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La Commission de la Capitale nationale (Appelante)
c.
Édouard Bourque et Paul J. Bourque (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett et les juges suppléants Cameron et Sweet—Ottawa, le 25 avril 1972.
Commission de la Capitale nationale—Action intentée par celle-ci—Expropriation—Pratique—Action intentée au nom de la Commission—Impossibilité d'agir ainsi—Décision de la Cour—Règle 604 de la Cour fédérale—Requête en vue d'obtenir des instructions, procédure—Loi sur la Capitale nationale, S.R.C. 1970, c. N-3, art. 4(4).
La Commission de la Capitale nationale a intenté une action devant la Cour de l'Échiquier en vue de faire fixer l'indemnité due pour des terrains expropriés. La Cour a décidé que les défendeurs étaient fondés à recevoir $142,- 000 plus les intérêts et les dépens, sur remise d'une quit- tance de toutes les réclamations découlant de l'expropria- tion. Par la suite, le sous-procureur général du Canada a, pour le compte de la Commission de la Capitale nationale, demandé à la Division de première instance de la présente Cour des instructions pour savoir à qui et pour quels mon- tants le solde restant en vertu du jugement devait être payé. Dans un affidavit confirmatif, un témoin a donné les noms des diverses personnes qui, selon ses renseignements, avaient une participation dans le terrain exproprié ou avaient des réclamations contre l'un des défendeurs à l'ac- tion, ou les deux à la fois.
Arrêt: c'est à bon droit que la Division de première instance a rejeté la requête en vue d'obtenir des instructions.
1. L'article 4(4) de la Loi sur la Capitale nationale ne permet pas à la Commission d'être partie devant cette Cour à une action concernant des droits acquis par la Commis sion, ou des obligations contractées par elle, pour le compte de Sa Majesté. Devant la présente Cour, il y a lieu d'intenter de telles procédures au nom de Sa Majesté.
2. Les documents présentés à la Division de première instance étaient inappropriés. Les procédures relatives à une requête interlocutoire présentée en vertu de l'article 17(3) de la Loi sur la Cour fédérale doivent se conformer à la Règle 604 et, en conséquence, une requête en vue d'obte- nir des instructions devrait être accompagnée d'un projet de l'ordonnance demandée et étayée par des affidavits expo- sant les faits et corroborant l'avis du sous-procureur géné- ral. En outre, la requête en vue d'obtenir des instructions ne devrait pas être recevable lors de l'action en expropriation.
APPEL de la Division de première instance.
George Ainslie, c.r. et Eileen Mitchell Thomas, c.r. pour l'appelante.
H. Soloway, c.r. pour les intimés.
Jugement de la Cour rendu par
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—Le présent appel porte sur un jugement rendu par la Division de première instance, qui a rejeté, dans une action en expropriation, une demande présentée pour le compte de la Commission de la Capitale nationale en vue d'obtenir des ins tructions, conformément à l'article 17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale, «pour savoir à qui et pour quels montants le solde restant en vertu du jugement» dans cette action devait être payé.
Pour comprendre le problème soulevé dans le présent appel, il est nécessaire d'examiner d'a- bord certains aspects du droit applicable à la Commission de la Capitale nationale.
La Commission de la Capitale nationale est une corporation créée par l'article 3 de la Loi sur la Capitale nationale (S.R.C. 1970, c. N-3). En vertu de cette loi, la Commission est, à toutes fins de la Loi, «mandataire de Sa Majesté» et elle ne peut exercer les pouvoirs dont cette loi l'investit «qu'en qualité de manda- taire de Sa Majesté» (art. 4). Il s'ensuit que tout droit acquis par la Commission l'est par elle en qualité de mandataire et constitue en consé- quence un droit de Sa Majesté et non un droit de la Commission et que, de même, toute obli gation contractée par la Commission l'est par elle en qualité de mandataire et constitue une obligation de Sa Majesté et non une obligation de la Commission. En règle générale, les droits et obligations doivent être soumis aux tribunaux au nom du mandant et non à celui du manda- taire. Toutefois, dans le cas des droits acquis ou des obligations contractées par la Commission de la Capitale nationale en qualité de manda- taire de Sa Majesté, il y a deux possibilités. Une action à l'égard de tout droit ou de toute obliga tion de cette nature peut être intentée ou prise par ou contre la Commission «devant toute cour qui aurait juridiction si la Commission n'était pas mandataire de Sa Majesté» (article 4(1)). En outre, la Commission a le pouvoir de prendre ou d'acquérir des terrains sans le consentement du propriétaire et, avant le l er juin 1971, il était prévu que les réclamations pour indemnité ou pour dommages contre la Commission pour des terrains ainsi pris pouvaient être entendues et
décidées par la Cour de l'Échiquier' (art. 13(1) & (3)).
L'action portée devant la Cour de l'Échiquier dans l'affaire La Commission de la Capitale nationale c. Édouard Bourque et Paul J. Bour- que (n° du greffe: B-2072) a été intentée en vertu de l'article 13(3) de la Loi sur la Capitale nationale, en vue de faire fixer l'indemnité due pour des terrains expropriés par la Commission de la Capitale nationale pour le compte de Sa Majesté. Dans le jugement rendu dans cette action, il a été décidé que [TRADUCTION] «les défendeurs sont fondés à recevoir, sur remise à la demanderesse d'une quittance de toutes les réclamations découlant de l'expropriation, la somme de $142,000» plus les intérêts calculés d'une certaine manière et les frais taxables.
En août 1971, le sous-procureur général du Canada, en qualité d'avocat de la Commission de la Capitale nationale, a donné avis lors de l'action en expropriation de la présentation d'une demande, faite pour le compte de la Com mission de la Capitale nationale, [TRADUCTION] «en vue d'obtenir des instructions, conformé- ment à l'article 17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale, pour savoir à qui et pour quels mon- tants le solde restant en vertu du jugement rendu dans les présentes, ainsi que les frais de celles-ci, devaient être payés.» L'avis de requête faisait en outre savoir qu'à l'appui de celle-ci, il fallait lire le jugement, les plaidoiries et l'affidavit d'un certain William Oliver, dont voici le texte:
[TRADUCTION] Je, WILLIAM OLIVER, d'Ottawa, munici- palité régionale d'Ottawa-Carleton, expert, DÉCLARE SOUR SERMENT:
(1) Je suis expert pour la Commission de la Capitale nationale, je connais l'affaire et j'ai assisté à toute l'ins- truction de l'action devant la Cour de l'Échiquier du Canada.
(2) Le jugement rendu en l'espèce le 9 juin 1970 a accordé aux défendeurs la somme de $142,000.00, moins les acomptes déjà avancés, et plus les intérêts sur la partie non payée de celle-ci à compter du 3 novembre 1966 jusqu'à ladite date du jugement.
(3) Des paiements totalisant $105,000.00 avaient été faits à titre d'avances aux défendeurs de la façon suivante:
le 5 mai 1967 $70,000.00
le 11 octobre 1967 $35,000.00
et sur la foi de renseignements que je tiens pour véridiques, lesdits paiements faits à titre d'avances ont servi à exécuter la convention conclue entre les défendeurs, avant l'expro- priation, en vue d'acheter les terrains en question et à acquitter d'autres dépenses que les défendeurs avaient engagées avant l'expropriation.
(4) Pour autant que je sache, il reste en vertu du jugement la somme de $37,000.00, des intérêts s'élevant à $10,054.53 et les frais taxables des défendeurs.
(5) Le paragraphe 2 de la défense produite le 31 juin 1968 énonce que, le 3 novembre 1966, soit à la date de l'expropriation, les défendeurs étaient propriétaires des biens en question en qualité de fiduciaires au bénéfice de:
(1) Édouard Bourque
(2) Paul J. Bourque
(3) Bernard Bourque
(4) Pierre Bourque, et
(5) Lyall Haines
(6) Je me souviens qu'au cours de l'instruction de la présente action, Édouard Bourque a déclaré dans son témoignage que la participation desdits bénéficiaires dans les terrains était, en proportions, la suivante:
75%—entre—
(1) Édouard Bourque -1/6
(2) Paul J. Bourque -3/6
(3) Bernard Bourque -1/6
(4) Pierre Bourque et-1/6
25%—Lyall Haines.
(7) Je me souviens qu'au cours de l'instruction, Paul Bourque a témoigné qu'à la date de l'expropriation, cha- cune des personnes suivantes possédait une participation de 25% dans les biens en question:
Édouard Bourque -25%, Paul J. Bourque -25% Pierre Bourque -25%, et Lyall Haines-25%.
(8) Je suis informé que, depuis la date du jugement, le shérif de la municipalité régionale d'Ottawa-Carleton a signifié à la demanderesse des brefs de saisie-exécution aux noms des créanciers suivants en vertu du jugement, qui réclament parmi les sommes payables à Paul J. Bour- que celles que voici:
Raoul Lacroix $2,069.72
M. Loeb Limited $1,661.12
Wilfred Brady $992.52
(9) Je suis en outre informé que le ministère du Revenu national a déposé relativement aux sommes dues audit Paul J. Bourque une réclamation s'élevant à $475.57.
(10) Je suis de plus informé qu'il existe en faveur de Raoul Lacroix un jugement de la Cour provinciale du Québec condamnant ledit Paul J. Bourque à lui payer la somme de $1,754.40.
(I1) Je suis également informé qu'est pendante devant la Cour supérieure du Québec une action qu'a intentée Gérard Langlais, représenté par Albert Verreoulst, syndic de faillite, dans laquelle ledit demandeur réclame un tiers de l'indemnité due à la suite de l'expropriation des biens en question.
(12) Je suis enfin informé qu'est pendante devant les cours de l'Ontario une action intentée au nom de la Maclntyre Realties Limited, qui prétend avoir droit à la somme de $1,157.52 sur les indemnités pour services d'estimation rendus au défendeur relativement aux biens en question.
Il convient en outre de remarquer que l'avis de requête semble avoir été signifié à des avo- cats qui appartiennent à diverses firmes et qui ont pour clientes diverses personnes non parties à l'action en expropriation. Il n'y a pas, semble- t-il, d'affidavit indiquant qu'il y a eu significa tion de personne à personne.
La requête en question a été représentée en bonne et due forme et la Division de première instance l'a rejetée par un jugement en date du 23 août 1971.
Le présent appel porte sur le jugement reje- tant la requête.
Voici le texte de l'article 17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale:
(3) La Division de première instance a compétence exclu sive pour entendre et juger en première instance les ques tions suivantes:
c) les procédures aux fins de juger les contestations dans lesquelles la Couronne a ou peut avoir une obligation qui est ou peut être l'objet de demandes contradictoires.
Nous avons conclu que la requête visant à obtenir des instructions que la Commission de la Capitale nationale a présentée lors de l'action en expropriation a été à bon droit rejetée.
En premier lieu, il , convient de dire que, comme les dispositions qui nous intéressent de la Loi sur la Capitale nationale, exposées au début de ces motifs, semblent l'indiquer, nous sommes d'avis que le jugement rendu dans l'ac- tion en expropriation en faveur des défendeurs à cette action constitue une décision relative à une obligation de Sa Majesté du chef du Canada, dont elle doit se libérer à l'aide de
fonds qui lui appartiennent et que la Commis sion de la Capitale nationale administre.
Toutefois, cela ne suffit pas pour appuyer la demande présentée devant la Division de pre- mière instance. Nous ne doutons pas que la Cour est compétente, aux termes de l'article 17(3)c), pour juger une contestation dans laquelle la Couronne a une obligation, contrac- tée en vertu de la Loi sur la Capitale nationale, qui est l'objet de demandes contradictoires. Nous sommes cependant d'avis qu'il y a lieu de rejeter le présent appel:
a) parce que la Commission de la Capitale nationale n'avait pas qualité pour présenter la requête devant la Division de première ins tance, et
b) parce que la compétence ne peut être invo- quée par une simple requête présentée dans une action existante mais doit l'être par de nouvelles procédures prises en vertu de la Règle 604 des règles de la Cour fédérale.
En ce qui concerne la question du statut de la Commission de la Capitale nationale, on doit se souvenir que la Commission n'agit qu'en qualité de mandataire de Sa Majesté et qu'en l'absence d'autorisation légale spéciale, elle n'a donc pas le statut de partie dans un procès l'on fait valoir un droit de Sa Majesté ou une obligation contre elle. Son statut dans un litige semblable se limite donc aux pouvoirs légaux spéciaux qui lui sont conférés. A notre avis, l'article 4(4) de la Loi sur la Capitale nationale permet à la Commission de la Capitale nationale d'être partie aux procédures «à l'égard de tout droit acquis ou de toute obligation contractée par la Commission pour le compte de Sa Majesté» devant toute cour «qui aurait juridiction si la Commission n'était pas mandataire de Sa Majesté.» Ce paragraphe a évidemment pour objet de prévoir les litiges survenant devant les cours qui auraient juridiction si la Commission exerçait son activité pour son propre compte et non en qualité de mandataire de Sa Majesté. Cela n'autorise pas la Commission à être partie à une action devant cette Cour à l'égard de droits acquis ou d'obligations contractées par elle pour le compte de Sa Majesté. 2 Devant cette Cour, à notre avis, c'est au nom de Sa Majesté qu'il faut mener de telles procédures.
Il convient d'ajouter que s'il s'agissait du seul obstacle à la demande, nous serions dispo- sés à chercher quelque moyen de remédier à ce défaut. Comparer avec l'arrêt Sociedad Transo- ceanica Canopus S.A. c. Le Conseil des ports
nationaux [1968] 2 R.C.E. 330, la p. 346. Toutefois, à notre avis, le second obstacle à l'accueil de la requête est insurmontable.
Si l'on admet que la Cour est compétente à l'égard d'une affaire en vertu d'une disposition juridictionnelle telle que l'article 17(3)c), une partie doit respecter les règles pour invoquer cette compétence. Normalement, une partie cherche un redressement à l'encontre d'une autre et invoque la compétence en intentant une action sous le régime de la Règle 400. Il y a des dispositions particulières, habituellement dans les lois, pour intenter des poursuites sous certai- nes autres formes. Il est possible que le défaut d'avoir recours à une forme ou à une autre dans un tel cas n'ait pas trop d'importance et puisse généralement être corrigé en vertu de la Règle 302. Toutefois, la procédure, lorsqu'il y a con- flit entre les demandes faites par plusieurs per- sonnes contre la Couronne, est un genre très particulier de procédure. Une partie demande à la Cour de trancher des litiges qui ont surgi de telle façon qu'ils concernent d'autres personnes. Pour ce faire, il faut trouver un moyen de fournir la possibilité à chacune de ces autres personnes de venir faire valoir et défendre sa position. La Règle 604, qui suit le plan général de l'article 24 de la Loi sur la Cour de l'Échi- quier, était destinée à servir ce but. Tant que les diverses démarches qui y sont énoncées n'ont pas été effectuées, la Cour ne peut statuer sur les problèmes qui ont surgi. Les documents présentés à la Division de première instance en ce domaine sont tout à fait inappropriés.
En outre, il convient de souligner qu'une requête présentée en vertu de la Règle 604(1) pour demander des instructions doit être pré- sentée sous la forme d'une ordonnance provi- soire rédigée antérieurement, eu égard à la Règle 604(2) et (3), et présentée à la Cour pour examen, et elle doit être étayée par un affidavit donnant à la Cour, sous une forme définitive, une image complète des faits qui ont donné naissance à la demande, ainsi que par l'avis indispensable du sous-procureur général.
Enfin, il convient de remarquer qu'il n'était pas justifié de faire intervenir la question du conflit entre les demandes dans l'action en expropriation, car cette action se termine lors- que les dépenses accessoires relatives au juge- ment, telles que la taxation des frais, sont réglées, et que nous ne pouvons trouver dans cette affaire aucun fondement à l'absence de signification à personne à la fois de l'avis de requête devant la Division de première instance et de l'avis d'appel devant cette Cour.
Nous avons conclu que l'appel doit être rejeté, mais, en l'absence d'opposition, sans frais.
La Commission paye une telle indemnité sur les fonds que le Parlement lui attribue sur le Fonds du revenu conso- lidé. Voir les articles 16, 17 et 13(3) de la Loi sur la Capitale nationale. Même si l'article 13(3) exige que ces paiements soient faits «par la Commission», en raison des autres dispositions de la loi il est clair que la Commission effectue ces paiements en qualité de mandataire de Sa Majesté relativement à des obligations de Sa Majesté. En aucun cas la Commission n'est débitrice principale.
2 Comparer avec l'arrêt Société des Chemins de fer Natio- naux du Canada c. North-West Telephone Company [1961] R.C.S. 178.
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