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Les Moulins Maple Leaf Limitée (Demanderesse) c.
Le navire Baffin Bay, son fret et la Global Navi gation Limited (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 20 septembre; Ottawa, le 26 sep- tembre 1973.
Pratique—Droit maritime—Saisie avant jugement—La Règle 5 l'autorise-t-elle?
En 1973, la demanderesse affréta le Baffin Bay à Mont- réal pour un voyage vers Haïti. Le navire subit des avaries en mer et ses propriétaires abandonnèrent le voyage à Halifax. La demanderesse déchargea la cargaison à Halifax et intenta des poursuites contre le navire et ses propriétai- res, réclamant $700,000 à titre de dommages-intérêts. Sur consignation d'une caution de $239,000, la saisie du navire fut levée. Les assureurs allaient verser aux propriétaires l'indemnité couvrant la perte et fixée à $750,000 quand la demanderesse obtint l'ordonnance ex parte aux termes de laquelle le montant de l'indemnité des assurances était saisi chez les assureurs au Québec.
Arrêt: il convient d'annuler la saisie-arrêt. Bien que la Règle 5 prévoie que la Cour fédérale puisse adopter des pratiques suivies dans les tribunaux provinciaux correspon- dants dans certaines circonstances, on ne doit pas accorder de saisie-arrêt avant jugement (qui est autorisée au Québec et en Nouvelle-Écosse) pour satisfaire aux exigences d'un cas particulier.
REQUÊTE. AVOCATS:
J. E. Gould pour la demanderesse. D. A. Kerr pour les défendeurs.
PROCUREURS:
McInnes, Cooper et Robertson, Halifax, pour la demanderesse.
Stewart, MacKeen et Covert, Halifax, pour les défendeurs.
LE JUGE WALSH—Cette question m'a été sou- mise à Montréal le 20 septembre 1973 sur requête de la défenderesse, la Global Navigation Limited, en vue d'obtenir la délivrance d'une ordonnance annulant, en vertu de la Règle 330, l'ordonnance de saisie-arrêt que j'avais délivrée à Montréal le 10 septembre 1973, des domma- ges-intérêts et les dépens. Avant de traiter les questions de droit qui ont, lors de l'audience du 20 septembre, fait l'objet de plaidoiries écrites
et orales des avocats des parties, il convient de faire un rapide examen des faits qui ont entraîné la délivrance de l'ordonnance ex parte du 10 septembre. Par charte-partie datée du 5 mai 1973 à Montréal, la demanderesse avait affrété le navire Baffin Bay pour transporter jusqu'à Haïti une cargaison de 9,000 tonnes fortes de blé. La charte-partie stipulait un minimum de trois voyages à partir des ports du fleuve Saint- Laurent, l'affréteur ayant la faculté d'entrepren- dre encore trois voyages et une seconde option portant sur trois autres voyages. L'affréteur avait donc la faculté d'entreprendre neuf voya ges aller et retour consécutifs jusqu'à Haïti. Ayant quitté Montréal le 13 juin 1973, le navire a faire face à divers problèmes dont des ennuis mécaniques tels que des pannes de chau- dière, des pannes de machine et la rupture du mécanisme de gouverne. Il a évité de peu l'abor- dage avec un pétrolier, mais il a heurté une porte d'écluse à Canso, abordé un remorqueur au large du port d'Halifax et souffert d'autres accidents. Enfin, le 24 juin 1973, il a fait relâ- che à Halifax (Nouvelle-Écosse). Dans ce port, le navire a rencontré encore d'autres difficultés. Il s'est fait poursuivre et infliger une amende pour avoir répandu du mazout dans le port et, après qu'on ait essayé d'effectuer des répara- tions à Halifax, le navire a en vain tenté de quitter ce port. Le 5 juillet, il devait prendre feu, l'incendie, dit-on, s'étant déclaré dans la chambre des chaudières alors que le navire était amarré le long du quai de la raffinerie Texaco à Eastern Passage (Halifax). L'incendie a pu être maîtrisé, mais il a fallu avoir recours à plusieurs remorqueurs appartenant à la Eastern Canada Towing Limited ainsi qu'à d'autres compagnies pour remorquer le navire dans le port. A la suite de ces opérations, la compagnie de remorquage a réclamé ses frais de sauvetage et, pour éviter la saisie de la cargaison, la demanderesse s'est engagée à verser aux compagnies de remor- quage la somme de $30,000. Le voyage s'est terminé à Halifax par la volonté de la défende- resse propriétaire qui a refusé de décharger ou de transborder la cargaison, ce qui a obligé la demanderesse à effectuer ces opérations à ses frais, mais sous toute réserve et sans préjudice de ses droits de recouvrer ces frais des défen- deurs. Le navire fut remorqué jusqu'à un poste
de chargement de céréales on l'a déchargé à l'aide de grues du port et d'autres engins appar- tenant au Conseil des ports nationaux car, entre- temps, on s'était assuré qu'une grande partie de la cargaison pouvait être sauvée. Quelque 6,000 boisseaux avariés sont restés à bord. La deman- deresse réclame à peu près $700,000 à titre de dommages-intérêts dont une partie est encore incertaine, étant donné qu'on peut s'attendre à des réclamations au titre des obligations con- tractuelles de la demanderesse envers le consi- gnataire et à des dommages-intérêts pour la perte des affrètements futurs. Pour les assu- reurs maritimes, le navire est une perte jugée totale et l'on affirme qu'ils se sont engagés à verser à la défenderesse, la Global Navigation Limited, la somme de $750,000, soit la valeur assurée. Par ailleurs, les propriétaires ont accepté de vendre le navire pour récupération pour la somme de ÉU$239,000. La demande- resse a intenté des procédures contre la défen- deresse, la Global Navigation Limited et, à la suite de cette action in rem, le juge Heald a rendu un jugement qui fixait à $239,000 le cautionnement pour obtenir mainlevée de la saisie du navire, soit sa valeur de récupération. Les défendeurs ont également consigné $9,000 pour couvrir une garantie bancaire dans l'intérêt des membres de l'équipage qui avaient déposé une opposition pour protéger leurs salaires et indemnités, créances ayant priorité sur les récla- mations de la demanderesse. Les sauveteurs, qui avaient également des droits sur le caution- nement de $239,000 consigné par les défen- deurs, ayant eux aussi intenté une action, dans la meilleure hypothèse la demanderesse ne rece- vrait pas le total de ce cautionnement. On a soutenu que, le 10 septembre, date de l'audition devant moi de la demande ex parte, la défende- resse, la Global Navigation Limited, dont le siège social est à Nassau, et qui est réputée ne posséder aucun avoir au Canada si ce n'est le navire pour lequel elle a consigné ledit caution- nement, allait, ce jour même, recevoir à Mont- réal le montant de son assurance maritime et que, si l'on ne saisissait pas ce montant avant jugement, l'argent sortirait de la juridiction de la Cour ce qui, dans l'hypothèse la demande- resse aurait gain de cause, laisserait sans garan- tie sa créance de près de $500,000.
Comme les Règles de la Cour fédérale ne prévoient pas de procédure pour la saisie avant jugement, l'avocat de la demanderesse a excipé de la Règle 5, règle relative à la «lacune», qui est ainsi rédigée:
Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se pose une question non autrement visée par une disposition d'une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance générale de la Cour (hormis la présente règle), la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant des instructions, soit après la survenance de l'événement si aucune requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et la procédure à suivre pour cette question par analogie
a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des procédures semblables devant les tribunaux de la province à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des procédures.
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en l'espèce.
Il invoque plus précisément l'alinéa b) car, selon lui, dans les deux provinces concernées par «l'objet des procédures», à savoir la Nouvelle- Écosse et le Québec, il existe une procédure de saisie-arrêt avant jugement. Cette demande était appuyée par les affidavits de James E. Gould, avocat et procureur à Halifax, représentant la demanderesse, et de Carol Caswell, gérant de la compagnie demanderesse qui confirmait les faits pertinents relatés plus haut. Copies des Règles de procédure civile de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse en matière d'ordonnan- ces de saisie-arrêt sont jointes à l'affidavit de Me Gould. Ce dernier a déclaré que l'objet des procédures se rapportait plus particulièrement à la Nouvelle-Écosse puisque c'est que la perte a eu lieu, bien que l'on puisse prétendre que l'objet des procédures peut également se rap- porter aux lois de la province de Québec étant donné qu'une part importante des réclamations de la demanderesse porterait sur la violation de la charte-partie quant aux voyages à venir et que c'est à Montréal que cette charte-partie avait été signée. De toute manière, vu que la procédure de saisie-arrêt avant jugement n'est pas incompatible avec les lois de cette province mais qu'au contraire, elle est prévue par son Code de procédure civile, le problème de savoir quelle loi provinciale il convient d'appliquer est moins important que si la charte-partie avait été élaborée, par exemple, en Ontario, où, me dit-on, il n'existe aucune procédure de saisie-
arrêt avant jugement. Vu ce raisonnement, on a suivi les règles de la saisie-arrêt applicables en Nouvelle-Écosse et la saisie fut enfin effectuée chez les assureurs au Québec. Étant donné que la défenderesse avait déjà consigné un caution- nement de $239,000, l'ordonnance n'a autorisé la saisie-arrêt que de $500,000. Ceci avait pour effet de conserver l'indemnité versée par la compagnie d'assurance, ou, du moins, la partie de cette somme qui n'avait pas encore été versée, pour éviter qu'on l'apporte hors du Canada. La règle de la Nouvelle-Écosse auto- rise le juge, dans le cas d'une saisie-arrêt de ce genre, à exempter le demandeur de consigner en garantie une fois un quart la somme saisie et, au vu des renseignements appuyés par des affida vits qui attestaient les avoirs très considérables de la demanderesse au Canada, je l'ai dispensée de consigner une pareille garantie.
Comme l'y autorise la Règle 330, la défende- resse, la Global Navigation Limited, conteste cette saisie-arrêt qui, par mesure d'urgence, a été autorisée ex parte. Elle soutient qu'elle a une défense valable à opposer à l'action de la demanderesse et que, de toute manière, le total des dommages vérifiables sera inférieur au cau- tionnement fourni pour le navire. Elle affirme en outre que la Cour n'a pas compétence pour délivrer une pareille ordonnance car la règle de la lacune ne vise pas ce type de situation et qu'en tout cas, la saisie-arrêt aurait être effectuée en vertu des lois de la province de Québec.
Devant moi, à l'audience du 20 septembre, l'avocat de la demanderesse a fourni des détails supplémentaires sur les dommages qu'elle disait avoir subis. A cette date, ils s'élevaient à $245,- 000 et ce chiffre pourrait atteindre $332,000 si, comme cela semble probable, la cargaison n'est pas déplacée avant le mois de février 1974. La demanderesse ajoute certains autres éléments tels que les frais d'obtention d'une cargaison de rechange pour livraison immédiate moins la valeur de récupération de la cargaison originale; ceci augmente les dommages à quelque $780,- 000, chiffre qui ne comprend pas la réclamation pour dommages éventuels résultant de la viola tion du contrat quant aux huit affrètements à venir. Je conviens que l'on ne pourrait pas
admettre à bon droit tous les éléments de la réclamation, mais il me semble cependant que, dans l'hypothèse la demanderesse aurait gain de cause, les dommages qu'elle a subis dépasse- raient de loin les $239,000 du cautionnement déposé pour obtenir la mainlevée de la saisie du navire, dont il faut également déduire les récla- mations des sauveteurs. Je conviens, en revan- che, qu'il pourrait être difficile à la demande- resse de récupérer le solde de ses créances si l'argent de l'assurance quittait la juridiction de la Cour car la défenderesse, la Global Naviga tion Limited, ne détient aucun autre avoir dans le pays. Et pourtant, si souhaitable que ladite saisie avant jugement puisse paraître du point de vue pratique, cela ne justifie pas en soi une pareille procédure à moins qu'on puisse l'autori- ser et l'exécuter dans le cadre des Règles de cette Cour. Il s'agit donc de décider si l'on a délibérément omis d'inclure cette règle dans les Règles de la Cour et si, en ce cas, il est possible de pallier son absence vu les circonstances par- ticulières et en faisant application de la Règle 5. Un tribunal ne peut édicter des règles que dans le cadre de la loi qui le régit et nous devons donc nous reporter à la Loi sur la Cour fédérale. L'article 56(1) de la Loi sur la Cour fédérale dispose que:
56. (1) En sus de tous brefs d'exécution ou autres que les Règles prescrivent pour l'exécution des jugements ou ordon- nances de la Cour, celle-ci peut décerner des brefs visant la personne ou les biens d'une partie et ayant la même teneur et le même effet que ceux qui peuvent être décernés par l'une quelconque des cours supérieures de la province dans laquelle un jugement ou une ordonnance doivent être exécu- tés; et lorsque le droit de cette province exige, pour l'émis- sion d'un bref, une ordonnance d'un juge, un juge de la Cour peut rendre une ordonnance semblable en ce qui concerne un tel bref lorsque la Cour doit en décerner un.
La défenderesse, la Global Navigation Limited, souligne que la Cour ne peut décerner de bref que «pour l'exécution des jugements ou ordon- nances» de la Cour et soutient qu'en l'espèce, il n'y a pas eu de jugement ou d'ordonnance préa- lable et que l'ordonnance autorisant la déli- vrance du bref de saisie-arrêt ne peut pas cons- tituer une telle ordonnance. Par contre, la dernière clause de cet article précisant que «lorsque le droit de cette province exige, pour l'émission d'un bref, une ordonnance d'un juge, un juge de la Cour peut rendre une ordonnance semblable en ce qui concerne un tel bref lorsque
la Cour doit en décerner un», ne semble pas interdire la saisie-arrêt avant jugement, ce qui, selon le droit de la province de la Nouvelle- Écosse et de la province de Québec, nécessite une ordonnance d'un juge. Dans ce contexte, le mot «bref» est à mon avis synonyme du mot «procédure», si l'on peut en juger d'après l'arti- cle 55(1) qui commence par les mots «Les brefs de la Cour sont exécutoires dans tout le Canada». Je n'en conclus donc pas, d'autant que ce n'est pas nécessaire dans la présente affaire, que la Cour fédérale n'aurait pas pu, à son gré, inclure dans ses Règles une procédure de saisie- arrêt avant jugement si elle l'avait jugé souhaitable.
J'ai cependant de la peine à croire que la Cour ait omis par mégarde d'inclure une règle ou un ensemble de règles de cette importance. A mon avis, le juge présidant l'audience ne devrait pas se fonder sur les termes de la Règle 5, savoir, «lorsque se pose une question non autrement visée par une disposition d'une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance géné- rale de la Cour» pour établir une règle applica ble aux circonstances particulières d'une espèce si, de propos délibéré, on n'a pas inclus une règle générale de ce genre dans les Règles de la Cour. Le pouvoir d'établir les règles de la Cour se trouve inscrit à l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale qui donne aux juges, sous réserve de l'approbation du gouverneur en conseil, le pouvoir d'établir des règles générales. Ces règles, ordonnances et modifications sont publiées dans la Gazette du Canada et doivent être déposées devant les deux Chambres du Parlement. C'est donc de manière restrictive qu'il convient de faire application de la Règle 5, en l'utilisant seulement pour suppléer à des règles ou ordonnances générales afin de résou- dre un problème d'application qui n'avait pas été prévu ou qui était imprévisible au moment de la rédaction des règles générales. J'ai exa- miné de près les arrêts que l'on m'a cités et dans lesquels il était fait application de ce qu'on appelle la règle de la «lacune» et c'est le sens général de leurs conclusions. Que la saisie avant jugement constitue une simple mesure de procé- dure ou, comme le prétend la défenderesse, la Global Navigation Limited, la création d'un nouveau droit fondamental en faveur de la
demanderesse, il est certain que le résultat serait l'introduction dans les Règles d'une nouvelle et importante procédure dont l'absence pourrait dans certains cas, tel que la présente affaire, causer un grave préjudice à la demanderesse, mais dont l'existence pourrait également causer un grave préjudice à la défenderesse contre qui on l'invoque. Par conséquent, je ne pense pas qu'il s'agisse tout simplement de créer une pro- cédure pour l'application d'une mesure déjà prévue par la loi ou par les Règles. Après mûre réflexion, après avoir entendu les arguments présentés par les avocats des deux parties et examiné la jurisprudence se rapportant à notre affaire, je suis contraint de conclure qu'une telle procédure, si souhaitable soit-elle, doit être, le cas échéant, consacrée par une règle générale et non par une ordonnance faisant jurisprudence et rendue par un juge pour s'adapter aux circon- stances d'un cas particulier. Pour cette simple raison, j'estime qu'il convient d'annuler l'ordon- nance rendue le 10 septembre 1973.
Il y a cependant un autre problème. En demandant qu'il soit fait application de la Règle 5b) et en en faisant application afin de pouvoir se prévaloir de la règle de la Nouvelle-Écosse, la demanderesse s'est fondée sur «l'objet» des procédures se rapportant le plus étroitement à la Nouvelle-Écosse (bien que, de toute évidence, une partie de cette affaire se rapporte également à la province de Québec). Par contre, on peut peut-être puiser à l'article 56 de la loi la compé- tence nécessaire pour utiliser la Règle 5. L'arti- cle 56(1) (précité) vise la délivrance de brefs «ayant la même teneur et le même effet que ceux qui peuvent être décernés par l'une quel- conque des cours supérieures de la province dans laquelle un jugement ou une ordonnance doivent être exécutés» (les italiques sont de moi) et l'article 56(3) souligne cet aspect dans les termes suivants:
56. (3) Tous les brefs d'exécution ou autres brefs visant des biens, que ces brefs soient prescrits par les Règles ou qu'ils soient ci-dessus autorisés, sont, sauf disposition con- traire des Règles, quant aux catégories de biens saisissables et au mode de saisie et de vente, exécutés autant que possible de la manière que le droit de la province sont situés les biens à saisir exige que soient exécutés les brefs semblables décernés par les cours supérieures de cette pro vince, et ils ont les mêmes effets que ces derniers, quant aux biens en question et aux droits de leurs acquéreurs en vertu de ces brefs.
Il semble donc qu'un bref devrait être décerné en la forme utilisée dans la province il doit être exécuté, mais l'autorisation de le délivrer, si l'on applique la Règle 5, exige qu'il le soit selon la pratique et la procédure en vigueur pour les procédures semblables devant le tribunal de la province à laquelle se rapporte plus particulière- ment l'objet des procédures. Ceci semble abou- tir à une contradiction dans la mesure où, comme nous l'avons déjà vu, bien que la saisie avant jugement ne soit pas incompatible avec le droit québécois, cette procédure est dans cette province assez différente de la procédure de la Nouvelle-Écosse. L'article 733 du Code de la procédure civile du Québec prévoit que:
733. Le demandeur peut, avec l'autorisation d'un juge, faire saisir avant jugement les biens du défendeur, lorsqu'il est à craindre que sans cette mesure le recouvrement de sa créance ne soit mis en péril.
et l'article 735 dispose que:
735. La saisie avant jugement se fait en vertu d'un bref, délivré par le protonotaire sur réquisition écrite; celle-ci doit être appuyée d'un affidavit qui affirme l'existence de la créance et des faits qui donnent ouverture à la saisie, et indique les sources d'information du déclarant, le cas échéant.
Dans le cas de l'article 733, l'autorisation du juge doit apparaître sur la réquisition elle-même.
Dans la présente affaire, aucun bref n'avait été délivré par le protonotaire sur réquisition écrite bien que l'on ait présenté les affidavits nécessai- res et obtenu l'autorisation d'un juge. D'autres articles du Code de procédure civile du Québec obligent le défendeur à qui l'on doit signifier l'affidavit écrit, à comparaître pour répondre à la demande formée contre lui et pour entendre déclarer la saisie valable. Il peut, dans un délai de cinq jours, demander l'annulation de la saisie en raison de l'insuffisance ou de la fausseté de l'affidavit sur la foi duquel le bref a été délivré. Si la déclaration n'est pas signifiée au défendeur avec le bref de saisie, le demandeur doit la produire dans un délai de cinq jours et «la demande est contestée de la manière ordinaire» (article 740 du Code de procédure civile du Québec). Il est évident que la saisie est effec- tuée au moyen d'un bref qui- est lui-même intro- ductif d'instance et non simplement l'accessoire d'une procédure déjà engagée et au cours de
laquelle il est délivré. En Nouvelle-Écosse, par contre, une ordonnance délivrée conformément aux Règles de cette province donne ordre au shérif (ou à l'huissier) de [TRADUCTION] «saisir, recevoir en tant qu'administrateur judiciaire, détenir et disposer de» la propriété saisie, qu'elle se trouve en la possession du défendeur ou de toute autre personne si la loi ne la protège pas de la saisie, à concurrence de la réclamation de la demanderesse, soit $500,000, y compris les frais probables. Il semble que les biens res- tent sous saisie jusqu'à ce que l'affaire soit jugée au fond. La Règle 49.01(3) dispose que:
[TRADUCTION] 49.01. (3) Lorsqu'une procédure est engagée pour le recouvrement d'une dette ou l'exécution d'une obli gation qui n'est pas encore exigible, il peut être rendu une ordonnance de saisie dans tous les cas mentionnés au para- graphe (1), mais il ne pourra pas être prononcé de jugement contre un défendeur avant la date d'échéance de la dette ou du billet.
La Règle 49.12c) dispose que:
[TRADUCTION] 49.12. Lorsque la cour a délivré une ordon- nance de saisie, elle peut, sur avis,
c) si elle considère que l'ordonnance de saisie n'est pas nécessaire à la garantie des droits d'un demandeur, ou si le demandeur n'a pas fait diligence pour poursuivre son action et obtenir une décision, ou s'il y a eu désistement ou rejet à l'encontre du défendeur, ou si la réclamation du demandeur a été complètement satisfaite, ou pour quel- qu'autre juste motif, annuler en tout ou en partie l'ordon- nance de saisie et toute saisie effectuée en vertu de cette ordonnance;
Aucune procédure préliminaire n'ordonne au défendeur de comparaître pour répondre à la demande formée contre lui et pour entendre déclarer la saisie valable puisqu'il ne s'agit pas nécessairement d'une procédure introductive d'instance comme c'est le cas dans la province de Québec. Il me semble donc que l'exécution dans la province de Québec de procédures pré- vues par la province de la Nouvelle-Écosse pourrait causer un sérieux préjudice au défendeur.
Il ne fait aucun doute que la demanderesse subira un préjudice du fait de l'annulation de cette saisie, mais il n'est pas du tout rare de voir un demandeur obtenir un jugement à l'encontre d'un défendeur non-résident qui ne possède dans le pays, à l'époque du jugement, aucun avoir permettant l'exécution de la décision.
C'est tout à fait par hasard qu'au moment de la saisie, les assurances allaient rembourser la défenderesse dans ce pays ce qui a permis à la demanderesse de tenter d'utiliser cette procé- dure. D'après la preuve, il appert que les tentati- ves de la demanderesse pour saisir avant juge- ment les sommes qu'allait recevoir la défenderesse non-résidente ne sont cependant ni futiles ni malveillantes. J'annule l'ordonnance initiale en vertu de la Règle 330 qui est rédigée de la manière suivante:
Règle 330. La Cour pourra annuler toute ordonnance rendue ex parte, mais une telle annulation n'affecte ni la validité ni la nature d'une action ou omission antérieure à l'ordonnance d'annulation.
La défenderesse, la Global Navigation Limited, aura le droit de recouvrer les frais que lui a occasionnés la requête visant l'annulation de ladite ordonnance. Ainsi, je délivre une ordon- nance annulant l'ordonnance de saisie du 10 septembre 1973 et enjoignant la demanderesse d'aviser immédiatement toutes les personnes à qui on avait signifié ladite ordonnance de saisie que celle-ci est annulée, le tout avec dépens aux défendeurs.
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