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J. L. Guay Ltée (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime')
Division de première instance, J.C.A. Noël— Montréal, le 9 juin; Ottawa, le 9 juillet 1971.
Impôt sur le revenu—Calcul du revenu d'entreprise— Réserves ou comptes de prévoyance—Entrepreneur général de construction—Pourcentage des paiements provisoires retenu, payable 35 jours après l'acceptation de l'architecte— Déductible ou non pendant l'année de la retenue—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 12(1)e).
L'appelante, entrepreneur général de construction, versait à ses sous-traitants des paiements provisoires basés sur leurs estimés, mais, conformément aux contrats intervenus entre eux, elle retenait un pourcentage des estimés, payable 35 jours après l'acceptation finale des travaux par l'archi- tecte. Les contrats prévoyaient que si l'acceptation n'inter- venait pas, le sous-contrat pouvait être annulé et le travail exécuté payé au prix courant. A la fin de l'année fiscale 1965, l'appelante retenait une somme s'élevant à $277,- 428.48, et elle chercha à la déduire dans le calcul de son revenu imposable pour l'année en question. Le Ministre rejeta la déduction et son rejet fut maintenu par la Commis sion d'appel de l'impôt.
Arrêt: rejet de l'appel. L'art. 12(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu interdit la déduction des sommes retenues, fin 1965, dans le calcul des bénéfices de l'entreprise de l'appe- lante pour l'année en question, à titre de réserve ou compte de prévoyance. Lesdites sommes furent retenues pour assu- rer le paiement de tous dommages que l'appelante pourrait subir à la suite de la violation du contrat par les sous-entre preneurs et, en conséquence, il n'était pas certain qu'elles leur seraient versées en totalité. On ne peut déduire une dépense d'un revenu que pour la période dans laquelle elle a été faite.
Arrêts suivis: John Colford Contracting Co. c. M.R.N. [1960] R.C.E. 433; Southern Railway of Peru Ltd. c. Owen [1957] A.C. 334; Naval Colliery Ltd. c. I.R.C. (1928) 12 T.C. 1017.
APPEL d'une décision de la Commission d'appel de l'impôt.
M. Paquin et M. Gilbert pour l'appelante. P. Boivin pour l'intimé.
LE JUGE EN, CHEF ADJOINT NOËL—Il s'agit de l'appel d'une décision de la Commission d'appel de l'impôt [M. Boisvert], en date du 16 juin 1969, rejetant l'appel de J. L. Guay Ltée, l'ap- pelante, d'une cotisation d'impôt sur le revenu, en date du 20 septembre 1968, en vertu de laquelle une taxe sur le revenu, au montant de $87,664.31 fut prélevée pour l'année 1965.
L'appelante est un entrepreneur général de construction qui, pour exécuter certains de ses contrats de construction, confie à d'autres entreprises, soit des sous-contracteurs, l'exécu- tion de certains travaux. Selon les coutumes établies dans le domaine de la construction, l'appelante paie ses sous-traitants sur présenta- tion par eux d'un estimé mensuel constatant l'avancement des travaux. Selon les termes du contrat avec ses sous-traitants, l'appelante retient un pourcentage des estimés mensuels soumis et acceptés, qu'elle paie après l'accepta- tion finale des travaux par l'architecte. Par sa cotisation, l'intimé a refusé de reconnaître comme payable un montant de $277,428.48, représentant les soldes dus aux sous-traitants par l'appelante, par suite des retenues mensuel- les effectuées au cours de l'année 1965. Ces soldes, représentant un pourcentage des estimés mensuels soumis par les sous-traitants et accep tés par l'appelante sont, selon cette dernière, payables à une date déterminable. Il s'agit, en effet, pour l'appelante, d'une obligation de payer à une certaine date, soit le trente-cin- quième jour après l'acceptation finale des tra- vaux par l'architecte, tel que prévu au contrat intervenu entre elle et ses sous-entrepreneurs. L'existence de cette obligation n'est soumise dit l'appelante, à aucune condition suspensive ou résolutoire, cette obligation étant actuelle et seule l'exécution en serait retardée jusqu'à l'é- chéance du terme. En tout temps après la période de trente-cinq jours, suivant l'accepta- tion de l'architecte, le sous-traitant a le droit d'exiger le paiement du solde dû. Ces soldes dus, soumis à un terme, constituent donc, selon l'appelante, des montants payables au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la jurispru dence et doivent, par conséquent, entrer dans le coût des contrats et être déduits des profits de l'appelante dans l'année. Il s'agit simplement, en effet, de déterminer ici si de ses revenus de 1965, l'appelante avait le droit de déduire les montants retenus en vertu de ses contrats avec ses sous-entrepreneurs ou sous-traitants en 1965 et qui sont payables, ou qui peuvent deve- nir payables, après l'expiration de ladite année.
L'intimé, d'autre part, tout en admettant que l'appelante peut, en vertu des contrats interve- nus avec ses sous-contracteurs ou sous-trai- tants, retenir le pourcentage des estimés prévus
et ne payer ces retenues qu'après les 35 jours qui suivent l'approbation des travaux par l'ar- chitecte, déclare qu'il peut arriver que cette acceptation par l'architecte des travaux n'ait pas lieu. Cette acceptation finale de l'architecte serait alors une condition suspensive à laquelle est subordonné le paiement des sommes ainsi retenues par l'appelante. Selon l'intimé, non seulement la somme de $277,428.48 ainsi rete- nue en 1965 n'était ni exigible ni encore due, mais elle n'était même pas payable au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu et il dut, par consé- quent, par une cotisation du 20 septembre 1968, refuser la déduction de la somme ainsi retenue par l'appelante aux fins du calcul de son revenu pour l'année 1965.
L'intimé se fonde, pour soutenir sa cotisation, sur les art. 3, 4, 12(1)a) et 12(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148. Il soumet que les retenues ainsi effectuées par l'appelante n'étaient pas, au cours de son année d'imposition 1965, des montants payables à ses sous-traitants. Le paiement de ces sommes, dit-il, était subordonné à la condition expresse que les travaux exécutés par les sous-traitants soient acceptés en forme finale par l'architecte à la fin des travaux. Comme les travaux don- nant lieu aux retenues n'ont pas été ainsi accep tés par l'architecte au cours de l'année d'imposi- tion de l'appelante, 1965, les retenues ne pouvaient, par conséquent, faire l'objet d'au- cune déduction aux fins du calcul du revenu de l'appelante.
Les parties convinrent que pour les fins de l'enquête devant cette Cour, 1) les dépositions prises devant la Commission d'appel de l'impôt produites à l'enquête devant cette Cour servi- ront comme preuve, sauf à parfaire; 2) la preuve documentaire sera constituée des copies de contrats de l'appelante avec ses clients et les sous-entrepreneurs et des copies de factures de l'appelante et des sous-entrepreneurs, le tout produit sous le titre de «Preuve documentaire»; 3) l'appelante, dans le calcul de ses revenus, a toujours adopté la méthode de comptabilité d'exercice, soit ce que l'on appelle en anglais < span> accrual basis».
Le savant commissaire de la Commission d'appel de l'impôt [M. Boisvert] se référant à la décision de cette Cour, par le juge Kearney
dans M.R.N. c. John Colford Contracting Co. [1960] R.C.É. 433, déclara que bien que les faits dans cette cause soient à l'opposé de ceux prouvés dans la présente cause, il se crut quand même obligé d'appliquer les principes qui s'en dégagent. Dans Colford, en effet, le juge Kear- ney avait refusé d'inclure dans le revenu d'une compagnie de construction les montants retenus dans l'année en cours et payables sur approba tion de l'architecte. Ces montants n'étaient pas, selon le juge Kearney, des «recevables» qui, pour l'être, doivent toujours être selon le savant juge, des montants que [TRADUCTION] «le béné- ficiaire prévu a le droit de recevoir, même s'ils ne sont pas nécessairement exigibles».
Or, selon M. Boisvert, transposant cette déci- sion dans celle qui nous préoccupe, si la retenue ne pouvait constituer une dette exigible et paya ble devant entrer dans une année d'imposition parce qu'elle représentait une dette contingente, de même la retenue qui est payable et exigible dans l'avenir ne peut constituer une déduction permise que dans l'année elle est devenue certaine et obligatoire. C'est alors seulement qu'elle réalise la condition pour sa déduction prescrite par l'art. 12(1)a), à savoir, qu'elle devient une somme déboursée par le contribua- ble en vue de gagner un revenu d'une entre- prise, ou, pour reprendre l'argument du savant procureur de l'intimé, Me Boivin, si ces mon- tants ne pouvaient être considérés comme des revenus selon le juge Kearney, c'est parce qu'ils n'étaient pas dus tant et aussi longtemps que le certificat de l'architecte n'était émis et ils ne pouvaient, pour les mêmes raisons, être consi- dérés entre les mains de celui qui les devait, comme payables et exigibles. S'ils ne sont pas payables, ils ne peuvent, par conséquent, être déduits du revenu de l'appelante pour l'année 1965.
L'appelante, d'autre part, soutient le con- traire. Si j'ai bien compris l'argument de son procureur, il faut, dit-il, considérer ses obliga tions et droits en tenant compte des contrats passés avec ses sous-traitants qui tous, sauf pour le montant de la retenue, comportent les mêmes clauses. Les seules qui sont pertinentes sont les suivantes:
3. Termes de paiements: % des estimés mensuels
soumis et acceptés, la balance soit %, 35 jours après
l'acceptation finale des travaux par l'architecte.
5. Si les travaux ne sont pas jugés satisfaisants par l'ar- chitecte, nous nous réservons le droit de canceller votre contrat et de le faire continuer par un autre entrepreneur à vos frais et dépens. Les travaux déjà exécutés seront payés selon les prix courants du marché sans que vous ayez recours à aucun dédommagement pour la cancellation du contrat.
20. Advenant la résiliation ou terminaison ou cancellation du contrat principal de l'entrepreneur ou la suspension des travaux faisant l'objet du contrat principal de l'entrepre- neur, incluant les travaux prévus dans le présent contrat pour quelque cause que ce soit, même pour cause imputable à l'entrepreneur, il est convenu que, sur simple avis, votre contrat sera alors résilié ou terminé ou cancellé ou vos travaux suspendus selon le cas et que vous n'aurez droit qu'au paiement équivalent à la valeur proportionnée au montant de votre contrat, de la main-d'oeuvre et des maté- riaux incorporés dans les travaux et livrés à l'emplacement du contrat principal, d'après le calcul de l'architecte, moins la somme globale des paiements antérieurs.
Ces clauses, sur lesquelles le procureur de l'appelante se fonde pour étayer son argument, indiquent clairement, dit-il, que quelle que soit l'issue des travaux exécutés par le sous-entre preneur, qu'ils soient approuvés par l'architecte ou non, il a quand même droit de recevoir éventuellement la retenue faite sur les estimés mensuels reçus. La clause 5, en effet, déclare que si les travaux ne sont pas jugés satisfaisants par l'architecte, l'entrepreneur aura droit d'an- nuler le contrat mais le sous-traitant sera quand même payé intégralement selon les prix cou- rants du marché pour les travaux exécutés. Il en déduit que pour les travaux exécutés, et pour lesquels des montants sont retenus, le sous-trai- tant aura alors toujours droit de recevoir le plein montant de la retenue. Si, d'autre part, la retenue ou une partie d'icelle est utilisée pour payer des dommages réclamés par le contrac- teur principal, il s'agirait alors d'une compensa tion pour pertes et ce n'est pas le tribunal, au cas de contestation, qui décidera si le montant est payable mais il décidera plutôt l'inverse, soit que ce montant qui était ne l'est plus parce qu'il doit être utilisé pour une compensation qui s'est opérée entre les dommages dus et le mon- tant payable sur les retenues et, au cas de surplus, ce surplus serait aussi payé au sous-
entrepreneur. C'est, selon le procureur de l'ap- pelante, avec l'argent du sous-entrepreneur que l'entrepreneur principal se paie et non avec son argent. Il n'y a donc pas dans l'un ou l'autre cas d'enrichissement de l'entrepreneur principal par les montants ainsi retenus. En effet, soutient le procureur de l'appelante, le montant de la rete- nue sera toujours ou bien payé au sous-entre preneur 35 jours après que les travaux seront approuvés par l'architecte, ou utilisé pour com- penser l'entrepreneur principal pour dommages subis. Ces montants sont, par conséquent, dit-il, payables non pas sous condition suspensive, mais bien à terme. Or, le terme, ajoute-t-il, diffère de la condition suspensive, en ce qu'il ne suspend point l'obligation mais en retarde seule- ment l'exécution (cf. Articles 1089 et seq. C.C.).
Il faut, par conséquent, selon le procureur de l'appelante, pour établir si les montants retenus sont payables ou non, toujours tenir compte de la situation spéciale créée par le contrat qui régit les obligations et droits de l'entrepreneur et ce contrat, soutient-il, ne prévoit pas que le sous-traitant puisse perdre ici le montant des retenues. Devant être payables éventuellement, soit à l'accomplissement du terme prévu, 35 jours après l'approbation de- l'architecte, ces montants ne peuvent, par conséquent, être con- sidérés comme des paiements contingents (con- tingency payments) ou des montants transférés ou crédités à une réserve ou un compte de prévoyance et, par conséquent, ils ne sont pas assujettis à l'art. 12(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui défend la déduction de semblables montants. Nous sommes donc, conclut le procu- reur de l'appelante, en face soit de montants payables à terme, mais payables quand même, ou bien d'une charge ou dépense qui doit être déduite du revenu, et dans l'un ou l'autre cas, ces montants ne doivent pas être inclus dans le revenu de l'appelante.
Il est vrai, comme le déclare l'appelante, que le contrat prévoit que si les travaux ne sont pas jugés satisfaisants par l'architecte, le sous- entrepreneur, ou sous-traitant, aura quand même droit d'être payé intégralement selon les prix courants du marché pour les travaux exé- cutés, mais ceci, cependant, ne veut pas dire que l'entrepreneur devra toujours payer intégra- lement le montant ainsi retenu. Il ne faut pas
oublier en effet que le but de la disposition qui permet de retenir un certain pourcentage du prix du contrat est d'assurer le paiement des dommages que peut subir soit le propriétaire ou l'entrepreneur général par suite du défaut d'exé- cution ou de la mauvaise exécution des travaux par le sous-traitant ou le sous-entrepreneur. Si ces dommages correspondent aux montants ainsi retenus ou excèdent ces montants, le pro- priétaire ou l'entrepreneur général pourra garder le tout; si, d'autre part, ils sont infé- rieurs, le sous-entrepreneur aura le droit d'en recevoir l'excédent.
Il me paraît donc qu'il est loin d'être sûr que les montants ainsi retenus seront intégralement payés au sous-entrepreneur. En effet, le paie- ment de ces montants au sous-traitant doit peut- être, au cas de dommages, être considéré comme contingent. Il est vrai que ces domma- ges, une fois fixés, pourront être compensés par les montants retenus et que l'entrepreneur géné- ral n'en bénéficiera pas mais pour l'année 1965 ces dommages n'ont pas encore été liquidés et la compensation ne pourra s'effectuer que lors- qu'ils le seront. Jusqu'à ce moment, et même après, jusqu'à ce que l'architecte aura émis son certificat et que 35 jours se seront écoulés, il n'existe pas d'obligation de la part de l'entrepre- neur général de payer et ce montant n'est pas exigible par le sous-traitant ou sous-entrepre neur. La compensation, en effet, ne s'opère de plein droit qu'entre deux dettes également liqui- des et exigibles et ayant pour objet une somme de deniers ou une quantité de choses indétermi- nées de même nature et qualité (cf. Articles 1187 et 1188 C.C.).
La Loi de l'impôt sur le revenu ne donne pas toujours une réponse complète à la question de savoir quel est le montant total des profits et des gains de l'année cotisée. L'on peut accepter comme point de départ pour établir les profits taxables d'un contribuable l'état des profits et pertes préparé selon les règles de pratique comptable. Le profit indiqué sur cet état doit toujours, cependant, être ajusté selon les règles statutaires utilisées pour déterminer les profits imposables. Cela tient au fait qu'un certain nombre de faits dont les comptables tiennent compte sont exclus par certaines dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu dans la détermi-
nation du profit des contribuables. L'état des profits et pertes est en effet véritablement une déclaration de faits et, par conséquent, une question de preuve. Il comprend des questions de faits incontestables et des conclusions de faits que l'on peut appeler provisoires. Quant aux premières, elles peuvent difficilement être contestées à moins que les chiffres utilisés aient été tirés, par exemple, de livres mal tenus. Lors- que, cependant, il s'agit d'une conclusion de faits provisoires, le Ministre n'est pas obligé d'accepter ce que les comptables lui ont pré- senté. L'on se trouve dans une telle situation lorsque, par exemple, dans un cas comme celui-ci, pour des fins comptables, une réserve doit être établie pour prévoir la réception d'un avantage ou le paiement d'une exigibilité qui est contingente ou conditionnelle. Dans Southern Rly. of Peru Ltd. c. Owen [1957] A.C. 334, l'intimée qui opérait un chemin de fer était obligée, en vertu de la loi péruvienne, de faire des paiements de compensation déterminés selon une règle fixe, à un employé à la fin de son emploi, montants, cependant, dont le paie- ment était incertain puisque, dans certains cas, il pouvait les perdre. Le résumé du jugement explique bien de quelle façon la compagnie pro- céda pour établir le montant de la réserve:
[TRADUCTION] La compagnie déclare avoir droit d'imputer sur les recettes de chaque année le coût des montants prévus pour faire face aux paiements de retraite qu'elle devrait en fin de compte verser, en faisant le calcul des sommes nécessaires au versement à tout employé, s'il pre- nait sa retraite à la fin de l'année sans être déchu de ses droits, et en mettant de côté l'ensemble de ce qui était nécessaire, dans la proportion de l'année à l'ensemble.
La Chambre des Lords n'accepta pas, cepen- dant, que la compagnie déduise comme dépen- ses du revenu de chaque année le coût des montants prévus pour faire face aux paiements de retraite qu'elle pouvait éventuellement être obligée de payer. La Cour, cependant, n'établit aucun principe de base pour fonder son refus et Lord Radcliffe s'exprima ainsi la page 355):
[TRADUCTION] Quoi qu'il en soit, il ressort clairement de ma citation susmentionnée qu'il n'y a rien d'incorrect à admettre des évaluations ou des estimés si, ce faisant, la balance des recettes d'une année et du coût de leur obten- tion ou des dépenses d'une année et des fruits en découlant est plus exacte. La Cour d'appel et cette Chambre ont, en fait, demandé de tels estimés dans l'affaire Harrison c. John Cronk & Sons Ltd. [1937] A.C. 185; cette Chambre fit à nouveau cette demande dans l'affaire Absalom c. Talbot
[1944] A.C. 204. Voir aussi le jugement de Lord Greene, M.R., dans l'affaire Johnson c. Try Ltd. [1946] 27 T.C. 167. A mon avis, la décision rendue dans cette dernière affaire illustre bien le point selon lequel, si désirable soit-il d'intro- duire une évaluation ou un estimé pour mieux équilibrer les comptes d'une année, il ne peut pas être juste de le faire si les données qui doivent être introduites sont «envelop- pées ... de contingences et d'incertitudes», et sont trop imprécises pour être vraiment considérées comme recettes. Ce qui est vrai des recettes, vaut pour le passif. A mon avis, c'est ce point qui constitue la véritable difficulté en l'espèce.
Dans la plupart des causes fiscales, l'on n'ac- cepte que les montants dont la quantité exacte est établie. Ce qui veut dire que les montants provisoires ou estimés sont ordinairement reje- tés et il n'est pas recommandable de calculer les profits imposables en utilisant des données qui sont conditionnelles, contingentes ou incertai- nes. Il faut, en effet, pour que les montants provisoires ou les estimés soient acceptés, qu'ils soient sûrs. Il est, d'autre part, toujours difficile de trouver une procédure qui permet d'arriver à un chiffre qui est sûr. Les comptables sont toujours enclins à prévoir des réserves pour des exigibilités non liquidées, car s'ils ne le font pas, l'état financier ne reflètera pas l'état véritable des affaires du client. La difficulté vient du fait que le but principal d'une comptabilité n'est pas de permettre la détermination de la dette fiscale du contribuable. En fait, le rapport comptable est destiné à indiquer d'une façon générale au contribuable l'état de ses affaires pour lui per- mettre de les poursuivre en toute connaissance de cause. _Pour atteindre cette fin, il n'est pas nécessaire que le profit indiqué soit précis mais il doit représenter raisonnablement ce profit, tandis que la loi de l'impôt exige qu'il soit précis et, par conséquent, il est nécessairement arbi- traire. Dans la cause de Southern Rly. of Peru Ltd. c. Owen (supra),le comptable auditeur de la compagnie déclara qu'il n'aurait pas signé l'état financier de la compagnie à moins que la réserve pour dettes futures n'ait été inscrite au bilan. La Chambre des Lords, cependant, ne fut pas influencée par cette déclaration et décida quand même que la compagnie ne pouvait déduire les montants payables que lorsque les employés termineraient leur emploi. Dans Southern Rly. of Peru Ltd. c. Owen (supra) cependant, il s'agissait d'une réserve faite pour des montants incertains que pouvait encourir la compagnie dans l'avenir. Mais qu'arrive-t-il
lorsqu'il s'agit de montants certains mais qui ne sont dus que dans une période comptable subsé- quente? Dans une cause de Naval Colliery Co. c. I.R.C., (1928) 12 T.C. 1017 (H.L.), il s'agissait de tels montants et la Cour décida quand même qu'il ne pouvait y avoir déduction de ces mon- tants tant et aussi longtemps que la dépense n'avait été faite. Lord Buckmaster, dans cette cause, déclara en effet clairement que ces mon- tants ne pouvaient être déduits que dans la période ils étaient en fait dépensés:
[TRADUCTION] Toutefois, selon les prétentions des appe- lants, on ne déduit pas la dépense réelle, mais le besoin de faire cette dépense, qui doit être évalué en leur faveur et porté à leur compte. Le résultat de cette prétention serait que l'intéressé pourrait choisir quelle période il préfère pour porter cette somme à son compte, soit le moment la dépense devenait nécessaire, soit celui elle était faite (p. 1040).
En règle générale, si une dépense déductible du revenu est faite, elle doit être déduite en calculant les profits pour la période dans laquelle elle a été faite et non pas dans une autre période.
La procédure adoptée par l'appelante de déduire de son revenu les montants qu'elle retient et qu'elle pourra un jour être obligée de payer à son sous-traitant, mais que ce dernier ne peut, cependant, exiger que dans les 35 jours qui suivent l'approbation des travaux par l'ar- chitecte, va, comme nous venons de le voir, à l'encontre de la règle qu'une dépense ne peut être déduite du revenu que pour la période elle a été faite, ce qui suffirait à disposer de cet appel. Il y a, cependant, comme nous l'avons vu plus haut, une raison additionnelle pour rejeter cet appel et c'est que nous sommes en présence de montants retenus qui sont non seulement incertains quant au quantum si des dommages partiels sont causés par des travaux mal faits mais qui ne seront même plus dus ni payables si les dommages excèdent la retenue. Comment, dans ces circonstances, peut-on soutenir qu'il s'agit d'une charge certaine et actuelle et que cette retenue dont l'appelante a la jouissance la plus complète jusqu'à ce qu'elle paie les mon- tants qui reviennent au sous-contracteur ou jus- qu'à ce que la compensation soit opérée peut être déduite par l'appelante au fur et à mesure qu'elle les reçoit du propriétaire.
L'appel est, par conséquent, rejeté et l'inti- aura droit à ses dépens taxés.
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