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Joseph M. Weintraub (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef adjoint Noël—Ottawa, le 31 mai et le 13 juin 1972.
Impôt sur le revenu—Appel d'une cotisation—La défende- resse doit être la Reine—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 175 (mod. par 1970-71, c. 63)—Loi sur la Cour fédérale, art. 48.
Eu égard aux dispositions de la Loi sur le ministère du Revenu national, S.R.C. 1970, c. N-15, article 4, le Ministre, dans l'exercice des fonctions que lui confère la Loi de l'impôt sur le revenu, agit en qualité de préposé de la Couronne et non à titre de personne désignée. Par consé- quent, l'appel d'une cotisation à l'impôt sur le revenu doit, aux termes de l'article 175 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, tel que modifié par 1970-71, c. 63, être interjeté de la manière énoncée à l'article 48 de la Loi sur la Cour fédérale, c. -à-d. qu'il doit être dirigé contre Sa Majesté la Reine et non contre le ministre du Revenu national.
Arrêt cité: Mastino Developments Ltd. c. La Reine [19721 C.F. 532.
REQUÊTE aux fins de rejet de l'appel.
Bruce Verchere pour le demandeur.
A. P. Gauthier pour la défenderesse.
LE JUGE EN CHEF ADJOINT NO>~L—Le procu- reur général du Canada a présenté une requête aux fins de rejet du présent appel, au motif que l'on ne peut rechercher ni obtenir réparation de Sa Majesté la Reine relativement à l'exercice des fonctions administratives que la Loi de l'im- pôt sur le revenu confère au ministre du Revenu national, à titre de personne désignée, quant à l'évaluation de l'impôt que doit payer le deman- deur. Le procureur général soutient que, dans les procédures la réparation recherchée con- siste en une révision contentieuse de l'évalua- tion de l'impôt, des intérêts et des pénalités, le cas échéant, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, ou dans les procé- dures résultant d'une décision de la Commission de révision de l'impôt ayant révisé, au cours d'un procès, la cotisation établie par le Ministre, c'est le ministre du Revenu national que l'on doit mettre en cause au procès.
Depuis que la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, a été modifiée par S.C.
1970-71, c. 63, l'article 175(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit:
175. (1) En vertu de la présente loi, un appel auprès de la Cour fédérale, sauf un appel auquel s'applique l'article 180, est introduit,
a) dans le cas d'un appel interjeté par un contribuable,
(i) de la manière indiquée à l'article 48 de la Loi sur la Cour fédérale, ou
(ii) par le dépôt par le Ministre d'une copie d'un avis d'opposition au greffe de la Cour fédérale, en vertu de l'alinéa 165(3)b); et
b) dans le cas d'un appel interjeté par le Ministre, de la manière prévue par les règles de la Cour fédérale concer- nant l'introduction d'une action.
L'article 48 de la Loi sur la Cour fédérale, S.C. 1970, c. 1, qui s'applique aux appels inter- jetés par les contribuables, prévoit que les pro- cédures doivent être intentées par le dépôt au greffe de la Cour d'un acte de procédure en la forme indiquée à l'annexe «A» de la Loi. Ladite annexe contient le plan d'une déclaration dans laquelle la défenderesse indiquée est Sa Majesté la Reine et l'avocat du procureur général déclare que les appels interjetés par le ministre du Revenu national sont régis par la Règle 400 des règles de cette Cour et non pas la Règle 600.
Le procureur général soutient que les procé- dures d'appel portant sur des cotisations doi- vent être dirigées contre le ministre du Revenu national. L'appel que prévoit la Loi de l'impôt sur le revenu, porte, selon lui, sur l'exercice d'une fonction statutaire conférée au Ministre par l'article 152 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71, c. 63, qui prévoit que le ministre du Revenu national doit examiner les déclarations de revenu produites aux termes de la Loi et fixer l'impôt, l'intérêt et les pénalités, s'il y a lieu. Il ajoute que l'appel porte sur l'exercice de cette fonction statutaire, dont le Ministre s'ac- quitte en vertu des pouvoirs que la Loi lui confère et non en qualité de mandataire ou de préposé de Sa Majesté. Il déclare qu'il est essentiel que la personne qui a exercé cette fonction statutaire soit effectivement présente devant le tribunal qui révise ses actions, pour que non seulement justice soit faite, mais pour qu'elle soit faite au grand jour.
Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, d'après le procureur général, font une
distinction entre la fonction qui consiste à éta- blir une cotisation, qui est imposée au ministre du Revenu national, et les impôts payables, lesquels, aux termes de l'article 222 de la Loi, doivent être payés à Sa Majesté la Reine, avec le résultat que Sa Majesté n'a pas d'intérêt lorsque la Cour exerce le pouvoir qu'elle a de réviser, au cours d'un procès, les cotisations qu'a établies le Ministre.
Le procureur général soutient également que le Parlement, en prévoyant, -au paragraphe (3) de l'article 175 de la Loi, qu'un appel interjeté en vertu de la Loi est réputé être une action ordinaire à laquelle s'appliquent les règles de la Cour fédérale, avait clairement à l'esprit, dit-il, les dispositions de la Règle 800(1)a) des règles de cette Cour, qui énonce:
Règle 800. (I) Sous réserve des dispositions contenues dans les lois et qui concernent spécialement les appels en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les biens transmis par décès, et sous réserve des règlements établis en application de ces dispositions, les dispositions des pré- sentes Règles, avec les modifications qui s'imposent, et dans la mesure elles sont raisonnablement appropriées, sont applicables à un appel de ce genre interjeté devant la Division de première instance,
a) comme si l'appel était une action en première instance et si le contribuable et le ministre du Revenu national y étaient parties,
La défenderesse déclare également que l'in- tention évidente du Parlement, ainsi qu'il résulte de l'alinéa b) du paragraphe (1) de l'article 175 et du paragraphe (1) de l'article 172 de la Loi, est que le Ministre a le droit d'interjeter appel d'une décision de la Commission lorsqu'il n'en est pas satisfait. D'après la défenderesse, la Loi de l'impôt sur le revenu ne permet en rien de conclure que lorsque l'appel est interjeté par le contribuable, la défenderesse doit, peut ou devrait être Sa Majesté la Reine. Le procureur général déclare que l'alinéa b) du paragraphe (1) de l'article 175 de la Loi s'applique aux appels interjetés par le Ministre dans certains cas parti- culiers et que, par suite, (1) l'appel interjeté par le Ministre doit l'être en son nom et non en celui du procureur général du Canada; (2) les dispositions de la Règle 600 des règles de cette Cour ne sont pas applicables; (3) la formule 31 prévue dans les règles ne peut pas être utilisée, et (4) la Règle 400 et la formule 11 visent un appel interjeté par le Ministre.
Le procureur général soutient également que si le ministre du Revenu national n'est pas appelé aux procédures, la Cour ne peut pas exercer le pouvoir, que lui confèrent les articles 177, 246(5)c) et 247(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71, c. 63, de renvoyer une cotisation au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisa- tion. Il soutient également que lorsqu'une déci- sion est rendue contre Sa Majesté, la Cour n'a pas le pouvoir d'ordonner à Sa Majesté, en vertu de l'article 178 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71, c. 63, de payer les dépens ou de rembourser l'impôt, le pouvoir de la Cour se limitant à rendre des ordonnances contre le Ministre et que, si le Ministre n'est pas partie aux procédures, de telles ordonnances ne peu- vent pas être rendues contre lui.
Je traiterai d'abord de la prétention selon laquelle le ministre du Revenu national agit à titre de personne désignée lorsqu'il établit le montant de l'impôt que doit payer le demandeur ou lorsqu'il agit en vertu des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'examen du chapi- tre N-15, S.R.C. 1970, qui est la Loi sur le ministère du Revenu national, (article 4 et annexe) indique clairement, à mon sens que lorsque le ministre du Revenu national exerce les fonctions décrites dans la Loi de l'impôt sur le revenu, il exerce simplement les fonctions que lui impose la Loi, comme tout autre Ministre de Sa Majesté, et il s'ensuit donc qu'il ne peut pas agir à titre de personne désignée en ce faisant.
L'article 4(1) et (2) de ladite Loi se lisent en effet comme suit:
4. (1) Les devoirs, pouvoirs et fonctions du Ministre s'étendent et s'appliquent aux sujets et services énumérés à l'annexe, qu'il contrôle, réglemente, gère et surveille, mais toujours sous réserve des dispositions des lois relatives auxdits sujets et aux questions qui s'y rattachent.
(2) Le gouverneur en conseil peut, en tout temps, assi- gner au chef d'un autre ministère les devoirs et pouvoirs conférés au Ministre par les présentes; et à compter du moment désigné à cette fin par décret en conseil, le chef de cet autre ministère est investi de ces pouvoirs et chargé de ces devoirs.
L'annexe qui se trouve au bas de la page 2 du chapitre N-15 décrit les sujets et les services auxquels lesdits devoirs, pouvoirs et fonctions s'appliquent et comprend, entre autres choses,
4. Les impôts de l'intérieur, sauf dispositions contraires, y compris l'impôt sur le revenu.
L'article 48 de la Loi sur la Cour fédérale et l'article 175(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71, c. 63, décrivent la façon dont un con- tribuable doit interjeter appel d'une cotisation du Ministre ou d'une décision de la Commission de révision de l'impôt et l'article 48 renvoie, à son tour, à l'annexe A, laquelle est décrite comme une déclaration, et indique que les par ties sont un demandeur et un défendeur, Sa Majesté la Reine y étant indiquée comme défen- deresse. Comme j'ai eu l'occasion de le dire dans le jugement d'appel Mastino Developments Limited c. Sa Majesté la Reine et autres [1972] C.F. 532 à la p. 536, l'article 48 suit clairement
la tendance qui se dessine au Canada visant à ne plus utiliser des parties désignées et à désigner Sa Majesté en qualité de partie lors- qu'elle est la personne dont les droits ou les obligations statutaires sont en cause. Cette solu tion paraît bien préférable car la personne qui intente des procédures judiciaires contre la Couronne n'a pas alors à décider à quel(s) ministère(s) il faut imputer la responsabilité de la situation dont elle se plaint».
Le ministère du Revenu national a été créé par une Loi et placé sous la direction et le contrôle d'un ministre particulier et, comme nous l'avons déjà dit, ce ministre, en cette qua- lité, exerce les devoirs, pouvoirs ou fonctions décrits dans la Loi, comme les ministres des divers autres ministères s'acquittent des devoirs qui leurs sont imposés par la Loi constitutive de leurs ministères respectifs. Je dois répéter ce qui fut dit dans l'appel Mastino Developments (précité) aux pp. 536, 537 puisque cela explique la façon dont l'exercice des devoirs, fonctions ou pouvoirs du ministre du Revenu national s'inscrivent dans le plan général de l'administra- tion gouvernementale:
Tous les ministères sont créés par une loi et placés sous la gestion et la direction de leur ministre respectif (voir la Loi sur les travaux publics, S.R.C. 1970, c. P-38). Le ministère de la Justice (S.R.C. 1970, c. J-2) est sous la gestion et la
direction du ministre de la Justice qui est d'office procureur général du Canada et qui, à ce titre, est chargé de régler et de diriger «la demande ou la défense dans toutes les contes- tations formées pour ou contre la Couronne ou un ministère public» (art. 5d)). Aux termes de la Loi d'interprétation, le sous-procureur général possède les pouvoirs du procureur général. La loi attribue au ministre du Revenu national une fonction spéciale, celle de faire certaines choses qui ont des effets juridiques en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. En effet, il est tenu et il a le pouvoir de «fixer» l'impôt payable pour chaque année d'imposition de chaque contri- buable (art. 152) et, lorsqu'il l'a fait, sa cotisation est réputée être «valide et exécutoire» sous réserve des modifi cations qui peuvent y être apportées, ou d'une annulation qui peut être prononcée, lors d'une opposition ou d'un appel et sous réserve d'une nouvelle cotisation.
Qu'il me soit permis d'ajouter que la forme d'un appel n'est pas très importante, si l'on considère que sous le régime de la Loi de l'im- pôt de guerre sur le revenu, aux termes de laquelle le ministre du Revenu national avait les mêmes fonctions, devoirs ou pouvoirs, l'avis d'appel était un document très simplifié puis- qu'il n'avait ni titre ni forme particulière. L'arti- cle 58(3) de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, qui traite de la forme de l'avis d'appel, énonce que «tout pareil avis doit suivre d'aussi près que possible la formule contenue dans la deuxième annexe de la présente loi et doit énon- cer clairement les motifs d'appel et tous les faits qui s'y rattachent». La seconde annexe men- tionnée ci-dessus prévoit simplement que le nom du contribuable doit être indiqué et le nom du Ministre n'est même pas indiqué, de même que son nom n'est pas mentionné lorsqu'il est question de la cotisation qui fait l'objet de l'appel.
Il ne fait pas de doute que, d'une manière générale, lorsqu'il y a un «appel» de nature judiciaire, le tribunal ou l'autorité dont la déci- sion fait l'objet d'un appel n'est pas partie aux procédures, sauf s'ils ont joué un rôle adminis- tratif dans l'affaire, en plus de leur pouvoir statutaire de rendre des décisions. Les tribu- naux ne sont généralement pas partie aux appels de leurs décisions. Néanmoins, la Cour d'appel peut, dans certains cas, leur renvoyer le dossier pour nouvelle audience, etc. Il me semble que le Ministre, lorsqu'il établit des coti- sations ou remplit ses fonctions, agit comme une autorité qui rend des décisions (comme un tribunal, en quelque sorte) bien qu'il n'exerce que les fonctions que la Loi lui confère et, qu'à
ce titre, une autorité ne doive pas être partie à l'appel de sa décision.
Lorsqu'un ministre d'un autre ministère décide d'intenter des procédures judiciaires, il donne des instructions au ministère de la Justice et les procédures sont intentées au nom de Sa Majesté ou de toute autre personne dont la Loi peut exiger la désignation. Dans le cas présent, la Loi énonce qu'un appel devant cette Cour (article 175(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu) doit être introduit, dans le cas d'un appel inter- jeté par un contribuable, de la manière indiquée à l'article 48 de la Loi sur la Cour fédérale et, comme nous l'avons vu, cela signifie que l'appel doit être dirigé contre Sa Majesté la Reine. Comme je l'ai fait observer dans l'affaire Mas-
tino, page 538:
... il est habituel que les lois imposent des obligations et confèrent des droits à Sa Majesté en obligeant le ministre responsable de ce secteur particulier des affaires de l'État à verser une somme d'argent ou à faire quelque chose, ou en l'autorisant à faire quelque chose. Il est manifeste qu'une telle loi n'impose pas d'obligation ni ne confère de droit à titre personnel à la personne qui se trouve être ministre. C'est une façon élégante utilisée dans les lois pour imposer des obligations et conférer des droits à Sa Majesté. L'obli- gation de payer est une obligation incombant au Ministre, quel que soit le titulaire du poste, dans le cadre de ses responsabilités en qualité de fonctionnaire de la Couronne, de faire un versement prélevé sur les fonds de Sa Majesté. Enfin, les dispositions autorisant la Cour à statuer sur un appel en déférant la cotisation au Ministre pour nouvelle cotisation n'empêchent pas Sa Majesté d'être la partie qui s'oppose à l'appel. En effet, il n'est pas nécessaire que la personne qui exerce un pouvoir en vertu d'une loi soit partie à la procédure attaquant sa décision. Sa situation est compa rable à celle d'un tribunal ou d'une autorité dont la décision fait l'objet d'un appel. Dans ce cas-là, la personne qui a intérêt à faire confirmer la décision est Sa Majesté et, dès lors que Sa Majesté ou quelqu'un agissant en son nom est pas tie aux procédures dans le but de protéger ses intérêts, il :?'eu faut pas plus.
Je Stiis par conséquent d'avis que les parties
d 'iv61tt conformer aux exigences de l'article 48 de la Loi sur la Cour fédérale et de son annexe A, que la formule indiquée doit être utilisée, que le document doit être intitulé «déclaration», que les parties doivent être décri- tes comme demandeurs et défendeurs et que la défenderesse doit être Sa Majesté la Reine elle- même, puisque c'est elle qui est indiquée à l'annexe A. Il s'agit d'une application littérale de la Loi et il me semble que, puisque les pouvoirs que la Loi donne au Ministre ne lui
sont pas conférés en sa qualité personnelle, ni même à titre de personne désignée, mais simple- ment en sa qualité de préposé de la Couronne agissant au nom de Sa Majesté, la mention qui est faite du Ministre aux articles 175 et suivants de la Loi de l'impôt sur le revenu n'a pas pour effet d'empêcher l'utilisation de la procédure susdite et, si elle est utilisée, la Cour conserve encore le pouvoir de renvoyer la cotisation pour nouvel examen et nouvelle cotisation ou d'or- donner le paiement des dépens ou le rembourse- ment de l'impôt.
La requête du procureur général est rejetée et les dépens sont accordés au demandeur, quelle que soit l'issue du procès.
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