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Le Syndicat international des marins canadiens (Demandeur)
c.
La Kent Line Limited et le procureur général du Canada (Intimés)
et
La Kent Line Limited (Demanderesse)
c.
Le Syndicat international des marins canadiens et le procureur général du Canada (Intimés)
Cour d'appel, les juges Thurlow, Cattanach et Kerr—Montréal (P.Q.), le 28 mars 1972.
Relations ouvrières—Code canadien du travail—Examen judiciaire d'une décision du Conseil des relations ouvrières— Accréditation du syndicat à titre d'agent négociateur—Équi- page du navire—Agent maritime employeur apparent—Con- clusion du Conseil portant que l'agent n'est pas l'employeur réel—Est-ce que la conclusion du Conseil est irrecevable— Date de l'affiliation des employés au syndicat—Aucune preuve de modification de l'affiliation entre la date de la demande et celle de l'audience.
Le Conseil canadien des relations ouvrières a refusé d'accréditer à titre d'agent négociateur, en vertu du Code canadien du travail, un syndicat pour les membres d'équi- page de cinq navires dont la Kent Line Limited était l'agent maritime, au motif que les membres d'équipage de ces navires n'étaient pas employés par cette dernière. La Irving Oil Co. était l'armateur des navires ou elle les affrétait; elle les exploitait et engageait les capitaines qui, à leur tour, engageaient les équipages. La Kent Line Limited exerçait certaines fonctions d'agent maritime pour la Irving Oil Co., mais, étant donné la façon dont elle exerçait ses fonctions, les membres de l'équipage ne pouvaient qu'avoir l'impres- sion d'être des employés de la Kent Line Limited.
Arrêt: (1) Rejet d'une demande, introduite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, visant à obtenir l'annulation de la décision du Conseil:
1. La Kent Line Limited n'était pas l'employeur de l'équipage, qu'on donne au mot «employeur» son sens courant ou celui de l'article 107(1) du Code canadien du travail.
2. Bien que la Kent Line Limited ait été l'employeur apparent, le Conseil n'était pas tenu de conclure qu'elle était en fait la propriétaire alors que les faits montraient le contraire.
3. Il n'existait pas de fondement réel pour avancer que la Kent Line Limited est irrecevable à nier qu'elle était l'employeur.
(2) Il faut aussi rejeter une demande de la Kent Line Limited visant à faire annuler l'accréditation, par le Conseil, du syndicat à titre d'agent négociateur pour le compte des
membres de l'équipage d'un sixième navire dont la deman- deresse était l'armateur et l'exploitant. Bien que l'accrédita- tion se fonde sur la conclusion qu'une majorité des mem- bres de l'équipage étaient membres du syndicat à la date de dépôt de sa demande plutôt qu'à la date de l'audience, rien dans la preuve n'indique de changement important dans le personnel entre ces deux dates.
EXAMEN judiciaire.
Joseph Nuss pour le Syndicat international des marins canadiens.
Neil McKelvey et Ronald G. Lister pour la Kent Line Limited.
A. C. Pennington pour le procureur général du Canada.
LE JUGE THURLOW—La première de ces deux procédures instituées en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale est une demande d'examen et d'annulation d'une déci- sion du Conseil canadien des relations ouvrières refusant d'accréditer, en vertu du Code cana- dien du travail, le Syndicat international des marins canadiens (que j'appellerai le Syndicat) à titre d'agent négociateur d'une unité formée des employés de la Kent Line Limited, notamment de tous les employés non brevetés travaillant à bord des navires Irvingstream, Irving Ours Polaire, Aimé Gaudreau, H-1060 et H-1070. Le motif du refus d'accréditation était que les membres d'équipage de ces navires n'étaient pas des employés de la Kent Line Limited. Par la même décision, le Conseil a accrédité le syndicat comme agent négociateur d'une unité formée d'employés de la Kent Line Limited, comprenant le personnel non breveté employé par la Kent Line Limited à bord de l'Irvingwood et se répartissant comme suit: le maître d'équi- page, le préposé aux pompes, le matelot 2 e classe, le graisseur, le chef cuisinier, le garçon de carré, l'aide garçon de carré.
Pour attaquer le refus du Conseil relative- ment à l'accréditation visant l'équipage des cinq autres navires, on s'est fondé sur deux moyens. On a d'abord allégué que, se fondant sur les conclusions de fait du Conseil, la Kent Line Limited était, en droit, l'employeur des person- nes pour lesquelles l'accréditation était deman- dée, et cela pour les cinq navires en cause, sinon, tout au moins pour ceux du H-1060 et du H-1070. En second lieu, on a soutenu que,
même si la Kent Line Limited n'était pas, en fait, l'employeur des personnes en cause, elle était irrecevable, par suite de ses actes, à établir ce fait.
La preuve établit, et le Conseil l'a constaté, que la Kent Line Limited exerce une activité commerciale en qualité d'agent maritime agis- sant pour différents exploitants de navires, ceux que j'appellerai, pour abréger, le groupe Irving, la Kent Line Limited étant elle aussi une com- pagnie de ce groupe. La preuve établit aussi que l'exploitation des six navires en cause est menée comme une entreprise unique, la gérance en incombant au directeur de l'approvisionne- ment et du transport de la compagnie Irving Oil, qui engage les capitaines et exerce, de l'avis du Conseil, une autorité considérable à l'égard des capitaines en général. La Kent Line Limited est l'armateur et l'exploitant de l'Irvingwood et les profits et pertes de son exploitation lui revien- nent. La question de savoir qui est l'employeur du personnel non breveté faisant partie de son équipage ne se pose donc pas. Quant aux autres navires, c'est la compagnie Irving Oil qui est l'armateur et l'exploitante de l'Irvingstream. Quant à l'Irving Ours Polaire et à l'Aimé Gau- dreau, bien qu'ils appartiennent à diverses com- pagnies du groupe Irving, dont la Kent Line Limited, ils sont depuis un certain nombre d'an- nées nolisés, selon une charte d'affrètement en coque nue, à la compagnie Irving Oil, qui les exploite pour son propre compte. Dans le cas de chacun de ces navires, la Kent Line Limited remplit à l'occasion des fonctions d'agent mari time, mais la gestion des comptes d'exploitation relève de la compagnie Irving Oil elle-même. Le H-1060 et le H-1070 appartiennent à la Engi neering Consultants Limited, une autre compa- gnie du groupe Irving, et ils sont nolisés au voyage à la compagnie Irving Oil qui les frète parfois à des compagnies non-affiliées. Dans le cas de ces deux navires, la Kent Line Limited remplit les mêmes fonctions d'agent maritime, mais elle gère de plus les comptes de la Engi neering Consultants Limited.
Le Conseil a aussi conclu que, étant donné la manière dont la Kent Line s'acquittait de ses fonctions relativement aux six navires, les employés en cause ne pouvaient qu'avoir une impression générale, savoir qu'ils étaient les
employés de la Kent Line; mais le Conseil a poursuivi en disant que, bien que les employés aient pu croire cela et avoir l'impression que la Kent Line exerçait ostensiblement une autorité sur eux, cela n'était pas probant en l'occur- rence. Le Conseil a alors mentionné que la Irving Oil exerçait un contrôle étendu sur les employés de tous les navires; que l'exploitation des six navires était considérée comme une entreprise unique; qu'aucune des autres compa- gnies n'était représentée au cours des procédu- res engagées devant le Conseil, et, de là, il en est arrivé à la conclusion que la Kent Line n'était pas l'employeur habile à négocier collec- tivement pour les navires, sauf l'Irvingwood.
J'estime que dans cette affaire la conclusion du Conseil selon laquelle la Kent Line Limited n'est pas l'employeur du personnel de ces navi- res, autre que celui de l'Irvingwood, est bien fondée et je ne vois pas l'erreur de droit que le Conseil aurait commise en arrivant à cette con clusion, que le mot «employeur», au sens des dispositions pertinentes du Code canadien du travail, soit considéré comme ayant sa significa tion courante ou comme ayant le sens utilisé à l'article 107(1) de la loi, à savoir «une personne employant un ou plusieurs travailleurs» ou encore le sens de «l'employeur habile à négo- cier collectivement», dont il est question dans les motifs du Conseil, puisque, à mon avis, il n'y a pas de différence entre ces trois interpréta- tions quant aux questions qui nous intéressent.
A l'exception de l'Irvingwood, aucun de ces navires n'était exploité par la Kent Line Limi ted, ni pour son profit ou pour son compte; leurs opérations n'étaient pas le fait de la Kent Line et celle-ci n'avait aucun pouvoir sur les personnes qui en dirigeaient les activités. Les capitaines de ces navires n'étaient ni nommés ni licenciés par la Kent Line, ni non plus soumis à son autorité. Cette compagnie n'avait de même aucun pouvoir disciplinaire à leur égard. En ce qui concerne les membres de l'équipage, bien que les membres éventuels aient été examinés à l'avance par la Kent Line Limited, à titre d'a- gent de l'exploitant, leur engagement effectif n'était pas le fait de la Kent Line, mais bien celui des capitaines qui, en cela, n'étaient pas tenus de suivre les directives de la Kent Line et d'embaucher les travailleurs qu'elle recomman-
lait. L'échelle des salaires à verser à ces hommes d'équipage n'était pas non plus fixée par la Kent Line. Celle-ci n'avait pas le pouvoir de licencier ces hommes d'équipage. Bien que, en sa qualité d'agent des exploitants, la Kent Line avançait l'argent requis aux capitaines afin de payer les hommes, ces derniers étaient payés par les capitaines qui rendaient compte de la manière dont l'argent avait été dépensé non pas à la Kent Line, mais aux exploitants. Dans le cas du H-1060 et du H-1070, ce compte rendu était présenté à la Kent Line, mais en tant qu'agent de l'exploitant et non en qualité d'ex- ploitant pour son compte. La direction des tra- vaux des hommes d'équipage n'était pas assu mée par la Kent Line, mais par les capitaines qui n'en étaient pas responsables auprès de cette compagnie.
Selon moi, ces éléments, pris individuelle- ment ou dans leur ensemble, tendent à démon- trer que la Kent Line n'était pas l'employeur des hommes en cause et, à mon avis, il n'y a rien dans la preuve qui pourrait m'amener à la conclusion contraire.
Le motif principal du demandeur pour con- tester cette conclusion était que toute activité manifeste ou apparente relative aux relations de travail sur tous les navires était le fait de la Kent Line; que la Kent Line exerçait l'activité propre à un employeur; et qu'aux yeux des employés et de tous, la Kent Line faisait figure d'employeur et était par conséquent l'em- ployeur au sens des dispositions pertinentes du Code canadien du travail. Considérant la manière dont les membres d'équipage étaient engagés par les capitaines, je ne suis pas con- vaincu qu'on puisse affirmer avec raison que toute activité apparente était véritablement exercée par la Kent Line. Même en admettant que les employés aient pu avoir cette impres sion, il me semble que le demandeur n'est pas fondé à déduire que cette activité apparente doit, en droit, nous mener à ladite conclusion. Il me semble que cela voudrait dire qu'en ce domaine, les apparences doivent prendre le pas sur la réalité. A mon avis, nonobstant les appa- rences, les faits réels sont que les hommes n'étaient pas engagés par la Kent Line mais par le capitaine pour le compte de l'exploitant de chaque navire en particulier, et que l'exploita-
tion des navires n'était pas non plus la respon- sabilité de la Kent Line, mais celle du directeur de l'approvisionnement et du transport de la compagnie Irving Oil. De plus, le fait que les compagnies Irving étaient toutes ouvertement, associées et que l'exploitation des six navires était administrée comme une entreprise unique n'ajoute rien, à mon avis, aux moyens mis de l'avant par le demandeur puisque la personne qui dirigeait les exploitations n'était ni un cadre ni un employé de la Kent Line, et que rien de ce qu'il faisait relativement à l'exploitation de ces navires, à l'exception de celle de l'Irvingwood, ne peut à mon avis être considéré comme ayant été fait au nom de la Kent Line. J'estime que l'importance qu'on pouvait attribuer aux appa- rences était une matière laissée à la discrétion du Conseil; que celui-ci n'était pas obligé de ne considérer que les apparences et de rejeter les faits; et que le Conseil était fondé à tirer une telle conclusion étant donné la preuve qui lui était soumise. Par conséquent, je rejette les prétentions du demandeur.
Abordant maintenant l'affirmation selon laquelle la Kent Line est irrecevable à nier qu'elle était l'employeur de ces hommes, je suis porté à croire qu'une personne ne peut devenir un employeur, au sens des dispositions perti- nentes du Code canadien du travail, pour la simple raison qu'elle serait irrecevable à le nier; je crois aussi que, pour obtenir l'accréditation, le syndicat qui a présenté une demande à cet effet doit établir, à la satisfaction du Conseil, les faits prouvant son droit à l'accréditation. Ce serait pour le Conseil outrepasser sa compé- tence que d'accorder une accréditation en se fondant sur le seul motif, peu sérieux, que l'in- timé à la demande serait, en quelque sorte, irrecevable vis-à-vis le syndicat demandeur à nier qu'il est l'employeur. Selon moi, cependant, l'affaire présente n'appelle pas de prise de posi tion définitive sur cette question puisque, à mon avis, on n'a aucunement fait ressortir l'exis- tence d'une fin de non-recevoir. Prenant pour acquis, à cette fin, que la manière dont la Kent Line gérait son entreprise ait pu faire croire qu'elle était l'employeur des membres des équi- pages en question, il n'existe à mon avis aucun élément de preuve permettant de conclure que le demandeur ait jamais traité avec le Syndicat international des marins canadiens, ou qu'il lui
ait fait des représentations à cet effet, avec ou sans le dessein de voir le Syndicat y donner suite. Je ne suis pas non plus convaincu qu'on peut faire état de quoi que ce soit qui aurait pu modifier une position ou causer un préjudice, à la suite de la confiance que l'on aurait placée dans de telles apparences, soit du point de vue du Syndicat, lequel veut maintenant faire valoir l'irrecevabilité, soit du point de vue des mate- lots en cause, pris individuellement ou en groupe. On ne saurait donc selon moi soutenir une telle affirmation.
A mon avis, la requête en révision n'est pas fondée et doit être rejetée.
L'autre demande, celle de la Kent Line Limi ted, a pour objet l'examen et l'annulation de l'accréditation accordée par le Conseil au Syn- dicat en qualité d'agent négociateur pour l'unité d'employés de la Kent Line comprenant le per sonnel non breveté travaillant à bord de 1'Irving- wood. Cette demande se fonde sur la prétendue erreur qu'aurait commise le Conseil en jugeant que l'unité accréditée était formée d'une majo- rité de membres en règle du Syndicat, cette conclusion datant du 4 août 1971, date de la demande du Syndicat, et non du moment de l'audition, savoir les 18 et 19 octobre 1971.
Au cours des débats plusieurs dates furent mises de l'avant, chacune étant présentée comme celle il serait pertinent, eu égard aux circonstances, de trancher la question, mais je ne pense pas qu'il ait été suggéré au nom du demandeur qu'il incombât au Conseil d'étudier la question postérieurement à l'audition des 18 et 19 octobre 1971; un autre point a été sou- levé, savoir si c'était bien cette date qui avait été retenue par le Conseil en rendant sa déci- sion. Les avocats de la demanderesse ont d'a- bord soutenu qu'on pouvait présumer que le Conseil a appliqué la Règle 15 des Règles de procédure du Conseil canadien des relations ouvrières et qu'il n'a donc pas jugé nécessaire d'étudier les faits ultérieurs à la date de la demande d'accréditation; ils ont ensuite pré- tendu que cette règle était ultra vires. Ladite règle se lit comme suit:
15. Aux fins de l'article 7 de la Loi, le Conseil reconnaî- tra comme membre en règle d'un syndicat ouvrier quicon-
que, selon le Conseil, est, à la date de la demande
d'accréditation
a) membre du syndicat; et
b) a versé, en son propre nom, la cotisation syndicale d'au moins un mois pour ou dans la période commençant le premier jour du troisième mois qui précède le mois civil dans lequel la demande est faite et se terminant à la date de la demande; ou
c) lorsqu'il est devenu membre du syndicat dans la période mentionnée à l'alinéa b), a versé, en son propre nom, une cotisation d'admission au syndicat dont la somme est au moins égale à la cotisation syndicale mensuelle.
On notera que, selon les termes utilisés, cette règle ne s'applique que dans les cas le texte de loi en cause est l'article 7 de l'ancienne Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail, maintenant l'arti- cle 113 du Code canadien du travail. Que la règle soit ultra vires ou non, il me semble n'y avoir aucune raison de croire que le Conseil l'ait appliquée en prenant sa décision en vertu de l'article 115.
En second lieu, on a prétendu que la seule preuve relative à la constitution de l'équipage de l'Irvingwood présentée devant le Conseil, soit la pièce 29, était un décompte du capitaine indiquant les noms des membres de l'équipage de l'Irvingwood au 4 août 1971, et que cela ne saurait suffire à établir la constitution de l'équi- page au moment de l'audition. Cependant, la pièce en question fournit une liste exacte à la fin d'août, soit à peu près 7 semaines avant l'audition. Les déclarations suivantes sont rela tées dans la transcription; elles ont été faites au début de l'audition par le président:
[TRADUCTION] La compagnie soutient aussi qu'une majo- rité des employés de l'unité de négociation, et plus particu- lièrement une majorité des employés travaillant à bord de l'Irvingwood ne sont pas membres en règle du syndicat demandeur; et même si l'enquête révélait une majorité prima facie, elle demande quand même un vote secret.
Actuellement, le Conseil ne dispose pas de renseigne- ments relatifs aux autres faits, qui lui permettraient de connaître exactement la situation; le Conseil devra donc se prononcer sur cette question après l'audition de la preuve. En ce qui concerne l'Irvingwood, il existe une majorité prima facie et une décision devra être prise à ce sujet après l'audition de la preuve.
Bien que plusieurs occasions aient été offer- tes aux avocats représentant la Kent Line, à
l'exception de la pièce 29 aucune preuve rela tive à cette question, qui aurait pu indiquer un changement survenu après la fin d'août, n'a été présentée.
Dans son jugement rendu le 18 janvier 1972, le Conseil déclare, à la page 352:
Le Conseil conclut qu'une unité d'employés de l'intimée à bord de ce navire est habile à négocier collectivement; ce groupe d'employés non brevetés comprend le maître d'équi- page, le préposé aux pompes, le matelot 2e classe, le grais- seur, le chef cuisinier, le garçon de carré, l'aide garçon de carré. Une ordonnance sera émise, accréditant le deman- deur agent négociateur de l'unité d'employés de la répon- dante décrite ci-dessus qui travaillent à bord du navire drvingwood.
Et l'ordonnance émise par le Conseil le 8 février 1972 énonce que:
ET ATTENDU QUE, après enquête et étude de la demande ainsi que des observations des parties en cause, le Conseil a constaté que le demandeur est un syndicat ouvrier au sens l'entend ledit Code et a jugé que l'unité décrite ci-après est habile à négocier collectivement et s'est assuré qu'une majorité des employés dudit employeur, faisant partie de l'unité en question, sont membres en règle du syndicat demandeur; ...
On notera que, tant dans le jugement que dans l'ordonnance, on emploie le temps présent lorsqu'on veut parler de la conviction du Con- seil qu'une majorité du personnel de l'unité était formée de membres du syndicat.
Si l'on considère que la déclaration du prési- dent du Conseil au début de l'audition se rap- porte à la situation prévalant au 4 août 1971, comme l'ont suggéré les avocats représentant la Kent Line, et compte tenu de ce que nous apprend la pièce 29 relativement à la situation prévalant à la fin d'août 1971, ainsi que des occasions offertes aux parties de démontrer que des changements importants s'étaient produits avant l'audition et du défaut des parties dans l'intérêt desquelles il aurait fallu établir l'exis- tence de tels changements, s'ils se sont effecti- vement produits, il ne me semble pas qu'on puisse prétendre que le Conseil n'avait pas en mains les éléments de preuve lui permettant de conclure qu'aucun changement significatif n'é- tait survenu relativement au personnel de l'unité de négociation entre le 4 août et la date de l'audition. Je crois que le Conseil était en droit de présumer que la situation n'avait pas changé, puisque les parties ayant des intérêts à protéger
n'avaient pas présenté de preuve d'un change- ment important. D'après les documents déposés devant la Cour, je ne vois pas non plus de raison de croire que le Conseil n'a pas effective- ment étudié la situation tant au moment de la demande et de l'audition que pendant l'inter- valle. Lors de l'audition devant le Conseil, les deux parties ont déclaré que la date de la demande était la seule date pertinente. Mais même cela ne me convainc pas que le Conseil ne s'est pas interrogé sur la situation qui préva- lait entre ce moment-là et celui de l'audition, aussi bien que sur celle qui prévalait au moment de l'audition elle-même.
Pour ces motifs, la requête de la demande- resse n'est pas justifiée.
Je suis d'avis de rejeter la demande.
* * *
LE JUGE CATTANACH—Je fais miens les motifs retenus par mon collègue pour rejeter la demande en révision concernant la conclusion du Conseil portant que la Kent Line Limited n'est pas l'employeur, sauf à bord du navire Irvingwood. J'ai peu de chose à ajouter à ces motifs, sinon que j'accepte au départ que le devoir du Conseil est de déterminer qui est l'employeur véritable aux fins de la négociation collective.
Il est clair que le Conseil s'est posé la ques tion à savoir si la Kent Line Limited était cet employeur et qu'il y a répondu par la négative.
A mon avis, il y avait suffisamment d'élé- ments de preuve soumis au Conseil pour lui permettre d'arriver à une telle conclusion sur cette question de fait. De même, à mon avis, le Conseil ne s'est pas trompé en évaluant la ques tion de droit portant sur les relations entre le commettant et préposé.
Je crois aussi qu'on ne peut plaider une fin de non-recevoir étant donné les circonstances par- ticulières entourant cette demande en révision, à partir du fait, que je prends comme point de départ, que le devoir du Conseil est d'identifier l'employeur véritable. C'est, à mon avis, l'inten- tion du Code canadien du travail, d'où il ressort que tel est le devoir que la loi impose au Con-
seil. On ne saurait se prévaloir d'une fin de non-recevoir pour écarter un devoir statutaire.
De plus, les éléments essentiels pour plaider la fin de non-recevoir n'existent pas ici. Aucune prétention n'a été adressée au Syndicat interna tional des marins canadiens quant à la qualité d'employeur de la Kent Line. Il est contestable qu'on l'ait prétendu aux matelots pris indivi- duellement' et, même si l'on tient cela pour acquis, ces derniers n'ont pas eu à en souffrir du point de vue financier, pas plus que cela n'a entraîné de préjudice susceptible d'être évalué en argent.
C'est pour ces motifs, brièvement exprimés, que je souscris au rejet de la demande.
Quant à la demande présentée par la Kent Line Limited pour faire annuler la conclusion du Conseil selon laquelle une majorité du per sonnel non breveté à bord de l'Irvingwood était à l'emploi de la Kent Line Limited, au motif que le Conseil aurait commis une erreur de droit en concluant qu'une telle majorité existait à la date de présentation de la demande d'accrédita- tion, plutôt qu'à la date de l'audition de la demande, je souscris également à son rejet.
Au début de l'audition, le président du Con- seil a déclaré que, prima facie, une telle majo- rité existait à la date de la demande et qu'il prendrait en considération tout élément de preuve au contraire.
Il était loisible à la demanderesse de faire une telle preuve.
Si je me rappelle bien la transcription des témoignages présentés devant le Conseil, la demanderesse n'a pas profité de l'occasion qui lui était offerte de faire la preuve d'une situa tion différente à la date de l'audition.
A mon avis, il faut convenir non seulement que le Conseil a jugé que la preuve prima facie portant que, à la date de la demande, il existait une majorité, n'a pas été réfutée, mais encore que, dans ce cas particulier, la situation tou- chant les employés n'a pas fait l'objet de chan- gements importants jusqu'à la date de l'audi- tion, puisque l'on doit présumer que le Conseil, en rendant son jugement, a agi en conformité des principes applicables et a examiné tout ce qu'il était tenu d'examiner.
C'est pour ces motifs, brièvement exprimés aussi, que je conclus de même au rejet de cette demande.
* * *
LE JUGE KERR—J'estime qu'il n'a pas été démontré qu'en établissant que la Kent Line Limited n'était pas l'employeur du personnel non breveté travaillant à bord des cinq navires Irvingstream, Irving Ours Polaire, Aimé Gau- dreau, H-1060 et H-1070, le Conseil aurait fait une mauvaise appréciation de la preuve, ou commis une erreur de droit ou autre. Il me semble que le Conseil a utilisé tous les critères applicables pour déterminer s'il existait un rap port employeur-employé entre la Kent Line Limited et les employés intéressés à bord de ces navires; je crois aussi que le Conseil a pris bonne note de la signification et du sens général du mot «employeur», utilisé dans la Partie V du Code canadien du travail, et qu'il existait une preuve suffisante à étayer la décision du Conseil.
Je suis aussi d'avis que la Kent Line Limited n'était pas irrecevable à soutenir devant le Con- seil qu'elle n'était pas l'employeur desdits employés, ou à présenter la preuve de cette allégation, et que le Conseil était fondé à retenir cette preuve. Il me semble que les fins de non-recevoir ne devraient pas s'appliquer quand leur utilisation pourrait amener le Conseil à conclure que la Kent Line Limited était l'em- ployeur, si en fait elle ne l'était pas, et la preuve présentée tendait à démontrer que tel était le cas, car une application des fins de non-recevoir ayant un tel résultat pourrait entraver considé- rablement la réalisation des objectifs visés par les dispositions du Code canadien du travail concernant la négociation collective.
D'après les éléments qui ont été présentés devant cette Cour, je ne puis trouver aucun motif sur lequel la Cour pourrait se fonder pour écarter ladite conclusion du Conseil. La demande doit donc être rejetée.
Je souscris aussi au rejet de la demande de la Kent Line Limited.
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