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Le ministre du Revenu national (Appelant)
c.
Jay-Kay Publications Limited (Intimée)
Division de première instance, le juge en chef adjoint Noël—Ottawa, les 26 et 27 juin; le 31 août 1972.
Impôt sur le revenu—Annonces publicitaires dans une publication non canadienne—Cette dépense est-elle déducti- ble—L'encouragement des sciences est-il l'objet principal de la publication distribuée gratuitement—Loi de l'impôt sur le revenu, article 19.
La compagnie intimée, qui appartient à deux personnes très liées au milieu de la publicité, publie au Canada en vertu d'un accord de licence avec un éditeur américain, l'édition canadienne d'une publication américaine intitulée «Medical Aspects of Human Sexuality», qui contient des articles scientifiques sur ce sujet. Par l'accord de licence, la compagnie s'est engagée à créer grâce à l'édition canadienne des revenus publicitaires qui doivent passer de $56,000 en 1971 à $650,000 en 1975. La publicité est la seule source de revenus de la publication au Canada. L'édition cana- dienne est distribuée gratuitement à quelque 22,000 médecins.
L'article 19 de la Loi de l'impôt sur le revenu stipule:
«(1) Lors du calcul du revenu, il n'est accordé aucune déduction au titre d'un débours ou d'une dépense, déduc- tible par ailleurs, faite ou engagée par un contribuable pour la publication, dans un journal ou un périodique non canadien publié après le 31 décembre 1965, d'annonces intéressant surtout le marché canadien.
(4) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à une annonce parue dans
b) toute publication dont l'objet principal est d'encoura- ger, de favoriser ou de développer les beaux-arts, les lettres, les sciences ou la religion.»
Arrêt: Compte tenu de l'intention sous-jacente à l'article 19, c'est-à-dire, canaliser les annonces canadiennes vers des publications canadiennes, l'objet principal de la publication de l'intimée n'est pas d'encourager, de favoriser ou de développer les sciences mais est, dans une mesure au moins égale, de fournir un support à la publicité.
RENVOI à la Cour d'une question de droit en vertu de l'article 173(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
J. A. Scollin, c.r. et M. J. Bonner pour l'appelant.
D. G. H. Bowman pour l'intimée.
LE JUGE EN CHEF ADJOINT NOËL—Cette
affaire nous est soumise en vertu du paragraphe (1) de l'article 173 de la Loi de l'impôt sur le
revenu qui permet maintenant de faire trancher par cette Cour une question de droit, une ques tion de fait ou une question de droit et de fait surgissant dans l'application de cette loi, lors- que le contribuable et le ministre du Revenu national en conviennent par écrit.
Il s'agit dans cette instance de savoir le
périodique intitulé «Medical Aspects of Human Sexuality» est une publication dont l'objet prin cipal est d'encourager, de favoriser ou de déve- lopper les sciences, au sens du paragraphe (4) de l'article 19 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont voici le texte:
19. (1) Lors du calcul du revenu, il n'est accordé aucune déduction au titre d'un débours ou d'une dépense, déducti- ble par ailleurs, faite ou engagée par un contribuable pour la publication, dans un journal ou un périodique non canadien publié après le 31 décembre 1965, d'annonces intéressant surtout le marché canadien.
(4) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à une annonce parue dans
a) un catalogue, ou dans
b) toute publication dont l'objet principal est d'encoura- ger, de favoriser ou de développer les beaux-arts, les lettres, les sciences ou la religion.
Les parties s'accordent à reconnaître les faits suivants:
[TRAnucTioNjl. La Jay-Kay Publications Limited est l'é- diteur de l'édition canadienne de «Medical Aspects of Human Sexuality».
2. Les pièces 1 à 9 sont des exemplaires des numéros de l'édition canadienne de «Medical Aspects of Human Sexua lity», à savoir la série allant du numéro 1 du volume 1 au numéro 5 du volume 2, publiés entre septembre 1971 et mai 1972 inclus.
3. Le ministre du Revenu national et l'autre partie diffè- rent sur le point de savoir si une déduction pour le calcul du revenu au titre d'un débours ou d'une dépense faite ou engagée par un contribuable pour la publication d'annonces dans «Medical Aspects of Human Sexuality» est interdite par l'article 12A de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année 1971, ou par l'article 19 de la Loi de l'impôt sur le revenu, telle qu'elle s'applique à l'année fiscale 1972.
4. En raison de ce désaccord, la Jay-Kay Publications Limited est dans l'impossibilité de faire savoir à ses annon- ceurs s'ils peuvent, lors du calcul de leur revenu, déduire tous débours ou dépense faits ou engagés pour la publica tion d'annonces dans ce périodique.
5. «Medical Aspects of Human Sexuality» est un périodique:
a) dont la composition; annonces est faite au Canada;
b) qui est imprimé au Canada;
c) qui est rédigé au Canada par des particuliers qui y résident;
d) qui est publié au Canada; et
e) qui est édité ou publié en vertu d'un permis accordé par la Hospital Publications Inc., qui édite ou publie des numéros d'un périodique qui sont imprimés, rédigés ou publiés hors du Canada.
C'EST POURQUOI les parties conviennent de ce qui suit:
1. La Cour fédérale du Canada devra trancher, confor- mément au paragraphe (3) de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, S.C. 1970, chapitre 1 et au paragraphe (1) de l'article 173 de la Loi de l'impôt sur le revenu, la question suivante:
L'édition canadienne de «Medical Aspects of Human Sexuality» est-elle une publication dont l'objet principal est d'encourager, de favoriser ou de développer les scien ces au sens du paragraphe (4) des articles 19 et 12A de la Loi de l'impôt sur le revenu?
2. La question devra être tranchée d'après les faits énon- cés dans cet accord et d'après toute autre preuve apportée par les parties et non incompatible avec celui-ci, y compris la déposition d'experts.
Le périodique en question, étant édité ou publié en vertu d'un permis accordé par une personne qui édite ou publie des numéros d'un périodique qui sont imprimés, rédigés ou publiés hors du Canada, est visé par la clause (E) du paragraphe (5)a)(ii) de l'article 19 de la loi' et ne peut dès lors être tenu pour une édition canadienne. N'étant pas une édition canadienne, il est visé par le paragraphe (1) de l'article 19 qui énonce que
Lors du calcul du revenu, il n'est accordé aucune déduc- tion au titre d'un débours ou d'une dépense, déductible par ailleurs, faite ou engagée par un contribuable pour la publi cation, dans un journal ou un périodique non canadien publié après le 31 décembre 1965, d'annonces intéressant surtout le marché canadien.
à moins qu'un tel périodique ne soit, conformé- ment au paragraphe (4)b) de l'article 19, une «publication dont l'objet principal est d'encou- rager, de favoriser ou de développer les beaux- arts, les lettres, les sciences ou la religion».
L'unique question à trancher est donc celle de savoir si «l'objet principal» du périodique intitulé «Medical Aspects of Human Sexuality» est d'encourager, de favoriser ou de développer les sciences.
On a produit dix numéros, allant de septem- bre 1971 à juin 1972, sous la cote A-1. Ces numéros contiennent un certain nombre d'arti- cles dont certains figuraient déjà dans la version
américaine du périodique tandis qu'un petit nombre sont d'auteurs canadiens.
Un exposé des buts de la revue apparaît à la page 3 de chaque numéro; il décrit les objectifs poursuivis par ce périodique et nous aidera à établir l'intérêt de ce périodique pour la profes sion médicale. Je reviendrai plus tard sur ce point. Un certain nombre de médecins ont témoigné quant à l'utilité pour les médecins canadiens des articles publiés dans ce périodique.
Le D r J. N. Rushforth, médecin de famille à Ottawa, marié et père de 5 enfants, a témoigné en citant un extrait du manuel de Sampson Wright «Applied Physiology» (9 e édition): [TRA- DUCTION] «La technique, les aspects moraux et esthétiques des rapports sexuels sont des ques tions d'une importance extrême mais ne sont jamais enseignés par les physiologistes et sont rarement abordés d'une manière satisfaisante au cours des études médicales.» D'après le D r Rushforth, cette citation confirme son expé- rience et celle des collègues qu'il a consultés. On s'attend, dit-il, à ce qu'un médecin «con- naisse la réponse» à des problèmes au sujet desquels il n'a reçu aucune formation particulière.
Il a affirmé que chaque numéro du périodique en cause contient des articles qui apportent une contribution intéressante aux connaissances de la plupart des praticiens. Il a aussi affirmé par- tager l'opinion qu'exprime Eric Bern dans son livre «Sex in Human Loving» à propos de la version américaine du périodique canadien: [TRADUCTION] «C'est en 1967 qu'a commencé la publication du mensuel «Medical Aspects of Human Sexuality», le plus sensé, le plus sérieux et le plus respectable des périodiques de ce genre». Il a fait remarquer que parmi les bran ches de la médecine, ce sont la psychiatrie, l'obstétrique, la gynécologie et l'urologie qui présentent le plus de rapports avec la sexualité humaine; et que dans l'ensemble, la liste des auteurs d'articles publiés dans cette revue com- porte un bon nombre de sommités dans ces disciplines.
Le D r Walter J. Hannah, médecin de Toronto, a obtenu son diplôme de l'Université Western en 1953. Il est professeur-adjoint d'obstétrique
et de gynécologie à l'Université de Toronto et membre du Collège royal des chirurgiens (Canada). Le Dr Hannah a déclaré qu'il existe dans toute discipline une certaine somme de connaissances et que l'augmentation de ces con- naissances correspond en partie à la recherche effectuée dans ce domaine. Les connaissances nouvelles ne proviennent pas seulement de la recherche et de l'analyse: elles peuvent aussi découler de l'accumulation de savoir que pro- duit normalement une longue pratique. Ceci, dit-il, est particulièrement vrai dans le cas de la médecine.
La nature même de la matière, à savoir la sexualité humaine, ne se prête pas à l'analyse scientifique ou aux expériences soigneusement contrôlées et répétées qui permettent, par exemple, l'étude des effets d'un nouveau médi- cament sur une maladie déterminée. Il existe, dit-il, de nombreux ouvrages traitant des aspects anormaux de la sexualité, notamment des perversions, des déviations, etc., dont cer- tains remontent à plusieurs décennies, mais ce n'est que très récemment que notre somme de connaissances sur ce domaine fondamental de nos vices a commencé à s'accroître. Il a rappelé le travail de pionnier effectué par Masters et Johnson, qui ont mis en évidence quelques-uns des phénomènes physiologiques fondamentaux associés à l'activité sexuelle, et ont ainsi permis l'élaboration de méthodes de plus en plus per- fectionnées visant à résoudre quelques-uns des problèmes difficiles mais assez fréquents aux- quels les médecins ont à faire face. Néanmoins, a-t-il ajouté, une grande partie des connaissan- ces des médecins en ce domaine a un caractère empirique qu'elle conservera nécessairement puisque la sexualité humaine ne peut, sauf en de rares circonstances, être étudiées dans les con ditions soigneusement contrôlées qu'exigent d'autres formes de recherche scientifique. Il a fait remarquer que nos connaissances dans ce domaine ont toujours été fragmentaires et que notre conception de cette question a été défor- mée par les préjugés que nous a inculqués notre éducation. Il a affirmé qu'à la suite de cette prise de conscience du rôle important que joue la sexualité dans les relations humaines et de l'insuffisance de nos efforts pour résoudre les problèmes qui en découlent, on a perçu, depuis déjà quelque temps, la nécessité d'un moyen de
diffusion des connaissances dans ce domaine. A son avis, si l'on examine les résultats obtenus jusqu'ici, le journal «Medical Aspects of Human Sexuality» a contribué à satisfaire ce besoin. Les textes que l'on y trouve, dit-il, favorisent et augmentent le savoir sur ce sujet très important: il s'agit d'articles sur la sexua- lité, par des auteurs dont la compétence dans ce domaine est reconnue, et d'échanges de vues basés sur l'expérience de la consultation dans diverses villes. L'effet le plus important de cette revue, a-t-il ajouté, est peut-être d'avoir forcé les médecins à remettre en question leurs opinions et leur système de valeurs pour tenter de parvenir à une plus grande objectivité dans le traitement des difficultés de leurs patients dans ce domaine. Il a terminé en disant que tous ces éléments augmentent progressivement la somme des connaissances dont peut disposer le praticien.
Le D r Charles A. Roberts a été reçu docteur en médecine en 1942 et dirige maintenant le service de psychiatrie du Royal Ottawa Hospi tal. Parallèlement, il a poursuivi sa carrière dans l'enseignement: d'abord professeur adjoint à l'Université McGill, puis professeur associé à l'Université de Toronto et enfin professeur et chef du département de psychiatrie à l'Univer- sité d'Ottawa. Au cours de sa pratique en psy- chiatrie, il a pris conscience, dit-il, de l'impor- tance et de la grande portée du comportement sexuel pour l'adaptation des êtres humains à leur environnement et à la vie. Il a aussi fait remarquer que jusqu'à tout récemment on ne disposait que de très peu de données sur le comportement sexuel de l'homme, sauf peut être les théories élaborées par Sigmund Freud et ses collaborateurs. A la suite, dit-il, du démarrage de la recherche aux États-Unis, on a pu disposer d'un plus grand nombre de données, et plus récemment, au Canada, un certain nombre de gens se sont consacrés à l'étude de ce domaine. Dès qu'on entreprend des recher- ches, on éprouve le besoin d'un moyen de publi cation et d'échange des connaissances et des renseignements acquis; le D r Roberts a fait remarquer qu'à sa connaissance la seule publi cation actuellement disponible au Canada est «Medical Aspects of Human Sexuality». Cette publication, dit-il, a fourni un débouché permet- tant la diffusion des connaissances dans ce
domaine et a de ce fait stimulé et encouragé la recherche concernant le comportement sexuel de l'homme. Une fois les connaissances acqui- ses, il devient nécessaire de les diffuser et de les rendre disponibles aux praticiens pour per- mettre la mise au point de méthodes visant à satisfaire les besoins des patients dont la mala- die est reliée au comportement et à l'adaptation sexuels. Il a affirmé que par leur nature, les articles contenus dans cette revue sont utiles à la médecine.
Le Dr R. W. Tooley, docteur en médecine, a obtenu à Londres en 1952 le diplôme de méde- cine et de chirurgie de la Society of Apothecar ies et a pratiqué la médecine en Angleterre pendant un certain nombre d'années. Il fait maintenant partie de la division de la planifica- tion familiale du ministère de la Santé et du Bien-être du gouvernement du Canada. Le D r Tooley a affirmé que l'étude de la sexualité humaine, qui couvre non seulement l'anatomie, la physiologie sexuelle et la reproduction mais aussi la psychologie du comportement sexuel, les buts et méthodes du contrôle des naissances, et ses incidences sur le comportement, fait partie de la science médicale. A son avis, les médecins peuvent et doivent jouer un rôle important dans le traitement et la guérison de problèmes cliniques relatifs à la psychologie et au comportement qui peuvent se poser dans ce domaine. Il a aussi affirmé que l'enseignement de la sexualité humaine dans les facultés de médecine ne suffit pas à permettre aux méde- cins d'exercer aussi efficacement qu'on pourrait le souhaiter dans ce domaine, et a exprimé l'opi- nion que «Medical Aspects of Human Sexua lity» ajoute aux connaissances dont disposent les médecins sur la sexualité humaine et les invite, en publiant des articles de grande valeur par des auteurs très qualifiés, à pousser plus avant leurs lectures sur ce sujet. Il a aussi fait remarquer que le rédacteur en chef s'est adjoint un comité consultatif médical, dont certains membres sont d'éminents universitaires.
Le D r Marion H. Powell de Don Mills (Onta- rio) est le directeur médical de «Medical Aspects of Human Sexuality». Elle est de plus professeur de démographie au département d'administration sanitaire de l'École d'hygiène de l'Université de Toronto et professeur adjoint
au département de médecine préventive de la Faculté de médecine de l'Université de Toronto. Elle détient un diplôme d'hygiène publique de l'École d'hygiène de l'Université de Toronto et a présidé l'association Planned Par enthood de Toronto pendant 2 ans. En tant que directeur médical du journal, le D r Powell a eu l'occasion de lire les articles destinés à y être publiés avant et après leur publication. Elle a affirmé que la diffusion du journal est limitée aux membres de la profession médicale en exer- cice. Elle a fait remarquer que des médecins qui n'ont pas eu par ailleurs une formation suffi- sante dans le domaine de la sexualité se voient demander de plus en plus fréquemment de s'oc- cuper des problèmes de leurs patients en matière sexuelle. La société, dit-elle, se tourne vers les médecins en tant qu'experts dans ce domaine, et leur demande d'appliquer leurs con- naissances et leur expérience aussi bien à l'exa- men des problèmes sexuels des patients qu'à la formation d'éducateurs sexuels. La sexualité, d'après le D r Powell, a été un aspect négligé de la formation des médecins. Cependant elle exige de plus en plus de temps et d'expérience de la part des praticiens, qui voient de nombreux patients leur soumettre des problèmes sexuels provenant au moins en partie du climat de plus grande liberté sexuelle dans lequel nous vivons en ce moment. Le Dr Powell est d'avis que la revue a réussi à couvrir les aspects sociologi- que, physiologique et psychologique de la médecine en matière de sexualité et a ainsi, dit-elle, rétabli le contact entre le praticien tra- ditionnel et le médecin qui a acquis des connais- sances spécialisées en traitant et conseillant des personnes ayant des problèmes sexuels, qu'ils soient d'ordre physiologique ou psychologique. La revue, dit-elle, apporte des connaissances d'une grande valeur dans ce domaine de la médecine aux médecins qui sont quotidienne- ment appelés à traiter des problèmes sexuels dans leur pratique. Le D r Powell a affirmé que la sexualité humaine est en train de s'imposer comme objet de l'une des branches de la méde- cine. Les médecins, dit-elle, sont les personnes les plus capables de travailler dans cette spécia- lité à cause de leurs connaissances en physiolo- gie et en anatomie et de leur expérience dans le traitement de problèmes médicaux consécutifs à des troubles psychologiques. Un malade sur
cinq parmi la clientèle des gynécologues souf- fre, dit-elle, de troubles qui sont dus ou pour le moins aggravés par des problèmes sexuels. Elle estime que «Medical Aspects of Human Sexua lity» est unique parmi les revues médicales du Canada; la connaissance et la compréhension des problèmes sexuels qu'elle fournit aux prati- ciens leur permettent de traiter les difficultés de leurs patients de manière plus judicieuse et plus efficace; en outre, elle les incite à pousser plus loin leurs recherches et leurs lectures dans ce domaine, et à partager leurs idées et leur expé- rience avec d'autres médecins. Étant donné l'as- pect formateur de cette publication, plusieurs des membres du comité consultatif proviennent du milieu universitaire ou sont même profes- seurs; plusieurs d'entre eux, dit-elle, ont signé des éditoriaux, des articles originaux ou des réponses aux questions des lecteurs. Le D r Powell a déclaré qu'en sa qualité de médecin- hygiéniste de la ville de Scarborough, elle est très consciente de l'importance des problèmes sexuels dans la société. L'incidence des mala dies vénériennes augmente et les problèmes sociaux résultant d'autres types de maladies sexuelles présentent pour les médecins, dont la formation ne les a pas vraiment préparés à régler des problèmes de cette nature, des diffi- cultés constantes. D'après elle, la revue répond à un pressant besoin de la médecine; elle a ajouté que si elle n'en avait pas été convaincue, elle n'aurait pas accepté de faire partie du comité de rédaction. Cette revue, dit-elle, publie et diffuse les connaissances et l'expérience d'experts dans cette branche de la médecine au bénéfice des autres membres de la profession et incitent ces derniers à augmenter leurs connais- sances. Enfin, la Cour a entendu deux méde- cins, mari et femme. Le mari, le Dr Avinoam B. Chernick, a fait ses études de médecine à l'Uni- versité de Western (Ontario) en 1962. Après son internat en médecine générale, il a entrepris des études supérieures en obstétrique et gyné- cologie à London et à Hamilton (Ontario) sous la direction du Dr R. A. H. Kinch. Il a été admis au Collège royal des chirurgiens du Canada en 1968. Il a ensuite poursuivi ses études à Wins- ton-Salem (Caroline du Nord) sous la direction du Dr Clark Vincent; puis il s'est formé pendant un an à l'orientation conjugale et à l'éducation familiale, tout en se voyant confier par la
Faculté de médecine de l'Université de Pennsyl- vanie à Philadelphie un cours sur la sexualité humaine relevant de la division des études sur la famille du département de psychiatrie. Depuis 1969, il exerce à titre privé l'obstétrique et la gynécologie à London (Ontario); avec sa femme, le D r Beryl Chernick, il pratique la co-thérapie pour le traitement du dysfonction- nement sexuel.
A son avis, le contenu du journal présente un intérêt pratique pour de nombreux médecins et est de nature à améliorer le travail des médecins dans ce domaine. Il est maintenant reconnu, dit-il, que le sexe et la sexualité font partie intégrante de la médecine de famille, de l'obsté- trique et de la gynécologie. Il a fait remarquer qu'il existe aujourd'hui dans le domaine de l'obstétrique et de la gynécologie de nombreu- ses revues spécialisées, au nombre desquelles on peut selon lui ranger «Medical Aspects of Human Sexuality».
Sa femme, le D r Beryl A. Chernick, détient aussi un diplôme de l'Université Western, mais elle l'a obtenu en 1963. Ayant ensuite obtenu une bourse du Conseil de recherches médicales du Canada, elle a poursuivi pendant quatre ans des études supérieures à l'Université sous la direction des docteurs C. W. Gowdy, professeur et directeur du département de pharmacologie, et Robert A. H. Kinch, professeur et directeur du département d'obstétrique et de gynécologie; au terme de ces études, elle a obtenu en 1967 un doctorat en pharmacologie. Le département d'hygiène publique de la municipalité l'a ensuite invitée à mettre sur pied la clinique municipale de planification familiale et à diriger et former les infirmières d'hygiène publique à l'orientation des patients de cette clinique. Le D r Chernick a affirmé qu'au cours de ses études et de sa formation médicales, tant avant qu'après l'ob- tention de son diplôme, elle n'a reçu aucune formation portant sur le fonctionnement sexuel de l'homme et les livres ou autres publications elle aurait pu trouver des renseignements utiles ne lui ont jamais été indiqués. Grâce à l'intérêt que lui manifestait le D r Kinch et à ses encouragements, elle a donc cherché une for mation complémentaire aux États-Unis, puisque nul n'offrait une formation équivalente au Canada à cette époque. Elle a passé 6 mois en
stage de recherches post-doctorales au Behav ioral Sciences Center de l'École de médecine Bowman Gray, à l'Université Wake Forest de Winston-Salem (Caroline du Nord), sous la direction du D' Clark Vincent, sociologue de renom qui a été l'un des premiers à donner aux étudiants en médecine un enseignement portant sur les sciences du comportement humain, notamment dans ses aspects relatifs à la sexua- lité. Elle a ensuite consacré une autre année à recevoir une formation clinique en orientation conjugale à la division des études sur la famille du département de psychiatrie à la Faculté de médecine de l'Université de Pennsylvanie à Phi- ladelphie, sous la direction du D' Harold I. Lief. Depuis juillet 1969, elle exerce à titre privé à London (Ontario), et se spécialise dans l'orien- tation conjugale et sexuelle; avec son mari, le Dr Avinoam Chernick, elle pratique la co-théra- pie dans ce domaine. Elle est chargée de cours honoraire à la division de médecine familiale du département de médecine sociale de l'Univer- sité Western et est également membre de l'American Association of Marriage and Family Counsellors. Selon le D' Chernick, au cours des trois dernières années, un nombre impression- nant de patients venant de London et des envi rons mais aussi de lieux éloignés au Canada, en butte à des problèmes de relations interperson- nelles, notamment dans leurs relations sexuel- les, lui ont été recommandés par d'autres méde- cins. Cela est attribuable au fait que ces médecins ne disposent pas personnellement des connaissances et de l'expérience qui leur per- mettrait d'aider leurs patients dans ce domaine. Elle a ajouté qu'elle reçoit de plus en plus fréquemment des demandes de médecins, qui désirent obtenir des renseignements et une for mation qui améliorerait l'efficacité de leurs traitements. Parmi les patients qui lui ont été référés, dit-elle, beaucoup présentent des angoisses qui auraient pu être soulagées rapide- ment et de façon assez simple par leur médecin si ce dernier avait su quels renseignements leur donner et la manière la plus réconfortante de le faire. Elle a affirmé que jusqu'à tout récemment les sources écrites de renseignements utiles concernant la sexualité humaine étaient limi- tées. Durant son année d'études à l'Université de Pennsylvanie, elle a souvent eu l'occasion de lire un mensuel appelé «Medical Aspects of
Human Sexuality» qui, dit-elle, était utilisé comme source de référence et comme base de discussion aussi bien dans les séminaires, que dans les cours aux étudiants de l'école de méde- cine. Elle a constaté que cette revue fournissait des données cliniques sur les fonctions sexuel- les et leur dysfonctionnement, de même que des données récentes se rapportant à ce phénomène et provenant de la sociologie, de la psychologie et des autres sciences du comportement. Elle permettait en outre, dit-elle de prendre connais- sance des opinions des plus éminents cher- cheurs et thérapeutes en matière de sexualité. Elle a affirmé qu'à son retour au Canada, l'im- possibilité de se procurer cette revue l'avait consternée. Les données récentes fournies par la revue et l'encouragement que lui apportaient ses articles dans ses propres recherches lui ont manqué. Elle doit avoir appris avec plaisir il y a un an la nouvelle que la Jay-Kay Publications envisageaient d'introduire «Medical Aspects of Human Sexuality» au Canada et elle a accepté avec empressement l'invitation de cet éditeur à occuper la charge de directeur-conseil pour le Canada. Elle a finalement affirmé que les textes publiés dans cette revue l'ont incitée à poursui- vre ses recherches dans ce domaine et ont influencé ses méthodes cliniques. Les comptes rendus d'autres chercheurs, dit-elle, lui ont fourni matière à comparaison avec ses propres observations cliniques et elle s'est inspirée des textes tirés de cette publication au cours de son enseignement aux médecins, activité qui occupe en ce moment une part importante de ses efforts.
L'exposé des buts que l'on trouve à la page 3 de chacun des numéros nous donne une bonne idée de l'intention des éditeurs; la teneur me semble en être confirmée par les témoignages des médecins de même que par le contenu des articles figurant dans les dix numéros publiés à l'époque de l'audience. Je crois donc utile de le reproduire ici:
[TRADUCTION] ÉDITION CANADIENNE EXPOSÉ DES BUTS
Les médecins prennent de plus en plus conscience de la nécessité d'affiner leur compréhension et leurs méthodes de traitement des troubles reliés à la sexualité chez leurs mala- des. Pour reprendre les termes d'un éditorial du JAMA (Sexe et médecine, JAMA 197:146, 18 juillet 1966):
Pour certains, la vie sexuelle constitue le sanctuaire de la vie privée et ne se prête donc pas à l'étude ou à l'analyse. Aucun critère scientifique ne peut justifier une telle conclusion. Il n'est pas plus raisonnable d'enseigner aux étudiants l'anatomie des organes reproducteurs en ignorant le fonctionnement de ces organes au cours de leur activité propre qu'il ne le serait d'étudier l'anatomie de l'estomac en faisant fi de toute connaissance concer- nant sa motilité, ses sécrétions ou ses maladies au cours des différentes phases de l'activité gastrique ... Une des raisons pour lesquelles de nombreux médecins ont renoncé à jouer leur rôle de conseiller en matière sexuelle est peut-être qu'ils admettent l'insuffisance de leurs connaissances.
Un autre indice de cette lacune est la réaction presque unanime d'un pour cent des médecins canadiens, consultés au moyen d'une entrevue personnelle avant qu'il soit décidé de publier une édition canadienne de MEDICAL ASPECTS OF HUMAN SEXUALITY. Des 31,000 médecins du Canada, 317 ont été interrogés et 316 ont réagi favorablement. Les entrevues qui devaient durer 10 minutes durèrent en fait 50 minutes dans 85% des cas. Les médecins ont clairement fait état à cette occasion du besoin de renseignements supplé- mentaires sur la sexualité humaine au Canada, ainsi que l'intérêt qu'ils portaient à cette entreprise et les suggestions qui leur venaient à l'esprit à ce sujet. Aux États-Unis, pas moins de 98% des réponses données par 11,500 médecins lors d'un sondage manifestaient le même intérêt avant la première parution de MEDICAL ASPECTS OF HUMAN SEXUA LITY en 1967.
MEDICAL ASPECTS OF HUMAN SEXUALITY fournira une information sérieuse sur les difficultés d'ordre sexuel qu'é- prouvent de nombreux patients. Cette information clinique permettra au médecin de traiter plus efficacement un grand nombre de ces problèmes et sera complétée par les données les plus récentes en la matière provenant de la sociologie, de la psychologie et d'autres sciences du comportement.
En tant que revue scientifique, MEDICAL ASPECTS OF HUMAN SEXUALITY n'a pas pour but de promouvoir un point de vue particulier. Nos distingués directeurs-conseils repré- sentent une grande variété d'opinions mais partagent une même conviction: les troubles reliés à la sexualité concer- nent à juste titre tous les médecins et l'importance de ces problèmes justifie la publication d'une revue sérieuse et responsable. Telle se veut cette revue.
Nous souhaitons recevoir votre opinion, vos critiques et vos suggestions.
Il ne fait aucun doute que cette publication permet de porter à la connaissance des méde- cins du Canada le résultat de recherches et de travaux scientifiques dans le domaine de la sexualité humaine et qu'il s'agit d'une initia tive sans précédent. Ce domaine bien sûr n'est pas tout nouveau; ce qui est nouveau, c'est que des médecins tentent de l'aborder d'une manière scientifique à l'intention de la profes sion médicale. Jusqu'ici, cette tentative n'a pas suscité tellement de nouvelles recherches dans
ce domaine par des médecins mais ceci ne sau- rait guère surprendre puisque cette publication n'existe que depuis 10 mois. En fait, ce n'est pas encore aujourd'hui que l'on peut porter un jugement valable sur une telle publication. Le mieux serait d'attendre quelques années; l'on pourrait alors mieux apprécier l'impact des arti cles qu'on y a publiés sur la médecine ou la science au Canada. Cela supposerait qu'entre- temps, l'éditeur doive prendre deF risques et l'éditer sans annonces publicitaires ou presque et attendre assez longtemps avant d'avoir l'as- surance que les annonceurs seraient autorisés à déduire leurs dépenses de publicité. Ceci n'est possible que si l'on a la volonté et les moyens de dépenser des sommes considérables pendant cette période; dans le cas présent, l'éditeur ne pouvait pas agir ainsi, étant donné qu'il s'était engagé, par l'accord de licence passé avec le propriétaire du périodique américain, accord sur lequel je reviendrai plus loin, à produire un certain revenu au moyen de la publicité. Il en découle que le financement est un aspect très important de la publication de ce périodique. Il n'y a toutefois rien d'abusif dans le fait qu'un éditeur cherche à faire des bénéfices et je con- cède volontiers que le caractère scientifique d'un périodique ne doit pas souffrir de l'aspect commercial des opérations nécessaires à son lancement et à sa survie. En fait, pour ma part, un périodique scientifique m'impressionne davantage s'il constitue un succès financier que s'il n'est pas prospère. Je ne pense pas qu'il suffise de dire ici que parce qu'un éditeur est par ailleurs heureux en affaires la publication ne peut de ce fait être considérée comme «encou- rageant les sciences»; si c'était la seule ques tion à examiner pour résoudre le problème qui nous occupe ici, il me serait facile de décider que la publication «Medical Aspects of Human Sexuality» contient un certain nombre d'articles sérieux qui, compte tenu du sens du mot «science», me paraissent relever de cette caté- gorie. Scholarship a été traduit dans la version française par «les sciences» (et à mon avis aurait être traduit par «le savoir») et se réfère, selon moi, dans le contexte du paragra- phe (4) à un niveau de connaissance relative- ment élevé. Il s'agit je crois de connaissances qui vont quelque peu au-delà de ce que peut savoir une personne possédant déjà une forma-
tion dans un certain domaine de l'activité humaine. Il doit s'agir d'une augmentation des connaissances d'une personne possédant déjà une certaine formation de base. Scholarship, d'après le dictionnaire Webster, désigne [TRA- DUCTION] «le caractère, les qualités ou le savoir d'un érudit; l'oeuvre d'un savant; l'ensemble des connaissances, provenant notamment de la recherche, dans un domaine spécialisé»; cette définition me paraît correspondre au sens du mot scholarship dans le paragraphe ci-dessus. Il ne fait pas de doute que la publication présente également un intérêt pratique, ce qui ne saurait guère surprendre puisque les sciences médica- les, par leur nature même visent un résultat pratique. Il serait même déplorable que des travaux de science médicale ayant trait aux fonctions de l'homme ne consistent qu'en une simple démonstration de métaphysique ou qu'ils ne produisent que des résultats purement acadé- miques sans application pratique. Je reconnais donc qu'il n'y a pas lieu ici d'exclure les con- naissances acquises par la recherche, pour le seul motif qu'elles présentent par ailleurs un intérêt pratique. Par contre, si la revue n'est qu'un artifice visant à fournir un support publi- citaire aux compagnies pharmaceutiques, c'est bien sûr une autre affaire. Toutefois, il m'appa- raît que si cela est le seul but de l'éditeur, la revue ne survivra pas très longtemps car les médecins ne la liront pas et les annonceurs constateront qu'ils ne rejoignent pas leurs clients. La réponse à donner à la question de savoir si l'objet principal' de cette publication est d'encourager, de favoriser et de développer les sciences n'est pas facile parce que l'on ne peut dire à propos de cette revue que ses édi- teurs n'ont pas publié, dans les dix numéros parus jusqu'ici, des articles de nature scientifi- que, utiles aux médecins dans leur travail quoti- dien, et par ailleurs riches d'informations de caractère scientifique et même susceptibles de susciter des recherches et des travaux plus poussés sur les sujets qui y étaient traités. Le témoignage des médecins sur ce point de même que le contenu des articles, que j'ai tous- lus, est concluant et incontesté. Si l'on tient compte du calibre des auteurs de ces articles, de même que du contenu de ces textes, il faut reconnaître que cette publication constitue un moyen de diffu sion du savoir dans un domaine qui jusqu'à tout
récemment n'avait jamais fait l'objet d'études rigoureuses par des médecins.
Mais il faut tenir compte d'un autre élément, et se demander si l'objet principal de la publica tion (et pas seulement son contenu) est de favo- riser les sciences; pour résoudre cette question, il nous faut bien sûr examiner les antécédents de l'éditeur ou des éditeurs et la manière dont la publication a été lancée. Bien qu'il n'y ait nor- malement pas lieu de se demander si un éditeur cherche à réaliser des bénéfices avec une publi cation pour juger du caractère scientifique du contenu de cette publication, il est possible qu'il faille soulever cette question pour déterminer si «l'objet principal» de cette publication est de favoriser les sciences.
L'avocat du ministère a affirmé que l'ensem- ble des circonstances donne lieu de croire que cette publication est bien plus un support publi- citaire qu'un effort vraiment sincère de diffu sion et d'encouragement du savoir; étant donné la manière dont l'éditeur a obtenu la licence du propriétaire américain de la publication améri- caine ainsi que les stipulations de la licence, il faut reconnaître qu'il peut bien y avoir du vrai dans ces affirmations. Le but du texte législatif dont il est question ici, soit l'article 19, n'était pas, j'en suis sûr, d'édifier un mur culturel ou de priver les médecins canadiens de l'accès aux meilleurs cerveaux des États-Unis ou du monde, ou de limiter l'afflux de données scienti- fiques du type de celles que contenaient les divers numéros des éditions américaines et canadiennes et dont je suis prêt à reconnaître l'intérêt non seulement pour les médecins cana- diens mais aussi pour tous les Canadiens qui éprouvent le genre de difficultés dont il est question dans ces articles. Il est toutefois possi ble que les limitations imposées par le paragra- phe (4) de l'article 19 aient pour résultat d'em- pêcher de tels articles de pénétrer dans ce pays si l'on choisit de les publier dans une publica tion canadienne (présumée étrangère) comme c'est le cas en l'espèce.
L'intention implicite que l'on retrouve dans l'article 19 est de fournir aux éditeurs de publi cations canadiennes le stimulant que constitue la publicité canadienne et d'empêcher les annonceurs canadiens de déduire leurs frais de
publicité lorsque ceux-ci servent à l'achat de placards publicitaires dans un numéro d'un journal ou périodique non canadien à l'excep- tion très importante de la revue Time et du Reader's Digest, qui n'appartiennent pas à la catégorie «journal ou périodique publié après le 31 décembre 1965». Dans ces conditions, il faut considérer la catégorie visée par l'exception prévue au paragraphe (4) comme étant ces publications dont l'orientation commerciale n'est pas trop marquée ou qui, étant donné les sujets qu'elles traitent (les arts, les sciences, la religion, les lettres) ne devraient pas enlever beaucoup de revenus publicitaires aux publica tions canadiennes. En fait, il est intéressant de rapprocher les termes du paragraphe (4) de l'in- terdiction exprimée par l'article 19: il en découle clairement, à mon avis, que l'exemption prévue ne peut profiter qu'aux publications domine l'intérêt pour les questions artistiques, scientifiques, littéraires ou religieuses, la publicité n'est pas un élément primordial, et ces questions ne sont pas utilisées pour rejoin- dre un marché lucratif pour les producteurs de marchandises. Si telle est bien la règle de l'arti- cle 19, quelqu'exception que l'on puisse y con- sentir ne peut, à mon sens, aller à l'encontre de son but manifeste, qui est, je l'ai déjà dit e de réserver le soutien des annonceurs canadiens aux publications et aux périodiques canadiens.
Gardant ces considérations à l'esprit, j'exa- mine maintenant la Jay-Kay Publications, com- pagnie qui publie ce journal ou périodique. Cette compagnie est très liée au milieu de la publicité. Knox, l'actionnaire majoritaire, est rompu aux techniques de commercialisation et de vente. Becker, l'actionnaire minoritaire, est un publicitaire de New York. L'accord de licence établit les conditions que la Jay-Kay Publications doit respecter pour conserver son droit d'utiliser le titre du périodique et de repro- duire dans la revue canadienne les articles publiés dans la version américaine. La Jay-Kay doit en vérité satisfaire à des conditions qui n'ont aucun rapport avec les sciences mais con- cernent strictement la croissance régulière des revenus publicitaires qu'elle doit créer. De reve- nus publicitaires d'un montant de $56,000 au départ en 1971, la Jay-Kay Publications doit pour conserver le titre et continuer sa publica tion créer des revenus publicitaires de $250,000
en 1972, $375,000 en 1973, $510,000 en 1974 et $650,000 en 1975 et les années suivantes.
Knox a admis que la publicité est l'unique source de financement des activités de la com- pagnie et que les publications pourraient survivre sans elle. Il semble que jusqu'ici, au Canada, 53 personnes sur 22,000 médecins ont payé $20 pour s'abonner à cette revue, les autres ayant apparemment reçu ces numéros gratuitement. Si l'on considère ce que l'on peut appeler les aspects commerciaux de cette publi cation, il ne fait aucun doute qu'à tout le moins, l'un des objets de la publication est de fournir un support aux annonceurs.
Il nous faut donc tenir compte non seulement du contenu de la publication, que j'ai déjà exa- miné, mais aussi de l'organisation matérielle et commerciale des éditeurs, de leurs engagements vis-à-vis la maison d'édition américaine et des stipulations de l'accord de licence, et apprécier si possible tous ces éléments les uns en fonction des autres. Je dois en fait décider si l'objet principal de la publication, et non seulement de son contenu, est de favoriser les sciences, bien que le contenu soit évidemment un élément de la publication. Je ne peux dire ni que la matière publicitaire, dont la quantité inhabituelle est nécessaire à la survie de la publication, éclipse les textes eux-mêmes en dépit de leur grande valeur scientifique, ni que les articles éclipsent la publicité. En fait, compte tenu de la forte teneur scientifique de cette publication jus- qu'ici, je ne pourrais, dans la meilleure hypo- thèse, qu'affirmer que cet objet scientifique revêt une importance égale à celle du support publicitaire, ce qui bien sûr ne répond pas aux exigences du paragraphe qui, je l'ai déjà dit, veut que l'objet principal soit d'encourager, de favoriser ou de développer les sciences.
Je suis donc forcé de conclure qu'un des buts principaux de cette publication est de fournir un support publicitaire, la diffusion de cette publi cation parmi les médecins de tout le Canada assurant aux annonceurs un large contact avec les médecins qui la lisent. Il n'y a bien sûr rien à redire à cela, et les médecins et leurs malades peuvent sans doute en tirer avantage, mais il n'est malheureusement plus possible de dire,
dans ces conditions, que l'objet principal de cette publication est la diffusion du savoir.
La question à résoudre ici est essentiellement une question de fait et bien que la qualité des articles publiés dans ce périodique de même que le prestige des personnalités médicales faisant partie du comité de rédaction doivent être pris en considération, on ne peut ignorer les activi- tés financières des propriétaires de la publica tion et l'obligation qui leur incombe de tirer un certain revenu de la publicité afin de pouvoir conserver la licence que leur a accordée la compagnie américaine: elles constituent un élé- ment important pour la solution de ce litige, surtout si l'on considère le but de l'article 19 qui, je le répète, est de ne permettre la déduc- tion des frais encourus par des annonceurs canadiens pour leur publicité dans des périodi- ques étrangers que dans certains cas exception- nels seulement.
Comme en l'espèce, l'un des buts principaux de la publication est de fournir un support publicitaire, il faut malheureusement répondre aux questions soulevées par cette affaire en disant que l'objet principal de cette publication n'est pas d'encourager ou de favoriser les sciences.
Avant de terminer cette affaire, je tiens. à signaler qu'il ressort de preuves qu'on a soumi- ses à la Cour que la publication canadienne reprend en réalité 60% des textes publiés dans la version américaine et que pour cette seule raison elle ne satisfait pas aux conditions de déductibilité, étant donné la clause (F) de l'arti- cle 19(5)a)(ii), qui dispose qu'une édition cana- dienne ne comprend pas un numéro d'un périodique
(F) dont le contenu, sauf les annonces, est sensiblement le même que celui d'un numéro d'un périodique ou celui d'un ou plusieurs numéros d'un ou plusieurs périodiques qui a ou ont été imprimés, rédigés ou publiés hors du Canada.
La Cour donne donc à la question une réponse négative. Les dépens de cette requête seront adjugés au ministre du Revenu national.
' D'après le paragraphe (5)a) «édition canadienne» ne comprend pas le numéro d'un périodique .. .
(E) qui est édité ou publié en vertu d'un permis accordé par une personne qui édite ou publie des numéros d'un périodique qui sont imprimés, rédigés ou publiés hors du Canada, ou ...
2 On a modifié la version française de la dernière partie du paragraphe (4) de l'article 19: l'ancienne loi (article 13) parlait de «fonction principale», la nouvelle parle d'«objet principal». Cette modification ne me paraît pas toucher au sens de ce paragraphe. A mon avis, on a simplement voulu donner dans le nouveau texte français une meilleure traduc- tion des mots principal function du texte anglais.
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