Comme on l'a expliqué ci-dessus, il a été prouvé que sous la conduite de son pilote, l'Atlantic Skou empiéta légèrement sur le côté nord du chenal. Un détail précis explique peut-être cette route. Le navire en question mesure 613 pieds de long. La preuve révèle qu'il réagit lentement aux commandes. Il était chargé. Peu avant l'en- droit on commanda une manoeuvre de 20 degrés, le chenal s'incurve vers le sud. Étant donné tous ces facteurs, il apparaît que dans de telles circonstances, la manoeuvre était peut-être illégale en tant que telle, mais il n'était pas inhabituel de voir de tels empiétements ou divergences se produire. Malgré le trafic vers l'amont qui aurait inciter le pilote du navire à agir avec plus de prudence, il semble que cette violation n'était pas importante et ne créait pas un risque inhérent pour deux raisons; premièrement, l'empiéte- ment était léger; deuxièmement, il avait lieu dans le cadre d'une manoeuvre générale et d'un changement de direction continu vers le sud.
En résumé, on peut dire que le navire prit la courbe en l'élargissant légèrement plus qu'il n'était nécessaire ou sou- haitable, situation qui, selon des marins expérimentés, se produit assez régulièrement dans nos chenaux étroits et dont doivent tenir compte ceux qui se préparent à rencon- trer de tels navires.
D'autre part, le règlement en vigueur relatif à la vitesse dans la zone se produisit le sinistre (article 35, paragra- phe (2), alinéa d)) interdit une vitesse supérieure à 9 noeuds. Le pilote Keating (page 657) admit qu'avant l'abordage il aurait pu atteindre 10 noeuds. D'après ses observations et ses calculs, la cour conclut que la vitesse de l'Atlantic Skou avait atteindre 14 noeuds. On a donc prouvé la violation de la loi.
Toutefois, il est impossible de relier ce fait avec l'accident lui-même.
Si je comprends bien le rapport, la cour d'inves- tigation jugea qu'aucune des «violations» du pilote Keating n'était une cause de la collision finale.
La cour d'investigation apprécie la conduite de l'appelant dans une partie du rapport dont voici un extrait:
[TRADUCTION] Le pilote Koenig à bord du Maplebranch
De son propre aveu, il dépassa au cours de la navigation la vitesse limite prescrite par les règlements du Conseil des ports nationaux pour les ports du Québec. A cet égard, les remarques faites précédemment lui sont aussi applicables.
Deuxièmement, il viola la Règle 25 citée ci-dessus, et dans son cas, il le fit de telle sorte que l'on peut dire que cette violation est la cause réelle de l'abordage.
* * *
Lorsque le pilote Koenig vit l'Atlantic Skou traverser l'alignement, son devoir était clair: tout d'abord, il aurait
réduire sa vitesse et essayer de déterminer la future route du navire qui approchait, admettant que dans la courbe faite par le chenal, il n'était pas imprévisible que le navire des cendant exécuterait un changement de direction assez pro- noncé, imaginer sinon prédire qu'il reviendrait petit à petit vers le côté sud du chenal, et ordonner une manoeuvre à tribord et non à bâbord comme il le fit.
Étant donné qu'il n'était pas certain, comme il le déclara lui-même, de la route que l'autre navire avait l'intention de suivre, il aurait pu et communiquer avec lui pour avoir des renseignements.
L'excuse qu'il avance est qu'au moment tout ceci eut lieu, il était trop tard et à plusieurs reprises, il utilisa l'expression: «Les jeux étaient faits».
Néanmoins, et malgré les nombreuses contradictions de son témoignage, il déclara à un certain moment que, lors- qu'il réalisa la gravité de la situation, il était encore sur une route de 235 degrés. Même si ceci s'était produit plus tard, selon l'avis de la Cour, il aurait encore eu assez de temps pour juger de la situation et prendre la décision nécessaire.
En vérité, le principe mentionné ci-dessus n'est pas absolu et doit être interprété selon les conditions spécifi- ques de chaque cas; et on doit même reconnaître que dans certaines circonstances la violation de la règle peut être nécessaire. Toutefois, à ce moment-là, une telle dérogation apparaîtrait souhaitable seulement si les circonstances étaient telles que l'obligation générale de prudence avait priorité sur l'observation du règlement. En outre, la Règle 27, qui traite de ces exceptions, prévoit cette possibilité. Malheureusement, ces circonstances exceptionnelles ne semblent pas être applicables à l'affaire en question.
* * *
Dans son témoignage, le pilote Koenig justifia un peu son action.
Il se référa à la coutume selon laquelle les pilotes de navire se rencontrent assez souvent vert à vert. Toutefois, si l'on indique qu'il avait pris sa décision dans les moments d'affolement précédant l'abordage, une telle justification perd tout son poids et sa valeur:
(page 937)
[TEXTE] «Alors, j'ai continué à l'observer pendant quel- ques secondes, et puis au moment il a traversé, j'ai décidé qu'il ne me rencontrerait pas—qu'à ce moment-là, pour lui, en me traversant, il serait moins difficile de me rencontrer: vert à vert que: rouge à rouge, beaucoup moins difficile pour lui. Alors à ce moment-là, j'ai opté pour commencer à tourner lentement sur la gauche. Mais il n'y avait rien de définitif, à ce moment-là, encore.»
(page 1021)
[TEXTE] «Alors, j'en suis arrivé à la conclusion, à ce moment-là, quand il a traversé en avant, de tourner légère- ment sur la gauche, bien que ça ne soit pas absolument nécessaire, mais seulement pour donner une chance de plus pour rencontrer:. vert à vert.»
* * *
Troisièmement, le pilote Koenig a enfreint la Règle 28 qui est rédigée ainsi:
Alinéa a): Lorsque des navires sont en vue l'un de l'autre, un navire à propulsion mécanique faisant route doit, en changeant sa route conformément à l'autorisation ou aux prescriptions des présentes Règles, indiquer ce change- ment par les signaux suivants émis au moyen de son sifflet:
Un son bref pour dire: «Je viens sur tribord»;
Deux sons brefs pour dire: «Je viens sur bâbord»;
Trois sons brefs pour dire: «Mes machines sont en arrière».
Alinéa b): Lorsqu'un navire à propulsion mécanique qui, conformément aux présentes Règles, doit conserver sa route et maintenir sa vitesse, est en vue d'un autre navire et ne se sent pas assuré que l'autre navire prend les mesures nécessaires pour éviter l'abordage, il peut expri- mer son doute en émettant au sifflet une série rapide d'au moins cinq sons brefs. Ce signal ne doit pas dispenser un navire des obligations qui lui incombent conformément aux Règles 27 et 29 ou à toute autre Règle, ni de l'obliga- tion de signaler toute manoeuvre effectuée conformément aux présentes Règles, en faisant entendre les signaux sonores appropriés, prescrits par la présente Règle.
[TEXTE] L'Atlantic Skou a respecté la prescription de l'alinéa a) de la Règle 28.
Le pilote du Maplebranch ne s'y est pas conformé. Sa déclaration qu'il y a eu affolement et que c'est la raison pour laquelle il n'a pas donné le signal, ne saurait constituer une excuse. Ainsi qu'il le dit dans un texte cité plus haut, la situation ne présentait aucun caractère d'urgence quand il a commandé «bâbord»; il savait que cela aurait pour résultat de l'amener du côté sud du chenal et, à compter de ce moment, il devait signaler sa manoeuvre irrégulière.
Si, également comme il le prétend, il est dans son esprit un doute sur la route qu'entendait adopter le navire approchant, il aurait utiliser le moyen prévu par l'alinéa b) de la Règle 28.
Enfin, il a enfreint une règle de prudence en ne réduisant pas sa vitesse lorsque la situation lui a paru douteuse. Ce n'est qu'à la toute dernière minute qu'il a décidé d'adopter cette manoeuvre et, alors, il a raison de dire que «les jeux étaient faits» et qu'il était trop tard.
Le rapport traite de la question de la sanction à appliquer à l'appelant, de la manière suivante:
[TRADUCTION] La Cour considère que les actes de ce pilote constituaient plutôt une faute qu'une prévarication et que son piètre jugement était le fruit de l'affolement, ce qui manifestement n'est en aucun cas un trait souhaitable chez une personne chargée de piloter un navire de cette taille. Toutefois, on peut dire pour sa défense, que la provocation à distance causée par l'empiétement momentané de l'Atlan- tic Skou était à la base de sa perte de contrôle et que, étant donné les faiblesses humaines, il faut en tenir compte.
Étant donné les circonstances, la Cour ordonne que le brevet du pilote soit suspendu pour une période de trois (3) mois à compter du prononcé de la présente décision rendue en audience publique conformément aux dispositions de
l'art. 568, paragraphe (5) de la Loi sur la marine marchande du Canada.
La seule question sur laquelle la Cour doit statuer en appel est de savoir si le brevet de l'appelant a été suspendu à bon droit conformé- ment à l'art. 568(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui, entre autres, auto- rise que «le brevet d'un pilote» soit suspendu «par une cour tenant une investigation formelle sur un sinistre maritime ... si la cour constate que ... l'avarie grave d'un navire, ... a pour cause la faute ou la prévarication, ... ». En traitant de cette question, nous ne devons pas oublier que cette Cour n'a pas à statuer sur l'exactitude de la décision de la cour d'investi- gation selon laquelle aucun manquement du pilote Keating n'était cause de la collision. En l'absence du pilote Keating, il faudrait éviter toute question de ce genre à moins qu'elle ne soit accessoire et nécessaire à une décision déterminant si la collision était due à une faute ou à une prévarication de l'appelant.
La principale attaque de l'ordonnance sus- pendant le brevet de l'appelant est, d'après moi, que l'empiétement de l'Atlantic Skou sur le côté sud du chenal plaça l'appelant dans une situa tion où:
a) son ordre à bâbord était la meilleure mesure qu'il pouvait prendre pour faire face à la situation, ou
b) même si ce que fit l'appelant n'était pas la meilleure mesure dans les circonstances, et même s'il avait faire ce qu'indiquait le rapport de la cour d'investigation, la décision de faire ce qu'il fit, était une décision possible pour un pilote assez bien qualifié, raisonna- blement prudent et attentif, et par conséquent ce n'était pas aussi nettement une faute que l'est une «faute ou prévarication» selon l'ac- ception de l'art. 568(1). Voir Belisle c. Le ministre des Transports, [1967] 2 R.C.É. 141.
Il me semble que l'autre motif de la principale attaque de l'appelant est que, même s'il était coupable d'une «faute ou prévarication» selon l'acception de l'art. 568(1), ce n'était pas la cause de la collision.
L'appelant présenta des arguments subsidiai- res dont un seul, à mon avis, exige d'être men- tionné. Il s'agissait d'une attaque de la forme
des questions posées à la cour d'investigation. Je reviendrai là-dessus après avoir discuté ce que j'ai choisi de considérer comme la princi- pale attaque de l'appelant de la décision qu'il porte en appel.
Les événements conduisant à l'abordage entre le Maplebranch et l'Atlantic Skou se divi- sent, à mon avis, en deux parties, savoir: les événements conduisant au passage de l'Atlantic Skou dans la partie nord du chenal et ceux, allant du moment l'Atlantic Skou est passé dans la partie nord du chenal au moment de l'abordage.
Pour ce qui est de l'appel, nous n'avons pas à aborder la question de savoir si l'Atlantic Skou était passé dans la partie nord du chenal à la suite d'une «faute ou prévarication» de son équipage. La présence de ce navire dans la partie nord du chenal résultait de la navigation de l'équipage et il est clair que l'appelant n'est, en aucune façon, responsable de la présence de ce navire à cet endroit.
Ce qui nous préoccupe, c'est de savoir si par suite de ce qui est arrivé après que l'appelant a vu l'Atlantic Skou passer du côté nord du chenal, cette Cour doit conclure que la collision était due à la faute ou prévarication de l'appelant.
A mon avis, l'effet de ce qui fut dit au nom de l'appelant, est que, dès que ce dernier vit l'At- lantic Skou passer de son côté du chenal, il fut confronté avec une situation dangereuse dans laquelle:
a) l'Atlantic Skou suivait une route de son côté du chenal de sorte que les deux vais- seaux pouvaient se rencontrer tribord à tri- bord au lieu de bâbord à bâbord,
b) s'il avait contourné le Maplebranch à tri- bord, il aurait créé un risque de collision avec l'Atlantic Skou, eu égard à sa route quand il le vit croiser devant lui, et
c) eut-il réduit la vitesse du Maplebranch, nous ne pouvons pas dire, d'après la preuve apportée, si cela aurait diminué le danger ou non,
et, en l'occurrence, vu le temps limité disponi- ble pour la réflexion, il décida d'aller à bâbord sans réduire sa vitesse afin de faciliter un pas-
sage tribord à tribord qui lui était imposé par l'Atlantic Skou. Ayant été mis dans cette situa tion par l'Atlantic Skou et ayant été ainsi amené à prendre cette mesure afin d'éviter la collision, l'Atlantic Skou changea alors sa route, selon les arguments présentés au nom de l'appelant tels que je les vois, d'une manière telle que l'abor- dage était rendu inévitable, forçant ainsi l'appe- lant à aller à bâbord toute pour minimiser les conséquences de l'abordage; en fait il fut obligé de diriger le Maplebranch vers le côté sud du chenal.
Il me semble que la cour d'investigation a établi avec l'aide des assesseurs, que l'appelant savait, ou «aurait parfaitement réaliser», au moment il vit l'Atlantic Skou entrer dans le côté nord du chenal, qu'il «retournerait au sud» et que par conséquent il aurait pu réduire sa vitesse et ordonner «une manoeuvre à tribord».
Les arguments avancés au nom de l'appelant et les conclusions de la cour d'investigation évoquant des descriptions tout à fait différentes de la situation à laquelle l'appelant dût faire face au moment il réalisa que l'Atlantic Skou allait passer dans le côté nord du chenal. Afin d'avoir des preuves suffisantes pour apprécier la situation réelle à laquelle l'appelant fut alors confronté, cette Cour demanda aux assesseurs de lui préparer une carte de la partie précise du chenal impliquée, y rapportant tous les faits importants établis par la cour d'investigation. Cette carte constituera une partie de ces motifs lorsqu'ils seront rédigés par écrit. 2
Comme il ressort de cette carte, si le Maple- branch s'était tenu à la route qu'il suivait quand il aperçut pour la première fois l'Atlantic Skou traverser la partie nord du chenal, il se serait nettement écarté de la route suivie en fait par l'Atlantic Skou alors dans le côté nord du chenal. Étant donné ceci, il devient d'impor- tance primordiale de décider si l'appelant aurait dû, comme la cour d'investigation jugea qu'il aurait dû, «parfaitement réaliser» quand il vit l'Atlantic, Skou passer du côté nord du chenal, qu'il reviendrait du côté sud du chenal comme il le fit en fait. Par conséquent, la Cour posa à chacun des assesseurs certaines questions. Les
questions et les réponses données par les asses- seurs sont les suivantes:
[TRADUCTION] QUESTION 1. Étant donné les faits établis par la cour d'investigation et rapportés sur la carte que vous nous avez préparée, le pilote du Maplebranch «aurait-il réaliser parfaitement» quand il vit l'Atlan- tic Skou passer du côté nord du chenal que ce dernier retournerait du côté sud du chenal comme en fait il le fit?
R. LE CAPITAINE JEAN PAUL TURCOTTE: Oui.
R. LE CAPITAINE S. P. BERNA: Il aurait réaliser que l'Atlantic Skou retournerait du bon côté du chenal.
QUESTION 2. Comment expliquez-vous vos réponses à la question numéro 1?
R. LE CAPITAINE JEAN PAUL TURCOTTE: La route normale (020) pour un navire descendant con duit vers la rive de Beaufort.
Pour de nombreuses raisons, il est possible qu'un navire puisse franchir la ligne indiquée par les feux de direction délimitant le chenal sûr, mais ceci ne veut pas dire que le navire continuera et ira s'échouer.
Le pilote du Maplebranch aurait réaliser que le navire descendant avait simplement tardé à virer et qu'il reprendrait sa route normale.
R. LE CAPITAINE S. P. BERNA: Il peut arriver que, lorsqu'un pilote s'approche des lumières de direction, il puisse traverser la ligne médiane pour un court moment seulement.
QUESTION 3. A votre avis, la réponse à la question numéro 1 est-elle un sujet sur lequel des pilotes assez bien qualifiés, raisonnablement prudents et avisés seraient arrivés à des conclusions contraires?
R. LE CAPITAINE JEAN PAUL TURCOTTE: Non. Les pilotes devraient être et sont habitués à un certain nombre de changements de route dans le chenal.
Ce serait une mauvaise manoeuvre de leur part de considérer qu'un navire approchant d'une courbe ou franchissant l'alignement d'un chenal comme indi- quant que ce navire désire les rencontrer du mauvais côté du chenal.
R. LE CAPITAINE S. P. BERNA: Un pilote qualifié comprenant bien la manoeuvre n'aurait pas agir comme il le fit.
J'ai étudié de mon mieux la question que je considère comme d'importance primordiale à la lumière de ces réponses et, après avoir examiné le problème en particulier à la lumière des motifs avancés par les assesseurs, je suis arrivé
à la même conclusion que celle de la cour d'investigation, savoir qu'il est tout à fait évi- dent, et aurait l'être pour l'appelant, que ce dernier, quant il vit l'Atlantic Skou passer du côté nord du chenal, aurait diriger le Maple- branch en considérant que l'Atlantic Skou modifierait sa route pour retourner sans délai du côté sud du chenal.
Étant parvenu à cette conclusion, je devrais faire état des autres questions que cette Cour posa aux assesseurs. Les questions et les répon- ses qu'ils y ont données sont les suivantes:
[TRADUCTION] QUESTION 4. Eu égard aux faits établis par la cour d'investigation et rapportés par la carte que vous nous avez préparée, un pilote à bord du Maplebranch qui était raisonnablement compétent, rai- sonnablement prudent et avisé, pouvait-il décider d'or- donner un changement de direction à «bâbord', quand il vit l'Atlantic Skou passer du côté nord du chenal?
R. LE CAPITAINE JEAN PAUL TURCOTTE: Il a pris une mauvaise décision. Il n'aurait pas modifier sa route.
R. LE CAPITAINE S. P. BERNA: Il n'aurait pas ordonner un changement de direction à bâbord.
QUESTION 5. Quels sont les motifs de vos réponses à la question 4?
R. LE CAPITAINE JEAN PAUL TURCOTTE: Bien que l'Atlantic Skou soit en retard dans son mouve- ment, il devait venir à tribord pour suivre la route normale du chenal, ou y revenir pour rencontrer l'au- tre navire conformément aux règles.
R. LE CAPITAINE S. P. BERNA: En plus de la réponse numéro 2, il aurait présumer que l'Atlantic Skou avait des problèmes de gouverne et allait s'échouer sur cette route. Par conséquent, il aurait arrêter ses machines et lui porter assistance dans la mesure du possible.
QUESTION 6. Eu égard aux faits mentionnés à la ques tion 4, un pilote sur le Maplebranch, qui était raison- nablement compétent, raisonnablement prudent et avisé, pouvait-il raisonnablement redouter le danger d'une collision avec l'Atlantic Skou si, lorsqu'il le vit passer du côté nord du chenal, il avait ordonné un changement de route à tribord?
R. LE CAPITAINE JEAN PAUL TURCOTTE: Non.
R. LE CAPITAINE S. P. BERNA: Il n'y aurait eu aucun danger de collision s'il avait modifié sa route à tribord.
QUESTION 7. Quels sont les motifs de vos réponses à la question 6?
R. LE CAPITAINE JEAN PAUL TURCOTTE: S'il crai- gnait réellement le danger d'une collision, (problème de gouverne à bord de l'autre navire etc.), le pilote du Maplebranch n'aurait pas hésiter à arrêter les machines et à se rendre compte de la situation avant de prendre des mesures.
Je ne crois pas que cette crainte d'une collision était justifiée quand le pilote du Maplebranch prit ces mesures.
Une réduction de la vitesse aurait laissé le temps à l'autre navire de traverser bien en avant, puisque même à pleine vitesse ils étaient éloignés l'un de l'autre.
Une modification de la route à tribord aurait placé le Maplebranch dans une position sûre, son tirant d'eau étant au maximum de 17 pieds, la marée pour ainsi dire pleine (15 pieds), il aurait pu aller au nord de la bouée 138B lui laissant la place de tourner ou manoeuvrer.
Une modification de la route à tribord ne causait aucun danger de collision à ce moment-là, en fait cette manoeuvre aurait été normale.
R. LE CAPITAINE S. P. BERNA:. En suivant les dépo- sitions du pilote du Maplebranch, il semble qu'à tout moment, il contrôlait le navire de manière parfaite. En allant vers tribord il avait suffisamment d'eau au nord et ne risquait pas de s'échouer d'autant plus que ses machines auraient été au point mort (voir question numéro 5).
QUESTION 8. Un pilote sur le Maplebranch qui était raisonnablement compétent, raisonnablement prudent et avisé, pouvait-il redouter raisonnablement d'avoir des difficultés après avoir ordonné de réduire la vitesse quand il vit l'Atlantic Skou passer du côté nord du chenal?
R. LE CAPITAINE JEAN PAUL TURCOTTE: Non.
R. LE CAPITAINE S. P. BERNA: Il n'y avait aucune raison pour que le pilote pense qu'il y avait un risque possible d'avoir des difficultés en allant à une vitesse moindre ou même en s'arrêtant.
QUESTION 9. Quels sont les motifs de vos réponses à la question 8?
R. LE CAPITAINE JEAN PAUL TURCOTTE: Réduire la vitesse lui aurait permis de se rendre compte de la situation; aurait donné plus de temps à l'Atlantic Skou pour corriger sa manoeuvre incorrecte ou pour faire son changement de direction; aurait donné le temps de monter le signal approprié «impossibilité de manoeu vre» sur l'Atlantic Skou si c'était le cas; telle qu'une panne de l'appareil à gouverner, des problèmes avec les machines, etc ...
En décidant de prendre des mesures afin d'éviter la collision, si nécessaire, il aurait donc faire les signaux appropriés.
R. LE CAPITAINE S. P. BERNA: C'est une question de manoeuvre. Il est en face d'un bateau qui peut avoir des difficultés. Par conséquent, son devoir est de donner à l'autre bâtiment toute l'aide nécessaire possi ble, c'est-à-dire, (1) réduire la vitesse, (2) s'arrêter, (3) laisser de l'espace pour manoeuvrer ou les trois à la fois si c'est nécessaire.
Après avoir étudié la question plus à fond à la lumière de ces réponses, j'ai conclu que finale- ment la collision était directement et immédiate- ment imputable à l'ordre donné par l'appelant d'aller à bâbord juste après qu'il vit l'Atlantic Skou passer du côté nord du chenal au lieu de réduire sa vitesse et si possible d'aller à tribord, et qu'il n'aurait simplement jamais donner l'ordre d'aller à bâbord et que son devoir était de réduire la vitesse.
J'envisage maintenant les violations des règle- ments dont la cour d'investigation jugea l'appe- lant coupable.
Tout d'abord, il a été établi que l'appelant viola la Règle 25. Pour plus de commodité, je répète la partie importante de cette règle.
Tout navire à propulsion mécanique faisant route dans un chenal étroit doit, quand la prescription est d'une exécution possible et sans danger, prendre la droite du chenal ou du milieu du passage.
Dans la présente, il est admis que le Maple- branch était un navire à propulsion mécanique faisant route dans un chenal étroit. Toutefois, il semble que, d'après ce que nous pouvons déduire de la preuve, l'ordre «bâbord» n'eut pas pour résultat de faire quitter au Maplebranch le côté du milieu du chenal à tribord; et il ne le quitta qu'après avoir reçu l'ordre à bâbord toute alors que la situation était devenue dangereuse et qu'il lui était impossible de rester de ce côté. Toutefois, étant donné les faits de cette affaire, la question ne peut, à mon avis, être divisée en éléments distincts. Quand l'appelant donna l'or- dre à «bâbord», on doit considérer qu'il avait réalisé ce que tout pilote raisonnablement com- pétent, raisonnablement prudent et avisé aurait réaliser, savoir, que l'Atlantic Skou allait revenir dans le côté sud du chenal, et que donner un tel ordre amènerait une situation qui obligerait le Maplebranch à passer dans le sud du chenal comme en fait il fut obligé de le faire. Par conséquent, en donnant un ordre à
«bâbord», il choisit de s'embarquer sur une route qui avait pour résultat vraisemblable de l'empêcher de rester sur le bon côté du milieu du chenal. Par conséquent, on doit considérer le fait de diriger le navire vers le côté sud du chenal comme une conséquence de l'ordre pri- mitif à bâbord; à mon avis, c'était donc une violation du Règlement 25, comme l'a déclaré la cour d'investigation, qui a été la cause immé- diate de la collision.
D'autre part, on a établi que l'appelant avait omis de se conformer à la Règle 28 qui exigeait entre autres choses que «lorsque des navires sont en vue l'un de l'autre, un navire à propul sion mécanique faisant route doit, en changeant sa route conformément à l'autorisation ou aux prescriptions des présentes Règles indiquer ce changement . ..» par des signaux prévus à l'ali- néa a) de cette Règle. Je m'accorde avec la cour d'investigation pour dire que l'appelant viola cette Règle quand il donna son ordre à «bâbord» et qu'il n'avait aucune excuse pour omettre de donner ce signal ce qui aurait pu avertir l'Atlantic Skou de ce qu'il faisait, suffi- samment à l'avance pour changer le cours des événements.'
Voilà qui complète l'examen de ce que je considère comme la principale attaque de l'ap- pelant de la décision de suspendre son brevet de pilote. Maintenant je vais envisager ce que j'ai mentionné précédemment comme étant une attaque subsidiaire, savoir une attaque de la forme des questions posées à la cour d'investigation.
Afin de juger de cet aspect de la question, il faut se reporter à la loi concernant ce genre d'enquête.
En premier lieu, nous avons les investigations formelles concernant les sinistres maritimes. L'article 560 de la Loi sur la marine marchande du Canada autorise une cour nommée confor- mément à l'art. 558 (M. le juge Chevalier cons- tituait cette cour) à tenir une investigation for- melle dans le cas d'un sinistre maritime et l'art. 578 autorise le gouverneur en conseil à établir des règles pour rendre exécutoires les disposi tions législatives se rapportant aux investiga tions formelles. Conformément à l'art. 578, le gouverneur en conseil a établi les Règles sur les
sinistres maritimes (décret en Conseil privé 1954-1861, en date du l er décembre 1954). L'article 7(1) de ces règlements autorise le ministre des Transports à signifier un avis, appelé avis d'investigation à certains officiers désignés ainsi qu'à toute autre personne qui, selon lui, doit être partie. L'article 7(2) prévoit, et cette disposition doit être particulièrement soulignée, qu'un avis d'investigation doit conte- nir un exposé de l'affaire «ainsi qu'un exposé des questions qui, d'après les renseignements alors disponibles, seront soulevées à l'au- dience». L'article 7(3) prévoit qu'un fonction- naire du ministère «à toute époque antérieure à l'audition» peut modifier ces «questions».
En second lieu, il existe des dispositions con- cernant l'annulation ou la suspension des certi- ficats ou des brevets. L'article 568 de la Loi sur la /narine marchande du Canada prévoit entre autres choses que le brevet d'un pilote peut être annulé ou suspendu par une cour tenant une investigation formelle sur un sinistre maritime «si la cour constate que ... l'avarie grave d'un navire ... a pour cause la faute ou la prévarica- tion d'un pilote ...».
En troisième lieu, certaines dispositions des Règles sur les sinistres maritimes concernant «la procédure» devant la cour d'investigation. L'ar- ticle 16 exige que l'investigation commence par l'appel de témoins «pour le compte du minis- tère». L'article 17(1) prévoit que une fois l'in- terrogatoire de ces témoins terminé, le repré- sentant du ministère expose en audience «les questions dont il désire saisir la cour relative- ment au sinistre et à la conduite des officiers brevetés ou autres personnes visées». Et l'art. 17(2) prévoit que «dans la rédaction des ques tions à déférer à la Cour» le fonctionnaire du ministère peut opérer des changements dans les questions de l'avis d'investigation «qu'il peut juger nécessaire, eu égard à la preuve». L'arti- cle 18 prévoit ensuite que, après l'exposé des questions à déférer à la Cour, cette dernière entend les parties dans l'investigation (y com- pris tous les témoins qu'elles produiront) et «décide les questions ainsi exposées».
A la lumière de ce résumé, je vais maintenant envisager l'attaque subsidiaire de l'appelant.
L'appelant mentionne la question 8 de l'ex- posé de l'affaire qui est rédigée ainsi:
Question 8
A. La cause de l'abordage peut-elle être attribuée à l'in- compétence, la faute, la prévarication ou la mauvaise conduite d'une ou plusieurs personnes?
B. Si oui, de qui et pour quelles raisons?
et la réponse apportée par la cour d'investiga- tion est la suivante:
Réponse
A. Oui.
B. Le pilote Koenig et le premier officier Forbes pour les raisons indiquées en détail au chapitre 6 du rapport.
L'appelant souligne que la question 8 demande à la Cour son opinion sur le point de savoir si l'abordage était directement imputable soit à «l'incompétence» ou à «l'inconduite» soit à «une faute» ou «prévarication», qui sont les deux seuls motifs d'annulation d'un certificat ou d'un brevet de pilote. Je crains de ne pouvoir apprécier la valeur de l'affirmation selon laquelle ceci pourrait servir, d'une manière ou d'une autre, de base pour annuler la décision suspendant le brevet de l'appelant. Ce qui est envisagé dans les art. 7 et 17 des Règles sur les sinistres maritimes, ce sont les «questions» aux- quelles la cour d'investigation doit répondre pour renseigner le Ministre. La question 8 demande une réponse concernant «l'incompé- tence, la faute, la prévarication ou l'inconduite» d'«une ou plusieurs personnes» qui causèrent l'abordage. C'est une question très vaste qui est probablement importante aux fins du Ministre. Lorsque la cour d'investigation agit aux termes de l'art. 568 en ce qui concerne un certificat ou un brevet de pilote, elle ne répond pas à une «question», elle rend une ordonnance opérante et doit élaborer ses conclusions de fait comme l'exige la loi applicable. C'est un processus tout à fait différent bien que, dans les circonstances, les deux processus se chevauchent.
Quant à la suggestion de l'appelant portant que l'introduction de mots tels que «incompé- tence» ou «inconduite» dans la question 8 ten- dait à induire la Cour en erreur [TRADUCTION] «et peut bien l'avoir incitée à étudier plus à fond la conduite de l'appelant ... et à s'infor- mer de ses compétences passées et présentes, ainsi que d'autres considérations extérieures,
alors que, en réalité, elle aurait se préoccu- per seulement de la possibilité qu'il ait commis une «faute ou prévarication» en exécutant sa tâche au moment du sinistre», il est suffisant de mentionner seulement les parties pertinentes du rapport de la Commission d'enquête, que j'ai déjà exposées, pour être assuré que la Cour savait très exactement ce qu'elle avait à déci- der. Si dans le cas contraire il y avait le moindre doute sur le fait que la Cour était consciente de la signification limitée à donner aux termes de la loi qu'elle devait appliquer, ce doute est écarté si l'on se rapporte à sa discussion du cas du premier officier Forbes dans laquelle une partie significative du jugement de l'affaire Belisle c. Le ministre des Transports [1967] 2 R.C.É. 141 est citée. Je suis convaincu qu'on ne peut faire aucune critique grave des conclusions de faits de la cour d'investigation dans la mesure elles conditionnaient la décision contre laquelle l'appel est interjeté.
Je ne veux pas laisser cet aspect de la ques tion sans ajouter que je ne désire pas qu'on puisse me faire dire qu'un officier ou un pilote n'a pas droit à la protection de principe régis- sant un procès juste. En particulier, je suis certain qu'il a le droit de savoir ce qui est allégué contre lui et de pouvoir y répondre. Cependant, dans la présente affaire, une lecture de la transcription de l'audience met en évi- dence que l'appelant était bien représenté et il n'y a aucun doute qu'il savait ce qu'il devait répondre et qu'il a eu toutes les occasions pour le faire.
Avant de conclure, je désire exprimer une réserve en ce qui concerne le rapport de la cour d'investigation. Je ne veux pas que l'on consi- dère que j'approuve ou désapprouve les conclu sions établissant que les violations de la loi concernant la vitesse des navires dans le chenal n'étaient pas une cause d'abordage. Je pense qu'on doit pouvoir discuter le fait que, au moins dans certaines circonstances, un bâtiment dépassant la limite de vitesse légale doit être considéré comme fautif pour n'avoir pas pris une mesure propre à éviter le dommage, qu'il aurait pu prendre s'il avait manoeuvré à la vitesse limite.
Pour les motifs susmentionnés, je conclus que l'appel doit être rejeté.
LE JUGE THURLOW—Je suis parvenu à la même conclusion.
Bien qu'un grand nombre d'aspects détaillés de l'affaire aient été examinés au cours des plaidoiries, les faits simples tels que je les envi sage, sont les suivants: l'appelant naviguait à bord du Maplebranch du bon côté du chenal, mais comme le savant commissaire l'a établi, extrêmement près de la ligne médiane et à une vitesse d'environ 5 noeuds au-dessus de la limite fixée à 9 noeuds; confronté avec le problème présenté par l'Atlantic Skou qui franchit la ligne médiane et passa de son côté du chenal, il choisit d'aller à bâbord et d'essayer de rencon- trer ce navire tribord à tribord. Le savant com- missaire décrivit l'empiétement de l'Atlantic Skou sur les eaux de l'appelant comme «momentané» et «léger» et établit que le navire «normalement et graduellement a fait la manoeuvre désirable pour revenir de son côté». Il a aussi établi que l'appelant savait ou aurait se rendre compte que c'était ce que l'Atlan- tic Skou allait faire.
La gravité de la conduite de l'Atlantic Skou pour avoir dépassé la limite de vitesse, franchi la ligne médiane alors que le Maplebranch approchait, et n'avoir pas vu ce navire aussitôt qu'il était visible, ne constitue pas, à mon avis, des questions dont nous nous préoccupons dans cet appel, à titre d'infractions aux règlements ou même à titre de causes contributoires de la collision. A mon avis, la question pour nous est simplement de savoir si la conduite de l'appe- lant, dans la situation à laquelle il était con fronté, justifie en droit la sanction infligée.
A ce sujet, il faut prendre eh considération les trois points avancés au cours des plaidoiries. Le premier est de savoir si dans ces circonstan- ces, l'action entreprise par l'appelant était mau- vaise. Il m'est aisé de conclure que ce point que la tentative de l'appelant de rencontrer l'Atlan- tic Skou tribord à tribord en allant à bâbord au moment il savait, ou aurait prévoir que l'Atlantic Skou essayerait de regagner son côté du chenal en se dirigeant vers tribord avant de le rencontrer, était une manoeuvre erronée. J'es- timerais aussi qu'il a fait une manoeuvre erronée même si on devait considérer le changement de direction de l'Atlantic Skou à tribord comme l'une des nombreuses routes possibles qu'il pou-
vait décider de suivre. Ce n'est que si l'appelant avait pu éliminer la possibilité du changement de direction à tribord de l'Atlantic Skou, soit en entrant en communication avec lui soit autre- ment, qu'à mon avis, l'appelant pouvait justifier son changement de direction à bâbord comme une manoeuvre appropriée par opposition à une manoeuvre erronée. En outre, dans ces circons- tances, une telle manoeuvre opérée sans com munication ou assurance préalable, sans signal et sans faire un changement d'une ampleur telle que sa lumière verte soit visible de l'Atlantic Skou, contribua, à mon avis, à aggraver son caractère fautif.
La deuxième affirmation et peut-être la plus solide du point de vue de l'appelant, était que même si le changement de direction à bâbord, en essayant de rencontrer l'Atlantic Skou tri- bord à tribord, était une manoeuvre erronée, c'était une simple erreur de jugement faite dans des circonstances critiques et non pas une faute ou prévarication selon l'acception de l'art. 568(1)a) de la Loi sur la marine marchande du Canada. Il faut noter ici que dans la preuve, que le savant commissaire citait dans son rap port, l'appelant lui-même déclarait que lorsque le premier ordre à bâbord de la route de 235° T fut donné, il n'y avait ni urgence ni situation critique puisque, d'après l'hypothèse sur laquelle il se fondait, c'est-à-dire que l'Atlantic Skou n'allait pas changer sa route, les navires se seraient dégagés l'un de l'autre et que ce chan- gement à bâbord bien que pas absolument nécessaire fut effectué pour faciliter la rencon- tre de l'Atlantic Skou avec le Maplebranch vert à vert.
Toutefois, je ne pense pas que l'affaire était ou même paraissait être aussi simple que cela à l'appelant. Il semble possible que l'appelant ait pu espérer que son passage à bâbord serait remarqué et suffirait à persuader l'équipage de l'Atlantic Skou de ne pas essayer d'effectuer une rencontre bâbord à bâbord. Mais l'appelant ne pouvait pas faire autrement que savoir que la rencontre tribord à tribord n'était pas prévue. Et de son point de vue, tel que je le vois et comme le savant commissaire semble aussi l'a- voir vu, l'action de loin la plus vraisemblable qu'il pouvait attendre de l'Atlantic Skou n'était
pas qu'il maintiendrait sa route mais qu'il reviendrait à tribord.
Dans ces circonstances, le fait que l'appelant aille à bâbord pour essayer de rencontrer l'At- lantic Skou tribord à tribord, sans avoir préparé cette rencontre, ou sans avoir communiqué son intention par signal ou autrement, et à un moment il y avait d'autres solutions plus normales ou plus naturelles qui lui étaient offer- tes, y compris réduire sa vitesse, maintenir sa route pendant un moment et aller à tribord quand la route de l'Atlantic Skou serait devenue libre, me semble, comme il a sembler au savant commissaire, être un manquement telle- ment extraordinaire et anormal à la conduite que l'on peut attendre d'un pilote compétent placé dans des situations semblables qu'il tombe bien dans le cadre d'une «faute ou prévarica- tion» de l'art. 568 de la Loi, comme cette expression a été interprétée dans l'affaire Belisle c. Le ministre des Transports.
En outre le fait qu'il ait paru nécessaire à l'appelant de demander et finalement d'ordon- ner à bâbord toute, ce qui amena le Maple- branch du mauvais côté du chenal, si, bien sûr, le changement de direction précédent à bâbord ne l'avait pas déjà fait, n'était que la consé- quence du précédent changement de direction à bâbord. Il viola ainsi l'art. 25 des Règles sur les abordages comme le savant commissaire l'en avait trouvé coupable.
Le dernier point était que la manoeuvre de l'appelant à bâbord n'était pas la cause de l'a- bordage et des dommages. Selon mon point de vue que j'ai déjà indiqué, la question de la responsabilité de l'Atlantic Skou quant à l'abor- dage n'est pas pendante devant la Cour dans ce présent appel, et à mon avis, le fait que la conduite de ce navire était ou non une cause contributoire de l'abordage ne change rien à l'appel. La seule question qui me semble se poser, est de savoir si une faute ou prévarica- tion de l'appelant était une cause de l'abordage et des dommages. Sur ce point, la plaidoirie porta sur le fait que l'abordage était inévitable à la suite du changement de direction de l'Atlan- tic Skou vers tribord, quelle que soit la route que l'appelant ait pu adopter à partir du moment il donna l'ordre à bâbord. Toutefois, excepté l'avis que nous avons reçu, comme nous l'avons
déjà indiqué, de nos assesseurs, selon lequel une collision n'était pas rendue inévitable par le changement de direction de l'Atlantic Skou vers tribord, je ne considère pas comme vraiment discutable que le changement de direction de l'appelant vers bâbord, son signal ou autre indi cation de changement à l'équipage de l'Atlantic Skou, n'était pas, dans ces circonstances, au moins une des causes de la collision et des dommages.
Sur le dernier point de droit soulevé par les questions auxquelles la cour d'investigation for- melle devait répondre, je suis d'accord avec ce que le juge en chef a dit et je désire faire mienne ses remarques en ce qui concerne la vitesse et l'effet déroutant de la vitesse supé- rieure à la limite fixée en l'espèce.
A mon avis l'appel n'est pas bien fondé et doit être rejeté.
LE JUGE SUPPLÉANT PERRIER—Les commen- taires seront très brefs:
Pendant le quart (;) de siècle j'ai été sur le banc à la Cour supérieure, j'ai rarement vu un dossier préparé avec autant de soin et de com- pétence. Les factums des procureurs sont clairs et précis et leur plaidoirie, même si les deux (2) plaideurs n'ont pas pu réussir en même temps à convaincre la Cour, n'en ont pas été moins un exposé très approfondi de la question.
Pour moi je suis ici dans une drôle de situa tion; comme vous le savez, c'est une expérience nouvelle que j'apprécie beaucoup, mais c'est à la fois un début sans lendemain. Comme je ne reviendrai pas, je profite de l'occasion, et je suis sûr qu'en ce moment je puis être l'inter- prète de mes savants collègues, pour féliciter très sincèrement les procureurs qui ont si bien accompli leur devoir.
Je voudrais simplement souligner que l'appe- lant dans son factum, et ce d'une façon très courtoise d'ailleurs, a regretté que l'honorable juge Chevalier n'ait pas tenu suffisamment compte de la preuve fournie par les témoins Koenig et Forbes et qu'il ait accordé la crédibi- lité ou la prépondérance de la preuve aux témoins Keating, Mayotte et surtout Lachance.
Je n'ai pas à insister très longtemps sur les règles qui doivent guider une Cour d'appel, puisque ces règles ont été maintes et maintes fois appliquées.
L'honorable juge Chevalier a vu et entendu ces témoins et par conséquent il a pu constater leur attitude, leur comportement, et a pu peser leurs déclarations. Le rôle d'une Cour d'appel n'est pas de substituer son appréciation à celle du premier (le') juge, sauf dans le cas d'une erreur manifeste.
Or à mon humble avis l'analyse, la lecture et l'analyse de la preuve m'incitent à dire que l'appréciation faite par l'honorable juge Cheva- lier des témoignages qui ont été rendus devant lui, loin de comporter une erreur manifeste, ce qui pourrait justifier une Cour d'appel de ren- verser sa décision, me paraît exacte et bien fondée, et justifie sa décision.
Je n'ai pas à reprendre les jugements très élaborés, ni à ternir le mérite et l'éclat, des opinions qui viennent d'être exprimées; je con- clus simplement en disant que je partage l'opi- nion de l'honorable juge en chef et de l'honora- ble juge Thurlow et que j'accepte entièrement leur conclusion.
I L'article 576(3) de la Loi sur la marine marchande du Canada prévoit que «lorsque, dans une telle investigation, une décision a été rendue relativement à ... la suspension du ... brevet d'un pilote, ... il peut être interjeté appel de cette décision à la Cour d'amirauté». Avant le ler juin 1971, «Cour d'amirauté» était définie par l'art. 2(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada et signifiait «la Cour de l'Échiquier du Canada en sa juridiction d'amirauté». La Loi sur la Cour fédérale, 1971 (Can.), c. 1 (annexe B), qui est entrée en vigueur le 1e1 juin 1971, a modifié cette définition de telle sorte que «Cour d'amirauté» dans la Loi sur la marine marchande du Canada désigne désormais la Cour fédérale du Canada. En vertu de l'art. 30 de la Loi sur la Cour fédérale, un appel interjeté en vertu de l'art. 576(3) de la Loi sur la marine marchande du Canada l'est maintenant devant la Division d'appel de la Cour fédérale, qui peut être appelée Cour d'appel fédérale (art. 4 de la Loi sur la Cour fédérale). Il s'agit en l'espèce du premier appel qu'entend la Cour d'appel fédérale.
2 [Non-reproduit dans ce texte.—Ed.]
Je ne considère pas le renvoi hypothétique de la cour d'investigation à la Règle 28b) comme établissant la viola tion de cette dernière par l'appelant.
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