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Le ministre du Revenu national (Appelant)
c.
Louis Bisson (Intime')
Division de première instance, le juge Pratte— Montréal, le 13 juin; Ottawa, le 28 juin 1972.
Impôt sur le revenu—Sommes versées par une compagnie à l'avantage d'un actionnaire— Défaut de déclarer—Igno- rance de la loi—Y a-t-il eu «présentation erronée.—Cotisa- don limitée aux quatre années précédentes—Loi de l'impôt sur le revenu, article 46(4)a)(i).
B était l'actionnaire majoritaire d'une compagnie dont T était l'actionnaire minoritaire. Pour régler un différend sur- venu entre eux, ils ont convenu en 1953 que B verserait certaines sommes d'argent à T. Aux termes de cette entente, la compagnie, de 1955 à 1957, a fait à T des versements annuels de $3,000 et, de 1958 à 1965, des versements annuels de $5,000. En 1967, B a été cotisé à l'impôt sur le revenu relativement aux sommes ainsi versées pour cha- cune des années de 1955 à 1965 inclus. B ignorait que les sommes ainsi versées à T par la compagnie faisaient partie de son revenu.
Arrêt: Il peut être procédé à de nouvelles cotisations à l'impôt sur le revenu à l'égard de B, relativement à ces sommes que la compagnie a versées à T pour le compte de B pendant les quatre années précédant la cotisation. Il ne peut toutefois pas être procédé à de nouvelles cotisations à l'impôt à l'égard de B relativement aux sommes versées avant cette période de quatre ans, étant donné que B n'a fait aucune présentation erronée relativement à son revenu. L'expression «présentation erronée» employée dans l'article 46(4)a)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne vise pas le cas de la personne qui fait une erreur non imputable à sa propre négligence.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
J. C. Sarrazin et Louise Lamarre-Proulx pour l'appelant.
J. C. Couture, c.r. pour l'intimé.
LE JUGE PRATTE—Lorsqu'il a déclaré son revenu pour les années 1955 à 1965, l'intimé n'a pas tenu compte qu'une compagnie dont il était l'actionnaire majoritaire, Transport Urbain de Hull Ltée, avait payé annuellement à un certain Walter F. Thorn des montants de $3,000
de 1955 1957 et de $5,000 de 1958 1965. Considérant que ces paiements auraient être inclus dans le calcul du revenu de l'intimé (parce qu'ils avaient été faits à son avantage et avec son consentement), l'appelant lui faisait parvenir le 28 novembre 1967 des avis de nou- velles cotisations pour chacune des années 1955à 1965 inclusivement. Suivant ces nouvel-
les cotisations, l'intimé devait un supplément d'impôt avec intérêts pour chacune des années concernées et, en outre, pour les années 1960 à 1965, devait la pénalité prévue à l'art. 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu S.R.C. 1952, c. 148. Après s'être vainement opposé à ces coti- sations, l'intimé en appela à la Commission d'appel de l'impôt qui lui donna gain de cause. C'est de cette décision de la Commission, pro- noncée le 12 mai 1969, que le ministre du Revenu national en appelle aujourd'hui.
Dans le but d'établir la véritable nature des paiements ayant motivé les cotisations qu'a annulées la Commission, les parties ont tenté, en interrogeant l'intimé Bisson et en versant au dossier une volumineuse preuve documentaire, de reconstituer l'histoire de la compagnie Trans port Urbain de Hull Ltée et des relations d'af- faires ayant existé entre l'intimé et Walter F. Thorn. Pour comprendre le litige, il suffit de connaître quelques-uns des faits ainsi mis en preuve.
L'intimé Bisson est un ancien pilote d'avion qui n'avait, à la fin de la dernière guerre, aucune expérience des affaires. Il s'était lié d'amitié avec W. F. Thorn, un financier alors très actif et entreprenant qui est aujourd'hui décédé. A la suggestion de Thorn, Bisson décida d'abandon- ner l'aviation pour établir et exploiter, en asso ciation avec son ami, une entreprise de trans port par autobus dans la ville de Hull. Il était entendu, semble-t-il, que Thorn verrait à finan- cer l'entreprise tandis que Bisson veillerait à son administration.
Grâce aux efforts déployés par Bisson, les deux associés obtinrent de la ville de Hull, en 1946, une franchise leur accordant le droit d'ex- ploiter une entreprise de transport par autobus dans les limites de la ville. Cette franchise leur était octroyée pour une période de 10 ans se terminant en 1956 et elle était, à certaines con ditions, renouvelable pour une autre période de 10 ans.
En septembre 1946, les deux associés cédè- rent leur franchise à Transport Urbain de Hull Ltée, une compagnie dont ils avaient obtenu la création le mois précédent.
Thorn était alors le président de Transport Urbain de Hull Ltée qui s'était engagée à lui
payer, à ce titre, un salaire annuel de $3,000; quant à Bisson, en plus d'être administrateur de la nouvelle compagnie, il en était le gérant géné- ral. J'ajoute, et cela n'est pas sans importance, que peu de temps après, les 100,000 actions communes de la compagnie étaient réparties à peu près également entre eux.
La compagnie commença donc ses opérations et les deux partenaires, Bisson et Thorn, colla- borèrent à son entreprise jusqu'à ce que, en 1952, une grave différence surgisse entre eux.
En 1952, Thorn ne possédait plus qu'une seule action commune de la compagnie et il n'avait pas été réélu à la présidence. Il préten- dait que Bisson s'était indûment approprié ses actions et, cela, dans les circonstances suivantes:
a) En octobre 1946, Thorn avait dû, pour inciter un courtier du nom de Simard à vendre les actions privilégiées de Transport Urbain de Hull Ltée, lui céder 1,000 actions communes de la compagnie. Ces actions, Simard les avait subséquemment vendues à Bisson au prix de $1,000. Thorn affirmait que Bisson avait agi comme son mandataire en rachetant les actions de Simard et qu'il devait, en conséquence, les lui céder pour la somme de $1,000.
b) Le 12 avril 1949, Thorn se trouvait dans une situation financière précaire. Bisson lui avait alors avancé $26,000 et, en retour, Thorn lui avait remis, dûment endossés, les certificats de toutes ses actions communes l'exception d'une seule). A cette occasion, Thorn avait fait signer à Bisson un écrit rédigé comme suit:
[TRADUCTION] Hôtel Royal York, Toronto (Ontario) Le 12 avril 1949. Monsieur,
J'accuse réception des 49,000 actions ordinaires ci- incluses de Transport Urbain de Hull Ltée, en garantie du remboursement du prêt de $26,000 que je vous ai consenti.
Il est entendu que lesdites actions vous seront remi- ses lorsque j'aurai été remboursé de la somme de $26,000 et de l'intérêt et je m'engage à ne pas faire saisir ces actions pendant un an à compter de ce jour.
(Signature) Louis Bisson.
Quelques mois après l'expiration du délai d'un an mentionné à cet écrit, Thorn n'avait pas encore remboursé la somme empruntée. Alors, Bisson, sans demander paiement de la somme qui lui était due, avait tout simple- ment fait enregistrer en son nom les actions qui lui avaient été données en gage. Thorn prétendait que Bisson avait alors agi illégale- ment et qu'il était tenu, sur remboursement de la somme empruntée avec intérêts au taux légal, de lui retourner les actions.
Bisson, bien sûr, niait les prétentions de Thorn. Il affirmait avoir agi pour son propre compte en achetant les 1,000 actions du cour tier Simard. Il soutenait que, suivant les con ventions intervenues, il avait le droit de s'appro- prier les actions qui lui avaient été données en gage le 12 avril 1949. Il reprochait à Thorn, enfin, d'avoir toujours refusé de lui payer cer- taines sommes qu'il se serait engagé à lui verser.
Tout cela explique que, en 1952, Thorn ait chargé ses avocats de faire le nécessaire pour recouvrer les actions communes de la compa- gnie que, suivant ses dires, Bisson s'était illéga- lement approprié. Le 11 mars 1953, un notaire agissant pour le compte de Thorn faisait à Bisson des offres réelles de la somme de $26,000 et de celle de $5,089.64 (représentant les intérêts de $26,000 calculés au taux légal depuis le 12 avril 1949) et, en même temps, il mettait Bisson en demeure de lui remettre les actions données en gage le 12 avril 1949. Bisson refusa. Il s'ensuivit de longs pourparlers entre l'avocat de Thorn et celui de Bisson. Ces négociations aboutirent finalement à une entente, celle en vertu de laquelle ont été effec- tués les paiements de $3,000 et de $5,000 qui ont motivé les cotisations annulées par la Com mission d'appel. Cette entente est consignée dans un écrit signé par Thorn et Bisson le 13 mai 1953; la signature de ce contrat fut précé- dée par l'adoption, à une réunion des adminis- trateurs de Transport Urbain de Hull Ltée tenue le 12 mai, réunion à laquelle participait Bisson, de la résolution suivante:
[TRADUCTION] ... La proposition du secrétaire portant qu'il serait dans l'intérêt de la compagnie d'étudier immédia- tement la possibilité de réviser l'entente intervenue entre cette dernière et M. W. F. Thorn et figurant au prospectus
daté du 17 septembre 1946, a fait l'objet des délibérations suivantes:
ATTENDU QUE la compagnie, depuis sa constitution, a annuellement versé à M. W. F. Thorn des honoraires de $3,000;
ATTENDU QUE les précieux services rendus par M. W. F. Thorn jusqu'à ce jour excèdent les services ordinaire- ment demandés en pareilles circonstances;
ATTENDU QUE la compagnie, comme c'est arrivé dans le passé, pourrait se trouver dans une situation il lui faudrait faire appel à l'aide de M. W. F. Thorn et à ses conseils en matière financière;
ATTENDU QUE la compagnie, comme c'est arrivé dans le passé, pourrait se retrouver dans une situation il lui faudrait faire appel à M. W. F. Thorn pour obtenir son aide financière et bénéficier du crédit dont il jouit; ATTENDU QUE la compagnie, comme c'est arrivé dans le passé, pourrait se retrouver dans une situation il lui faudrait faire appel aux précieux conseils de M. W. F. Thorn en matière financière;
ATTENDU QUE l'entente initiale stipulait que M. W. F. Thorn recevrait un salaire déterminé à titre de président de la compagnie, mais qu'il n'occupe plus ce poste;
ATTENDU QU'il y a lieu de réviser l'entente susmen- tionnée dans le but de valider des paiements faits à M. Thorn pendant qu'il n'était pas président et de continuer à lui faire des paiements à l'avenir;
ATTENDU QU'on a informé l'assemblée que M. W. F. Thorn consent à recevoir $3,000 par année jusqu'en 1957 inclusivement et, par la suite, $5,000 par année jusqu'en 1966, année qui marquera la fin desdits paiements faits à M. Thorn ainsi que celle du contrat de la compagnie conclu avec la Cité de Hull.
C'est pourquoi il a été proposé et accepté à l'unanimité de ratifier et de confirmer les versements annuels de $3,000 faits jusqu'à présent à M. W. F. Thorn.
En outre, il a été proposé et accepté à l'unanimité que la compagnie continuera, comme par le passé, à verser à M. W. F. Thorn, jusqu'en 1957 inclusivement, la somme annuelle de $3,000 et, par la suite, celle de $5,000 jusqu'en 1966, année de l'expiration du contrat conclu avec la Cité de Hull.
En outre, il a été proposé et accepté à l'unanimité que M. Louis Bisson soit, par les présentes, autorisé à agir, soit à titre personnel soit au nom de la compagnie, pour exécuter et ratifier la présente entente.
Il a de plus été proposé et accepté à l'unanimité que M. Louis Bisson soit, par les présentes, autorisé à signer tout document dans le sens susdit... .
Le lendemain de l'adoption de cette résolu- tion, Thorn et Bisson signaient un contrat rédigé dans les termes suivants:
[TRADUCTION] CONTRAT fait en double exemplaire ce 13e jour de mai 1953.
ENTRE:
WALTER FRANCIS THORN, de la ville de Moose Jaw, dans la province de la Saskatchewan, financier, ci-après appelé PARTIE DE PREMIÈRE PART
PARTIE DE PREMIÈRE PART: LOUIS BISSON, de la Cité de Hull, dans la province de Québec, gérant, ci-après appelé PARTIE DE SECONDE PART
PARTIE DE SECONDE PART:
ATTENDU QUE la partie de première part est proprié- taire de 49,000 actions ordinaires émises et entièrement libérées du capital social de la société Transport Urbain de Hull Ltée—Hull City Transport Ltd.;
ET ATTENDU QUE la partie de première part doit actuellement à la partie de seconde part la somme de VINGT-SIX MILLE DOLLARS ($26,000) plus un certain montant d'intérêt sur cette somme, au titre d'un prêt que ladite partie de seconde part lui a consenti;
ET ATTENDU QU'il se peut que la partie de première part soit redevable à la partie de seconde part d'autres avances que cette dernière lui aurait faites et que les parties aux présentes ignorent pour l'instant le montant de ces avances, actuellement objet d'un litige, la partie de première part les contestant;
ET ATTENDU QUE ladite partie de seconde part est désireuse d'acquérir les 49,000 actions ordinaires émises et en circulation de la société Transport Urbain de Hull Ltée— Hull City Transport Ltd. en les achetant à ladite partie de première part et que les parties susdites sont aussi désireu- ses de régler de façon définitive tous les différends qui existent présentement entre elles et qu'elles ont consenti à la vente et à l'achat du bloc susdit des actions ordinaires émises et en circulation de la société Transport Urbain de Hull Ltée—Hull City Transport Ltd. et au règlement défini- tif de tous les différends qui existent actuellement entre elles, aux termes et aux conditions ci-après énoncés dans la présente entente;
PAR CES MOTIFS, LE PRÉSENT ACTE FAIT FOI qu'en considération des engagements et des stipulations ci-après énoncés les parties aux présentes ont convenu de ce qui suit:-
1. La partie de première part accepte par les présentes de vendre à la partie de seconde part, qui accepte de les acheter, l'ensemble des 49,000 actions ordinaires émises, en circulation et entièrement libérées de la société Transport Urbain de Hull Ltée—Hull City Transport Ltd. dont elle est propriétaire; en contrepartie de la présente vente, outre le versement de la somme d'UN DOLLAR ($1.00) et le réta- blissement de bonnes relations avec ladite partie de pre- mière part, la partie de seconde part convient de verser à la partie de première part la somme de SOIXANTE MILLE DOLLARS ($60,000) payable de la façon suivante:—
Trois mille dollars ($3,000) lors de la signature de la pré- sente entente et trois mille dollars ($3,000) le premier jour du mois de mai de chacune des années 1954, 1955, 1956 et 1957; cinq mille dollars ($5,000) le premier jour de mai 1958 ainsi que le premier jour du mois de mai des années
suivantes jusqu'à ce que ladite somme de soixante mille dollars ($60,000), sans intérêt, soit totalement acquittée; ÉTANT ATTENDU QUE, toutefois, les parties aux présen- tes conviennent qu'en cas de défaut de versement de quel- qu'une des sommes susmentionnées, la partie de première part aura la faculté d'exiger de la partie de seconde part le solde de la somme de soixante mille dollars ($60,000) alors dû.
2. A titre de contrepartie additionnelle de la vente par ladite partie de première part à ladite partie de seconde part desdites actions ordinaires de la société Transport Urbain de Hull Ltée—Hull City Transport Ltd., plus précisément désignées au paragraphe 1 ci-dessus, la partie de seconde part libère par les présentes ladite partie de première part de toute obligation relative au prêt de vingt-six mille dollars ($26,000) consenti par ladite partie de seconde part à ladite partie de première part et constaté par un certain document portant la date du 12 avril 1949, et ladite partie de seconde part accepte de signer et de remettre à la partie de première part une quittance totale de cette dette, en la forme que pourront prescrire les avocats de cette dernière.
3. A titre de contrepartie additionnelle de la vente faite par ladite partie de première part à la partie de seconde part des 49,000 actions susdites des actions ordinaires émises, en circulation et entièrement libérées de la société Trans port Urbain de Hull Ltée—Hull City Transport Ltd., plus précisément désignées au paragraphe I ci-dessus, ladite partie de seconde part libère par les présentes ladite partie de première part de toute autre obligation présente ou éventuelle qui peut actuellement exister entre les parties, et la partie de seconde part s'engage par les présentes à accorder à la partie de première part une quittance totale de pareilles obligations éventuelles ou autres, en la forme que pourront exiger les avocats de cette dernière.
4. En contrepartie des présentes et en raison d'autres contreparties valables, ladite partie de première part libère par les présentes ladite partie de seconde part de toute obligation, présente ou éventuelle, qui peut exister actuelle- ment entre les parties, et ladite partie de première part s'engage à souscrire et à remettre à ladite partie de seconde part une quittance totale de toutes les obligations susmen- tionnées, en la forme que pourra exiger l'avocat de cette dernière.
5. Par les présentes, la partie de première part donne un mandat irrévocable à la partie de seconde part d'agir en ses lieu et place pour transférer ou faire transférer dans les registres de ia société Transport Urbain de Hull Ltée—Hull City Transport Lta. une action ordinaire émise et entière-
ment libérée de ladite société actuellement enregistrée au nom de ladite partie de première part.
LE PRÉSENT CONTRAT et toutes les dispositions y figurant s'appliqueront aux parties ainsi qu'à leurs héritiers, exécuteurs, administrateurs et ayants droit respectifs et les lieront.
EN FOI DE QUOI, les parties aux présentes ont signé et
apposé leur sceau.
SIGNÉ ET SCELLÉ
Signature de M.
Walter F. Thorn attestée (S) WALTER F. THORN
par M. R.E.B. Brocklesby Signature de M.
Louis Bisson attestée par (S) LOUIS BISSON M. François Chevalier
Enfin, le lendemain, 14 mai 1953, les admi- nistrateurs de Transport Urbain de Hull tenaient une nouvelle réunion et ratifiaient le contrat conclu la veille par Bisson. Il convient de citer l'extrait suivant du procès-verbal de cette réunion:
[TRADUCTION] ... M. Louis Bisson annonce aux actionnai- res que, conformément à la résolution adoptée par le conseil d'administration le 12 mai 1953 relativement à la poursuite des services de M. Thorn auprès de la compagnie, une entente satisfaisante et conforme aux termes et conditions mentionnés dans la résolution a été conclue avec M. Thorn.
Il a été proposé et unanimement accepté que la compa- gnie confirme et ratifie tous les engagements pris par M. Louis Bisson à l'égard de M. Thorn et que ces obligations n'engagent à l'avenir que la compagnie... .
Il est admis que les versements annuels de $3,000 et de $5,000 qui, suivant le contrat du 13 mai 1953 devaient être payés par Bisson, ont été en fait payés par Transport Urbain de Hull Ltée. Le seul problème que soulève cette affaire est celui de savoir si ces paiements, qui ont manifestement été faits avec le consente- ment de Bisson, ont été faits à son avantage de sorte que, suivant l'art. 16(1), ils aient être inclus dans le calcul de son revenu.
Suivant l'appelant, le contrat du 13 mai 1953 est un contrat de transaction, au sens du code civil, intervenu entre Thorn et Bisson person- nellement. Aux termes de ce contrat, Bisson était obligé personnellement à payer à Thorn les sommes stipulées. En effectuant ces paiements, la compagnie Transport Urbain de Hull Ltée a donc payé la dette de l'intimé Bisson et, ce faisant, lui a procuré, avec son consentement,
un avantage. Pour cette raison ces sommes ainsi payées par la compagnie Transport Urbain de Hull Ltée devraient, suivant l'art. 16(1) être incluses dans le revenu de l'intimé de la même façon qu'elles auraient l'être si elles avaient été payées à l'intimé lui-même.
A cela, le procureur de l'intimé a répliqué que l'écrit du 13 mai 1953 n'est qu'un acte simulé qui ne révèle pas la nature véritable du contrat qui fut conclu ce jour-là. En vérité, a-t-il sou- tenu, deux contrats ont été conclus le 13 mai. Par le premier, Bisson et Thorn se donnaient réciproquement quittance de toutes réclama- tions qu'ils pouvaient avoir l'un contre l'autre; par le second, Bisson, agissant comme le repré- sentant de Transport Urbain de Hull Ltée se serait engagé à payer un salaire à Thorn afin que celui-ci, même s'il n'était plus président ou actionnaire de la compagnie, continue à la faire bénéficier de son expérience et de ses conseils. Si ces conventions ont été dissimulées sous les apparences que l'on connaît, c'est, a prétendu l'avocat de l'intimé, parce que Thorn voulait ne pas avoir à payer d'impôt sur le salaire que la compagnie s'engageait à lui verser. A l'appui de cette thèse, l'avocat de l'intimé a fait état des faits suivants:
a) le fait que la compagnie Transport Urbain de Hull Ltée ait adopté les résolutions du 12 et 14 mai 1953 indiquerait que, en s'enga- geant à payer Thorn, Bisson agissait comme mandataire de la compagnie;
b) le fait que Bisson ait affirmé qu'en signant le contrat du 13 mai 1953 il croyait agir comme le représentant de Transport Urbain de Hull Ltée; et le fait, aussi, que Bisson ait dit que lui-même et les autres administrateurs de la compagnie avaient cru qu'il était dans l'intérêt de la compagnie de satisfaire Thorn;
c) le fait, enfin, qu'on ne puisse imaginer que Bisson ait pu, en plus de renoncer à ses créances contre Thorn, consentir à lui payer $60,000 pour des actions qui, suivant la preuve, n'avaient aucune valeur.
Si je me reporte à la preuve et lui donne l'interprétation qui favorise davantage l'intimé, il me faut dire que les faits suivants ont été prouvés:
a) Thorn, en ce qui concerne les actions données en gage à Bisson, avait prima facie une réclamation sérieuse contre ce dernier;
b) après que Thorn l'eut mis en demeure de lui rendre les actions qu'il lui avait données en gage, Bisson avait eu de nombreuses dis cussions avec les autres administrateurs de Transport Urbain de Hull Ltée; il en était finalement venu à la conclusion que Thorn, en faisant valoir ses droits, ne voulait pas obtenir les actions qu'il réclamait mais dési- rait obtenir une indemnité en argent; les autres administrateurs de la compagnie avaient convenu qu'il était dans l'intérêt de la compagnie qu'il règle son différend avec Thorn, car si un tel règlement n'intervenait pas il était à craindre que Thorn empêche la compagnie d'obtenir le renouvellement de sa franchise (en 1956) et ne lui prodigue pas les conseils et l'assistance dont elle avait besoin pour acquérir une compagnie rivale; à cause de cela, il fut, bien avant que le contrat du 13 mai 1953 ne fût signé, entendu que la compa- gnie paierait les sommes que Thorn exigerait pour renoncer à sa réclamation contre Bisson;
c) Thorn n'a assumé le 13 mai 1953 aucune obligation envers la compagnie Transport Urbain de Hull Ltée; en revanche, il appert que, comme l'espéraient les administrateurs de la compagnie, il n'ait rien fait pour empê- cher que la franchise soit renouvelée et qu'il ait favorisé l'acquisition par Transport Urbain de Hull Ltée de la compagnie rivale qu'elle voulait absorber.
De ces faits, on ne peut, à mon avis, tirer qu'une inférence: c'est que, comme prix de la renonciation à sa réclamation contre Bisson, Thorn exigeait qu'on lui paie une somme d'ar- gent que, en fait, la compagnie Transport Urbain de Hull Ltée lui a payée. En versant à Thorn la somme de $60,000 stipulée au contrat du 13 mai 1953, la compagnie Transport Urbain de Hull Ltée a donc payé partie du prix que Thorn exigeait pour renoncer à sa réclamation contre Bisson. Ce faisant, la compagnie a effec- tué des paiements à l'avantage de l'intimé au sens de l'art. 16(1), et comme ces paiements ont été faits avec le concours de l'intimé et qu'ils auraient fait partie de son revenu s'ils lui avaient été faits directement, j'en viens à la
conclusion qu'ils auraient être inclus dans le calcul du revenu de l'intimé pour les années qui nous intéressent.
J'ajoute qu'il me semble indifférent qu'il ait pu être dans l'intérêt de la compagnie de contri- buer financièrement au règlement du différend qui opposait Thorn à Bisson. Celui qui paie la dette d'autrui a toujours un motif pour le faire; cela ne change pas la cause de son paiement et cela n'empêche pas que son paiement soit fait à l'avantage d'un tiers.
La conclusion à laquelle je viens d'en venir ne suffit pas à disposer du litige qui soulève, en outre, deux autres problèmes. Le premier est celui de savoir si, malgré l'expiration du délai de 4 ans prévu à l'art. 46(4)b), l'appelant pouvait procéder à de nouvelles cotisations pour les années 1955 1962; le second, consiste à déter- miner' si l'intimé doit les pénalités qu'on lui réclame en vertu de l'art. 56(2).
En l'espèce, l'appelant ne pouvait procéder à de nouvelles cotisations pour les années 1955 à 1962 que si l'intimé avait, suivant les termes de l'art. 46(4)a)(i) «fait une présentation erronée ou ... commis quelque fraude en produisant» sa déclaration. Il est clair que l'intimé, lorsqu'il a déclaré son revenu pour les années qui nous intéressent, a, de bonne foi, commis une erreur: il ne savait pas que les sommes payées à Thorn par Transport Urbain de Hull Ltée faisaient partie de son revenu. Il a été jugé à plusieurs reprises qu'une «présentation erronée», même si elle est faite de bonne foi par le contribuable, autorise le Ministre à procéder à une nouvelle cotisation en n'importe quel temps (voir M.R.N. c. Taylor 61 DTC 1139; M.R.N. c. Appleby 64 DTC 5199; M.R.N. c. Foot 66 DTC 5072). Cependant dans tous les cas les tribunaux ont ainsi prononcé, le contribuable, s'il avait agi de bonne foi, avait été clairement négligent. La question reste donc entière de savoir si le Ministre peut procéder à une nouvelle cotisa- tion après le délai de 4 ans lorsque le contribua- ble a fait de bonne foi une fausse représentation qui n'implique de sa part aucune négligence. Si, comme l'a soutenu l'avocat de l'appelant, les erreurs même non fautives commises par un contribuable permettaient au.Ministre de procé- der à de nouvelles cotisations en n'importe quel temps, l'art. 46(4) accorderait une protection
bien illusoire au contribuable puisque le seul cas il en bénéficierait serait celui, assurément très rare, la nouvelle cotisation serait desti née à corriger une erreur imputable uniquement au ministère lui-même. Si tel avait été l'objet que le législateur avait en vue en édictant l'art. 46(4)a)(i), on ne voit pas pourquoi il y aurait spécifié que le Ministre peut procéder à de nouvelles cotisations en n'importe quel temps si le contribuable «a fait une présentation erronée ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration». En effet, toute fraude suppose nécessairement une «présentation erronée» et si cette dernière expression désignait toutes espè- ces de fausses représentations, la mention de la fraude dans cette disposition serait complète- ment inutile. A mon avis, le fait que le législa- teur ait référé non seulement à la «présentation erronée» mais à la «fraude» indique que, par la première expression, il voulait signifier les faus- ses représentations qui, sans être frauduleuses, sont néanmoins coupables en ce sens qu'elles n'auraient pas été faites si leur auteur n'avait pas été négligent. J'en viens donc à la conclu sion que, le contribuable qui, sans aucune faute de sa part, commet une erreur en déclarant son revenu, ne fait pas une présentation erronée au sens de l'art. 46(4)a)(i). Lorsque le Ministre veut se prévaloir de cette disposition pour pro- céder à une nouvelle cotisation après l'expira- tion de 4 ans, il doit donc établir non seulement que le contribuable a commis une erreur en déclarant son revenu, mais aussi que cette erreur est attribuable à une faute de sa part.
En l'espèce, l'appelant a établi, je l'ai déjà dit, que l'intimé avait commis une erreur en décla- rant son revenu pour les années qui nous inté- ressent. Je ne suis cependant pas convaincu que cette erreur soit fautive. La situation ayant donné lieu aux paiements qu'on reproche à l'in- timé de n'avoir pas inclus dans son revenu était si confuse que la Commission d'appel en est venue à la conclusion que l'intimé avait eu raison d'agir comme il avait fait. Dans ces cir- constances, même si je diffère d'opinion avec la Commission, je dois dire que l'erreur qu'a com- mise l'intimé en est une qu'aurait pu commettre le contribuable normalement averti et prudent. Pour ces motifs je crois que les cotisations relatives aux années 1952 à 1962 inclusivement doivent être annulées.
Quant aux pénalités réclamées par le Ministre pour les années 1960 à 1965, elles ne sont dues, suivant l'art. 56(2), que dans le cas le contri- buable s'est rendu coupable de fraude ou de négligence grossière. Il est clair, suivant ce que j'ai déjà dit, que, en l'espèce, ces pénalités ne sont pas dues.
L'appel sera donc accueilli en partie et les cotisations pour les années 1963 à 1965 inclusi- vement seront déférées au Ministre afin qu'il les modifie de façon à ne réclamer aucune pénalité de l'intimé. Chaque partie paiera ses frais.
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