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Demetries Karamanlis et al. (Demandeurs)
c.
Le Norsland (Défendeur)
Division de première instance, le juge Pratte— Montréal, le 16 août et le 21 septembre; Ottawa, le l er décembre 1971.
Droit maritime—Compétence—Demandes, introduites par les marins contre le navire, de paiement de salaires et de frais de rapatriement—Action in rem pour licenciement abusif, compétence—Privilège maritime, les marins y ont-ils droit dans le cas d'un licenciement abusif.
Après son arrivée à Montréal, le Norsland fut saisi, le 11 juin 1971, par S qui renonça, plus tard, à son action. Le 6 août, le capitaine et l'équipage introduisirent une action contre le navire, en paiement de leurs gages, des frais de rapatriement, etc. Aucune défense n'étant déposée, les demandeurs firent une demande de jugement par défaut. Leurs contrats de travail prévoyaient le paiement de trois mois de salaire en cas de rupture du contrat du fait des propriétaires.
Arrêt: (1) La saisie du navire effectuée le 11 juin par S n'a pas entraîné la perte du droit au salaire qu'avaient le capitaine et l'équipage. Distinction à faire avec l'arrêt The Carolina 3 Asp. M.L.C. 141; arrêt mentionné: The Fairport 2 [1966] 2 Lloyd's Rep. 7.
(2) Cette Cour est compétente pour connaître d'une demande in rem, introduite par un marin dans le but d'ob- tenir une indemnité de licenciement abusif, savoir, les trois mois de salaire qui devaient être versés, conformément aux contrats de travail, à titre de dommages-intérêts en cas de rupture de contrat du fait des propriétaires.
(3) Les demandeurs n'ont pas droit au privilège maritime pour les dommages-intérêts de trois mois encourus par suite de leur licenciement abusif, du moins certainement pas en l'absence de preuves démontrant qu'ils ont effectivement subi des dommages. Arrêts analysés: The British Trade [1924] P. 104, 18 Lloyd's Rep. 65; The Sara (1889) 14 App. Cas. 209.
REQUÊTES de jugement par défaut (Mont- réal, le 16 août 1971) et demandant la réparti- tion du produit de la vente du navire (Montréal, le 21 septembre 1971).
Le 16 août 1971.
Michael Davis pour les demandeurs.
S. Hyndman pour un débiteur hypothécaire.
Le 21 septembre 1971.
Edouard Baudry, David Marier, Vincent Prajer, Luc Mousseau, Colin Gravenor pour les requérants.
LE JUGE PRATTE-II s'agit en l'espèce d'une requête pour jugement par défaut dans une action in rem intentée par le capitaine et l'équi- page du navire Norsland.
Le 7 juin 1971, le Norsland atteignait le port de Montréal. Le déchargement à peine achevé, le 11 juin, le navire était saisi par la Sivaco Wire and Nail Company Ltd. dans le cadre d'une autre affaire. Comme la Sivaco ne pour- suivit pas son action et qu'il s'avéra que fin juillet, le navire avait été abandonné par ses propriétaires, le capitaine et l'équipage, qui étaient restés à bord et s'étaient occupés de l'entretien du navire bien qu'ils n'aient pas été payés depuis le début mai, intentèrent la pré- sente action et saisirent le navire. Par cette action qui fut introduite le 6 août, le capitaine et l'équipage réclament, outre leurs gages, des frais de rapatriement, des dommages-intérêts et le remboursement des débours et dettes qu'ils ont prétendument faits ou contractés pour le compte du navire.
Jusqu'au 18 août, l'équipage tout entier resta à bord. A cette date, on rapatria onze membres de l'équipage; le capitaine, le troisième mécani- cien, un graisseur et deux matelots restèrent à bord pour entretenir le navire jusqu'au 15 sep- tembre 1971, date à laquelle il fut vendu avant jugement conformément à une ordonnance de cette Cour datée du 18 août 1971.
Le 13 septembre, les demandeurs présentè- rent deux requêtes: par la première ils deman- daient que jugement soit prononcé par défaut et, par la deuxième (qui était certainement pré- maturée puisqu'à ce moment-là, le navire n'a- vait pas encore été vendu), ils demandaient que les sommes qui leur étaient dues leur soient payées immédiatement et par préférence à même le produit de la vente du navire. Ces requêtes furent ajournées au 21 septembre et les procureurs des demandeurs reçurent l'ordre de notifier tous les créanciers de cet ajournement.
En conséquence, les deux requêtes furent entendues le 21 septembre en présence de tous les créanciers intéressés. Tous les avocats reconnurent alors que les demandeurs avaient droit à leurs frais de rapatriement et à leurs gages (hormis les heures supplémentaires) jus-
qu'au 11 juin 1971 date à laquelle le navire fut saisi, pour la première fois, par la Sivaco. Les avocats ayant aussi admis que cette partie de la créance des demandeurs était garantie par un privilège maritime, ils consentirent à ce qu'une ordonnance soit prononcée accueillant en partie la requête pour paiement immédiat et ordonnant qu'on verse immédiatement aux demandeurs la somme de $10,460.75 à même le produit de la vente du navire.
Quant à la requête pour jugement par défaut, il faut dire que, bien que tous les avocats aient évidemment admis qu'elle devait être accueillie, ils ne purent s'entendre sur le montant auquel les demandeurs avaient droit. A l'audience, le capitaine du navire fut entendu comme témoin et les procureurs des autres créanciers procédè- rent à son contre-interrogatoire. Puis, l'avocat des demandeurs et celui de la First Pennsyl- vania Banking and Trust Company (qui préten- dument, détenait une hypothèque sur le navire) demandèrent et obtinrent la permission de plai- der cette affaire par écrit. Le 13 octobre 1971, l'avocat des demandeurs déposa sa plaidoirie écrite tandis que l'avocat de la First Pennsyl- vania Banking and Trust Company déposa la sienne le 2 novembre.
Étant donné que les avocats, dans les mémoi- res qu'ils ont soumis, ont discuté longuement la question de savoir si les requêtes des deman- deurs étaient garanties par un privilège mari time, il n'est pas inutile de souligner que la question ne se pose pas à ce stade-ci. Les propriétaires du navire saisi n'ont pas produit de défense; les demandeurs donc ont le droit d'obtenir jugement pour tout montant qui, selon la preuve, leur est dû, que leurs créances soient ou non garanties par un privilège maritime, pourvu qu'il s'agisse de créances qui puissent être exercées par action in rem.
Il a été admis que les demandeurs ont droit aux frais de leur rapatriement et à leur salaire mensuel jusqu'au 11 juin 1971, date à laquelle le Norsland fut saisi pour la première fois. En fait, ces frais et salaires leur ont déjà été payés conformément à l'ordonnance que j'ai rendue le 21 septembre 1971. En outre, l'avocat de la First Pennsylvania Banking and Trust Company a admis que le reste des membres de l'équipage qui entretinrent le navire jusqu'à sa vente, le 15
septembre, devraient, en outre, recevoir leur salaire mensuel normal à compter du jour de la première saisie du navire jusqu'au 15 septem- bre. En conséquence, il est clair que l'action des demandeurs doit être accueillie au moins pour ces montants.
Voici les problèmes qu'il reste encore à résoudre:
1. Les membres de l'équipage qui ont été rapatriés le 18 août, ont-ils droit à leur salaire ordinaire pour la période allant du 11 juin 1971 (date de la première saisie) à la date de leur rapatriement?
2. Le capitaine et les membres de l'équipage ont-ils droit à une indemnité pour licencie- ment abusif?
3. Les neuf membres de l'équipage qui ont prétendument fait des heures supplémentaires de travail auront-ils droit à la rémunération additionnelle qu'ils réclament à cet égard?
4. Le capitaine a-t-il droit de recouvrer la somme de $1872 qu'il réclame à titre d'allo- cation pour ses dépenses pendant le temps durant lequel le navire est demeuré dans un port?
5. Le capitaine a-t-il droit de recouvrer lés différents montants qu'il réclame à titre de déboursés faits et de dettes contractées pour le compte du navire?
Je vais étudier ces questions dans l'ordre de leur énoncé.
1. Les salaires ordinaires des membres de l'équipage rapatriés le 18 août 1971, pour la période allant du 11 juin à la date du rapatriement.
On a soutenu que, dès l'instant le navire fut saisi par la Sivaco Wire and Nail Company Ltd., le 11 juin 1971, ces membres de l'équi- page n'avaient plus droit à leur salaire. A l'appui de cette prétention, outre certaines décisions américaines qu'il est inutile d'analyser ici, on m'a mentionné deux précédents, Horlock c. Beal [1916] 1 A.C. 486 et The Carolina 3 Asp. M.L.C. 141, qui, à mon avis, ne s'appliquent pas en l'espèce.
Dans l'affaire Horlock c. Beal (précitée) la Chambre des Lords a simplement jugé que le contrat de travail d'un marin prend fin lorsque,
sans faute des parties contractantes, son exécu- tion devient impossible. Il semble clair que cette règle s'applique seulement si l'exécution du contrat est devenue impossible et que si la cause de cette impossibilité n'est pas imputable aux propriétaires du navire. Si je reviens main- tenant à l'affaire qui m'est soumise, je dois dire que la première saisie du navire n'a pas, en elle-même, rendu impossible l'exécution des contrats de travail de l'équipage puisque les propriétaires avaient toujours la possibilité de prendre des dispositions pour obtenir mainlevée de la saisie; en outre, lorsque, par suite de la décision des propriétaires d'abandonner leur navire l'exécution des contrats de travail des marins devint impossible, il s'agissait d'une impossibilité d'exécution qui, à mon sens, était imputable aux propriétaires.
La décision de Sir Robert Phillimore dans l'affaire The Carolina (précitée), que l'avocat de la First Pennsylvania Banking and Trust Com pany a aussi citée, n'est pas un précédent à l'effet que les marins cessent d'avoir droit à leur salaire dès la saisie de leur navire, mais bien plutôt (et, sur ce point, cette décision ne fait plus aujourd'hui autorité: The Fairport (no 2) [1966] 2 Lloyd's Rep. 7, à l'effet qu'un marin ne peut réclamer de salaire pour une période subséquente au jour il a intenté une action en réclamation de ses gages. Non seulement n'a-t-il pas été décidé qu'un marin cesse d'avoir droit à son salaire lorsqu'un tiers saisit le navire mais, dans cette affaire-là, les demandeurs étaient demeurés à bord du Carolina après qu'il eut été saisi par un tiers et avaient par la suite réclamé leurs salaires, on les leur accorda jus- qu'à la date ils avaient intenté leur action.
En conséquence, il semble que l'équipage du Norsland n'a pas perdu son droit au salaire le 11 juin, uniquement en raison de la saisie du navire. A mon avis, les membres de l'équipage qui restèrent à bord jusqu'au 18 août ont donc droit à leur salaire jusqu'à cette date pourvu que leur contrat de travail ne se soit pas terminé auparavant.
A quel moment les contrats de travail de ces marins ont-ils pris fin? Pour répondre à cette question, il faut se rappeler les faits suivants:
a) Le capitaine et tous les membres de l'équi- page avaient été embauchés pour une période déterminée de 12 mois suivant des contrats écrits qui, dans chaque cas, contenaient les clauses suivantes:
[TRADUCTION] Si, à ma propre demande, je suis libéré de ce contrat avant son expiration, j'accepte de payer mon propre rapatriement.
Au cas les propriétaires ou toute autre cause provo- queraient la rupture de ce contrat, je dois recevoir mon salaire, plus les heures supplémentaires le cas échéant, plus trois mois de salaire à titre de vacances et le rapatriement.
b) Le capitaine s'attendait à ce qu'à son arri vée à Montréal, l'agent local des pro- priétaires, Lillis Marine Agencies Ltd., lui paie son salaire et celui de l'équipage. Quand il comprit que l'agent ne pouvait pas payer, il téléphona aux propriétaires qui lui donnèrent l'assurance qu'ils trouveraient bientôt l'argent nécessaire et qu'ils prendraient les disposi tions pour obtenir mainlevée de la saisie; en conséquence, on lui demanda de garder l'é- quipage et d'entretenir le navire. Cependant, fin juillet, plus précisément le 23 ou le 24 juillet, le capitaine apprit, après plusieurs coups de téléphone aux propriétaires, qu'ils ne pouvaient se procurer d'argent et avaient décidé d'abandonner le navire.
c) Du 11 juin au 18 août, l'équipage tout entier resta à bord du navire effectuant quel- ques travaux d'entretien.
A mon avis, lorsque, le 24 juillet, on informa le capitaine que les propriétaires avaient décidé d'abandonner le navire, il devenait clair qu'il y avait «rupture» de son contrat de travail ainsi que de ceux de l'équipage; en conséquence, conformément aux stipulations de leurs contrats d'engagement, les demandeurs avaient droit à leur «salaire, plus les heures supplémentaires le cas échéant, plus trois mois de salaire à titre de vacances et le rapatriement». Même si les mem- bres de l'équipage choisirent de rester à bord après que les propriétaires aient résilié leurs contrats de travail, ils n'avaient désormais plus droit à leurs salaires puisque leurs contrats de travail avaient pris fin.
Pour ces motifs, j'estime que les demandeurs qui furent rapatriés le 18 août ont droit à leur salaire jusqu'au 24 juillet 1971.
2. Indemnité de congédiement abusif.
Outre leurs salaires ordinaires, les deman- deurs réclament aussi les «trois mois de salaire» additionnel auxquels ils ont droit en vertu des dispositions sus-mentionnées de leurs contrats de travail.
Il est clair que ces salaires additionnels sont en fait des dommages-intérêts liquidés. Il est également certain que les propriétaires ont rompu les contrats de travail. En conséquence, en vertu des stipulations de leurs contrats de travail, le capitaine et l'équipage ont droit à l'indemnité convenue. La seule question à tran- cher à cet égard est de savoir s'ils pouvaient faire valoir cette demande par une action in rem.
Je pense que cette Cour a le pouvoir d'ac- cueillir une action in rem introduite par un marin en vue d'obtenir une indemnité de congé- diement (The Great Eastern (1867) L.R. 1A. & E. 384; The Blessing (1873) 3 P.D. 35; The British Trade [1924] P. 104; Loi sur la Cour fédérale S.C. 1970, c. 1, art. 22 et 43). En conséquence, je conclus que cette partie de la réclamation des demandeurs doit être accueillie. Cependant, je souligne que je ne me prononce pas sur le point de savoir si le droit des deman- deurs à ces dommages-intérêts liquidés est garanti par un privilège maritime; il s'agit d'une tout autre question qu'il n'est pas néces- saire de trancher ici.
[Les trois autres questions mentionnées par le savant juge n'impliquant pas de questions de droit, la partie de la décision en traitant ne sera pas publiée. En définitive, monsieur le juge Pratte condamna le défendeur à verser, en plus des dépens, la somme de $32,325.17, répartie de manière précise entre les douze deman- deurs.—Éd.]
* *
Le 15 septembre 1971, en vertu d'une ordon- nance de la Cour prononcée le 18 août 1971, le navire défendeur a été vendu au prix de $111,- 000. Vu que ce montant ne suffisait pas pour satisfaire les réclamations de tous ceux qui pré- tendent avoir le droit de participer à sa distribu tion, tous les réclamants comparurent devant moi le 21 septembre pour discuter de la manière
dont il serait distribué. Toutes les parties inté- ressées ont alors convenu qu'un privilège mari time garantit les catégories de créance suivantes et qu'elles doivent être payées par préférence dans l'ordre ci-après:
1) les frais et indemnités du registraire et du prévôt re: la saisie et le dépôt des fonds à la Cour;
2) les frais de saisie des demandeurs et le dépôt des fonds à la Cour;
3) les frais de la première saisie du navire par la Sivaco Wire and Nail Company Ltd., dans la cause portant le numéro T-2118-71;
4) les salaires des marins ainsi que les frais des parties afférents à la preuve du privilège que comportent les salaires des marins;
5) le salaire du capitaine avec les frais de la preuve;
6) la demande du Conseil des ports nationaux.
Pour ce qui est de ces six catégories de récla- mation, il fut convenu (et ordonné) que les mémoires de frais des parties soutenant qu'elles avaient une réclamation tombant dans l'une ou l'autre des trois premières catégories seraient taxés de la manière habituelle. Les avocats m'exposèrent aussi qu'ils ne contestaient pas le montant de la réclamation du Conseil des ports nationaux et il ressort des affidavits déposés depuis lors que cette réclamation s'élève à $195.32. Toutefois, en ce qui concerne le mon- tant des réclamations des marins et du capitaine du navire, qui tombent sous les quatrième et cinquième chefs susmentionnés, les parties ne purent s'accorder. Après que les parties eurent produit les preuves qu'elles estimaient pertinen- tes, j'ai ordonné que cette question soit débat- tue par écrit.
Quant aux autres réclamations, on m'a dit que la seule difficulté à résoudre provenait du fait que l'un des créanciers, la First Pennsylvania Banking and Trust Company (ci-après appelée «la Banque»), qui prétendait avoir une hypothè- que sur le bateau d'un montant de $110,000, exigeait d'être payé avant les autres requérants. Pour ce motif et faisant suite à une suggestion de toutes les parties intéressées, j'ai ordonné que cette question soit aussi débattue par écrit. Toutefois, le 13 octobre 1971, j'accordais une
requête faite au nom des demandeurs et annu- lais cette ordonnance parce qu'il était devenu évident qu'il était inutile de discuter en théorie du rang de la créance de la Banque avant qu'elle n'ait démontré la validité de son hypothèque.
Envisageant maintenant les réclamations du capitaine et de l'équipage, je veux indiquer ici dans quelle mesure, à mon sens, elles sont garanties par un privilège maritime prenant rang immédiatement avant la créance du Conseil des ports nationaux.
Par jugement prononcé le Z ef décembre 1971, j'ai accordé la requête pour jugement par défaut présentée par le capitaine et l'équipage (les demandeurs aux présentes) et j'ai ordonné que le navire défendeur leur verse la somme de $32,325.17. Cette somme incluait:
1. Les salaires (ordinaires et heures supplé- mentaires) de l'équipage réduit qui entretint le navire jusqu'à ce qu'il soit vendu le 15 septembre.
A mon avis, cette partie de la réclamation des demandeurs est garantie par les privilè- ges maritimes du capitaine et des marins.
2. Les salaires (ordinaires et heures supplé- mentaires) des autres membres de l'équipage jusqu'au 24 juillet 1971.
A mon sens, le privilège maritime des marins garantit aussi cette partie de la réclamation des demandeurs.
3. Les frais de rapatriement du capitaine et de l'équipage.
Toutes les parties intéressées ont admis que cette partie de la réclamation des demandeurs était garantie par leur privilège maritime.
4. Une indemnité équivalant à trois mois de salaire à titre de licenciement abusif.
J'estime que le montant total de cette indemnité n'est pas couvert par les privilè- ges maritimes des marins et du capitaine. A mon avis, si le privilège maritime des marins s'étend aux dommages-intérêts pour licenciement illicite, qu'ils aient ou non été engagés par «the ordinary mariner's con tract», il ne s'applique qu'à la compensa tion des dommages réellement subis par les marins. Ici, nous ne savons pas si les mem-
tires de l'équipage qui entretinrent le navire jusqu'au 15 septembre (et à qui j'ai accordé le salaire jusqu'à cette date) ont subi des dommages par suite de leur licenciement; pour ce motif, j'estime que l'indemnité que je leur ai accordée à ce titre n'est pas garantie par leur privilège maritime. La si tuation des autres membres de l'équipage, qui restèrent à bord jusqu'au 18 août et à qui je n'ai accordé de salaire (et d'heures supplémentaires) que jusqu'au 24 juillet, est différente. En effet, on ne peut pas nier qu'ils aient perdu par suite de leur licencie- ment un montant équivalent au montant de leur salaire (plus les heures supplémentai- res) pour la période allant du 24 juillet au 18 août 1971. En conséquence, j'estime que l'indemnité que je leur ai accordée, est, dans cette mesure, garantie par leur privi- lège maritime.
En bref, je me propose de juger que les privilèges maritimes du capitaine et de l'équi- page couvrent, outre les frais de rapatriement, un montant équivalent au montant des salaires (et des heures supplémentaires) qu'ils récla- maient.
Dans sa plaidoirie écrite, l'avocat de la Banque a fait valoir deux arguments:
1. On ne peut pas créer de privilège maritime une fois qu'un navire est saisi.
2. Le privilège maritime afférent aux salaires ne comprend pas l'indemnité de licenciement illicite à moins que l'action (et ce n'es`t pas le cas en l'espèce) ne soit fondée sur le «ordi- nary mariner's contract».
Comme on peut le déduire de ce que j'ai déjà dit, j'estime que ces deux prétentions sont mal fondées. Toutefois, il n'est peut-être pas inutile que j'expose brièvement les motifs qui m'ont conduit à cette conclusion.
Quant à la première proposition, il me suffit de dire qu'aucun précédent ne l'appuie.
Quant à la deuxième proposition, elle est fondée sur l'autorité de la décision de Sir Henry Duke dans l'affaire The British Trade [1924] P. 104; (1924) 18 Lloyd's Rep. 65, qui s'appuyait elle-même sur la décision de la Chambre des Lords dans l'affaire The Sara (1889) 14 A.C.
209. Bien sûr, dans l'affaire The British Trade, il fut jugé que le privilège maritime du salaire d'un marin ne comprend pas l'indemnité de licenciement illicite à moins d'intenter une pour- suite portant sur le «ordinary mariner's con tract». Mais, si Sir Henry Duke se sentit obligé de décider ainsi, c'était au seul motif qu'il esti- mait qu'il avait été jugé dans l'affaire The Sara que [TRADUCTION] «l'article 10 de la Admiralty Court Act (1861) ne créait aucun privilège mari time nouveau qui n'aurait pas existé avant cette loi, mais donnait simplement compétence à la Cour d'amirauté dans les affaires pour lesquel- les elle n'était pas compétente auparavant». En fait, il suffit simplement de lire la décision de la Chambre des Lords dans l'affaire The Sara pour se rendre compte que Sir Henry Duke l'a mal interprétée. Pour ce motif, j'estime que l'affaire The British Trade fut mal jugée. Et même s'il n'en était pas ainsi, j'hésiterais à suivre un précédent qui fait dépendre les droits des marins de conditions d'embauche qui étaient peut-être habituelles au 18 e siècle mais qui ne le sont certainement plus à l'heure actuelle (Voir The Arosa Star [1959] 2 Lloyd's Rep. 396 à la p. 403; The Sara (1889) précité à la p. 215).
Pour en revenir maintenant au problème sou- levé par la prétention de la First Pennsylvania Banking and Trust Company selon laquelle elle a le droit d'être payée avant les autres récla- mants qui n'ont pas de privilèges maritimes, je pense que la procédure appropriée à suivre serait que la Banque prouve sa réclamation, son hypothèque, et tous les éléments de fait sur lesquels s'appuie sa prétention. Si dans les quinze jours à venir l'avocat de la Banque n'a pas, en accord avec les avocats des autres créanciers intéressés, pris les dispositions nécessaires avec le greffe pour fixer la date à laquelle il établira cette preuve et fera valoir tous les arguments juridiques pertinents, il sera loisible à toute autre partie intéressée de pré- senter une requête pour que cette Cour fix une date à laquelle la Banque devra prour sa réclamation.
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