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Marc André Duquette (Demandeur) c.
George Joseph Bélanger et Sa Majesté La Reine (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Heald— Ottawa, le 12 octobre 1972.
Pratique—Requête en annulation d'une déclaration— Action intentée pour diffamation devant un agent d'appel agissant conformément à la Loi sur l'emploi dans la Fonc- tion publique, S.R.C. 1970, c. P-32—La Commission équi- vaut-elle à un tribunal judiciaire—Les propos en cause sont- ils couverts par l'immunité absolue—Les questions de fond doivent être tranchées au procès.
Le demandeur, un fonctionnaire fédéral, intente une action en diffamation contre un fonctionnaire de son minis- tère et Sa Majesté. Il réclame des dommages en alléguant que ce fonctionnaire, au cours de son témoignage devant un agent d'appel de la Commission de la Fonction publique à l'occasion de l'appel interjeté par le demandeur pour refus d'avancement, a tenu à son endroit des propos diffamatoi- res. Les défendeurs ont présenté une requête pour que soit annulée la déclaration du demandeur, pour ce motif que les prétendus propos diffamatoires ont été tenus alors qu'il y avait immunité absolue.
Arrêt: Les questions de fond soulevées dans la déclara- tion ne peuvent être rejetées de manière sommaire.
REQUÊTE.
K. Binks, c.r. pour le demandeur.
P. Mclnenly pour les défendeurs.
LE JUGE HEALD—Par avis de requête les défendeurs demandent que soit rendue une ordonnance annulant la déclaration du demandeur.
Il s'agit d'une action en diffamation. Le demandeur, fonctionnaire fédéral, est employé au ministère du Revenu national, Impôt. Le demandeur s'était vu refuser un avancement et avait fait appel de ce refus en conformité avec la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et ses Règlements. Son appel fut entendu par un agent d'appel de la Commission de la Fonction publique. On prétend qu'à l'audition le défen- deur, Bélanger, administrateur du personnel du ministère du Revenu national, Impôt, a tenu à l'encontre du demandeur des propos diffamatoi- res, faux, et malveillants. En outre, selon la déclaration, le rapport de l'audition qu'a publié l'agent d'appel contient les prétendus propos diffamatoires tenus à l'encontre du défendeur et
ledit rapport a été distribué aux superviseurs et aux supérieurs du demandeur et versé au dos sier personnel de ce dernier.
Selon la déclaration, ces actes ont porté un sérieux préjudice au crédit et à la réputation du demandeur et ce dernier demande $50,000 de dommages-intérêts pour diffamation et libelle.
Aucune défense n'a encore été déposée.
La demande d'annulation est fondée sur l'ar- gument que cette prétendue diffamation s'est produite alors qu'il y avait immunité absolue et que, par conséquent, la déclaration ne révèle aucune cause d'action.
L'immunité dont les défendeurs entendent se prévaloir en l'espèce est une immunité judi- ciaire et l'avocat m'a mentionné l'affaire O'Con- nor c. Waldron [1935] A.C. 76 et plus particu- lièrement à la page 81 Lord Atkin déclare:
[TRADUCTION] En ce qui concerne l'immunité judiciaire, le droit a peu à peu évolué. A l'origine, cette immunité avait pour but de protéger les juges qui siégeaient dans ce qu'il est convenu d'appeler des tribunaux judiciaires. Son objet était sans doute de libérer les juges de la crainte de se voir obligés de justifier les propos qu'ils avaient tenus dans l'exercice de leurs fonctions. Cette doctrine a été étendue aux tribunaux qui remplissaient des fonctions assimilables à celles d'un tribunal judiciaire. Selon leurs Seigneuries, l'état du droit sur ce sujet fut énoncé avec justesse par Lord Esher dans l'affaire Royal Aquarium, etc., Ld. c. Parkinson
([1892] 1 Q.B. 431, la p. 442), il déclare que cette immunité «s'applique est autorisée une enquête qui, bien qu'elle ne soit pas effectuée devant une cour de justice, est menée devant un tribunal qui a une compétence analo gue ... Cette doctrine n'a jamais été étendue au-delà des tribunaux judiciaires et des tribunaux ayant des fonctions semblables à celles des tribunaux judiciaires.»
L'avocat m'a ensuite cité l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32 qui donne au demandeur le droit d'interjeter appel à un comité à établir. Ce comité effectue une enquête au cours de laquelle, l'appelant et le sous-chef en cause ont l'occasion de se faire entendre et, le cas échéant, représenter. L'article prévoit égale- ment que la Commission de la Fonction publi- que est tenue de se conformer à la décision du comité d'enquête. C'est au cours d'une audition de ce genre qu'apparemment les prétendus propos diffamatoires ont été tenus.
L'avocat affirme que ce «comité d'enquête» a des [TRADUCTION] «fonctions semblables» à celles d'un tribunal judiciaire et qu'il [TRADUC- TION] «remplit des fonctions assimilables à celles d'un tribunal judiciaire».
L'avocat a cependant admis que ce comité d'enquête n'était pas habilité à citer des témoins ou à faire prêter serment. Aussi me semble-t-il très •discutable d'affirmer que la compétence dudit comité est semblable à celle d'un tribunal judiciaire. En tout cas, je pense que tout le débat sur la nature de ce comité et sur la procédure à suivre devant ce dernier doit être tranché à l'audience. La Cour se refuse à annu- ler une déclaration qui soulève des questions importantes (voir Joyce & Smith Co. c. Attorney General of Ontario [1957] O.W.N. 146). La Cour se refuse également à annuler une déclara- tion qui, à ce stade de l'instruction, ne lui permet pas de conclure que l'action du deman- deur n'a pas la moindre chance de succès ou qu'elle n'a pas le moindre fondement (voir Gil- bert Surgical Supply Co. c. F. W. Horner Ltd. [1960] O.W.N. 289).
Il me semble que, dans le présent litige, la déclaration soulève des questions importantes qui méritent au moins d'être tranchées par un jugement. On ne doit pas les rejeter de manière sommaire au moyen d'une requête de ce genre.
La requête est donc rejetée avec dépens au demandeur quelle que soit l'issue de la cause.
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