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In re le Tribunal antidumping et le verre à vitre transparent
Division de première instance; le juge Catta- nach—Ottawa, les 4, 5, 6 et 7 juillet et le 4 août 1972.
Examen judiciaire—Certiorari—Tribunal antidumping— Le président du tribunal était l'ancien conseiller d'une par- tie—Le président ne participe pas aux audiences mais signe la décision—Nulle partialité de fait—Vraisemblance de par- tialité—La décision signée n'est pas transmise à la Cour— Demande en certiorari rejetée—Loi sur la Cour fédérale, article 18.
Libertés fondamentales Preuve Déclaration des droits—Documents obtenus de certaines personnes au cours d'une enquête menée en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions—Admissibles en preuve dans des procès civils.
Couronne—Certiorari—Droit du procureur général d'obte- nir un bref de certiorari—Loi sur la Cour fédérale, article 18.
B a été nommé président du Tribunal antidumping le le , janvier 1969. Un vice-président et un autre membre ont aussi été nommés à cette date. Avant sa nomination, B avait travaillé pendant plusieurs années comme conseiller auprès de producteurs canadiens de verre à vitre, au nom desquels il avait fait des démarches auprès de certains fonctionnaires du gouvernement relativement au prétendu dumping de verre à vitre au Canada. B a cessé de travailler pour ses deux clients lorsqu'il a été nommé président du Tribunal et, bien qu'il n'ait fait aucune nouvelle démarche en leur nom, il les a conseillés relativement à une plainte de dumping qu'ils ont déposée. Le Tribunal a entendu la plainte en février 1970. B a informé les autres membres du Tribunal des rapports qu'il avait eus avec les deux compagnies cana- diennes et, conformément à l'article 23(1)a) de la Loi anti- dumping, S.R.C. 1970, c. A-15, il a désigné les deux autres membres pour entendre la plainte. Les audiences ont eu lieu en février 1970, �n l'absence de B. Le 13 mars 1970, les deux autres membres ont ordonné qu'un droit antidumping soit établi relativement au verre à vitre. A la demande du vice-président, B a lu le texte final de la décision et y a apporté trois modifications d'ordre grammatical qui n'alté- raient en rien le sens du texte. B a signé la décision des deux autres membres, croyant, à tort, que la signature des trois membres était requise. La décision signée par les trois membres a été transmise au sous-ministre (douanes et accise) et une copie ne portant aucune signature a été déposée dans le dossier du Tribunal (qui est une cour d'archives). Le procureur général a déposé une requête en certiorari en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale aux fins de faire annuler la décision et cette Cour a été saisie par voie d'évocation de la décision non signée.
Arrêt: (1) il y a lieu de rejeter la requête. Bien qu'il n'ait pas été établi que B avait agi avec partialité, il n'était pas apte à participer à l'élaboration de la décision du fait que ses relations antérieures avec les plaignants faisaient croire à une vraisemblance de partialité et parce qu'il n'avait pas participé aux audiences. En signant la décision, il souscrit à celle-ci et, par suite, elle doit être annulée. Toutefois, vu
que la décision dont la Cour a été saisie par voie d'évoca- tion n'était pas signée, la requête en certiorari doit être rejetée.
Arrêts cités: R. c. Sussex Justices [1924] 1 K.B. 256; Ghirardosi c. Le min. de la Voirie (C. B.) [1966] R.C.S. 367; R. c. Huntingdon Confirming Authority [1929] 1 K.B. 698; Hughes c. Seafarers' International Union (1962) 31 D.L.R. (2e) 441; arrêts suivis: R. c. Nat Bell Liquors Ltd. [1922] 2 A.C. 128; R. c. Northumberland Compensation Appeal Tribunal [1952] 1 K.B. 338.
(2) Nulle disposition de la Déclaration canadienne des droits n'interdit d'admettre en preuve, dans la présente affaire, des documents saisis par le procureur général du Canada dans les locaux des deux producteurs canadiens dans le cadre d'une enquête en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.
(3) Bien que l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale ne donne pas expressément au procureur général le pouvoir d'instituer des procédures en certiorari, il est néanmoins toujours fondé, en vertu de la common law, à déposer une requête en certiorari. Les brefs de certiorari sont accordés sur demande au procureur général.
DEMANDE en certiorari en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale visant à faire annuler une décision du Tribunal antidumping.
C. R. O. Munro, c.r., D. H. Aylen, c.r., et Robert Vincent pour le procureur général.
Gordon Henderson, c.r. pour William W. Buchanan.
Gordon Killeen et J. Shields pour le Tribunal antidumping.
R. A. Smith, c.r. pour la Canadian Pittsburgh Industries Ltd.
H. Soloman, c.r. pour la Glassexport Ltd.
J. F. Howard et D. J. Brown pour la Pilking- ton Bros. (Canada) Ltd.
LE JUGE CATTANACH—Par avis de requête du 4 mai 1972, il a été demandé à la Cour, au nom du procureur général du Canada, en appli cation de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, c. 10 (2e Supp.) (1) de rendre une ordonnance la saisissant, par voie d'évocation, de la conclusion ou décision du Tribunal antidumping prononcée le 13 mars 1970 relativement à du verre à vitre transparent importé de Tchécoslovaquie, d'Allemagne de l'Est, de Pologne, d'Union des Républiques Socialistes Soviétiques et de Roumanie, de toutes autres pièces et documents s'y rappor-
tant ou en étant la conséquence, de toutes autres pièces et questions connexes et de toutes choses y relatives se trouvant sous la garde de celui-ci et (2) de rendre une ordonnance ou un jugement annulant la conclusion ou décision du Tribunal antidumping, aux motifs que
a) le président dudit Tribunal a participé à l'élaboration de la décision, bien qu'il eût des intérêts dans l'objet de celle-ci;
b) le président dudit Tribunal a participé à l'élaboration de ladite décision bien qu'il ait eu ou ait pu avoir tendance à favoriser les compagnies canadiennes dont la plainte écrite a abouti à l'institution de procédures en vertu de la Loi antidumping, du fait de son associa tion avec elles; et
c) le président dudit Tribunal a participé à l'élaboration de la décision, bien qu'il n'ait pas participé à l'audience au cours de laquelle la preuve et les plaidoiries ont été présentées au nom des parties en cause.
L'avis de requête était appuyé par des affida vits de
(1) Robert Kerr Paterson, agent de la divi sion des douanes et accise du ministère du Revenu national. Il a déclaré sous serment ce qui suit: il connaît William Buchanan, qui a été nommé président du Tribunal antidum- ping; lui-même, auteur de l'affidavit, a eu à connaître d'une plainte de la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et de la Canadian Pittsburgh Industries Limited, relative au dumping au Canada de verre à vitre importé des pays communistes de l'Europe de l'Est; cette plainte a été examinée et elle a abouti à une détermination préliminaire de dumping du sous-ministre, le 15 décembre 1969; à plusieurs reprises, en 1969, il a discuté avec William Buchanan de l'évaluation du verre ainsi importé, mais il ne se souvient pas des propos précis qu'ils ont échangés; il a égale- ment oublié si M. Buchanan lui a rendu visite en personne à son bureau ou s'il lui a parlé au téléphone.
(2) Murray Joseph Patrick Collins, égale- ment agent de la division des douanes et accise du ministère du Revenu national. Il a déclaré sous serment ce qui suit: à de nom-
tireuses reprises, en 1968 et au cours des années antérieures, M. Buchanan a discuté avec lui, au nom de ses clients, la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et la Canadian Pitts- burgh Industries Limited, des pénétrations que les importations de verre à vitre des pays communistes d'Europe de l'Est faisaient dans le marché canadien; ces discussions avaient pour but de convaincre le ministère de suivre, dans la détermination de la valeur imposable du produit importé, une méthode qui procure- rait à ses clients une meilleure protection douanière en augmentant la valeur imposable de manière que les droits de douane ordinai- res soient Iilus élevés et qu'un droit antidum- ping soit exigible aux termes de la loi alors en vigueur; une lettre du 21 février 1968, qu'a- vait adressée M. Buchanan à l'auteur de l'af- fidavit et faisant état de ces démarches, a été jointe à l'affidavit;
(3) Charles Douglas Arthur, secrétaire du Tribunal antidumping aux dates qui nous inté- ressent; il a joint à son affidavit une [TRADUC- TION] «copie Xerox conforme de la décision du Tribunal antidumping», rendue dans l'en- quête qui a porté sur la question de savoir s'il y a eu un préjudice sensible aux termes de l'article 16 de la Loi antidumping dans le cas du verre transparent importé des pays d'Eu- rope de l'Est, décision datée du 13 mars 1970 et signée de M. W. W. Buchanan, président, J. P. C. Gauthier, membre, et B. G. Barrow, membre; lesdites signatures sont attestées par celle de l'auteur de l'affidavit; des audiences publiques ont été tenues les 2, 3, 4, 5 et 6 février 1970 et M. Buchanan n'y était pas présent;
(4) Ronald A. Davis, examinateur senior sur place du ministère du Revenu national, impôt. Il a déclaré sous serment ce qui suit: le 13 avril 1972, il a examiné les dossiers de facturation de M. Buchanan [TRADUCTION] «pour l'année 1969» et il y a découvert a) une facture datée du 8 février 1969, adressée à la Canadian Pittsburgh Industries et portant la mention [TRADUCTION] «objet: Valeur impo- sable du verre à vitre importé des pays situés derrière le rideau de fer et d'Extrême- Orient», relative à des honoraires de $375 et à des dépenses de $19.75 et b) une facture
datée du ler mars 1969, adressée à la Pilking- ton Brothers (Canada) Ltd., portant sur des honoraires de $1325 et des dépenses de $181.60; et
(5) Clary Gerald McMullen, employé du ministère de la Consommation et des Corpo rations. Il a déclaré sous serment ce qui suit: le 24 septembre 1971, il s'est rendu au siège de la Canadian Pittsburgh Industries Limited et à celui de la Pilkington Brothers (Canada) Ltd., des dirigeants de ces deux compa- gnies lui ont remis certains documents; il a joint à son affidavit une liasse de documents de 18 pages.
L'auteur de ce dernier affidavit a obtenu ces documents d'un fonctionnaire qui avait procédé à une perquisition dans le cadre d'une enquête effectuée en vertu de la Loi relative aux enquê- tes sur les coalitions. Il a agi comme messager, c'est-à-dire qu'il a fait faire des photocopies des documents qui lui ont été remis, et a ensuite, je pense, rendu les originaux aux compagnies. Tous ces documents portent une date ultérieure au le r janvier 1969 et se rapportent à des con- seils et à des propositions de M. Buchanan à ces compagnies.
Par avis de requête du 5 mai 1972, il a été demandé ex parte au nom du procureur général des directives quant à la procédure à suivre pour le premier avis de requête, daté du 4 mai 1972, et quant à la signification de cette requête; on a également demandé la permission de faire déposer des témoins en audience publique.
Le juge Heald a entendu la requête du 5 mai 1972 et il a ordonné que l'avis de requête soit signifié aux vingt-sept personnes dont les noms y étaient inscrits. Le juge Heald a manifeste- ment pris grand soin de faire en sorte que tous les intéressés reçoivent signification. La requête fait en sorte que tous les importateurs et expor- tateurs de verre en plaque auxquels le sous- ministre du Revenu national, douanes et accise, a donné avis de l'enquête concernant le dum ping, antérieurement à l'audience devant le Tri bunal antidumping, y compris les plaignants en la présente affaire, la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et la Canadian Pittsburgh Indus tries Limited, reçoivent signification. La
requête énonçait le mode de signification qui devait être utilisé pour les particuliers et les compagnies se trouvant au Canada et elle pré- voyait que, dans le cas des compagnies qui ne faisaient pas d'affaires au Canada, la significa tion devait être faite à leurs mandataires. Plus particulièrement, il était ordonné qu'une signifi cation soit faite à M. Buchanan, président du Tribunal antidumping, et à MM. Barrow et Gau- thier, membres de ce Tribunal. Il y était égale- ment ordonné qu'une signification soit faite au secrétaire du Tribunal antidumping.
En outre, le juge Heald a accordé au procu- reur général la permission de faire témoigner les personnes suivantes en audience publique: Wil- liam Wallace Buchanan, président du Tribunal antidumping le 13 mars 1970, Lionel C. Bosan- quet, Vernon C. German, J. Ray Faulds et Frank J. Doyle, ces quatre dernières étant des dirigeants de la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et de la Canadian Pittsburgh Industries Limited, auteurs des lettres et des notes jointes comme pièces à l'affidavit de Clary Gerald McMullen.
Il est important de remarquer que le juge Heald a également ordonné que, puisqu'une copie de la décision du Tribunal antidumping en date du 13 mars 1970 avait été déposée, il n'était pas nécessaire qu'à ce moment, le Tribu nal antidumping transmette à la Cour les autres documents mentionnés dans l'avis de requête du 4 mai 1972.
L'avis de requête devant être signifié à un grand nombre de personnes, le juge Heald a ordonné que l'avis de requête du 4 mai 1972 soit rapporté le 8 juin 1972 et non le 25 mai 1972, comme il avait d'abord été demandé.
L'affaire est venue à l'audience devant moi le 8 juin 1972. A ce moment, M. Buchanan, la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et la Canadi- an Pittsburgh Industries Limited étaient repré- sentés par un avocat, de même que la Glassex- port Limited et la Mineralimportexport. Conformément à l'ordonnance du juge Heald, la signification à la Glassexport Limited avait été faite à son mandataire, Peter Reiner, de la Reiner Trading Company à Montréal (Québec), de même que la signification à la Mineraléxport- import avait été faite au premier délégué com-
mercial du Bureau commercial de Roumanie à Montréal (Québec). De plus, le Tribunal anti- dumping et son secrétaire étaient représentés par des avocats.
L'avocat de William Wallace Buchanan a demandé à ce moment la permission d'appeler certains témoins désignés. Il avait antérieure- ment donné avis d'une telle requête et j'ai accordé cette permission.
L'avocat de M. Buchanan a demandé la per mission de contre-interroger ceux qui avaient déposé des affidavits à l'appui de l'avis de requête du procureur général, daté du 4 mai 1972. Il a été appuyé dans sa requête par l'avo- cat des personnes ayant des intérêts opposés à ceux du procureur général. J'ai fait droit à cette requête et le contre-interrogatoire sur les affida vits a eu lieu le 12 juin 1972.
A cette dernière date, l'avocat de M. Bucha- nan a demandé des détails quant au premier argument qu'avait invoqué le procureur général à l'appui de la demande en annulation des cons- tatations du Tribunal antidumping. Pour des rai- sons de commodité, je reprends ce motif, tel qu'il apparaît à l'avis de requête du 4 mai 1972:
[TRADUCTION] Le président dudit Tribunal a participé à l'élaboration de la décision, bien qu'il eût des intérêts dans l'objet de celle-ci.
L'avocat de M. Buchanan a allégué avec beaucoup d'insistance et de fermeté qu'il lui était nécessaire d'obtenir des détails sur les «intérêts» allégués pour être en mesure de répondre. A mon avis, il était fondé à obtenir ces détails. Le problème a été résolu pour un amendement à l'avis de requête: l'avocat du procureur général a ajouté le mot [TRADUCTION] «pécuniaires» à la suite du mot [TRADUCTION] «intérêts». En deux mots, à la suite de cet amendement, le procureur général allègue que M. Buchanan avait des «intérêts pécuniaires» dans l'entreprise en question.
L'avocat du Tribunal antidumping et le vice- président de celui-ci ont demandé des détails quant aux circonstances démontrant que le pré- sident du Tribunal aurait eu tendance à favori- ser les deux compagnies canadiennes dont la plainte a abouti à l'institution de procédures en vertu de la Loi antidumping. La demande de l'avocat a été appuyée par l'avocat des parties
ayant des intérêts opposés à ceux du procureur général. Le procureur général fonde cette allé- gation sur le second motif invoqué à l'appui de la demande en annulation de la décision du Tribunal antidumping. J'ai décidé que cette requête était fondée et l'avocat du procureur général a fourni, le 9 juin 1972, les détails demandés, dans les termes suivants:
[TRADUCTION] L'association mentionnée est celle qui a existé entre W. W. Buchanan, la Canadian Pittsburgh Indus tries Limited et la Pilkington Brothers Canada Limited. Ces compagnies ont retenu les services de M. Buchanan, avant sa nomination au poste de président du Tribunal antidum- ping, afin que ce dernier les conseille, les assiste et présente des observations au gouvernement du Canada sur la ques tion du préjudice qui était causé ou qui était susceptible d'être causé à la production canadienne de verre à vitre et, plus particulièrement, aux entreprises desdites compagnies, du fait de l'importation d'Europe de verre à vitre à bas prix et sur la question du désir de ces compagnies de voir le gouvernement imposer des droits complémentaires sur le verre à vitre sous-évalué importé d'Europe au Canada. M. Buchanan a assisté et conseillé ces compagnies et a fait des démarches en leur nom, tant avant qu'après sa nomination au poste de président du Tribunal antidumping.
J'ai donc renvoyé la requête au 4 juillet 1972 pour permettre aux intéressés de se conformer à mon ordonnance.
Le 4 juillet 1972, les personnes qui s'étaient fait représenter par des avocats le 8 juin 1972 l'étaient encore, sauf la Mineralimportexport. L'avocat de la Glassexport Limited était pré- sent le 4 juillet 1972, mais il a été absent par la suite.
M. Buchanan a fait une brillante carrière dans la fonction publique du Canada. A l'origine, il était cultivateur au Manitoba. Il a fréquenté à cette époque l'Université du Manitoba il a obtenu un baccalauréat en économie. Il a obtenu plus tard une maîtrise en économie de l'Université de Toronto. Il n'a aucune formation juridique. Il a été président-adjoint de la Com mission du tarif de 1949 1959. Il a également été nommé membre de la Commission royale d'enquête sur les brevets, le droit d'auteur et les dessins industriels. A la fin de sa carrière dans la fonction publique, en 1959, il a fondé une entreprise d'expert-conseil en matière de droits d'auteur, brevets, dessins industriels, marques de commerce, relations de travail et d'une manière plus spéciale, je crois, en matière de douanes et accise, domaines dans lesquels son expérience est la plus grande. Son expérience et
sa connaissance approfondie des divers ministè- res responsables de ces secteurs le désignaient tout à fait pour entreprendre un pareil travail à l'intention d'industriels. Son association avec la Canadian Pittsburgh Industries Limited et avec la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. à titre de clients a commencé en 1966. A compter de ce moment, et surtout au cours des années 1968 et 1969, ces deux compagnies étaient les seuls fabricants de verre à vitre du Canada. Depuis 1969, environ trois fabricants ont entrepris la fabrication de verre à vitre au Canada. La Pilk- ington Brothers (Canada) Ltd. a cessé son acti- vité dans ce domaine après 1969.
A ce stade, il est utile de résumer les effets des lois alors en vigueur et les questions sur lesquelles M. Buchanan a fait des démarches auprès de diverses autorités gouvernementales au nom de ces clients, ainsi que les raisons profondes et les buts de ces démarches.
L'article 6(1) du Tarif des douanes, S.R.C. 1952, c. 60, prévoit que dans le cas de marchan- dises exportées au Canada, d'une classe ou d'une espèce fabriquée ou produite au Canada, si le prix d'exportation ou le prix réel de vente à un importateur au Canada est inférieur à la juste valeur marchande ou à la valeur imposable des marchandises, établie sous le régime des dispositions de la Loi sur les douanes, il doit, en sus des droits autrement établis, être prélevé un droit spécial ou antidumping égal à la différence entre le prix de vente des marchandises pour l'exportation et la valeur imposable.
L'article 6(2)b) prévoit que le droit spécial ou antidumping ne doit jamais dépasser 50% ad valorem et que certaines marchandises peuvent en être déclarées exemptes en vertu d'un arrêté ou d'un règlement qu'établit le gouverneur en conseil.
En application de l'article 6(2)b) du Tarif des douanes, le gouvernement en conseil, par l'ar- rêté en conseil C.P. 4600 du 4 décembre 1952, a ordonné que le verre à vitre soit déclaré exempt du droit antidumping.
La Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et la Canadian Pittsburgh Industries Limited ont fait appel aux services de M. Buchanan pour qu'il les conseille et fasse des démarches en leur nom
auprès des autorités gouvernementales compé- tentes en vue de faire supprimer cette exemp tion, et c'est ce qu'a fait M. Buchanan. Il a rencontré des fonctionnaires du gouvernement à maintes reprises et ses démarches ont abouti à sa lettre du 20 septembre 1966 (pièce 18) adres- sée au sous-ministre adjoint des Finances, dans laquelle il résumait les revendications de ses clients. A compter de ce moment, M. Buchanan est demeuré en permanence au service de ces deux clients pour essayer de faire prendre des mesures qui leur seraient favorables.
Les démarches qu'il a faites relativement à la suppression de l'exemption du droit antidum- ping sur le verre à vitre ont apparemment pro- duit les résultats escomptés. Par l'arrêté en con- seil C.P. 1967-1844 du 28 septembre 1967, le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre des Finances, a abrogé l'arrêté en con- seil C.P. 4600, de sorte que le verre à vitre est devenu assujetti à un droit antidumping.
Aux termes de l'article 6(1), il est évident qu'il était de l'intérêt des producteurs canadiens de verre à vitre que la valeur imposable soit suffisamment élevée pour permettre à leurs pro- duits de demeurer concurrentiels sur le marché canadien.
Pendant toute l'année 1968, M. Buchanan a travaillé à faire des démarches au nom de ses deux clients relativement aux pénétrations que les exportateurs de verre à vitre d'Europe de l'Est faisaient dans le marché canadien et aux effets néfastes de ce qui peut être appelé du verre à vitre sous-évalué aux termes de l'article 6(1) du Tarif des douanes. D'une manière plus particulière, il a fait des démarches auprès du ministère du Revenu national quant aux métho- des qu'il y aurait lieu d'employer dans l'estima- tion de la valeur imposable du verre à vitre importé des pays en cause.
Le 19 décembre 1968, la Loi antidumping, S.R.C. 1970, c. A-15, a reçu l'assentiment royal et elle est entrée en vigueur par proclamation, le l ei janvier 1969.
Aux termes de l'article 8 de cette loi, des marchandises sont considérées comme sous- évaluées si la valeur normale de celles-ci excède leur prix à l'exportation. Essentiellement, la valeur normale de marchandises est le prix
auquel elles sont vendues aux consommateurs dans le cours normal des affaires, dans des conditions de concurrence. L'article 9 énonce les règles à suivre pour déterminer la valeur normale dans un certain nombre de cas, et, de même, l'article 10 énonce les règles à suivre dans la détermination du prix à l'exportation.
En vertu de l'article 3 de cette loi, l'imposi- tion d'un droit antidumping est subordonnée à l'existence de conditions préalables, savoir que le dumping au Canada a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production de marchandises semblables au Canada.
L'article 21 de cette loi crée le Tribunal anti- dumping, lequel se compose d'un maximum de cinq membres nommés par le gouverneur en conseil. Le gouverneur nomme, parmi les mem- bres, un président et un vice-président. L'article 21(6) stipule qu'en cas d'incapacité d'agir d'un membre, un suppléant temporaire peut être nommé. Le paragraphe (7) prévoit, pour sa part, que les membres doivent consacrer tout leur temps à l'exercice de leurs fonctions de mem- bres du Tribunal et qu'ils ne doivent accepter ni occuper aucun poste ou emploi incompatible avec leurs attributions en vertu de la loi.
Les fonctions du président sont décrites à l'article 23 et elles comprennent l'affectation des membres aux auditions du Tribunal et à la présidence de celles-ci.
L'article 27 prévoit que le Tribunal est une cour d'archives et qu'elle doit avoir un sceau officiel, que les tribunaux doivent admettre d'office.
Aux termes de l'article 28, le président peut ordonner que les témoignages relatifs à une audition soient reçus par un membre du Tribu nal et ce membre a tous les pouvoirs du Tribu nal pour les fins de l'audition. Ce membre doit ensuite faire rapport au Tribunal des témoigna- ges reçus et une copie du rapport doit être fournie à chacune des parties à l'audition.
La procédure à suivre dans l'imposition d'un droit antidumping est décrite à la Partie II de la loi.
Aux termes de l'article 13,1e sous-ministre du Revenu national, douanes et accise, fait ouvrir une enquête concernant le dumping de mar- chandises, de sa propre initiative ou sur récep- tion d'une plainte écrite portée par des produc- teurs de marchandises semblables au Canada ou en leur nom, s'il est d'avis qu'il y a des éléments de preuve indiquant que des marchandises ont été sous-évaluées et si lui-même est d'avis que ce dumping cause un préjudice sensible à la production canadienne, ou si le Tribunal lui fait savoir qu'il est de cet avis. Lorsque le sous- ministre décide de ne pas ouvrir une enquête du seul fait qu'à son avis, il n'y a pas d'éléments de preuve de l'existence d'un préjudice sensible, celui-ci ou le plaignant peut soumettre au Tribu nal la question de l'existence d'un tel préjudice.
D'après l'article 14, lorsque, à la suite de l'enquête, le sous-ministre est convaincu que des marchandises ont été sous-évaluées et que la marge de dumping n'est pas négligeable, il fait une détermination préliminaire de dumping. Il doit ensuite faire déposer un avis de cette détermination entre les mains du secrétaire du Tribunal.
Dès la réception de cet avis, le Tribunal doit, aux termes de l'article 16, faire enquête aux fins de déterminer si le dumping des marchandises a causé un préjudice sensible. Lorsque le Tribu nal a rendu sa décision, le secrétaire doit, aux termes du paragraphe (5), transmettre par cour- rier recommandé une copie de celle-ci au sous- ministre et aux parties intéressées.
Sur réception de l'ordonnance ou des conclu sions du Tribunal, le sous-ministre fait une détermination définitive de dumping en déci- dant d'abord si les marchandises sont des mar- chandises décrites dans l'ordonnance ou les conclusions du Tribunal et en évaluant ensuite la valeur normale et le prix normal à l'exporta- tion des marchandises. La loi prévoit en outre une nouvelle détermination de la valeur normale et une nouvelle évaluation du prix à l'exportation.
Lorsque ces procédures sont terminées, un droit antidumping égal à la marge de dumping est imposé sur les marchandises importées.
Il découle de ce qui précède que la fonction du Tribunal ne consiste qu'à déterminer si le dumping des marchandises a causé, cause, ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production canadienne de marchandises sem- blables ou a sensiblement retardé ou retarde la mise en production au Canada de marchandises semblables.
Par l'arrêté en conseil C.P. 1969-1, daté du 3 janvier 1969, MM. W. W. Buchanan, J. P. C. Gauthier et B. G. Barrow ont été nommés mem- bres du Tribunal antidumping à compter du ler janvier 1969, pour une durée de sept ans, et M. Buchanan a été nommé président.
M. Buchanan a témoigné qu'au cours des entretiens qui ont précédé sa nomination, il a informé le ministre des Finances d'alors, le ministre responsable, des rapports qu'il avait avec la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et la Canadian Pittsburgh Industries Limited. Il a également fait savoir qu'il avait d'autres travaux en cours, se rapportant pour la plupart à la taxe de vente, et qu'il désirait s'acquitter de ces tâches. En ce qui concerne ses deux clients producteurs de verre à vitre, il a déclaré au Ministre qu'il mettrait fin à ses engagements sans délai, mais qu'il se sentirait moralement obligé de les conseiller s'ils faisaient appel à lui, tout en le faisant à titre gratuit. M. Buchanan a témoigné, de plus, que le Ministre lui a donné son accord sur cet arrangement.
Immédiatement après sa nomination au poste de président du Tribunal, M. Buchanan a mis fin aux engagements qu'il avait à titre de con- seiller envers les deux clients en question. Il travaillait seul, sans associés, de sorte que per- sonne n'a pris la charge de l'entreprise. Il a recommandé un autre conseiller à ses clients, qui ont fait appel à celui-ci. Il semble avoir déclaré à ses anciens clients qu'il pourrait encore leur donner des conseils et leur faire des suggestions sur des questions de forme et de procédure s'ils le souhaitaient, en leur indiquant clairement, toutefois, qu'il le ferait à titre gratuit et qu'il ne pourrait pas faire de démarches acti ves pour leur compte.
Le témoignage de M. Buchanan, selon lequel il a mis fin à ses rapports avec ses deux clients producteurs de verre à vitre au moment de sa nomination et selon lequel il n'a reçu aucune rémunération de ceux-ci est totalement corro- boré par M. German, président de la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et par M. Doyle, prési- dent de la Canadian Pittsburgh Industries Limited.
M. German a envoyé à M. Buchanan une lettre datée du 7 janvier 1969 (pièce Dl), dans laquelle il mentionne une conversation télépho- nique que M. Buchanan avait eue avec le vice- président de la compagnie, une semaine plus tôt; il y exprime également les regrets qu'il a de voir leurs relations d'affaires prendre fin, en soulignant qu'il considère que c'est une lourde perte pour la compagnie. Il exprime ensuite sa satisfaction de constater que des personnes compétentes comme M. Buchanan acceptent des postes dans la fonction publique. Il termine en félicitant M. Buchanan et en lui souhaitant beaucoup de succès. Cette lettre établit claire- ment que M. Buchanan a mis fin à ses relations avec la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. envi- ron une semaine avant le 7 janvier 1969.
M. Buchanan a témoigné qu'après le ler jan- vier 1969, il n'a rendu visite à aucun fonction- naire du gouvernement pour présenter les vues de ses anciens clients.
La seule affaire en cours était alors la ques tion de la plainte relative au dumping qu'avaient déposée chez le sous-ministre les producteurs canadiens de verre à vitre. Toutes les démar- ches que M. Buchanan a faites au nom de ses clients l'ont été en 1968, avant sa nomination au poste de président du Tribunal antidumping, et lesdites démarches ne portaient que sur la détermination de la valeur imposable. L'entrée en vigueur de la Loi antidumping n'a pas néces- sairement fait perdre toute utilité aux démar- ches antérieures, car le sous-ministre devait encore déterminer la valeur normale et le prix à l'exportation des marchandises, lesquelles repo- sent actuellement sur des critères différents de ceux qui étaient antérieurement applicables à la valeur imposable. M. Buchanan a témoigné n'a- voir fait aucune démarche au nom de ses anciens clients relativement à des questions se rapportant à l'objet de la présente affaire. Il n'a
en aucune façon aidé ses anciens clients relati- vement à des questions susceptibles d'être sou- mises au Tribunal.
Ses anciens clients étaient alors aux prises avec le problème de la détermination de la valeur normale. A leur avis, les choses traî- naient anormalement en longueur. M. Buchanan a témoigné qu'il avait conservé un intérêt «humanitaire» dans l'affaire et il n'a pas caché avoir téléphoné quelques fois pour savoir en étaient les choses. Il a témoigné l'avoir fait pour une double raison: (1) pour être en mesure de renseigner ses anciens clients sur la situation s'ils venaient à le consulter, comme ils l'ont d'ailleurs fait, et (2) parce que le Tribunal venait tout juste d'être constitué et qu'aucune affaire ne lui avait été soumise, de sorte que les mem- bres commençaient à s'inquiéter. Il avait hâte de savoir quand il y aurait une audition pour les occuper et il était conscient du fait que la déter- mination d'un éventuel préjudice sensible résul- tant du dumping de verre à vitre pouvait être présentée au Tribunal.
Dans l'affidavit qu'il a présenté à l'appui de son avis de requête, M. Paterson a déclaré sous serment qu'à plusieurs occasions, en 1969, il a discuté avec M. Buchanan de l'évaluation du verre à vitre importé des pays communistes d'Europe, mais qu'il avait un souvenir confus des propos qu'ils avaient échangés.
Je ne vois donc aucune raison valable de ne pas accepter le témoignage de M. Buchanan sur ces questions, et c'est pourquoi je l'accepte.
Il est bien établi en droit qu'un intérêt pécu- niaire direct, quelque négligeable soit-il, rend une personne inapte à juger. L'arrêt type en matière d'intérêt pécuniaire est l'affaire Dimes c. Grand Junction Canal Co. (1852) 3 H. of L. 759, dans laquelle le Lord chancelier a rendu jugement alors qu'il possédait d'importants inté- rêts à titre d'actionnaire dans la Canal Compa ny. Il a été interjeté appel de sa décision devant la Chambre des lords et il a été décidé que les intérêts du Lord chancelier le rendaient inapte à juger. Son jugement a été infirmé et Lord Campbell a déclaré (aux pages 792-3):
[TRADUCTION] Personne ne peut insinuer que Lord Cotten- ham ait pu être le moindrement influencé par les intérêts qu'il avait dans cette entreprise; toutefois, mes Lords, il est
de la plus haute importance que la maxime suivant laquelle personne ne peut être juge de sa propre cause conserve un caractère sacré. Ce principe vaut non seulement pour les cas la personne en cause est partie, mais également pour les cas elle est intéressée. Depuis que j'ai l'honneur d'être juge en chef de la Cour du Banc de la Reine, nous avons à maintes reprises infirmé des décisions des tribu- naux inférieurs dans des cas un individu intéressé à une affaire a participé à la décision. Il sera très salutaire pour ces tribunaux d'apprendre que cette haute Cour de dernier ressort, dans une affaire le Lord chancelier d'Angleterre était intéressé, a décidé que le jugement de celui-ci, en raison des intérêts qu'il possédait, n'était pas conforme au droit et a été infirmé. Cette décision constituera une leçon pour tous les tribunaux inférieurs et leur enseignera que non seulement ils doivent prendre garde que leurs décisions soient influencées par leurs intérêts propres, mais encore doivent-ils éviter de laisser croire qu'ils rendent des déci- sions sous une telle influence.
Ainsi, lorsqu'un juge a un intérêt pécuniaire dans le résultat d'une décision, il devient par le fait même inapte à siéger à l'audition de l'affaire en cause. En pareille circonstance, il est pré- sumé d'une manière décisive que le juge est partial. Toute ordonnance rendue pendant qu'il siège en cette affaire ou par la suite est nulle.
On se souvient que le premier motif qu'a allégué le procureur général à l'appui de sa demande en annulation de l'ordonnance ou de la conclusion du Tribunal antidumping est que le président avait un intérêt pécuniaire. Cette allé- gation est basée sur l'affidavit de Ronald A. Davis, qui a déclaré sous serment, après avoir examiné les dossiers de facturation de M. Buchanan de l'année 1969 (M. Buchanan a été nommé président du Tribunal le ler janvier 1969), qu'il a découvert une facture datée du 8 février 1969, adressée à la Canadian Pittsburgh Industries Limited et une autre, datée du ler mars 1969, adressée à la Pilkington Brothers (Canada) Ltd.
Pendant la période au cours de laquelle l'au- dience de l'avis de requête a été ajournée, c'est-à-dire du 8 juin au 4 juillet 1972, l'avocat du procureur général a reçu les originaux et des copies des factures en question. M. Davis a apparemment perdu de vue que la facture qu'il a déclarée sous serment être datée du 8 février 1969 ne porte pas le chiffre 1969 et que la facture du l er mars 1969 porte une annotation indiquant clairement qu'elle se rapporte à des services fournis en 1968. L'avocat du procureur général a déclaré qu'il était convaincu que les
deux factures se rapportaient à des services que M. Buchanan avait fournis à ses clients en 1968 et, par suite, il a déclaré qu'il ne s'appuierait pas sur l'existence d'un intérêt pécuniaire. Il a donc rétracté cette allégation, comme il se devait de le faire.
Toutefois, cette rétractation ne résout pas entièrement le problème. L'avocat de M. Buchanan a déclaré qu'à son avis, la façon dont le procureur général a obtenu les preuves dont il disposait relativement à l'intérêt pécuniaire est irrégulière, comme c'est d'ailleurs le cas des autres preuves, et que, pour cette raison, il se proposait de soutenir que les frais entre procu- reur et client de son client devaient être accor dés à ce dernier, contre le procureur général, au cas l'avis de requête serait rejeté. C'est uniquement pour cette raison que j'ai accepté que des preuves qui, autrement, n'auraient pas été pertinentes, soient présentées sur cette question.
L'allégation portant sur l'intérêt pécuniaire du président ayant été rétractée, il reste les alléga- tions suivantes:
(1) le président a participé à l'élaboration de la décision du Tribunal bien qu'il ait été partial en faveur de ses anciens clients du fait de son association avec eux et
(2) il a participé à l'élaboration de la déci- sion, bien qu'il ne fût pas présent aux audiences.
L'avocat du procureur général a plaidé (1) que M. Buchanan avait un parti-pris réel et (2) que les circonstances étaient telles qu'un homme raisonnable, considérant l'affaire de l'extérieur, conclurait à l'existence probable de partialité.
La preuve qu'invoque l'avocat du procureur général se fonde principalement sur la corres- pondance et la note annexée à l'affidavit de Clary Gerald McMullen; toutes ces pièces por tent une date postérieure au ler janvier 1969. Ces documents ont été obtenus dans le cadre d'une enquête tenue en 1971, relativement à la production, la fabrication, la vente et la fourni- ture de verre à vitre, en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c.
C-23, au cours d'une perquisition dans les locaux de la Canadian Pittsburgh Industries Limited et de la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. Il est peut-être utile d'ajouter qu'une per- quisition analogue a été effectuée chez M. Buchanan.
On se souvient que, par ordonnance du 11 mai 1972, le juge Heald a accordé au procureur général la permission de convoquer Lionel C. Bosanquet, Vernon C. German, J. Ray Faulds et Frank J. Doyle pour qu'ils témoignent de vive voix. Ces personnes sont les auteurs des diver- ses lettres. Le procureur général les a convo- quées pour témoigner et il a cherché à déposer en preuve la correspondance et la note interne dont ils étaient les auteurs.
A ce point, l'avocat de la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. s'est opposé à l'admissibilité de ces documents. L'avocat de la Canadian Pitts- burgh Industries Limited et celui de M. Bucha- nan se sont joints à cette objection. Ce dernier a allégué en outre que les documents en question n'ont rien à voir avec l'affaire.
L'objection fondée sur ce dernier point pro- cédait du fait (1) que le procureur général a admis que le président n'avait aucun intérêt pécuniaire, (2) que le procureur général n'a pas contesté l'exactitude de l'ordonnance ou de la conclusion du Tribunal, ce qu'il interprète comme un aveu du fait qu'il n'y a eu aucune mauvaise administration de la justice et (3) que le président n'a pas influencé la décision des autres membres du Tribunal. Je retiens essen- tiellement de ce motif d'opposition quant à l'ad- missibilité de ces preuves que la seule question à trancher est celle de savoir si le président a participé ou non à l'élaboration de la décision. Si nous répondons à cette question par l'affir- mative, l'admissibilité des preuves relatives à la partialité du président est importante. Le procu- reur général n'a pas admis que le président n'avait pas agi en fait avec partialité ni que l'association du président aux deux producteurs de verre à vitre, ses anciens clients, ne permet- tait pas raisonnablement de faire craindre cette partialité. J'ai donc rejeté l'objection selon laquelle la preuve n'avait rien à voir avec l'af- faire. Elle est, en effet, rattachée à la question de savoir si le président a agi avec partialité et à
celle de la partialité résultant des relations entre M. Buchanan et ses clients.
L'autre objection est fondée sur le fait que la preuve a été portée à l'attention du procureur général à la suite d'une enquête tenue en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Il a été plaidé que la loi déclare que les rensei- gnements obtenus au cours des enquêtes doi- vent être considérés comme confidentiels et que les dirigeants des deux corporations en ont reçu l'assurance de l'enquêteur. L'avocat a cité l'arti- cle 10(1) de la loi, qui permet de rechercher les éléments de preuve se rapportant à l'objet d'une enquête et il a plaidé que la remise au procureur général de tout document obtenu en vertu de l'article 15 doit se rapporter exclusivement à des questions relatives à une infraction que prévoit la Loi relative aux enquêtes sur les coali tions. Je remarque que l'article 27 prévoit que toutes les enquêtes doivent être tenues à huis clos, à moins que le président de la Commission n'ordonne qu'elles soient publiques. Il a donc été plaidé que les renseignements ont été obte- nus à titre confidentiel et que ce secret ne peut pas être rompu par l'utilisation de ces preuves dans une affaire distincte, sans rapport avec la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, même si ce sont les auteurs mêmes des docu ments qui les déposent.
J'ai fait observer à l'avocat que le fait que les preuves ont été obtenues illégalement ou d'une manière simplement déloyale ne constitue pas un motif d'opposition valable à l'admissibilité de ces preuves si elles sont pertinentes. L'avo- cat a volontiers admis l'exactitude de cette pro position, qui repose sur une jurisprudence abon- dante, mais l'essentiel de son argumentation est que la question à trancher est celle de savoir si la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, a modifié ce principe de common law, relatif à l'admissibilité des preuves ainsi obtenues.
L'article 1 a) de la Déclaration canadienne des droits reconnaît et déclare que l'individu a un droit fondamental «à la jouissance de ses biens», et le droit «de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi».
L'article 2d) stipule que nulle loi du Canada ne doit être interprétée comme supprimant, res- treignant ou portant atteinte aux droits et liber- tés énumérés à l'article 1 et ... comme d) autorisant une Cour, un tribunal, une commis sion, un office, un conseil ou une autre autorité à contraindre une personne à témoigner si on lui refuse le secours d'un avocat, la protection contre son propre témoignage ou l'exercice de toute garantie d'ordre constitutionnel.
Il faut donc se demander ce que comprend l'expression «toute garantie d'ordre constitu- tionnel». Je retiens de la position de l'avocat que «toute garantie d'ordre constitutionnel» comprend le droit de l'individu «à la jouissance de ses biens» et que cela signifie clairement que ces biens ne peuvent pas être présentés en preuve et que l'individu ne peut pas être con- traint de témoigner relativement à ceux-ci. Je suis d'avis, et c'est l'opinion que j'ai exprimée au moment l'objection a été présentée, que la Déclaration canadienne des droits ne modifie pas le principe de common law relatif à l'admi- nistration de la preuve dans les circonstances que nous avons indiquées.
En premier lieu, je suis d'avis qu'aucun des témoins n'a été privé de la jouissance de ses biens et qu'aucune atteinte n'a été portée à des droits d'ordre constitutionnel. Quoi qu'il en soit, les témoins ont été requis de témoigner en vertu d'une application régulière de la loi. On leur a signifié un bref de subpoena duces tecum afin qu'ils viennent témoigner sur des questions dont ils avaient une connaissance personnelle. J'ai donc permis que les preuves soient présentées.
Le procureur général a plaidé que le président avait [TRADUCTION] «agi avec partialité». Pour que ce motif soit retenu comme rendant une personne inapte, il doit être établi qu'elle était partiale et que sa partialité a eu effectivement une influence sur la décision. A mon avis, la preuve est loin de l'établir.
M. Buchanan a fait des démarches auprès d'un certain nombre de fonctionnaires aux fins d'obtenir l'abrogation de l'arrêté en conseil exemptant le verre à vitre du droit antidumping, d'obtenir que le verre «flotté» et le verre «laminé» soient réputés être des catégories de produits fabriqués au Canada et de faire suffi-
samment augmenter la valeur imposable fixée pour qu'un droit antidumping plus élevé soit exigé. Ces démarches ont été faites avant sa nomination au poste de président du Tribunal, le ler janvier 1969.
M. Buchanan a cependant témoigné qu'après le l er janvier 1969, il n'a fait aucune démarche auprès de fonctionnaires au nom de ses anciens clients. J'ai accepté ce témoignage pour les rai- sons que j'ai déjà indiquées.
Il a témoigné de plus qu'il n'a fait aucune démarche auprès de quiconque au sujet de la question du préjudice sensible qu'avait causé ce produit aux producteurs de verre à vitre au Canada, et cette question est celle que le Tribu nal antidumping aurait pu être appelé à trancher.
Par lettre commune du 17 février 1969, adressée au sous-ministre du Revenu national, douanes et accise, la Canadian Pittsburgh Industries Limited et la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. ont déposé une plainte pour dum ping (pièce 5). Dans une lettre du 7 février 1969 de V. C. German à F. J. Doyle (pièce 4), le premier fait état d'une conversation téléphoni- que avec M. Buchanan (on ne sait pas avec certitude lequel des deux a téléphoné à l'autre), au cours de laquelle ce dernier aurait offert d'examiner la version finale de la plainte et de faire des observations à son sujet avant qu'elle ne soit déposée. M. Doyle a accepté cette pro position. M. Buchanan a ensuite examiné la lettre et proposé trois modifications, dans une lettre du 13 février 1969 (pièce 20). Les trois propositions de M. Buchanan, qui ont été rete- nues, n'avaient trait qu'à la rédaction et ne modifiaient en rien le fond de la lettre qui lui a été soumise.
Dans une lettre du 12 mai 1969 (pièce 8), le sous-ministre a informé M. German qu'une enquête avait été ouverte en vertu de l'article 13(1) de la Loi antidumping. M. German a immédiatement téléphoné à M. Buchanan et il a noté ce fait sur cette lettre et l'essentiel de leur conversation. Il y a noté que (1) M. Buchanan était enchanté, (2) selon lui, le ministère en cause devrait réviser et mettre à jour ses don- nées de 1969, ce qui ne devrait pas être long, (3) la valeur des marchandises dans un tiers-
pays serait établie, (4) une détermination préli- minaire de dumping serait faite et (5) la ques tion serait alors soumise au Tribunal aux fins de décision quant au préjudice [TRADUCTION] «pour régulariser toute l'affaire». Le choix des mots était malheureux car les termes employés impliquent de façon sinistre qu'il y avait conni- vence pour régulariser un acte qui n'était pas régulier. Les mots cités sont ceux de M. German et il est plus qualifié pour fabriquer du verre que pour faire un emploi rigoureux des mots. Je ne pense pas que M. Buchanan aurait employé ces termes. A mon avis, il ne s'agit que d'un plan et d'une prévision raisonnée de la procédure et des événements qui devaient suivre.
Il existe une note interne datée du 23 juillet 1969, qui se rapporte à une visite que M. Buchanan et des [TRADUCTION] «collègues», lesquels étaient, d'après ce que j'ai pu vérifier, les autres membres du Tribunal, ont faite aux usines des deux fabricants. La visite a bien eu lieu, mais M. Buchanan n'y a pas participé. M. Gauthier a témoigné que le Tribunal visite tou- jours les usines des fabricants canadiens dont les marchandises font l'objet d'une enquête concernant le dumping, pour que ses membres se familiarisent avec l'industrie en cause.
D'autres notes se rapportent à des déjeûners d'affaires de M. Buchanan, au cours desquels il a informé les auteurs de celles-ci de l'état de l'enquête qu'avait ouverte le sous-ministre.
Dans une note du 18 août 1969 (pièce 15), qui résume l'essentiel des discussions qui ont pris place entre L. C. Bosanquet et M. Bucha- nan au cours d'un déjeûner d'affaires, le 14 août 1969, il est fait état de déclarations qui m'ont donné à réfléchir. Selon la première, M. Buchanan aurait dit être d'avis qu'il serait facile de prouver l'existence d'un préjudice sensible. Selon l'autre, il aurait déclaré qu'il devait se rendre au ministère, ce jour-là, et qu'il dirait deux mots aux fonctionnaires chargés de l'en- quête en vue de leur expliquer en quoi consiste l'industrie du verre, de manière qu'ils tirent les conclusions qui convenaient en arrivant à leur décision.
La question du préjudice sensible est la ques tion même que le Tribunal allait être appelé à trancher. Toutefois, aux termes de l'article 13 de la Loi antidumping, le sous-ministre doit être d'avis qu'il existe des éléments de preuve d'un préjudice sensible, s'il n'a pas antérieurement soumis cette question au Tribunal, aux termes du paragraphe (3) de l'article 13. Si le sous- ministre fait une détermination préliminaire de dumping, la question du préjudice sensible est alors, en vertu de l'article 16, tranchée par le Tribunal à la suite de la détermination prélimi- naire du sous-ministre. Par conséquent, la déclaration selon laquelle «il serait facile de prouver l'existence d'un préjudice sensible» se rapporterait aux éléments de preuve nécessaires pour convaincre le sous-ministre de l'existence de ce préjudice sensible, mais il est toutefois possible d'interpréter cette déclaration comme signifiant que M. Buchanan avait préjugé de la question qu'il pouvait être appelé à trancher.
Quant à la seconde déclaration que M. Bosan- quet attribue à M. Buchanan, selon laquelle il ferait connaître aux fonctionnaires du ministère les faits dominants «de manière qu'ils tirent les conclusions qui convenaient en arrivant à leur décision», elle est en contradiction avec le témoignage de M. Buchanan selon lequel il n'a fait aucune démarche auprès des fonctionnaires du ministère. Encore une fois, les mots sont mal choisis, mais ils ne sont pas de M. Buchanan. Les mots ont été employés dans une conversa tion privée, mais ils ont quand même une réson- nance qui n'inspire rien qui vaille. D'autre part, il est possible d'interpréter cette déclaration comme signifiant que M. Buchanan allait parler des facteurs qui devaient être utilisés dans la détermination de la «valeur imposable normale» mais il n'existe aucune preuve que M. Bucha- nan a réellement parlé à ces fonctionnaires.
A ce stade, je tiens à indiquer qu'à mon avis, il y a une distinction à faire entre «agir avec partialité», qui signifie, selon mon interpréta- tion, une conduite partiale parce que le juge a préjugé le résultat, et «être partial par suite d'un intérêt», qui signifie, selon mon interprétation, une association avec l'une des parties au litige. Dans l'un et l'autre cas, pour que le juge soit inapte à juger pour ce motif, il est nécessaire qu'il soit «réellement probable» ou qu'il soit
«raisonnable de croire» que le juge n'agira pas avec impartialité.
Il est de jurisprudence constante qu'un simple soupçon de partialité n'est pas suffisant. Le juge Denning, maître des rôles, a déclaré dans l'affaire Metropolitan Properties Co. (F.G.C.), Ltd. c. Lannon [1968] 3 All E.R. 304 la page 310:
[TRADUCTION] Néanmoins, l'existence de partialité doit être réellement probable. Un doute ou une supposition ne suffit pas.
Ces critères sont fondés sur les apparences plutôt que sur l'existence réelle de partialité. Les apparences sont le facteur déterminant, qu'elles résultent d'une relation entre le juge et une partie au procès dont celui-ci est saisi, par exemple un lien de parenté, des déclarations ou la conduite du juge ou d'autres causes.
Le juge Dysart a résumé le droit sur cette question dans l'affaire Nichols c. Graham [1937] 3 D.L.R. 795 la p. 799:
[TRADUCTION] Il est nettement établi en droit que nul ne peut exercer les fonctions de juge dans une cause dans laquelle il poursuit ou accuse, ou dans laquelle il a ou dans laquelle il est raisonnable de croire qu'il a, un intérêt ou une partialité en faveur d'une partie ou contre une partie à celle-ci. Il ne s'agit pas d'une simple question de convenan- ces: le principe vise sa capacité même d'agir, de sorte que s'il prétend agir, son jugement sera frappé de nullité. Ce grand principe de notre droit s'applique à toutes les causes sans exception dans lesquelles une personne est appelée à agir de façon judiciaire, et s'étend également à tout membre d'un tribunal judiciaire, à tout acte judiciaire.
Il a été décidé dans l'affaire Re R. c. Jackson 125 C.C.C. 205 qu'un juge ne devient pas inapte [TRADUCTION] «du seul fait qu'il a une opinion provisoire».
Dans l'affaire Ex. p. Wilder (1902) 66 J.P. 761, il a été décidé qu'un juge n'était pas inapte à juger d'une affaire portant sur un véhicule automobile, même s'il était notoire qu'il avait des préjugés contre les automobiles.
Dans l'affaire Re Doherty et Stewart 86 C.C.C. 253; [1946] O.W.N. 752, il a été décidé que le magistrat n'était pas inapte du fait qu'il avait, dans d'autres procédures qu'il avait été appelé à juger, exprimé des vues arrêtées sur une question connexe à l'accusation à raison de laquelle l'accusé, qui avait demandé un bref de prohibition, comparaissait devant lui.
Dans l'affaire Regina c. Pickersgill (1971) 14 D.L.R. (3 e ) 717, le juge Wilson, après une étude approfondie de la jurisprudence, a tiré une con clusion de fait selon laquelle l'existence de par- tialité de la part du président du comité du transport ferroviaire de la Commission cana- dienne des transports n'était pas réellement pro bable, même si, quelque deux mois avant l'au- dience relative à une demande présentée aux fins de cessation du service d'un train destiné au transport des voyageurs, il avait fait une déclaration largement diffusée dans laquelle il avait exprimé l'avis que les nouveaux principes directeurs du Canada, en matière de transports, exprimés dans la Loi nationale sur les trans ports, allaient permettre une exploitation renta- ble et efficace des chemins de fer en suppri- mant des services déficitaires qui ne répondaient plus à l'intérêt public. Après une analyse minutieuse de cette déclaration, le juge Wilson a décidé que des personnes raisonnables ne concluraient pas de cette déclaration que son auteur avait préjugé de l'issue du service de voyageurs qui faisait l'objet de la demande dont le comité était saisi, et il a refusé d'accorder un bref de prohibition.
Dans les quatre derniers arrêts que nous avons cités, le ratio est que, malgré les déclara- tions générales d'un juge, il doit être présumé que celui-ci admettra que, pour exécuter ses fonctions comme il se doit de le faire, [TRADUC- TION] «il doit constamment garder ses fonctions judiciaires présentes à l'esprit et ne pas se lais- ser influencer par ses idées préconçues, ni s'ar- rêter à ses premières impressions sans les avoir examinées et éprouvées» (le juge d'appel Freed man, dans l'affaire Re Golliah et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1967) 63 D.L.R. (2 e ) 224). En résumé, le juge n'est pas empêché de statuer sur les faits et les questions litigieuses d'une manière impartiale et judi- ciaire, en faisant abstraction des opinions qu'il a exprimées.
J'applique donc ce critère à M. Buchanan. Il a fait valoir les idées de ses clients sur des ques tions susceptibles d'influer sur leurs intérêts. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il fait siennes les idées de ses clients, ni, nécessaire- ment, qu'il a reconnu que ces idées étaient valables. Après un examen très attentif de la
présente affaire, je suis arrivé à la conclusion que, pour les motifs que j'ai déjà indiqués, M. Buchanan n'avait pas «agi avec partialité», au sens que j'ai donné à cette expression.
D'autre part, je suis arrivé à la conclusion contraire quant à la question de savoir si M. Buchanan avait un intérêt dans l'affaire en raison des relations qu'il avait eues avec ses anciens clients, au motif que ces relations per- mettent logiquement de conclure qu'il était par tial en faveur de ceux-ci.
Je n'accepte pas l'argument de l'avocat de M. Buchanan selon lequel les relations entre celui-ci et ses anciens clients se rapportaient à une question différente de celle que le Tribunal allait être appelé à trancher.
En 1967, M. Buchanan a fait des démarches au nom de ses clients en vue d'obtenir que le verre à vitre, qui était exempté du droit anti- dumping, y soit assujetti. Il a parlé des pénétra- tions que les importateurs étrangers faisaient dans le marché canadien, au détriment de ses clients. Ces démarches impliquent donc que ses clients subissaient un préjudice sensible. Lors- que l'exemption a été supprimée, M. Buchanan a continué à faire des démarches au nom de ses clients, pendant toute l'année 1968, aux fins de faire attribuer aux marchandises importées une valeur imposable suffisamment élevée, aux termes du Tarif des douanes, pour permettre à ses clients de concurrencer avec succès les importateurs étrangers sur le marché canadien. Encore une fois, cela implique que la concur rence de ces importateurs nuisait aux fabricants canadiens, ce qui est en soi un préjudice sensible.
Il est vrai que si, aux termes du Tarif des douanes, il est établi que le prix à l'exportation ou le prix de vente réel par rapport à l'importa- teur canadien est inférieur à la juste valeur marchande ou à la valeur imposable, les mar- chandises doivent être frappées d'un droit anti- dumping. Aucune disposition n'exige qu'il y ait une conclusion expresse selon laquelle les pro- ducteurs canadiens de marchandises semblables ont subi un préjudice sensible.
Le but de la loi est manifestement de protéger les producteurs canadiens de la concurrence étrangère injuste résultant de la vente de mar-
chandises au Canada à un prix inférieur à celui auquel elles se vendent dans le pays d'origine. Il faut logiquement conclure que les producteurs canadiens subissent un préjudice sensible du fait que les manoeuvres de dumping des produc- teurs étrangers les privent d'une partie du marché canadien. L'objet évident de l'imposi- tion d'un droit antidumping est de remédier à cette situation, de manière à permettre aux pro- ducteurs canadiens de lutter sur un pied d'éga- lité avec la concurrence sur le marché canadien.
Le but fondamental de toutes les démarches que M. Buchanan a faites au nom de ses clients était finalement de voir imposer un droit anti- dumping élevé sur le verre à vitre des produc- teurs étrangers.
L'entrée en vigueur de la Loi antidumping n'a apporté aucun changement réel au but initial. Les changements apportés sont de nature pro- cédurale. Il y a dumping si la valeur normale des marchandises dépasse leur prix à l'exporta- tion. La loi énonce les règles à suivre dans le calcul de la valeur normale. Le producteur canadien a toujours avantage à faire établir une valeur normale élevée, de manière que le droit antidumping soit, lui aussi, élevé. D'après l'an- notation inscrite sur la pièce 8, et comme M. Buchanan l'a fait observer à ses clients, le ministère n'avait qu'à réviser et mettre à jour les données dont il disposait en 1969. Il y avait, de plus, une condition préalable à l'imposition d'un droit antidumping, savoir que le Tribunal devait constater que le dumping de marchandi- ses a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible aux producteurs cana- diens de marchandises semblables ou a retardé ou retarde sensiblement la mise en production au Canada de marchandises semblables. Alors que ce fait était nécessairement présumé résul- ter du dumping aux termes de la loi antérieure, la loi actuelle prévoit que le Tribunal doit cons- tater son existence. Le but fondamental reste toutefois le même. Le résultat final est qu'un droit antidumping est imposé. Le but initial des clients de M. Buchanan était d'obtenir l'imposi- tion d'un droit antidumping sur le verre à vitre en vertu de la loi antérieure et ce but est demeuré leur objectif fondamental sous l'em- pire de la nouvelle loi. Toutes les démarches
faites pendant que l'ancienne loi était en vigueur et après l'entrée en vigueur de la nou- velle loi visaient à atteindre ce but.
Toutes les démarches tendent tellement vers une même fin que je ne comprends pas com ment on peut dire que les démarches qu'a faites M. Buchanan au nom de ses clients se rappor- taient à des objets différents, eu égard au fait qu'elles ont été entreprises en vue d'obtenir l'imposition d'un droit antidumping élevé.
Pour ces motifs, j'ai rejeté l'argument de l'a- vocat de M. Buchanan sur ce point.
A l'appui de la conclusion que j'ai tirée selon laquelle il serait véritablement probable, selon le critère de l'homme raisonnable, que M. Buchanan a été partial en faveur de ses anciens clients, en raison des relations qu'il avait eues avec ceux-ci, je vais citer des arrêts qui illus- trent la nature et l'importance des relations per- sonnelles et des relations d'affaires ainsi que le genre de faits qui ont fait mettre en doute l'impartialité d'un membre d'un tribunal appelé à rendre une décision.
Je citerai d'abord une affaire bien connue, l'arrêt Rex c. Sussex Justices [1924] 1 K.B. 256. Dans cette affaires, les juges ont connu d'une sommation délivrée contre un conducteur de motocyclette accusé de conduite dangereuse. Le greffier adjoint était le frère et l'associé d'un avocat qui représentait une partie dans une action civile en dommages-intérêts, intentée contre le conducteur de la motocyclette. A la fin des témoignages, les juges se sont retirés (manifestement pour examiner l'affaire en déli- béré), accompagnés du greffier adjoint, comme c'était la coutume, qui emportait ses notes rela tives à la preuve, au cas les juges auraient voulu lui demander son avis sur une question de droit. En fait, les juges sont arrivés à la conclu sion qu'il y avait lieu de prononcer une déclara- tion de culpabilité, sans avoir consulté le gref- fier adjoint. Le juge en chef, Lord Hewart, a déclaré que la question était de savoir si le greffier adjoint était tellement lié à l'aspect civil de l'affaire qu'il était inapte à agir comme gref- fier au procès criminel. Il a été décidé que tel était le cas et Lord Hewart a alors prononcé cette phrase célèbre [TRADUCTION] «il est tout à
fait primordial, et non simplement important, que non seulement justice soit rendue mais que, dans l'esprit des gens, il soit manifeste et indu bitable que justice est rendue».
Dans l'arrêt Ghirardosi c. Le ministre de la Voirie de la Colombie-Britannique [1966] R.C.S. 367, il a été décidé que des relations d'avocats à client, présentes ou antérieures, entre un membre d'un tribunal et une partie comparaissant devant lui justifient de conclure à l'existence possible de partialité.
Dans cette dernière affaire, un arbitre en matière d'expropriation a été retenu comme avocat du ministère dans une affaire d'expro- priation portant sur des terrains situés à quelque 250 milles de l'endroit étaient situés les terrains sur lesquels portait l'arbitrage. Le juge Cartwright (juge puîné à l'époque) a déclaré à la page 371:
[TRADUCTION] ... mais l'inaptitude découle du fait que, ... des relations confidentielles entre avocat et client, pro- fitables à l'un et l'autre, ont existé à toutes les époques qui nous intéressent ...
Dans l'arrêt McKay c. Campbell 36 N.S.R. 522, il a été décidé qu'un enquêteur nommé en vertu du Collections Act (loi sur le recouvre- ment des créances) ne pouvait pas interroger un débiteur, parce qu'il était l'avocat d'un autre créancier, au motif que l'enquêteur pouvait avoir un intérêt tel dans le résultat de l'interro- gatoire qu'il n'était pas entièrement dégagé de tout soupçon de partialité ou d'intérêt.
Dans l'arrêt Re Public Schools Act (1962) 38 W.W.R. 106, un avocat avait représenté un professeur dans un litige l'opposant à la com mission scolaire, devant un comité d'enquête. Il a été jugé inapte à siéger comme arbitre dans un arbitrage ultérieur, à cause de la connaissance qu'il avait acquise en sa qualité d'avocat dans le litige antérieur et parce qu'il était possible qu'il ne puisse pas dégager son esprit de la partialité inévitable d'un avocat.
Dans l'arrêt Sims c. Seller [1927] 2 D.L.R. 251, il est déclaré qu'une personne qui a pris une part active dans un litige antérieur entre les parties ne doit pas être nommée arbitre.
Dans l'arrêt Cormee c. C.P.R. (1888) 16 O.R. 639, le fait que pendant l'instance, dans une affaire de renvoi, et avant que la décision ne
soit rendue, un membre d'une Commission a été informé qu'il recevrait une offre de services comme avocat de la compagnie défenderesse et que, après la décision, cette offre lui a été faite et qu'il l'a acceptée, a entraîné la nullité de la décision. On a déclaré: [TRADUCTION] «Dans des situations aussi délicates, même l'apparence d'illégalité doit être évitée».
Dans l'arrêt Flin Flon Division Association c. Flin Flon School Division (1964) 49 W.W.R. 426, il a été décidé que des relations entre un vérificateur et une partie étaient constitutives de partialité.
Dans l'affaire Szilow c. Szaze [1955] R.C.S. 3, un arbitre avait, dans une opération immobi- lière, été associé à une partie à un arbitrage, quelque six mois avant l'arbitrage (lequel, du fait qu'il s'étendait sur une certaine période, nécessitait l'établissement de relations de ges- tion et de consultation) et il a été décidé que l'association, du fait qu'elle entraînait inévita- blement des relations personnelles et profitables aux deux parties, suffisait à rendre l'arbitre inapte pour cause de partialité.
Dans diverses lois qui m'ont été citées, il est stipulé que l'écoulement d'un certain temps entre la fin de relations et le moment une partie à ces relations participe à une décision qui concerne l'autre partie auxdites relations fait disparaître l'inaptitude.
Les délais varient entre six mois et deux ans. Il en résulte que le temps efface tout soupçon raisonnable de partialité. Toutefois, M. Bucha- nan, après avoir mis fin à ses relations officiel- les avec ses clients, est demeuré à leur disposi tion et les a fait profiter de ses conseils, bien que ce fût à titre gratuit, pendant toute l'année 1969, après avoir été nommé président du Tri bunal antidumping le ler janvier 1969, et même en 1970, de sorte que des relations de conseiller à client à titre gratuit ont continué d'exister, étant toutefois entendu que M. Buchanan ne ferait pas de démarches en leur nom.
De plus, M. Buchanan a lui-même admis qu'il était inapte à siéger aux audiences que devait tenir le Tribunal bien avant qu'elles n'aient lieu, et même avant qu'il ne devienne certain que les questions en cause seraient soumises au Tribu-
nal. Le sous-ministre a fait la détermination préliminaire de dumping le 15 décembre 1969. M. German a eu une conversation avec M. Buchanan et il en a consigné le contenu dans une note datée du 27 octobre 1969 (pièce 11), dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Il a longuement parlé de la question de savoir s'il était opportun qu'il participe aux audiences et il a finalement déclaré qu'il n'y serait certainement pas présent, et que, en fait, il se proposait d'aller en vacances quelque part dans les Caraïbes. Il estimait que c'était notre meilleur intérêt, car il serait très dommageable que ses relations antérieures avec notre entreprise soient mises à jour devant le Tribunal.
M. Buchanan a fait connaître aux autres membres du Tribunal les relations qu'il avait eues avec la Canadian Pittsburgh Industries Limited et la Pilkington Brothers (Canada), Ltd., les compagnies qui ont déposé la plainte de dumping relative au verre à vitre qui a abouti à l'ouverture de l'enquête par le sous-ministre, et finalement au renvoi de l'affaire devant le Tribunal. Il n'a pas cherche] à cacher l'exist- ence desdites relations. Il a déclaré aux autres membres qu'il était inapte à siéger aux audi ences du Tribunal tenues du 2 au 6 février 1970, et il n'y a pas participé.
Pour ces motifs, j'ai conclu que M. Bucha- nan, en raison de ses relations antérieures avec ses clients, avait, dans les procédures, un intérêt personnel de nature à faire naître des soupçons raisonnables de partialité en leur faveur. Quels que soient les efforts que M. Buchanan eût pu déployer pour être un président impartial, s'il avait participé à l'audience du Tribunal, je ne vois pas comment une partie aux procédures aurait pu ne pas raisonnablement le soupçonner d'être partial, en raison de la connaissance qu'il avait acquise par suite de ses relations antéri- eures avec ses clients et, de ce fait, comment elle aurait pu ne pas conclure à l'existence de favoritisme.
L'autre motif sur lequel se fonde le procureur général pour mettre en doute la validité de la conclusion ou de l'ordonnance du Tribunal est que M. Buchanan a participé à l'élaboration de la décision bien qu'il n'ait pas été, selon ce qui est admis et clairement établi, présent aux audi ences du Tribunal tenues du 2 au 6 février
1970, audiences au cours desquelles des preuves et des arguments ont été présentés au nom des parties intéressées.
Il me semble évident qu'une personne ne peut pas rendre une décision dans une affaire dans laquelle elle n'a pas entendu la preuve s'y rap- portant ni les arguments des parties sur l'objet du litige et le sens de la preuve, et qu'une pareille décision est nulle.
On peut trouver des arguments à l'appui de ce principe, à supposer que ce soit nécessaire, dans l'arrêt Rex c. Huntingdon Confirming Authority [1929] 1 K.B. 698.
Dans cette affaire, les membres d'une Com mission de contrôle qui ont entendu la preuve à une première audience n'étaient pas les mêmes que ceux qui ont siégé à une seconde audience, au cours de laquelle une décision sur le main- tien d'un permis a été rendue, puisque des mem- bres qui n'avaient pas entendu la preuve à la première audience étaient présents à la seconde audience et ont participé à la décision.
Lord Hanworth a déclaré (page 714):
[TRADUCTION] Il me reste à traiter la question des juges qui n'étaient pas présents lorsque la preuve a été présentée, le 25 avril, mais qui l'étaient à l'audience du 16 mai. Nous pensons que la commission de contrôle aurait se compo ser des mêmes personnes, à ces deux occasions, savoir que les juges qui n'avaient pas entendu la preuve ne devaient pas siéger. Il est très possible que tous les juges qui ont entendu la cause et la preuve le 25 avril n'aient pas pu assister aux autres audiences, mais, quoi qu'il en soit, les juges qui n'ont pas entendu l'affaire ne doivent pas se joindre à ceux qui l'ont entendue aux fins d'arriver à une décision sur la question du maintien du permis.
Le juge Romer a souscrit aux motifs de Lord Hanworth et il a déclaré (page 717):
[TRADUCTION] ... De plus, je voudrais simplement souligner le fait qu'à l'audience du 16 mai, trois des juges présents n'avaient jamais entendu la preuve déposée sous serment le 25 avril. Les avis étaient partagés. La résolution en faveur du maintien du permis a été adoptée par huit voix contre deux, et, à tout le moins, il est possible que les membres qui n'étaient pas présents le 25 avril, ceux qui n'avaient aucune connaissance des faits, aient convaincu la majorité de voter comme elle l'a fait.
Le juge Cartwright a repris les deux citations qui précèdent, en les faisant siennes, dans l'ar- rêt Mehr c. Law Society of Upper Canada [1955] R.C.S. 344. Dans cette affaire, à une audience devant le comité de discipline de la
Law Society, tenue le 18 septembre, six mem- bres étaient présents. Ces six membres et deux autres membres étaient présents à une audience du 2 octobre. A une audience tenue le 19 novembre, les huit membres du 2 octobre et un autre membre étaient présents. Rien n'indiquait que certains des neuf membres en tout n'a- vaient pas participé à la décision relative au rapport que le comité devait présenter. Six membres seulement étaient présents aux trois séances. Deux autres membres étaient présents à deux audiences après avoir été absents de la première et l'un des membres n'était présent qu'à l'une des audiences après avoir été absent des deux premières.
Le juge Cartwright a déclaré (page 351):
[TRADUCTION] Bien qu'il ne soit pas nécessaire de trancher la question de savoir si cela entache le rapport de nullité, je suis très intéressé par le raisonnement de Lord Hanworth et du juge Romer dans l'affaire Rex c. Huntingdon Confirming Authority.
II a ensuite cité les passages que j'ai moi-même cités plus haut.
Dans l'affaire Re Ramm (1957) 7 D.L.R. (2e) 378, le juge d'appel MacKay a cité les passages ci-dessus de l'affaire Huntingdon (précitée) et de l'affaire Mehr (précitée) et il a déclaré (page 382):
[TRADUCTION] Ce qui est critiquable, c'est leur présence pendant la période de discussion, situation qui ne leur permettait pas d'examiner, d'une manière judiciaire, la preuve présentée sous serment plusieurs jours avant, en leur absence, sur laquelle une décision devait être rendue.
Le juge Verchere a fait une déclaration sem- blable dans l'arrêt Hughes c. Seafarers' Interna tional Union (1962) 31 D.L.R. (2e) 441.
L'article 28 de la Loi antidumping prévoit que le président du Tribunal peut ordonner que les témoignages relatifs à une audition devant le Tribunal soient reçus, en tout ou en partie, par un membre du Tribunal, mais il est également prévu qu'en pareil cas, le membre qui reçoit les témoignages doit en faire rapport au Tribunal.
Cet article ne déroge pas à la règle selon laquelle la personne appelée à rendre une déci- sion doit avoir été présente aux audiences s'y rapportant. Cependant, cet article permet à un membre de recevoir des témoignages au nom de tous les membres, mais ces derniers sont infor-
més du contenu de ces témoignages par le rap port que doit leur présenter celui qui les reçoit.
Ce n'est toutefois pas la procédure qu'a suivie le président du Tribunal. Il a désigné le président adjoint, M. Gauthier, et l'autre membre, M. Barrow, pour tenir des audiences que M. Gauthier a présidées. Le président avait le pouvoir de le faire en vertu de l'article 23(1)a) de la Loi antidumping, qui prévoit que le président «assume la surveillance et la direc tion des travaux du Tribunal, notamment a) la répartition des travaux entre les membres du Tribunal et l'affectation des membres aux audi tions du Tribunal et à la présidence de ces auditions, ...».
A mon avis, par conséquent, M. Buchanan était inapte à participer à l'élaboration de la décision du Tribunal en raison du fait qu'il n'était pas présent aux audiences.
Par suite, je constate que le président était inapte à participer à l'élaboration de la décision du Tribunal pour une double raison, savoir
(1) que ses relations avec les deux compa- gnies canadiennes, dont la plainte écrite a abouti à l'institution des procédures que pré- voit la Loi antidumping, permettaient de con- clure à l'existence probable de partialité en leur faveur, et
(2) qu'il n'était pas présent aux audiences.
Ces constatations ne résolvent pas complète- ment le litige. Il reste à trancher la question que je considère comme cruciale.
Cette question est la suivante: le président a-t-il participé à l'élaboration de la décision du Tribunal? Dans l'affirmative, il s'ensuit qu'en raison de la constatation que j'ai faite quant à la double inaptitude du président, la décision du Tribunal doit être annulée. Le vicomte Cave a déclaré, dans l'affaire Frome United Breweries Co. c. Bath Justices [1926] A.C. 586 à la p. 590:
[TRADUCTION] ... et il est de jurisprudence constante que si un membre d'un tel organisme est partial, par suite d'un intérêt pécuniaire ou autre, en faveur de l'une ou l'autre partie ou contre l'une de celles-ci, ou est dans une situation telle qu'il y a lieu de conclure à l'existence de partialité, il ne doit pas participer à la décision ni même siéger au Tribunal.
Il est également évident que si un membre d'un tribunal est partial, la compétence du tribu nal lui-même est viciée, même si les autres membres sont impartiaux. (Voir La Reine c. Meyer (1875) 1 Q.B.D. 173, et Frome United Breweries Co. c. Bath Justices (précité), arrêts cités dans l'affaire Ex parte Hall [1963] 2 O.R. 239.)
Il nous faut donc maintenant rechercher si la loi qui a créé le tribunal prévoit ou, à défaut, s'il découle nécessairement de son interprétation, qu'un membre, inapte à siéger au tribunal et à participer à sa décision en common law pour motif de partialité, peut ou doit siéger au tribu nal et, en pareil cas, si cette personne est apte à siéger malgré sa partialité pourvu que celle-ci soit du genre qu'envisage la loi. Lord Sumner a déclaré (page 616), dans l'affaire Frome United Breweries Co. c. Bath Justices (précitée):
[TRADUCTION] S'il était impossible d'éviter la partialité dans une telle affaire, il est clair que la loi, en les instituant (certains juges ayant un intérêt dans l'affaire) membres de la commission de contrôle, aurait rendu cette commission partiale pro tanto et que les décisions de celle-ci ne pour- raient pas être attaquées pour ce motif.
Le principe qui précède est très voisin de la doctrine de l'ex necessitate. Un membre d'un tribunal pouvant être inapte en common law [TRADUCTION] «peut être requis de siéger s'il n'existe aucun autre tribunal compétent, ou s'il est impossible d'atteindre le quorum sans lui. En pareil cas, la doctrine de la nécessité supplée à une carence du système judiciaire».
Dans l'arrêt Les juges c. Le procureur général de la Saskatchewan [1937] 2 D.L.R. 209, les juges de la Saskatchewan ont été appelés à se prononcer sur la constitutionnalité d'une loi les obligeant à payer des impôts sur le revenu tiré de leur traitement. De même, mon collègue Noël a été appelé, dans l'affaire Martel c. M.R.N. [1970] R.C.E. 68, à décider si le traite- ment supplémentaire versé aux juges pour ser vices extrajudiciaires qu'on leur demandait et certains frais accessoires que peut nécessiter la bonne exécution des fonctions de juge sont exempts d'impôt sur le revenu. Il a été répondu par la négative. Dans ces affaires, il n'existait aucune autorité compétente pour trancher les questions en cause.
Avec ces considérations présentes à l'esprit, j'ai analysé la Loi antidumping aux fins de vérifier si ses dispositions exigent que le prési- dent participe à la décision, soit en vertu de ses fonctions propres, soit pour constituer le quorum.
M. Buchanan pensait apparemment, le 27 octobre 1969, qu'il était obligé de le faire, puis- que M. German, dans sa note de la même date (pièce 11), a résumé comme suit une conversa tion téléphonique qu'il avait eue avec M. Buchanan:
[TRADUCTION] Il a également déclaré qu'il serait de retour de vacances assez tôt pour participer aux délibérations et à la décision, après les audiences. On ne semble généralement pas se rendre compte qu'on n'évite pas de participer à l'élaboration d'une décision en évitant de participer aux audiences.
L'étude que j'ai faite de la loi ne me semble pas justifier cette conclusion.
L'article 23(1)a) permet d'affecter des mem- bres aux auditions du Tribunal et à la prési- dence de ces auditions.
Le Tribunal se composait de trois membres au moment de sa création.
La loi est muette sur la question du quorum, mais l'article 21(2) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, prévoit que lorsqu'un texte législatif établit un conseil, une cour ou un autre tribunal composé de trois membres ou plus, la moitié au moins du nombre des membres prévu par le texte législatif, si ce nombre est fixe, ou, si le nombre de membres prévu par le texte législatif n'est pas fixe mais est compris dans des limites comportant un maximum ou un minimum, la moitié au moins du nombre de membres en fonction, si ce nombre est compris dans ces limites, constitue le quorum.
L'article 21(1) de la Loi antidumping crée un Tribunal devant se composer d'un maximum de cinq membres. Trois membres ont été nommés par l'arrêté en conseil C.P. 1969-1 en date du 3 janvier 1969 (pièce 3). Par conséquent, aux termes de l'article 21 de la Loi d'interprétation, le quorum du Tribunal est de deux membres.
De toute manière, si aucun quorum n'avait été fixé, l'article 21(6) de la Loi antidumping prévoit qu'en cas d'absence ou d'incapacité d'agir d'un membre, le gouverneur en conseil
peut nommer un suppléant temporaire. S'il avait été estimé nécessaire que trois membres du Tribunal participent à la décision, le problème de l'inaptitude du président pour raison de par- tialité aurait pu être résolu en ayant recours à l'article 21(6) et un suppléant temporaire aurait pu être nommé, comme cela s'est fait dans une affaire qu'a citée M. Frank, dans un article sur l'inaptitude des juges publié en 1947, au numéro 56 du Harvard Law Review. La Cour suprême du Texas a été saisie d'une affaire concernant une association de personnes du sexe masculin de laquelle tous les juges de la cour faisaient partie. Le gouverneur a réglé le problème en constituant un tribunal ad hoc composé de trois personnes du sexe féminin.
La question de savoir quels membres devaient signer la décision du Tribunal a causé un problème à MM. Gauthier et Barrow, dès la fin de l'audience, le 6 février 1970.
Par suite, le secrétaire du Tribunal, dans une lettre du 11 février 1970 (pièce B1), a demandé l'opinion de M. J. T. Gray, avocat du ministère des finances et du conseil du Trésor, sur cette question. Il a exposé le problème en ces termes:
[TRADUCTION] Le président a procédé à l'affectation de deux membres «aux auditions du Tribunal et à la présidence de ces auditions» en vertu de l'article 23(1)a). La question se pose de savoir si les dispositions de l'article 28 s'appli- quent en pareille circonstance, bien que l'article en question vise le rapport présenté par le membre du Tribunal qui a reçu les témoignages.
A votre avis, les deux membres doivent-ils présenter un rapport écrit au président et à chacune des parties (article 28, paragraphe (2))? A notre avis, il n'est pas certain que cette disposition s'applique dans les conditions énoncées à l'article 23(1)a).
M. Gray a répondu comme suit, par lettre du 12 février 1970 (pièce B2):
[TRADUCTION] Comme suite à votre demande, j'ai étudié les dispositions de la Loi antidumping et les règlements relatifs à celle-ci. A mon avis, l'article 28 ne s'applique pas dans les conditions que vous avez énoncées dans votre note. Je crois comprendre que, dans le cas qui vous inté- resse, deux membres du Tribunal ont tenu audience et ont reçu des témoignages. A mon avis, l'article 28 ne s'applique que lorsqu'un seul membre est désigné pour recevoir des témoignages.
J'ai été étonné de constater que la loi est muette sur la question du quorum du Tribunal. L'article de la loi qui autorise le président à désigner des membres pour qu'ils tiennent des audiences et exécutent d'autres fonctions porte
à conclure qu'il n'est pas nécessaire que tous les membres soient présents pour agir valablement au nom du Tribunal. D'autre part, le fait que la loi ne prévoit aucun quorum jette quelque doute sur la validité d'une décision du Tribunal à laquelle tous les membres n'auraient pas participé. Il serait peut-être plus prudent, à mon avis, que tous les membres signent le document officiel qui constatera la décision. Naturellement, la décision doit également faire état des dissidences éventuelles. Je constate que la loi donne au Tribunal le pouvoir d'adopter des règles de procédure, mais je doute que ce pouvoir permette au Tribunal de fixer son propre quorum. Il est assez inusité qu'une loi crée un tel tribunal sans en fixer le quorum et il me semble que la chose pourrait être prise en considération dès que des amendements seront proposés à la loi.
Je partage l'avis de M. Gray et je ne crois pas que l'article 28 s'applique dans les circonstan- ces de la présente affaire, ainsi que l'a indiqué M. Gray. Le président a effectivement désigné les deux membres pour tenir l'audience, en vertu du pouvoir que lui confère l'article 23. Il n'a pas eu recours à l'article 28 car la réception du rapport du membre qu'il aurait désigné aurait équivalu pour lui à participer à l'audience. M. Buchanan était convaincu qu'il ne devait pas être présent aux audiences, à cause des rela tions qu'il avait eues, à titre de conseiller, avec les plaignants. Sur ce point, je loué la sagesse de M. Buchanan. La Loi d'interprétation prévoit que le singulier comprend le pluriel, à moins que le contexte ne révèle une intention con- traire. Aux termes de l'article 28, il est clair qu'un seul membre peut être désigné pour rece- voir des témoignages, et non deux.
M. Gray s'est ensuite penché sur la question du quorum. Il est arrivé à la conclusion que le mutisme de la loi sur la question du quorum jetait un doute sur la validité d'une décision du Tribunal à laquelle tous les membres n'auraient pas participé. Il s'est ensuite dit d'avis qu'il serait «plus prudent que tous les membres signent le document officiel qui constatera la décision».
Je ne partage pas l'opinion de M. Gray sur ce point. Si la signature du document officiel cons- tatant la décision constitue une participation à cette décision (la jurisprudence indique que cette hypothèse correspond à la réalité et nous analyserons plus loin ce qui justifie cette con clusion), l'opinion selon laquelle un membre qui n'a pas entendu les témoignages, fait porté à la connaissance de M. Gray dans la lettre du
secrétaire lui demandant son avis, doit signer la décision est contraire au principe énoncé dans l'arrêt Rex c. Huntingdon Confirming Authority (précité), aux termes duquel ceux qui n'ont pas entendu la preuve ne doivent pas participer à la décision. Il est possible que M. Gray ait été d'avis que le fait de «signer le document officiel constatant la décision» n'équivalait pas à parti- ciper à la décision, mais il ne l'a pas dit.
Pour être juste envers M. Gray, je dois souli- gner que le secrétaire ne lui a pas indiqué que le président s'est abstenu de participer aux audien ces à cause de l'intérêt qu'il avait dans l'affaire. Le secrétaire connaissait l'existence de ce fait, mais il n'est pas un juriste et il est possible qu'il en ait sous-estimé l'importance. Si ce fait avait été porté à l'attention de M. Gray, et je crois qu'on aurait le faire, il se serait penché sur le problème qu'il soulève.
M. Gray a rétracté l'opinion qu'il a exprimée dans sa lettre du 12 février 1970, dans une lettre du 18 février 1970 (pièce B3), qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] La présente confirme notre conversation téléphonique relative à l'opinion que je vous ai donnée le 12 février. En donnant l'opinion énoncée au second paragra- phe, je n'ai pas tenu compte de l'article 21 de la Loi d'interprétation, qui fixe le quorum dans le cas de conseils, offices, cours, commissions ou autres organismes lorsque la loi qui les crée n'en prévoit pas. La règle générale est que le quorum est au moins la moitié des membres en fonction. Dans le cas du Tribunal antidumping, cette règle fixerait le quorum à deux membres. Si le nombre des membres du Tribunal devait être porté à cinq, le quorum serait de trois membres. Dans le cas que vous me présentez, les deux membres qui ont reçu les témoignages peuvent rendre une décision au nom du Tribunal.
Sa conclusion est donc «les deux membres qui ont reçu les témoignages peuvent rendre une décision au nom du Tribunal».
J'ai lu attentivement les deux lettres de M. Gray et je conclus que dans la deuxième, il rétracte l'opinion qu'il a exprimée dans la pre- mière, mais je ne suis arrivé à cette conclusion qu'après avoir analysé les termes de chaque lettre avec beaucoup d'attention. Compte tenu du fait que le destinataire des deux lettres n'é- tait pas un juriste, contrairement aux personnes pour le compte desquelles l'opinion en question a été demandée, je crois que, dans sa deuxième lettre, M. Gray aurait s'exprimer en termes clairs, précis et non équivoques. Il aurait
déclarer que les deux membres qui ont reçu les témoignages devaient rendre la décision, à l'ex- clusion du président, et non au nom du Tribu nal, parce qu'ils constituaient ce Tribunal, et qu'eux seuls devaient signer le document offi- ciel constatant la décision. Il faut nécessaire- ment conclure, par déduction, que M. Gray avait voulu rétracter l'opinion qu'il avait émise précédemment, selon laquelle il serait «plus prudent que tous les membres signent le docu ment officiel qui constatera la décision», mais il ne l'a pas dit en termes précis. Par conséquent, il était possible qu'un non-juriste interprète les lettres comme signifiant que l'opinion relative à la signature du document officiel était toujours valable. En fait, il s'agit de l'interprétation que les trois membres du Tribunal ont donnée à ces lettres. Toutefois, je désire souligner encore une fois que le secrétaire n'a demandé l'opinion de M. Gray que sur l'applicabilité des articles 23 et 28 de la loi, et qu'il n'avait pas connais- sance du véritable problème qui se posait aux membres du Tribunal, savoir que M. Buchanan ne pouvait participer aux audiences et à la déci- sion pour les motifs que j'ai indiqués, problème dont ils auraient connaître ou au moins soup- çonner l'existence. Ils auraient demander conseil sur ce problème précis et non demander une opinion en termes généraux et peu précis. Rien n'indiquait à M. Gray qu'il devait pousser ses recherches plus loin. Il n'a donné son avis que sur ce qui lui était demandé.
M. Buchanan était en vacances pendant les audiences qu'ont tenues les autres membres du Tribunal, mais il est revenu avant qu'une ordon- nance ou une décision ne soit rendue.
Il est admis qu'il n'a pas influencé la décision des autres membres et qu'il n'a pas tenté de le faire. Cette affirmation est en contradiction avec ce que sous-entendent les termes que M. German a employés dans sa note du 27 octobre 1969 (pièce 11), dans laquelle il déclare: [TRA- DUCTION] «Il a nettement indiqué que ses collè- gues avaient été bien préparés à entendre l'affaire.»
MM. Gauthier et Barrow ont rédigé leur con clusion ou ordonnance en commun. Elle est le fruit de leur travail collectif et M. Buchanan n'a
pas été consulté. Ils ont rédigé cinq brouillons et le dernier a été retenu comme texte final.
M. Gauthier en était venu à admirer la facilité avec laquelle M. Buchanan pouvait rédiger en langue anglaise et il a demandé à celui-ci de lire le dernier brouillon et de faire des propositions pour en améliorer la forme, mais il ne lui a pas demandé de faire des observations sur le fond. M. Buchanan a fait ce qu'on lui demandait et il s'est abstenu de faire des observations sur le fond. On a comparé le brouillon et le texte final de l'ordonnance et M. Buchanan a reconnu être l'auteur de trois modifications très peu impor- tantes ayant trait au vocabulaire, à la grammaire ou à la construction. Par exemple, il a proposé de remplacer le mot [TRADUCTION] «dilemme» par le mot «difficultés», ce qui était manifeste- ment une amélioration, et cette proposition a été retenue. Il a également relevé un endroit le pluriel avait été substitué à tort au singulier, ce qui a été corrigé, et il a aussi corrigé un infinitif qui avait été mal séparé.
A l'avant-dernier paragraphe de la décision du Tribunal, il est écrit [TRADUCTION] «En con- séquence, le Tribunal ordonne que les droits antidumping soient prélevés sur les importa tions à des prix sous-évalués de verre à vitre transparent ... au Canada le 15 mars 1970 ou après».
M. Buchanan était d'avis qu'aux termes de l'article 16 de la Loi antidumping, la compé- tence du Tribunal se limite à la question de savoir si un préjudice sensible a été causé ou non aux producteurs canadiens. Si le Tribunal répond par l'affirmative, c'est le sous-ministre qui impose le droit antidumping. Il croyait par conséquent, avec raison, que le Tribunal n'avait pas la compétence d'«ordonner» l'imposition d'un droit antidumping. Bien qu'il fût de cet avis, il n'a pas proposé que le paragraphe soit retranché, ni que le texte soit modifié de la façon appropriée. Il n'a même pas fait connaître aux autres membres les réserves qu'il avait à formuler sur le bien-fondé de ce paragraphe parce que, comme il l'a déclaré, il se serait agi d'une modification quant au fond et [TRADUC- TION] «c'est à eux qu'il appartenait de rendre la décision».
Lorsque le cinquième brouillon a été revu et rédigé en sa forme définitive le 13 mars 1970, il lui a été présenté pour signature. Les témoins n'avaient que de vagues souvenirs quant à l'i- dentité de la personne qui a présenté le docu ment à la signature de M. Buchanan. Il est possible que ce soit le secrétaire ou M. Gau- thier, ou que le texte lui ait été expédié.
Quelle que soit la personne qui lui a présenté le document pour signature ou qui a fait en sorte que le document lui parvienne, que ce soit le secrétaire ou M. Gauthier, il n'en reste pas moins que ce document lui a été présenté en raison du fait que l'opinion de M. Gray, expri- mée dans sa lettre du 12 février 1970, selon laquelle «il serait plus prudent que tous les membres signent le document officiel qui cons- tatera la décision», a été retenue.
M. Buchanan avait également lu les lettres de M. Gray. Il ne fait pas de doute que les trois membres du Tribunal, ainsi que le secrétaire, pensaient que M. Gray avait conseillé que les trois membres du Tribunal signent le document, même si l'un ou l'autre d'entre eux n'avait parti- cipé ni aux audiences ni à la décision.
C'était la première fois que le problème se posait, puisque dans tous les cas antérieurs, les trois membres avaient participé aux audiences et aux décisions.
Il est possible que le conseil de M. Gray ait coïncidé dans le temps avec une opinion que M. Buchanan a exprimée dès le 27 octobre 1969, parce que M. German a indiqué dans sa note de cette date (pièce 11), que M. Buchanan l'avait informé qu' [TRADUCTION] «on ne semble géné- ralement pas se rendre compte qu'on n'évite pas de participer à l'élaboration d'une décision en évitant de participer aux audiences».
M. Buchanan a donc signé le document daté du 13 mars 1970, qui lui a été présenté à cette fin.
D'après la preuve, je suis convaincu que la participation de M. Buchanan à la décision du Tribunal se limite à la signature qu'il a apposée sur le document qu'on lui a présenté.
La deuxième page de la conclusion contient la liste des membres du Tribunal. Le président et les deux autres membres y sont nommément désignés, et le nom du secrétaire et directeur des enquêtes est inscrit sous le titre «Tribunal antidumping». Nous pouvons également lire, au bas de la page, [TRADUCTION] «Toute corres- pondance doit être adressée au secrétaire du Tribunal antidumping, Édifice de la Justice, Ottawa, Canada». La troisième page commence par les mots: [TRADUCTION] «Décision du Tri bunal antidumping», mais il n'est fait aucune mention des membres du Tribunal qui ont rendu la décision.
La deuxième page, considérée en elle-même, peut être interprétée comme un simple docu ment d'information. Elle indique les noms des membres du Tribunal tel que l'avait constitué l'arrêté en conseil. Elle contient également le nom du secrétaire, qui n'est pas membre du Tribunal mais officier de celui-ci. Voilà ce qui semble être l'objet de la deuxième page. Il existe cependant une autre interprétation possi ble, savoir qu'elle identifie les membres du Tri bunal qui ont participé aux audiences et à la décision, ce qui est d'autant plus possible que les membres qui ont effectivement rendu la décision ne sont identifiés nulle part ailleurs et que la décision est présentée comme étant celle du Tribunal. Le fait que le nom du secrétaire est indiqué d'une manière qui laisse croire qu'il fait partie du Tribunal va, en quelque sorte, à l'en- contre de cette interprétation.
Au cours de l'audience consécutive à l'avis de requête, j'ai exprimé l'opinion que cette deuxième page est peu heureuse quant à sa forme et à sa présentation. Avec un peu de recul, je demeure de cet avis, notamment parce que le texte de la conclusion n'identifie pas les membres qui l'ont rendue. Toutefois, j'ai conclu que, dans l'ensemble, elle est peu importante.
La question qui se pose est donc la suivante: M. Buchanan a-t-il participé à la décision du fait qu'il a signé le document qui lui a été présenté?
Dans l'affaire Hughes c. Seafarers' Interna tional Union (précitée), le juge Verchere a se pencher sur la question de l'inaptitude d'un membre d'un comité ayant signé un rapport.
Les faits relatifs à cette question sont expo- sés comme suit au premier paragraphe du sommaire:
[TRADUCTION] Le demandeur était accusé d'avoir violé les règlements du syndicat ouvrier défendeur et un comité d'enquête dont les membres ont été élus à une réunion du syndicat a tenu une audience. Après deux audiences de ce comité, l'un de ses membres ne pouvait continuer à y assister et, bien que les règlements du syndicat eussent prévu que la majorité des membres du comité constituait le quorum, et bien qu'il n'existât aucune disposition permet- tant de remplacer un membre après le début d'une procé- dure, un remplaçant a été élu à une réunion spéciale du syndicat. Les procès-verbaux des deux premières séances ont été portés à la connaissance du nouveau membre, et celui-ci a ensuite participé aux audiences du comité, a examiné les accusations portées et a signé le rapport de la majorité recommandant que le demandeur soit expulsé du syndicat.
La déclaration correspondante du juge Ver- chere se trouve à la page 446:
[TRADUCTION] ... Dans le cas présent, il est évident que M. Clarke a signé le rapport et je pense qu'il faut en conclure qu'il a participé aux délibérations finales du comité.
Je ne vois pas comment on peut dire qu'un membre ne fait pas sienne la conclusion du Tribunal lorsqu'il signe celle-ci. Par conséquent, si une décision est portée à la connaissance d'un intéressé dans le cours ordinaire de la procé- dure, et que la signature d'un membre y appa- raît ou qu'il apparaît clairement que celle-ci y a été apposée, cette personne est en droit de croire que le membre en question a participé à l'élaboration de la décision.
L'avocat de la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. a soutenu que le procureur général n'avait pas le pouvoir de présenter la présente demande. Il fonde sa prétention sur une compa- raison des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
L'article 18 se lit comme suit:
18. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribu nal fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment toute procédure engagée contre le procureur général du Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une commission ou à un autre tribunal fédéral.
L'article 28 se lit comme suit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une déci- sion ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédures devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la com mission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
L'avocat a fait observer que l'article 28(2) donne au procureur général un pouvoir spécial qui lui permet de faire une demande dans les cas que vise l'article 28(1), qui précise que la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance au motif que le tribunal n'a pas observé les principes de justice naturelle, a excédé sa compétence, a rendu une décision entachée d'une erreur de droit ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire.
Les avocats de toutes les parties représentées ont admis que la présente demande est de la nature du certiorari.
Aux termes de l'article 18, la division de première instance a compétence exclusive pour entendre et juger ces questions. L'ordonnance ou conclusion en cause a été rendue avant le le r juin 1971.
Toutefois, l'avocat a fait observer que l'arti- cle 18(2) prévoit expressément, en raison des termes «notamment toute procédure engagée contre le procureur général du Canada», qu'une action peut être intentée contre le procureur général, mais qu'il n'existe aucune disposition équivalente permettant au procureur général d'intenter une action.
Cet argument est essentiellement basé sur la maxime expressio unius est exclusio alterius.
La Couronne ne peut pas être poursuivie sur bref de prérogative. Pour cette raison, l'article 18(2) dirige les procédures de ce genre contre le procureur général.
En common law, il ne fait pas de doute que le procureur général peut instituer des procédures par voie de brefs de prérogative. Par consé- quent, il n'était pas nécessaire d'attribuer expressément ce pouvoir à l'article 18. Il suffit de prévoir le cas contraire.
De plus, la compétence de la Cour d'appel est exclusivement statutaire. Pour cette raison, la loi prévoit que le procureur général peut présen- ter une demande en vertu de l'article 28.
Pour ces motifs, je rejette l'argument de l'a- vocat de la Pilkington Brothers (Canada) Ltd., selon lequel le procureur général n'a pas le pouvoir de présenter la présente demande et, au contraire, je pense que le procureur général a le pouvoir de présenter une telle demande.
Le bref de certiorari est un bref de préroga- tive qu'accorde un tribunal supérieur et qui peut être utilisé pour contrôler l'activité des tribu- naux inférieurs.
Le fondement théorique de ce recours est le suivant: un sujet se plaint à son Souverain de l'injustice que lui a faite un tribunal inférieur. Le Souverain déclare ensuite qu'il désire être mis au courant de l'affaire (le mot certiorari, en langue latine juridique, signifie [TRADUCTION] «J'informe, je renseigne, j'expose») et il ordonne que le dossier soit transmis à un tribu nal dont il fait partie.
Il s'agit d'un recours extraordinaire dont l'uti- lisation est limitée aux actes judiciaires, à l'ex- clusion des actes administratifs, et un tel recours n'est pas normalement accordé lorsqu'il existe un droit d'appel. Ce recours est différent d'un appel. L'appel n'est pas un droit, une loi doit l'accorder. Par contre, le certiorari est un recours de common law qui donne le pouvoir de contrôler les actes judiciaires d'un tribunal infé- rieur et qui ne peut être supprimé qu'aux termes exprès d'une loi.
Il existe en common law un pouvoir discré- tionnaire d'accorder ou de refuser un bref de certiorari et ce pouvoir s'exerce selon des prin- cipes bien établis en common law. Si le recours
en certiorari découle d'une loi, il faut recher- cher les conditions d'exercice de ce pouvoir dans la loi en cause.
Gardant présente à l'esprit la théorie qui sous-entend le recours en certiorari, il n'est pas étonnant de constater qu'une jurisprudence de longue date établit qu'un bref de certiorari est accordé sur demande au procureur général, agissant au nom du Souverain, toutes les fois que la cour est compétente en la matière qui constitue l'objet des procédures devant le tribu nal inférieur. Le simple fait que le bref est accordé au procureur général ex debito justitiae ne signifie pas que l'affaire ne sera pas jugée au fond. Pour cette raison, j'ai décidé que je n'ai pas le pouvoir discrétionnaire de refuser d'an- nuler la décision du Tribunal antidumping pour des considérations étrangères et qu'au con- traire, l'ordonnance doit être déclarée nulle ou valide en statuant sur le fond de l'affaire à la lumière de la preuve quant au fond qui m'est présentée.
Je n'oublie pas la déclaration de S. A. de Smith dans son remarquable ouvrage «Judicial Review of Administrative Action» (page 432):
[TRADUCTION] Il a été décidé dans un certain nombre de cas que le bref de certiorari est accordé sur demande au procureur général agissant au nom de la Couronne. Le principe est parfois étendu à toute demande en certiorari faite de cette manière. Cette interprétation est inacceptable puisque, si tel était le cas, la Couronne aurait en fait un droit de veto sur les décisions de tous les tribunaux statutaires inférieurs, civils et criminels, et elle pourrait, à n'importe quel moment, dicter légalement à son gré la conduite à suivre à ceux qui sont chargés de l'administration de la justice.
Dans l'extrait qui précède, le savant profes- seur n'expose pas le droit tel qu'il existe mais tel qu'il aimerait le voir exister.
D'après la doctrine et la jurisprudence, le bref de certiorari est accordé sur demande au procu- reur général. Je ne pense pas que les inquiétu- des du professeur sont justifiées, car même si le bref est accordé sur demande, il n'en reste pas moins, comme je l'ai déjà indiqué, qu'il appar- tiendra toujours à la Cour de décider s'il y a lieu d'annuler la décision du tribunal inférieur en statuant sur le fond, après une audition com- plète de la preuve.
Dans un jugement daté du 11 mai 1972, le juge Heald a décidé:
[TRADUCTION] qu'une copie de la décision du Tribunal anti- dumping en date du 13 mars 1970 ayant été déposée, il n'est pas nécessaire, à ce stade, que le Tribunal produise d'autres documents.
Parmi les documents soumis au juge Heald, au moment il a rendu cette ordonnance, il y avait un affidavit de Charles Douglas Arthur, qui était secrétaire du Tribunal antidumping le 13 mars 1970. Il était joint à l'affidavit, comme pièce A, «une copie Xerox conforme de la décision du Tribunal antidumping», datée du 13 mars 1970. Il est important de remarquer que le secrétaire n'a pas déclaré sous serment que la pièce A, jointe à son affidavit, constituait une copie conforme de l'original de la décision origi- nale qui fait partie des archives du Tribunal. A la dernière page de la version anglaise, la page 12, nous voyons la signature de M. Buchanan comme président, suivie des signatures de MM. J. P. C. Gauthier et B. G. Barrow comme mem- bres, et de celle de M. C. D. Arthur, le secré- taire, comme témoin.
Le procureur général a déposé en preuve devant moi ce qu'il prétend être une copie de la décision du Tribunal, copie certifiée conforme par le secrétaire actuel, M. D. M. Allan, portant le sceau officiel du Tribunal, que je peux admettre d'office en vertu de l'article 27 de la Loi antidumping. Encore une fois, il est impor tant de remarquer que M. Allan a simplement certifié «qu'il s'agit d'une copie conforme» et qu'il n'a pas certifié qu'il s'agit d'une copie conforme de l'original déposé aux archives du Tribunal.
Aux termes de l'article 27 (précité), égale- ment, le Tribunal est une cour d'archives.
Dans l'ouvrage Wharton's Law Lexicon 14e éd., page 846, on définit comme suit une «court of record» (cour d'archives):
[TRADUCTION] ... Cour dont les actes judiciaires et les actes de procédure sont consignés sur parchemin, pour perpétuelle mémoire et attestation, lesquels sont appelés les archives de la Cour et font foi de leur contenu au point que l'exactitude de leur contenu ne peut pas être contestée.
Il a été établi d'une manière certaine devant moi que le président et les autres membres du Tribunal ont signé deux documents seulement, le texte anglais de la décision et la version française de celle-ci. Le secrétaire a expédié ces deux documents par la poste au sous-ministre
du Revenu national, douanes et accise, dès qu'ils ont été terminés.
Le secrétaire a certainement mis ces docu ments à la poste pour se conformer à l'article 16(5) de la Loi antidumping, qui se lit comme suit:
(5) Le secrétaire transmet, par courrier recommandé, une copie de toute ordonnance ou de toutes conclusions au sous-ministre, à l'importateur, à l'exportateur et aux autres personnes que peuvent spécifier les règles du Tribunal.
Ce paragraphe prévoit qu'une copie de l'or- donnance ou de la conclusion doit être expédiée au sous-ministre et aux autres personnes qu'il désigne. Il ne prévoit pas que l'original du docu ment signé des membres doit être transmis au sous-ministre. Il est quelque peu bizarre qu'un document portant les signatures originales n'ait pas été également expédié à l'importateur, à l'exportateur et aux autres personnes fondées à recevoir une copie, bien que ce soit le sous- ministre, sur réception de la conclusion, qui doive y donner suite, mais ce paragraphe pré- voit clairement que c'est une copie qu'il faut expédier au sous-ministre. La loi ne permet en rien d'expédier l'original au sous-ministre.
M. Gauthier a témoigné que, dans la présente affaire, la procédure habituelle du Tribunal a été suivie.
M. Doyle, président de la Canadian Pitts- burgh Industries Limited, a témoigné que la conclusion expédiée à cette compagnie ne por- tait pas la signature du président ni celle des membres, ni même celle du secrétaire, ni repro ductions de ces signatures, ni d'indications per- mettant de savoir qui l'avait signée. La dernière page de la version anglaise, la page 12, était vierge à partir de la fin du dernier paragraphe de la décision. Il a également témoigné qu'il a demandé et reçu 12 copies supplémentaires et qu'elles étaient toutes identiques à celle que la compagnie avait reçue, c'est-à-dire sans signatu res ni reproductions de celles-ci.
De plus, il a été révélé que, lorsque le procu- reur général a demandé une copie de la déci- sion, certifiée par le secrétaire et portant le sceau du Tribunal, aux fins de l'utiliser dans les présentes procédures, la dernière page du docu-
ment expédié au sous-ministre a été obtenue de celui-ci et jointe à la copie certifiée qui a été produite en preuve sous la cote 4. La même chose vaut pour la copie de la décision (pièce A) jointe à l'affidavit de C. D. Arthur.
Un examen visuel attentif du coin supérieur gauche de la page 12 de la pièce 4 (version anglaise) permet de constater que la feuille a été percée à l'aide d'un poinçon de manière à pou- voir la placer plus facilement sur un piquet de classement. Les pages qui précèdent n'ont pas été ainsi poinçonnées. Par conséquent, la pièce 4 est un document composé, les onze premières pages provenant d'une source et la douzième d'une autre. Cette constatation confirme les témoignages que j'ai indiqués sur ce point.
Il est donc facile de constater que ni la pièce 4, ni la pièce A annexée à l'affidavit de C. D. Arthur, ne sont des copies conformes d'un ori ginal déposé aux archives du Tribunal. Les ori- ginaux étaient en la possession du sous-minis- tre.
Dans l'affaire Rex c. Nat Bell Liquors [1922] 2 A.C. 128, Lord Sumner, en conseillant Sa Majesté au nom du Comité judiciaire du Conseil privé, a cité des paroles de Lord Cairns, traitant du certiorari d'une manière générale:
[TRADUCTION] ... Si l'ordonnance de la Cour des sessions de la paix est entachée d'une erreur quelconque apparente à la lecture, il est possible de demander à la Cour du Banc de la Reine de se saisir de l'ordonnance, de l'examiner et de l'évaluer sur son apparence même, et si la Cour est d'avis qu'elle contient une erreur apparente à la lecture de l'ordon- nance, elle peut mettre fin à son existence en l'annulant.
Lord Cairns a ensuite déclaré que l'ordonnance de la Cour des sessions de la paix est une ordonnance motivée et par conséquent une ordonnance qui peut être contestée par voie de certiorari, puisqu'elle contient sa propre expli cation et qu'elle peut par conséquent être annu- lée au motif qu'elle est erronée.
Lord Sumner a ensuite déclaré, aux pages 155 et 156:
[TRADUCTION] En ce qui concerne cet extrait, il convient de remarquer que la clef de la question est de savoir ce qui est ou ce qui sera porté au dossier qui doit être transmis au tribunal supérieur. Si les juges en disent plus qu'il n'est nécessaire, on peut, pour ainsi dire, l'utiliser contre eux, et ils peuvent devenir les auteurs de leur propre condamna- tion, mais il ne fait pas de doute que, mises à part les
questions de compétence, une partie peut saisir la Cour de questions nouvelles, en produisant de nouveaux affidavits ou des documents ou pièces quelconques ne faisant pas déjà partie du dossier. Ce principe a été appliqué à la lettre, au point qu'un tribunal supérieur a refusé de prendre en consi- dération des documents, par exemple l'information, qu'un tribunal inférieur lui avait transmis avec son dossier. Le tribunal est lié par le dossier en raison de la nature même de ces procédures. Sa compétence consiste à s'assurer que le tribunal inférieur n'a pas excédé la sienne et c'est précisé- ment pour cette raison qu'il ne peut pas intervenir relative- ment aux actes accomplis dans les limites de la compétence car, dans le cas contraire, il dépasserait lui-même les limites à l'intérieur desquelles il peut exercer son pouvoir de con- trôle de la légalité, non de l'opportunité. Le pouvoir de contrôle de la légalité a un objet double: il vise d'abord la sphère de compétence du tribunal inférieur, ainsi que les limitations et les conditions qui régissent son exercice; il vise ensuite l'observation de la loi dans le cours de l'exer- cice de cette compétence.
L'arrêt Nat Bell Liquors est l'arrêt dominant en la matière et il pose en principe que la demande en certiorari ne peut être fondée sur une erreur de droit que lorsqu'elle est apparente à la lecture du dossier, de sorte que, pour découvrir ces erreurs, le demandeur ne peut pas se baser sur des documents qui ne font pas partie du dossier.
Dans la présente affaire, il nous faut détermi- ner ce qui constitue le dossier, quel genre de vice constitue une erreur apparente à la lecture du dossier et quelles sont les erreurs de droit qui ne sont pas sujettes à révision de la part d'un tribunal supérieur.
Il est bien établi en droit qu'il est possible de demander, par voie de certiorari, l'annulation d'une décision lorsque le dossier contient une erreur apparente à la lecture de celui-ci, lorsque la décision a été rendue sans compétence, lors- qu'elle n'est pas impartiale ou lorsqu'elle résulte d'une fraude.
Dans la présente affaire, le Tribunal antidum- ping a agi sans compétence si un membre inapte a participé à la décision. Pour les raisons que j'ai indiquées, M. Buchanan était inapte à parti- ciper à la décision parce qu'il était partial et parce qu'il n'avait pas entendu la preuve. Toute- fois, comme je l'ai également indiqué, sa partici pation à la décision découle du fait qu'il a signé la décision.
Comme je l'ai déjà indiqué, mon collègue Heald, dans une ordonnance du 11 mai 1972, a décidé qu'une copie de la décision du Tribunal antidumping ayant été déposée, il n'était pas nécessaire, à ce stade, que le Tribunal produise d'autres documents.
Je suis tout à fait d'accord avec la conclusion du juge Heald sur ce point, mais le juge Heald n'avait aucun motif de croire que le document qui avait été produit devant lui n'était pas une copie de l'original conservé dans les archives du Tribunal antidumping, mais un document hété- rogène qu'avait conservé le Tribunal et qui avait été envoyé au sous-ministre du Revenu national (douanes et accise).
L'avocat du procureur général a fait observer que le document produit semble être, sur son apparence même, une copie conforme de la décision du Tribunal. Le corollaire de cet argu ment est que je dois me limiter à ce document. Cependant, la preuve qui m'a été présentée établit de façon décisive qu'il ne s'agit pas de la décision qu'a conservée le Tribunal et que ce dernier document ne porte la signature d'aucun membre du Tribunal. A mon avis, je peux rece- voir cette preuve et en tenir compte dans mon jugement. Dans le cas présent, la demande en certiorari est fondée sur un motif de partialité. La preuve relative à cette question est admissi ble. Le problème que je dois résoudre est celui de savoir si un membre du tribunal a participé à la décision alors qu'il était partial.
Dans l'arrêt Rex c. Northumberland Compen sation Appeal Tribunal [1952] 1 K.B. 338, Lord Denning a déclaré (page 351):
[TRADUCTION] On remarque que dans tous ces arrêts, un principe directeur est appliqué: la demande en certiorari ne peut être fondée sur une erreur de droit que si celle-ci est apparente à la lecture du dossier.
Le savant juge s'est ensuite demandé (page 352): [TRADUCTION] «Que comprend donc le dossier?» et il a répondu comme suit:
[TRADUCTION] On a déjà dit que le dossier comprend tous les documents qu'a conservés le tribunal pour perpétuelle mémoire et attestation: voir Blackstone's Commentaries, Vol. III, à la p. 24. ... Il semble que la Cour du Banc de la Reine a toujours insisté sur le fait que le dossier doit contenir ou faire état des documents ou des renseignements qui ont donné lieu aux procédures, c'est-à-dire de ceux qui ont donné compétence au tribunal et, également, du docu-
ment qui énonce la décision qui y a fait suite. Par consé- quent, le dossier jadis transmis au tribunal supérieur devait, dans le cas d'une condamnation, énoncer l'information dans tous ses détails; dans le cas d'une ordonnance rendue par la Cour des sessions de la paix siégeant en appel, le dossier devait faire état de l'ordonnance dont appel: voir Anon. Le dossier devait également énoncer la décision, mais il n'était jamais nécessaire d'exposer ni les motifs (voir South Cad- bury (Inhabitants) c. Braddon, Somerset (Inhabitants)), ni la preuve, sauf dans le cas d'un jugement emportant condam- nation. D'après cette jurisprudence, je pense que le dossier doit contenir au moins le document qui a donné lieu aux procédures, les plaidoiries, le cas échéant, et la décision, mais il ne doit contenir ni les motifs, ni la preuve, à moins que le tribunal ne décide de les y joindre. Si le tribunal donne les motifs de sa décision et que ceux-ci ne sont pas fondés en droit, il est possible de faire annuler la décision par voie de certiorari.
Les observations qui précèdent sont des dicta, parce que l'avocat avait admis qu'il exis- tait une erreur de droit apparente à la lecture du dossier et que cet aveu le liait. Le Lord juge Singleton et le Lord juge Morris ne se sont pas associés aux observations de Lord Denning parce qu'ils considéraient que l'aveu rendait celles-ci inutiles, mais ils se sont associés à lui pour dire qu'une demande en certiorari peut être fondée sur une erreur de droit apparente à la lecture du dossier.
Il ne fait pas de doute que la décision offi- cielle fait partie du «dossier». Il est tellement évident que la décision elle-même fait partie du dossier que cela n'a jamais été contesté. Tous les tribunaux prennent la chose pour acquise, sans le déclarer expressément, bien qu'ils souli- gnent que la question de savoir si la révision doit se borner à l'examen de la décision n'a pas encore été tranchée.
Lord Goddard a déclaré, dans l'arrêt Rex c. Northumberland Compensation Tribunal Ex parte Shaw [1951] 1 K.B. 711 à la p. 718, que sont sujets à révision tous les éléments men- tionnés dans le document désigné comme la décision que vise la demande en certiorari.
Il est absolument certain que M. Buchanan a signé un document qu'il croyait être la décision du Tribunal. Il est également certain, pour les raisons que j'ai déjà indiquées, que le dossier du Tribunal ne contient aucune décision signée de M. Buchanan. Le document qu'il a signé et qu'ont signé les autres membres, ainsi que le secrétaire à titre de témoin, a été expédié au sous-ministre. Ce document que le sous-minis-
tre a en sa possession n'est pas une copie du document qui fait partie des archives du Tribu nal, parce qu'il porte la signature de tous les membres du Tribunal et celle du secrétaire, alors que le document qui fait partie des archi ves du Tribunal ne porte aucune de ces signatu res. Bien qu'il ne soit pas nécessaire que je tranche cette question, je pense que le sous- ministre pouvait agir sur le document qu'il avait en sa possession, le cas échéant, parce qu'il portait manifestement le sceau officiel du Tri bunal et que, pour lui, le document était régulier sur son apparence même, bien qu'il ait cons- tater qu'il s'agissait de l'original et non d'une simple copie.
Pour les raisons que j'ai déjà indiquées, et que je vais reprendre pour des motifs de com- modité, le président ne pouvait pas participer à la décision du Tribunal au motif qu'il est raison- nable de conclure qu'il était partial en faveur de ses anciens clients en raison de ses relations antérieures avec eux et au motif qu'il n'a pas entendu la preuve. Il s'ensuit que si M. Bucha- nan a participé à la décision du Tribunal, cel- le-ci doit être annulée.
Pour les raisons que j'ai déjà indiquées et que je vais reprendre pour plus de commodité, si M. Buchanan a signé la décision du Tribunal, il s'est associé à la décision des autres membres, et il faut en conclure qu'il la partageait. Le fait qu'il a signé la décision constitue une participa tion à l'élaboration de la décision.
La question est de savoir si les preuves qui m'ont été soumises établissent que M. Bucha- nan a signé la décision.
A mon avis, la jurisprudence dominante, par laquelle je suis lié, indique que je dois statuer sur la demande en nullité par voie de certiorari en considérant le dossier du Tribunal sur son apparence même.
Je suis d'avis que le seul document qui fait partie du dossier du Tribunal à cette fin est la décision du Tribunal. Il est certain que cette décision fait partie du dossier. Le document que le Tribunal a transmis au sous-ministre ne fait pas partie du dossier et ne constitue pas une copie de ce dossier.
Je suis d'avis que M. Buchanan était inapte à participer à la décision. De nombreuses preuves le démontrent. Les preuves relatives à sa partia- lité sont pertinentes. Sa participation aurait con sisté à signer la décision. Il a été établi que le dossier du Tribunal ne contient pas de décision signée de M. Buchanan. Il s'ensuit qu'il n'a pas participé à la décision.
Je rejette donc la demande du procureur général tendant à l'annulation de la décision du Tribunal antidumping du 13 mars 1970 dans cette affaire.
J'estime nécessaire d'indiquer que le Tribunal antidumping étant une cour d'archives en vertu de l'article 27 de la Loi antidumping, doit agir comme une cour d'archives et conserver ses dossiers comme le fait une cour d'archives. En premier lieu, le document original constatant l'ordonnance ou conclusion du Tribunal signée des membres du Tribunal qui l'ont rendue doit constituer l'élément fondamental du dossier. Cela est évident. En second lieu, l'ordonnance ou conclusion doit identifier les membres du Tribunal qui l'ont rendue. Elle ne doit pas sim- plement énoncer que le Tribunal a rendu la décision, surtout lorsqu'un quorum des mem- bres peut rendre une décision au nom du Tribu nal. En troisième lieu, la décision ne doit pas comprendre une page supplémentaire donnant certains renseignements et indiquant le nom des membres qui composent le Tribunal en vertu de l'arrêté en conseil. Il incombait aux officiers du Tribunal de se renseigner sur la façon de consti- tuer un dossier s'il ne savaient pas le faire, comme c'est manifestement le cas.
Je vais maintenant traiter de la question des frais. Les dépens et autres frais de toutes les procédures sont laissés à la discrétion de la Cour et suivent le sort de la cause, sauf ordon- nance contraire. (Voir la Règle 344.)
L'avocat du Tribunal antidumping, qui repré- sentait également M. Gauthier, a demandé que les dépens soient adjugés à ses deux clients par répartition entre le conseil et le client.
Dans l'exercice de mon pouvoir discrétion- naire, je n'accorde pas de frais au Tribunal
antidumping. J'admets qu'une cour d'archives n'est pas nécessairement identique aux tribu- naux qu'on appelle quelquefois les cours de justice. Aux fins seulement de l'article 172 de la Loi sur les douanes, le Tribunal est réputé, aux termes de l'article 27(3) de la Loi antidumping, être une cour de justice. Il est inhabituel qu'une cour soit appelée à défendre sa propre décision car ce n'est pas le propre des cours de justice de le faire, bien que je sois parfaitement au courant de cas un tribunal administratif exer- çant des fonctions quasi judiciaires a été consti- tué partie à une action dirigée contre lui. Ce n'est toutefois pas le cas dans la présente affaire. J'ai tenu compte du fait que le juge Heald, dans l'ordonnance qu'il a rendue le 11 mai 1972, a ordonné que la signification soit faite au secrétaire du Tribunal antidumping. Il n'a pas ordonné que la signification soit faite au secrétaire en son nom personnel, mais au con- traire ès qualité. C'est pour cette raison que j'ai entendu les arguments de l'avocat du Tribunal. Toutefois, cela ne change rien à la décision que j'ai prise de ne pas adjuger de dépens au Tribunal.
Il existe un autre motif pour lequel il n'y a pas lieu d'adjuger de dépens au Tribunal. C'est le fait que le Tribunal n'a pas établi des dossiers en bonne et due forme, ce qui a abouti au rejet de la demande d'annulation de la décision de ce Tribunal. Puisque la décision du Tribunal a été maintenue en raison du fait qu'il a omis d'établir des dossiers en bonne et due forme, il serait déplacé de récompenser son erreur en lui adju- geant des dépens.
La Glassexport Limited s'est fait représenter par un avocat à l'audience consécutive à l'avis de requête, tenue le 8 juin 1972, et le premier jour de l'audience tenue du 4 juillet au 7 juillet 1972. L'intérêt de la Glassexport Limited con- sistait à appuyer la demande en annulation de la décision du Tribunal que présentait le procureur général. Par suite, nuls dépens ne seront adju- gés à la Glassexport Limited.
L'intérêt de la Mineralimportexport était identique à celui de la Glassexport Limited. L'avocat de la Mineralimportexport était pré- sent à l'audience du 8 juin 1972, mais il ne s'est pas présenté par la suite. Par suite, la Mineral- importexport doit supporter ses propres frais.
L'avocat de M. Buchanan a plaidé que son client devrait avoir droit à ses frais entre conseil et client. Les avocats de la Pilkington Brothers (Canada) Ltd., de la Canadian Pittsburgh Indus tries Limited et de M. Gauthier se sont joints à lui sur ce point.
On me demande d'exercer le pouvoir discré- tionnaire inhérent à ma charge d'une manière disciplinaire contre le procureur général, en raison de ses prétendues erreurs, omissions ou négligences en accordant des dépens entre con- seil et client, c'est-à-dire à un taux plus élevé que celui qui est utilisé entre parties.
Cet argument, présenté au nom de M. Bucha- nan, est fondé sur le fait que le procureur général a prétendu que M. Buchanan avait un intérêt pécuniaire dans l'affaire alors que, s'il avait fait diligence, il aurait pu constater que ce n'était pas le cas. Entre le 8 juin 1972 et le 4 juillet 1972, le procureur général a été informé que M. Buchanan n'avait aucun intérêt pécu- niaire et il a retiré cet argument. Au moment le procureur général a allégué que M. Buchanan avait un intérêt pécuniaire, il était en possession de preuves qui lui permettaient de croire, avec raison, que M. Buchanan avait un intérêt pécu- niaire. Je m'attache ici au défaut du procureur général de faire diligence, et non aux moyens qu'il a utilisés pour obtenir les renseignements qu'il possédait. Par conséquent, je ne considère pas que le motif avancé justifie que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire comme on me demande de le faire.
L'avocat de M. Buchanan a également pré- senté un autre argument. Selon celui-ci, les ren- seignements qu'a obtenus le procureur général ont été tirés de documents confidentiels obte- nus en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans les circonstances particulières à la pré- sente affaire, il ne m'appartient pas de trancher la question de savoir si le procureur général ne pouvait pas utiliser des renseignements fournis en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, portés à sa connaissance, pour des objets étran- gers à cette loi. Ces renseignements ont servi à fonder la prétention selon laquelle M. Buchanan avait un intérêt pécuniaire. Cet argument a été retiré et, par conséquent, il n'est pas en litige. Je
m'abstiens donc de faire des observations sur une question que je ne suis pas obligé de trancher.
L'avocat de la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et celui de la Canadian Pittsburgh Indus tries Limited ont allégué un motif semblable. Les renseignements qu'a obtenus le procureur général ont été tirés de documents obtenus dans le cadre d'une enquête effectuée en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, documents qui ont été communiqués à titre confidentiel. Les trois avocats ont allégué qu'il s'agissait de subterfuges. Dans les circonstan- ces de la présente affaire, je n'ai pas le pouvoir de présumer que ces enquêtes n'ont pas été faites dans le but pour lequel elles sont censées être faites. Il n'est pas nécessaire, non plus, que je décide si le procureur général a obtenu ces renseignements d'une manière irrégulière ou non.
J'ai décidé que la preuve qu'a présentée le procureur général était régulièrement admissi ble. A mon avis, cette conclusion suffit.
Par conséquent, la Canadian Pittsburgh Industries Limited et la Pilkington Brothers (Canada) Ltd., sont fondées à obtenir leurs frais taxables entre les parties.
M. Buchanan est également fondé à se voir allouer ses frais taxables entre les parties. J'a- jouterai que M. Buchanan n'est pas exempt de reproches à tous égards, en ce sens que sa conduite, bien qu'elle s'explique en majeure partie, a manqué du discernement qui est de rigueur dans l'exercice de fonctions quasi judiciaires.
L'argument invoqué au nom de M. Buchanan et des deux compagnies en faveur de l'alloca- tion des frais taxables entre conseil et client n'a pas la même valeur, à mon avis, dans le cas de M. Gauthier. M. Gauthier est donc fondé à se voir allouer ses frais taxables entre les parties.
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